[8 janvier 1598] Le hasard fait bien les choses [Terminé]

Ingrid roule des yeux, agacée. C’est la troisième fois que ses pas la ramènent sur ce marché, chaque fois par un chemin différent. Cette ville est une gigantesque fourmilière. Si l’on n’est pas familier de l’endroit, impossible de trouver son chemin. Se promener ainsi ne la dérange pas : elle n’a rien d’autre à faire, mais dans la mesure où elle a décidé de rentrer à l’auberge pour y passer le reste de la journée, elle aimerait bien y parvenir, plutôt que de tourner en rond comme un lion en cage.

Pour la troisième fois, elle déambule entre les étals, sans vraiment les regarder. Elle ne peut pas se permettre d’achat inutile, et chacun des marchants qu’elle a tenté d’interpeler lui a bien fait comprendre qu’il ne voulait pas l'aider à trouver la forge. Ici, un vannier l’a envoyé paître en riant, là un maraîcher n’a rien compris à ce qu’elle tentait d’expliquer. Elle a fini par abandonner ses recherches pour aujourd’hui. Il ne manquerait plus qu’elle se fasse remarquer parce qu’elle a très intentionnellement envoyé son poing valser dans la figure d’un commerçant, après un refus de trop. Ce n’est pas le moment de s’attirer des ennuis.

Des enfants passent à toute vitesse à côté d’elle. Eux ne doivent pas avoir froid contrairement aux adultes autour d’elle qui dansent d’un pied sur l’autre. Elle, savoure simplement la tranquillité de ce soleil bienheureux qui perce entre les nuages. Elle en aurait presque retiré son châle, si elle n’avait pas tenu à se fondre dans la masse.

Après un nouveau tour de la placette, la jeune femme s’aperçoit d’une vérité fort dérangeante. Elle a déjà emprunté toutes les rues possibles et imaginables, même ce cul de sac peu avenant. C’est décidé, le prochain qu’elle croise, elle lui demande comment se rendre à la taverne sur laquelle il y a un ours. Peu importe si elle doit accaparer son attention des heures durant, elle ne le lâchera pas d’une semelle tant qu’il n’aura pas comprit ce qu’elle lui demande.

Sa victime se manifeste assez vite, sous les traits d’un homme – tant pis, il faudra faire avec – bien bâtit avec une cicatrice sur la joue. Un peu trop bien bâtit même, si elle compare avec les brindilles qui pullulent dans cette cité. Une mâchoire carrée, forte ossature, grand, il ne ressemble pas du tout à un monbrinien. Sa stature se rapproche davantage de celle des guerriers qu’elle a pu croiser quand elle était encore à Zakros, au cours de ces affrontements meurtriers qui en auront décimé une grande partie.

Ingrid ne se laisse pas le temps de programmer une nouvelle marque et se jette presque devant l’inconnu. Elle lui laisse le temps de reprendre ses esprits puis plonge son regard dans le sien. Il a beau la dominer d’une tête, elle ne le laissera pas passer son chemin. Hors de question. S’il est suffisamment vif d’esprit, il a compris.

La jeune femme détend les muscles de ses épaules, il ne s’agirait pas d’avoir l’air agressive. Elle le salue de la main en battant des cils, comme n’importe quelle gourde le ferait devant un si bel individu. Puisque son nouveau protocole de présentation a plutôt bien fonctionné la veille avec l’aubergiste elle reproduit ses gestes à l’identique : elle se désigne du doigt, montre ensuite sa bouche qu’elle ouvre puis referme pour terminer par un haussement d’épaules désolé. Bonjour, je ne peux pas parler.

Une pause plus tard, la voilà repartie dans sa série de mimes. Il va falloir qu’elle soit très claire, ce qui promet d’être assez compliqué pour une demande aussi précise. Elle se désigne du doigt et hausse les épaules en secouant la tête de droite à gauche. Je ne sais pas… Ingrid dessine une maison avec la pointe de sa chaussure, puis trace une flèche qui part d’elle, jusqu’à cette auberge de fortune. … aller à l’auberge. Elle lève les yeux vers son guide forcé, le désigne du doigt, puis désigne la flèche, toujours en battant des cils, en bonne petite jouvencelle attendrissante. Est-ce que tu connaît le chemin ? La jeune femme termine par joindre les mains. En général les gens comprennent ce dernier geste. Sans doute parce qu’ils passent leur vie à supplier leur dieu de cette manière.

Il avait profité d’une grappe de serviteurs se rendant dans la cité pour se hisser de la carriole qui le mena droit au marché. Une occasion comme une autre de faire cette boucle qui avait lâché sur l’une des sangles ventrales. Qui plus est, Eldred appréciait toujours de se rendre entre les étales afin d’y surprendre quelques bribes de conversations sur les derniers sujets d’actualités. Il faisait particulièrement beau ce jour-là et le froid sec de janvier était contrebalancé par ce doux soleil qui réchauffait son dos. Il accueillait toujours le soleil avec autant de délices en hiver. Il fallait dire qu’à Zakros , il suffisait de quelques rayons pour tout changer. Il en était là, à se perdre dans les paysages qui avaient bercé son enfance lorsqu’une jeune femme lui barra soudainement la route. Instinctivement, il porta la main à sa besace. Oh il n’avait rien de très grande valeur à l’intérieur mais cela ne l’empêcherait pas d’en protéger le contenu. Il connaissait les techniques des tire-laines au marché. Ils les avaient déjà vus à l’œuvre plusieurs fois. Ils envoyaient l’un des leurs -préférablement un enfant ou une jeune femme- faire distraction pendant qu’un autre arrivé par derrière pour dérober sa victime.

Eldred fronça les sourcils. Elle était un peu trop téméraire pour être une complice -quoique pour le questionnement qu’elle suscitait était parfaitement efficace.- Qu’est-ce qu’elle lui voulait à saluer de la main en battant des cils ainsi ? Elle n’avait pas l’air d’une catin pourtant. D’ailleurs il n’était pas intéressé et il n’avait de toute façon pas de quoi la payer alors cela régler le problème. Il la laissa donc argumenter au plutôt lui expliquer qu’elle était muette. Ceci expliquait donc cela.

— Que voulez-vous alors ? interrogea-t-il de son accent rocailleux.

Parce que malgré tout, il préférait rester sur ses gardes. Il tenta de déchiffrer son charabia gestuel. Moi… Non… Et elle dessina au sol… Quelque chose. L’ennui c’est que l’on ne voyait pas grand-chose par terre et qu’on aurait dit l’un des dessins d’Alduis. Sauf qu’il connaissait suffisamment son ami pour interpréter ses gribouillis enfantins. Là… C’était quoi ? Une maison ? Une église ? Une taverne ? Autre chose ? Elle voulait aller avec lui là-bas ? Ah c’était donc bien cela. Drôle d’idée que de racoler en étant muette. Cela devait sans doute plaire à certains hommes… Il fallait croire du moins.

— Désolé, je ne suis pas intéressé

Et il fit un pas de côté pour reprendre son chemin.

