[23 Janvier 1598] C'est en forgeant que l'on devient forgeron [RP Sensible][Terminé]

Avertissement - discussion autour de la sexualité:

Cette journée s’annonçait chargée. Une journée somme toute comme il les aimait : trop remplis pour laisser son esprit voguer et se perdre. Qui plus est, c’était le jour où il pourrait voler un peu de temps qu’il passerait avec Éléonore. Une bonne journée, donc, qui avait débuté comme d’ordinaire avant les premières lueurs de l’aube par un peu d’exercice équestre afin de réveiller corps et esprit. Un petit déjeuner qu’il avait avalait à son retour sans y prêter aucune attention puis il s’était changé et rendu dans son bureau afin de travailler.

Entendre les coups frappés à la porte l’étonna brièvement. Si tôt ? Qui pouvait bien venir le quérir si tôt ? Assurément pas Léonilde dont ce n’était pas le protocole d’entrée de la sorte. Alexandre. Que voulait-il ? Ah oui, le lupanar. Son précieux intendant avait évoqué cette requête qu’il comptait lui soumettre. Bien. Ce n’était pas comme s’il revenait du Lupanar où Isabelle lui avait fourni un récit à en pleurer de rire. Il le fit donc entrer, rangea ses quelques dossiers dans un tiroir qu’il ferma à clé puis se leva, invitant son esclave à le suivre dans le salon à l’abri des oreilles indiscrètes. Une fois installés confortablement, jambes croisées, mains entrelacées sur sa cuisse, il se décida à lui répondre.

— Si rapidement ! As-tu à ce point apprécié cette soirée de découverte et j’ose l’imaginer d’exploration de terres inconnues. À ce sujet, avec quel financement comptes-tu te rendre au Lupanar ? Ce n’est pas un établissement bon marché pour un esclave et un curé révoqué et la maison ne fait pas crédit.

Il pencha innocemment la tête. Qui sait… Il pourrait bien payer la note si l’envie lui prenait soudainement, après tout il était d’excellente humeur ce matin de cette rayonnante journée. Toutefois, il avait cruellement envie de s'amuser un peu avant de songer à ces considérations pécuniaires.

Pas déplaisant hein ? Quel euphémisme ! Si peu déplaisant qu’il y était retourné par trois fois, sans doute simplement histoire de s’assurer que ce n’était effectivement pas si désagréable que cela de sentir le corps d’une femme contre le sien.

— C’est pour cela que tu étais si pressé de monter en chambre remarqua-t-il en esquissa un discret sourire malicieux, qui laissait présager qu’il s’en tiendrait sagement là et surtout qu’il ne savait rien d’autre, excepté qu’il n’était redescendu qu’au petit matin.

Coldris hocha la tête à la mention de son fils. Il était évident qu’il n’était pas assez fou pour lui raconter que son amant se plaisait tout autant à sauter les putes du Lupanar. Quant à l’argent, et bien soit si l’affaire était entendue en ce cas, il n’interviendrait pas. Il fronça tout de même les sourcils à la mention des finances d’Alduis se rappelant au passage des vêtements de Thierry mentionné par Matthias dans son rapport.

— Ce qui est au Lupanar reste au Lupanar. Je ne dirais rien de ce que je sais sur ce sujet. Tu as ma parole, Et des choses, il en savait plus qu’il ne l’imaginait sans doute. Pas même qu’il suffit à Héphaïstos de goûter à de divines pâtisseries pour se sentir l’âme d’un Héraclès et trouver le courage de terrasser l’hydre de Lerne par trois reprises.

Son sourire s’étira attendant la réaction qui ne manquerait pas de venir…

Ne pas avoir trop d’informations sur lui ? Oh Alexandre si tu savais… Cette naïveté avait quelque chose de rafraîchissant pour tout dire. Preuve supplémentaire s’il en était qu’il n’était pas encore prêt à faire son entrée dans le monde des Grands.

— Tellement dommage. J’aurais tant voulu être une petite souris ce soir là !

Intérieurement, Coldris se gaussait déjà de sa surprise lorsqu’il découvrirait qu’il n’avait pas besoin de voir pour savoir… Nouvelle leçon en perspective, de toute évidence.

Il aurait pu le faire marcher longuement avant de révéler le pot aux roses, mais cette histoire de mythologie qui venait de ressurgir lui ôta toute patience. C’était trop tentant pour ne pas s’en saisir. Et puis son excellente humeur le rendait peu à même de se jouer de lui comme un chat avec une souris. La réaction ne se fit guère attendre pour sa plus grande satisfaction – quoiqu’il n’aurait pas dit non à un peu plus de stupeur encore -. Coldris se laissa tomber en arrière dans son fauteuil riant silencieusement de l’effet produit.

