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[18 décembre 1597] On ne voit bien qu'avec le cœur

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Message par Le Cent-Visages Sam 30 Jan - 20:51

[18 décembre 1597] On ne voit bien qu'avec le cœur Lzoniu10

Lénius, troubadour difforme en fauteuil roulant, 27 ans

La gargouille n'arrivait pas à chasser de son esprit les images horribles qu'il venait de voir. Hyriel, son ami, dans cette épouvantable cage comme le dernier des criminels. Le saltimbanque ne se trouvait plus du tout d'humeur à retourner chanter sur la parvis comme si de rien n'était. Et tant pis s'il perdait de l'argent. Une seule idée l'obsédait à présent : qu'allait-il arriver au guérisseur ? S'il devait monter sur le bûcher, ce serait bien encore une preuve - s'il en fallut de nouvelles - de la folie de ce monde. Et particulièrement de cet Empire ! Tristan, vendu comme esclave en septembre... Ulysse, ce fou dangereux qui sous couvert de sa noblesse avait torturé des dizaines de malheureux en toute impunité plusieurs années durant... Et maintenant, Hyriel qui risquait une condamnation pour sorcellerie... Est-ce que cette humanité pouvait être sérieuse une seconde ? Elle ne méritait décidément rien de plus que son rire grinçant. Sanglant.
Et pourtant... pourtant, ses lugubres pensées se radoucissaient tandis qu'il avançait aux côtés de Claire-Marie. La jeune fille fut son petit rayon de soleil, au milieu du chemin de croix qu'avait été le trajet de la cage de son ami en ville. Claire-Marie appartenait à cette rare catégorie de personnes qui de temps en temps redonnait un peu foi en la nature humaine. A moins qu'elle n'en fut l'exception confirmant la règle. Quoi qu'il en soit, Lénius ne se fit pas prier à la raccompagner jusqu'aux portes du château de son maître. Ce dernier pouvait bien la voir en compagnie de la gargouille, il n'en avait strictement rien à faire. L'esclave lui avait paru si triste. Si désemparée devant le fourgon où croupissait le guérisseur. Et une fois encore, elle avait eu un geste d'une telle générosité en offrant cette simple pomme. Après d'elle, le monstre roulant se sentait bien. Étrangement bien, parcouru d'une fine vague d'espoir.

Ils disposaient d'un certain temps devant eux avant d'arriver à Wollanbach. La chariote de l'invalide n'allait pas à très grande allure et Claire se débrouillait au mieux avec son pied blessé. Lénius ne manqua pas de lui proposer de s'appuyer sur l'une des poignées de son fauteuil si elle en ressentait le besoin. Il lui souriait. C'était la première fois qu'il osait sourire sans complexe à une femme : une femme qui ne le trouvait pas laid. Et qui n'avait pas dit cela pour lui faire plaisir, il l'avait senti. Cette âme là lui semblait trop singulière pour se montrer hypocrite.

-- Que de chose ont dû arriver depuis notre dernière rencontre à l'Ours Noir ! Cette histoire de carrosse, quel monstre a donc osé vous faire cela ? Et Hyriel... comment avez-vous eu la chance de croiser sa route ? (prononcer le nom du guérisseur lui ramena les larmes aux yeux, lui qui avait pourtant l'habitude de n'afficher qu'une face rigolarde et caustique en toute circonstances...) Je dis bien la chance, car il m'a guéri aussi. Je ne peux pas croire... non, je ne peux décidément pas croire qu'il risque d'être condamné. (Il secoua la tête, chassa définitivement cette obsédante terreur et revint à Claire) Mais pardonnez-moi. Parlons de vous plutôt.
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Message par Claire-Marie Sam 30 Jan - 22:21

Claire était demeurée relativement silencieuse durant le trajet, emprisonnée dans ses visions. Les larmes comme les images dansaient dans ses yeux, sans pouvoir s'en échapper. Pourquoi ? Pourquoi lui... Et si... Mais... Elle avait bien vu du sang avec le seigneur de Frenn et il ne lui était rien arrivé... Alors... Le destin d'Hyriel était peut-être simplement lié au feu. Ou cela le sauverait... Comment savoir ? Le plus frustrant était de ne pouvoir faire qu'orienter. De profonds soupirs animaient sa poitrine alors qu'elle marchait aux côtés de son nouvel ami. Elle se tourna vers lui en tâchant de sourire. Après tout, il était si gentil de le raccompagner alors que la route était sûrement tout aussi déplaisant pour lui que pour elle avec son pied.

Elle le sentait agacé mais pas à cause d'elle. Ses ondes agressives allaient à autre chose. Aux bourreaux et aux goêliers d'Hyriel ? Peut-être... Ou même au monde entier. Après tout, certaines personnes avaient été si méchantes... Elle avait d'ailleurs un bleu à la côte, elle le savait pour se l'être tâté. Mais elle n'en voulait à aucun d'entre eux. Ils avaient peur, comme l'avait dit Hyriel. On ne pouvait pas en vouloir aux gens d'avoir peur. Tout le monde avait peur, de tout. C'était humain.

Claire-Marie leva les yeux. Le chemin les conduisait tranquillement au domaine. Bien lentement et ce n'était pas pour lui déplaire. Rester avec un ami était agréable. Cependant, elle ne savait pas trop quoi dire. Elle les sentait tout deux tristes mais n'osait prononcer un mot, de peur de réveiller de nouveau cette tristesse. Il lui avait alors proposé un accoudoir de son fauteuil, pour s'appuyer. Elle n'avait pas osé au début, craignant de l'abîmer et un peu timide. Mais à force de marcher, elle avait difficilement pu bouder un appui qui soulageait quelque peu son pied. Lénius souriait et elle trouvait cela joli. Ses dents formaient de belles formes, presque géométriques. C'était un de ses mille et un détails qu'elle trouvait admirable chez son ami.

Elle ne put que hocher la tête quand il prit de nouveau la parole. Elle baissa les yeux ensuite.

- Mon frère m'a dit qu'il s'appelait Ulysse de Rottenberg. Je ne sais pas qui c'est mais il était apparemment très méchant et a été puni. Je ne sais pas si c'est une bonne chose...

Elle sourit faiblement à la suite.

- C'est mon père qui a trouvé Hyriel. Il voulait qu'il puisse me soigner mieux que ne l'avait fait le médecin. Et ça a marché ! je boite, mais moins et mieux. J'ai moins mal aussi.

Elle lui devait tant. Sans lui, la blessure l'aurait certainement fait souffrir, bien trop longtemps... Elle vit alors les larmes de Lénius et sentit les siennes se raviver également. Elle déglutit, du mieux qu'elle pouvait avec sa boule dans la gorge.

- Il... il vous a soigné, vous aussi ?

Elle n'y tint alors plus, dès la constatation de Lénius. Les larmes inondèrent ses joues et ses genoux se dérobèrent. Elle pleura, genoux au sol, déversant dans le sel sur son visage toutes les horreurs dont elle avait été témoin et qui avaient hanté ses visage, les teintant du rouge sanglant des flammes.

- Hyriel... Je... je ne veux pas qu'il lui arrive malheur... Le feu... Je ne veux pas...
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Message par Le Cent-Visages Dim 31 Jan - 15:55

[18 décembre 1597] On ne voit bien qu'avec le cœur Lzoniu10

Lénius, troubadour difforme en fauteuil roulant, 27 ans

La main fine de Claire se referma sur la poignée de son fauteuil et ainsi fut-il heureux de l'aider - à sa manière - à avancer le long du chemin. Il fallait croire que deux invalides pouvaient se compléter mieux que personne. Lénius retint malgré tout un soupir de dépit : tout ce chemin, et cette esclave qui malgré sa blessure ne devait même pas être un tant soit peu dispensée de corvées. Elle ne lui en parut que plus vaillante. Et ses maîtres, plus inconséquents et toujours si centrés sur leurs petites personnes comme bien trop de notables de cet empire.

