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[22 janvier 1598] - La balade des gens (qui tentent d'être) heureux [Terminé]

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Message par Coldris de Fromart Ven 4 Juin - 11:25






Coldris s’était éveillé à ce qui était le beau milieu de la nuit en plein hiver et tout juste l’aube en été. Une autre raison de détester cette saison en plus de la neige, du froid et des femmes emmitouflées jusqu’aux oreilles. Ses nuits avaient déjà tendance à être courtes, l’hiver elle devenait interminable. Le soleil se couchait affreusement tôt et se levait horriblement tard, car lui semblait parvenir à fermer l’œil.

En se levant, il avait un peu lu, puis écrit pour finir par griffonner un de ses carnets, mais le soleil ne daignait toujours pas gratter l’horizon de ses griffes. En fait, il n’arrivait pas à se fixer sur une quelconque activité. Il avait fini par se lever et arpentait désormais son bureau de long en large. Il n’avait toujours pas trouvé comment il allait avouer à Alduis. Bérénice lui avait dit de dire les choses simplement. Cela paraissait une évidence, mais tandis qu’il marmonnait en faisant les cent pas, il ne trouvait aucune formulation satisfaisante.

Pire que tout au fond, c’était sans doute son jugement qu’il craignait. Il avait rabâché que l’amour rendait faible et il le pensait toujours fermement. C’était une faiblesse qu’il acceptait pourtant pour la deuxième fois malgré toutes les précautions dont il n’avait cessé de s’entourer pour s’en prémunir. Il s’agaçait lui-même à pouvoir écrire des discours et à être incapable de trouver une solution viable à une annonce aussi simple. Il piétinait, il maugréait, il scrutait les maudites aiguilles de cette horloge qui refusait d’avancer, il pressait le ciel de se délaver enfin du noir vers le bleu. Il marchait, tournait, marchait, soupirait, marchait…

Finalement une bonne demi-heure avant que le soleil ne se décide enfin à poindre, il se rendit aux écuries. Il emmènerait Kleitos aujourd’hui, l’étalon gris souris de douze ans. Un petit fils d’Alkaios et fils de Chronos qui appartenait à Bérénice. Il entra dans sa stalle et flatta son encolure recouverte de ses longs crins d’encre ondulés. Il entreprit de le panser pour calmer son esprit qui bouillonnait où chacun y allait de son propre commentaire sur la situation. Ce fut lorsqu’il passa le filet par-dessus la tête de l’animal qu’il réalisa à quel point l’humidité ambiante s’infiltrer sous ses os. Il grimaça et mit le mors. Il vérifia le sanglage et sortit. Il était en avance, mais il attendait déjà depuis bien trop longtemps. Dans les écuries, il croisa Alduis qui arriva. Pile à l’heure à en juger par la luminosité croissante mais étouffée par cette épaisse brume. Il le salua d’un « bonjour Alduis » et se rendit à l’extérieur le temps qu’il se prépare.

Maudit temps. Son bras et son épaule le tiraient dans une douleur sourde et constante. Il avait hésité à emporter son arc, mais compte tenu des conditions climatiques, c’était sans doute mieux. Il n’y aurait pas une bestiole pour sortir aussi tôt. Rênes longues, il attendait son fils. Il n’avait pas sa mémoire, mais il n’en avait pas besoin pour savoir que la dernière fois qu’ils avaient fait ce type de promenade datait de l’époque où il essayait par tous les moyens de lui faire mettre un terme à sa relation qui s’éternisait plus que de raison. Une semaine plus tard, on retrouvait son corps désarticulé au bas d’une falaise. Ce n’était pas vraiment ce qu’il avait eu en tête, mais il s’en était accommodé. Lorsqu’Alduis sortit ils se mirent en route. Il ne savait pas vraiment quoi dire pour ouvrir la conversation tandis qu’il prenait la direction du bosquet. Pour la simple et bonne raison qu’il cherchait toujours à résoudre son problème…

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Message par Alduis de Fromart Ven 4 Juin - 16:23

La nuit avait été entrecoupée. Alduis n’avait cessé de se réveiller et de se rendormir. À vrai dire, il avait plus la sensation d’avoir somnolé toute la nuit que d’avoir réellement dormi. Les rares moments où il avait trouvé le sommeil, il avait rêvé de Mathurin.

Même la présence d’Alexandre à ses côtés, qui d’habitude était rassurante, ne lui avait été d’aucun secours. Il était arrivé un momentq où il n'arrivait plus vraiment à distinguer les moments de rêve et ceux de réalité. Durant une demi-seconde, il avait même pris le jeune homme pour Mathurin. Depuis ce moment-là, il avait lutté pour ne pas se rendormir, malgré ses paupières qui parfois se faisaient lourdes. Il avait trop peur de fermer les yeux et de tout confondre.

Depuis il attendait l’heure. Il s’était levé pour être sûr de ne pas sombrer de nouveau et marchait en attendant l’aube. Il avait tout à la fois envie qu’elle arrive vite et qu’elle ne se lève jamais. Ce n’était qu’une promenade à cheval, pourtant. Ce n’était rien. Alors pourquoi était-il si nerveux ? Il n’en savait rien. Mais les voix dans sa tête s’en donnaient à cœur joie. Il avait fini par sortir de la chambre pour aller s’entraîner, pour ne pas réveiller Alexandre et s’occuper l’esprit. Plutôt qu’un ennemi invisible, il s’était imaginé frapper les voix.

L’aube s’était finalement levée. Paresseuse. Timide derrière la brume. Alduis avait rejoint les écuries, sans pouvoir faire taire cette boule dans son ventre. Il avait trouvé Coldris à l’entrée des écuries, déjà prêt, qui en sortait et qui le salua. Alduis lui rendit son bonjour d’un hochement de tête, sans rien dire, et rejoignit Courage. La présence des chevaux aux alentours était rassurante. Pourtant, il ne pouvait toujours pas se débarrasser de la nervosité qui s’était logée dans son ventre.

La voix de son père résonnait dans son esprit.

Tu comptes le traîner encore longtemps, ton Mathurin ?

La dernière promenade dans le même genre. Le 7 juin 1592. Précisément sept jours avant qu’il ne pousse Mathurin dans le vide. Alduis s’arrêta une seconde avant de passer dans le boxe, le temps de se reprendre. Il n’y avait pas de danger. Il ne voulait pas y penser. Il ne se passerait rien de tel aujourd’hui. Il passa sa main sur le museau de Courage tandis que les voix s’acharnaient.

Assez pour venir souiller notre réputation ?

Alduis glissa la main dans sa crinière. En tâchant d’ignorer le brouhaha dans sa tête, il attrapa la selle. Il ne voulait pas les écouter. Mais il ne pouvait rien faire contre ses souvenirs. C’étaient dans ces moments là qu' il avait le plus envie de se taper la tête contre les murs.

Tu comptes me faire honte encore longtemps ?

Alduis avala sa salive. Il sangla Courage d’un geste qu’il voulait sûr de lui. Sauf que ses mains commençaient à trembler.

Si tu ne mets pas fin à cette relation, j’irai à la Prévôté régler moi-même le problème.

Cinq ans que ces mots avaient été prononcés. Ce jour-là, un long frisson avait remonté sa colonne vertébrale. Malgré le temps écoulé, le même frisson glacé traversa son échine. La terreur qu’il avait ressenti à ce moment-là, celle qui l’avait poussé à faire demi-tour et à planter son père-là, cette terreur était toujours présente au fond de son cœur. Il posa ses mains à plat sur l’encolure de sa jument pour contenir les tremblements de ses mains. C’était ridicule. Alduis prit une inspiration.

À combien de vies estimes-tu celle de ton cher Mathurin ?

Et le corps désarticulé, ensanglanté. Pourquoi ? Pourquoi avait-il dû le pousser ? Pourquoi avait-il fait cela ? Et pourquoi avait-il ressenti cette curiosité malsaine, pourquoi s’était-il penché pour jeter un œil en bas ? Que s’était-il attendu à voir ? Il appuya son front contre son encolure, pour sentir son pelage chaud contre son visage.

Tu as une semaine pour mettre un terme à votre relation. Pas un jour de plus.

Il avait soudainement envie de dire à son père de se taire. Que cela ne servait à rien de lui rappeler. Il avait précipité l’homme qu’il aimait dans le vide. Il le savait, il savait qu’il avait fait une erreur, pourquoi continuait-on de le lui rabâcher sans cesse ?

Je t’aime quoi qu’il arrive.

Alduis avait presque l’impression de revoir Mathurin et son sourire, juste en face de lui. Il semblait encore si réel dans son esprit que s’il n’avait pas senti le pelage de Courage contre son front, il aurait été tenté de tendre la main pour le toucher. Mais il n’était qu’un mirage. Un fantôme inexistant, une brume du passé. Un cadavre rongé par les vers quelque part. Il ne savait même pas où se trouvaient ses restes. Était-il seulement enterré ?

Allons, ne me dis pas que tu penses encore à lui… Après tout ce temps...

— Taisez-vous, souffla-t-il pour lui-même. Taisez-vous, j’ai pas besoin de vous.

Mais nous faisons partie de toi.
Nous sommes dans ta tête.
Et sans nous, tu te sens vide, n’est-ce pas ?

Alduis releva la tête quand Courage s'ébroua. Il ne savait pas depuis combien de temps il était là. Il ne pouvait pas attendre indéfiniment ici. Il devait sortir. S’il les laissait parler, sans faire attention à elles, peut-être se lasseraient-elles de cracher leur venin ? Sa jument le regardait, de ses grands yeux bruns, et elle semblait comprendre son désarroi.

Se souvenait-elle, elle aussi, de la dernière fois où elle avait marché aux côtés de l’un des chevaux de son père ?
Se souvenait-elle de Mathurin, qui lui apportait toujours une pomme, qui lui flattait l’encolure dès qu’il la voyait ?

Il ne se posa pas plus de questions. Il sortit Courage du boxe et la tira à l’extérieur, avant de passer un pied à l’étrier. Coldris n’était pas loin. En posant les yeux sur lui, la seule chose qui lui vint à l’esprit, de nouveau, fut Mathurin.

J'obtiens toujours ce que je veux.

Coldris avait raison. Il le lui avait prouvé. Sans décrocher un mot, en tâchant toujours de dissimuler les infimes tremblements de ses mains, Alduis rejoignit son père et ils prirent la route.
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Message par Coldris de Fromart Ven 4 Juin - 17:07




Coldris patientait dehors. Dans le froid. Dans la brume. Dans l’humidité qui rongeait ses vieux os et triturait ses articulations blessées. Kleitos éternua, chassant l’air poussiéreux des écuries. Il était étrangement calme aujourd’hui et cela l’aida à évacuer sa propre nervosité. Il passa une main sous sa longue crinière noire et caressa son encolure si chaude et douce. Il soupira lentement. Alduis trainait. Qu’est-ce qu’il avait à trainer de la sorte ? Il ne fallait pas tant de temps pour seller un cheval. Et ce maudit brouillard qui les enveloppait dans un épais manteau poisseux. Il resserra sa houppelande sur ses épaules puis se dressa sur ses étriers. Quand serait-il enfin prêt ? Même l’étalon commençait à gratter le sol et à piétiner lorsqu’enfin son fils sortit et se mit en place sur Courage.

Coldris ravala un soupir. Il fallait croire que même en arrivant à l’heure, il ne savait être qu’en retard. Il jaugea son fils à la recherche d’une explication rationnelle. L’atmosphère pesante était de retour. Ses prunelles perçantes se posèrent sur les lèvres d’Alduis, terriblement closes et qui s’écrasaient l’une contre l’autre comme un étau. Il serrait les mâchoires. Son regard glissa le long de ses bras jusqu’à ses mains qui tenaient les rênes : tétanisées. Sans mot dire, il partit au petit trot en direction du bosquet. Il avait besoin d’action pour réfléchir.