— Alexandre, voyons… Tu me connais désormais. Comment peux-tu encore me sous-estimer à ce point ?

Il se redressa pour croiser son regard de biais.

— Les détails. Les détails, Alexandre ! C’est ce qui fait la différence entre un plan tout juste médiocre et un bon plan. Et où mieux que dans l’intimité découvre-t-on ce genre de détail ?  Il n’y a pas de meilleur endroit pour exercer son art et s’en méfier tout autant. Crois-tu réellement que je n’invite à mes soirées que par pur altruisme ? Bien sûr que non voyons !

Et pour le reste, il le laissa mariner quelque peu, le temps sans doute de digérer ce nouvel apprentissage qui venait de faire son entrée.

— Tu conviendras toutefois que je l’ai bien choisi n’est-ce pas.

Elle était belle cette confiance aveugle en son secret. Isabelle n’aimait pas les petites souris c’était bien vrai, mais il oubliait qu’il suffisait que la petite sourire se trouve déjà entre les murs pour pouvoir écouter aux portes. Il réalisa d’ailleurs bien vite son erreur quoique sans comprendre en quoi cela pouvait l’intéresser. Bon certes, dans ce cas présent c’était par pure curiosité qu’il avait voulu savoir s’il était parvenu à tenir son objectif, comment et s’il avait apprécié découvrir l’attrait des femmes alors qu’il baisait son fils. Lui-même aimait tant les femmes qu’il ne comprenait absolument pas comment il était possible de les fuir pour trouver refuge dans les bras d’un homme. Apprécier les deux, comme les Romains étant en revanche légèrement plus sensée et envisageable pour son esprit.

En revanche, Alexandre ne parvenait pas discerner en quoi cela pouvait bien s’avérer si utile d’inviter des individus au lupanar. Il faisait fausse route. Coldris secoua fermement la tête pour montrer son désaccord.

— Tu ne m’écoutes pas, Alexandre. J’ai bien parlé de détails et non de secrets. La sexualité n’a rien à voir là-dedans en tant que telle. C’est simplement qu’hommes et femmes sont plus disposés à laisser entrevoir certaines facettes de leur personnalité ou failles. Des détails insignifiants que l’on ne prend pas la peine de masquer, si insignifiants qu’ils n’ont de valeur comme une épice pour relever le plat. Tiens, prenons ton cas, par exemple veux-tu et partons du principe que je ne te connais pas fit-il en tendant la main vers lui. Qu’aurais-je découvert ? Tu n’avais jamais eu de relation avec une femme, tu comptes te marier te prochainement et tu comptes faire plus que le minimum requis pour la satisfaire ce qui est somme toute étrange bien qu’admirable. Tu as la dent sucrée et parler de mythologie te détend. Ton père est un prêtre débauché et il est ami avec le ministre. Tu es curieux et te poses un tas de questions. Visiblement tu apprécies assez la chair féminine pour te laisse convaincre d’y revenir bien rapidement. Des informations qui n’ont aucune valeur prise indépendamment, tu en conviendras. Toutefois je saurais par exemple comment te mettre à l’aise si j’avais besoin de ton concours.
L’évocation de Nehalan lui arracha un large sourire carnassier. Bien sûr que ce n’était que pour se divertir, et aussi, étancher sa soif de curiosité. Il avait du reste suffisamment de points faibles le concernant pour ne pas faire l’effort de l’inviter à sa soirée. D’ailleurs, il lui concédait ce point : compte tenu des éclats de rire qui avait animé le récit de la veille, il n’aurait jamais survécu à celui de la carpe.

— Ah que vois-je ! Redescendrait-elle dans ton estime ? Passer d’Aphrodite à héritière d’une obscure divinité méconnue, voilà qui n’a rien de fameux.

Et comme on ne chassait jamais vraiment le naturel, c’était tout naturellement qu’il revenait frapper à la porte et que sa curiosité se manifesta sous la forme d’une pluie de questions somme toute légitimes. Coldris balaya l’idée d’un revers de la main.