-- Ulysse, grommala-t-il. Oh que oui, il avait entendu ce nom maudit. La nouvelle de son procès et de ses crimes qui dépassaient l'entendement avaient fait le tour de Braktenn en octobre. Déconcerté par les paroles qui suivirent, Lénius entreprit doucement de donner son avis sur la question : Je crois que si. Parfois, il faut punir. Oh, il est nécessaire de le faire le plus droitement possible, et la justice est loin d'être parfaite. Cependant il me paraît utopique d'imaginer une humanité où il n'y aurait plus besoin de menacer ni sanctionner. Punir, mais sans se dispenser de comprendre en amont, pour faire en sorte que le délit se reproduise le moins possible. Et en aval : de donner quand cela est possible la chance à certains de ré-intégrer le collectif pour une seconde chance.

Réflexion courte et améliorable, il en convenait. Gênée aussi quand on le mettait face à des cas extrêmes comme celui du Rottenberg : certains étaient-ils récupérables ? Et que penser de la peine de mort, irréversible ? Lui-même brûlait souvent de l'envie de voir mourir le roi et tous ces responsables des malheurs des colonies - et même de tant de Monbriniens.
Il laissa là ces réflexions et sourit quand Claire se réjouit d'avoir été soignée. Mieux que par des médecins officiels, cela ne l'étonnait guère. Lui-même avait subi, enfant, des tentatives de cures s'apparentant davantage à de la torture - à coup d'étaux et d'attelles métalliques à porter des semaines durant pour rendre ses membres plus droits, en tasser les excroissances, les reformer. En vain. Sans compter les bains glacés. Il s'était vite fait une raison quant aux caprices de son corps. Son père ? Nota-t-il aussi. Ce bougre de Thierry pouvait aussi faire de temps en temps quelques bonnes choses quand il s'agissait d'esclaves et de ses enfants. La gargouille lui gardait un chien de sa chienne pour les traitements infligés à Tristan. Il reconnut néanmoins, en l'occurrence, l'idée judicieuse de cette rencontre entre Claire et le guérisseur.

-- Oui. Un soir de novembre, je... je m'étais encore attiré les bonnes grâces de quelques amis par des chansons que leurs réputations avait eu du mal à digérer. Certains n'ont rien trouvé de mieux à répliquer que de me lyncher et de m'abandonner au fond du bois. Mais Hyriel et ses amis m'ont trouvé. Je ne serai plus de ce monde sans eux. Comme beaucoup de gens de cette foutue ville ! Qui aura la décence de le reconnaître à son procès ?

Soudain, Claire s'effondra, en pleurs. Oh non ! Non, non... Il avait été trop bête. Tellement maladroit à parler encore de l'arrestation de leur ami alors qu'il était censé raccompagner la demoiselle et la réconforter. Quel sot ! Lénius prit son visage entre ses mains, le temps de chasser les larmes qui lui venaient. Puis il avança de quelques vifs tours de roue au plus près de Claire. Il se pencha vers elle. Du mieux qu'il le pouvait - autant dire de pas grand chose, encombré de son propre corps en torsions. Il voulait l'étreindre mais n'y parvenait pas. Sa voix soudain si douce, même frêle, murmura :

-- Oh non... Non, je vous en prie... Ne pleurez pas. Pardon. (Un temps) Ayons confiance. Vous avez vu... vous avez vu tous ces gens qui sont venus autour du convoi apporter tous ces gestes d'affection à notre ami. Il n'est pas seul ! Je veux croire de tout cœur que nous serons plus d'un pour le défendre. Moi le premier, soyez-en sûre. (Un temps) Allons... Venez...

Tandis qu'il disait ces derniers mots, son énorme main s'était ouverte au niveau des doigts de la jeune fille, l'invitant clairement à s'appuyer dessus. Au moins le temps de se relever. Avec sa permission, Lénius aura passé son autre bras autour d'elle et, lentement, aussi précautionneusement que possible, l'aura invitée à s'asseoir sur ses genoux. Là, tout contre lui plutôt que de la laisser au sol, il pourra lui offrir une tendre étreinte sans la gêne d'avoir à se pencher. L'invalide enroula ses bras autour de Claire. Avec nulle autre pensée que celle du réconfort.

-- Je n'aurais jamais cru prononcer ce genre de choses un jour, mais si vous avez retrouvé la vue et vous êtes sortie seulement un peu blessée de cet accident, alors il faut croire que la foi nous est permise.

La foi... Et c'était lui, Lénius, emmerdeur de profession auprès des Grands de ce Monde et mécréant devant l'Éternel qui disait cela ! Un sourire flou lui en traversa le visage. Ses sourcils se plissèrent sur un regard effaré. Son étreinte berçait toujours son amie, autant qu'il le faudrait pour qu'elle se consolât et puisse poursuivre la route. Son panier de commissions attendait encore au sol.

-- Claire, souffla-t-il. Qui êtes-vous ? Je veux dire... se reprit-il afin de formuler un peu mieux : Où avez-vous grandi avant d'arriver ici à Braktenn ? L'on sortira davantage d'admiration que de curiosité dans sa question. Elle disait entre les lignes : cette étincelle et cet optimisme qui sont les vôtres, où donc les avez-vous cultivés ?
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Message par Claire-Marie Dim 31 Jan - 23:25

Claire tourna la tête vers Lénius. Il avait l'air de savoir qui était cet individu. Il avait l'air de savoir beaucoup de choses, surtout dans son développement de sa réflexion. Elle hocha la tête.

- C'est ce qu'on m'a expliqué en arrivant. (récitant d'un ton docte) "Il faut parfois punir pour que les gens comprennent qu'ils ont fait une erreur".

Cela ne lui était presque jamais arrivé. Sauf pour le vase... Mais comment Crépuscule pouvait-il savoir qu'il avait fait une bêtise ? Elle n'avait jamais compris. C'était pareil pour Alexandre, qu'avait-il fait de mal ? Et puis pourquoi certaines personnes étaient-elles parfois si méchantes qu'il fallait brandir la menace d'une punition ? Cela lui avait toujours échappé...

Elle lui sourit en retour quand il raconta sa rencontre avec Hyriel. Cela ne l'étonnait pas. elle posa une main sur la sienne.

- Nous avons tous les deux eu beaucoup de chance de connaître Hyriel. Il est très gentil...

Ses pleurs la rattrapèrent cependant bien plus vite que les souvenirs joyeux. Elle revoyait les flammes, la cage, tout... On lui releva alors le visage. Les grandes mains de Lénius l'entouraient presque toute entière. Elle hoqueta un peu, prise par les sanglots, puis secoua la tête.

- Non... c'est moi... Pardon...

Elle tâcha de se reprendre et se redressa. Elle sourit un peu au travers du rideau de ses larmes.

- Oui... Vous avez raison. Je devrais avoir confiance. Nous serons là pour le défendre... Enfin vous, moi, je ne peux rien faire, je crois.

Elle prit sa main avec douceur et se laissa installer sur ses genoux. Elle se sentait déjà un peu mieux... Elle lui sourit un peu plus, plus naturellement. Claire le serra en retour avec un léger soupir de soulagement. Elle se redressa avec un peu d'étonnement à sa réplique.

- La foi ? Ah oui, c'est vrai ! Je vois de quoi vous voulez parler. mais je ne m'y connais pas beaucoup... On ne m'emmenait pas souvent à la messe, on disait que je n'en avais pas besoin, je devais juste connaître la Bible.