La jeune femme refuse de perdre son temps à tourner en rond. Elle refuse de revenir sans cesse sur ce maudit marché où les enfants s’agitent et où les adultes pestent contre le froid. Ils sont ridicules, comme toute cette ville d’ailleurs. Tout bonnement ridicules. Ils se plaignent de la température ? Qu’ils aillent en expérimenter d’autres bien pires, et dans un objectif diplomatique cette fois. Pas pour massacrer des populations sans raison. Qu’ils se baignent dans un lac de neige ou tentent d’allumer un feu quand la terre n’est plus qu’un souvenir sous l’épaisse couverture immaculée, avant de se lamenter sur leur sort.

Ingrid stoppe sa marche à côté d’un marchant de légumes. Rien ne sert de s’énerver, elle doit garder son calme. Elle demandera son chemin au prochain passant, il n’aura d’autre choix que de lui expliquer comment retourner à son auberge, elle suivra ses indications, et pourra se reposer en toute quiétude.

Son futur guide s’avère être bien surprenant. Rien dans son corps n’est monbrinien. Il n’est pas un de ces petits vers de terre lamentables qui frissonnent autour d’elle. Il n’a pas leur constitution de poulain à peine sortit du ventre de sa mère. Enfin, les poulains eux, se mettent aussitôt sur leurs pattes, ils ne se roulent pas par terre en attendant qu’on les relève. Ils ne viennent pas tuer les autres chevaux pour accaparer leur pâture. Pitoyable.

Rien ne sert de s’appesantir plus sur ces gens. Ils ne le méritent pas. Elle préfère se concentrer sur l’individu en face d’elle. Il sera son guide, de gré, ou de force. Son regard glisse vers sa main. Il protège ses biens ! Comme si elle avait l’air d’une voleuse. Comme si elle avait la moindre chance de s’en tirer face à une personne de sa stature, désarmée, non entraînée depuis des années, au milieu de ses insectes sans cœur. En trois jours, elle n’aura croisé presque que des froussards. Il faut croire qu’en plus d’être immoraux, les monbriniens n’ont aucun jugement logique.

Mais cet homme ne ressemble pas à l’un de ses insectes sans aucun sens de la justice. Et il n’est pas aussi stupide qu’eux visiblement, lui aussi a compris du premier coup qu’elle est muette.  Elle a bien fait de modifier sa présentation. Elle reste stoïque en entendant sa demande. Elle va lui expliquer, qu’il soit patient ! Tout en tentant de lui faire comprendre qu’elle cherche son auberge, elle repense à sa voix. Une voix qui râcle chacun des mots prononcés, une voix bien peu monbrinienne elle aussi. Un corps de guerrier - pas de petit soldat en collants, une prononciation hachée, une voix qui vient des plus hautes montagnes… il ne peut pas être zakrotien. Ce n’est pas possible. Que ferais un des siens par ici ?

« Désolé, je ne suis pas intéressé. » Ingrid lève les yeux au ciel. Elle a pensé trop vite. Il est stupide, comme tous les autres. En même temps, c’est un homme, à quoi a-t-elle bien pu penser ? Il s’écarte. Elle vient se replacer de nouveau devant lui, les mains sur les hanches. Il ne partira pas comme ça. Elle ne compte pas lui dérober sa précieuse besace, ni lui faire du mal. Il peut bien l’écouter. Plus vite il comprendra, plus vite il sera débarrassé d’elle. Ce n’est pas bien compliqué tout de même.

Elle va reprendre depuis le début. Elle se désigne du doigt, puis relève le bas de sa robe pour effacer son précédent dessin. Une fois l’espace libre, la jeune femme se baisse, puis dessine une nouvelle maison avec son doigt. Elle y ajoute une enseigne puis trace un ours juste à côté. Elle relie les deux par une flèche qui par de l’ours et termine sa course au centre de la pancarte. Elle se place sur l’auberge, et s’abreuve dans une chope imaginaire en se frottant le ventre. Elle retourne sur le terrain vierge, toujours avec une lenteur exagérée, tourne en rond, et fait mine de regarder à l’horizon, sa main placée en visière. Je suis perdue. Je cherche l’auberge avec un ours. Ingrid se tourne de nouveau vers cet étrange monbrinien. Cette fois-ci il doit comprendre. Son explication est on ne peut plus claire. Limpide même. S’il n’est pas fichu de décrypter sa petite pièce, c’est qu’il est trop benêt pour savoir ce qu’est une auberge. Elle n’aura plus qu’à trouver un autre guide.

Il avait à peine fait un pas de côté qu’elle était déjà face à lui. Ce qu’elle pouvait être têtue quand même ! Ce n’était pas parce qu’elle mettait ses mains sur les hanches d’un air autoritaire qu’il allait la suivre.

— Je vous l’ai dit, je ne suis pas intéressée et je n’ai pas d’argent de toute façon. réitéra-t-il dans un soupire.

Mais la voilà qui recommençait. Peut-être qu’il faisait fausse route après tout ? Il suivit donc les explications. Une maison. Une enseigne. Un ours. Puis elle mima. Il roula des yeux. C'était donc cela! Mais pourquoi n'avait-elle pas commencé par là tout simplement! D'ailleurs que faisait-elle ici toute seule? Alors qu'elle semblait au choix perdue ou affamée ou les deux. Les rues de Braktenn c'était dangereux pour un homme et plus encore pour une femme.

— La taverne de l’ours. taquin il ajouta On a vu meilleure publicité que cela si vous me permettez.

Ses lèvres s’ourlaient d’un petit sourire amusé lorsqu’il se permit de conclure.

— Alors qu’est-ce que vous voulez ? Vous avez faim ? Vous voulez manger ? Je vous l’ai dit je n’ai pas d’argent. Je ne suis ici que pour une mission bien précise.

Le monbrinien qui n’en est pas un s’écarte, il est vexé parce qu’il n’a pas compris ? Il n’a qu’à s’en prendre qu’à lui-même s’il a la vivacité d’esprit d’une moule en hibernation. En attendant, elle a décidé qu’il sera son guide, il n’a pas le droit de partir comme ça. La jeune femme lui bloque le passage, les mains sur les hanches, tout en tentant d’accentuer son regard sévère. Il ne bougera pas d’ici. Et le voilà qui recommence à penser qu’elle veut l’entraîner dans une combine étrange. Que quelqu’un essaye donc d’approcher de ses jupons, il apprendra ce que c’est de souffrir.

Ingrid secoue la tête. Elle ne veut pas lui vendre quoi que ce soit. Elle se lance dans une nouvelle explication silencieuse de son problème. Lorsqu’elle se tourne vers lui, il arbore un sourire taquin qui ne lui plaît guère. Au moins il a enfin fait le lien entre son dessin et la taverne. En revanche, il n’a pas le droit de se moquer. Elle fusille le jeune homme du regard. Pour qui se prend-il ? Elle ne cherche pas à faire de la publicité, simplement à se faire comprendre.

Il se lance ensuite dans une suite de propositions qu’elle décline les unes après les autres. Non elle n’a pas faim. Donc non elle ne veut pas manger. Elle s’en fiche qu’il n’ait pas d’argent, ce n’est pas ce qu’elle veut. Non elle n’a pas de mission bien précise, elle est perdue. La jeune femme répète son dernier module. Elle marche devant lui, hausse les épaules en secouant la tête, puis regarde à droite, à gauche avec sa main en visière, comme un marin qui scrute l’horizon. Ingrid termine par pointer son dessin, à moitié effacé du doigt. Je suis perdue. Je cherche l’auberge avec un ours.

