[RP solo][Flashback] 1579 - Paro cardinale joveneque lepore

Matthieu, 13 ans

Matthieu avait faim. Pas seulement la faim agréable, quelques minutes avant le repas, quand on s’amuse de ce petit grognement qui sort de notre ventre et que l’eau nous monte à la bouche alors que les doux effluves du repas nous viennent aux narines.

La vraie faim.

Celle qui ronge, qui tord le ventre. Matthieu avait d’ailleurs abandonné l’idée de se serrer dans un coin en se tenant le ventre. Ça n’avait pas grand-effet. Au contraire, c’était même pire, il ressentait comme un trou béant à la place de son estomac.

Il essayait surtout de penser à autre chose. Au printemps qui allait bientôt revenir. Aux champs. À la verdure. À sa famille, parfois. À Irène, notamment, qu’il regrettait de ne pas voir grandir.

Parfois, il se donnait lui-même une claque, comme l’aurait fait son grand-oncle, furieux de ne pas penser au Christ, de ne pas prier, de n’être pas pleinement investit dans sa foi.

Mais voilà, il avait faim.

Pourtant, parfois, il lui arrivait d’y penser. Il se demandait ce qu’avait ressenti Jésus, tout seul dans le désert, sans personne à qui parler et sans une miette ni une goutte d’eau. Il avait parfois levé les yeux en ciel, comme pour lui demander des conseils et de l’aide. Aucune réponse.

Matthieu se morfondait dans sa cellule. Il n’avait même pas droit à ses livres de théologie ou à la Bible. Son grand-oncle avançait qu’il devait réfléchir seul et ne pas tout le temps s’appuyer sur les textes. La théorie suffisait bien. Il soupira, espérant que le petit quignon de pain qu’on lui accordait tous les jours ne tarde pas trop.

Alors qu’il sentait ses yeux lui piquer après un ultime grognement, il entendit quelque chose. Comme… un sifflement pour appeler quelqu’un. Il fronça les sourcils en levant les yeux. Cela devait venir de la rue… Il se dirigea vers la mince lucarne qui lui donnait un peu de lumière.  

- Hey !

Jean, 14 ans

Matthieu cligna des yeux en voyant une figure rieuse, pleine de taches de rousseur apparaitre. Des cheveux roux en bataille couraient sur son crâne, insolents. Le petit garçon se frotta les yeux pour être certain qu’il voyait bien clair. Avec la faim, ce ne serait pas la première fois que sa vue lui joue des tours… quand il lui sourit, il n’eut plus beaucoup de doutes.

-Bonjour !

- Euh… bonjour…

Le garçon inconnu s’ébouriffa les cheveux.

- Ouais désolé, j’me présente un peu comme ça. Moi, c’est Jean ! Et toi, t’es qui ?  

- Euh… Moi c’est Matthieu…

Est-ce qu’il avait bien le droit de lui parler ? Matthieu en doutait, il devrait se concentrer entièrement sur la prière… et puis il avait entrevu son bras et commençait à se recroqueviller sur lui-même. Le dénommé Jean pencha la tête.

- Ben qu’est-ce qui t’arrive ? J’mords pas, tu sais ?

- Oui, oui… mais je… ton… ton bras…

Jean la leva, l’air étonné. À la fin de son bras droit, il n’y avait pas de main. Juste un moignon. Matthieu blanchit un peu plus en le voyant de près. Loin de s’offenser, Jean éclata de rire.

- Si c’est ça qui t’inquiète, il va pas t’sauter dessus pour t’manger, rassure-toi !

- Mais… C’est… de…

Jean pencha la tête en s’approchant un peu plus des barreaux. Matthieu se recula.

- De naissance ? Ouais ! Pourquoi ?

Matthieu se mit à trembler tout en bredouillant.

- Mais… mais… c’est… c’est très grave !

- Ah bon ?

- Mais oui !