C’était comme ce jour dans le bureau… Ce n’était pas ce qu’il s’était imaginé. Pourtant, ils avaient fini par éviter les écueils. En fait, rien n’avait changé depuis ce jour où il avait osé le sortir du salon pour lui parler. Chaque rencontre était toujours un nouveau combat à la fois contre lui-même et contre quelque chose qui semblait le dépasser.
Déçu. C’était sans doute un peu ce qu’il était au fond de lui. Déçu que même cette simple proposition pour briser la glace et passer du temps ensemble générait de telles difficultés. Et plus il prenait conscience du malaise de son fils, plus il regrettait de l’avoir fait venir, plus la perspective de l’informer de sa relation semblait s’éloigner ou prendre des proportions inatteignables.

Bien entendu, c’était Alduis. Il savait qu’il ne décrocherait pas un mot s’il lui-même ne disait rien. Et… il ne savait pas vraiment quoi lui dire. Il hésita même durant un instant à tout avouer sur le champ pour se décharger de ce fardeau ou à parler de la météo franchement maussade. Il trottait toujours et encore. Au moins respirait l’air frais ventilait autant ses poumons que son esprit. Il tenta à tout hasard d’engager la conversation.

—Nous n’avons pas vraiment encore eu le temps de parler de ta rencontre avec Florentyna de Monthoux.

Il fallait dire que le calendrier avait été particulièrement chargé et que les journées s’étaient enchainées sans répit avec leurs hauts comme leurs bas. Bérénice lui avait plus ou moins raconté, mais il voulait surtout son avis à lui et si possible autre qu’un « cela m’est égal ». Tout compte fait c’était sans doute idiot comme proposition de conversation et il allait rapidement s’en mordre les doigts. Peut-être même plus rapidement que la brume ne mordait les siens avec ses crocs acérés.

— Qu'as tu pensé de votre rencontre? Est-ce que tu l’as… appréciée ?

Eviter les questions fermées.
Pour le reste, pouvait-il espérer guère mieux que cela ? Il en doutait, même s’il en serait très heureux.


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Message par Alduis de Fromart Ven 4 Juin - 17:51

À voir la tête de son père, il n’était pas simplement resté cinq minutes à l’intérieur de l’étable. Combien de temps alors ? L’aube s’était levée un peu plus en avant. Il aurait aimé s’excuser, mais qu’aurait-il pu dire ? Désolé, je n’ai pas vu le temps passer ? C’était si absurde et stupide. Il préféra garder le silence et suivit Coldris vers la sortie.

Le silence pesait entre eux. Mais pas le genre de silence léger et agréable comme il pouvait exister, non. Ce genre de silence de dépit, gêné, où l’on cherche désespérément quelque chose à dire, sans trouver. Alduis cherchait comment commencer la conversation mais ne trouvait rien. Tout lui semblait stupide, vide de sens. Et la seule chose qui revenait sans cesse à son esprit, même s’il essayait de le repousser, c’était Mathurin.

Il aurait voulu lui dire de partir, de le laisser tranquille, il n’avait pas besoin de son fantôme, il n’avait pas besoin non plus des voix, ni de rien d’autre. Mais comment le lui faire comprendre ? Au fond, peut-être que c’était lui qui ne laissait pas partir. Comme Eldred continuait de s’accrocher au souvenir de Byrnja. Mais Alduis avait beau faire, il ne pouvait se détacher de certaines questions.

Mathurin l’aimerait-il toujours, malgré cela ?

Soudain, la voix de son père s’éleva dans la brume et le fit sursauter. Il se tourna vers Coldris et ses pensées paniquées s’agitèrent pendant quelques secondes pour remettre les choses dans l’ordre. Florentyna. Rencontre. Monthoux. Que devait-il répondre à cela ? Oui, effectivement, ils n’en avaient pas encore parlé… Cela faisait déjà presque un mois. Ce n’était pas un souci, Alduis s’en souvenait comme si c’était hier. Mais qu’est-ce que son père voulait entendre sur le sujet ?

Les questions arrivèrent peu de temps après. Alduis se râcla la gorge et chercha ses mots. Qu’avait-il pensé de leur rencontre ? Lui-même ne savait pas. Il ne parvenait pas encore à réaliser qu’il devrait passer sa vie avec cette femme. En fait, il était carrément terrifié à l’idée que ce soit le cas. La voir tous les jours et savoir que jamais il ne pourrait l’aimer. Il savait que ce n’était certainement pas le rêve d’une jeune fille qui se marie. Il secoua la tête et se décida enfin à parler :

— Je crois que… ça ira.

C’était ce qu’il fallait se dire, non ? Que les choses iraient. Il savait, au fond de lui-même, que Coldris n’avait pas cherché à le marier à n’importe qui. Que si le choix s’était porté sur Florentyna et pas sur une autre, c’était que les choses pouvaient fonctionner. Il se doutait que ces cinq mots ne suffisaient pas à répondre aux deux questions mais il ne savait que rajouter. Elles semblaient si vagues. Il y aurait eu tant de choses à dire pour y répondre que plus rien ne lui venait. Il passa les mains dans la crinière de Courage pour se rassurer. Mais au fond, converser avec son père, c’était la même chose que converser avec Florentyna ou n’importe qui d’autre.

Une réponse, une question. C’était ce qu’il avait appliqué quand il avait rencontré Florentyna et les choses avaient fonctionné. Avec l’aide de Bérénice, certes, mais… Son père avait bien dit qu’essayer serait toujours mieux que de ne rien faire ? Peut-être que Coldris aurait des conseils à lui donner… Il prit son courage à deux mains pour reprendre :

— Je lui ai dit que j’allais lire le livre qu’elle a apporté à sa visite mais j’ai peur de ne rien comprendre.

Alors il ne l’avait toujours pas commencé. Il le regardait, posé en évidence, attendant d’être ouvert, avec la même manière que s’il s’était agi d’un animal sauvage susceptible de lui sauter au visage s’il s’en approchait trop près.
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Message par Coldris de Fromart Ven 4 Juin - 19:52




Le silence s’étirait seulement rompu par les foulées des chevaux sur le sol meuble. C’était ce genre de silence gênant et gêné qui pesait un âne mort en putréfaction. Ce genre de silence qu’on essaye d’enterrer aussi rapidement que cette vieille charogne puante. Il lui fallut de longues minutes pour creuser suffisamment sa tombe et parvenir à la balancer dedans sous la forme d’une question. Enfin réflexion faite, on était sans doute plus proche de la bouteille à la mer que du pigeon voyageur.

Coldris tourna la tête vers son fils, sans grand espoir, il fallait l’admettre. Qui vivait d’espoir mourrait désespéré disait-on. Cela ne risque pas de lui arriver. Il n’espérait plus grand-chose désormais. Il n’avait plus vraiment la force de se battre contre des chimères fantomatiques. Alduis secoua la tête et prononça cinq mots.

« Je crois que ça ira ». Voilà. Sa réponse en tenait en cinq malheureux mots. Qu’était-il censé répondre de constructif à cela ? Il n’y avait rien à répondre. Il pouvait simplement se réjouir de le sentir un minimum concerné désormais, ce qui n’avait pas été gagné d’avance. Il hocha donc la tête en guise de réponse et l’odeur pestilentielle du silence lui chatouillait de nouveau les narines lorsque contre toute attente ce fut son fils qui la chassa d’un souffle.

Le livre. Oui. Il acquiesça. Les Tusculanes de Cicéron. Bérénice lui en avait un peu parlé. Cela lui avait fait plaisir de savoir qu’il ferait cet effort pour elle, car il savait que c’était un réel effort et la suite de sa phrase le confirmait.

— Je suis heureux que tu essayes de le lire. C’est un dialogue philosophique. Ce n’est pas forcément le livre le plus accessible il est vrai, mais je pense que tu aimeras certains passages, notamment ceux sur la vertu.

Il hésita le temps de trois foulées et ajouta finalement


— Je t’aiderai si tu veux. puis se ravisa Enfin tu préfères sans doute demander à ta sœur ou à n’importe qui d’autre.

Oui, c’était parfaitement stupide. Il était bien la dernière personne qu’il viendrait voir pour cela. Il pouvait demander à Bérénice, à Alexandre et même Éléonore. Ses pensées se figèrent avant de lui rappeler le devoir dont il devait s’acquitter ce matin. Il regrettait cette proposition. Et parce que ce foutu silence à encore les asphyxier, il secoua la tête et proposa :

— Une course? Jusqu’au bout de l’allée.

Bout qui se perdait dans l’épaisse couche de brouillard qui semblait bien décidée à demeurer. Autour de l’allée, les arbres s’élevaient, fantomatiques avec leurs ramures nues et troubles, toutes de grises vêtues. Les chevaux étaient désormais échauffés, ils pouvaient donc les lancer au galop sur cette longue ligne droite. Rien ne serait jamais plus grisant qu’un grand galop dans la nature. Il lui suffisait de sentir l’air piquer son visage pour se sentir libre au point d’avoir l’impression de voler sous les foulées roulantes de son étalon. Il glissa une main dans ses crins et serra tant les rênes que les cuisses pour lui faire prendre un peu plus de vitesse encore. Coldris souriait. Le bruit des sabots, la vitesse, le souffle de l’équidé. Il adorait cela. L’on n’y voyait rien devant, mais cela n’avait pas d’importance. Il aurait pu faire cette course les yeux bandés et Kleitos également. Alduis ne l’avait toujours pas rattrapé, il osa un regard en arrière pour l’apercevoir puis fonça tête baissée jusqu’à la ligne d’arrivée. Ces courses matinales lui rappelleraient éternellement celles qu’il avait eu coutume de partager il y a bien longtemps de cela. Elle serait toujours là comme un spectre. Pourtant ce dont il se souvenait plus que tout aujourd’hui, c’était du rire de sa petite luciole qui se répercutait toujours dans son esprit.

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Message par Alduis de Fromart Ven 4 Juin - 20:36

Cela faisait déjà un mois qu’il avait rencontré Florentyna pour la première fois. Un mois que le livre était là, attendant d’être lu, sans qu’il ait le courage de s’y plonger. Il savait par avance qu’il ne comprendrait pas tout, que ce serait long et fastidieux. Il avait l’intention de le faire, oui, mais il ne parvenait pas à s’y mettre. Il ne s’en était ouvert à personne. Coldris était le premier à qui il le disait et il ne savait pas trop pourquoi. Alduis hocha la tête comme son père répondait, pour exprimer sa satisfaction de le voir faire cet effort. Peu de temps après, le silence emportait de nouveau la bataille. Seulement pour quelques foulées cependant.

— Je t’aiderai si tu veux.

Alduis ne put rien faire contre le regard ahuri qu’il lui jeta alors. Sans s’en rendre compte, ses mains qui étaient restées tétanisées sur les rênes se détendirent du même coup. L’aider à comprendre ? Pour de vrai ? Mais déjà, avant qu’il n’ait pu avoir le temps de se reprendre et de réagir, Coldris poursuivait. Alduis regarda de nouveau devant lui, sourcils légèrement froncés, en réfléchissant.

Son père avait sûrement raison. Si le problème s’était posé, il n’aurait certainement pas été requérir son aide à lui, par peur de son regard. Il se serait plus logiquement tourné vers Bérénice ou bien Alexandre. Ou vers personne. Voilà ce qu’il aurait fait : il n’aurait demandé à personne et serait resté tout seul avec ses incompréhensions. Au bout d’un moment, de longues secondes plus tard, alors que Coldris ne devait plus espérer de réponse de sa part, il répondit enfin :

— D’accord. Je veux bien. Si vous avez le temps.