— Ton père n’a rien d’une référence dans ce domaine, en réalité. À vrai dire ce qu’il aime c’est baiser plus que d’être avec une femme. Tout ce qu’il recherche c’est l’orgasme final, tout ce qu’il y a autour ne l’intéresse pas réellement. Je n’ai pas tellement de meilleure réponse à te fournir que celle que tu as déjà reçue. Tu es jeune, alors tu pourras bien rapidement réitérer tes exploits, ce qui est moins mon cas désormais. Et la durée… Et bien, je t’avais prévenu l’autre jour que tu risquais quelques déconvenues n’est-ce pas ? Tu t’amélioreras avec le temps. Peut-être. Tout dépend de ce que la Nature a prévu pour toi et de ta capacité à te maitriser.

Enfin c’était quand même étrange… il devait tout de même bien… avec Alduis, non ? Comment se faisait-il que… Il chassa rapidement les images qui s’invitaient dans son esprit. Ah si seulement son fils avait pu autant apprécier la bonne compagnie d’une femme… Tout aurait été bien plus simple…

Alexandre fit preuve d’humilité, intégrant cette nouvelle leçon sur l’importance à accorder aux petits détails qui forgeaient la personnalité d’un individu. Ces petits détails précisément qui pouvaient faire toute la différence et se transformer en or le moment venu. Tout cela lui rappelait son arrivée à Braktenn et les informations obtenues par le biais d’Annie sur le compte du notaire Blondeau. Une vieille histoire désormais… Il inclina la tête et poursuivit la discussion, sans manquer de relever le revirement mythologique dont le qualificatif de Belline venait d’être victime. Son explication était bancale, mais on ne pouvait pas lui retirer la tentative de retomber sur ses pattes.

— Ah oui, vraiment? N’était-elle pas plus versée dans les arts de l’amour que ceux de la guerre ? questionna-t-il candidement avant de répondre à ses interrogations.

Il acquiesça lorsque le jeune homme reformula  son affirmation au sujet de son père. C’était exactement cela. Quoique Coldris n’attendent guère plus non plus que le plaisir qui en est découlé et la satisfaction d’être arrivé à son but. Toutefois leur vision était bien différente…

— Je suis un gourmet, c’est un glouton, voilà tout.

Il souffla de rire à l’expression employée par Alexandre qui lui convenait parfaitement. Un phallus dressé alors. Cette image lui rappelait l’insigne ailé des bordels romains. Curieux parallèle lorsque l’on y songeait. A la mention de sa frustration en revanche, il eut un léger rire mi-amusé, mi-moqueur, se rappelant de sa première fois, dans cette grange pleine de foin. Si cela l’avait laissé sur sa faim ? Diable oui… C’était si bon qu’il en avait tourné de l’œil avant d’avoir pu en savourer réellement le plaisir de ces sensations nouvelles qui s’étaient déversées dans tout son corps.

— Ah ! La nature est ainsi faite mon cher Alexandre, c’est pour nous donner envie d’y retourner que crois-tu donc ? N’est-ce pas d’ailleurs ce que tu as fait ? Et tu aurais eu bien tort de t’en priver. Enfin rassure-toi, ton corps devrait s’habituer à ces nouvelles sensations au fur et à mesure. Si tu veux un conseil, ne pars pas trop vite. Qui veut aller loin, ménage sa monture, comme dit le proverbe.

Il avait beau en chasser l’idée, elle revenait toujours le harceler aussi surement que les étourneaux sur les champs de blé… Coldris avait bien du mal à croire qu’Alexandre puisse n’avoir aucune expérience de ce type et même si… Enfin si les choses étaient ce qu’elles étaient… Il devait bien avoir… Comment était-ce possible de ne pas… L’idée même le laisser pantois.

— N’as-tu donc jamais… Tu dois bien avoir d’une façon ou d’une autre… N’est-ce pas ?

Sa gorge se noua et il déglutit péniblement. Même avec toute la volonté du monde, il parvenait difficilement à imaginer comment deux hommes pouvaient bien parvenir à égaler l’amour entre un homme et une femme. C’était… Il n’y avait qu’un homme dans l’histoire qui pouvait espérer réellement jouir. Quelle idée saugrenue, tout de même… Plus proche de la pédérastie que de l’amour a bien y songer.

Alexandre ne se laissait pas démonter et il était curieux de voir jusqu’où il pourrait défendre cette idée pour ne pas avoir à s’avouer vaincu. Et ce n’était pas l’Illiade qui risquait de le déstabiliser, quand bien même il lui préférait l’Enéide… Cependant pour entrainer Alexandre sur un terrain plus délicat, il dût puiser dans ses ressources et sa mémoire littéraire.