A ses taquineries, son regard se voila d’une colère et d’une certaine hargne qu’il reconnaissait chez ses compatriotes. Bien loin de lui imposer la moindre retenu, il n’en était que plus enclin à l'asticoter sympathiquement.

— Vous prenez la mouche bien facilement dites-moi !

Sur ce, il lui fit plusieurs propositions, mais aucune ne semblait trouver grâce à ses yeux. Bien. Il en déduisit qu’elle cherchait son chemin ce que confirma son jeu de mimes dans la minute. Il hocha la tête.

— Je vois. L’ourse a perdu sa tanière ! Ce n’est pas loin, je vais..

Un gros balourd, pile de caisses entre les bras heurta son épaule de plein fouet. Celui-ci, il ne l’avait pas vu venir. La caisse du dessus tomba avec fracas sur le sol.

— Skítr ! grogna-t-il entre ses dents par réflexe alors qu’il se baissait pour ramasser les dégâts.

— Eh ! T’crois qu’c’est un endroit pour compter fleurette, ici p’t-êt’ ? Y’a des tavernes et des bordels, pour ça. Bouseux !

Eldred jugea préférable de faire profil bas et s’excusa, quand bien même il n’était pas en tort. Seulement voilà : la dernière chose qu’il voulait c’était bien de rameuter les agents du guet. Si on le fouillait et qu’on le découvrait en possession d’armes c’en était fini de lui. C’était les règles du jeu. Alors parfois, mieux valait mettre sa fierté de côté. Une fois l’incident clos, il se tourna vers la jeune femme muette.

— Je disais donc que j’allais vous y conduire. C’est dans une rue adjacente, nous y serons vite. Ça fait longtemps que vous êtes arrivée en ville ? interrogea-t-il pour faire la conversation. Enfin… Un genre de conversation.

Le jeune homme a deviné de quoi elle parlait, mais cela ne lui donne pas le droit de se moquer d'elle. Elle n'est pas une mouche ! Ingrid croise les bras sur sa poitrine. Ça le fait bien rire de débiter des idioties, sauf que ça ne lui sonne pas le chemin jusqu'à cette fichue taverne. Il débute ensuite une série d'hypothèses qu'elle rejette les unes après les autres, avant de recommencer sa suite de gestes.

Cette fois-ci, il semble avoir compris sa demande. En revanche, c'est elle qui ne saisit pas cette histoire de tanière. Elle a pourtant bien représenté une auberge. La jeune femme fronce les sourcils pour la forme. Au vu de son sourire, il doit s'agir d'une autre de ses plaisanteries de mauvais goût.

Ingrid lève les yeux vers son interlocuteur, pour voir quelle direction il lui indiquera, quand un des commerçants le bouscule, les bras lourdement chargés. La caisse la plus haute s'écrase sur le sol. Son guide se baisse pour aider à ramasser, tandis qu'un juron file entre ses dents. La jeune femme reste figée quelques secondes, puis s'accroupi à son tour et commence à rassembler la marchandise éparpillée, sans prêter attention aux vociférations du porteur.

Elle en est certaine, ce juron n'avait rien de monbrinien. Outre le fait qu'il s'est montré vulgaire, cet homme a parlé zakrotien, même s'il est resté discret. Les pièces du puzzle s'imbriquent parfaitement à présent. Son corps, sa voix, cette injure, le doute n'est plus permis. Il est de Zakros, comme elle.

Une fois le gros moustique disparu, Ingrid l'écoute parler d'une oreille distraite. Il est zakrotien. Ce serait une grande opportunité, ou un gros risque, de lui révéler une partie de la vérité. Elle doit rester prudente, mais avoir un allié au coeur de la ruche s'avère une idée des plus intéressante.

Ni une, ni deux, Ingrid attrape le jeune homme par le bras et le traîne dans une ruelle peu fréquentée, à l'abri des regards - et des oreilles - indiscrets.

— Tu n'aurais pas dû jurer. Tu nourris leurs idées fausses sur Zakros, le pays des barbares. Tu viens de là, pas vrai ?

La jeune femme cligne des yeux. Cela fait si longtemps qu'elle ne la plus entendue, que sa voix grésillante lui paraît étrangère. La surprise passée, elle reprend, plus tranquille.

— Je suis en ville depuis trois jours.  Elle pousse un soupir résigné. Merci de m'aider.

A peine l’homme disparu, la jeune femme l’attrapa par le bras de force pour l’entrainer dans une ruelle. Qu’est-ce qu’elle voulait encore ?! Finalement, il avait bien eu raison de se méfier, tout ceci n’avait pas de sens ! Qui se perdrait pour aller à la Taverne de l’Ours ? Celle-là même qui se trouve une rue derrière la grande place. Et maintenant, il allait tomber stupidement dans une embuscade. Quelle cervelle de troll !

— Þú hefðir ekki átt að sverja. Þú matar ranghugmyndir þeirra um Zakros, land barbaranna. Þú ert þaðan, er það ekki ?

Eldred eut un sursaut en l’entendant finalement parler d’une petite voix éraillée et surtout… En zakrotien ?! Son visage s’éclaire subitement, tout au plaisir d’entendre sa langue. Il n’était pas bien sûr de comprendre ce qu’il venait de se passer au juste. Toujours était-il qu’il était visiblement en face d’une compatriote et qu’il reposa lourdement son regard sur elle, essayant de comprendre le pourquoi du comment de ce petit manège.

— Si tu crois que ça changera quoi que ce soit ! Ils n’ont pas besoin de moi pour nous prendre pour des barbares.  

Il ne se donna même pas la peine de répondre à sa question. Elle devait déjà avoir sa réponse désormais. Ca ne lui disait pas ce qu’elle faisait perdue ici.

— Tu t’es enfuie de chez ton maitre ? Qu’est-ce que tu fais ici à Braktenn ? Pourquoi t’es pas rentrée là-bas ?  

Il acquiesça cependant à ses remerciements. Bien sûr qu’il l’aiderait, autant qu’il le pourrait tant que cela ne lui causer pas de problème. Il avait du mal à imaginer que l’on puisse venir à Braktenn de son plein gré quand on avait connu les étendues sauvages de Zakros. Enfin, elle avait sans doute une bonne raison.

Dès que l’élément perturbateur est reparti en ruminant des insultes, la jeune femme entraîne l’inconnu derrière elle. Son juron a confirmé ses soupçons à son égard : il est zakrotien et cela semble faire longtemps qu’il n’a pas entendu leur langue, comme elle. A sa répartie hargneuse, elle répond par un soupir exaspéré. Il dit vrai. En partie. Mais ça, hors de question de l’admettre.

- Ce n’est pas une raison. Je n’ai pas dit que tu générais ces idées, seulement que tu les enrichissais. Rien ne sert de les rendre plus stupides qu’ils ne le sont déjà.

En tout cas, ses certitudes sont confirmées une bonne fois pour toute. Il est zakrotien. Ingrid se mort la langue lorsqu’il lui fait part de ses hypothèses. Comment peut-il toucher juste dès le départ ? Quant à ce « là-bas », il est clair qu’il parle de Zakros. Comme si c’était aussi simple que cela de trouver son chemin, poursuivie par les troupes monbriniennes, jusqu’à sa contrée d’origine. Elle ne doit pas lui dire la vérité. Elle ne peut pas se permettre de lui révéler quelque chose d’aussi important.

