1577 - 1597 ¤ La Pique et le Papillon
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1577 - 1597 ¤ La Pique et le Papillon
Chapitre I
Engagez-vous !
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Au cœur de la place du village on faisait battre tambour. Juché sur une estrade, le sergent recruteur attirait les regards dans son pourpoint d’un rouge rugissant. Autour de lui se rassemblaient hommes et femmes qui venaient de quitter leur ouvrage, le temps de lui prêter oreille. Sous un soleil gris, humide, au milieu des épais habits d’hiver et des vieux châles entre les plis desquels jouait le souffle de l’hiver, le militaire de passage faisait glorieuse tache de couleur avec son attirail. Uniforme fauve. Épée au côté, le long de laquelle coulait un peu de lumière. Et puis sa voix cognante prit le relais du tambour, et puis ses avant-bras épais comme des tonneaux s’ouvraient ou se levaient à mesure des crescendos et accalmies de son discours. Derrière lui, le vent gonflait telle une voile – chargée de bien des promesses d’aventure – un drapeau frappé des armoiries de Sa Majesté Gérald Der Ragascorn. Le blanc de sa piété, le doré de son pouvoir. La croix et le lion. L’emblème ne pouvait qu’attirer les regards de la gent du bourg. Et le sergent de clamer :
— Chers villageois ! Chers sujets ! Aujourd’hui, notre jeune roi a besoin de vous ! Oui, chacun d’entre vous peut contribuer à faire de Monbrina un rêve ! En trois années sur le trône, notre très aimé monarque a su commencer de réparer les injustices subies par notre peuple. Les errances du faible Clément II ne seront bientôt plus qu’un lointain fantôme. Notre bonne patrie, et en elle chacun de ses enfants, sait se redresser… ce n’est que le début d’une gloire d’antan à reconquérir !
La joyeuse bande adolescente que formaient Édouard et ses amis venait de rejoindre l’attroupement. Leurs bras agiles et les pas impatients de leurs quinze ans s’étaient ouvert un passage jusqu’aux premiers rangs, où ils se mêlèrent au motif des campagnards tout ouïe. Édouard essuya ses longues mains encore brunies par la glaise des pots qu’il moulait au touret, dans le petit atelier paternel. Entre deux blagues et rires échangés avec ses comparses qui ne perdaient jamais une occasion de se chambrer – à grands renforts d’accolades, de bras aux épaules, d’énergiques savons qui vous décoiffaient – ils avaient vite pris le parti de se taire pour suivre le discours. Gérald Der Ragascorn, oh Édouard ne le connaissait que de nom… Ou au mieux des esquisses sur les affiches bon-marché collées dans les campagnes pour de grandes annonces. Visage droit et décidé taillé à la serpe. Grand regard fixe qui vous appelait à participer au renouveau qu’était son règne. Ni le garçon, ni sa famille ni ses camarades ne savaient trop ce qu’il en était de son « renouveau » – après tout ils n’y connaissaient pas grand chose, travailleurs ruraux qu’ils étaient, recevant de l’actualité ce que les sermons leur en donnait – mais ils ne pouvaient nier que c’était mieux que sous Clément II. Un peu moins d’impôts pour réparer ce que ce précédent roi avait eu de bonnes intention n’ayant jamais vraiment abouti. Il se racontait que le nouveau dirigeant nourrissait de vastes projets grâce auxquels le peuple de Monbrina aurait beaucoup moins à payer de son labeur.
— Mais cette gloire, Gérald Der Ragascorn ne la destine pas qu’au bon peuple de Monbrina. Amis ! C’est aux frontières que nous allons porter le prestige de notre civilisation. Avec votre concours, tout le continent, réuni sous une même bannière, pourra devenir un Empire vibrant d’un même cœur, jouissant d’une même culture, unifiée dans un même idéal supérieur quand notre peuple aura pacifié tant de terres voisines qui méritent de l’être. Les terres de Hô-Yo font remous non loin de nous… Tout désordre au voisinage est menace ! Ne les laissons pas contaminer le bonheur monbrinien si chèrement reconquis, allons plutôt, aux chants martiaux qui font battre nos cœurs, les civiliser. Les rallier à la noble cause de Notre Majesté ! Celle d’une puissance unificatrice dont l’Histoire parlera longtemps ! Chacun d’entre nous est appelé à construire cet idéal !