Car il savait pertinemment que son père avait du travail. L’empire était sans doute plus important que de l’aider à comprendre un livre somme toute pas si compliqué que cela. Il secoua de nouveau la tête. Que dire désormais ? Il voyait des personnes discutaient des heures du même sujet et voilà qu’avec lui, tout était essoré en deux minutes à peine. Il plissa la bouche. Mais le silence ne s’installa pas durablement, une fois de plus. Pour l’en empêcher, Coldris venait de proposer une course.

Une course… La dernière personne avec qui il en avait fait une, c’était Eldred. Mais avec son père, cela semblait tellement improbable. Presque irréaliste. À vrai dire, il mit même un peu trop de temps à réaliser la chose, son père était déjà parti au galop avec Kleitos. Le temps de lancer Courage à sa suite, et Alduis savait déjà qu’il ne parviendrait pas à le rattraper avant le bout de l’allée. Mais ce n’était pas grave. Il pouvait toujours essayer.

Galoper avait toujours quelque chose de grisant, et ce quelque soit le temps, le jour, l’heure et la personne avec qui on faisait la course. C’était un moment à part. L’air froid venait glacer ses poumons à chaque inspiration mais il n’y faisait pas attention. Rien d’autre ne comptait que les larges enjambées de Courage et que la tache grise du cheval de Coldris devant, plusieurs mètres plus loin. Alduis le distingua se retourner légèrement et constatant qu’il était loin derrière, Coldris fonça droit vers l’arrivée.

Alduis arriva quelques secondes plus tard. Coldris continuait de sourire et lui-même ne pouvait pas vraiment s’en empêcher. Galoper provoquait les mêmes sensations en lui qu’un champ de bataille. À cela près que l’on ne risquait pas sa vie à chaque ennemi transpercé. Il avait tendance à oublier à quel point c’était bon.

Il retira ses pieds des étriers et se pencha en avant, par-dessus de Courage, pour entourer son encolure de ses bras. C’était elle, sa meilleure amie. Incontestablement. Et on pouvait le prendre pour un fou de le penser, cela n’y changerait rien. Finalement, il déclara à l’intention de son père :

— Je prendrai ma revanche plus tard !

Quand les chevaux auraient eu le temps de récupérer de leur course effrénée le long de l’allée.
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Message par Coldris de Fromart Ven 4 Juin - 21:54




Il lui suffisait de voir son regard sidéré à sa proposition pour savoir que c’était une mauvaise idée. Il devait déjà être en train de se demander pourquoi il viendrait lui demander à lui, alors qu’il y avait tant d’autres personnes susceptibles de répondre à ses interrogations. En fait, il ne savait même plus pourquoi il avait dit cela. Lui qui calculait toujours tout, était incapable de parvenir au moindre raisonnement logique dès qu’il s’agissait de son fils. Et cela durait depuis toujours.  Cette gêne lorsqu’il se trouvait face à face n’avait jamais disparu. C’était comme une petite flamme, parfois endormie, parfois dévastatrice, toujours présente. Il n’attendait même plus de réponses à sa proposition puisqu’au fond il n’y en avait guère à fournir et tous deux le savaient parfaitement. Il en était là à se perdre dans ses pensées lorsqu’il accepta sa proposition. Il acceptait ? Vraiment ? Il se tournait vers lui, les sourcils encore arqués d’étonnement et acquiesça.

— Je trouverai le temps. affirma-t-il

La nuit par exemple. Il fallait bien que ces maudites insomnies servent à quelque chose, non ? Et il savait qu’Alduis n’avait pas le sommeil plus lourd que lui. Cela se lisait sur ses yeux cernés. Et comme il fallait de nouveau trouver un sujet de conversation, Coldris proposa de faire une course jusqu’au bout de l’allée, ce qui l’étonna de nouveau. Certes, la dernière remontait à encore plus longtemps que leur dernière promenade et c’était un peu étrange de partager cette activité avec lui, mais après tout pourquoi pas ? Et pour une fois, il fut heureux de ce choix qu’il venait de faire. Cette ivresse lui faisait toujours le même effet à lui étirer un large sourire irrépressible et ce n’était pas uniquement parce qu’il venait de remporter la victoire. Au fond, cette fois-ci, cela n’avait pas tant d’importance, car il devait reconnaitre que voir Alduis aussi détendu sur l’encolure de sa jument valait toutes les victoires. Pour une fois, il n’était pas tendu, il n’était pas en colère ou agressif. Depuis combien de temps ne l’avait-il pas vu sourire de la sorte ? D’un vrai sourire et non d’une grimace ironique ? Sa main caressa l’encolure de Kleitos, le souffle encore court de sa course effrénée tandis qu’il déclarait vouloir prendre une revanche, ce qu’il accepta bien entendu dès qu’il le souhaiterait.

Pour l’heure, les deux chevaux profitaient du répit octroyé. Coldris repensa à Florentyna et son livre en cherchant comment alimenter la conversation qui n’était rien de plus qu’un foyer en demande constante de combustible et d’attention. Malheureusement, il n’avait pas une cheminée digne de celle de la chambre du roi où l’on pouvait y glisser un tronc entier. Non, il n’avait que de toutes petites buchettes qui se consumaient bien trop rapidement.

— Je lui ai proposé de prendre ma loge au théâtre, si elle le souhaitait. Peut-être que vous pourriez y aller ensemble en compagnie de Bérénice ? Qu’en dis-tu ?

Ce serait toujours plus simple que de lire un livre de philosophie antique… Et puisqu’il allait bien devoir aborder le sujet à un moment ou à un autre, il était sans doute temps de commencer à lui dire que la fois où il les avait surpris dans la neige n’avait pas vraiment était la seule qu’ils avaient partagée.

— Il y a des pièces intéressantes en ce moment. Le lendemain de tes excuses, je suis allé voir Roméo et Juliette avec Éléonore.

Il tourna discrètement la tête dans sa direction pour observer sa réaction.

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Message par Alduis de Fromart Ven 4 Juin - 23:13

Son père trouverait le temps. C’était ce qu’il venait de dire. Pour l’aider à comprendre ce livre qu’il s’était engagé à lire, il trouverait le temps. Malgré son travail, malgré les difficultés qu’Alduis lui rajoutait sans cesse… Il allait trouver du temps malgré tout. Alduis aurait certainement dû trouver quelque chose à dire mais, de nouveau, rien ne venait. Quand il écoutait les gens discutaient, rien ne semblait plus facile. Quand il essayait de le faire, rien ne semblait plus difficile. Il secoua la tête, mal à l’aise, mais murmura finalement, si bas qu’il en vint à se demander si son père avait seulement entendu :

— Merci.

La course impromptue proposée lui permit au moins d’oublier cette gêne. Lorsqu’il franchit à son tour la ligne d’arrivée fictive, elle était oubliée loin. Le galop effréné avait tout envolé, tous les poids qui pesaient sur ses épaules. Même Mathurin avait disparu, même les voix s’étaient tues. Il savait que dès qu’il mettrait pied à terre, tout lui retomberait dessus sans prévenir, mais en attendant, il se sentait détendu. Suffisamment pour se coucher sur l’encolure de Courage en présence de son père et la laisser se diriger elle-même.

Il prendrait sa revanche plus tard. Pour l’heure, il fallait trouver un nouveau sujet de conversation. Pourquoi était-ce aussi compliqué d’échanger avec son père ? Quoi qu’ils fassent, Alduis avait sans cesse l’impression que quelque chose se glisser entre eux pour limiter leurs conversations. De nouveau, ce fut Coldris qui, le premier, trouva de quoi relancer leur discussion entrecoupée de silences plus ou moins longs, plus ou moins lourds, mais rarement volontaires.

Il hocha la tête tandis que Coldris proposait sa loge de théâtre pour s’y rendre en compagnie de Florentyna. Bérénice avait elle aussi évoqué cette possibilité. Au moins, écouter et regarder une histoire était nettement moins épuisant que de la lire. D’autant que les Tusculanes n’était pas vraiment une histoire.

— Euh… Oui.

Puis, comme il avait conscience qu’une conversation ne s’entretenait pas avec des monosyllabes, il se sentit obligé de rajouter quelque chose. C’était peut-être maladroit, et pas vraiment utile, mais cela avait le mérite d’exister néanmoins.

— Je crois qu’elle en serait heureuse.

Coldris reprit bien vite, car même ainsi, la conversation se mourait trop rapidement. Le théâtre… Éléonore. Il hocha la tête sans s’y attarder. Quand il avait passé quelques jours chez elle, en ville, elle lui avait parlé d’une invitation qu’elle n’avait pas encore lu mais qu’elle avait suggéré être une invitation au théâtre. Ils y avaient donc été, finalement, le lendemain de son retour à Fromart. Roméo et Juliette... Il en avait entendu parler. Suffisamment pour connaître les grandes lignes du récit et savoir qu’il ne mettrait jamais les pieds dans une salle de théâtre pour aller voir cette pièce-là. Il avait vu bien assez de cadavres ainsi, sur les champs de bataille et ailleurs, sans avoir besoin d’aller en voir des imaginaires.

Il ne pensa même pas à demander s’il avait apprécié la séance. Une autre question le taraudait.

— Vous pensez que ça sert à quoi, d’inventer des histoires où tout le monde meurt à la fin ?
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Message par Coldris de Fromart Sam 5 Juin - 10:14




Il y avait de la gratitude dans son regard et cela suffisait comme remerciement. Il acquiesça donc sans réaliser que ses lèvres bougeaient pour murmurer un merci qui se perdit dans l’air glacial de ce matin brumeux.

Une fois la course achevée, il fallut de nouveau opter pour un sujet de conversation et Coldris opta pour le théâtre qui offrait un pont parfait entre le sujet précédent et celui qu’il allait devoir aborder avant d’avoir mis pied à terre. Il n’avait pas vraiment l’air convaincu par sa proposition  de se rendre au théâtre, mais l’accepta tout de même avant de faire l’effort de fournir une réponse un peu plus développée, effort qui faisait d’ailleurs écho à celui qu’il faisait avec sa future fiancée. Le père esquissa un sourire satisfait.

— Je le pense en effet.

Et parce qu’il n’oubliait pas son objectif, sa mission du jour, il tenta de pousser leur embarcation vers une direction qui l’aiderait -il l’espérait- à trouver l’occasion de faire ses aveux. Il observa en coin sa réaction, mais il n’y eut qu’un vaguement hochement de tête. Peut-être était-il déjà au courant ? Ou peut-être qu’au fond cela lui était égal.

— Vous pensez que ça sert à quoi, d’inventer des histoires où tout le monde meurt à la fin ?

Il s’étonna de cette question qu’il n’attendait pas. La fameuse barque venait de virer de bord. Tant pis. Ce serait pour une prochaine fois. A quoi cela servait-il ? Il n’y avait jamais vraiment songé. Les tragédies étaient sans doute aussi vieilles que l’humanité. Kleitos marchait paisiblement, brides longues, son cavalier demeurait pensif. Après une poignée de secondes, il avait réussi à mettre ses idées autant que ses souvenirs en ordre pour lui soumettre une réponse.

— Je pense que c’est comme un entrainement. On peut s’entrainer à l’escrime, à l’équitation, à la pratique d’une langue, mais comment pouvons-nous nous entrainer à appréhender une situation ou une émotion ?
Il se tourna vers son fils, plus pour ponctuer ses propos que dans l’attente d’une réponse et reprit :

— Je crois que le théâtre et les récits dramatiques existent pour cela. Pour entrainer notre esprit à mieux gérer ces évènements.

Ce qui était valable uniquement si l’on ne partageait pas soit même suffisamment d’expériences traumatisantes

— Et comme dans chaque apprentissage, si nous ressentons de la douleur, elle reste bien plus supportable qu’en conditions réelles. Peut-être même qu’au fond de nous-mêmes, cela n’a rien de si désagréable et que c’est pour cela que nous y revenons si facilement.

Coldris observa les oreilles grises de son cheval durant un court instant, pensif, avant de poursuivre.

