[15 Janvier 1598] - A la recherche d'un présent [Terminé]

Bérénice errait dans les rues de la capitale en compagnie de son fils et d’un garde imposé par son père qu’elle n’avait pas vraiment eu le cœur de refuser. Ils avaient déjà fait plusieurs échoppes à pied ou en voiture sans qu’elle ne trouve ce qu’elle cherchait réellement. Elle aurait voulu offrir un cadeau à Démétrius, mais quoi ? À chaque nouvelle idée, elle se disait qu’elle n’était finalement pas si bonne que cela ou pas aussi bien qu’elle l’aurait souhaité. Et puis il y avait toutes ces autres fois où elle réalisait que ce n’était sans doute pas approprié compte tenu de la mélancolie qui l’habitait.

Ils venaient tout juste de ressortir les mains vides d’une librairie au plus grand agacement d’Adéis qui commençait à trouver le temps long, lorsque la jeune mère repéra la vitrine d’une couturière. Elle s’arrêta devant, admirant les tissus aux couleurs chatoyantes qui étaient exposées là. On tira sur sa manche.

— Maman ? Maman… elle se tourna vers la petite tignasse rousse aux yeux émeraudes suppliants c’est pour les filles, ici… Il n’y a rien pour Papa. Et puis je veux rentrer
— Ce n’est pas que pour les femmes, Adéis. Tu portes bien des vêtements que je sache, non ?
— Mais Papa n’aime pas les fanfreluches comme oncle Sarkéris. Et puis c’est pas pratique, ça traine partout et après c’est sale et on se fait gronder, maugréa-t-il.
— Justement tu vois, c’est parce que ton oncle franchi bien trop peu le seuil de ces boutiques qu’il est ainsi accoutré, aller viens, fit-elle en poussant la porte avec le sourire.

Le garçon grogna et entra bon gré mal gré suivant sa mère sur les talons. C’était évident que l’on ne trouverait rien pour Papa ici. Il ne portait pas d’étoffes scintillantes qui changeaient de couleurs comme les écailles d’un poisson. Ce qu’il lui fallait c’était de grandes planches pour faire du toboggan sur les escaliers, avec ça au moins il pourrait se promener tout seul et puis c’était si amusant ! Ou bien il lui aurait fallu un aigle géant pour le porter sur son dos. Il aurait pu aller où il voulait ainsi et puis ça devait être si beau de tout voir d’en haut ! Déjà quand il montait dans le sapin du parc c’était joli, alors pour les oiseaux… Il avait quand même du mal à imaginer à quoi cela pouvait bien ressembler.

— Bonjour, Madame, salua sa mère avant qu’il n’empoigne son jupon pour se cacher  derrière. C’était vraiment trop la honte de venir dans une boutique de fille quand on était un pirate comme lui.

Bérénice avait le regard qui voguait sur les différents éléments de la boutique sans parvenir à s’arrêter. Assurément elle aurait trouvé de jolies choses pour elle ici, mais pour lui ?

— En fait… en fait je cherche un présent pour mon mari, reprit-elle avec un instant d’hésitation. Tout compte fait l'idée lui semblait nettement moins bonne désormais...

Adéis leva les yeux au ciel. Tout ça c’était du temps perdu. Il n’y avait rien pour papa ici, c’était évident.

Irène était ravie de sa nouvelle boutique. Jamais elle n’aurait pensé avoir autant d’espace. Tout cela lui donnait de nouvelles idées et de nouvelles envies. Elle recommençait à dessiner de belles tenues et Grâce admirait beaucoup sa maman à côté. Ingrid était à s’occuper des jumeaux ainsi que de Ludovic dans la maison, ce qui lui libérait beaucoup de temps, pendant que Grâce restait dans la boutique à aider, heureuse de pouvoir jouer les grandes. Elle tentait de dessiner mais n’y parvenait certainement pas aussi bien que sa maman.

Alors qu’Irène songeait à un pendentif, elle entendit quelqu’un entrer. Elle sourit à la noble dame qui se présentait.

- Bonjour, salua-t-elle en inclinant la tête.

Grâce leva aussitôt le nez de son ouvrage et vint se placer près de sa mère, en faisant une petite révérence.

- Bonjour, madame, monsieur.

Elle sourit doucement au jeune garçon qui se tenait derrière la belle dame. Elle était vraiment jolie ! Pas autant que sa maman mais quand même ! Elle devait avoir un rang important donc son fils aussi, elle devait faire honneur à sa mère en conseillant au mieux.

Irène pour sa part constatait que le choix de la cliente n’avait pas l’air arrêté au vu de son regard. Surtout quand elle évoqua sa recherche, Irène croisa les bras et passa un doigt sur ses lèvres. Pour s’arrêter dans une telle boutique, elle avait dû faire chou blanc partout ailleurs. Elle sourit.

- Naturellement, je vais vous aider au mieux. Vous tombez très bien, je viens de recevoir un stock de chevalières.

Elle la guida vers une table où trônait de nombreux bijoux, dont, dans un présentoirs, des bagues spécialement travaillées pour les hommes. Certaines étaient ouvragées, d’autres vierges.

- J’ai la possibilité de les faire graver, selon votre convenance. Pensez-vous que cela ferait plaisir à votre mari.

Grâce osa tirer un peu la jupe de sa mère pour risquer une idée.

- Et un médaillon avec un beau portrait ? Comme papa en avait un de vous, maman !

Irène frôla le médaillon qui maintenant reposait sur sa gorge. Le souvenir de cette redécouverte mystérieuse la titillait encore mais elle n’en montra rien à la cliente, se contentant de la laisser explorer la solution qui lui semblait la meilleure.

A peine la porte poussée, Bérénice salua la commerçante et son adorable petite fille qui devait avoir l’âge d’Adéis. Le jeune garçon s’était lui caché derrière l’imposant jupon en velours bleu de sa mère. Enfin… jusqu’à ce qu’il note à son tour la présence de la fillette qui lui souriait. Il se redressa d’un coup, la mine grave avant de faire quelques pas ainsi qu’une profonde révérence comme on le lui avait appris.

— Je vous souhaite le bon jour, Mademoiselle. et il lui adressa à son tour un large sourire.