De premiers applaudissements s’envolèrent de l’assistance. De ses yeux papillonnants, Édouard suivit les bouches souriantes qui échangeaient d’enthousiastes paroles, les mains battantes, les sifflets de contentement alors que les commis du recruteur distribuaient du vin épicé à bon train. Le roi offrait sa tournée générale ! Autour de lui ça trinqua, ça se flatta d’être les prochains héros aux noms immortalisés sur les monuments qui allaient fleurir. La guerre ne parlait pas plus que cela à l’adolescent, mais dans l’émulation générale il saisit aussi un verre et accompagna ses amis dans les chaleurs de l’alcool et les chansons de rêves chevaleresques. Est-ce que c’était vrai qu’il fallait aider les voisins à évoluer ? Les civiliser ? Il fallait croire les Grands. Eux, ils savaient. C’était leur travail, de savoir et bien guider. Chacun le sien. Lui, ce serait de mouler de solides – et si possible jolies choses – de ses doigts fins dans la glaise. Bon, pour le moment, le recruteur achevait :
— Car oui, Monbina entre en guerre ! Mesdames, vos mains peuvent contribuer à l’effort national pendant que vos hommes serviront au champ d’honneur. Tout effort compte. Vos faux aux champs, vos aiguilles pour les habits de nos soldats. Vos prières, votre patience. Et vous Messieurs, jeunes et plus mûrs, frères ! Vous serez les mains de la victoire, les vivants membres du corps glorieux ! Sa Majesté Der Ragascorn et son Ministre le seigneur de Fromart vous disent déjà par ma voix toute leur reconnaissance pour votre engagement à leurs côtés ! Vous rentrerez au pays avec mille rilchs… mille rilchs de récompense à chacun en plus de votre solde, mais surtout – car l’argent n’est rien à côté des légendes – avec la richesse de tant d’aventures et de voyages ! Avec la fierté de pouvoir dire « j’y étais », « j’ai participé » quand le temps aura accouché du Saint Empire !
Les promesses de pièces sonnantes gagnèrent peu à peu les cœurs. Elles tintèrent au creux des esprits. Le soir même, alors que c’était fête au village prévue de longue date, les danses devinrent l’intemporelle ronde à l’appel de Veau d’Or. Tentations de force, d’épées et de grandeurs en cet an 1577. Pour les plus fiers, envie d’un nom gravé dans les mémoires et au front de la pierre. Pour les autres, la perspective d’une jolie somme qui aiderait à ériger un foyer une fois rentré de la guerre.
Au son de la flûte et du sistre, on allait, on buvait autour des tables. Déjà, le recruteur prenait de premiers noms : ceux des fougueux venus le trouver pour promettre leur engagements et allonger chacun sa liste d’une ligne supplémentaire. Si les inquiets restaient à part, en compagnie de ceux qui regardaient la comédie humaine d’un œil méfiant, bien des futurs engagés papillonnaient à se sentir soldats. Monbrina était fort. Oh il y aurait des blessures… mais le jeu en valait le risque ! Et puis, toutes les nouvelles recrues allaient d’abord bénéficier de plusieurs mois d’entraînement en caserne avant que d’aller rejoindre leurs devanciers déjà aux frontières. Ils sauraient se battre ! Du reste, le sergent rassurait les uns et les autres quant à de bonnes compensations à qui reviendrait meurtri.
Inès raccompagna Édouard à sa tablée après une saltarelle sur la piste de danse. La bande fit bon accueil à la jeunette. Guilhem et Duro trinquèrent pour elle. Roy se lança à faire deviner des expressions par mimes, en duo avec Édouard. Il aimait plaisanter, Édouard, faire sourire. Oh, lui-même aimait sourire. Sourire pour les filles, mais pas que… Faire voler une partition légère à chaque fois que le quotidien le permettait un peu. Souvent, il valait mieux jouer… Inès revint nouer ses bras à son cou. Elle lui ébouriffa sa tignasse châtain pour le ramener à la conversation alors que Roy le pressait :
— B’en alors Ed’, t’as pas répondu, et toi ?
— Tu vois bien que c’est l’Inès qui lui tournait la tête, pardi !
— Moi ? À la guerre d’Hô-Yo avec vous ? se raccrocha-t-il très vite à la conversation.
— Hé ouais ! Tous les quatre ! Ce s’rait-y pas beau ! Comme on a toujours fait ensemble !
— Inséparables ! renchérit Duro. On fera un malheur et on se serrera toujours les coudes !
— Mais y a le travail à l’atelier, le ‘Pa qui se fait plus très en forme et…
— Roh ! Allez, Ed’ ! Tu le retrouveras bien vite le ‘Pa, y paraît qu’elle sera brève cette guerre.
— Et puis on y va tous ! Pour Monbrina ! T’es un gars fort toi aussi ou bien ?