- Je te retourne la question, répond-elle sèchement. Pour ce qui est de retourner « là-bas », disons simplement que je n’ai pas un très bon sens de l’orientation.

Son attitude peu avenante ne l’empêche pas de remercier le jeune homme pour son aide. Il pourrait tout aussi bien la laisser se débrouiller toute seule, voire même la dénoncer aux autorités. Pour ce dernier point, rien n’est certain. Les hommes sont fourbes par nature. Qui sait ce qu’il lui réserve. Elle décide tout de même de lui accorder une part de sa confiance. L’avenir lui dira si le test s’est avéré concluant.

- Je suis en ville parce que je cherche un travail. Je suis Bru… elle hésite un instant. Elle a décidé de lui faire confiance. Ingrid Desyris.

Une vérité, et un mensonge. Voyons ce qu’il en fera.

- Qu’est-ce qui te fais croire que je suis esclave d’ailleurs ?

La jeune femme lui jette un regard de défi. S’il croit qu’il peut tout savoir comme ça d’un seul coup, il se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Personne ne doit connaître la réalité de son statut. S’il a pu deviner aussi facilement, il faudra qu’elle trouve une meilleure manière de dissimuler qu’elle n’est pas sensée aller librement.

Elle n’appréciait pas son langage ? Eh bien tant pis ! Ce n’était pas une femme qui lui dicterait sa conduite. Encore moins quand celle-ci n’était pas capable de retrouver le chemin de sa taverne, situé aux abords de la Grand’Place. Eldred haussa les épaules, moqueur :

— Ils ont bien besoin d’avoir leurs idées enrichies si tu veux mon avis. Un peu de richesse spirituelle et culturelle ne leur ferait pas de mal.  

Elle pouvait bien râler, il ne ferait que renchérir. D’ailleurs, il s’empressa d’ajouter une nouvelle taquinerie.

— S’ils me le demandent, je dirais que ça veut dire « Rose ».  

Sourire aux bords des lèvres, il lui demanda ce qu’elle faisait ici, et notamment si elle était en fuite. Question qui ne reçut qu’une question en guise de réponse. Dans ce cas, elle devrait subir de nouvelles railleries ! Mais ce n’était pas tous les jours qu’on croisait une compatriote à asticoter après tout.

— Je suis ici en mission diplomatique, ça se voit non ?  il indiqua de la main son manteau en laine grossière C’est sûr que tu risques pas de retrouver notre pays, si tu perds déjà le chemin de ton auberge qui est située…  il se tourna et pointa du doigt à travers les murs à colombages tordus juste là-bas.  

Finalement, il réussit à obtenir un début de réponse. Il hocha de la tête. Puis son nom. Elle hésita.

— Eldred Kjaersen. Desyris ça fait pas très zakrotien.  demanda-t-il un brin suspicieux avant de hausser les épaules  mais on m’a déjà appelé Erik, tu sais alors. J’en connais beaucoup qui ne portent pas leur nom.  

Et c’était peu de le dire : Sylvère -qui n’était surement pas son nom-, Jérémie, Cassandre… Et il y en avait surement d’autres encore. C’était si commun qu’il n’y faisait même plus attention. Cela faisait partie du jeu.

— Tu parles pas le monbrinien, je me trompe ? Je connais peut-être quelqu’un qui pourra t’aider. Elle parle le zakrotien et elle digne de confiance. C’est une amie.  

Quant à savoir pourquoi il la pensait esclave, il arqua un sourcil avant de croiser les bras, pensivement :

— Laisse-moi voir... Nous sommes en pays conquérant, tu n’es ni commerçante, ni ambassadrice et tu ne parles pas même pas la langue du pays dans lequel tu es en ce moment. Sachant que la grande majorité de nos compatriotes sont esclaves, la déduction me semble assez simple. A priori le tien est aussi atrophié que ton sens de l’orientation.  

Nouveau sourire plein de taquinerie. Bien sûr qu’il plaisantait, mais elle l’avait cherché après tout en lui faisant comprendre qu’il était un idiot de ne pas savoir déchiffrer ses ridicules gribouillis tracés dans la poussière du Marché.

Il renchérit. Encore. Pour dire des choses vraies, certes, mais qui s’éloignent de plus en plus du sujet d’origine. Un échange culturel ne passe pas par des injures.

- Cela n’empêche pas de rester poli, grommelle-t-elle entre ses dents, ce qui ne l’arrête pas en si bon chemin. « Rose ». « Rose » est une fleur si elle se souvient bien. La jeune femme doit admettre que voir l’un d’eux employer un juron en pensant discuter de pâquerettes, pourrait s’avérer plaisant. Un des coins de sa bouche se relève, se trémousse quelques secondes, juste le temps qu’il lui faut pour reprendre contenance. On ne transgresse pas une règle. Discipline et maîtrise de soi sont des maîtres mots à ne jamais oublier, eux.

Et le voilà qui se met à poser des questions bien trop dérangeantes. Elle doit noyer le poisson. Lui retourner sa question semble efficace, puisqu’il en profite pour faire le clown et… se moquer d’elle, encore une fois.

- Je… toutes les rues de cette ville se ressemblent de toute façon. Elle détourne le regard. Et tu ferais un très mauvais ambassadeur.

La jeune femme décide tout de même de faire un pas en avant. Il a beau avoir une certaine accointance avec la taquinerie, il ne lui semble pas avoir de mauvaises intentions. Encore une fois, Eldred saisit tout de suite le mensonge.

- Ce n’est peut-être pas mon vrai nom, mais c’est le seul que tu auras, Erik le diplomate. Il veut jouer ? Elle aussi elle peut devenir insupportable.

- Tu parles pas le monbrinien, je me trompe ?

Ingrid serre les dents. Il n’a pu deviner ça que parce qu’elle lui a parlé, c’est évident. Si elle s’était contentée de le suivre jusqu’à l’auberge, il n’aurait pas trouvé.  Elle s’adosse contre le mur derrière elle, les jambes croisées.
- Ca c’était facile à comprendre, Erik.

Elle s’apprête à lancer une pique acérée, quand il lui propose encore de l’aide. Une amie digne de confiance. Il faudrait d’abord qu’elle lui accorde sa confiance à lui, avant de faire confiance à celle en qui il a confiance. Quel genre d’aide pourrait-elle lui apporter ? Il a dit qu’elle parlait zakrotien, pas qu’elle était de Zakros. Apprendre la langue de l’ennemi témoigne d’une certaine ouverture d’esprit, c’est sûr, surtout venant d’une femme de ce pays.

- Merci mais… c’est une monbrinienne. Je resterais muette pour elle, du moins dans un premier temps. Nul besoin de lui poser la question. Si elle avait été zakrotienne, il se serait empressé de le préciser, comme il a insisté sur sa maîtrise de leur langue. Néanmoins…puisqu’elle peut m’aider, je veux bien la rencontrer.

La jeune femme lui demande ensuite, de manière tout à fait légitime, d’où il sort son idée qu’elle est esclave. C’est une question de sécurité, mais lui ne le prend visiblement pas au sérieux.