- Mais pourquoi ?

- Parce que…

Matthieu s’arrêta, la gorge serrée. Il ne savait même plus… Il avait peur mais sans en comprendre la raison profonde. Les discours de son grand-oncle lui semblaient toujours très nébuleux sur le sujet. Il avait vaguement saisi des histoires de Diable, de marque qui prédisposaient à la malice. Mais cela restait flou et la faim n’arrangeait rien… Jean plissa les lèvres.

- J’suis roux en plus… C’est sans doute pas très bon… Mais j’te jure que j’suis très gentil !

Matthieu releva les yeux vers lui, un peu douteux de sa parole tout de même.

- Mais comment je peux savoir moi, si tu n’es pas un envoyé de Satan ?

Jean sembla sincèrement préoccupé par la question et réfléchit, un doigt sur les lèvres.

- Ben… D’abord, je viens surtout parce que je voulais te parler parce que t’avais l’air un peu tout seul… T’as l’air paumé, tu tournes en rond toute la journée.

- Tu… Tu m’espionnes ?

Jean afficha un air blasé.

- Mais non, nigaud ! C’est juste que j’passe toujours par-là ! Et depuis des jours, j’te vois enfermé là-dedans, j’me d’mande c’que tu fais et pourquoi on t’a mis là.

Matthieu baissa la tête en s’asseyant. Il commençait à avoir la tête qui tournait, mieux valait se poser où il allait tomber dans les pommes. Ce serait mal avisé en pleine discussion, surtout que ce garçon avait l’air sympathique.

- Je… D’accord… Mais alors, tu es venu me parler juste parce que je suis seul ?

Jean sourit.

- On a tous droit d’avoir un ami, tu crois pas ?

Face à ce sourire et cette bouille qui n’avait rien de démoniaque, Matthieu sourit.

- Oui, tu as raison.

Matthieu, 13 ans

Toute la nuit, Matthieu avait pensé à Jean. Il ne savait ce qu’il devait réellement penser mais au moins ça trompait un peu la faim. Était-ce un ami ? Un compagnon du Diable ? Et si jamais il se trompait ? Il avait l’air gentil mais… Son oncle disait qu’il fallait se méfier de tout et de tout le monde…

Matthieu se leva comme toujours au petit matin, le ventre encore tordu et grognon. Il soupira avant de commencer ses prières. Pourtant, ce jour-là, il n’était pas très concentré. Il attendait Jean. Il espérait le revoir. Pour avoir des réponses.

La mâtinée passait, personne ne vint. Matthieu se recroquevilla dans le fond de sa cellule. Il était de nouveau tout seul… Lorsqu’une petite assiette passa sous la porte, Matthieu se jeta presque dessus, prenant malgré tout garde à ne pas renverser le petit verre d’eau. Il but avidement avant de saliver devant le pain. Il le prit à deux mains et allait le porter à sa bouche quand il entendit quelque chose dehors. Comme… Une flûte ?

Il délaissa immédiatement le pain pour aller aux barreaux.

- Jean ?

Jean, 14 ans

L’adolescent sourit en se remettant les jambes dans les barreaux.

- Salut, p’tit frère ! Ca va depuis hier ?

Matthieu acquiesça.

- Oui, oui…

Il jeta alors un œil sur le pain et sourit. Il alla séparer le quignon en deux avant de lui en tendre un.

- Tu en veux ?

Jean rit avant de sortir une grande miche.

- T’es adorable mais j’ai c’qui faut !

Matthieu papillonna des paupières.

- Mais… Comment t’as eu tout ça ?

Jean rit en lui tirant la langue alors qu’il déchirait le pain. Il lui en donna une moitié. Matthieu hésita en la regardant.

- Tu… tu l’as volé ?

Jean avait déjà commencé à mâcher sa partie. Il pencha la tête.

- Celle-là, oui. Mais parfois, quand on me donne un travail, je peux m’en payer une ! Mais bon, elles ont le même goût !

