[15 Janvier 1598] Zakros et le traité, à la recherche d'informations

Soucieux de s'assurer du bon fonctionnement du domaine, William aimait à superviser chaque jour que les esclaves accomplissent correctement la tâche qui leur était attribuée tout en veillant qu'aucun ne semble blessé ou malade et s'attelait encore plus à surveiller le comportement des contremaîtres pour être certain qu'aucun n'abuserait de son autorité. Il prenait ainsi soin d'interroger subtilement quelques un de ces hommes ou femmes asservis afin de mieux connaître leur quotidien quand un doute lui venait. Par bonheur, ce n'était chaque fois que de mauvais pressentiments, hérités de ses sinistres mésaventures avec le vil usurpateur. En comparaison à son existence précédente, Frenn représentait un Paradis. Le domestique se querellait parfois avec Eldred, de manière cordiale, car il lui semblait que le zarkotien accomplissait bien trop de corvées à lui seul et lui réclamait de les équilibrer avec un ou deux hommes. En vain. Cette tête de mule refusait de l'entendre et assurait qu'il était parfaitement apte à réaliser l'ouvrage de ses seuls bras.

Ce jour-là, quand l'inspection se termina, William se retira dans son bureau mais constata que les documents étaient classés et les actes rédigés. Il ne lui restait que du temps libre et il se décida à l'employer pour poursuivre la rédaction de ses mémoires d'esclaves.


William terminait de rédiger lentement une première page tout en bataillant contre les souvenirs pénibles que le récit faisaient revivre. Il n'entendit pas la fille de son employeur entrer et sursauta de sa question. Il releva ensuite la tête et s'inclina poliment.

"Vous ne me dérangez nullement, madame."

Durant le temps que dura sa requête, William ne put s'empêcher de repenser aux confidences du père, au supplice, l'autre soir soir dans ce même bureau. Rien de son visage ou de son attitude ne trahissait cependant ces pensées. Il l'écoutait avec sa bienveillance coutumière et sourit de constater que celle-ci prenait à coeur de connaître la culture de ses esclaves. Surtout une aussi dénigrée que l'était celle Zarkos.

"Oui, on considère ces pauvres gens comme des sauvages incultes du fait que leur mode de vie différents du nôtres et que ce soit des païens. C'est regrettable. Les seuls ouvrages à leur sujets sont malheureusement à charge, emplis de condescendance. Pourtant, il y aurait fort à apprendre d'eux. Par exemple, si vous évoquez la naissance, il est de coutume pour eux de déposer l'enfant devant le père et ce dernier choisit ou non de le prendre. S'il le fait, il le reconnaît pour fils ou fille. Autrement, l'enfant est abandonné. Soit à la merci des animaux, soit des gens pourraient être assez bons pour le recueillir. Ou intéressés."

William observa avec inquiétude Lavinia, espérant ne pas avoir heurté sa sensibilité.

"Cela parait bien cruel, je le conçois, mais Zarkos est une terre difficile, où seuls des individus solides peuvent survivre. Il est sûrement nécessaire de choisir quels enfants élever pour économiser au mieux les vivres de la famille. Nos lointains ancêtres, Grecs, Romains, celtes.. Ils faisaient de même."

Il l'observa, soucieux, et reprit :

"Avez-vous d'autres questions sur ce sujet ?"

Lavinia fut déçue d’apprendre que son pressentiment se vérifiait. Elle ne trouverait jamais d’ouvrage correct pour sa quête d’informations. Sauvages incultes, païens, pourquoi aucun de ces adjectifs ne lui venaient-ils en tête en pensant à Eldred ? En revanche, la coutume de présentation de l’enfant lui sembla intéressante. À part, la partie de l’abandon dans la forêt.

— À bien y regarder, j’ai l’impression que l’arrivée d’un enfant à Zakros est plus sacré que chez nous. Mais, effectivement, le climat moins sécuritaire en est peut-être la cause.