Elle ne vit pas son regard étonné alors qu'elle l'étreignait. Elle remarqua ensuite de même son panier et jugea qu'il était bon qu'elle le reprenne. Elle glissa des genoux de son ami en douceur et reprit les provisions puis se remit à boitiller. Elle pencha la tête quand Lénius lui posa ta question. Personne ne le lui avait jamais demandé... Parce que ça n'intéressait personne, c'est ce qu'on lui avait dit. Elle posa une main sur sa bouche. Est-ce qu'elle arriverait seulement à se souvenir ? Oui, en se concentrant un peu... Sa première question la troubla surtout.

- Je ne sais plus... j'ai oublié, je crois, parce qu'on m'a dit d'oublier.

Elle essaya de se souvenir pour la suite, en souriant un peu plus.

- Je suis née sur une plage. Non, c'est... mes parents m'ont laissé près de la mer. C'est ça... Je me souviens du bruit des vagues. Et puis, ma grand-mère est venue et elle m'a prise en m'entendant pleurer. C'était à... à... Iswyliz ! C'est son nom, je crois.
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Message par Le Cent-Visages Dim 7 Fév - 21:52

[18 décembre 1597] On ne voit bien qu'avec le cœur Lzoniu10

Lénius, troubadour difforme en fauteuil roulant, 27 ans

Il hocha gravement - tristement - la tête au commandement qu'énonçait la docile Claire-Marie. Cette phrase ne disait pas faux, mais dans la bouche d'une esclave et avec ce qu'il devina derrière, Lénius la trouva dure. Autant ne pas commenter. Ils avaient très vite changé de sujet et une crise d'angoisse venait de submerger la jeune fille, tombée à terre, en sanglots. L'infirme l'avait prise dans ses bras et bercée, lentement, avec toute la précaution d'un enfant qui s'estimait indigne d'un trésor choyé entre ses mains mais y faisant le plus attention du monde.

-- Nous sommes sûrement des dizaines, à Braktenn, à avoir eu la chance de connaître Hyriel. Cela ne pourra que peser en sa faveur, voulut rassurer Lénius. Se rassurer aussi. Il retint un soupir de révolte au rappel des lois entre les lignes, dans les mots simples de Claire. Eh bien je te fais la promesse d'y aller pour nous deux, le défendre. Crois-moi je donnerai tout, devant ce tribunal. Son timbre déterminé ne laissera pas voir à quel point cette perspective le terrifiait : la gargouille était à l'aise dans la gouaille, le rire et la satire. Son verbe était un bouclier rieur et quand il s'en servait ainsi, au moins la foule ne pouvait pas fouiller au-delà, le blesser de banderilles. L'humour avait cela de confortable. Alors que quand il parlait avec sérieux, son visage grimaçait si souvent, ses muscles se modelaient en un tel degré de laideur que les auditeurs en venaient souvent - trop souvent - à rire au lieu de s'arrêter à la gravité du propos. Horrible condamnation... Mais pour Hyriel auprès de qui il avait une dette de vie, il le ferait. Le temps ne serait pas au rire et l'homme difforme raclerait au plus profond de ses ressources pour que son visage éboulé atteigne un semblant de prestance avocate. Sa promesse à Claire-Marie fut tout aussi solennelle.
Il se rendit compte soudain l'avoir tutoyée. Oh certainement pas comme un homme libre tutoyait un esclave, mais avec une amicale proximité. C'était dans sa abouche et avec elle une marque de confiance et de bien être. Lénius prendra soin de demander malgré tout :

-- "Tu", cela m'a échappé. Mais veux-tu bien que nous nous disions tous deux "tu" ?

Il marqua un temps d'arrêt, étonné de sa réaction première quant à la foi, avant de se dire que son instinctive association d'idée n'avait rien de bien surprenant... On élevait les chastes jeunes filles - et à plus forte raison des esclaves - dans la soumission, la docilité, et l'étau d'une foi qui ne se résumait qu'à la Bible alors que ce mot si noble pouvait prendre bien des acceptions infiniment plus larges. Il respecta néanmoins d'un sourire sincère la ferveur croyante de Claire-Marie, puis ajouta, d'abord ironique :

-- Sur ce point je suis d'accord, tu n'avais peut-être pas besoin d'aller à la messe, mais pas seulement toi, et pas pour les raisons que je devine. Je suis pour l'égalité de tous devant l'évitement de l'ennui. Oh non, ce n'était pas en tant qu'esclave qu'elle n'avait pas besoin d'aller perdre son temps aux offices, s'il devait y avoir une raison. Or des mouvements intellectuels comme certaines branches du protestantisme prétendaient que du moment que l'on pouvait avoir accès à la Bible en langue courante, les messes n'étaient que des lieux d'endoctrinement ou une seule vision était imposée au bon vouloir du prêcheur. Plus doux et sérieux, il compléta : Oui, la foi en ce que dit la Bible. Mais à mon avis, l'on peut avoir foi en tellement d'autres choses. En l'avenir. En nos camarades en humanité. En la condition politique de l'homme si celle-ci faisait vraiment ce qu'elle est censée faire : nous permettre de vivre les uns avec les autres et sortir de la sauvagerie au lieu que de la déguisée avec les atours policés de certaines lois. Foi... en l'art aussi pour faire du bien au monde. Le monde a besoin de beauté, souffla-t-il un peu contre lui, mais aussi comme promesse de continuer - pour compenser - d'apporter ici-bas ses petites rimes et ses notes. Le sujet le rendit profondément pensif : en quoi lui-même avait-il sincèrement foi ?

Il aura accueilli la tête de Claire sur son épaule, intimidé, puis apaisé par ce contact que jamais personne ne lui avait offert si simplement, si naturellement et sans suspend d'hésitation ou répugnance contrainte. Lénius la laissa redescendre, s'assurant tout de même de ses bras en avant que la jeune fille ne perde pas l'équilibre en remettant pied blessé à terre. Tout se passa bien. Elle récupéra son panier de commissions et leur chemin reprit. Il écouta son histoire. Ou du moins ce qu'il fallait qualifier ainsi : quelques lambeaux de mémoire, quelques images seulement que par ailleurs de sots lui auraient demandé d'oublier - mais quel goujat pouvait demander chose pareille ? On est son passé. On est les images, les senteurs, les sons et les moments vibrants qui nous composent et où l'on peut puiser au plus dur de notre vie.
Ainsi donc, elle avait une enfant abandonnée. Sur une plage, sans doute avec l'espoir que la mer emporte l'enfant aveugle. Lénius se retint de déglutir : une telle chose aurait pu lui arriver aussi, si la bonne Fortune ne l'avait pas fait naître dans une famille ayant le cœur - et les moyens, il ne fallait pas se mentir - de garder un enfant aussi lourdement important que lui. Imaginer Claire disparue de la sorte lui voila le regard avant qu'il ne se reprenne. Il sourit à la mention de cette grand-mère l'ayant récupérée.

-- Je crois que tu as raison alors d'avoir la foi. Et que quoi qu'on ait pu te dire, ce moment-là, tu es d'autant plus forte de ne l'avoir pas oublié. Il regarda en disant cela vers le petit coquillage pendu, en collier, à sa gorge comme une tige. Ses grosses mains reprirent les roues de son fauteuil et de nouveau il se tassa, dirigeant tous les efforts de ses muscles vers la route à affronter. Pour ce qui était du moment et des circonstances dans lesquelles Claire était devenue esclave, elle semblait avoir oublié. Ou ne pas vouloir en parler. Dans un cas comme dans l'autre il ne demanderait rien de cela, pour préférer rebondir sur le royaume nommé : Oh, Iswyliz ! Le pays voisin. L'on dit que c'est fort beau et d'une incroyable variété de paysages tant le pays est long et mince. D'immenses plages, des montagnes très colorées, ici de forêts, là de rochers... Des champs, beaucoup de champs aussi pour des cultures de toutes sortes. Et partout le grand air. C'est du moins ce qu'on a pu m'en décrire. Phaïdée au Lupanar. Jérémie. Et bien sûr Hyriel, dont cependant les origines devaient demeurer secrètes dans le cas de ce dernier.
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Message par Claire-Marie Lun 22 Fév - 23:19

Claire se sentait déjà plus rassurée, surtout avec la présence de Lénius qui l'apaisait et la rassurait. Elle hocha la tête.