— Moi j’t’attendrai, sourit Inès. Et puis tu verras du pays ! Tu pourras m’raconter Hô-Yo. J’prierai pour toi ! Tu reviendras ! Et mille rilchs c’est pas rien.
— C’est pas rien, sûr. Avec on se fera les plus belles épousailles ! accepta Édouard à demi-mots, ses grands yeux verts allumés par l’alcool, par les promesses de voyages et de complicité avec ses amis de toujours qu’il ne pouvait pas ne pas accompagner vers la grandeur d’un futur Empire.
— À la bonne heure ! s’enjoua Duro. Qu’y tremblent de toute leur couenne les sauvages, on m’appellera Cogneur !
Debout, de toute sa massive stature qui lui valait bien des regards d’envie ou d’admiratrices, Duro rejeta sa crinière blonde en arrière. Il simula déjà quelques gestes de frappe : il avait toujours aimé épater avec des armes de fortune. Il était loin d’être mauvais et en manierait bientôt une vraie. On l’applaudit. On frappa les tables. Près de lui, Guilhem bomba le torse et enchaîna :
— Alors moi, on m’appellera… Taureau ! Je suis rapide et j’ai le sabot d’acier !
— Moi, qu'on me nomme Foudre, tonna Roy après un énième verre. Feu ! Venez, on va s’inscrire !
— Hm… Dans ce cas je serai…
Songeur, Édouard eut la voix en suspend. Lui, il était la grande perche, loin de posséder les beaux muscles de Duro ou la résistance trapue de Guilhem, fièrement enracinée comme un roc en sa terre. Agile, élancé, c’était avec un très long pieu qu’enfant déjà, il jouait au combat avec ses pairs. Le planter au sol, bondir, faire une voltige et attaquer d’un coup tracé comme un battement d’aile.
— Papillon ! le charria Inès dans un franc rire qui fut suivi de bon cœur, y compris et surtout par le principal intéressé.
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Chapitre II
La Morsure
La Morsure
Papillon… Franchement ! souriait Édouard, amusé et rêveur. Le surnom donné par sa bien-aimée était parti pour lui rester, au camp d’entraînement, colporté par les amis taquins. Est-ce qu’on pouvait avoir l’air crédible avec ça à l’armée ? En vérité et pour parler sérieusement, oui. Cela avait fini par faire l’objet de récurrentes blagues entre les nouvelles recrues, au même titre que plusieurs autres étaient bientôt rebaptisées le Bouillon, la Cagne, le Pacha au gré des mésaventures de début de séjour d’un tel ou un tel. Se chambrer faisait partie du jeu et l’on s’y adonnait volontiers, entre deux courses à pied sous la pluie, corvée de latrines, pompes matinales et autres rituels initiatiques auxquels se conformèrent bientôt les corps des jeunes gens. Oh ce ne fut pas facile au début. En témoignaient le vomi stagnant à certains arrières des bâtiments, le lit gardé par certains conscrits et les pansements qui faisaient suite à un bonne grosse plaie due à un exercice poussé au-delà des limites.
Édouard n’avait pas fait le fier à dégueuler ses tripes à la première excursion en milieu hostile, chargés des armes et tout le barda. Sans compter un des caporaux qui gueulait et cognait, ça, il fallait croire que c’était obligatoire – le folklore. Le jeu, comme aimait se dire l’adolescent en cette situation autant qu’en bien d’autres. Prendre la chose ainsi. Et il n’était pas le seul : entre camarades le soir sous la tente, à table, ou à la toilette – où en vérité ça puait toujours autant même après le lavage à l’arrache – les soldats novices plaisantaient de tout et rien. Ça râlait, ça parlait filles, ça critiquait la bouffe – autre folklore. Mais au fond de leur cœur et derrière la gouaille de mauvais garçons, ils se sentaient chaque jour plus unis, plus forts, plus grandis par l’entraînement rigoureux. Le grisant sentiment qu’ensemble, tous ensemble, ils allaient travailler à quelque chose qui les dépassait. Les transcendait. Et servirait le peuple de Monbrina autant que la beauté du continent entier, tant vantée par le roi et son Ministre des Affaires étrangères.
— Allez bande de glands mous ! Duel suivant ! aboya le caporal avant d’avancer lentement le long des soldats en ligne pour faire son choix : Toi, la hache ! Et toi là, la pique ! Remuez-vous !
— Bon b’en… merde, Papillon.
— Merde à toi, Foudre.