Eldred lui avait déjà touché quelques mots sur le climat rude de son pays. Les zakrotiens vivaient de manière plus simple, la liberté ne résonnait pas de la même manière que dans son monde à elle. Qui était vraiment livre ici ? Ils étaient tous plus ou moins poings liés par leur devoir, leur conviction. Comment Eldred pouvait-il vraiment avoir envie de partager un bout de sa vie ? Après avoir vécu de tels moments avec sa défunte femme et avoir eu un enfant ? Elle, elle était libre et il vivait tout aussi libre chez lui. Ici, il était prisonnier et si...il s’était résigné à rester un esclave ? Si sa liberté lui était rendue, reconsidérerait-il leur relation ? Après tout… il serait enfin libre.

— Et comment vivent-ils ? Il n’y a pas de classe sociale a priori. La famille a-t-elle autant d’importance que chez nous ? Et les femmes ? Je ne voudrais pas lui permettre grossière en disant ou en faisait quelque chose qui n’est pas autorisé chez une femme.

Elle était vraiment ridicule à vouloir se renseigner de la sorte… Eldred lui rirait sans doute au nez en l’apprenant. Il lui dirait qu’il aurait pu répondre à ses questions, mais elle ne pouvait pas faire ça. Elle voulait essayer de devenir une femme plus forte, vivre par elle-même, ne pas dépendre des autres. Mais plus elle tentait de changer ce qu’elle était, plus elle avait l’impression de se perdre. Sa main frôla une pile de documents et des feuillets s’envolèrent pour retomber sur le sol.

— Veuillez m’excuser, je suis tellement maladroite !

Lavinia s’empressa de ramasser les pages éparpillées.

William venait de délivrer avec calme ces quelques renseignements qu'il venait d'apporter à la fille de son employeur. Elle analysait sans doute ceux-ci et cherchait à bien comprendre. Il eut cependant une surpris en l'entendant déclarer que la naissance d'un enfant serait plus sacré à Zarkos que dans leur pays. D'où sortait une pareille affirmation ? Un enfant, peu importait son milieu, ses origines, à part de rares exception, cela était assurément le plus belle des choses qui arrivait dans la vie de ses parents.

"Je crois, Madame, que vous avez tort sur ce point, si vous mettez. Tout parent ne peut être qu'émerveillé et fier par la naissance de son enfant. Je me souviens quand j'étais jeune, que je vivais au contact de la famille feu de Rottenberg, Chaque naissance était célébré avec la plus grande ferveur et la plus grande joie. Feu le duc de Rottenberg, en dépit de ses prérogatives adorait passer du temps avec eux. Aussi jeune que son fils Ulysse, il l'emmenait souvent dans ses déplacement, heureux de partager des moments en sa compagnie. et dans leur hôtel, il appréciait de jouer avec ses jeunes filles. Je me rappelle une fois que l'une a d'elles a réussi à lui faire faire le cheval. Son épouse s'en montrait à la fois réprobatrice, mais pourtant amusée."

Un sourire mélancolique flottait sur le visage du domestique alors que les souvenirs heureux du passé refaisait surface dans sa mémoire. Il adressa un sourire doux à Lavinia.

"Je suis assuré que votre père, a considéré votre naissance comme un cadeau du Ciel. Surtout que vous êtes son aînée."

Elle se mettait à poser à nouveau des questions sur Zarkos et William répondit d'un sourire tranquille.

"Ils vivent généralement dans des villages, dans de petits groupements. Il existe peu de villes à Zarkos. Si vous souhaitez une comparaison, les zarkotiens sont semblables à ces celtes que Jules César décrit dans la Guerre des Gaulles. Quoique... Pour une vision plus correcte, je vous recommanderais plutôt de consulter les écrits laissés par le savant Grec Poséidonos. Pour résumer simpler, la famille, oui, est importante. Ils fonctionnent sur un système clanique. Sans unité ainsi de territoire ou de nation. Ils possèdent des esclaves. Des prises de guerre."

William se retint de commenter ce sujet. L'esclavage, que celui-ci soit pratiquée par Monbrina ou Zarkos, le répugnait. De quel droit une conquête militaire justifiait-elle d'asservir des populations civiles ? Dans le cas de soldats, comme Eldred, cela pouvait éventuellement se justifier. Politiquement, ces hommes seraient tentés de soulever de nouvelles révoltes. Il préféra vite changer de sujet et fut ravi de pouvoir évoquer le cas des femmes.