— Au théâtre, il y a aussi, j’imagine, une sorte de communion entre les spectateurs, tous témoins de la scène. Cela crée des liens invisibles entre toutes ces personnes qui ne sont que des inconnus. Parce que nous partageons tous à ce moment précis, le même frisson.

Il roula des épaules pour chasser l’humidité qui essayait de l’imprégner et de givrer chacune de ses articulations.

— Par orgueil aussi. avoua-t-il, pour le plaisir de jouer avec ses propres limites et de les repousser. Pour se tester et s’éprouver.

Et parfois échouer lamentablement.
Au sens propre comme au sens figuré d’ailleurs. Il avait fini par s’échouer contre une colonne du kiosque et se noyer dans le laudanum avant d’échouer définitivement dans son lit sans se souvenir comment il était arrivé là. Il posa ses prunelles sur ses mains rougies par la froidure de janvier. Il s’en était tellement voulu et à la fois, il savait qu’il n’aurait pu faire différemment. C’était plus fort que lui. Quand tout le dépassait, il n’avait qu’une envie : celle de se laissait submerger par la légèreté de l’opium. Il soupira avant de s’adresser finalement à Alduis après ce long monologue.

— Et toi, qu’en penses-tu de cela ? l’interrogea-t-il pour chasser ses propres pensées.

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Message par Alduis de Fromart Sam 5 Juin - 12:23

La course avait changé l’atmosphère. Suffisamment pour délier sa langue et lui permettre de poser cette question, sans davantage de transition que d’habitude, sur ce besoin idiot d’inventer des histoires tristes, remplies de morts et de larmes. Il n’en voyait pas l’intérêt, mais il devait bien y en avoir un, puisque cela existait et que certaines personnes en raffolaient.

Alduis avait conscience que sa question était surprenante. En fait, il ne s’attendait pas vraiment à une réponse. Il n’y en avait sûrement pas qui puisse être donnée simplement, en quelques mots, au gré d’une promenade équine. Et pourtant si, puisqu’après quelques secondes, Coldris se tourna vers lui et débuta ses explications.

Un entraînement ? Alduis lui retourna son regard, sans répondre, en attendant la suite. Il se représentait sans mal à quoi pouvait ressembler les entraînements à l’escrime et leurs finalités, mais il avait tout de même du mal à faire le rapprochement entre cela et le fait de s’asseoir dans un siège pour regarder une tragédie. Alduis apprécia néanmoins le geste de son père qui tâchait de faire des comparaisons accessibles à son entendement.

— Pour entraîner notre esprit à mieux gérer ces évènements.

Alduis hocha la tête. Il lui semblait percevoir ce que Coldris lui disait. Peut-être pas dans toutes ses nuances, mais une grande partie. Oui, au fond, ce n’était peut-être pas si idiot que cela… Le corps avait besoin d’être entraîné, alors pourquoi pas l’esprit aussi ? La suite était néanmoins plus délicate à comprendre pour lui. Alduis ne trouvait rien de plus désagréables que des histoires qui finissaient mal. Pourquoi certains voudraient-ils s’imposer de souffrir ?

Ou bien… ils ne savaient pas ce que cela faisait réellement. Peut-être que ceux qui s’y rendraient n’avaient jamais vu de cadavres. Peut-être aussi qu’ils étaient à la recherche de sensations fortes. Comme quand il était sur le champ de bataille. À la recherche de quelque chose qui les ferait vibrer. Pourtant, dans une salle de théâtre, il ne se sentait jamais proche des autres spectateurs. Au contraire, il avait toujours l’impression d’être un corps étranger qui n’avait rien à faire ici. Parfois, cette idée prenait même tant de place qu’il finissait par quitter la représentation.

De nouveau, il hocha la tête et releva les yeux vers le plafond blanc de brume. Il n’avait toujours pas remis les étriers et Courage progressait toute seule. Coldris lui retourna la question et Alduis haussa des épaules :

— Je ne sais pas trop, avoua-t-il, je trouve que c’est stupide. Même si c’est comme un entraînement, je ne crois pas que ça change quelque chose si cela finit par arriver pour de vrai.

Cela n’avait même rien de comparable. Quand il était là-bas, il suffisait d’un mot pour faire rejaillir toutes les images dans son esprit. Et il y en avait tellement.

— Est-ce que vous croyez que ma mémoire risque de déborder un jour ? demanda-t-il ensuite, sans transition, en suivant simplement le chemin de ses pensées.
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Message par Coldris de Fromart Sam 5 Juin - 14:10




Ce n’était pas franchement le genre de questions auxquelles il s’était imaginé répondre. En fait, il ne s’était même jamais posé cette question. Pourquoi lisait-on des récits qui finissaient mal ? Pourquoi aimait-on tant ces tragédies où tout le monde finissait par mourir ? Parce que c’était comme un rêve sans la moindre conséquence. Parce que c’était comme s’entrainer en sécurité pour mieux appréhender la suite. Alduis hochait la tête e à ses explications même si certaines semblaient le laisser perplexe. Ce n’était que son avis propre après tout. Raison pour laquelle il lui retourna la question.

Il acquiesça et renchérit :

— Tu t’entraines bien contre des ennemis imaginaires ou non. Si tu le fais, c’est bien que cela change quelque chose. Je pense aussi que pour beaucoup c’est l’occasion de réaliser que leur vie n’est finalement pas si terrible et qu’elle pourrait être bien pire. Nombreux sont ceux qui pensent qu’il fait nuit, car ils se trouvent dans une tache d’ombre et fixent leurs pieds. Pourtant, ils n’auraient qu’à lever les yeux et faire un pas de côté pour retrouver le soleil.

Et d’autres fois, il faisait réellement noir où que vous puissiez tourner la tête ou courir. Un noir d’encre absolu qui plongeait éternellement votre monde dans l’obscurité la plus totale. Et là, il n’y avait plus rien à faire. Ceux qui croyaient encore en Dieu à ce stade, en étaient sans doute à prier chaque seconde de leur existence. Lui avait continué de marcher sans envie jusqu’à ce qu’un beau jour la lumière vienne à lui. Tout juste étincelle au début qui durant un bref instant illuminait son monde, elle avait fini par s’embraser durablement.

Kleitos arracha une touffe d’herbe humide qu’il rumina paisiblement.

— Est-ce que vous croyez que ma mémoire risque de déborder un jour ?

Coldris fronça les sourcils. La question n’était pas de « savoir » mais de « croire ». Et les mots avaient leur importance. Que croyait-il lui ? Pour la mémoire se vidait d’ordinaire comme on écopait une nef prenant l’eau ? Est-ce que la sienne devait déborder comme un verre trop rempli ? Est-ce qu’il finirait  par ne plus pouvoir se souvenir des derniers jours, car il y en avait trop d’anciens déjà gravés et qu’il n’y avait plus le moindre recoin ? À quoi ressemblait le scribe zélé qui officiait dans son esprit ? Était-ce un grand fou qui finirait par ne plus avoir de place ou bien savait-il que sa bibliothèque était suffisamment étendue pour tout contenir sans avoir à boire une seule goutte du Léthé ? Il ne savait pas ce qu’il croyait. Seulement ce qu’il avait envie de croire, mais c’était là encore autre chose.

— Est-ce que tu voudrais oublier ? demanda-t-il avant même de répondre à sa question.

Ses yeux balayèrent puis il avoua en toute honnêteté.

— Je ne sais pas ce que je crois. Je sais seulement que je veux croire en la nature bien faite. Peut-être que ta mémoire n’a pas besoin de se vider, car elle a la place de tout contenir.

Ou peut-être pas. Et que se passerait-il alors ?

— Cela t’effraie ?

Sans doute qui ne le serait pas face à l’inconnu ? Mais au fond, qui connaissait l’issue de sa vie ou de son destin ? Personne. Que l’on ait une mémoire parfaite ou non. Tous les hommes étaient égaux dans leur mort.

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Message par Alduis de Fromart Sam 5 Juin - 15:47

S’entraîner. Comme toute chose de la vie, aller voir des tragédies était un entraînement. Non pas pour le corps mais pour l’esprit. C’était un peu étrange mais cela ne semblait pas si absurde que cela quand on y réfléchissait correctement. Cependant, quelque chose le dérangeait néanmoins.

— Tu t’entraînes bien contre des ennemis imaginaires ou non.

— Oui, répondit Alduis aussitôt. Mais seulement parce qu’il n’y a personne pour s’entraîner avec moi.

Car il préférait de loin les duels que les entraînements seul. C’était trop facile de prévoir les mouvements d’un adversaire imaginaire, il n’y avait aucune surprise, aucune difficulté. Alors qu’avec une véritable personne, qui avait son propre libre arbitre, l’issue pouvait changer à tout moment. C’était la possibilité de perdre qui le faisait vibrer, pas la certitude de gagner. En fait, s’il n’avait pas su à quel point Coldris abhorrer les armes, il lui aurait proposé de venir un jour prochain.

Il ne fit aucun commentaire sur la suite. Il ne savait guère que répondre et il n’était pas sûr d’avoir tout compris alors mieux valait ne rien dire. Il avait pris l’habitude, désormais, de se taire quand il ne comprenait pas. Peut-être était-ce idiot de rester avec des incompréhensions, Bérénice le dirait souvent, mais tant pis.

Il posa la deuxième question qui le taraudait. Sa mémoire. Sa mystérieuse et trop parfaite mémoire. Cela durerait-il toute la vie ou finirait-elle un jour par s’arrêter de retenir ? Il se tourna vers Coldris quand il répondit à son interrogation par une seconde. Oublier… Son rêve et sa plus grande hantise, voilà ce que ce que c’était pour lui. Quelque chose qui demeurait somme toute inaccessible.

— Je ne sais pas trop… D’un côté, j’aimerais ne plus me rappeler de rien, parfois. Il y a plein de choses qui servent à rien dans ma tête. Souvent, j’ai envie de me taper la tête contre les murs. Il y a toujours des tonnes de souvenirs pour me submerger, et je ne sais plus ce qui est vrai et ce qui est faux, mais… mais en même temps… En même temps, j’ai peur que cela finisse par arriver.

Il secoua la tête et avoua alors, en baissant les yeux sur les rênes de Courage :

— C’est pour ça que je ne bois jamais. Parce que j’ai peur de ne pas me souvenir.

Comme pendant le typhus. La possibilité que cela puisse de nouveau arriver le terrifiait. Même davantage que l’idée de se marier et de ne pas être capable d’endosser le rôle auprès de Florentyna. En fait, il y avait des milliers de choses qui lui faisaient peur, mais presque aucune sur lesquelles il avait de l’ascendant.

Coldris lui fournit alors une réponse. Une réponse incertaine, parce qu’il n’en existait certainement aucune. Sa mémoire, voilà une chose contre laquelle il était vulnérable. Il ne pouvait pas la changer. C’était ainsi.

— Cela t’effraie ? demanda Coldris.

Alduis hésita. Parce qu’il n’avait pas souvent avoué sa peur. Et pourtant, cette fois-ci, il le fit après quelques secondes.

— Oui. Un peu...
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Message par Coldris de Fromart Sam 5 Juin - 18:34




Malgré ses dires, Alduis restait dubitatif. Il n’arrivait sans doute pas à se projeter dans une activité si différente. Pourtant de l’un à l’autre, il n’y avait qu’un pas.

—Même s’il y avait quelqu’un, cela ne changerait pas que tu ne risques pas ta vie dans un entrainement. Tu comprends ?

Sans doute pas, mais au fond ce n’était pas si grave. Tout comme la suite qui le laissa perdu dans ses pensées jusqu’à ce que n’émerge cette fameuse question sortie des abysses sur sa mémoire. Question aussi épineuse qu’un oursin qu’il ne savait pas par quel bout prendre. Risquait-il d’oublier ? Que croyait-il lui à ce sujet ? Il commença par répondre par une question ce qui lui laissa le temps d’ordonner un peu mieux ses idées.