C’était mal poli, mais Adéis ne pouvait s’empêcher de la fixer. D’une part parce qu’elle était très jolie et d’autre part parce que c’était la première fois depuis son arrivée à la capitale qu’il rencontrait quelqu’un de son âge. En fait, il avait rarement l’occasion de jouer avec d’autres enfants…

À la mention des chevalières, Bérénice ne put s’empêcher de se souvenir de sa rencontre avec Boréalion et de ce petit mot qui lui avait traversé l’esprit au sujet de ce féminin à l’image équivoque. À peine les premières syllabes

— Oh oui, Maman! Une chevalière pour un chevalier ! puis à Grâce, mon papa est capitaine et c’est le meilleur du monde.
— Adéis… entama sa mère gênée.
— Mais c’est la vérité !

Elle oscillait entre un sourire attendri et un brin embarrassé. Bérénice se laissa donc guidait vers la table où étaient exposées les bagues. Elle hocha la tête à la précision, c’était une excellente idée, mais elle ignorait ce qu’elle aurait pu y faire graver. Son regard parcourut les différents bijoux, tous d’excellentes factures, elle sortit une pour la voir lorsque la petite suggéra une idée. Un médaillon ? Elle se retourna pour découvrir Irène touchant le sien et devina qu’elle avait dû perdre son époux. À la guerre ? Cette simple idée suffisait encore à la hanter quand bien même elle savait désormais que ce n’était plus possible. Plutôt que de laisser ses craintes ressurgir, elle se tourna vers la jeune commerçante avec bienveillance.

— C’est une excellente proposition, malheureusement je n’ai pas assez de temps pour en faire faire un. Je vais bientôt devoir rentrer et j’aimerais qu’il puisse le recevoir avant mon arrivée.

Elle reporta son attention sur l’étalage. À sa connaissance, la seule dont il disposait était celle de son père, gravée aux armoiries d’Aussevielle et à la devise familiale. Comment pouvait-elle choisir ? Et si cela ne lui plaisait pas finalement ? À vrai dire, elle ne lui avait jamais réellement offert de présent. Bien sûr, elle lui avait donné des choses lui appartenant lorsqu’il était parti en campagne, mais c’était la première fois qu’elle prenait l’initiative de lui faire un cadeau. Et là, à regarder toutes ces bagues, son cœur se mit à battre plus fort d’appréhension. Adéis se hissa sur la pointe de ses pieds pour mieux voir ce qui se trouvait dessus.

— Il faudrait un olivier, Papa aime beaucoup les oliviers. Est-ce qu’il y a un olivier quelque part ? s’enquit-il en essayant de trouver ce qu’il cherchait.

Sa respiration se bloqua quelques secondes, alors qu’elle le revoyait assis près de sa fenêtre. Il n’avait pas répondu à ses lettres, ce qui signifiait sans doute qu’il y était toujours. Son regard s’embruma momentanément et ce fut d’une petite voix qu’elle répondit.

— Oui, un olivier, pourquoi pas.

Le jeune garçon semblait très sérieux. Grâce fit de son mieux pour faire pareil et faire honneur à sa mère. Elle sourit aussi quand elle le fit, contente. A part Jacinthe, elle n’avait pas vraiment vu de personnes de son âge. C’était très chouette s’il y en avait encore pleins d’autres comme ce gentil garçon ! Elle lissa sa robe pour faire comme sa maman et bien se présenter. Si elle pouvait se faire un nouvel ami, elle devait être présentable !

Irène pour sa part observait cela d’un œil attendrit mais demeurait concentrée sur sa cliente. Elle sourit au jeune garçon.

- Eh bien cela devrait lui plaire alors.

Grâce avait des étoiles dans les yeux.

- C’est vrai, ton pépé c’est un chevalier ? Comme dans les livres d’histoires ? Il combat des dragons ?

Irène, observant la gêne de Bérénice lui fit signe que ce n’était rien et laissa les petits discuter pour montrer les modèles. Elle la laissa regarder, sans la presser ou orienter son choix. Elle saura sans doute très bien quoi faire toute seule. Elle mit pour sa part ses émotions de côté quand la cliente l’observa. Elle devait rester centrée sur elle d’autant qu’elle ne pourrait certainement pas l’aider avec ce qui était au mieux un miracle au pire un très sombre mystère.

Irène acquiesça, même si Grâce était un peu déçue que son idée ne plaise pas.

- Très bien, oublions le médaillon alors et voyons les bagues.

Elle hocha la tête à l’évocation de l’olivier.

- Un bon choix, c’est un bel arbre, avec une belle symbolique. Est-ce qu’un style particulier vous agréerait ? Quelque chose de réaliste ou de plus imagé ? Un olivier seul ou avec un oiseau ? Ou peut-être une citation en-dessus ? Qu’en pensez-vous ?

Grâce pour sa part acquiesçait à toutes les questions, très sérieuse.

- Le monsieur qui grave est très doué, vous pouvez lui demander n’importe quoi, il le fera très bien !

Bérénice observait les différentes chevalières sans parvenir à fixer son regard ou son esprit. Elle n’aurait jamais imaginé qu’il puisse être si difficile de choisir un cadeau pour son mari. A côté d’elle, la petite demoiselle interrogeait Adéis.

— Oui, mais maintenant on appelle cela la cavalerie. Les chevaliers tu sais, ça n’existe plus vraiment, expliqua-t-il doctement. Ce n’est qu’un titre. Mais tu sais mes ancêtres étaient de vrais chevaliers.  Même qu’ils sont allés en Terre Sainte combattre les infidèles !

Il haussa les épaules.

— Ça existe pas les dragons, mais si un dragon voulait s’emparer de ma maman, il viendrait la libérer comme Saint Georges.

Alors laquelle choisir. Un Olivier lui semblait l’évidence même : il faisait parti des armoiries d’Aussevielle, il y en avait partout dans le domaine qu’il chérissait et où il y avait établi ses racines à plus d’un titre. Au-delà de tout cela, c’était un l’un des rares arbres qui ne perdaient jamais ses feuilles. Il était d’une stabilité inébranlable. C’était comme l’attachement qu’elle avait pour lui malgré les épreuves. C’était comme ce qu’il avait pu être et qu’il demeurait au fond de lui. Les questions d’Irène la tirèrent de ses pensées quel type ?

— Je ne sais pas trop… Pas d’oiseau non. Juste un arbre.

Elle chercha l’approbation d’Adéis du regard, mais n’obtint qu’un haussement d’épaules : pour lui c’était toutes les mêmes. Alors en désespoir de cause, elle se tourna vers la commerçante :

— En fait… c’est la première fois que je lui offre réellement quelque chose, alors je ne sais pas trop. Vous comprenez ? Et si je me trompez ? Si cela ne lui plaisait pas ?
— Mais ça fait rien Maman ! Papa sera content quand même d’avoir un cadeau.

