[22 décembre 1597] À peine arrivée, déjà perdue [terminé]

Braktenn. La capitale. La ville du palais royal. Voilà qu’ils y vivaient désormais ! Il y avait tant à découvrir !

Leurs voitures étaient arrivées en tout début d’après-midi et les deux époux avaient pu déjeuner dans leur nouvelle demeure, un repas simple mais revigorant. Ils avaient ensuite supervisé l’installation des affaires principales et Marie s’était empressée de le faire – sans toutefois y mettre moins de soin – afin de pouvoir sortir en ville avant la nuit. Hector avait été adorable là-dessus, comme toujours, et avait laissé Marie sortir seule tandis qu’il s’occupait des papiers. La jeune comtesse avait alors enfilé son manteau et était sortie, radieuse, deux objectifs bien en tête : découvrir la ville et, surtout, celui qui la rendait si impatiente, trouver le magasin de son amie Irène. Il était en effet hors de question qu’elle n’aille pas se présenter à son amie au plus vite, surtout que celle-ci avait même peut-être déjà son nouveau petit trésor pour égayer ses journées ! Penser à lui – ou elle – en sortant lui fit regarder un instant en arrière et porter instinctivement la main à son ventre, sous son manteau. Peut-être que dans ce nouvel environnement, la Fortune leur sourira davantage de ce côté ? Elle ne s’attarda pas sur cette pensée, préférant rester joyeuse : elle allait revoir Irène !

En toute logique, Marie commença ses investigations par la place du marché : la plupart des commerçants y étaient sûrement ! Elle s’engagea alors dans les rues alentour, à la recherche de l’enseigne de son amie. Elle prit des virages, traversa des carrefours, prenant bien garde où elle mettait les pieds et évitant autant que possibles les plus petites rues, peu rassurantes.

Au bout de quelques temps à chercher dans les ruelles, elle tut bien admettre qu’elle était perdue. Il le lui restait plus qu’à lever la tête en espérant repérer un monument distinctif, vers lequel elle pourrait aller pour au moins retrouver le marché…

Elle aurait dû faire un plan dans sa tête, ou repérer des points remarquables… Elle regardait autour d’elle, cherchant à se rappeler son chemin, quand soudain…

« Bonjour, Madame ! »

Marie sursauta. Elle baissa aussitôt les yeux et découvrit une petite fille. Oh, elle devait bien avoir trois ou quatre ans… cinq, même, peut-être. En tout cas, elle était absolument adorable, avec sa couronne de cheveux, rayons du soleil de son visage. Un sourire attendri étira les lèvres de la jeune comtesse en écoutant la jeune enfant. Elle acquiesça, enchantée.

« Bonjour jeune fille ! En effet, je me suis égarée, malheureusement… »

Elle releva la tête vers celui qui semblait être le père de cette petite et hocha de nouveau la tête.

« Ce serait très gentil à vous. Je cherchais à rejoindre au moins le marché, pour pouvoir trouver ma destination à partir de là… »

Elle fut de nouveau charmée par les propos de la petite fille et en rosit.

« C’est très gentil à toi. Et je suis d’accord, ta robe est très jolie ! La couturière qui l’a réalisée est très douée de ses mains ! »

Ce serait amusant que ce soit justement Irène ! Amusant mais fort improbable, bien sûr : la ville était si grande, il devait y avoir beaucoup de couturières pour faire de jolies robes aux petites filles…

L’air contrit de la petite attrista Marie. Il ne fallait pas qu’elle s’inquiète, ce n’était pas grave… Elle prit le parti de sourire, ce qui rassura aussitôt la petite. Pari gagné ! La jeune comtesse s’illumina davantage en apprenant qu’ils étaient proches du marché. Elle qui croyait être bien davantage perdue ! Elle fut tout à fait attendrie par la posture de la jeune enfant et hocha vaillamment la tête.

« Bien, Mademoiselle, je te suis ! »

Elle pinça un pli de sa robe pour s’exécuter, sans risquer de tomber, et écouta avec attention la conversation de la jeune fille, aussi sautillante que son pas et parfaitement adorable.

« C’est tout à fait charmant, je suis très contente pour toi, surtout que ce bracelet est très beau ! Tu fais donc de la sculpture ? »

Une pensée amusante lui vint. Une couturière avec une gentille petite fille de l’âge de celle-ci… Ce serait trop beau mais pas impossible, au fond…

« Et dis-moi, cette gentille fille, s’appellerait-elle Grâce, par le plus pur des hasards ? »

La réaction de la jeune fille surprit Marie. Avait-elle dit une bêtise ? Elle leva également les yeux vers son père et vit son sourire. Pourquoi donc ? Mais la petite revenait vers elle avec une adorable moue. La jeune comtesse s’illumina à la réponse. C’était donc pour cela ! Finalement, ce serait encore plus facile de retrouver Irène ! Mais qu’elle ne s’emporte pas, c’était peut-être à nouveau une coïncidence. Elle serait troublante mais tout de même possible.

La petite voix de Jacinthe sortit Marie de ses pensées. Comment elle avait deviné ? Un heureux hasard, sans plus… Mais elle réfléchissait toujours. Marie allait répondre quand arriva la question d’après. Toute voix abandonna Marie un instant. C’était si… si… si adorable ! La jeune femme en fut tout émue mais, en même temps, elle se voyait mal lui mentir, ce serait cruel parce qu’elle découvrirait un jour la vérité… Sans se départir de son sourire tendre, elle regarda alors autour d’elle, comme pour vérifier qu’on ne les entende pas, et se pencha un peu, sa main protégeant sa bouche.