- Je pourrais tout aussi bien te mentir depuis le début, pour te piéger et te détrousser. Je pourrais être l’une de ces monbriniens, qui viendrait tester ta loyauté ou je ne sais quoi. Je pourrais avoir été mandatée pour t’assassiner. Elle poursuit, renfrognée : En tout cas, tu as tors. Contrairement à toi, Erik, je suis libre.

Sa voix s’effiloche sur le dernier mot. En vérité, elle n’est libre de rien du tout. S’il n’avait pas été en face d’elle, elle aurait marqué tout de suite. Et même rajouté de la poussière sur la blessure. Elle n’est plus libre depuis longtemps. Elle insiste tout de même, parce que lui ne doit pas en douter.

- Libre comme l’air. Je vais où bon me semble, quand j’en ai envie. Le M maudit sur son épaule se met à lui brûler. Elle sent chacun des traits incandescents mordre sa chair. Mais je ne devrais pas. Sans une stupide maladie, je ne serais pas là. Le M est toujours là, chaque seconde un peu plus présent. Elle résiste à l’envie de se frotter l’épaule. Je ne mérite même pas d’être en vie, comment pourrais-je être libre ? Ne pas y toucher. Ce serait se trahir. Conserver son air de défi. Continuer de le fixer. Ne pas s'égarer davantage.

Le silence s’épaissi. Il en devient presque poisseux.

- Pourquoi tu m’aides ? crache-t-elle finalement dans un marmottement à peine audible.

Rester poli, il l’était. La majorité du temps. Et c’était bien suffisant. Il fallait se dérider un peu dans la vie. Ce qu’il lui prouva dans la seconde. Elle pouvait bien se retenir, on les voyait ses commissures frémirent dans un rire qu’elle tentait d’étouffer. Trop sérieuse. Ca rimait avec ennuyeuse et surement pas bienheureuse. Enfin, puisqu’il devait répondre à cette question qu’elle avait esquivée, il ne se gêna pour en rajouter un peu et la taquiner -supplément gratuit-.

— Comme les forêts de Zakros pour eux.  fit-il narquois Tu trouves ? Pourtant, je sais parfaitement expliciter notre culture, tu sais.

Finalement, elle lui donna son nom. Enfin son faux nom, mais qu’importe. Il n’était pas à ça prêt de toute façon et elle le reconnut volontiers. En revanche, Erik le diplomate, ça sonnait vraiment bien. Il avait hâte de raconter ça à Alduis et Cassandre, tiens. Elle confirma ne pas parler la langue dans un quasi-grognement.

— Tu vas finir fripée comme une vieille pomme à force de râler de la sorte. Souris donc, ça ne coute pas plus cher.

Il se devait de l’aider. Question de fraternité. Si on était pas solidaire hors de chez soi où pouvait-on l’être ? Après tout, ils étaient tous dans la même galère. Certains plus que d’autres. Il pouvait se féliciter d’avoir été acheté par le baron de Frenn.

— Et alors ? Tu fais ta cervelle de blatte à les mettre tous dans le même panier peut-être ? Si c’est ça tu ne vaux pas mieux qu’eux alors. Il y a des Monbriniens très bien, comme il y a des zakrotiens  aux relents de bile de troll. il fit une pause puis poursuivit La confiance c’est à double sens, que ça marche. Sinon c’est trop facile. Si tu joues les muettes, je ne te la présente pas.

Vint alors la question évidente de sa déduction sur son statut qu’elle commenta tandis qu’il roulait des yeux. « Bah voyons ».  Esclave en fuite. Ce que suggérait ce mot qui ne sonnait pas comme les autres.

— Les Monbriniens qui parlent couramment notre langue, ça ne court pas les rues et si tu veux m’assassiner j’espère que tu es plus adroite avec une arme que pour retrouver ton chemin. ne put-il s’empêcher d’ajouter moqueur.

Libre, elle ne l’était même pas dans sa tête, alors. Lui était peut-être esclave, mais quoi qu’elle en dise, il était bien plus libre qu’elle-même.

— La liberté ne se mesure pas à un bout de papier ou à une marque quoi qu’en dise certains.

Et le silence s’installa lourd et pesant comme un orage d’été. Pourquoi il l’aidait ? Il plissa les yeux. Devait-il vraiment répondre à cette question ?

— Parce que nous sommes frères. C’est normal dans une famille de veiller les uns sur les autres, non ? Et puis je vois bien que tu es perdue -et pas seulement dans la cité-. Il faut que tu apprennes le monbrinien c’est important si tu veux survivre. Et si tu veux vraiment rentrer je trouver un moyen pour que tu puisses partir, d’accord ?

Ingrid retient de justesse un petit sourire à sa plaisanterie. Il ne s’agirait pas de lui donner raison. Elle se contente de répondre à sa pique suivante par une réplique acerbe, qu’il déconstruit aussitôt. Les forêts de Zakros. Des paysages flous jaillissent de sa mémoire. Elle les balaye d’un revers de la main. C’est fini tout ça maintenant. Elle ne verra plus de forêts de conifères, plus de neige à perte de vue. Un autre grommellement, pour enfoncer cette beauté loin d’elle.

- Pourquoi faut-il toujours que tu aies le dernier mot ? Tu es beaucoup trop provocant pour un diplomate.

La jeune femme décide tout de même de lui donner son prénom, mais un faux nom, ce qu’il comprend tout de suite. Pourquoi s’en cacher ? Elle hait ce nom de toute façon. Qui pourrait penser qu’elle choisirait cette identité-ci ? Personne. C’est bien pour ça qu’elle l’a empruntée. Elle avoue aussi ne pas parler la langue des cafards, après tout, ce n’est pas une information très dangereuse. Il sait déjà qu’elle n’est pas muette.

- Tu vas finir fripée comme une vielle pomme à force de râler de la sorte.

Nouveau soupir. Elle résiste à l’envie de le remercier pour son compliment. Son visage est laid, son corps est immonde, son âme est un relent de charogne putréfiée. Ce n’est pas sourire qui y changera quelque chose.

- Non. Sourire implique bien plus que relever le coin des lèvres. Sourire implique tellement de choses… que je n’oserais sourire à nouveau. Parce que ce serait cracher à leur mémoire. Parce que cette page n’a pas à être tournée. Parce que cette nuit doit être la seule dont elle se rappellera toujours. Parce qu'à l'instar cette Maudite Maléfique Marque qui lui ronge l’épaule en ce moment même, elle doit être imprimée au fer rouge dans tout son être.

Sa proposition la laisse sans voix. Il veut l’aider. Alors qu’ils se sont rencontrés il y a quelques minutes, qu’elle a été des plus désagréables, qu’elle l’a interrompu dans ce qu’il faisait. Et il a l’air sincère. Mais la jeune femme ne peut pas révéler qu’elle est zakrotienne à la première monbrinienne venue, même si lui, il lui fait confiance.

C’est lui qui se met à lui faire la morale à présent. Oh non elle ne vaut pas mieux qu’eux… elle est pire qu’eux. Elle vaut moins que tous ces cafards. Parce qu’ils se sont révélés de véritables monstres, mais qu'aucun d’eux n’est allé jusqu’où elle est allée. Tout simplement parce que c’est inhumain. Parce que c’est une folie. Parce que toutes les guerres du monde ont plus de sens qu’un acte aussi démesuré.