Matthieu se mit à trembler.

- Mais… mais c’est mal… On ne doit pas voler, ce n’est pas bien ! Le Seigneur nous l’interdit !

Jean continua de manger en haussant les épaules.

- Je pense pas que le bon Dieu apprécie que des enfants meurent de faim dans les rues non plus. Moi j’veux bien travailler… Mais personne veut de moi, à cause de ma main. Soit ils ont peur, soit ils disent que je suis bon à rien. Alors faut bien que je trouve de quoi manger…

Matthieu regarda à nouveau le morceau de pain. Il s’en léchait les babines tant ça craquait sous ses doigts. Et puis ça sentait bon… C’était encore tout chaud ! Il se décida à le porter à sa bouche et en prit une toute petite bouchée. Il ferma les yeux, craignant un instant que le sol ne s’ouvre sous ses pieds. Il devait être irréprochable, c’était son grand-oncle qui l’avait dit… Là, il mangeait pendant le Carême et un pain volé en plus ! Est-ce que le seigneur serait fâché ? Pour l’instant, il n’avait pas l’air… Il soupira avant d’en reprendre un bout.

- Alors ?

- C’est bon…

- Ah, tu vois, je te l’avais dit !

Matthieu acquiesça. Il se mordit pourtant la lèvre, avec une question brûlante dessus.

- Mais… tu vis tout seul ?

Jean resta pensif un instant, délaissant un peu son pain.

- Ben oui… Comme toi, non ?

Matthieu baissa la tête.

- Moi, y a mon grand-oncle…

- Ben il doit pas être très sympa pour t’enfermer là-dedans…

Matthieu se mordit la lèvre en reprenant un peu de pain.

- Non, c’est… Il veut juste m’apprendre. Un jour, je devrais être cardinal moi aussi, comme mon grand-oncle… Alors c’est mon professeur…

- C’est ce que tu veux ?

Matthieu leva des yeux perdus vers lui.

- Que… quoi ?

Jean se rapprocha un peu.

- Est-ce que c’est vraiment ce que tu veux, être cardinal ?

Matthieu resta sans rien dire. Au fond, il n’en savait rien.

Matthieu, 13 ans

Matthieu ignorait s’il devait se sentir coupable maintenant qu’il était sorti. Il tâchait de se plonger dans ses livres mais n’y arrivait plus autant qu’avant. Il regardait tout le temps par la fenêtre, avec le fol espoir d’y voir une tignasse rousse. Il en venait à se détourner de ses études. Son grand-oncle ne l’avait pas encore remarqué mais il n’allait sans doute pas tarder à le faire. Matthieu en frissonnait d’avance.

Pourquoi douter ? Pourquoi maintenant ? Après tout, il avait toujours voulu entrer en religion… Oui, mais être cardinal ? Ça non, ce n’était pas son but… Il avait même beaucoup pleuré au début. Peut-être que Jean avait raison… S’il devenait cardinal, il serait toujours loin des fidèles, dans le palais du Pape, loin de sa famille.

Il soupira, avant d’entendre soudain un petit bruit à la fenêtre.

Jean, 14 ans

Jean sourit à Matthieu dès qu’il le vit ouvrir la fenêtre. Le garçon lui rendit son salut.

- Salut, p’tit frère ! Tu descends ?

- Mais comment ?

- T’as pas une corde ou un drap ?

Matthieu regarda autour de lui. Il y avait bien la longue corde des rideaux. Mais si son grand-oncle rentrait plus tôt que prévu ? Non, il ne rentrait jamais avant l’heure du dîner, parfois même encore plus tard. Il pouvait bien essayé… Et sinon, il prétexterait un malaise, il trouverait quelque chose ! Il rougit lui-même à cette idée mais secoua la tête. Tant pis ! Lui avait envie d’être avec son ami. Cela lui avait tellement manqué de ne plus avoir un frère ou une sœur à ses côtés.