- Oui, tu as raison.

Elle parvint à lui sourire en suite, l'imaginant déjà la tribune, en train de plaider. Elle ne sut pas bien si c'était une vision ou la réalité. Elle prit cela pour un bon signe. Elle ne perçut donc rien des pensées qui l'agitaient. Elle resta confiante avant de baisser de nouveau les yeux vers lui. Sa demande était gentille et pleine de respect. Elle trouva cela étonnant mais agréable.

- Oh oui, bien sûr. Nous sommes des amis, non ?

Elle fut ensuite interloquée par sa réponse.

- Ah bon, c'est ennuyeux la messe ? Oh, c'est dommage, ça avait l'air amusant quand on m'en parlait... Il paraît qu'on raconte des histoires et qu'on les explique, enfin je crois...

Elle l'écouta ensuite très attentivement pour la suite et progressivement, s'illumina.

- Oh, ça c'est joli ! Et c'est joliment dit. Mais qu'est-ce que c'est la "condition politique" ?

Elle baissa les yeux à la mention de l'art.

- L'art... Je ne sais pas encore comme je ne sais pas ce qui est joli...Enfin dans ce que je peux voir maintenant...

Alors qu'ils reprennent la route, elle repense à ses premiers souvenirs. Au bruit des vagues puis à ces pas et à ses bras autour d'elle. Elle sourit à Lénius. Il était si gentil.

- Je ne sais pas si je suis forte... je crois que je me souviens juste mieux comme je ne voyais pas...

Elle se fit pensive en écoutant son ami parler d'Iswyliz. Même en se concentrant et en rassemblant ce qu'elle avait vu jusqu'ici, elle ne réussissait pas à visualiser. Elle soupira en haussant les épaules.

- Ça doit être très impressionnant... Je me souviens surtout de l'odeur de la mer et du sable sous mes pieds. Je n'allais pas à côté de l'eau parce que j'avais peur des vague mais j'aimais sentir le sable. C'était tout chaud en été. par contre, une montagne, je ne suis pas sûre de voir ce que c'est... c'est quand ça monte, c'est ça ?

Elle baissa les yeux vers lui.

- Tu sais beaucoup de choses ! Tu y es déjà allé ?

Elle était curieuse. En reliant ses senteurs, ses sensations aux mots si précis de Lénius, peut-être qu'elle pourrait de nouveau créer le tableau complet. Savoir, autant que les autres d'où elle venait.
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Message par Le Cent-Visages Sam 13 Mar - 10:59

[18 décembre 1597] On ne voit bien qu'avec le cœur Lzoniu10

Lénius, troubadour difforme en fauteuil roulant, 27 ans

Quel beau sourire ! Un sourire lumineux, plein d'une certaine assurance dans son innocence, un sourire à vous réchauffer le cœur comme Claire-Marie en avait en cet instant. Lénius s'y abandonna. Il acquiesça à sa question et arrêta ses petits yeux dans l'azur des prunelles de la jeune femme. Lui prenant brièvement la main, il affirma avec douceur :

-- Bien entendu, nous sommes amis. Et dans ces circonstances, je suis au moins heureux d'avoir pu recroiser ta route. L'infirme haussa les épaules et entreprit de s'expliquer mieux concernant le Saint Office : C'est vrai, on y raconte des histoires. Et certaines très belles. Cependant, quand on fréquente la messe chaque dimanche depuis le début de sa vie, on se rend compte rapidement que ce sont toujours les mêmes lectures qui reviennent d'une année sur l'autre. Mais cela encore, ce n'est rien, non, ce qui m'apparaît gênant, c'est l'interprétation que certains prêtres donnent des textes : des interprétations toujours tournées vers l'idée de se repentir, vers notre faute, vers notre petitesse... quand ce n'est pas pour prôner une supériorité de certaines personnes sur d'autres.

Il préféra ne pas dire qu'il n'était pas croyant. Enfant, il avait assisté aux offices par principe. Lénius avait essayé de croire. Longtemps. Il aurait voulu mais l'espoir s'était étiolé. Désormais l'infirme respectait les croyants quand leur foi ne faisait pas mal à autrui et offrait plus de bénéfice que de mortification : ainsi de Tristan. Ainsi commençait-il à sentir également Claire-Marie même si sa foi n'était pas exactement celle de l'Église. Et il l'en respecta. Tout à ces réflexions communes, il mobilisait ses muscles à actionner ses roues. Sans peine cependant : Lénius avait l'habitude et était entièrement à la conversation.
Son compliment le fit rosir. "Joli" : voilà bien des années qu'il n'avait pas entendu quelqu'un apprécier les choses de cette manière quelque peu enfantine, mais beau de franchise. Quant à la condition politique, il révisa son Aristote et dit :

-- Aristote, un auteur grec, a souligné que l'humain ne pourrait survivre sans s'organiser en société. Car nous sommes si fragiles en comparaison des autres animaux. Nous n'avons ni fourrures, ni grandes griffes, nous sommes... pour ainsi dire nus. Mais nous avons quelque chose d'unique : la capacité à survivre ensemble, à réfléchir beaucoup, c'est cela notre condition politique. Et tel devrait être son rôle : nous protéger dans le cadre de la société. (Il soupire) Malheureusement la politique est surtout devenu le terrain d'affrontement pour le pouvoir.

L'idée d'art les enthousiasma et Lénius réagit aussitôt aux paroles de son amie, plus léger cette fois-ci que sur leur grave sujet politico-religieux :

-- Oh je suis certain que tu as tes façons à toi de connaître ce qui est joli. Qu'il y a autant de manières pour cela que de sens. J'ose souhaiter que quelque chose puisse être joli autrement qu'aux yeux... La musique, une statue ou une coiffure au toucher, un poème ou un conte déclamé. Pour ma part j'aime chanter et composer des airs à la lyre. Si tu veux je t'en ferai écouter une prochaine fois ? (Un temps, se demandant quels genre de beautés pouvait avoir marqué Claire sans ses yeux) Et toi ? Te souviens-tu de belles choses avec tes autres sens ? Quant à ce qui est beau pour les yeux... je pense... qu'avec le temps cela te viendra comme cela t'est venu avec tes autres sens. Qu'à force tu pourras dire ce qui te plaît. Au moins ton appréciation sera-t-elle sûrement originale car toute neuve !

D'un hochement de tête posé, il lui confirma combien il la jugeait forte dans son style. Rares étaient les esprits capables d'une résilience tranquille comme il observait chez elle. Ah, si elle pouvait devenir libre ! Oh, la jeune femme n'avait jamais dû connaître autre chose que le service : en un sens la liberté pourrait dans un premier temps la déconcerter, mais avec Thierry, Alexandre - et lui-même, qui sait - si un jour Claire-Marie pouvait découvrir une autre condition ! Mais avant de penser davantage au futur, Lénius se laissa porter par ces touches d'Iswyliz portées par le récit de Claire-Marie. Les percussions de la mer venant s'écraser. La chaleur du sable entre les orteils - ça, l'invalide n'avait jamais connu, toujours assis dans son siège et séparé du sol par un cale-pieds. Il pouvait toutefois s'en faire une vague idée. Il sourit.