Il n’avait pas tort mais tout de même, elle voulait être sûre d’elle. Ce n’était pas… anodin et elle voulait qu’il sache qu’elle l’avait choisi très précisément pour lui et personne d’autre. La gravure était une bonne idée, elle acquiesça.

— Il y a un psaume avec un olivier : «je suis dans la maison de Dieu comme un olivier verdoyant, Je me confie dans la bonté de Dieu, éternellement et à jamais. ». Je pense le remanier quelque peu.

A ses côtés, Adéis observait toujours les bagues lorsque son regard s’arrêta subitement sur une chevalière memento mori avec un crâne soutenu par des mains squelettiques.

— Moi, j’aimerai celle-ci !

Il semblait à Irène que sa cliente hésitait. Elle en ignorait pour l’instant la raison mais savait que c’était le moment où il fallait être assurée et mettre en confiance. Elle sourit également en voyant l’adorable conversation qui s’engageait. Grâce pencha la tête.

- Ohhh… Alors il monte à cheval ! Il a de la chance, c’est beau les chevaux ! Et puis c’est tout doux et tout gentil, comme Perle !

Elle eut des étoiles dans les yeux alors qu’il parlait. Elle avait l’air très importante sa famille ! C’était presque intimidant. Grâce esquissa une moue.

- Ben c’est nul alors, parce que s’ils n’existent plus alors que les korrigans existent, c’est qu’ils ont pas été très malins ! Et puis d'abord, y a pas toujours besoin de garçon pour se sauver d'un dragon. Sainte Marguerite, elle a réussi toute seule !

Elle releva le menton, très fière de l'avoir appris. Irène pour sa part écouta attentivement les préférences de Bérénice.

- Très bien, alors un arbre. Ce sera déjà très beau.

Son fils ne semblait pas aussi concerné. Elle sourit à la jeune femme en comprenant.

- Bien sûr. Mais vous savez, déjà penser à lui avec un cadeau lui fera déjà très plaisir. Peu importe ce que vous lui donnerez, il sera sans doute déjà touché de la démarche. Cependant, si vous cherchez le meilleur cadeau possible, ne vous inquiétez pas, je suis là pour vous guider.

Elle sourit et prit alors une bague dorée, avec un chaton de forme ovale.

- Je pense que celle-ci lui ira bien. Non pouvons faire graver l’olivier ici, il étendra ainsi bien ses belles branches. Puis nous ferons graver cela tout autour, vous voyez. Cela vous irait-il ?

- Vous savez, vous pouvez faire confiance à ma maman, elle a très bon goût !

Irène sourit en caressant les cheveux de sa fille. Elle observa la bague proposée par Adéis en penchant la tête. Le pauvre ne devait pas vraiment se rendre compte de ce que ça signifiait.

- Hum, elle est en effet très élégante. Pourquoi celle-ci ?

Adéis expliquait à son amie du jour, que les chevaliers n’existaient plus. À son exclamation, il ne put retenir une moue renfrognée.

— Il ne peut plus monter à cheval… Il a été blessé pendant la guerre. C’est qui Perle ? C’est ton poney ? La mienne s’appelle Didon comme l’amoureuse d’Enée.

Il garda pour l’instant la raison exacte du baptême pour lui. C’était sans doute mieux. Après tout elle n’avait pas besoin de savoir. Il roula des yeux à la mention des lutins.

— Ca existe pas non plus les korrigans ! C’est des histoires de païens ! Et puis Sainte Marguerite, elle a eu l’aide de Dieu pour sortir du ventre du dragon, t’as déjà essayé de couper un poulet avec un crucifix ? Non ? Bah c’est normal, c’est pas fait pour. C’est Dieu qui lui a donné le pouvoir de sortir de la bête.

Il n’y avait qu’une femme qui pouvait peut-être se sauver seule c’était Jeanne d’Arc, mais là aussi, on disait que Dieu l’avait aidé. Et puis elle n’était pas seule non plus… Et surtout elle avait fini sur un bûcher comme sorcière. Il fronça pensivement les sourcils, reportant son attention sur sa mère qui cherchait toujours un cadeau pour son papa.

Elle avait raison, il serait certainement heureux de l’intention mais ce n’était pas ce qu’elle voulait. Elle espérait sincèrement que ce soit plus que cela, peut-être même qu’il réalise à quel point elle tenait à lui indépendamment de tout ce qui avait pu se passer cette dernière année. Ce n’était rien de plus qu’un petit accro sur une immense tapisserie. La commerçante lui proposa une bague ainsi qu’une idée. Bérénice prit l’anneau entre ces doigts, imaginant la gravure puis acquiesça timidement.

— Je pense que c’est effectivement une bonne idée. puis à Grâce, je lui fais entièrement confiance pour cela.

De toute façon, elle avait besoin de se reposer sur quelqu’un pour choisir, elle était si nerveuse à l’idée de se tromper qu’elle ne parvenait pas à réfléchir distinctement. Pendant ce temps Adéis avait jeté son regard sur un anneau memento mori.

— C’est comme sur les pavillons de pirates. Mon oncle m’a dit que c’est pour se souvenir qu’on est mortel. Certains disent que c’est pour mieux profiter de la vie et d’autres pour se souvenir que nos actions ici seront jugées là-haut. Moi je pense qu’on peut faire les deux. Pourquoi on ne pourrait pas, dites ?

Grâce baissa la tête quand il parla de son père.

- Oh, je suis désolée…

Mais bon, lui au moins, il avait encore un papa. C’était sûrement le plus important mais elle évita de le dire parce qu’il avait l’air triste lui aussi… Elle retrouva le sourire quand il parla de Perle.

- Oh non, c’est une jument, une vraie et toute belle ! Elle est grande ! alors je ne monte pas encore dessus toute seule parce que je suis petite mais je lui donne des pommes !

Elle fit à son tour la moue et croisa les bras.

- C’est pas des histoires de païens, c’est le père Jacques qui me les racontait. Même qu’un korrigan lui a volé une chaussette !

Elle haussa les épaules à son affirmation.

- Saint Georges aussi sans l’aide de Dieu il aurait pas tué le dragon. Mais les dames, elles savent se défendre aussi !