Il défit la corde, vérifia sa solidité puis la lança par la fenêtre. Avant d’oublier, il prit aussi le panier de nourriture qu’i gardait toujours pour Jean. En plus, comme il semblait moins manger en faisant tout glisser dans ses poches, son grand-oncle le félicitait toujours pour son abnégation. Il s’engagea donc sur la corde, l’anse entre les dents. Heureusement qu’ils étaient dans une petite ruelle… Il put sans encombre, avec l’aide de Jean, atteindre le sol. Matthieu s’illumina.

- Merci ! On va quelque part aujourd’hui ?

- Oui et je pense que ç ava te faire plaisir ! Allez viens !

Les deux garçons filèrent. Certains passants se retournaient sur ce singulier duo d’un garçon en guenille et d’un jeune garçon richement vêtu. Les deux amis n’en avaient que faire, heureux d’être ensemble. Bientôt, Jean attira Matthieu plus loin dans la ville. Ce dernier était intrigué mais ne dit rien. Ils arrivèrent alors bientôt à une place, toute blanche. Matthieu avait l’impression d’être dans un bain de lumière. Puis, ses yeux s’écarquillèrent en se rendant compte de l’endroit où il était. Il aurait reconnu cette grande coupole n’importe où.

- C’est… c’est…

Jean s’appuya sur un mur en le regardant.

- Ton futur lieu de travail. Enfin, je crois

À peine eut-il prononcé ses mots que les yeux de Matthieu s’emplirent de larmes. Jean écarquilla les yeux en le voyant éclater en sanglots.

- Eh mais qu’est-ce qui t’arrive ?

- Je… Je veux pas être cardinal… Je veux être libre, comme toi ! Voyager, aller où je veux ! Je ne veux pas !

Jean hésita avant de le prendre dans ses bras.

- Eh, eh… Doucement, ç ava aller… Et tu sais, c’est pas très drôle de voyager juste parce qu’on est mort de faim.

Matthieu renifla.

- Alors… Alors je veux rentrer chez-moi ! Voir mes frères et ma sœur ! Je ne veux plus rester ici…

Il regarda jean en essuyant un peu ses yeux, un maigre sourire retrouvé.

- Et si tu venais avec nous ? Tu serais bien à la maison ! Papa et Maman ne dirons sûrement pas non, ils sont bons tu sais ! Et mes frères sont déjà grands, tu t’entendras sûrement bien avec eux !

Jean passa une main dans ses cheveux.

- Je… Je ne pense pas, Matthieu.

- Mais pourquoi ?

Il se pinça la lèvre en baissant la tête.

- Personne ne veut de moi, p’tit frère. Je suis un parasite. Mes parents m’ont gardé seulement parce que le curé leur a dit que c’était pas chrétien de m’abandonner juste parce qu’ils me manquaient une main… mais ils m’ont jamais traité en fils. Je servait pour les corvée, même pour mes propres frères et sœurs. Je me suis juste barré quand j’avais l’âge, je suis pas un aventurier comme tu penses… J’suis venu ici parce que je pensais que les servants de not’e bon Pape seraient aussi gentils que le curé de ma paroisse mais pareil, ils m’ont tous jeté dehors… Tu m’as bien dit pourquoi d’ailleurs.

Matthieu déglutit difficilement.

- Mais… ce n’est pas juste.

Jean haussa les épaules.

- Pas trop, non… mais c’est comme ça.

Matthieu secoua la tête.

- C’est pas vrai ! C’est pas une fatalité. Viens avec moi. On va partir et on va trouver un endroit, même si mes parents refusent. Allez, dis oui, s’il te plait !

Jean hésita un moment mais devant la mina suppliante de Matthieu, lui aussi finit par se faire contaminer par son sourire.