"Les femmes de Zarkos sont indépendantes et égales aux hommes. Elles participent même aux batailles. Elles ont ainsi un fort caractère et n'ont jamais peur d'en remontrer à leur mari en cas de désaccord. Les mariages sont en revanche arrangées, comme ici, avec les accords des familles sans que les époux, homme et femme, ne puissent avoir laisser entendre leur opinion."

Alors qu'il répondait à cette dernière question, William la fit accrocher des feuillets sur son bureau et se releva aussitôt pour l'aider.

"Laissez, madame Ce n'est pas votre rôle !"

Il s'agenouilla rapidement, puis s'immobilisa en réalisant que ceci était le traité rédigé par Jérémie. L'esclave avait su lui faire parvenir discrètement, en repérant ses habitudes, pour la dissimuler dans un recoin extérieur, là où William s'accordait une légère pause lors de son inspection quotidienne du domaine. Il transpirait intérieurement paniqué. Et si Lavinia répétait à son père que leur domestique gardait des documents contre la pratique de l'asservissement ? Malgré toutes ses qualités, Dyonis se révélait être le Premier Conseiller du royaume. Il ne pourrait sûrement accepter un employé qui remettait un rouage important du pays en question,.


"Ce... ce n'est rien d'important."

Il s'efforça de ramasser quelques pages mais sans pouvoir récupérer celles déjà dans celles de Lavinia. Que faire ?

Elle écouta les paroles de William, mais ne releva pas. Il serait malvenu de débattre des déboires de leur famille ainsi, sous le toit de son père. Une naissance était peut être une fierté chez eux mais cela ne les avait pas empêché de l’arracher à sa famille pour l’envoyer au couvent. De briser ainsi les liens qu’elle avait tissés avec ses frères. Elle n’avait pas jamais revue sa sœur, non plus. Entrée dans les ordres désormais, mais qu’elle n’avait vu que nourrisson. Elle ne pouvait que comparer sa vie à celle de Bérénice qui avait été éduquée chez elle auprès de précepteur et elle, elle s’en tirait parfaitement bien dans la vie. Pourquoi, si les enfants étaient aussi sacrés, les pousser ainsi hors de la famille ? Si un jour elle devenait mère, elle ferait son possible pour garder ses enfants le plus longtemps possible auprès d’elle. Enfin ça... pour le moment, ce n’est qu’un doux rêve qui ne se réalisera peut-être jamais. Et de ce fait, elle n’avait aucune légitimité de débattre à ce sujet.

— Je veux bien croire que ma naissance ait été une grande joie pour mes parents, tout comme celle de mes frères.

Elle ne mentionna pas celle de sa sœur, qui fut l’annonce de la dissolution de leur famille. Elle ne pouvait pas décemment dire que cette naissance fut une joie pour ses parents. Concernant la vie zakrotienne, Lavinia nota dans un coin de sa tête la référence donnée par William, peut-être qu’elle aurait plus de chance à la librairie avec ce nom. Puis, Wiliam aborda le sujet de la femme forte qui participait même aux batailles. La description était identique à celle d’Eldred. Devait-elle, elle aussi, se montrer plus forte et s’affirmer quand elle n’était pas d’accord ? Cela avait le mérite de tenter sa chance quand l’occasion se présenterait !

Sa maladresse lui fit éparpiller la pile de feuilles sur le sol. William sembla quelque peu affolé, mais elle ne lui en tint pas rigueur, il n’y avait pas de quoi s’agiter de la sorte. Elle se permit de parcourir quelques lignes et fut surprise de son contenu.


— Laissez, c’est à moi de corriger ma maladresse. Mais.. William, quel est ce document exactement ?