Irène lui sourit en lui caressant les cheveux. Grâce avait bien du caractère. Il faudrait d’ailleurs qu’elle songe à ne pas trop la laisser seule avec Madeleine qui lui mettrait encore plus martel en tête… Elle se recentra cependant sur sa cliente et lui accorda un sourire bienveillant. Elle semblait approuver le choix de la bague et reprendre confiance. Irène inclina la tête avec reconnaissance.

- C’est parfait dans ce cas. Je peux aller la porter au graveur. D’ici demain après-midi, je pense que vous pourrez venir la chercher et la payer. Cela vous convient ?

Elle pencha la tête à la réponse d’Adéis. Ce petit avait l’air d’avoir des idées et des références très arrêtées… Elle se contenta d’acquiescer alors que Grâce refaisait la moue.

- En effet, tu as raison.

- C’est pas très drôle quand même… Il est marin ton oncle ?

Grâce s’excusa pour son papa, mais elle n’y était pour rien s’il ne pouvait plus être un chevalier comme avant. Il hocha sagement la tête d’un air tout à fait adulte comme il avait souvent vu faire sa mère avant d’imiter ses paroles et son attitude:

— Allons tu n’y es pour rien…

Un jour, il irait mieux. Monsieur Gargouille et Monsieur Hyriel viendrait lui parler. Ils avaient promis de l’aider à trouver de nouvelles ailes. Maman avait dit que ce n’était pas possible pour le moment, mais bientôt. Est-ce qu’ils allaient venir à Aussevielle quand ils rentreraient ? Ca faisait un long voyage tout de même pour eux, juste pour voir leur papa.

— Mon grand-père a plein de chevaux ! Et mon papa aussi, mais ils sont restés chez nous. C’est loin.

Sa jeune amie faisait la moue, mais c’était comme ça ! Il n’y pouvait rien si c’était la vérité tout de même. Alors il haussa les épaules.

— Y’a pas de korrigan dans les saintes écritures ni dans les histoires de Saint, c’est donc que c’est des histoires de païens, réaffirme-t-il sûr de lui en se grandissant.

Et ça, son papa lui aurait dit mieux que lui. Comme pour Saint Georges, d’ailleurs.

— Saint Georges a été guidé par Notre Seigneur mais c’est un grand guerrier, ça n’a rien d’un miracle. Alors que sortir de l’estomac d’un dragon avec un crucifix, si. Beuuuuurk, quoi qu’on peut au moins lui reconnaitre le talent d’avoir survécu à sa bile, c’es tellement dégoutant ! conclut-il en riant.

Pendant ce temps Bérénice s’intéressait aux chevalières plus qu’aux histoires de chevaliers. Elle avait rejoint l’avis de la commerçante et valida sa proposition d’un signe de la tête.

— Oui, c’est parfait, je pourrais ainsi la faire parvenir rapidement à Aussevielle.

Adéis explicita son choix et se tourna fièrement vers sa mère lorsque la dame de la boutique confirma ses dires. Des memento mori, y’en avait sur les armes de tonton Sark, c’est comme ça qu’il avait fini par lui demandait pourquoi les pirates portaient toujours des effigies de crânes.

— La vie n’est pas faite pour être drôle, c’est normal. répliqua-t-il sérieusement avant de finir déstabilisé par la question suivante.

Tonton Sark, marin ? Pas exactement, non. Enfin oui, mais non. Mais surtout... ça se disait devant des inconnus ? De peur de faire une bêtise, il préféra se tourner vers sa mère pour obtenir de l’aide. Elle lui rendit un sourire bienveillant et caressa sa tignasse rousse.

— Il travaille pour le Roi, oui. répondit-elle sans trop se mouiller sur sa profession.

Adéis nota la réponse pour une prochaine fois tout en agitant vigoureusement la tête, le regard bordé d’admiration.

Peut-être devinerait-elle qu’il était corsaire. En tout cas, elle laissa planer le doute, sans infirmer non plus sa proposition.

Regardant piteusement, ses pieds, Grâce releva la tête vers Adéis. Il parlait comme les grands…

- Oui mais c’est triste quand même…

Elle en savait un peu quelque chose… Ce n’était pas drôle de ne plus avoir son papa et de ne même pas s’en souvenir correctement. Elle sourit cependant quand il évoqua les chevaux. Elle battit des mains.

- Oh, tu as de la chance !

Elle aurait bien aimé apprendre à monter aussi, comme Bélyl et Jeanne avaient eu le droit de le faire mais sa maman lui avait expliqué qu’elle n’avait pas encore l’âge mais qu’elle pourrait essayer, un jour.

Grâce ne lâcha pas l’affaire pour les korrigans et haussa aussi les épaules.

- C’est pas parce que c’est pas écrit que c’est forcément faux. Et puis d’abord, les Saintes Écritures, on ne sait pas si on les a toutes ! Même que ma cousine Jeanne, elle va peut-être en trouver une, pas vrai, maman ?

Irène sourit en hochant la tête et crut bon d’expliquer davantage à Bérénice.

- Ma nièce travaille dans un couvent, sous la direction d’une mère supérieure qui pense avoir découvert l’emplacement d’une nouvelle Evangile. Elles sont en train de chercher en ce moment même dans le Saint Pays qu’a foulé Notre Seigneur.

Grâce fit la moue pour la question de Saint Georges.

- Y a pas que les hommes qui sont de grands guerriers guidés par Dieu. Jeanne d’Arc aussi elle l’a été !

Elle leva les yeux au ciel à sa réaction.

- Peut-être mais elle a été courageuse. C’est une vraie grande qualité, le courage !

Même que c’était son papa qui le disait ! Les Romains, ils trouvaient que c’étaient une des plus grandes qualités au monde, il le lui avait raconté !

Pour sa part, Irène fut ravie que sa cliente ait trouvé son bonheur, elle acquiesça aussitôt.

- Je ferai cela en priorité.

Grâce pour sa part demeura sceptique.

- Non, mais elle n’est non plus moche.

Elle aurait cru entendre Cassandre… Elle fronça un peu les sourcils en le voyant hésiter pour la question suivante. C’était si compliqué que ça à répondre ? Elle s’illumina cependant à la réponse de Bérénice.

- Oh, c’est trop bien !

Irène pour sa part devina de quoi il s’agissait. Elle hocha la tête et sourit à leurs deux hôtes.

- Vous fallait-il autre chose ? Auriez-vous envie d’un autre accessoire pour vous-même, madame ? Ou peut-être d’un châle avec ce temps beau mais frais, pour sortir dehors.