- Nous n’avons pas croisé les mêmes alors… Moi je n’ai rencontré que des ordures. Enfin, presque. Certains avaient de bonnes intentions, c’est vrai. Certains l’ont aidée sans rien réclamer, certains l’ont bien traitée. Il dit vrai. Encore.

- Il est des situations où l’on ne peut pas distribuer sa confiance comme des petits pains, mais soit, si c’est ta condition…

Le zakrotien sous-entends qu’elle ne sait pas se servir d’une arme, après avoir deviné qu’elle est esclave. Son orgueil prend le dessus. Elle va lui montrer si elle ne sait pas se servir d’une arme.

- Bien sûr que je sais utiliser une arme. Quand tu veux pour un combat. Amical bien entendu. Et loin des fouineurs. D’ici-là, il faut qu’elle trouve un moyen de s’entraîner. Sinon, elle se fera battre à plate couture, et ça c’est impensable. Elle perdra, ça ne fait presque aucun doute, mais elle ne se rendra qu’après avoir longuement bataillé.

Ingrid continue de soutenir mordicus qu’elle est libre. Plus libre que le vent dans les arbres, plus libre que les oiseaux, plus libre que l’eau elle-même. Alors que c’est parfaitement faux. La marque boursoufflée l’emprisonne. Elle l’a emprisonnée dans un fouet d’abord, elle lui a ouvert la porte, la sournoise, et maintenant, elle est prisonnière de la nuit elle-même. Qu’elle meure au combat ou non, il est sûr qu’elle ne mérite rien d’autre que d’errer pour l’éternité. A nouveau, il lui rabat son caquet, toujours avec ce flegme désespérant.

- Que veux tu que je te dise ? Tu as raison, encore une fois.

Un silence poisseux s’installe. Il arrête le temps, il anéanti l’espace. Il assourdi les autres sons autour d’eux. Il s’infiltre par chacun des pores de sa peau, à tel point qu’elle finit par le briser, avec la première question qui lui passe par la tête.

Sa réponse la laisse pantoise. Elle tâte discrètement le mur derrière elle. S’il savait, il ne lui dirait pas des choses pareilles. S’il s’avait, il la tuerait sur le coup. Il ne s’associerait pas à elle. Quel homme accepterait de payer un si lourd tribut pour sa liberté ? Et qui se mettrait volontairement dans le même panier ? Ingrid sent le silence l’engourdir de nouveau. Elle doit le briser. Le faire éclater en millions de petits débris.

- Je ne suis pas perdue. Je sais parfaitement ce que je fais. Je survis sans le monbrinien depuis presque onze ans. La jeune femme hausse les épaules, elle doit paraître aussi nonchalante que possible. Je ne vois pas ce que ça m’apporterait.

- Et si tu veux vraiment rentrer je trouver un moyen pour que tu puisses partir, d’accord ?

- Tu ne voudrais pas y retourner toi ? Ingrid s’abandonne à la stabilité du mur derrière elle. Elle se laisse couler sur le sol, dans la fange, tant pis. Ses jambes ne la portent plus, alors à quoi bon résister. Ce n’est pas cette position assise qui l’empêchera de se défendre. De toute façon, nous allons tous les deux mourir ici, il ne faut pas trop rêver.

Pourquoi fallait-il qu’il ait le dernier mot ? Mais parce qu’il avait raison pardi ! Et parce que la bataille rugissait dans ses veines aussi bien verbalement que physiquement. C’était ainsi et c’était bien pour cela que son meilleur ami était celui qui disposait des deux à la fois. Plus elle se renfrognait et plus il souriait. Ah ! Ce que les femmes de chez lui avaient pu lui manquer ! Pour un peu, il sentirait presque l’odeur de la sève des résineux bien de chez lui. Presque.

— Détrompe-toi, je sais bien porter mon nom lorsque la situation l’exige de moi.

Quant à elle, elle devait bien le porter lorsqu’elle souriait plutôt que de faire la moue. Ce qu’il ne manqua pas de lui faire remarquer avec une subtilité toute zakrotienne. Nouveau soupir agacé. Tant pis, ce n’était pas ce qui l’arrêterait. Oh oui sourire impliquait beaucoup de chose, elle n’avait pas tort, mais ce n’était pas pour cela qu’il fallait se priver d’essayer.

— Cela implique d’accepter un éphémère bonheur. compléta-t-il

Sa proposition d’aide pouvait bien la laisser sans voix, toujours était-il que c’était sans doute l’option la plus sage qui lui soit proposée. N’avait-elle rencontré que des ordures ? Peut-être même s’il en doutait. Pourquoi lui aurait été infiniment plus chanceux qu’elle ? Non, c’était peu probable tout de même.

—Et d’autres où l’on peut partager ce petit pain pour avoir l’estomac plein.

Il la taquina sur son maniement des armes. C’était bon enfant. Il était évident qu’il acceptait bien volontiers la proposition. Ce qu’il valida d’un hochement de tête. Ils n’auraient qu’à se rendre à Aiguemorte. Si elle était sage, il lui épargnerait peut-être le trajet à pied. Ça lui éviterait de se perdre en chemin. Elle en était bien capable visiblement.

—Tu as ta réponse. Tu survis. Tu pourrais vivre et te voir ouvrir des opportunités. Plus qu’en jouant les muettes, si tu veux mon avis.

A sa question sur son retour, il croisa pensivement les bras. A vrai dire, il y avait bien songé plusieurs fois ces derniers temps et… C’était compliqué.

— Je ne suis pas sûre. Nos terres me manquent, mais je n’ai plus personne à retrouver là-bas. Ici… J’ai des amis désormais et les quitter m’attristerait. Il pensait notamment à Alduis et Cassandre. Oh Cassandre l’oublierait surement vite, il n’était pas grand-chose face à Sylvère mais Alduis…

—Tu es si pessimiste Ingrid Sans-Rêves ! De toute façon, il faut bien mourir quelque part non? Et puis, c’est la façon dont nous mourrons qui détermine où nous allons, alors au fond peu importe le lieu.

Il faut croire que Monsieur est parfait en tous points dans ce cas. Un corps de guerrier, toujours le dernier mot – ce qui constitue en soi un défaut -, tolérant - trop - , aimable - elle ne peut le nier - , bourré d’assurance – surtout d’orgueil - , en voilà un qui ne doit pas avoir de mal à réchauffer sa couche le soir venu. Elle imagine bien toutes ces petites jouvencelles tomber sous son charme de puissant guerrier.

- Tu as décidément réponse à tout. Je parie que tu les fais tomber comme des mouches. Quel âne oui. Comment pourrait-on apprécier de se faire rabattre le caquet en permanence, de supporter son insupportable petit sourire narquois et ses piques de mauvais goût ? Les bratkennoises ont sans doute d’autres qualités, mais assurément pas le bon goût.

Il sourit à tors et à travers, ce doit être pour ça. Et il peut dire ce qu’il veut sur les sourires et ce prétendu bonheur éphémère, ça ne la fera pas changer d’avis. Il est des jours où ces instants de joie sont une insulte au devoir de mémoire. Et tous les jours se ressemblent.