-- Oui, c'est ça. Cela monte parfois très haut, et au sommet il y a de la neige toute l'année. (Il n'y avait malheureusement pas de montagne autour de Braktenn pour lui pointer un exemple. Quant à la neige... oh, Claire devait connaître, au moins par la sensation de froid faute d'en savoir la teinte.) Oh non, je ne suis jamais allé à Iswyliz. Le peu que j'en sais vient des livres ou de récits d'amis qui connaissent ce pays. (Pays mis à sac par les armées de Der Ragascorn. Les troupes remontées comme un fléau sur toute la surface de ce très long territoire, saccageant les villages et les réserves. A quoi pouvait ressembler Iswyliz depuis, sous la botte de l'occupant ?) Je ne suis même jamais vraiment sorti de la région. L'essentiel de ma vie est à Braktenn et dans les châteaux des environs ou encore au palais royal, où je suis parfois invité pour divertir ces Messieurs-Dames. (Un temps) En tout cas je te souhaite de pouvoir un jour remettre les pieds à Iswyliz. Et cette fois-ci, voir ton pays ! (Pas trop défiguré, si possible...)
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Message par Claire-Marie Sam 3 Avr - 20:19

Claire souriait d'autant plus que Lénius souriait aussi. Il avait un sourire tellement unique ! C'était incroyable ! Elle battit des mains quand il confirma qu'ils étaient des amis. C'était si agréable ! Elle n'en avait pas beaucoup alors elle chérissait d'autant plus ceux qu'elle possédait. Elle hocha la tête de même. Elle était ravie également qu'ils aient pu se voir de nouveau. Elle réfléchit à ce qu'il lui dit, un doigt sur les lèvres.

- Oh, je vois... comme c'est dommage... Il faudrait qu'ils en écrivent d'autres ! Est-ce qu'on a le droit de le faire ?

Elle savait qu'elle n'en était pas capable mais peut-être que Lénius pourrait. Elle fut plus attristée sur la fin. Mais ce n'était plus du tout agréable dans ce cas... Elle se mordit la lèvre, préférant ne rien dire par peur que ses réflexions soient naïves ou stupides. Et puis après tout, Lénius semblait savoir bien plus de choses. Elle écouta d'ailleurs avec attention sa définition. Aristote... Que voilà un savant monsieur semblait-il ! Elle sourit.

- Alors la politique, c'est réfléchir ensemble ? Je trouve ça merveilleux !

Cependant, elle perdit son sourire au soupir de Lénius. Oh... mais alors, est-ce que tout ce qui semblait bon à l'origine était destiné à être corrompu ? C'était triste... Elle soupira, n'osant pas exprimer sa pensée à voix haute. Il avait l'air suffisamment triste de cette situation lui aussi, inutile d'en rajouter...

Elle se ragaillardie cependant en entendant Lénius lui affirmer qu'elle avait sa façon à elle de voir le beau. Cela colora ses joues d'un doux rose. Elle hocha la tête.

- Oui, c'est vrai ! J'aime beaucoup la musique ! Dame Rose jouait très bien de beaucoup d'instruments.

Des étoiles illuminèrent ses yeux quand il parla de lui faire découvrir sa musique.

- Oh oui ! J'aimerai tellement, je suis certaine que tu joues vraiment très bien !

Elle réfléchit alors à sa question.

- Oui... Il y a une coiffure que je faisais à ma maîtresse. Je la trouvais jolie au toucher et Dame Rose s'extasiait chaque fois que je le lui faisais. Elle devait donc être jolie... Et sinon, je trouve la plage jolie, avec son odeur et les grains fins sous mes pieds. Et puis il y a la forêt qui a une belle odeur ! J'aimerai bien aller en forêt, ça fait longtemps... pour la voir et me rendre compte d'à quel point elle est belle avec les yeux !

Elle se trouva ravie de ses nouvelles perspectives qui agrandissaient toujours un peu plus son sourire. Elle soupira doucement en pensant à tout ce qu'elle rêvait de faire mais qui ne lui était pas encore possible. Plus tard, peut-être... Un jour... Peut-être avec son ami s'il le voulait bien. Sa vision toute relative de la montagne confirma et elle ajouta cela à la liste de ce qu'elle aimerait voir. Elle pencha la tête, l'observant tout en l'écoutant rapporter les récits de ses amis. Étaient-ils esclaves, comme elle ? Elle n'osait pas lui poser la question. Elle sourit.

- Alors tu dois connaître beaucoup de châteaux ! Sont-ils jolis ? Lequel as-tu préféré voir ?

Elle acquiesça avec joie à sa dernière affirmation.

- Oui, j'espère que tu pourras le voir un jour ! J'aimerais bien aussi... mais je pense que ça ne se fera pas... pas tout de suite...

Peut-être même jamais. Après tout, elle était une esclave. Elle devait faire ce qu'on lui disait... Elle doutait, à moins que son maître ne devienne particulièrement bon, d'un jour voir de ses propres yeux sa patrie.
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Message par Le Cent-Visages Lun 12 Avr - 16:18

[18 décembre 1597] On ne voit bien qu'avec le cœur Lzoniu10

Lénius, troubadour difforme en fauteuil roulant, 27 ans

Il n'imagina pas déclencher pareille joie à déclarer ce qui lui semblait naturel : leur amitié. Mais autant de bonheur généré simplement se communiqua à lui-même. La gargouille se fit la réflexion qu'il devrait en être ainsi plus souvent : joies simples, évidentes, trop souvent ignorées à cause de ce qu'elles allaient de soi. Quelle humaine malédiction était-ce là que de s'habituer aux bonnes choses au point de les ignorer, de les considérer habituelles, et de se focaliser essentiellement sur le mauvais ? Pratique dans laquelle il était loin de s'avérer le dernier à s'illustrer. Ainsi, alors que Clare-Marie le guidait sur le chemin de Wollenbach - itinéraire dont l'homme ignorait tout - il lui sembla qu'elle le guidait également à un autre niveau : vers des réactions et émotions qu'en lui il croyait éteintes. Si peu de gens pouvaient se vanter de lui provoquer cela.

-- Le droit, ah ah cela malheureusement, je crains que ce soit impossible, rit-il avec un fond de dépit : toucher le texte même de la Bible serait sacrilège. Il a été fixé ainsi par les Pères de l'Église, qui ont choisi il y a des siècles les histoires qui y rentraient et celles qu'on ne retenait pas. En revanche, rien n'empêche d'écrire autant d'histoires nouvelles que l'on veut à côté, et de les raconter lors des veillées ou pendant les sermons. Ou encore de faire une sélection plus judicieuse des textes à partager à la messe, en excluant peut-être ceux qui ne sont peut-être plus si adaptés que cela aux enjeux de notre époque.

Il se souvenait de textes complètement fous à base de testicules écrasées, de femmes dont il faut couper les mains si elles empêchent leurs maris de se battre en le tirant par les parties honteuses, d'homosexuels à damner, d'infirme non-admis à l'assemblée de Dieu alors que Jésus lui-même plus tard dans le même livre les déclarait pas moins impurs que les valides... Il pouffa à ces souvenirs, puis acquiesça avec entrain au résumé que donnait son amie de la politique :

-- C'est l'idée. Réfléchir à comment cohabiter en faisant le moins de dégâts possible.

Ils parurent se retrouver également dans une passion pour les arts - notamment la musique. Lénius ne sera guère en mesure de donner davantage son avis quant aux coiffures dont l'entretenait la jeune femme, ni au sujet des plages dont elle lui faisait la peinture sensorielle qui n'avait pas besoin de précisions visuelles pour être poignantes. Il acquiesça, en toute confiance dans le bon goût et les perceptions de Claire-Marie. Quant à jouer pour elle, l'idée l'illumina. N'écoutant que son entrain du moment - et il était rare que cet entrain le pousse à des choses non dangereuses, autant en profiter - il suggéra :

-- M'entendre jouer ? Oui ! Je te promets même mieux que cela : je t'écrirai une chanson !