Adéis faisait le grand à imiter maman, mais oui, c’était triste. Il était souvent triste lorsqu’il y pensait, alors il hocha la tête brièvement la tête pour approuver tout en pinçant ses lèvres. Il préféra vite changer de sujet. Les chevaux c’était bien plus amusant même si ça ne l’empêchait pas de penser à son père.

— La prochaine fois, je viendrai te voir avec Didon, comme ça tu pourras monter dessus si tu veux ! s’emporta-t-il avant de se souvenir qu’il avait besoin de l’autorité maternelle. On pourra Maman, di…tes ?

Bérénice lui retourna un sourire et valida sa demande. Pourquoi pas après tout. Ce serait l’occasion de sortir un peu à cheval, même si l’on risquait de le regarder de travers en ville…
Adéis se renfrogna cependant bien vite à la mention des korrigans. Quel curé pouvait dire une bêtise pareil !

— Oui bien sûr et les bonnes fées se sont penchées sur ton berceau…
— Adéis…
— Oui Maman… répondit-il penaud de s’être fait repris.

Irène en profita pour éclaircir cette histoire de Saintes Écritures à découvrir. Allons bon, comme si l’on manquait déjà d’avis sur la parole de Dieu avec tout ce qui avait été écrit. C’était plutôt un bon ménage qu’il aurait fallu faire plutôt que de dépoussiérer de vieux manuscrits.

— Oh, je vois, c’est en effet une découverte importante, Notre Seigneur ne manquera pas de les guider dans leur entreprise…

Ou pas. Peut-être qu’Il n’avait pas envie que l’on découvre un nouveau papier sur des choses présumant de Sa parole. Peut-être aurait-Il dû être plus clair pour éviter toutes ces interprétations au fond.
Ah Saint Georges et Jeanne d’Arc ! Elle sentait déjà que la pomme de la discorde venait d’être jetée une nouvelle fois.

— Oui bah ta Jeanne d’Arc, elle a fini sur un bûcher. C’est bien que c’est pas la place des femmes, marmonna-t-il entre ses dents tandis qu’il sentait le regard de sa mère peser sur ses épaules.

— C’est vrai, le courage c’est important. Comme la loyauté. finit-il par lui concéder.

Pendant ce temps, les deux femmes réglèrent les derniers détails concernant la chevalière qui serait envoyée prochainement à Aussevielle. Adéis avait quant à lui jeté son dévolu sur une bague memento mori dont il expliqua ce qu’il pensait être la signification. Son amie ne semblait pas convaincue. Il haussa les épaules :

— C’est pas moche. C’est que des os. C’est comme ça qu’on est fait et comme ça qu’on finit. La vie non plus n’est pas moche, c’est à toi de la rendre belle durant le temps que Notre Seigneur t’accorde. expliqua-t-il pensivement en rassemblant tous les éléments qu’on lui avait expliqué ici et là à ce sujet.

Parce que si c’était pas le cas ? Alors à quoi ça servait de vivre, si c’était pour souffrir ou être triste ? Si Leur Seigneur était gentil, c’est qu’il y avait toujours une possibilité quelque part, non ? Comme Papa qui n’allait pas bien. Il irait mieux un jour. Il s’y raccrochait comme à un rocher parce que si ce n’était pas le cas, alors toutes ses certitudes voleraient en éclats. Et là ce serait vraiment moche et triste.

Par contre, pour oncle Sarkéris, il préféra laisser Maman répondre. Il avait assez fait de bêtises pour aujourd’hui et il avait compris qu’on pouvait pas dire qu’il était pirate comme ça. Alors corsaire, il ne savait pas trop.

— Bien sûr que c’est trop bien ! s’enorgueillit le petit rouquin, même que mon oncle a fait le tour du monde !
Bérénice se fit pensive à la demande de la commerçante. Autre chose ? Sans doute, oui… Elle posa son regard sur Adéis, qui comprenant instinctivement ce qu’elle allait dire le fuyait aussitôt pour observer… Tiens ces jolies écharpes avec un tissu qui changeait de couleur.

— Auriez-vous quelque chose pour mon fils ? Mon frère va bientôt se fiancer, et je crains qu’il n’ait rien à se mettre pour cet évènement très particulier.

Le garçon en question grommela avant de croiser les draps et déclara (parce que qui ne tentait rien n’avait rien) :

— On pourrait choisir un costume pour mon oncle plutôt, lui il en a pas. Parce que ses froufrous aux manches c’est trop moche. Il va avoir la honte devant les femmes. C’est pas comme ça qu’il va trouver une princesse !

Bérénice peina à étouffer un petit rire. Tant parce que la vérité sortait de la bouche des enfants que parce qu’elle admirait la pirouette parfaitement trouvée. Elle s’accroupit à ses côtés et frotta doucement ses cheveux le regard mi-amusé mi-aimant :

— Bien tenté jeune marquis, mais vous ne vous en sortirez pas aussi facilement. Nous verrons pour votre oncle ensuite, si vous le voulez bien

Il soupira de dépit.

Il semblait à Grâce qu’il était plus triste qu’il ne voulait bien le dire mais c’était malpoli de présupposer comme ça… Et puis de toute façon, elle n’allait pas continuer sur le sujet, sinon, il serait encore plus triste et elle n’avait pas envie.

Elle se réjouit quand il lui parla de sa jument.

- Oh oui, je veux bien ! (rougissant) Je ne sais pas encore monter… Mais peut-être que tu pourras m’apprendre.

Elle sourit quand sa maman dit oui. Qu’est-ce qu’elle était gentille ! Elle fit une moue quand il se moqua d’elle. Il irait bien avec Cassandre… Curieusement, cela lui fit un petit pincement au cœur à cette pensée. Irène la rassura aussi en posant une main sur sa tête. Elle avait encore le droit d’être innocente et de croire aux belles choses. C’était là tout le charme de l’enfance. Elle sourit en même temps à sa cliente en hochant la tête. Elle espérait bien, surtout si les prédictions de Mère Suzanne s’avérait juste.

Grâce pâlit à la remarque d’Adéis.

- Mais… c’est à cause des Anglais ça ! Puis, c’est pas gentil… Ma tante Madeleine, elle dit que…

Non mais ! Mais avant qu’elle puisse davantage s’étendre sur le sujet, sa mère couvrit sa bouche.

- Grâce, je ne suis pas certaine que cela intéresse nos clients.