Il comprenait qu’il ait envie de se taper la tête contre les murs parfois. Cela lui avait déjà traversé l’esprit plus d’une fois, et lui, n’avait pas sa mémoire. Plus les années passaient, plus les images se floutaient. La plupart. Certaines demeuraient éternellement précises et étrangement c’était celles qu’il aurait voulu voir disparaitre à jamais. Il acquiesça lentement.

— C’est pour ça que je ne bois jamais. Parce que j’ai peur de ne pas me souvenir.

Surpris par cette confidence spontanée, il esquissa un petit sourire amusé.

— Tu sais Alduis, il faut être ivre mort pour oublier ce que l’on a fait. Heureusement cela arrive fort rarement lorsque l’on se montre raisonnable.

Ou boire trop de laudanum. Cela marchait aussi à merveille. Mais ça n’effaçait toujours que les dernières minutes ou heures, guère plus.

— Tout le monde oublie. C’est ce qui arrive à toutes les personnes, moi comprise que tu croises. Il faut accepter de ne pas maitriser les choses parfois. Et c’était lui qui disait cela… Ce ne sont pas uniquement tes souvenirs qui font la personne que tu es, mais tes actes.

Sur ce, il lui proposa sa propre interprétation, avec ce qu’elle avait de totalement imprécise et il en avait pleinement conscience. Seulement voilà, il ne croyait pas en grand-chose à par en lui-même par définition. Tout le reste lui passait donc quelque peu au-dessus et il ne voulait pas mentir. Il le saurait et il n’y avait aucun intérêt alors c’était tout ce qu’il pouvait dire sur le sujet.

Alduis avoua sa peur et il opina de nouveau avant de reporter son attention sur l’horizon toujours grisonnant d’humidité.

— Je comprends. C’est normal. Tout le monde a peur de l’inconnu. C’est naturel. Je peux simplement te dire que si le monde entier vit avec c’est qu’il n’y a pas de danger à oublier. C’est juste… Déstabilisant et frustrant. Il y a certaines choses que j’aimerai oublier et d’autres que j’aimerai conserver éternellement. Mais la nature est ainsi faite, que les premières demeurent éternellement claires, quand les secondes se couvrent de brume. Je n’ai pas le choix tu vois. Je n’ai pas d’autres choix que de vivre avec. C’est pour ça qu’il faut avancer Alduis, avancer et regarder loin devant, plutôt que derrière.

Car après, il ne restait plus qu’à se noyer dans l’opium pour sombrer dans la léthargie et endormir un esprit trop fertile. Ou bien… Sauter.




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Message par Alduis de Fromart Sam 5 Juin - 21:36

Alduis fronça légèrement les sourcils… puis finalement, il hocha la tête. Oui, il comprenait. Un entraînement ne devait pas tuer. C’était pour cela qu’il préférait la guerre, la vraie, celle où le danger était réel, celle où il fallait prouver que l’on existait pour continuer de vivre. Mais sans entraînement, personne ne ferait long feu sur le champ de bataille. C’était nécessaire. Pas aussi grisant, mais nécessaire. Peut-être en allait-il de même pour le théâtre. Ce n’était pas réel, pas aussi fort que la réalité, mais nécessaire.

Mais en parlant d’entraînement, depuis que l’idée lui avait effleuré l’esprit, il ne parvenait plus vraiment à la sortir de sa tête. Coldris détestait les armes, il refuserait certainement d’y toucher mais… juste venir regarder ? Cela ne demandait pas grand-chose, juste un peu de temps. Peut-être le pourrait-il ? Mais le temps, peut-être était-ce la chose qui manquait le plus vite aux hommes. En particulier à son père, toujours occupé. Pourtant, la conversation se déroulait bien jusqu’à présent, la tension s’était évaporée alors il décida de prendre son courage à deux mains pour lui poser la question.

— Je sais que vous n’appréciez pas cela mais… si un jour vous vouliez, vous… pourriez passer regarder.

Juste passer. Rien d’autre. Même une ou deux minutes. Alduis en serait déjà ravi. Et il se prit à espérer, au fond de lui, que son père accepte.

Ou bien, il ne lui resterait plus qu’à se taper la tête contre les murs, une fois de plus, en se demandant ce qu’il lui avait pris de dire une chose pareille. Ce ne serait pas la première fois, ni la dernière. En fait, cela lui arrivait presque une fois par jour.

Il savait bien que ce ne serait pas avec un verre d’alcool qu’il oublierait tout… Mais quand bien même. Cela ne le rassurait guère.

— Oui, mais… on perd ses réflexes.

On perdait le contrôle de son corps. On tombait, comme Alexandre qui ne marchait pas droit. Les perceptions des choses se brouillaient. On ne trouvait plus la poignée de la porte ou le pied de son verre. Cela aussi, lui faisait peur. Maintenant qu’il savait ce que c’était, de perdre vraiment le contrôle de son corps, de sentir sa force l’abandonner, il n’avait plus envie de recommencer quoi que ce soit qui puisse lui rappeler les ombres du typhus.

Il hocha la tête comme son père lui rappelait que tout le monde oubliait. Combien de personnes le lui avaient dit ? Virgil, Eldred, désormais Coldris. Il avait beau le savoir pertinemment, Alduis continuait de s’accrocher à ses souvenirs comme un noyé à une bouée. Il avait peur, de cela aussi.

Mais c’était normal, naturel. Tout le monde avait peur. Et à contrario, cela lui fit presque plaisir d’entendre cela. Pour une chose au moins, il était comme les autres. Le problème avec sa mémoire, c'était que le passé prenait une place omniprésente dans son esprit, et ce n'en était que plus compliqué de regarder vers l'avant.
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Message par Coldris de Fromart Dim 6 Juin - 10:24




C’était sans doute sur une incompréhension entre ce parallèle des entrainements à l’escrime et aux difficultés de la vie que s’acheva leur discussion. Chacun retourna dans ses pensées à écouter la nature discrètement s’éveiller autour d’eux lorsqu’Alduis rompit le silence.

— Je sais que vous n’appréciez pas cela, mais… si un jour vous vouliez, vous… pourriez passer regarder.

Passer regarder ? Il lui fallut passer la seconde d’étonnement réglementaire pour qu’il réalise de quoi il s’agissait. Venir le voir s’entrainer au combat. Entrer dans la salle d’armes. Cette simple idée le faisait frémir. Les stigmates sur son dos se mirent à irradier comme si de l’huile bouillante se déversait dans le réseau de zébrures blanchâtres. Comme le sang avait inondé les lacérations du torse d’Édouard avant de les submerger complètement sous la rivière pourpre. Il secoua la tête. Depuis ses dix ans, il était précisément venu deux fois.

La première à son retour d’Italie en 76 après quasiment un an d’absence, parce que Virgil le lui avait suggéré en insistant sur les progrès qu’il avait faits au cours de l’année. Il était resté à l’extérieur, discrètement appuyé contre le mur. Alduis de dos, ne l’avait pas vu. Durant plusieurs minutes, il l’avait observé et constaté combien son ami disait vrai. Puis, lorsque son fils s’était retourné, sans doute en sentant une présence, il s’était adossé au mur pour disparaitre de son champ de vision et avait finalement décidé de rebrousser chemin.

La seconde avait été fin juin 92. Il n’avait ouvert la porte que le temps de délivrer son message « ta sœur arrive dans deux semaines. » Et il était reparti en regrettant de ne pas avoir envoyé Léonilde faire le héraut. Ils ne se parlaient plus depuis l’affaire Mathurin et l’informer de cet évènement lui en avait couté.

— Je viendrai. déclara-t-il.

Même s’il détestait cela au point d’avoir préféré endurer de longues minutes de supplices. Même s’il aurait préféré mourir plutôt que de continuer à devoir assister à ses cours d’armes où il n’avait aucun talent si ce n’était celui d’accumuler les hématomes et autres égratignures. C’était à se demander comment il était resté si longtemps en vie chaque fois qu’elle n’avait tenu qu’au fil de sa rapière. Le pire eut surement été de mourir contre Sarkeris lorsqu’ils avaient abordé son navire…

Alduis lui confia d’où venaient ses réticences à boire de l’alcool. Oublier. Perdre le contrôle.

— C’est vrai. Mais tu n’en as pas besoin en permanence. Je bois bien rarement au point de perdre le contrôle sur toutes choses. Je n’aime pas cela non plus.

Ou bien c’était qu’il était dans un droit où il ne risquait rien de lui arriver. Chez lui par exemple ou au palais. Il ne pouvait pas se permettre de dévoiler certains secrets sans s’en rendre compte. C’était trop dangereux. Il observa un instant Alduis. Perdre le contrôle, ses réflexes, oublier. Il l’avait expérimenté, lorsqu’il était gravement tombé malade à Mornoy.

— C’est à cause du typhus, n’est-ce pas ? Il n’y a qu’un seul moyen de passer outre, Alduis. Lorsque l’on tombe de cheval, il faut remonter et recommencer. Même lorsque l’on est terrifié, car la peur se nourrit de la peur et s’entretient. Le temps ne l’étouffera jamais, au contraire. Tu peux y arriver, j’en suis persuadé.

Ils évoquèrent justement ensuite sa crainte d’oublier et il tenta comme il le pouvait de le rassurer. Sans doute pas très efficacement, mais il savait qu’il se souviendrait de ses mots. Un jour peut-être, ils fleuriront dans son esprit. Coldris ramena les rênes entre ses doigts.

— Je suis allé voir Bérénice, hier soir. commença-t-il sans savoir où cela le mènerait ni quoi dire ensuite.

Il ne voulait pas lui dire qu’il l’avait retrouvé en pleurs, quoiqu’il le savait peut-être déjà et qu’Adéis l’avait peut-être dit à d’autres reprises. De quoi avait-il parlé ? De Démétrius, de ses aspirations, de…

Est-ce que tu l’aimes ?

— Elle est fatiguée… et… elle m’a dit… elle m’a avoué qu’elle voulait prendre ta place toutes ces années pour te soulager.

Et autre chose aussi. Parce qu’il n’y avait qu’elle pour remarquer ce genre de détail. Quoique Virgil l’aurait bien décelé aussi, car lui savait, il l’avait vu à l’époque. Dire qu’Aurélia avait vu Démétrius faire ses premiers pas. Il secoua la tête. Tout cela paraissait si loin désormais, comme dans une autre vie. Il n’y avait même plus de témoins en vie pour lui confirmer que tout cela avait bien été réel. Il n’en avait qu’une seule preuve et c’était Sarkeris.

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Message par Alduis de Fromart Dim 6 Juin - 11:20

Je viendrai.

En deux mots, Coldris venait d’accepter son offre. Alduis ne s’était pas attendu à grand-chose. Son père lui avait déjà proposé pour comprendre le livre offert par Florentyna, il ne pouvait certainement pas avoir du temps pour cela non plus. Et pourtant… Voilà qu’il venait de lui assurer sa présence. Alduis en était sincèrement surpris.

Depuis aussi loin qu’il s’en souvienne, Coldris n’était venu le voir qu’une seule fois. Et encore. La porte s’était ouverte, rapidement, il lui avait glissé une phrase pour lui annoncer que Bérénice viendrait et… il avait disparu. Plus personne. Le 27 juin 1592. Alduis se souvenait de cette colère qui l’avait envahi malgré lui, de cette frustration poignante. 13 jours auparavant, il avait précipité Mathurin dans le vide et il se souvenait on ne peut mieux des images qui brûlaient encore son esprit et qu’il tendait de chasser en s’entraînant sans cesse. En entrant, Coldris les avait ravivées.

Mais cette fois-ci, il viendrait le regarder. Réellement. Cette simple idée rendait presque Alduis nerveux. Il hocha la tête sobrement, malgré toutes ces émotions qui se disputaient la place dans son crâne, alimentées d’autant plus par la conversation sur l’alcool.