Du coin de l'œil, elle crut surprendre un léger malaise de la part de William. Certes sa maladresse pouvait engendrer ce genre de sentiment, mais dans cette situation il y avait autre chose. Son regard parcourut le papier noircit par la plume de ce rédacteur anonyme. Un pamphlet traitant du sujet de l’esclavage, un écrit qui défendait leur situation des plus contestable. William pensait-il qu’elle fasse partie de ces nobles qui se considèrent au-dessus de ces malheureux ? Lavinia avait toujours partagé les convictions de sa mère et de ce qui lui semblait de son père. On ne pourrait pas régler toutes les injustices du jour au lendemain. Elle ne pouvait pas s’élevait seule contre tous , surtout en temps que femme, cela serait contre productif. Elle se contentait donc d’agir avec le peu de ficelles qu’elle tenait entre ses mains. Il ne serait jamais dit que quiconque servirait sous son toit soit maltraité. Elle s'efforçait, tout en restant dans les limites imposées par la société, de faciliter la vie de son personnel, quels que soient leurs statuts.

Ce qui était intéressant à retenir dans l'existence de cet écrit, et qu’il avait été justement écrit. Afin que les mœurs changent, il fallait que plusieurs personnes provenant de milieux sociaux différents soient d’accord sur des principes communs à défendre. Des personnes instruites avaient couché sur papier des revendications des esclaves aux lettrés de la société.
C’est alors qu’elle fit le rapprochement avec sa propre situation. Cette bonne nouvelle pourrait débloquer plus de situation qu’elle l’aurait cru.

— Je suis heureuse d’apprendre que les bonnes paroles commencent à s’affirmer.

Les paroles sortirent toutes seules ce qui la surprit et lui fit relever le regard vers Willliam. Elle espérait que celui-ci ne prendrait pas mal ses dires et surtout qu’ils ne seront pas reporté en dehors de ces murs.

— Veuillez m’excuser. Je ne suis qu’une femme après tout. J’ai, à coup sûr, compris de travers les propos défendus dans ce pamphlet. J’espère ne pas vous avoir offensé.

Elle tendit les feuilles amassées pour les redonner à leur propriétaire. C’était à contre cœur, car elle aurait bien voulu lire la totalité de l’écrit et en débattre avec Eldred. Elle voyait en ces lignes d’encre une opportunité pour le zakrotien de retrouver sa liberté, ou du moins une amorce qui pourrait l’y conduire. Mais voilà, elle ne pouvait pas s’emparer de la sorte de ces papiers.

— Si ce n’est pas trop indiscret, pouvez- vous m’en dire plus sur ce qui est relaté ?

Des contestations il y en aurait, c’était même certains. Beaucoup de gens de la noblesse se plaisaient dans leur luxure et ne voyaient pas en quoi la vie de la “populace” devait leur importait. C’était fort malheureux. Dans le pire des cas, il pourrait même y avoir des mouvements de foule, même une révolution. Le tout était que la chose soit traitée avec intelligence, ce qui ne sera sans doute pas le cas.

— Cela pourrait engendrer pas mal de conflits… J’espère seulement que personne ne commettra d’actes qui pourraient blesser autrui.

C’était un douce chimère de croire qu’un sujet aussi grave ne donnerait pas lieu à des dommages collatéraux. Lavinia pensa à ce que la ville deviendrait si une révolte s’y déroulait. Elle repensa à Eldred et à son histoire, elle se promit de lui en parler dès qu’elle le pourrait.
Son esprit se recentra sur l’instant présent et sur le sourire bienveillant de William. Ses paroles lui redonnèrent espoir, si elle valait mieux que certains hommes, tout n’était peut être pas fini pour elle. Elle finira bien par trouver sa voix et faire de sa vie quelque chose dont elle sera fière. En attendant, elle écoutait avec grand intérêt les explications de William.

Lavinia acquiesça en entendant les arguments avancés. Elle n’était que trop d’accord avec l’interprétation de la Bible.

— Je pense que le sujet défendu est fort louable et qu’il mérite qu’on lui accorde une grande attention. Esclave ou non, nous sommes tous des enfants du Seigneur, beaucoup trop de gens font fi de cette notion de base.

William lui redonna les feuillets et l’invita à étudier l’écrit pour s’en forger sa propre opinion.

— Je vous remercie, William. Vous êtes sûre que cela ne vous gêne pas de me prêter ainsi ce document ? Je ne voudrais pas que vous vous sentiez obligé ou quoique ce soit d’autre.