« Presque : je suis comtesse ! »
Elle se redressa, une fois son « secret » dévoilé, en souriant joyeusement.
« Je suis également amie avec la mère de ton amie et c’étaient justement elles que j’allais voir ! »

Le regard pétillant du jeune soleil enchanta la jeune comtesse. Elle aimait illuminer le regard des enfants ainsi et les rendre heureux. Peut-être qu’un jour, elle le pourrait avec les siens ? Elle chassa bien vite cette pensée, sachant très bien quel enchaînement, quelle cascade d’idées elle allait engendrer.

La jeune enfant lui demanda donc si elle était une princesse et Marie lui révéla la vérité, craignant de la décevoir. Sa peur fut toutefois balayée par l’entrain grandissant de son interlocutrice, qui fit rire la jeune femme.

« Désormais, c’est chose faite ! »

Elle fut tout émue par l’adorable révérence et la rendit doucement, le visage illuminé de joie et les joues rosie.

« Ta révérence est très élégante ! »

Certes, elle manquait un peu d’entraînement pour atteindre la « perfection » demandée à la cour mais pour Marie, elle était vraiment parfaite, pour la bonne et simple raison qu’elle était sincère. Elle préférait de loin une telle révérence qu’une autre faite avec ostentation, sourire mielleux et couteau dans le dos.
Elle évoqua alors Irène et acquiesça à l’entrain de la fillette.

« En effet, je l’ai déjà rencontrée et je suis d’accord avec toi : elle est très gentille ! »
À sa proposition, elle releva les yeux vers le père de la jeune fille.
« J’en serais ravie mais je ne voudrais pas non plus rallonger votre chemin… Je vous ai déjà sans doute fait faire un immense détour pour arriver ici… »

Chaque mot, geste et réaction de cette petite la rendait plus adorable de seconde en seconde !

« Et tu as été très bonne élève ! »

Sa mère devait être fière d’elle ! Quoique le fait qu’elle ne soit venue qu’avec son père… Mais peut-être sa mère était toujours au pays, ou autre chose, elle ne pouvait rien déduire d’une simple impression.

Elle eut alors l’espoir de revoir son amie Irène, ainsi que ses enfants. Comble de la joie, l’homme accepta de l’y guider. Elle avait décidément beaucoup de chance !

« C’est extrêmement gentil à vous, merci beaucoup ! »

Elle sourit en regardant la jeune fille passer devant et écouta avec intérêt les paroles de son père. Il cherchait du travail ? Voilà qui était intéressant ! Il faudrait naturellement en parler à Hector, elle ne prendrait pas cette décision toute seule, sans l’en informer et avoir son avis, mais elle pouvait toujours proposer l’idée.

« Je vois… Mon époux et moi-même sommes arrivés en ville aujourd’hui donc je n’ai pas entendu grand-chose à ce sujet. Toutefois, figurez-vous que nous pensions engager quelques personnes dans notre demeure en ville. Avez-vous des compétences particulières, lettrées, artisanales ou pratiques ? Peut-être pourrions trouver un accord ? Il faudra toutefois que j’en parle avec mon mari si vous êtes d’accord, bien entendu. »

Tout en gardant par réflexe un œil sur leur chemin pour s’en rappeler et pour sourire à la jeune enfant, Marie écouta la réponse de son interlocuteur, songeuse. Il ne pourrait pas être secrétaire, donc, mais ils en avaient de toute manière déjà un. De nombreuses compétences, en réparation, en artisanat… voilà qui était fort intéressant ! Alors qu’elle réfléchissait, hochant la tête de temps en temps, elle releva la tête en souriant au commentaire de Jacinthe, attendrie, et prit le petit renard qu’elle lui tendait pour l’observer.

« En effet, il est magnifique ! Vous êtes effectivement très doué, Monsieur ! »

La voix hésitante de la petite fille la fit sourire tendrement et elle posa une main sur son épaule.

« Je ne peux rien promettre parce qu’il faut que j’en parle à mon mari. »
Elle releva la tête vers le père de la petite, avec un sourire enchanté.
« Je pense que nous pourrons vous trouver une place chez nous. Il faudra naturellement que j’en parle au comte mon mari mais accepteriez-vous un poste d’homme à tout faire ? Naturellement, vous seriez nourri, logé et blanchi, de même que votre fille ! »

La petite Jacinthe semblait enchantée. Voilà qui réjouit le cœur de Marie. La réponse de son père lui fit aussi très plaisir. C’était parfait ! Elle vit un instant se ternir l’éclat du regard de son interlocuteur mais ne releva pas. Elle avait dû rêver. Elle hocha donc la tête sans dissimuler sa joie.

« Voilà qui est merveilleux ! J’en parlerai à mon mari en rentrant et je vous ferai savoir sa réponse dans quelques jours, voire une petite semaine, sans doute. Puis-je savoir où vous logez en ville ? »

Ils s’arrêtèrent alors devant une boutique, la Rose Azùl. Malheureusement, elle était fermée. Marie déchanta un instant. Elle aurait cru pouvoir retrouver son amie dès son arrivée. Tant pis, ce serait pour une autre fois… Elle se reprit en croisant le regard du jeune homme et sourit pour le rassurer.

« Ce ne sera donc pas pour aujourd’hui… Mais désormais, je sais où aller et je ne manquerai pas de revenir ou d’écrire. Je vous suis extrêmement reconnaissante de m’avoir guidée et j’imagine que je ne vais pas vous retenir plus longtemps, vous deviez sans doute avoir des choses à faire avant mon arrivée… »

Elle sourit également à la petite Jacinthe. Ç’avait été une belle rencontre !