L’alcool qui faisait oublier. Qui altérait perceptions et réflexes. Alcool auquel Alduis ne touchait pas. Il ne s’était pas attendu, pourtant, à ce que son père trouve une explication à ce refus catégorique. Parce que lui-même n’était pas certain d’en être capable. Ce qui était sûr, c’était que le typhus avait laissé une trace indélébile en lui, une sensation de trahison qui continuait de le prendre aux tripes. Il pouvait y arriver. Oui, mais…

— Arriver à quoi ?

Il ne savait même pas ce qu’il aimait faire. Ni ce qu’il allait pouvoir faire après la guerre, quand tout serait terminé, qu’il n’y aurait plus de conquêtes à entreprendre pour l’Empire. Il s’ennuyait de plus en plus, et même si la balade était une bonne distraction, il savait que dès qu’il mettrait bien à terre, l’inaction le prendrait de nouveau.

C’était Bérénice qui lui avait rappelé qu’un jour, la guerre n’existerait plus. Et depuis qu’elle lui avait dit, depuis un mois, il ne cessait de penser à cela. Que ferait-il après la guerre ? Et de quoi son père voulait-il lui parler à propos d’elle ?

— Elle m’a dit… elle m’a avoué qu’elle voulait prendre ta place toutes ces années pour te soulager.

Ces quelques mots formèrent une boule dans son ventre et dans sa gorge. Une boule d’émotions qu’il refoula aussitôt. Parce qu’elle avait toujours été là pour le soutenir, pour lui donner sa confiance. Il aurait bien aimé réussir à faire la même chose pour elle.

— Pourquoi vous ne voulez pas qu’elle hérite ? demanda-t-il de but en blanc, en se rappelant la conversation qu’il avait eu avec elle dans la salle d’armes. Elle y arriverait, mieux que personne. Elle a le talent pour cela. C’est elle, l’héritier que vous voulez.

Sauf que c’était une héritière. Quelle différence y avait-il à cela ? Elle était parfaite, bien sûr qu’elle aurait pu réussir à prendre la suite de Coldris.
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Message par Coldris de Fromart Dim 6 Juin - 12:08




La seule hésitation qu’il avait eu à accepter concernait le fait de se retrouver dans une salle d’armes ou plus exactement à un entrainement. Il savait que cela ne manquerait pas de raviver de vieux démons, mais il le ferait. Qui plus est, il ne l’avait jamais fait et maintenant que leur relation semblait s’apaiser, il pouvait trouver le courage de faire cet effort, contrairement à ce jour où il avait tourné les talons. En revanche, il ne s’entrainerait certainement pas avec lui. Son bras droit ne le lui permettait plus depuis un long moment déjà. Autant dire qu’excepter son poignard qu’il pouvait manier de la main gauche, ses armes servaient plus de décorations que de réelle protection. Heureusement qu’il pouvait compter sur la présence rassurante de Valmar lorsqu’il sortait, car la prochaine fois pourrait bien être la dernière.

À cette obsession sur l’alcool, Coldris décela le fantôme sous-jacent du typhus qui rôdait. Une ombre à peine tapie qui arpentait les couloirs de son esprit bondissant sur le premier venu.

— À tourner la page. À laisser ta maladie derrière toi. À guérir ton esprit de sa présence.

Il ne pouvait pas oublier et plus rien ne serait comme avant, c’était inévitable, mais il pouvait apprivoiser son quotidien pour ne plus se laisser hanter, comme lorsqu’il avait enfermé les voix. Il n’avait fait que le guider, c’était lui qui l’avait fait et personne d’autre.

Et comme à chaque fois qu’un sujet prenait fin il fallait en trouver un autre.  Le premier qui lui vient fut Bérénice, sans qu’il ne sache pourquoi. Ou plutôt si. Il y avait toujours ce foutu aveu dont il devait s’acquitter et Bérénice avait tout deviné. Il allait bien falloir y passer. Mais pas tout de suite. Il préféra évoquer… tout le reste sauf cela. Alduis ne comprenait pas. Il avait raison, elle aurait pu prendre sa suite avec talent. Elle avait déjà prouvé qu’elle pouvait gérer le marquisat en l’absence de Démétrius. Elle avait su gagner le respect de ses vassaux. Elle aurait pu gérer Fromart. Elle n’aurait jamais pu devenir ministre.

— Tu sais parfaitement pourquoi. C’est une femme, elle ne peut pas hériter. Tu es l’ainé, tu devras t’en acquitter. Qui plus est Bérénice porte l’avenir d’Aussevielle. Adéis devra en hériter à la mort de son père. Il ne pourra pas prendre Fromart, qui plus est notre nom disparaitrait. Tu comprends, Alduis ? Cela n’a rien à voir avec ses compétences. Elle le mérite amplement. C’est une femme admirable, simplement c’est impossible.
Il aurait fallu que leurs places soient inversées, mais bien sûr, cela était tout aussi impossible. La nature l’avait décidé de cette façon.

— Tu t’en sortiras. Et puis tu ne seras pas seul. Bérénice et Alexandre seront là, Florentyna aussi. Je suis certain qu’elle saura être de bons conseils. C’est une femme réfléchie et intelligente.

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Message par Alduis de Fromart Dim 6 Juin - 23:27

Tourner la page. Ce n’était pas facile. Mais avait-il vraiment essayé ? En avait-il seulement envie ? Il ne savait pas. C’était sans doute lâche et égoïste de sa part, au fond, de continuer d’avoir toutes ces idées de mort qui flottaient dans son esprit. D’un autre côté… la mort ne pouvait pas n’avoir que des mauvais côtés. Si Coldris ne l’avait pas trouvé sur le rebord de la fenêtre, ils ne seraient pas ici à l’heure actuelle.

Il soupira. Pourquoi Bérénice n’aurait-elle pas pu hériter ? Elle ferait cela bien mieux que lui. Par dessus tout, il n’avait aucune envie d’hériter. Ce serait trop de poids. Il ne parvenait déjà pas à porter sa propre mémoire alors comment pourrait-il porter quoi que ce soit d’autre sur ses épaules ?

Il ne savait pas pourquoi, non. Ce n’était pas aussi évident que Coldris le disait. Bérénice était merveilleuse. Et les femmes avaient autant de talent que les hommes. Si personne ne cherchait à changer l’état de fait qui faisait qu’une femme ne pouvait pas hériter, cela ne risquait pas de changer. Mais il était l’aîné. Encore et toujours, ce serait à lui de gérer. Pour préserver leur nom. Leur domaine. C’était ce que l’on attendait de lui. Personne ne se souciait de ce qu’il était réellement capable de faire.

— Tu t’en sortiras.

Coldris semblait tellement sûr de lui. Alduis secoua la tête et murmura :

— J’en suis pas sûr.

Il ne se rendait pas compte. Alduis laissa son regard se perdre dans la brume et répondit, sans regarder son père.

— Je ne pensais même pas que je vivrais assez longtemps pour voir ce jour, avoua-t-il.

Il aurait pu mourir mille et une fois sur le champ de bataille. Seulement, voilà, il était encore là et il apercevait la dernière conquête de l’Empire. Celle qui signerait la fin de la guerre. Alduis avala sa salive. Et après ? Il n’avait jamais envisagé un avenir comme celui-ci.

— Qu'est-ce que je vais faire quand la conquête sera finie ? Des fois, je me dis que ce serait mieux de mourir à Djerdan. Je ne suis même pas sûre de savoir qui je suis. Ça ne fait que quatre mois que je suis rentré et je m’ennuie. Alors le reste de ma vie...

Ça semblait une éternité.
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Message par Coldris de Fromart Lun 7 Juin - 9:44




Alduis soupirait, il ne comprenait visiblement pas pourquoi Bérénice ne pouvait pas hériter. Ce n’était pas aussi simple qu’il le pensait. Il n’y avait pas un mais deux domaines dans l’équation. Sa sœur ne pouvait pas hériter car elle devait préserver le nom d’Aussevielle c’était ainsi et il ne pourrait jamais en être autrement. Il pourrait bien lui déléguer la gestion des terres, il resterait le vicomte de Fromart.

— Tu t’en sortiras. répéta Coldris Seul sans doute pas. Mais tu es bien entouré.

Ce sur quoi Alduis lui avoua qu’il ne pensait pas vivre si longtemps.  Bien souvent son père l’avait craint également. On envoyait rarement son ainé sur les champs de bataille. C’était trop risqué, surtout lorsqu’il était fils unique. Coldris se demandait toujours comment Virgil avait pu accepter de laisser partir Démétrius. Prier ne faisait pas tout. Quant à l’honneur familial, valait-il la vie de son unique héritier ? Même lui ne savait pas pourquoi il avait accepté qu’Alduis parte sur le front.

Des fois, je me dis que ce serait mieux de mourir à Djerdan.

Il frissonna et se tourna gravement vers lui.

— Tu dois absolument revenir. Elle ne veut même pas que je te laisse y aller. Tu dois absolument revenir, est-ce que c’est clair ?

Parce qu’aussi forte soit-elle, elle ne se remettrait jamais d’avoir perdu son frère juste après avoir récupéré Démétrius brisé. Elle ne pourrait jamais le supporter. Il secoua la tête. Il ne pouvait pas mourir. Il ne devait pas mourir. C’était exclu. Quant au reste, il prit le temps d’y réfléchir pour lui fournir la réponse la plus complète qui soit. S’ennuyer… Il en était conscient. Alduis n’était pas le seul dans ce cas. Nombreux étaient ceux qui s’ennuyaient, le roi et lui-même en étaient conscients. Arrêter la guerre c’était comme arrêter l’opium.

— Ne soit pas naïf. Il y aura toujours des guerres quoi que l’on te dise. La nature est ainsi faite. On n’a pas attendu de bâtir un empire pour inventer la guerre. Et puis je vais te dire : les soldats et les nobles qui s’ennuient c’est un nid à emmerdes. Alors crois-moi, on trouvera bien de quoi les occuper avant qu’ils ne le fassent par eux-mêmes.

Ni le roi ni lui-même ne souhaitaient les voir fomenter une révolte. Il fallait occuper leurs armes pour éviter qu’ils n’utilisent de trop leurs têtes à quelques complots. Après tout il était bien placé pour savoir ce qu’il se passait dans ce genre de cas. Néanmoins, ce n’était pas ce qui aiderait Alduis à court terme. Il avait besoin de réponses concrètes et Coldris ne manquait jamais d’idées ou de solutions. Un problème qui n’avait pas de solution n’existait pas. Il commença par repenser à ce qu’il disait un peu plus tôt au sujet des entrainements et une première réponse lui vint spontanément :

— Pourquoi tu ne t’entrainerais pas avec Valmar ? Ou même avec les gardes ? Tu as une flopée de bras qui ne demandent qu’à être dérouillés ! Tu pourrais sans doute leur apporter ton expertise et les aider à améliorer leurs compétences.

Or, on n’avait jamais de gardes trop compétents. Surtout lorsque l’on était ministre et qu’en plus l’on était plus réellement capable de se défendre soi-même.

— Tu pourrais aussi accompagner Démétrius à l’institut Saint Edouard, s’il accepte de venir, qu’en dis-tu ? T’occuper d’autres personnes te ferait sans doute également du bien.

Après tout Alduis n’avait toujours pensé qu’à lui-même. Il était en permanence centré sur lui et c’était l’une des raisons pour lesquelles ses fantômes étaient si virulents. Il manquait d’ouverture, il avait besoin d’apprendre à relativiser. La seule chose qu’il avait donnée jusqu’à présent c’était sa vie, il était peut-être temps de lui ouvrir de nouvelles portes.