Poignée amicale. Puis il fallut se battre. Comme presque tous les jours maintenant que les entraînements touchaient à leur fin. Les différentes armes étaient maîtrisées – du moins, assez pour un envoi aux premières lignes. Chacun avait travaillé son domaine de prédilection et désormais, les adjudants mélangeaient les différents corps : bientôt, sur le champ de bataille, une fois passées les premières manœuvres rangées, dans les mêlées une épée pouvait affronter une pique, un cavalier se trouver sur la route d’un fléau, un archer au milieu de lances. Finies les copineries, dès ces duels. Car outre les dernières mises en jambe dans le maniement des armes respectives, ils avaient pour but la dernière et plus dure des leçon : s’endormir le cœur. Frapper la cible en face. Ou la capturer.
oOo
Les steppes de Hô-Yo s’étiraient à perte de vue, plates et ocres comme la peau d’un vieux tambour. Ça martelait sans cesse dessus, au rythme des chevaux qui soulevaient la poussière dans leur macabre sillage. Sous son casque poisseux, Édouard regardait l’infini cendré où poussaient de toutes parts les silhouettes ennemies. Ils y étaient. Depuis des semaines. Progressant en pays hostile, alternant batailles rangées au cœur de champs parsemés de végétation asséchée… et traversées de villages qui ne devaient plus exister dans la suite des Monbriniens. Les charognards et les mouches venaient au festin sur le sang encore chaud, une fois un affrontement achevé à tel point de leur avancée, et d’ici au suivant. Édouard n’arrivait pas à ne plus penser qu’aux entrailles des hommes et des bêtes entremêlées au sol, à la merde et aux boyaux mélangés au fluides des morts qui une fois en charpie se ressemblaient trop : on ne savait plus qui était de quel camp. Il paraissait qu’il fallait progresser jusqu’à Uttah, capitale à prendre. Et que de là commencerait le processus de pacification. On leur rabâchait que la guerre n’était qu’étape nécessaire. Édouard et ses amis voulaient croire encore. Se dédire reviendrait à reconnaître avoir fait pour rien tout ce qu’ils avaient accompli jusque là. Non. C’était ainsi. Ils serviraient. À chaque nouvelle bataille qui égrenait leur chemin, ils donnaient tout, raclaient leurs ultimes forces au plus profond de leur chair, de leurs tripes, de leur crâne qui ne pensait plus mais se contentait de suivre la mécanique. D’agir. Charger. Frapper. Tantôt on tirait des flèches enflammées, tantôt on y allait en charges de piques ou de cavaleries, quand d’autre fois le lâcher de gigantesques ballots enflammés prenaient le relai. Et puis, c’était la mêlée. Là où seul survivre comptait. Abattre pour ne pas mourir. Édouard avait arrêté de compter ses tués.
Mais l’autre partie de sa mission, décidément non, il ne s’y faisait pas. Brûler des villages. Piller. Tuer des civiles. C’étaient les ordres. Putain. De merde. Édouard avait pensé qu’ils allaient se battre, juste se battre. Entre soldats, à la loyale ou à peu près… Et il se trouvait immensément con maintenant. Avec ses amis, ils obéissaient : le général avait prévenu, gare à ceux qui restaient en retrait ! Les soldats surpris à ne pas participer au sac seraient tirés comme des lapins sans préavis.
— Avale ça, gamin, l’interpella un aîné alors qu’allait commencer le sac de leur nouveau village cible. Il lui tendit une drôle de poudre, à gober direct. La main blessée d’Édouard s’en saisit.
— Qu’est-ce que c’est ?
— T’occupe. Avale et tu galéreras moins, reprit l’autre, aux yeux défoncés.
Hésitation. Puis sur un « Merci. » l’adolescent ingéra la substance. Et ça allait commencer. Et très vite il se sentit dopé d’une énergie cherchant frénétiquement quelque chose à faire. La violence aux membres, et dans les veinules des yeux. Et dans le cœur qui frappait au galop ! C’était vague autour de lui. Édouard ne voyait pas très bien ni où il allait, ni les visages des civils croisés sur son chemin – quelque part c’était tant mieux. Plus pratique pour taper. L’état agentique lui bouchait les oreilles. Il avançait et faisait sans penser. Et ses amis aussi, dans les environs avec leurs torches.