- D’accord, on peut essayer…

Spoiler:

Matthieu, 13 ans

Matthieu avait commencé à préparer ses affaires. Il avait constitué son trousseau petits bouts par petits bouts, pour ne pas éveiller les soupçons de son oncle. Il surveillait régulièrement son armoire, il aurait été suspect que trop de vêtements disparaissent d’un coup.

Il avait aussi chipé de la nourriture. Il fallait qu’ils aient assez pour le voyage ! Il avait même osé taxer la bourse de son grand-oncle, pour qu’ils puissent se payer un bateau. Malgré toutes ces infractions, Matthieu se sentait dans son droit. Il n’avait rien choisi, tout ce que son grand-oncle avait fait, c’était par la contrainte. Maintenant, il prenait simplement ce qui lui revenait de droit : sa liberté.

Il ouvrit la fenêtre, heureux et de bonne humeur. Il faisait chaud, c’était un très beau jour d’été et demain, ce serait son anniversaire. Demain, ils partiraient. Ensemble. Cependant, alors qu’il allait sortir, tout heureux, une ombre se dessina entre lui et la porte.


Clarence avait cette particularité d’être sec mais grand. Matthieu avait surtout trouvé son ombre plus immense que lui, tellement qu’elle le recouvrait tout entier. Il mit ses mains dans son dos et baissa les yeux.

- Bonjour, mon oncle…

Le pas de Clarence faisait toujours grincer le parquet, d’un bruit sourd et affreux. Matthieu déglutit.

- Bonjour, Matthieu.

Son ton n’était pas en colère. Pourtant, il avait un très mauvais pressentiment. Il se rendit compte en regardant sa main qu’il tremblait. Clarence finit par le fixer dans les yeux, le regard inquisiteur.

- Dis-moi, as-tu des projets pour aujourd’hui ?

Matthieu sentit sa bouche soudain s’assécher. Il secoua aussitôt la tête.

- N… Non mon oncle… Simplement étudier, comme chaque jour…

Clarence demeura impassible. Matthieu ne savait quoi faire aussi se fit-il surprendre quand son grand-oncle lui tira brusquement la main.

- Très bien. Alors viens avec moi, nous allons enfin passer à la vitesse supérieure dans ta formation.


Matthieu était tremblant de peur. Son cœur battait si fort qu’il craignait qu’il ne sorte de sa poitrine. Il restait aussi droit que possible mais ni les cahots de la voiture ni les regards de son oncle ne l’aidaient.

Ils s’aventuraient dans des rues qu’il n’avait jamais vu… Où pouvait-il bien l’emmener ? Il triturait ses manches en espérant trouver une réponse mais ne faisait que s’inquiéter davantage. Son oncle ne sortait quasiment jamais ou seulement pour aller voir le Pape. Dans ce cas, il ne pouvait pas l’accompagner…

La voiture s’arrêta enfin. Clarence descendit et intima à son disciple de faire de même. Matthieu déglutit alors qu’il se tenait face à une porte noire et sale. Pourquoi étaient-ils ici ? Il n’osait lever le nez pour poser la question à son grand-oncle. De toute façon, il n’avait d’autre choix que d’obéir…

Il s’avança dans le couloir sombre qui se trouvait maintenant devant eux. Anxieux, il descendit très profondément. Ils longeaient des portes derrière lesquels on pouvait sentir une affreuse odeur. Ça ressemblait à… du brûlé ? Il entendait également des clapotis, comme des bruits d’eau. Mais… pourquoi ? Il serra ses bras autour de lui, inquiet et tout à coup glacé.

Clarence finit par s’arrêter presque au bout du couloir sans fin. Dans la pénombre, ses yeux brillaient d’une lumière inquiétante.

- Entre.

- Mais… où sommes-nous ¿

- Entre, j’ai dit.

Matthieu rentra les épaules et n’osa pas le contester. Il mit un pas à l’intérieur et à peine cela fait, il manqua de crier.