— Et si la guerre te manque tant que cela, tu n’as qu’à escorter des convois, faire le ménage parmi les brigands, retourner à Zakros ou Iswyliz pour endiguer les rébellions, ou même, si les ponts des navires ne te dérangent pas, partir en mer avec Sarkeris. Sur les océans, la guerre est éternelle.

En parlant de Sarkeris, il réalisa qu’il ne lui avait toujours pas dit qu’il comptait le légitimer. Avec tous les récents évènements, il n’avait guère eu le temps de trouver le bon moment. Or, il semblerait que ce le soit désormais. Qui plus est, c’était toujours plus simple à avouer que ce qu’il devait réellement dire. Il se tourna vers lui et attendit d’avoir son avis sur ses différentes propositions.

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Message par Alduis de Fromart Lun 7 Juin - 11:27

Coldris avait raison. Il n’était pas tout seul. Il y avait Bérénice, Alexandre, et plus tard, si tout continuait de bien se passer, il y aurait Florentyna. Mais il savait que jamais il ne pourrait faire quoi que ce soit tout seul. Quand bien même il savait que la peur ne devait pas paralyser, il ne pouvait s’en empêcher.

Il avait imaginé qu’il allait mourir. Au fond de lui-même, il avait même espéré, sans en prendre conscience. Il n’y aurait alors pas eu de mariage, pas d’héritage, ni rien de tout cela. Pourtant, il était toujours là. Alors oui, il se demandait encore s’il ne ferait pas mieux de mourir à Djerdan. Il devina le frisson de son père.

— Tu vois absolument revenir.

Revenir. Pour Bérénice. Il détourna les yeux et hocha la tête distraitement. Il le savait. Il se rappelait toutes ces fois où elle s’était jetée en pleurs dans ses bras à la simple idée qu’il pouvait laisser sa vie sur le front. Elle était la dernière personne qu’Alduis refusait de blesser. Il serra les doigts autour des rênes. Il fallait qu’il revienne, coûte que coûte.

Mais il s’ennuyait tellement… Imaginer la vie sans la guerre… Cela semblait si loin et si proche tout à la fois. Pourtant, Coldris lui rappela alors que la guerre existait depuis toujours. Il y aurait toujours des endroits où employer les épées des hommes. Ce n’était qu’une simple affirmation mais elle le rassura. Parce qu’elle ouvrait des horizons.

Et son père se lança alors dans la recherche de quelque chose à faire pour son fils. S’entraîner avec Valmar ? avec les gardes ? À vrai dire, il n’avait jamais osé leur demander. Ils avaient sûrement d’autres choses à faire, eux aussi. Mais Alduis hocha la tête vigoureusement, revigoré d’un seul coup. Il suffisait de lui parler d’entraînements, et d’adversaires potentiels, pour lui faire plaisir. Au fond, il ne fallait pas grand-chose, mais encore fallait-il prendre la peine de chercher.

Quant à aider les autres… Il avait essayé, parfois. Mais il avait toujours la sensation de mal faire.

— Est-ce que vous trouvez que je fais peur ?

Il suffisait de regarder Adéis. Les rares fois où il s’était dit qu’il tâcherait de faire des efforts vis-à-vis de son neveu, lorsqu’il l’avait vu se cacher derrière sa mère, ses tripes s’étaient serrées et il n’avait pas eu le courage d’aller plus loin. Il secoua la tête et ses yeux se posèrent sur ses poignets. Bérénice avait raison, ici aussi, il avait maigri. Mais il ne savait plus depuis quand il n’avait plus faim. Chaque jour, il se forçait à manger pour faire plaisir à Alexandre.

De nouveau, Alduis hocha la tête. Il ne retournerait pas à Zakros, pas alors que son meilleur ami venait de là-bas et qu’il aurait aimé voir son pays libre. Il ne le trahirait pas là-dessus. Quant au reste… Il hocha la tête.

— Merci.

Et il ajouta pour préciser :

— De passer du temps avec moi.

Parce que tout à coup, il se rendait compte que cela lui avait manqué toute sa vie. De simplement passer du temps avec son père.
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Message par Coldris de Fromart Lun 7 Juin - 14:53




Alduis semblait avoir compris le message. C’était tout ce qu’il attendait de lui. Si ce n’était ni pour lui, ni pour sa fiancée, ni même pour son amant, il pouvait au moins le faire pour sa sœur. Elle avait déjà payé un lourd tribut, c’était amplement suffisant.

Quant à l’ennui, il y avait un tas de possibilités à disposition pour l’occuper à court ou moyen terme. Il suffisait simplement de chercher et en l’espace de quelques minutes, il dégota un certain nombre de pistes. Il semblait rassuré d’entendre qu’il n’irait pas moisir dans un château jusqu’à la fin de ses jours et même réjoui de sa proposition de s’entrainer avec les gardes. Il se demandait même pourquoi il n’y avait pas songé avant.

Coldris acquiesça et passa à la proposition suivante, celle de se rendre à Saint Édouard.

— Est-ce que vous trouvez que je fais peur ?

Il tourna la tête vers son fils, arquant un sourcil d’incompréhension autant que d’étonnement face à cette question sortie de nulle part.

— D’où te vient cette drôle d’idée ? De toute façon, je crains de ne pas être suffisamment objectif pour te répondre, mais si ce sont les résidents de Saint Édouard que tu crains d’effrayer, tu seras d’accord pour dire avec moi qu’ils ont vu bien pire.

De nouveau, il égraina les différentes options à sa portée. Il choisirait (ou non) celle qui lui semblerait la plus appropriée, mais il ne pourrait plus dire qu’il s’ennuyait ou qu’il n’y avait rien à faire en dehors de la guerre. Il fallait simplement cesser de se lamenter et chercher avancer. Il reporta brièvement son attention sur les alentours, ils arriveraient bientôt de l’autre côté de la petite clairière.

— Merci… de passer du temps avec moi.

Il tourna la tête et hocha l’un tête d’un discret sourire, sincèrement touché. Être remercié pour cela lui rappela à quel point ce qui était en train de se passer était inédit. Il n’aurait jamais espéré un mois auparavant, se retrouver ici à se promener de bon matin avec son fils tout en discutant normalement, sans agressivité ni provocation. Cela lui rappela également, à quel point Alduis en avait manqué. Il baissa le regard vers les oreilles de Kleitos, conscient de ses torts, et que ce n’était pas une simple matinée qui changerait quoi que ce soit. De fil en aiguille, son esprit se trouva à songer aux moments qu’il n’avait pas non plus passé avec Sarkeris par la force des choses et se souvint qu’il devait aborder un sujet pour le moins épineux avec lui.

— Alduis, il faut que je te parle de quelque chose… Au sujet de Sarkeris, je compte le légitimer d’ici quelque temps.


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Message par Alduis de Fromart Lun 7 Juin - 20:01

Sa question sembla prendre une fois de plus son père au dépourvu. Ce dernier se tourna vers lui avec un sourcil haussé, sans qu’il soit possible d’y déceler une émotion ou une autre. Il s’y mêlait incompréhension et surprise. Finalement, Coldris demanda :

— D’où te vient cette drôle d’idée ?

Alduis haussa des épaules. De nulle part et de partout tout à la fois. C’était une impression qui revenait souvent, quelque chose qu’il lisait dans les regards. En quelques secondes, il aurait pu citer une dizaine de personnes qui avait, à un moment, posé un œil inquiet sur lui. Comme s’il risquait de leur faire du mal. Alors faisait-il peur à ce point-là ?

— Je ne sais pas trop, avoua-t-il. Adéis a peur de moi, lui.

Il aurait aimé pouvoir changer les choses, pourtant, mais il perdait ses moyens en face de lui. Peut-être parce qu’il anticipait ses réactions… Mais Coldris avait raison : ce n’était pas les soldats qui pourraient avoir peur de lui. Les champs de bataille offraient des images bien plus terrifiantes qu’il ne pourrait jamais l’être lui-même. Il hocha la tête doucement.

Les cheveux progressaient. Et Alduis était content d’être là. Content que son père le soit aussi. Il y avait quelque chose d’irréaliste là-dedans. Comme quelque chose qu’il avait toujours espéré, toujours attendu. Il avait fallu vingt-huit années pour parvenir à ce résultat. Comment en étaient-ils arrivés là, en quelques semaines, quand cela faisait une éternité qu’ils étaient incapable de communiquer ? Quoi qu’il en soit, l’épisode de la fenêtre avait comblé un fossé entre eux. Il en restait beaucoup d’autres et certains demeureraient infranchissables mais au moins, ils pouvaient désormais s’apercevoir sans que la colère fasse crépiter l’air de la pièce.

Alduis se tourna vers Coldris comme ce dernier abordait un autre sujet. Quelque chose à lui dire ? Au sujet de Sarkeris ? Il hocha la tête avant même qu’il ne termine sa phrase. Oui, cela, c’était évident. Alduis avait bien vu que Sarkeris n’était pas un bâtard comme les autres. Il le savait, même, désormais, depuis qu’il avait posé des questions sur ce fameux tableau accroché dans le bureau. Au fond, c’était normal, de le légitimer. Si seulement cela avait pu lui retirer la charge de l’héritage… Mais il était toujours l’aîné. Et du peu qu’il avait vu son demi-frère, il n’appréciait pas rester à terre trop longtemps, alors il y avait peu de chance qu’il veuille prendre sa place.

— D’accord.

Il ne savait pas quoi répondre d’autre, alors il choisit de lancer un nouveau sujet à son tour. Il prit le premier qui lui vint à l’esprit.

— Vous avez vu Éléonore, ces derniers jours ?

Après tout, ils semblaient tout de même assez proches - suffisamment pour s’embrasser dans la neige sans l’entendre arriver - et elle avait assurément eu des émotions, avec la découverte des lettres. Elle était venue le trouver trois jours plus tôt dans la salle d’armes, larmoyante, mais avait-elle vu son père par la même occasion ?
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Message par Coldris de Fromart Lun 7 Juin - 21:51




Sa question le laissa perplexe. C’était étrange en même temps. D’où pouvait bien venir une telle idée ? Il n’avait sans doute pas fait peur qu’à une seule personne pour se demander ce genre de chose. La réponse ne tarda pas à venir. Adéis ? Cela lui rappelait vaguement quelque chose qu’il avait connu. Il hocha la tête.

— C’est normal, Alduis. Les enfants c’est comme les animaux. Ils ne font qu’être le reflet de tes propres émotions. Si tu as peur, si tu te méfies d’eux ou que tu anticipes négativement leur réaction, ils agiront de même par réflexe.

Il marqua une pause le temps de quelques foulées, hésitant à rappeler ce point précis puis se décida finalement à l’aborder.

— Tu te souviens de ce que je t’ai dit au sujet de notre première rencontre, n’est-ce pas ? question rhétorique. Il savait pertinemment qu’il ne pouvait pas en être autrement, aussi embraya-t-il aussitôt sur la suite Toi aussi, tu avais peur de moi. Parce que j’étais trop… hésitant, trop en colère, trop nerveux. Les circonstances étaient ce qu’elles étaient, mais tu ne les partageras jamais avec Adéis. Cela n’a rien à voir. Tu n’as qu’à te comporter de la même façon que tu aborderais un cheval. Tu verras. Il faut y aller petit à petit, il n’est pas bien sauvage qui plus est.

Une fois cette page tournée ainsi que celle signalant le caractère exceptionnel de cette sortie qui pour bon nombre serait parfaitement banal, Coldris évoqua la légitimation de Sarkeris. Il ne comptait pas le faire immédiatement, mais Alduis devait le savoir, d’autant plus qu’il connaissait désormais son histoire et comprenait aisément la place qu’il tenait de son cœur. Il s’était souvent imaginé quelle vie aurait été la leur s’ils avaient pu vivre tous ensemble. Auraient-ils réussi à se considérer comme des frères à part entière ? Que serait devenu Sarkeris sur terre élevé parmi la noblesse ? Alduis se serait-il senti plus à sa place ? Il était inutile de se poser toutes ces questions et pourtant il ne pouvait s’en empêcher. Il avait même l’impression de tendre enfin à ce mirage qu’il n’avait cessé de pourchasser pendant dix-huit ans et plus encore. Lui rendre sa légitimité, c’était bien plus qu’un simple bout de papier prouvant sa filiation. Plus qu’une histoire d’héritage même. C’était ramener un bout de son âme brisé dans son cœur et faire la paix avec une partie de son passé.