La fillette rougit en regardant piteusement ses pieds. Oui, c’était vrai que maman n’aimait pas beaucoup qu’elle en parle à des gens…

Elle finit heureusement par s’accorder avec Adéis sur la question du courage et le sujet fut réglé. Cependant, Grâce eut tôt fait de froncer de nouveau le nez à la remarque d’Adéis. Irène pour sa part pencha la tête. Il avait des pensées bien grandes pour un si petit corps. Elle toussota.

- Certes, tu as raison.

Elle passa une main dans le dos de sa fille pour la rassurer, elle qui n’avait pas l’habitude d’entendre les mots dit si crûment. Heureusement, elle aurait tôt fait d’oublier. Ou elle aurait de nouveau droit à une discussion métaphysique, ce qui ne serait pas forcément très grave. Pendant que Grâce s’enthousiasmait de nouveau à propos du métier de l’oncle d’Adéis, Irène sourit. Elle se concentra cependant, la tête déjà à la prochaine vente. Elle s’illumina à la demande.

- Mais bien entendu. Maintenant que j’ai un atelier, je peux même faire du sur mesure.

Elle alla au-delà des pendant des robes pour montrer un beau pourpoint d’un vert profond qui ne demandait qu’à être personnalité.

- Cela devrait bien aller avec tes yeux. Il est coupé à la mode de France et très élégant mais néanmoins plutôt facile à porter. Pour les chausses, j’ai ce qu’il faut aussi, selon ce que le jeune homme préfère.

Grâce pour sa part haussa les épaules à son affirmation sur les froufrous.

- S’il a fait le tour du monde, peut-être qu’il a d’autres façons de plaire aux dames.

Irène sourit pour sa part devant la complicité entre la mère et son fils. Cela devait être animé à la maison…

Adéis hocha vigoureusement la tête en voyant son enthousiasme à l’idée de monter sur son poney. Et en plus il avait l’accord de maman ! Il avait hâte de revenir la voir avec Didon. Il ne pourrait jamais lui apprendre aussi bien qu’Ivain le Maitre Palefrenier, mais il ferait de son mieux, et puis elle avait l’air si contente !

Leur récente complicité se tendit rapidement lorsqu’ils en vinrent à des questions religieuses.  Entre les dragons, les korrigans et les saints, ils ne semblaient pas parvenir à trouver un terrain d’entente. Maman dut même le reprendre parce qu’il allait trop loin. Et puis Jeanne d’Arc… Hein… À la mention de la tante Madeleine, leurs deux paires d’yeux se rivèrent vers Irène qui venait de lui couvrir la bouche. Pourquoi ça ? Bérénice aurait été curieuse d’entendre la suite. De toute façon, ce n’était pas comme si elle était habituée depuis toujours aux blasphèmes et autres propos hérétiques. Quant à la fameuse Jeanne d’Arc, elle aurait bien aimé la rencontrer pour se faire sa propre opinion. Était-ce une sorte de Leyria ou simplement une illuminée ? Il était difficile de faire la part des choses entre le mythe et la réalité. Heureusement, un terrain d’entente fut trouvé sur la question du courage.

Cependant, un nouveau désaccord eut tôt fait d’éclater entre les deux enfants au sujet de la bague memento mori. Elle voyait bien que cela gênait tant la mère que la fille et se racla la gorge, embarrassée. En même temps, il n’avait pas tort. Et puis c’était quelque chose de commun. On trouvait bien des squelettes sculptés sur les églises. Elle préférait dire la vérité aussi dérangeante soit elle que de l’enrober dans un joli mensonge, même si à choisir, elle laissait volontiers ces réflexions religieuses et métaphysiques à son mari qui expliquait avec bien plus d’aplomb qu’elle ne le ferait jamais.

Parler de Sarkéris en revanche fut salvateur et toute la petite troupe retrouva le sourire. Elle n’aurait jamais avoué complètement son métier par précaution, mais voir l’enthousiasme de la fillette allégeait considérablement l’atmosphère qui s’était récemment tendue. Bérénice passa sa commande suivante qui reçut un accueil mitigé auprès du principal intéressé. Tiens donc comme cela était étonnant ! Il préférait même tenter une déviation du sujet vers son oncle, mais non… Il n’aurait pas le choix. La commerçante s’éloigna pour revenir avec un joli petit pourpoint d’un beau vert émeraude. Les lèvres d’Adéis se tordirent dans une moue indescriptible. Tout ce qu’il voyait, c’est que c’était encore un costume qu’il ne devrait pas salir et dans lequel il ne pourrait pas courir ou jouer. Il souffla.

— Tu devrais l’essayer, je suis sûr qu’il tira très bien. Qu’est-ce que tu en penses ?
— J’en pense qu’on va encore me dire de bien me tenir et que je n’en ai aucune envie. Et puis ça sert à rien. Moi, j’ai pas besoin de princesse comme mon oncle !

Ce sur quoi Grâce renchérit de son hypothèse.

— Bah il parle bien et leur raconte plein de jolies choses, mais après avoir joué, elles finissent toujours par s’en aller. Il haussa les épaules. Tu crois que c’est parce qu’il ne va pas leur acheter des fleurs au lupanar ?

Bérénice faillit s’étouffer en entendant les paroles de son fils avant de fermer fortement les paupières comme si cela aurait pu éviter quoi que ce soit.

— Je… C’est… Pouvons-nous essayer le pourpoint ?

Grâce était aussi très contente à la perspective de ravoir Adéis, en plus avec un poney ! Même si la conversation se tendait un peu, Grâce ne s’en préoccupait pas beaucoup et elle aurait certaine oublié assez tôt, surtout si elle pouvait se faire un nouvel ami.

Irène se mordit la lèvre au regard de sa cliente. Interprétant à tort son regard curieux comme une marque de désaccord, elle préféra laisser passer le sujet sous le tapis. Elle sourit donc poliment avant de penser à autre chose. Cependant, la suite ne les aida pas à mieux se comprendre. Irène frotta doucement le dos de Grâce pour la rassurer. Elle préférait encore lui laisser un peu de son innocence d’enfant, elle l’avait déjà presque perdu avec la mort de son père.

En effet, le sujet de son oncle changea radicalement l’humeur de la pièce. Irène fut ravie que le pourpoint qu’elle sorti soit apprécié par sa cliente. Malgré tout, le principal intéressé semblait plus rétiscent. En bonne vendeuse, Irène sortit l’atout charme.

- Je pense que ta mère a raison, il t’ira bien. Et rassure-toi, le tissu est fait pour se laver facilement. Même s’il y a une tache, elle partira facilement.