Et il le ferait. Il ne savait encore quand, mais il le ferait. Son amie, cette âme d'enfant conservée, ce qu'elle dégageait d'énergie et de sensibilité - l'inspiraient. Il ne fallait pas laisser cela se pendre. Il l'en remerciera à sa manière. Lénius le ferait par ce dans quoi il était compétent, se jura-t-il en affrontant une partie un peu plus cabossée de la route. Son fauteuil sautillait sur des gravats, retombait lourdement, zigzaguait d'une façon sans doute comique... mais il progressait.

-- Et de quels instruments jouait Dame Rose ? (Un temps) Pour ma part c'est la lyre. Apprécierais-tu d'apprendre ?

Le troubadour préféra ne pas entretenir de faux espoirs chez la jeune femme quant à la possibilité de revoir son pays. Oui, il le lui avait souhaité et il le pensait. Toutefois, insister sur ce vaste point d'interrogation à ce stade de la conversation lui parut peu productif : quelles chances en effet, pour que Claire-Marie ait une permission pour un tel voyage... On ne sortait de Monbrina que pour d'excellentes raisons et avec un argumentaire solide tamponné par les autorités. Elle était du reste esclave. Lénius écarta à contrecœur Iswyliz et leva un temps les yeux, réfléchissant à sa question quant aux châteaux. Oh oui, de nombreux l'avaient reçus. Pouvait-il cependant dire qu'il les trouvait beaux - même si objectivement, ils l'étaient - quand on y entrait comme amusement. Comme ours en cage dorée. Il laissa ces considérations de côté et répondit :

-- Le domaine des Morguerov est tout de miroirs, de pierres immaculées, de colonnes très fines dont certains morceaux sont en verre. L'on dirait que le château flotte et que le ciel lui passe au travers. Je crois que c'est le plus beau et inventif qu'il m'ait été donné de fréquenter. (Un temps) Autrement... si l'on met à part ce que le palais royal incarne en termes de domination, de pillages des voisins, de propagande, il faut lui reconnaître sa splendeur. Rien d'aérien cependant, pour le coup. Le château est ancré dans la terre et dans des siècles d'Histoire : du bois sombre, de gigantesques lustres qui te font cascader la lumière, des statues de toutes parts, des tableaux dans lesquels le roi se met en scène dans des grands mythes. Et du doré. Beaucoup de doré. (Un temps) Le château où tu officies, comment est-il ? Et celui de Dame Rose auprès de qui tu sembles avoir été si bien ? Il devait être agréable si l'on part du principe qu'un chez soi est le reflet de la personne qui l'habite ?

Serait-ce totalement vrai, se demanda-t-il alors même qu'il achevait cette phrase. Parfois, n'héritait-on pas d'un château familial comme d'un corps avec lequel il fallait bien composer ?
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Message par Claire-Marie Sam 22 Mai - 19:41



La jeune fille n’avait pas envie que le chemin s’arrête. Pour une fois que quelqu’un acceptait de discuter et faisait un peu attention à elle ! Cela lui faisait vraiment plaisir. Et il avait l’air content aussi. Elle afficha une petite moue déçue quand il lui dit qu’on ne pouvait pas modifier les livres.

- Oh… c’est dommage…

Heureusement il lui présenta une alternative qui lui plut tout autant.

- Oh, ça c’est bien ! Ma grand-mère racontait aussi des histoires à la veillée ! Les gens les aimaient beaucoup !

Et elle aussi… Mais ça avait été fini, rapidement. Trop rapidement à son goût. Elle hocha la tête en souriant à la suite, ravie d’avoir compris. Alors la politique, ce n’était pas si compliqué finalement !

Elle s’illumina à sa proposition avant de battre des mains. Elle les posa ensuite contre son torse, touchée.

- C’est vrai ? Rien que pour moi ?

Jamais personne ne lui avait fait un aussi joli cadeau… à part Crépuscule peut-être mais c’était encore pour une raison pratique. Elle regarda son ami avec reconnaissance avant de pencher la tête.

- Elle jouait du clavecin et de la harpe aussi ! Parfait, elle chantait en même temps.

Elle cligna les yeux à sa proposition.

- Qui… m… moi ? Mais… Mais je ne saurais pas faire…

Et puis il fallait des repères visuels pour ça, pas seulement la musique… Elle baissa la tête. Non, elle n’y arriverait sûrement pas… Et puis elle ne voulait pas faire perdre du temps à son ami, lui qui prenait déjà sur lui pour la ramener… Elle préféra se projeter dans les châteaux qu’il décrivait, essayant de se projeter avec les sons, les odeurs, les textures. Elle ne voyait pas encore bien mais sentait et c’était suffisant. Claire s’éclaira.

- Ça doit être beau ! Tu crois que j’aurais le droit d’aller voir ?

Elle fronça les sourcils sur le reste.

- Je… je ne comprends pas. Il n’est pas joli alors s’il représente toutes ces choses…

Elle imaginait sans peine le doré qui devait faire mal aux yeux mais trouvait le paradoxe bien étrange. Le doré et tout ce dont parlait Lénius ne pouvait pas couvrir la laideur des actions qu’il avait énoncé… Ça n’avait pas de sens…

Elle l’observa avant de se mordre la lèvre en cherchant comme lui décrire.

- C’est… très rugueux… Il y a de la pierre partout et parfois, quand on me met dans les couchettes du bas, il fait très froid. Les salons du haut sont plus chauds mais je n’y vais pas souvent… Quand on marche dedans, c’est tout doux, ce n’est pas comme en bas où les chaussures claquent sur le sol…

Elle sourit ensuite en replongeant dans ses souvenirs du château.

- C’était très chaud. Il y avait du doux sous les pieds un peu partout. J’aimais bien le tapis de la salle à manger surtout. Ma chambre aussi, le lit était confortable. Et puis il y a avait le grand salon de musique où je me sentais bien qui avait des sculptures. Parfois, quand j’étais toute seule à faire le ménage, je passais le doigt sur leurs formes pour les deviner. Je crois que c’était des femmes avec des instruments…

Elle expliquait tout cela, comme si elle décrivait un rêve. Une époque déjà révolue…


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Message par Le Cent-Visages Ven 18 Juin - 21:48

[18 décembre 1597] On ne voit bien qu'avec le cœur Lzoniu10

Lénius, troubadour difforme en fauteuil roulant, 27 ans

Le long du chemin, Lénius s'inquiétait régulièrement - d'un petit regard à la dérobée - de l'état de la cheville de son amie. Apparemment, elle semblait pouvoir continuer de se déplacer sans problème, sans trop de douleur, ou du elle moins ne le montrait pas. Il serait prêt, si la demoiselle venait à flancher, à la garder sur ses genoux pour un petit bout de trajet. L'homme se rassura de voir Claire apprécier l'idée d'inventer toujours de nouvelles histoires - faute de ne pouvoir toucher au texte de quelqu'un d'autre sans l'appeler ouvertement réécriture et l'assumer comme tel - sous son propre nom : le respect de l'auteur d'un écrit lui tenait à cœur et faisait sans doute partie de sa culture classique. Il ne transigeait pas, là-dessus. Pour la culture orale, c'était une autre affaire... Heureusement qu'un fonds commun de récit pouvait être porté par différentes voix, que chaque récitant - dans la ligne des aèdes - pouvait fournir parfois sa version d'un mythe.