Jean, 14 ans

Jean n’avait pas très bien compris ce qui lui était arrivé. Alors qu’il sifflotait en cherchant un coin pour dormir, deux hommes costauds lui étaient tombés dessus et l’avaient assommé. Il s’était ensuite réveillé attaché à une planche, les pieds et les poings écartés. Un homme qui avait l’air tout sauf sympathique astiquait des outils dont la forme ne lui plaisait pas. Il avait serré les dents, sans rien dire jusqu’à ce que la porte s’ouvre.

Matthieu comme lui restèrent cois. Le jeune garçon écarquilla les yeux et voulut se précipiter vers lui mais un bonhomme tout en rouge l’arrêta. Jean lui adressa un regard mauvais. Ça devait être le fameux grand-oncle. Bon sang, ils n’avaient sûrement pas été assez discrets et ils s’étaient fait choper comme des bleus !

Matthieu se tourna vers son grand-oncle en tremblant.

- Mais je… Je ne comprends pas…

Le grand homme sévère se pencha vers lui.

- Ah non ? Pourtant on t’a vu trainer avec ce sorcier.

Matthieu secoua aussitôt la tête avec violence.

- Quoi ? Non ! Ce n’est pas un sorcier ! C’est mon ami !

La gifle qu’il reçut les sidéra autant l’un que l’autre. Jean voulait se relever mais n’y arrivait pas avec les sangles.

- Petit idiot. Je savais bien que tu étais jeune et encore naïf mais pas à ce point-là ! N’as-tu pas vu sa main manquante ?

Alors que Jean pensait qu’il allait renoncer, Matthieu, une main sur sa joue, fit courageusement face.

- C’est faux ! Tout ce que vous m’avez raconté est faux ! Jean n’ets pas méchant, c’est mon ami, il ne me fera jamais de mal !

Seconde gifle. Matthieu dut cette fois baisser la tête et Jean avait bien crut voir du sang perler à ses lèvres.

- Tu n’es qu’un idéaliste ! Une créature comme lui ne peut pas avoir d’amis ! Et tu crois qu’il est vraiment ton ami ? Imbécile ! Il se sert de toi !

Matthieu secoua la tête mais son grand-oncle continuait, aboyant comme un chien furieux.

- Le mal est déjà présent en toi, regarde la vérité en face ! Il a instillé le doute en toi, ose le nier !

Matthieu papillonna des paupières, comme pour retenir des larmes.

- Ce… c’est vrai… Mais je ne veux pas tout arrêter, je… Je n’ai juste pas envie d’être cardinal.

- Sottises, enfant ! Tu es fait pour cela, c’est la mission que Dieu t’as donné, tu ne peux t’y soustraire !

- Non ! Je suis sûr que notre Seigneur ne me forcerait jamais à rien !

Troisième gifle. Matthieu dut ployer le genou. Clarence le fixait avec des yeux noirs.

- Nous allons bien voir. Bourreau, fais ton office.

L’homme près de lui s’anima enfin. Jean grimaça en comprenant ce qui l’attendait. Matthieu lui lança un regard désespéré en voyant une pince brûlante l’approcher. Il bondit sur ses pieds.

- Non, pas ça ! Il est innocent, il n’a rien fait !

- Ce sont des aveux que nous voulons Matthieu, rien de plus. Écarte-toi maintenant.

Matthieu secouait nerveusement la tête.

- Mais… pourquoi ? À quoi ça sert ? C’est stupide et il finira par dire des bêtises si vous lui faites mal !

Et toc ! Il avait du répondant mine de rien le p’tit frère. Cependant, Clarence ne semblait pas décidé.

- Silence, Matthieu ! Tu comprendras bien assez tôt !

Profitant du fait qu’il se soit un peu écarté, le bourreau apposa une première fois le fer. Aussitôt, Jean se mit à hurler. Même les coups dans la rue n’avaient pas cette saveur-là. Cette douleur-là… Celle d’une brûlure cuisante qui ne s’en irait jamais. Matthieu tenta de saisir l’odieux instrument.