Un simple d’accord. Ce fut tout ce qu’il réussit à obtenir d’Alduis qui avait acquiescé à la mention de son nom. Il ne savait pas trop. Devait-il interpréter cela comme un accord ou plutôt comme un « faites comme bon vous chante ? ». Quoi qu’il en soit, il n’eut pas le loisir d’approfondir la question puisque son fils changea de sujet aussitôt. Éléonore. Son cœur tressauta et il remonta sur ses rênes. Il ne pourrait plus éviter le sujet, il le savait désormais: ce serait maintenant ou jamais. Or, jamais était exclu. On ne fuyait pas, on affrontait. Il déglutit puis demanda d’une voix hésitante sans oser croiser son regard.

— La semaine dernière. Pourquoi ?

Que voulait dire cette question ? Coldris fixait désespérément les oreilles de Kleitos qui tournaient comme des girouettes. Il mâchouillait nerveusement son mors et son cavalier en aurait fait tout autant à sa place. Un obstacle ne se refusait pas. Qu’avait dit Bérénice déjà ? Faire simple. Oui, faire simple. Pourquoi était-ce si compliqué de faire simple ? Il avait l’impression que ses côtes allaient finir par empaler ses poumons à force de se resserrer. Il secoua à la tête puis inspira en même temps que son étalon hennissait.

— Je… Alduis…

Faire simple. Faire simple. Faire simple.

— Je sais que c’est insensé, mais je l’aime. lâcha-t-il d’un coup avant de changer d’avis.
— Vraiment.

Parce qu’il fallait quand même préciser tant la situation était absurde vu de l’extérieur. Il en avait conscience. Il y avait quelque chose de ridicule à ce que Coldris de Fromart soit amoureux. Cela avait toujours sonné bizarrement à l’oreille et cela n’avait pas changé depuis.

— Je voulais que tu le saches.

Et il n’osa pas tourner la tête pour croiser son regard. Le petit moineau sur sa branche était nettement plus intéressant quand bien même il avait l’air de se moquer de lui.

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Message par Alduis de Fromart Mar 8 Juin - 10:41

Les enfants étaient comme les animaux. Comme les chiens et comme les chevaux. Alduis hocha la tête.

— Alors ça veut dire que c'est moi qui ait peur...

Au fond, Alduis n'était pas surpris. Parce qu'il fallait bien admettre que face à Adéis, du haut de son jeune âge, lui rappelait ses futurs enfants. Alduis ne pouvait s'empêcher de s'imaginer lui-même père, dans pas si longtemps que ça. Cela le mettait face à ses propres devoirs, auxquels il aurait aimé échappés. Mais c'était là chose inaccessible.

Le jeune homme comprenait. Comme un cheval. Il était bien placé pour dire qu'il ne fallait jamais approcher un cheval lorsque l'on était bourré de nervosité. Il devait simplement être naturel avec Adéis, comme il l'était sans cesse avec Courage. Peut-être pourraient-ils bien s'entendre, finalement ?

Bien sûr, il se souvenait de ce que son père lui avait dit sur leur première vraie rencontre. Alduis ne prit d'ailleurs pas la peine de répondre ; c'était évident. D'autant plus qu'ils avaient parlé de sa mémoire débordante quelques temps plus tôt, avant ces histoires d'ennui…

Alduis pinça les lèvres et finit par prendre son courage, tandis que son père lui expliquait qu'il avait eu aussi peur, autrefois. Alduis était trop jeune pour se souvenir et pourtant, quelque part au fond de lui, cette figure paternelle aperçue alors pour les premières fois l'avait marqué. Si c'était à refaire, il changerait le cours des choses. Mais s'il avait le pouvoir de retenir en détails, il n'avait pas encore celui de remonter le temps.

Aborder Adéis, c'était comme aborder un cheval. Alduis le nota dans son esprit. Comment aurait-il commencé avec un nouveau cheval ? Il fallait briser la glace. Gagner sa confiance. Ils passèrent finalement au sujet suivant, mais Alduis se promit de faire davantage d'efforts vis-à-vis de son neveu. Il finirait par y arriver.

Puis Coldris lui annonça la nouvelle : Sarkeris allait être légitimé. Quand on y réfléchissait bien, Alduis ne l'avait pas vu tant que cela ces derniers mois. Seulement trois fois, à l'anniversaire de Coldris, à la caserne et lors du réveillon. Qu'aurait-il pu d'autre, exactement ? Et pourtant, malgré l'air partagé de son père face à son « d'accord », il n'en restait pas moins qu'il s'agissait d'une réelle approbation.

Alduis préféra changer de sujet. Éléonore. Il n'aurait pas cru provoquer une telle gêne en parlant d'elle. Son père se reprit néanmoins plutôt rapidement, pour lui demander pourquoi il lui posait une telle question. Son fils lui répondit franchement :

— Parce que vous semblez bien vous connaître et qu'elle était troublée quand elle est venue, il y a trois jours.

Et troublée… Voici un gentil mot pour décrire la situation. Mais il y avait autre chose dans l'attitude de son père. De la nervosité. Laquelle déteignait sur Kleitos qui se mettait à mâcher son mors.

— Je… Alduis...

Alduis fut surpris par son temps qui semblait subitement vulnérable.

— Oui ? répondit-il d'une petite voix en guise d'encouragements maladroits.

Alduis ne s'était pas attendu à une suite pareille. Tant et si bien qu'il en perdit ses moyens. Son père aimait Éléonore ? Alors que Coldris se prenait d'une attention passionnée pour un moineau, Alduis tentait de ré-organiser ses pensées.

Le silence se comptait en minutes. Chaque seconde le rendait encore plus lourd. Conscient qu'il fallait le briser, le jeune homme trouva enfin de courage de le faire.

— Désolé, je ne sais pas quoi dire, avoua-t-il.

En fait, il se sentait un peu bête de ne pas l'avoir vu plus tôt. Des dizaines de choses, quand il y repensait, auraient dû lui mettre la puce à l'oreille. Mais l'idée que son père en soit amoureux, sincèrement, ne lui avait pas effleuré l'esprit. Peut-être parce qu'Éléonore était déjà plus jeune que lui et… Elle lui avait dit que c’était juste distrayant. Et lui, il l’avait cru, alors que tout criait le contraire. Il hocha la tête finalement et conclut :

— Je suis content pour vous, répondit-il enfin, puisque c’était le cas.

Mais il ne savait toujours pas quoi dire et était désormais aussi gêné que Coldris, alors il remit les étriers et déclara :

— Je prends ma revanche.
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Message par Coldris de Fromart Mar 8 Juin - 13:55




Coldris laissa son fils à ses déductions concernant la façon d’aborder son neveu. Il savait qu’il comprendrait de quoi il retournait en évoquant les chevaux. Les enfants c’était du pareil au même. Il avait mis du temps à le comprendre, alors s’il pouvait lui éviter de chercher et de s’agacer des mois ou même des années durant, c’était la moindre des choses. Sans parler du fait qu’il aurait sans doute des enfants - peut-être même prochainement - et qu’il valait sans doute mieux éviter que leur relation ne prenne la même voix houleuse que la leur.

Il avait encore du mal à croire qu’elle prenait enfin la direction de l’apaisement. À tel point que ce « d’accord » le laissa perplexe. Il était sûr qu’avant la fameuse fenêtre les choses auraient pris une tournure complètement différente. Et ce n’était pas car sa relation avec Sarkeris avait évolué, non, c’était simplement, car il avait désormais suffisamment confiance en lui pour accepter cet état de fait.

Alduis l’interrogea ensuite sur Éléonore et la dernière fois qu’il s’était vu. Cela remontait à la fin de semaine dernière, ce fameux séjour au manoir du moulin. Il se demandait pourtant d’où lui venait cette question et déglutit péniblement en entendant son « vous semblez bien vous connaitre ». Se pouvait qu’il… ait deviné ? Mais lorsqu’il entendit qu’elle était troublée, il secoua la tête. Troublée ? Parce que Gabriel était arrivé ?

— Je ne l’ai pas vu. J’étais occupé à la préparation de la cérémonie ces derniers jours. Je la vois demain, j’aurais tout le loisir de lui demander.

Et d’ailleurs… puisqu’il devait la voir, il devait aussi avouer à Alduis ce qu’il ressentait vraiment. La nervosité le gagnait au point qu’elle filtrait au travers des pores de sa peau jusqu’à rencontrer celle de son étalon qui l’évacuer en faisant rouler son mors entre ses dents. Il se sentait terriblement stupide et affreusement faible en ce moment. La petite voix de son fils qui lui fit écho ne fit qu’accentuer ce malaise en lui renvoyant en pleine face sa propre tension. Un mot lâché ne saurait revenir disait Horace. Il fallait croire que sa flèche venait de faire mouche car Alduis plongea dans un profond silence qu’il n’osait pas interrompre sans rien à voir de concret à dire.
Effroyablement gênant.
Il observa un moineau qui agacé s’envola en piaillant puis reporta son attention sur l’écorce des arbres. Certaines étaient rugueuses, dotées de profonds sillons comme une terre grise craquelée sous la sécheresse. D’autres étaient striés de longues lignes s’élevant jusqu’aux plus hautes ramures. D’autres encore étaient lisses parsemées de motifs qui se détachaient comme une seconde peau. Certains troncs étaient marrons, d’autres gris ou encore crème. Il y avait ceux qui exhibaient leurs corps nus quand d’autres, telles de belles femmes s’ornaient de bijoux de lierre ou de mousse chatoyante. Il observa de longues minutes son environnement lorsque son fils se décida à parler.

Coldris secoua la tête. Ça ne faisait rien. En fait il comprenait parfaitement. Qu’y avait-il à dire à cela ? Cela semblait si absurde que même dans sa bouche cela était à peine croyable.

— Je suis content pour vous,

Il tourna la tête et trouva le courage de croiser son regard pour oser articuler un rauque « Merci. ». Ce sur quoi ce silence de mort les enveloppa de nouveau alors même que la brume semblait elle se dissiper.  Heureusement, Alduis proposa une course à point nommé. Ils firent faire demi-tour à leurs montures puis les élancèrent au grand galop, traversant la clairière avant de retrouver l’allée qui’ils avaient parcourus en sens inverse. Cette course était plus longue que la précédente. Le père doubla son fils avec un grand sourire victorieux. C’était simple, il suffisait de sentir l’air contre son visage pour qu’il ait l’impression qu’il n’emporte tous ses soucis loin derrière lui. Courage suivait Kleitos de près mais l’étalon allongeait tant sa foulée qu’il garda sa légère avance jusqu’à la ligne d’arrivée. Il avait beaucoup pris de son grand-père Alkaios. A vrai dire tout, sauf son noir qui semblait avoir délavé au soleil.

— Tu vas visiblement être obligé de venir te promener avec moi une nouvelle fois, si tu veux espérer me vaincre ! fit-il avec un sourire amusé Tu la nourris trop, elle s’empâte mon grand. Tu es sûr que tu ne veux pas un de mes andalous ? demanda-t-il en anticipant la réponse.

— Je serai même tenté de te proposer de te battre en duel contre moi, pour être sûr que tu finisses par remporter l’un de nos affrontements. taquina-t-il en sachant pertinemment qu’il se ferait battre à plate couture.

Heureusement d’ailleurs que sa luxation avait eu lieu après son duel avec Sarkeris…

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