— Certes. Mais nous parlons d’amour et non de guerre, Alexandre. Je n’ai jamais entendu vanter les mérites d’une Bellone dans un tel domaine. Au contraire… Puisque nous parlons Antiquité, peut-être devrais-je à mon tour te rappeler les vers de Virgile ?

et scissa gaudens uadit Discordia palla,
quam cum sanguineo sequitur Bellona flagello.*

J’ignore quelles sont tes pratiques en la matière, mais je préfère les femmes plus douces que cette déesse qui n’a rien d’une charmante amante. Et tu conviendras que Sénèque** n’est guère plus tendre avec elle, pas plus très certainement que les qualificatifs de Maurice de La Porte dans ses Epithètes.

S’il ne se souvenait plus de la définition exacte, il était persuadé de ne jamais rien avoir entendu de très séduisant au sujet de cette déesse. Fier de la balle qu’il venait de renvoyer à son adversaire, il s’arma d’un large sourire, curieux de découvrir à son tour sa réponse.

Leur discussion dériva sans grande surprise sur la nouvelle expérience de son apprenti qui s’inquiétait des pratiques déraisonnables de son père et le conseilla au mieux sur la suite. Étrange discussion qu’il n’avait jamais eue avec son propre fils en réalité et qu’il regrettait sans doute un peu au fond de lui tant les femmes tenaient une place centrale dans sa vie.

— En effet, tu as entièrement raison. Idiot est celui qui n’apprécie pas de la voir s’abandonner entre ses bras. J’espère que tu trouveras une femme dont l’esprit n’aura pas été atrophié par des années de couvent.

Harcelé par cette question qui revenait sans cesse le hanter dès qu’il s’agissait d’évoquer les relations entre son fils et son esclave, il acheva de s’enquérir de ce point, espérant pouvoir y voir un peu plus clair dans ce que pouvaient bien trouver deux hommes à entretenir une relation entre eux. Ses yeux s’écarquillèrent légèrement alors que sa réponse trouvait un écho dans sa propre culture. Alors c’était ainsi. Coldris ne savait pas bien si l’idée de le répugnait profondément ou si savoir que l’ordre établi laissait Alduis à la bonne place. Si tant était que l’on puisse considérait comme telle. En revanche, il ne voyait toujours pas quel plaisir Alexandre pouvait bien retirer à une telle relation. Ce n’était pas une femme. C’était contre nature. Son corps n’était pas fait pour… ce genre de chose. Contrairement à d’autres...

— Tant qu’il ne s’agit pas des coutumes grecques...

Parce que vraiment, il ne se sentait pas le cœur à baiser son apprenti pour lui apprendre la vie. Il laissait volontiers cela aux putes du Lupanar, ou à défaut à son fils…

… Je ne comprends pas quel plaisir tu peux retirer d’un tel exercice. J’ai beau faire l’effort d’ouvrir mon esprit à une telle chose… Je n’y arrive pas.

Leur petite joute verbale se poursuivait pour son plus grand plaisir. Ce n’était pas tous les jours que l’on avait la chance de pouvoir être ainsi stimulé et forcé à devoir arpenter son immense bibliothèque mentale à la recherche la répartie qui ferait mouche. Coldris secoua la tête au début de sa répartie. Éléonore aurait certainement désapprouvé et ce n’était pas non plus ce qu’il voulait. La fin lui arracha cependant un sourire de satisfaction.

— Non, non, non, Alexandre. Tu te confonds tout. L’amour n’a rien de violent où il perdrait instantanément son nom. L’amour c’est le respect, la liberté dans son essence la plus pure qui existe au monde. Tu pourrais bien prendre également Éros, que tu n’y retrouverais jamais que le Bien le plus absolu, quel que soit la forme qu’il puisse revêtir et où la représentation que les auteurs peuvent en avoir. La notion à laquelle tu fais présentement référence tient plus du rapport à la violence de l’enfantement ce qui somme toute est exact et réaliste. Quoi qu’il en soit et si tu y tiens tant Aphrodite n’est pas en reste concernant la guerre – en témoigne Aphrodite Nikêphoros – ce qui ne l’empêche guère, à l’inverse de ta Bellona, d’être également celle de l’amour, du mariage, de la beauté et de la procréation contrairement à la sanglante guerrière. Enfin… En toute honnêteté Alexandre : si tu étais une femme à qui préfèrerais-tu être comparé ? La splendide Aphrodite ou l’obscure et violente Bellone ?