Autour de la grappe de gamins, des soldats plus expérimentés officiaient avec moins de difficultés. Ils gueulaient. Force de l’habitude. Quelques-uns, rares, prenaient même plaisir. Il y avait des femmes qu’ils se prenaient. Le lever du soleil empourprait l'horizon. Les uns à pied, les autres sur les chevaux hennissant, les soldats de Monbrina s’abattirent comme un essaim sur les maisonnettes bientôt en proie aux flammes. Les piques transperçaient les paysans en pleine course folle. Certains étaient apathiques, avalés par la cohue et bientôt en proie aux épées. Un temps, Édouard regarda en direction du lieutenant juché sur sa monture à la charge, brandissait un drapeau marqué des initiales de Der Ragascorn. Et ça reprit. Ballotté, suant, en course folle avec ses compagnons ils entamèrent le pillage. Ça hurlait dans ses veines. Marteaux à ses tempes.
Rien ne survivait à leur passage. Ni les clôtures, ni les cultures ravagées sous les sabots des montures ou les torches rougeoyantes. Ni les bâtisses, lapidées de grenades enflammées. Pas même les hommes tenaillés. On s'essoufflait. On s'écorchait les poumons. Les masures étaient léchées par les flammes. Au milieu, les premiers corps inertes baignant dans leur sang, les Monbriniens emportant les provisions. Les oreilles d’Édouard bourdonnant aux explosions et aux cris stridents des lames, couverts par les victimes hurlantes. Ses tympans vrillés les rendaient à moitié fou. Il haletait, le visage rouge, prêt à sauter comme les grenades ici et là. Son immense lance dansait dans des mouvements devenus mécaniques, pour transpercer quiconque approchait un peu trop dangereusement. Et puis une voix pas loin de lui. Son chef qui pointait des paysans entassés :
— Hé la pique, ramène-toi ! Renfort à la garde des prisonniers !
Édouard obéit. Marcha mécaniquement, pas vraiment dans son corps maintenant qu’il avait quasi tout donné dans l’assaut. Il se reprit, carra les épaules, redressa son arme : quatre autres types étaient là avec leurs lances autour des loqueteux. Il tiendrait lui aussi son rôle, impassible, à tourner autour des futurs esclaves. Bien mort, le papillon. Il était un frelon équipé d’un interminable dard.
oOo
Une nouvelle bataille. Édouard prit une longue inspiration. Autour de lui un trop long silence, mauvais silence, fit soudain place à un vacarme des Enfers. Ce n’était pas seulement le galop fou des chevaux ni le hurlement des ennemis : ils avaient cette fois des bombes. Beaucoup de bombes ! Il fallait dire qu’on se rapprochait de la capitale. Ça sortait les meilleures armes en face ! Mais qu’importait la terre qui volait en éclats de toutes partes, il fallait y aller. Contre l’ennemi, les uns à pied, les autres plus loin et portant hallebardes. Ses camarades fusaient avec lui, armes brandies.
Un ennemi au corps à corps. Édouard bondit, pointa, empala. À ses oreilles chuinta le gargouillis sorti de la mâchoire qu’il venait de transpercer de sa pique. Giclée de sang chaud. Le visage peinturluré, il continua droit devant lui. Son immense lance fendait l’air et les chairs. Les épées de ses alliés tranchaient les tendons. Un allié tomba à sa gauche, gorge ouverte. Il hurla, mais continua son avancée encore et encore. Les bombes ne s’arrêtaient pas, éclaboussant chacun de poisse, de sang et de gravats. Édouard et ses amis zigzaguaient entre les explosions.
Soudain, un soulèvement de terre. Assourdissant. Énième éclat de bombe. Édouard se trouva projeté en arrière. À rouler sans rien comprendre pour s’écraser plus loin – il ne vit même pas où ! – juste à côté d’un autre soldat agonisant qui poussait son dernier râle de terreur en battant des membres en tous sens. L’adolescent… ne pouvait plus bouger ! Une douleur lui prenait le crâne. Un feu, de plus en plus fort. Immense, dévorant. Bordel ! Qu’est-ce qui venait de lui arriver ? Il n’arrivait même pas à remuer d’un pouce, encore moins à se voir. Il comprenait seulement, du peu de conscience que la souffrance lui laissait, qu’il y avait quelque chose de pas normal au niveau de sa tête… L’impression qu’une gigantesque gueule mordait le bas de son visage. Qu’une mâchoire monstrueuse, avec la cisaille de sa centaine de dents, mordait jusqu’à l’os dans la sienne. Il hurlait mais ne s’entendait pas. Ne comprenait pas. Il ne pouvait pas penser, il n’était que douleur. Mêlée de sang et de vomi à glouglouter dans sa gorge. Recracher ? Sa langue… Pour ça il fallait remuer sa langue. Pourquoi il ne la sentait plus ? Nom de Dieu, pourquoi avait-il la sensation qu’elle n’était plus là ? La morsure d’une dizaine de crocs à l’assaut redoubla. Édouard perdit connaissance.
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