- Il y a accepter et mériter, réplique-t-elle d’une voix aussi glaciale que le fjord. Et puis de toute manière, ça ne regarde que moi. Si je fini en pomme pourrie, et bien… et bien ce sera un honneur de nourrir la Terre.

Ingrid l’écoute lui parler d’une amie, lui proposer son aide, interloquée. Malgré son comportement peu sociable, elle doit l’admettre, il est prêt à lui tendre la main. A une condition cependant, qu’elle accepte à contre cœur.

- Et bien moi, je n’ai plus d’appétit. Mais puisqu’il faut faire un effort, je suppose que je peux faire des concessions.

Puisque la question semble entendue, il se remet à l’asticoter de plus belle. L’ours joue avec le saumon qui remonte le court d’eau. Mais ce saumon-ci a des dents pour mordre et des nageoires pour frapper. Il veut se mesurer à ses crocs ? Ils mordront sa chair, dans un combat amical à la zakrotienne. Elle ne se rendra pas sans les avoir touchés au moins une fois, lui et son orgueil mal placé. Cela implique qu’elle s’entraîne, qu’elle se nourrisse mieux, mais elle le fera. Hors de question de reculer, et encore moins de perdre la face.

La jeune femme tente de lui prouver qu’elle est libre, sans succès. La marque imprimée sur son épaule dix ans plus tôt carbonise son bras tout entier. Il a compris. Il a parfaitement compris le pourquoi du comment de sa situation. Cela ne fait aucun doute. Pourtant, il continue de lui tendre de la main, de lui dire qu’ils sont frères. Ingrid se laisse peu à peu choir sur le sol. Il pourrait alerter les patrouilles d’un simple cri, mais ne l’a pas encore fait. Il poursuit ses indications, ses conseils, alors qu’il ne la connaît même pas. Qu’il ne sait rien de son histoire.

- Ce n’est pas qu’une question de langue. Le mutisme a bien d’autres avantages que de dissimuler sa méconnaissance du Monbrinien. Il évite les questions gênantes, il suscite la pitié, il lui ouvre bien plus de portes que le zakrotien ne le pense.

Il a des amis, une attache. Mais pas où il le pensait, selon ses dires. Ingrid hoche la tête. S’il pense que ces Monrbiniens sont ses amis, il peut. Il a juste besoin de repères, d’un point d’ancrage. Elle peut le comprendre.

Ingrid Sans-Rêves… C’est à son tour d’écoper d’un surnom. Lui mourra les armes à la main, et ira au Valhalla, ça ne fait aucun doute. Elle en revanche, n’y aura pas accès. Un monstre reste un monstre, qu’il meure noblement ou non. Et les Dieux ne peuvent pas compter sur les monstres pour affronter le grand Ragnarök.

- Je ne suis pas pessimiste. Simplement réaliste. N’essaie pas de me faire croire une seule seconde que seule la manière compte.

Qui n’aimait pas avoir raison ? Et quel zakrotien aimait avoir tort ? Pour le reste ses deux yeux étaient encore là alors pour ce qui était de consulter le puit de la sagesse, on repasserait.

— Dans une autre vie, c’était le cas. Et dans une autre vie encore ça ne m’intéressait pas.  répondit-il cette fois-ci sans plaisanterie.

Parce qu’il n’y en avait qu’une à cet Âge lointain qu’il aimait chérissait, mais tout cela était passé désormais et aujourd’hui tout était brouillé. Il chassa bien loin ses pensées et se reconcentra sur leur discussion à laquelle il en déduisit qu’elle considérer ne pas mériter de bonheur et donc qu’elle portait sur ses épaules l’insoutenable poids d’une culpabilité écrasante. Pourtant, cette fois-ci, il ne répliqua rien et garda ses déductions pour lui. Il n’avait pas envie de la braquer, ou tout du moins pas avant de l’avoir aidé un minimum à ne pas rendre sa situation plus déplorable et risquée qu’elle ne l’était actuellement.

— Tu ne le regretteras pas tu verras. Elle est adorable et c’est une femme forte comme il y en a trop peu ici.  

Forte et libre, ce qui n’était pas son cas quoi qu’elle en dise et à la façon dont se laissa tomber sur le sol crasseux comme si le poids était soudainement devenu trop lourd pour ses fluettes épaules.

— Oh non tu as raison. Refuser la langue c’est aussi en refuser la culture et tu noteras que l’on en revient au début de notre conversation.  

Lui, il n’avait pas vraiment eu ce dilemme, le monbrinien, il le parlait depuis son passage à Dorlok. Un passage obligé pour le commerce, il s’y était plié. Parce que ça servait ses intérêts. Connaitre la langue de l’ennemi n’allait pas sans avantage lorsque l’on voulait mener une révolte digne de ce nom. Finalement, il était bien content, car contre toute attente il avait noué ici de sincères amitiés et plus étrangement encore avec des hommes et des femmes de tous milieux. Plus encore, certains étaient presque devenus pour lui une seconde famille d’adoption.

— Bien sûr, tu es comme mon meilleur ami : tu ne vois pas le verre à moitié vide, tu ne refuses de le voir jusqu’à ce qu’on te le balance à la figure.  il tendit une main pour l’aider à se relever si t’as fini de passer la serpillière sur les pavés, on va pouvoir y aller non ? Je t’emmène chez elle, ça te va ?  

Ingrid se tait. Elle affiche simplement une moue renfrognée, adossée contre le mur. C'est horripilant cette manière qu'il a de la faire tourner en bourrique sans pour autant la laisser parvenir à l'inverse. Cet affrontement n'est pas équitable. Il adapte ses réactions au quart de tour, attaque là où elle ne s'y attend pas, fait toujours mouche, et sa garde est parfaite. La jeune femme croise les bras. Il ne demeurera pas invaincu. Elle n'en sera que plus attentive, jusqu'à trouver la faille. À ce moment-là, elle sera sans pitié.

Pour le moment, elle se contente d'étayer les informations dont elle dispose à son sujet. Il a donc vécu deux vies avant celle-ci, ce qui signifie qu'il a passé par deux changements majeurs aux moins. L'un d'eux étant très probablement la guerre. Il a aimé durant l'une de ses deux vies antérieures, cela coule de source, et Ingrid parierait presque que c'était avant la guerre, justement. Le scénario semble tout à fait logique. Il aimait, la guerre a bouleversé ce schéma de bonheur, il s'est réfugié dans la débauche pour se consoler - grossière mais compréhensible erreur - puis un autre évènement lui a fait prendre conscience que ce n'était pas la solution. Dans quelle vie est-il aujourd’hui et l'origine de ce second changement restent à découvrir.

- Qu'est-ce qu'elle a à proposer au juste ? Un toit ? Du travail ?

Quoiqu’il en soit, Ingrid n’est pas en position de refuser. Elle a beau dire qu’elle est libre, qu’elle fait ce qu’elle veut, la jeune femme n’en est pas moins dépendante de ses besoins vitaux, et donc de cette société de cafards, dont elle n’est pas si éloignée selon Eldred. Une cervelle de blatte. Ce n’est pas très délicat, mais elle l’a sans doute un peu mérité.