-- Bien sûr. J'ai coutume d'offrir des chansons aux gens que j'aime, sourit-il, les yeux chargés d'émoi à voir l'immense bonheur provoqué par cette seule promesse. Plus rieur, il ajoura : Oh, aux gens que j'aime un peu moins aussi, on ne va pas se mentir, pour mettre en valeur leurs crimes et leurs faux-semblants. Mais le texte fait assez rapidement sentir de quel côté le destinataire se situe ! Inutile de dire que ta ballade sera celle d'une amie.

L'inverse était évidemment hors de question. Il réservait ses satires aux seigneurs les plus nuisibles, au roi lui-même, à quelques grands ecclésiastiques fort peu bonshommes. Admiratif, Lénius hocha la tête au portrait de cette Dame Rose apparemment douée de multiples talents - d'instruments et de voix. Il allait reprendre quand un gravier du sentier fit buter sa chariote. L'invalide se retint de pester, mastiquant entre ses dents l'injure qui s'était apprêtée à sortir. Il se concentra, poussa plus fort sur ses roues, reprit le fil de leur chemin et de la discussion après un petit regard confus pour l'intermède non désiré. Lénius rit de bon cœur et assura son ami d'un décidé :

-- Mais personne ne sait rien faire, au début. Nous apprenons tous ! Et si tu es si habile de tes doigts dans des cheveux ou des toilettes, je suis certain qu'ils sauraient composer avec des cordes ou archets. Tu sais, nombreux sont les musiciens non-voyants. Les touches, les creux, les formes des instruments comptent davantage que de les voir - mais si en plus, désormais tu peux, eh bien la chose est loin d'être impossible.

Techniquement impossible. Restait à trouver le temps. Et ce ne serait pas une mince affaire que de la revoir tant qu'elle resterait chez ce maître comme une demoiselle dans sa tour... Chienne de caste que la sienne. Que ne pourrait-elle trouver situation plus indulgente ? Il serait sûrement reçu par des ricanements s'il se présentait à ce seigneur en lui disant être un ami d'une de ses esclaves, et désirer la voir... Il retint un soupir. Changer de sujet fut bienvenu et il pinça la lèvre - cherchant quoi répondre à la judicieuse question de Claira quant au château de Sa Majesté.

-- Hm, il est visuellement joli, oui. Et l'idée est belle que de représenter les ressources de tous les coins de l'Empire. Mais... (comment dire ces choses-là sans l'horrifier ? Y avait-il même besoin de rentrer dans de terribles détails ?) Mais beaucoup de ces ressources ne sont pas prises dans des conditions très justes pour ceux qui les fournissent. Sachant cela, il n'est évident de trouver encore aussi beau ces représentations de l'Empire comme si tout y allait bien. C'est ainsi cependant : c'est une histoire que le roi veut raconter, pour que nous y croyons.

Comme une confirmation du sinistre décor précisément derrière ces belles histoires du roi, il écouta les sensations tactiles et auditives par lesquelles son ami lui décrivait le domaine du maître. Il n'y avait pas besoin de beaucoup creuser pour comprendre qu'elle dormais dans d'austères conditions - de froids sous-sols. Et que ce lui semblait parfaitement normal. Lénius ne pesterait pas. Cela... ferait probablement plus de mal qu'autre chose à Claire-Marie. Il préféra bien davantage suivre son amie dans les beaux souvenir du précédent domaine. Un dans lequel, toute domestique qu'elle était, elle semblait véritablement appartenir à la maisonnée. Faire partie de l'univers d'art et de douceur de sa propriétaire défunte. Quelle beauté et quelle tristesse à la fois que ce passé envolé.

-- Tu sembles avoir gardé de cette douceur et de cette chaleur avec toi. Ainsi, elle vit toujours.

Et ses yeux de s'être plongés dans ceux de la jeune fille en soufflant ces mots.
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Message par Claire-Marie Ven 30 Juil - 18:23



Malgré son pied qui partait parfois sur le côté à cause des pavés, Claire-Marie était contente de faire ce chemin et la discussion l’aidait à oublier un peu. Elle rougit quand il affirma offrir des chansons aux gens qu’il aimait. Si elle faisait partie de ceux-là, elle était bien chanceuse.

Elle rit à sa remarque suivante.

- Oh, je vois ! Mais heureusement, se moquer de quelqu’un en chanson doit sans doute être plus gentil que sans mélodie !

Elle se tourna vers lui en l’entendant avoir des difficultés avec les graviers. Elle se mordit la lèvre.

- Oh non, ça va ?

Elle rougit de Nouveau quand il lui dit que personne ne savait au début. Oui, c’est vrai qu’elle avait eu peur au début de ne faire ne serait-ce que les poussières. Aujourd’hui, ça allait plutôt bien… Elle s’étonna d’entendre parler de musiciens aveugles. Mais il devait alors avoir un grand talent ! Elle hocha la tête mais se posa également la question du lieu et du temps. Quand aurai-elle la possibilité ? Sans doute pas souvent… Elle soupira.

- Je ne sais pas… Peut-être alors… mais je ne sais pas si ce serait très correct et si mon maître serait d’accord…

Une esclave musicienne ça existait peut-être mais elle n’était pas faite pour ça à la base… Quand il reprit sur le palais, elle l’écouta dans l’espoir de comprendre. Cela devait pourtant être évident mais elle ne parvenait pas à trouver cela logique… Peut-être que cela l’était pour les voyants et elle ne pouvait simplement pas comprendre. Elle écouta Lénius en espérant trouver quelque chose qui l’aide. L’histoire lui parla un peu et elle hocha la tête.

- D’accord… Je comprends.

Pas encore complètement mais c’était un début. Elle pourrait peut-être mieux l’entendre plus tard, surtout si elle voyait un jour le fameux palais.

Elle rosit à son évocation poétique.

- Oh, c’est très gentil… Alors pour toi, j’imagine que tu portes toute cette richesse de visage parce que tout a beaucoup vu et appris !

Elle lui sourit avec un air innocent et enthousiaste.

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Message par Le Cent-Visages Sam 31 Juil - 22:32

[18 décembre 1597] On ne voit bien qu'avec le cœur Lzoniu10

Lénius, troubadour difforme en fauteuil roulant, 27 ans

Il rit de la remarque de la jeune fille, à la fois attendrissante et pleine de bon sens : ne disait-on pas que tout passait toujours mieux en chanson ? Ce n'était pas exactement pour être plus gentil avec les cibles qu'il choisissait cette forme d'art, mais pour imprégner les esprits des spectateurs par le pouvoir qu'avaient les rythmes et les vers sur le cœur, les émotions et la mémoire. Lénius s'interrompit dans la conduite de son fauteuil pour ouvrir les bras, enthousiaste.

-- Un très ancien adage dit que "plaire et instruire" à la fois rend toujours un discours le plus fort. La mélodie y contribue. Comme le fait d'utiliser des rimes, des refrains, des plaisanteries...

Il fut interrompu par un de ces fâcheux pavés qui leur causaient bien du tort à tous deux - lui à son fauteuil, elle à son pied blessé mais qui heureusement ne lui avait causé nulle chute sur le trajet. Au moins avaient-ils pu prendre leur temps. Le troubadour se pinça la lèvre en voyant son amie s'inquiéter, mais la rassura aussitôt d'un large sourire : il avait l'habitude de ce genre d'accrocs de parcours. Simplement grincheux quand ses roues se prenaient dans les torsions des chemins.
De nouveau, Lénius préféra ne pas soupirer devant elle quand le seul obstacle à se dresser encore à ce qui la faisait rêver était son maître. D'autant qu'elle rougissait, toute à l'émerveillement que lui suscitait ce dont il parlait. L'empêchement : sa condition, en somme... Peut-être devait-il arrêter de lui parler ainsi de tant de choses faisant envie, alors qu'elle n'aurait peut-être jamais le droit ? Quelle frustration. Quelle cruauté. Les enthousiasmes étaient là, les conversations allaient d'elles-mêmes et tout stimulait la belle curiosité de Claire-Marie... mais c'était comme lui parler de lieux paradisiaques où elle ne pourrait jamais se rendre. L'enthousiasme de Lénius pour les arts s'exprimait, et cependant une part de soi lui réclamait de les taire. Pourrait-il espérer que le destin - le hasard, ou n'importe quoi - leur offrent de réaliser ce dont ils avaient causé ?