- Vous lui faites mal, arrêtez ¡

Clarence tenta de lui prendre l’épaule pour le reculer.

- Matthieu, cela suffit !

-Non, arrêtez, je vous dis !

Jean aurait voulu lever la tête, protester lui aussi. Il n’eut pas le temps. Une seconde fois, il reçut le fer. Sur le ventre.

Il hurla toutes ses tripes.

Ça faisait mal…

Mais, il ne devait pas abandonner. Il devait… tenir…

Les images se brouillaient peu à peu. Il ne voyait plus que des tâches de couleur. N’entendait qu’un brouhaha.

La douleur recommençait. Plus aigüe, chaque fois.

Il n’allait pas tenir… Il ne voyait plus rien…

Il…

Ne…

Pouvait…

Plus…

Tenir…

P’tit frère, où es-tu ?

Spoiler:

Matthieu, 13 ans ; Clarence Tasteville, cardinal, 58 ans

Matthieu n’avait pas dormi de la nuit. Il avait alterné les larmes et des demi-sommeils où il revoyait son ami attaché, se tordant de douleur. Heureusement – enfin autant heureusement que possible dans la situation… - il s’était évanoui et le bourreau avait jugé plus prudent d’attendre s’ils voulaient des aveux. Il espérait que ça le garderait en sécurité pour un moment…

Au matin, Clarence l’avait encore trainé dehors. Matthieu avait eu le ventre retourné à l’idée de mettre de nouveau un pied dans cet antre de l’horreur. Pourtant, à sa grande surprise, ils s’étaient éloignés de la ville. Matthieu commençait à craindre de nouveau cette initiative. Il ne pouvait cesser de triturer ses mains. Quand ils s’arrêtèrent, ils étaient loin de la ville, presque ne campagne romaine. Matthieu fronça les sourcils. Jamais il ne viendrait à l’idée de son grand-oncle de venir là… Il devait avoir une idée derrière la tête.

Son grand-oncle le somma de descendre avant de le mener sur le haut d’une colline. Matthieu plissa les yeux en voyant une sorte de cabane branlante. Il frissonna en voyant les objets barbares et païens accrochés au linteau de la porte.

- Mais… pourquoi sommes-nous ici ?

Clarence renifla avant d’ouvrir la porte. Elle se poussa presque à sortir de ses gonds,

- Entre.

Ce ton ne souffrait pas de refus. Avec réticence, il pénétra dans l’étrange cabane. Elle était tellement branlante qu’il avait peur qu’elle lui tombe dessus. Il ne comprenait surtout pas pourquoi ils étaient ici… Cela ressemblait à un antre de sorcière.

C’est alors qu’il le vit. Le chapeau de Jean. Posé là, sur la table comme si…

Comme si c’était chez lui…

Le monde de Matthieu s’effondra tout d’un coup. Non… c’était impossible. Pas Jean, pas son ami… Il ne pouvait pas être un sorcier… Il était… Non, c’était impossible…

La lourde main de Clarence s’abattit sur son épaule.

- Comprends-tu, maintenant ? On ne peut pas faire confiance à un invalide. Ce sont tous des monstres, des serviteurs de Satan…

- Mais… Mais je…

La prise se resserra.

- Il n’est pas ton ami ! Il voulait t’écarter du droit chemin, te conduire à Satan, faire perdre à Dieu un de ses légionnaires ! Tout ce que je veux, moi, c’est te protéger, tu comprends ?

Matthieu ne répondit pas. Il avait… Il l’avait trahi… Mais… mais alors toutes leurs promesses, leurs discussions ? Tout cela était faux ? Ce n’était que de la manipulation ? Tout le temps ? Il regarda la maison alors que des larmes commençaient à rouler sur ses joues, en silence.