- Si tu savais à quel point c’est agaçant… Elle ne termine pas sa phrase. Il a sans doute deviné. Comme pour tout le reste. C’est exaspérant. Tout comme sa manière de considérer les monbriniens. Il est au milieu d’une fosse aux serpents, et il pense qu’ils sont ses amis. Stupide. Complètement stupide. Certains sont différents c’est vrai, mais ils sont trop peu nombreux pour que ses prétendus amis en fassent partie. Peut-être l’un d’entre eux, s’il a de la chance. Les autres le trahiront dès qu’ils en auront l’occasion, ou bien ils le laisseront sur le bord de la route quand ils n’auront plus besoin de lui. Il a un bon sens du discernement, mais il s’est clairement laissé aveugler.

- Je n'ai pas besoin de douche, je me suis lavée hier. La jeune femme hésite un instant devant sa main tendue, puis se décide à l'accepter. Elle serre ses doigts autour des siens avec fermeté, le temps de se retrouver dans une position un peu plus digne. Je me reposais, répond-elle, le menton fièrement dressé.

Elle veut laisser sur ces pavés crasseux la discussion qu'ils viennent d'avoir, et avec elle, cette prison qui la dévore. Il lui suffit de tout y déposer, pourtant, les doigts griffus continuent de la tirer en arrière. Ce soir, la marque sera profonde. Ingrid n'en laisse rien paraître et se contente de hocher la tête.

- Je te suis. Elle s'apprête à lui emboîter le pas, puis se ravise. Si ça ne te dérange pas, peut-on passer à l'auberge d'abord ? Je dois régler la note et récupérer quelques affaires.

Dès qu’ils auront quitté la ruelle, elle sera de nouveau muette. Il ne manquerait plus que l’un de ceux qu’elle a déjà croisé la surprenne à parler. Cela risquerait d’éveiller les soupçons. Elle l’attrape par le bras. Tant qu’ils sont encore à l’abri de leurs suspicions, elle en profite pour prendre une dernière précaution.

- Ta parole d’honneur que cette conversation ne quittera pas cette rue.

Ingrid sait combien la parole d’un guerrier est sacrée. S’il la lui donne, son secret sera protégé. Elle ne songe même pas un seul instant qu’il puisse lui refuser cette faveur. Après tout, elle est dans son droit. Ce n’est pas lui qui est sans aucun doute recherché dans le Nord du pays, et peut-être même au-delà.

Sa compatriote était toujours aussi agréable, et après elle lui demandait à lui de faire attention à ne pas délabrer un peu plus la réputation des leurs ! Par la barbe d’Odin elle ne manquait pas de culot ! Ce n’était pourtant cela qui l’empêchait de l’apprécier. Ce n’était pas cette quasi-année passée sur le sol monbrinien qui avait rayé les quasi trois décennies passées dans les contrées froides et humides de Zakros.

— Va savoir ? L’un ou l’autre. Ou peut-être les deux. Ce n’est pas comme si j’avais prévu de te rencontrer !  

Elle verrait en temps voulu, c’était une idée comme une autre. Parfois, il fallait accepter de se laisser porter et découvrir ce qui nous attendait. Ou plutôt l’accueillir. Elle trouvait ses manières agaçantes et lui s’en amusait. Ce n’était tout de même pas de sa faute s’il avait raison ! Elle pouvait bien être détestable et plus ronchonne qu’une vieille troll bossue, il en fallait bien plus pour qu’il ne lui tende pas la main.  Au sens figuré comme au sens propre.

— Te reposer? Si tu veux sentir la pisse et le crottin c’est parfait. Je préfère d’autres parfums si tu veux mon avis.   et il la hissa sur ses deux pieds

Il pouvait bien entendu passer par l’auberge et il acquiesça donc à sa demande. Juste avant qu’il ne quitte la ruelle, elle l’arrêta pour lui faire jurer de garder le silence. Il aurait pu le faire sur son arme, mais il préférait garder le secret de son existence. Eldred enfonça donc ses deux billes brunes dans celles d’Ingrid.

— Que les Dieux nous soient témoins de ce serment. Je jure de ne rien révéler de cette discussion tant que tu m’en auras pas donné l’autorisation. À ton tour de promettre.   annonça-t-il gravement.

— Jure devant nos Dieux que la famille que je te présenterai ne sera jamais en danger en ta compagnie.  

Il prenait un risque en emmenant une quasi-inconnue chez Irène, mais si elle prêtait serment à son tour, il considèrerait que l’affaire était entendue. Il fallait être idiot ou fou pour se parjurer. Et si cela devait arriver il le lui ferait payer et le fait qu’elle soit une femme n’y changerait absolument rien. Une parole donnée était une parole donnée.

Elle acquiese d'un signe de tête. Pour changer, il a raison. Quoi que cette femme ait à lui proposer comme aide, elle a une dette envers lui pour l'avoir aidée et elle aura sans doute une dette envers cette amie. La jeune femme n'apprécie pas vraiment de s'endetter de la sorte, mais c'est une occasion inespérée.

Ingrid sait qu'elle devra faire couler le sang ce soir, mais il n'a pas à le savoir. Elle préfère cacher son trouble sous une ellipse théâtrale.
 
- Chacun ses exigences, princesse. Vos narines délicates devront souffrir cette odeur, maintenant que les miennes, plus rustaudes que votre majesté, l'ont supportée. Je suis certaine que vos serviteurs, votre estimable grandeur, sauront faire couler un bain aux pétales de roses pour soigner vos jolies narines.

La jeune femme l'arrête, juste avant qu'il ne quitte ce Zakros temporaire. Elle veut une assurance qu'il n'ira pas la dénoncer. Rien de mieux pour cela, que la parole d'un guerrier. Mais on n'a rien sans rien dans ce monde, et il lui demande aussi un serment. Elle jurera, tant qu'il ne lui demande pas une chose qu'elle ne peut promettre.

- Jure devant nos Dieux que la famille que je te présenterai ne sera jamais en danger en ta compagnie.

Son coeur manque un battement. Une famille ?  Il avait parlé d'une amie, pas de sa famille ! Cela implique sans doute qu'il y ait des enfants, elle doit se préparer au pire. Avec un peu de chance, il s'agit juste d'un couple ou d'une jeune femme qui vit encore chez son père.

En général, Ingrid évite les endroits où il y a des enfants. Ça vaut mieux pour tout le monde. Là, elle n'a pas le choix. Elle a accepté, ce serait stupide de perdre un allié qui comprend sa langue.

La jeune femme soutiens le regard du zakrotien. Elle devrait jurer sur une arme, mais il ne l'a pas fait non plus, elle se contentera des  Dieux. Un serment reste un serment, c'est bien pour ça qu'elle le lui a demandé.
 
- Je jure devant les Dieux tout puissants que je ne causerais intentionnellement aucun tors à cette famille. Si tel était le cas, je me soumettrait au châtiment qu'ils trouveront juste, quel qu'il soit.

 Ingrid reste silencieuse quelques secondes. L'air chargé de gravité pèse sur ses épaules, aussi préfère-t-elle que ses dernières paroles soient dédiées à l'embêter. Il ne s'en est pas privé lui, elle peut bien se permettre une ultime remarque accerbe.

Elle reprend le timbre mielleux qu'elle a employé plus tôt, s'incline dans une profonde révérence volontairement ridicule, avant de déclarer le plus sérieusement du monde :

- Après vous, princesse Erika.