Son compliment sincère, lui au moins, ne mettait pas en jeu des choses qu'il ne serait peut-être jamais en mesure d'offrir à son amie. Elle le reçut avec autant d'entrain que d'émotion. Et s'il pouvait déjà lui donner cela, l'homme en serait heureux. Il marqua un temps d'arrêt, touché comme rarement par sa manière de parler de sa figure. C'était la chose la plus aimable qu'on lui ait jamais dite au sujet de son apparence. Ainsi donc, pour elle, cette allure n'était pas laide, ni tordue, ni difforme mais... riche - comme ces sculptures baroques riches en détails. Il cilla et lui adressa un regard voilé d'émoi.
Sa tendance naturelle à la parole grinçante faillit lui faire répondre qu'il aimerait dans ce cas-là être plus ignorant - toutefois il se retint. Ce n'était pas bon. L'ironie, le mordant, tel était son mode de fonctionnement par défaut... cependant en la présence de Claire-Marie il s'aperçut que ce n'était pas le seul et unique. Ni forcément le plus pertinent. Pas avec elle en tout cas. Elle était si pleine de vie, d'optimisme, de candeur, de curiosité... elle n'avait pas besoin d'entendre des horreurs.

-- Je suis très touché que tu le vois ainsi. (et en un sourire léger) Et ainsi, je porte la richesse toujours avec moi où que j'aille, c'est infiniment plus pratique qu'un gigantesque palais - et plus simple à entretenir. Et les richesses se doivent partager, pas enfermer entre des murs.

Des murs désormais beaucoup trop proches : ceux du château de Wollenbach. Ils arrivaient, au grand regret du troubadour. Déjà, des gardes les avaient repérés. Ils s'agitaient afin d'aller prévenir du retour de l'esclave, puis faire sortir quelqu'un pour la recevoir et la ramener à l'intérieur. Un arrachement pour Lénius. Laisser son amie au milieu de tous ces gens qui la considéraient à peine, au service d'un type qui l'ignorait comme quasiment tous les autres de son espèce. Mais il fit bonne figure. Il ne devait pas l'attrister. Penser plutôt à une prochaine occasion de la revoir. Il se tourna vers elle et :

-- Ce bout de chemin en ta compagnie fut un vrai bonheur. Cette c... cage à travers la ville aura au moins permis quelque chose d'heureux puisque nous nous sommes revus. Quant à Hyriel, il... Il s'en sortira.

Ton affirmatif. Lénius avait décidé. Il n'en savait en vérité fichtrement rien mais se refusait catégoriquement d'imaginer le pire - encore moins en présence de son amie. Ils devaient croire. Un dernière fois, ses yeux papillonnèrent, pris dans le regard si limpide de la jeune fille, suivant avec tendresse l'ovale plein de douceur de son visage, la délicatesse de ses gestes malgré ce petit pied qui la faisait peiner en ce moment. Un peu plus bas, Lénius confia :

-- Nous nous reverrons, j'en suis certain. Prend soin de toi, chère Claire-Marie. (Un temps) M... merci. Pour tout.

Pour ton regard si neuf.
Pour ta bonté.
Pour m'avoir rendu un peu moins ennemi de moi-même.
Pour ton incroyable talent à se réconcilier avec le monde en t'écoutant.
Pour tous ces lieux et ces arts que je souhaiterais maintenant partager avec toi.


Il profita d'un court instant loin des regards des vigiles - affairés à ouvrir les portes et prévenir un contremaître - pour prendre la main de Claire-Marie dans sa paluche. Et lever le plus possible son autre bras pour le passer autour des fines épaules de son amie. Dernière accolade. Trop courte à son goût : un vigile arrivait. Lénius aura repris une position neutre, à côté de la jeune fille. Devant le regard interrogateur du type, il voulut éviter le moindre problème à son amie :

-- Il y avait grand remous dans les rues en ville. Mademoiselle m'a été d'un certain secours. Aussi ais-je voulu la raccompagner pour lui offrir appui à mon tour, acheva-t-il avec un regard vers le pied de Claire-Marie.

L'autre acquiesça sans faire histoire. Parfait. Son amie n'aurait pas à devoir répondre à allez savoir quelles questions, ni à rendre compte d'un éventuel retard. Lénuis aurait aimé lui adresser un sourire chaleureux avant de s'en retourner - il dut se contenter d'un signe de tête. Ses yeux cependant luisait encore - la clairvoyance du beau regard comprendrait le reste.
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[18 décembre 1597] On ne voit bien qu'avec le cœur Empty Re: [18 décembre 1597] On ne voit bien qu'avec le cœur

Message par Claire-Marie Lun 2 Aoû - 19:42



Claire trouva le rire de Léinus charmant, qui invitait à rire avec lui. C’était agréable de rire avec un ami, elle ignorait quand elle l’avait fait pour la dernière fois…

Elle écouta ses paroles de sagesse avec enthousiasme en hochant la tête. Heureusement, il ne semblait pas s’être fait mal avec les pavés. Ce n’était pas mieux de son côté, mais elle le supportait un peu mieux.

Il se tut un instant et Claire sentit qu’il avait l’air gêné. Elle crut un instant avoir dit une bêtise. Elle aimait pourtant l’entendre parler, lui raconter la vie et les choses. Elle comprenait bien mieux avec lui qu’avec n’importe qui d’autre. Elle ne se sentait pas simplette pour une fois. C’était agréable… Elle remit une mèche de cheveux derrière son oreille, espérant que rien ne les gêne.

Claire eut de nouveau le sentiment d’être maladroite quand elle le vit si touché par son compliment. Elle se mordit la lèvre, une main sur la bouche mais heureusement il lui confirma que c’était en bien. Elle rit de son trait d’esprit, qu’elle trouvait comme toujours très affuté.

- Oui, c’est si joliment dit ! Et c’est mieux d’avoir quelqu’un à qui parler parce qu’un mur, ça ne parle pas beaucoup…

Elle approuva cette idée de partage qui lui semblait très belle. Cependant, en suivant le regard de son ami, elle vit qu’elle allait bientôt devoir rentrer. C’était dommage… mais au moins, elle pensait à autre chose qu’à ce pauvre Hyriel… Quand il se tourna vers elle, elle lui prit la main en souriant.

- Pour moi aussi ! C’est très gentil de m’avoir ramené…

Elle acquiesça doucement pour Hyriel. Elle sentait bien l’hésitation de Lénius, mais c’était comme tout dans la vie. S’il devait s’en sortir, alors il vivrait, elle en était certaine ! Elle serra sa main quand il la prit et lui rendit son accolade en se penchant pour qu’il n’ait pas trop d’effort à faire.

- Prends soin de toi aussi, fais bien attention s’il te plait. Et merci à toi aussi, mon ami.

Elle se pencha pour lui donner un baiser sur la joue puis sourit et rajusta son petit panier. Crépuscule partit devant, comme d’habitude pour éclairer le chemin. Elle se tourna vers le vigile qui arrivait et baissa sagement la tête pour aller vers lui. Elle se retourna une dernière fois vers Lénius pour lui faire un petit salon de la main. Elle saisit son regard et lui sourit, heureuse et reconnaissante pour ce temps passé avec lui.

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