Il ne savait plus qui croire…

Jean, 14 ans

La nuit avait été bien longue, surtout qu’on ne l’avait pas décroché très longtemps de cette maudite planche. Au matin, rebelote ! Il était un peu remis des brûlures de la veille mais craignait qu’il ne change de méthode. Et effectivement, le bac d’eau sous sa tête ne lui disait rien qui vaille. Il serra les dents en entendant la porte s’ouvrir.

Jean releva la tête, espérant apercevoir Matthieu. Il écarquilla les yeux. Il était mais… Sans vraiment l’être. On aurait dit un fantôme, les yeux dans le vide et le teint blafard. On aurait dit qu’il ne le voyait pas. Il jeta un regard noir à ce démon rouge. Qu’est-ce qu’il avait été lui faire ?

Clarence ne broncha pas et croisa ses mains dans son dos.

- Tu es démasqué, vil sorcier. Nous avons découvert ton antre et la vérité. Inutil de nier.

Non mais il délirait là ! Jean regarda Matthieu. Il semblait toujours aux abonnés absents… Bon sang, quelle antre ? Il créchait dans la rue lui, et Matthieu le savait très bien ! Le jeune garçon n’arrivait pas à capter son retard. Et après, c’était lui qui l’envoûtait ? Non mais sans blague !

Clarence posa une main sur l’épaule de son neveu.

- Allons, Matthieu, dis-lui donc ce que nous avons découvert.

L’intéressé resta figé, les yeux dans le vague. L’autre commençait à perdre patience et tenta de le secouer.

- Eh bien ?

Matthieu tenta d’ouvrir la bouche mais ce n’était que des balbutiements qui en sortaient. Jean en avait mal au cœur.

- Je… euh… j…

Clarence vira au rouge. Il le gifla, faisant sursauter Jean. Matthieu resta pourtant autant toujours aussi mutique. Le cardinal rugit comme une bête.

- Bon sang, je savais que tu étais trop faible ! Idiot ! Je devrais t’envoyer chez les moines et me trouver un meilleur apprenti ! Tu n’auras jamais les épaules pour ça !

Il le gifla sur l’autre joue, sans plus d’effet et semblait prêt à recommencer. Jean se releva aussitôt. Non, mais il allait finir par le battre à ce rythme ! Et Matthieu ne pouvait pas se défendre dans son état !

- Assez ! Arrêtez ! C’est bien, j’avoue !

Clarence se tourna lentement vers lui, le regard mauvais.

- Qu’est-ce que tu as dit ?

Il était foutu, c’est bon… Mais de toute façon, il l’avait été dès le moment où il était rentré dans cette foutue pièce. S’ils ne pouvaient pas sortir tous les deux, autant que Matthieu vive au moins. Il serra les dents. Tant pis pour lui…

Jean tâcha de prendre un sourire diabolique. S’il fallait partir, autant jouer finement la dernière scène…

- Vous avez raison, je suis un sorcier. Je voulais l’emmener avec moi, pour qu’il devienne comme moi ! Alors je l’ai ensorcelé ! Il est sous mon contrôle.

Bon, c’était gros mais vu l’e bonhomme, ça pourrait passer, du moins il l’espérait. Matthieu avait semblé soudain se réveiller en l’entendant. Il le regardait maintenant, le regard brillant de larmes. Jean baissa la tête. S’il ne le croyait pas, c’était fini alors autant jouer le jeu. Il le fixa, l’air mauvais.

- Imbécile ! Tu croyais que j’étais vraiment ton ami ? Tu l’as dit, non ? On ne peut pas faire confiance à un invalide !

Clarence jubilait, c’était sans doute ça qui lui faisait le plus grincer des dents. Matthieu le regarda, des larmes roulants sur ses joues, complètement abattu.

Je suis désolé, p’tit frère, tu vas devoir continuer sans moi…