Grâce pour sa part écouta sa répondre mais fronça les sourcils.

- Ben… C’est bien d’acheter des fleurs, c’est vrai.

Elle hésita à demander ce que voulait dire « lupanar » à sa mère qui avait curieusement rougi. Bérénice eut l’heureuse idée de réagir à temps et Irène saisit l’occasion.

- Bien sûr ! Par ici, mon garçon.

Elle lui indiqua une belle cabine refaite qui n’avait rien à voir avec l’ancienne et dont Irène était très fière. Elle sourit en lui remettant le pourpoint, certaine qu’il allait lui plaire s’il aimait bouger car c’était bien un habit fait pour les enfants qui les laissait libre de leurs mouvements.

On lui avait présenté ce pourpoint vert comme les sapins, mais tout ce que voyait Adéis c’était la mine sévère de sa gouvernante pointant du doigts les taches de boue et autres accrocs malheureux qu’il aurait laissé dans ses jeux. Ses petits yeux d’aigle qui le fusillaient au-dessus de son nez fin qui lui faisait penser à un bec. « Ce n’est pas un comportement digne d’un petit marquis… Est-ce que Monsieur Votre Père s’assoit sur les feuilles humides peut-être ? » Et c’était généralement le moment où le garçon lui répondait effrontément qu’il aimerait certainement pouvoir le faire avant de s’enfuir aussi vite qu’il le pouvait, loin de ses récriminations.

Il leva un œil suspicieux vers la commerçante tandis que sa mère appuyait ses dires d’un hochement de tête dans son champ de vision. Moui. De toute façon, il n’avait pas vraiment le choix n’est-ce pas ? Il ne ressortirait pas sans rien de cette boutique alors… il acquiesça timidement et préféra répondre à la question de la petite fille. Il nota sa réponse au sujet des fleurs et entrouvrit la bouche pour répondre, mais sa mère proposait déjà de lui faire essayer le costume et c’était tout de même fort mal poli d’interrompre quelqu’un. Adéis se tourna donc vers la dame qui était étrangement rouge.

— Est-ce que tout va bien, Madame ? Vous avez l’air d’avoir chaud, non ?

Il entra finalement dans la cabine et entreprit de se dévêtir pour passer ce nouvel habit avec l’aide de sa mère. Pourquoi fallait-il qu’on mette autant de boutons et que ceux-ci soient si petits ? C’était horriblement long et fastidieux à mettre ! Une fois prêt, il poussa le rideau pour faire quelque pas, passant ses mains sur son buste pour sentir le doux velours. Il interrogea sa mère qui valida d’un grand sourire (mais il avait le sentiment qu’elle aurait tout trouvé formidable en cet instant) puis se tourna vers la petite fille dont à vrai dire il n’espérait sans doute pas plus d’objectivité sur le sujet. Il se décida à effectuer des étirements pour tester ce nouveau vêtement. Bon c’est vrai, c’était pas mal quand même.

Voyant qu’il était encore bien sceptique, Irène espérait que l’essayage parvienne tout de même à le décider. Quant à Grâce, elle attendait, surtout curieuse de le voir dans un beau costume. Il était déjà plutôt mignon comme ça alors avec le joli costume de sa mère… Il le serait sûrement encore plus !

La pauvre Irène était encore un peu perturbé par les paroles du jeune garçon et toussota pour se redonner une contenance.

- Oui, ne vous en faites pas, jeune homme, tout va bien.

Grâce trouvait aussi ça bizarre mais ce n’était pas poli de demander une chose comme ça aux adultes… Et puis elle voulait voir le vêtement porté, elle.

- Je trouve surtout que ce pourpoint vous sied très bien. Il a l’air confortable, est-ce bien le cas ?

Grâce s’illumina.

- Oh, on dirait un vrai gentilhomme ! Enfin, je crois que tu en es déjà un mais bon… Tu fais plus grand ! Et puis ça va bien avec tes yeux puis tu pourras facilement faire des parties de cache-cache dans la forêt avec, parce qu’on te verra plus !

Irène sourit. Sa fille avait des arguments commerciaux imparables…

C’est marrant comme les adultes aimaient bien dire que ça allait alors que c’était pas le cas. Lui quand il essayait ça marchait jamais… personne le croyait. Peut-être que son mari lui offrait jamais de fleurs alors c’était pour ça qu’elle était bizarre. Ou alors il en offrait à quelqu’un d’autre ? Son visage s’illumina de la lueur de l’idée qui venait de naître.

— Je vous offrirai des fleurs, moi, si vous voulez !

Il avait beau parlé et tout faire pour retarder l’échéance, il se retrouva dans une cabine à devoir se changer pour essayer ce costume dont il ne voulait, mais qui avait l’air de faire drôlement plaisir à sa mère ! Ben si ça la rendait souriante et heureuse, il voulait bien faire cet effort pour elle. Quand Papa partait, il lui disait toujours de prendre soin de sa Maman et comme il n’était pas là, là… alors c’était toujours à lui de le faire, non ?

Il sortit de sa cabine et force était d’admettre que c’était plutôt confortable. Il pouvait fléchir ses jambes, attraper ses mains dans son dos et même sauter sans se sentir trop engoncé dedans, ce qui était plutôt rare, il fallait le dire.

— Oui vous avez raison, Madame, c’est plutôt agréable pour quelque chose qui ne l’est pas.

Bérénice souffla de rire à cette répartie. Pour sa part, elle était déjà conquise par cette couleur qui lui rappelait d’ailleurs une de ses robes. Adéis semblait attendre l’aval de la petite fille pour se décider et elle dut se mordre les joues pour ne pas rire des arguments avancés qui étaient parfaitement choisis. Ses yeux en brillaient de son rire contenu et elle détourna vivement la tête vers une série de corsets pour se calmer alors que son fils répondait déjà en se redressant puis en faisant une révérence.

— Bien sûr que je suis un gentilhomme ! Je suis gentil et  mon papa est le marquis d’Aussevielle. Alors moi je suis le petit marquis. Nos terres vont jusqu’à Mornoy, tu sais, explique-t-il fièrement.

Et Aussevielle était bien plus belle que Braktenn. Parce qu’à Aussevielle le ciel et la mer se touchaient.

Bon il devait avouer que faire plus grand – il se redressa – c’était pas mal, mais c’était rien à côté de cette histoire de cache-cache… il baissa les yeux sur son ventre pour observer la couleur… Ça serait drôlement bien si Elisabeth ne pouvait pas le retrouver dans les jardins… Oh oui ça serait tellement drôle qu’elle passe à côté sans le voir ! Convaincu, il se tourna vers Irène :

— Et vous en avez d’autres ? Il m’en faudrait un marron aussi parce que l’hiver les arbres n’ont pas de feuilles…

Bérénice eut un sourire attendri : qu’est-ce qu’il ne fallait pas faire ni entendre ! Elle appuya toutefois la demande, préférant profiter de sa coopération vestimentaire.

— Eh bien on peut dire que la relève est assurée ! se contenta-t-elle de commenter.

Voyant bien que le jeune garçon n’était pas dupe, Irène essaya tout de même de faire bonne figure. Elle rit à sa proposition avant de secouer la tête.

- C’est adorable, jeune homme, il y a longtemps que quelqu’un ne m’en a pas offert.

Irène vit bien quand il ressortit que sa mère était ravie et s’en réjouit. Peut-être une nouvelle cliente. Elle regarda le petit bouger et tester ses mouvements avec amusement puis inclina la tête vers lui.

- Eh bien, j’en suis contente ! L’essentiel est que tu t’y sentes bien.

Grâce aussi le trouvait très beau. Elle battit des mains alors qu’elle le complimentait. Irène elle aussi baissa la tête pour dissimuler un sourire. Elle sentait que Bérénice elle non plus ne savait pas résister à ces deux-là. Grâce rosit d’ailleurs à la révérence qu’il lui fit.

- Oh… Eh bien je suis ravie de vous connaître, M. le marquis !

Elle fit une jolie révérence comme sa mère le lui avait appris. Elle était plutôt impressionnée de connaitre quelqu’un d’aussi important, même si elle avait connu Madame Marie. Il avait son âge, c’était surtout ça qui était amusant !

Irène loua l’esprit commercial de sa fille, même si elle n’en avait peut-être pas conscience. L’affaire était faite ! Irène sourit au petit garçon en secouant la tête.

- Malheureusement non mais je peux t’en faire un sur mesure, si tu veux.

- Maman fait de très jolies choses ! Et tu peux lui demander tout ce que tu veux !

Irène n’osa pas la contredire. Tout, non, mais pas mal de choses, il était vrai… Elle acquiesça vers Bérénice.

- Je ne saurais dire mieux… Dites-moi ce qui vous conviendrait le mieux.

Adéis acquiesça vivement, tout heureux de pouvoir faire plaisir à la gentille dame de la boutique et décida d’aller essayer ce costume qui s’avéra mieux qu’espéré et puis Grâce avait bien raison pour ce qui était de la couleur. D’ailleurs il se demandait bien pourquoi elle rougissait alors qu’il venait de s’incliner.

— Tout le plaisir est pour moi, répondit-il d’un signe de la tête.

Le seul problème de cette couleur c’est qu’en hiver ce n’était pas très discret pour se cacher. Il aurait pu prendre du blanc comme oncle Alduis, mais c’était trop difficile à garder propre. Alors après réflexion, il opta pour du marron. En plus Maman semblait ravie de refaire sa garde-robe et n’était pas disposée à palabrer sur le sujet ! Grâce disait que sa maman faisait de jolies de choses, alors Adéis resta pensif un instant avant de déclarer :

— Ma maman déteste la broderie. Mais ma tante fait de jolies. Un jour elle a brodé Neptune sur son char.

Bérénice se racla discrètement la gorge. Oui, bon… elle n’aimait pas cela c’est vrai, mais ce n’était pas la peine de le crier sur tous les toits non plus… heureusement qu’il n’avait pas avoué qu’elle préférait l’escrime… Oh mieux valait sans doute répondre à la couturière avant que l’idée ne germe dans son esprit, cela valait mieux.

— Hmmm pourquoi ne pas partir sur ce velours olive pour l’un et… sur ce marron aux reflets dorés pour l’autre ? Ce tissu est absolument charmant je dois dire…

Le petit Adéis était vraiment adorable. Ce serait amusant qu’il arrive un jour avec des fleurs, même si elle serait sans doute plus à propos pour sa fille que pour elle. Grâce était toujours aussi souriante, le rose encore un peu aux joues.

- Tu es gentil…

Irène laissa la mère et le fils se consulter avant de déchanter quelque peu.

- Oh… Dans ce cas, nous laisserons de côté les broderies, ce n’est pas grave. Et ta tante a l’air très douée, ça devait être une jolie broderie !

Elle pouvait comprendre que cela ne passionne pas non plus, elle avait été réticente à s’y mettre également quand elle était jeune… Ses tantes avaient un peu peiné à l’y intéresser, avant de lui montrer les merveilles qu’on pouvait faire naître sous ses doigts grâce à cela.

Elle hocha la tête à la proposition de Bérénice.

- Je suis ravie qu’il vous plaise, j’ajoute donc cela à votre commande.

Soucieuse d’aider sa maman, Grâce l’aida à décrocher les deux costumes puis alla les poser sur le comptoir. Irène la laissa faire et resta un moment près de ses deux clients.

- Y aurait-il autre chose pour vous faire plaisir ?  

Bérénice observa un brin attendri le petit manège entre Grâce et Adéis puis vint l’heure de passer commande. Elle se pinça discrètement les lèvres à la mention de la broderie. C’est vrai, elle avait horreur de cela et trouvait le temps atrocement long. Non, vraiment elle laissait cela à d’autres comme Layla par exemple qui se débrouillait bien mieux qu’elle ne le pourrait jamais.

— Oh non, vous pouvez ajouter des broderies – mais guère trop chargées, je vous prie – je laisse ce détail à votre bon goût. Ce que disait mon fils était simplement que je n’excelle point dans ce passe-temps.

Elle suivit du regard la petite déposer les costumes choisis sur le comptoir. Sentant que la fin était proche Adéis se tenait tranquille. C’est qu’il ne s’agissait pas de prolonger le supplice quelques minutes supplémentaires ! Bon d’accord, c’est vrai que ça n’avait pas été si désagréable, mais quand même ! Il avait hâte de rentrer à Fromart pour boire un chocolat chaud aux épices.

— Ma foi, je pense que nous avons tout. Prenez votre temps pour les costumes, il n’y a aucune urgence.

Bérénice s’occupa des dernières formalités puis il fut enfin l’heure pour eux de rentrer au domaine. À sa suite, Adéis salua d’un « Madame, Mademoiselle » après s’être incliné. Il en avait déjà l’eau à la bouche de cette tasse fumante !