En tout cas son choix était vite vu : il n’était pas venu à la capitale pour finir ministre et se retrouver  affublé d’une divinité mineure créer pour satisfaire les frustrations de la gent féminine à ne point pouvoir tenir une épée sur un champ de bataille : il la leur laissait bien volontiers.

De là leur discussion évolua vers son mariage à venir et le choix de sa future épouse. Il souffla un petit rire à la mention de cette diablesse de Lavinia, mais fut touché de la confiance qu’Alexandre lui témoigna en lui remettant ce choix entre ses mains… Tout en ne pouvant retenir une certaine amertume à l’idée que son père soit visiblement incapable d’une telle mission.

— Il n’y a pas de mauvais choix. Tout dépend de tes ambitions et de ce que tu es prêt à y sacrifier pour y parvenir. Elle reste somme toute un bon parti en effet et d’une noblesse accessible à une personne de ton rang. Je ne l’imagine pas réellement embarrassante à vivre et sans doute pas fourbe. En conclusion, je n’exclurais pas l’opportunité si elle se présentait. Qui sait, le baron pourrait  même te la céder pour éviter de l’envoyer épouser Diable c’est quel bâtard obscur du couple européen.

De là, et c’était sans doute la réflexion autour du Banquet de Platon et de l’Amour qui avait réveillé ses interrogations, la discussion évolua autour de cette homosexualité qu’il ne comprenait pas. Enfin… il pouvait envisager un amour platonique entre deux hommes, mais de là à avoir des relations charnelles et pire encore à y trouver son compte… C’était hors de sa portée. Il écouta patiemment Alexandre dans son explication. Au loup, il aurait bien répondu qu’il savait parfaitement se déguiser en brebis, mais soit il voyait où il venait en venir, toutefois cela ne l’aidait pas à saisir. Cela demeurait toujours hors de sa portée. Et ce n’était pas faute d’essayer. C’était frustrant. Terriblement frustrant et agaçant de ne pouvoir mettre une explication derrière ce phénomène.

— scio me nihil scire. Tu ne m’as rien appris. Qu’importe, on ne pourra pas dire que je n’aurais pas tenté d’appréhender ce mystère.

Ainsi s’acheva leur petit duel amical, sur une victoire de sa part. Coldris inclina la tête face à la reddition de son apprenti. C’était toujours un pur plaisir que de s’adonner à ces stimulations cérébrales et culturelles. Il esquissa un sourire.

— Il n’y a pas de belle victoire sans adversaire de taille, commenta-t-il à son tour.

Mais le vicomte préférait de loin remporter la bataille que de s’avouer vaincu. La défaite quelle qu’elle soit avait toujours un arrière-goût amer qui le forçait à chercher ce qu’il aurait pu améliorer dans ses défenses autant que son attaque pour parvenir à une parade efficace qui porterait le coup d’estoc fatal.

De leur duel, ils passèrent au sujet des alliances matrimoniales. En l’occurrence celle que devrait contracter Alexandre prochainement comme tout individu respectable s’y employait qu’importe son envie ou son ambition personnelle. Il se permit une plaisanterie à peine voilée autour de la reine d’Espagne et de la fille de Dyonis. Il se souvenait encore fort bien de la tête déconfite de ce pauvre baron lorsqu’il avait appris qu’elle sautait son esclave (ou était-ce l’inverse ? Qu’importe.) Ce n’était pourtant pas faute de l’avoir prévenu sur ce sujet, mais de toute évidence la Dame de Kergemont semblait disposer d’un impérieux besoin de compagnie intime, ce qu’il aurait tout à fait pu combler dans d’autres circonstances… pourvu qu’elle se taise.

Exigeant,  pour sûr il l’était. Belle, intelligente, douce, aimante, mère dévouée, cultivée… Rien que cela. Le double de sa petite nymphe… Ah ! C’est vrai qu’une telle femme avait de quoi être alléchante, toutefois…

— Je crains que tu ne réalises pas à quel point une telle épouse peut-être compliquée à gérer pour un époux. Je regrette parfois de lui avoir fourni une telle éducation, je dois dire. Y compris pour elle, il aurait été bien plus simple de se contenter de ce qui est d’ordinaire jugé suffisant pour une femme. Prends garde à ce que son intelligence n’œuvre pas contre toi.

Ils abordèrent ensuite la question de la sexualité qui n’éclaira en rien la lanterne de Coldris. Il grimaça de frustration puis secoua la tête.

— La passivité n’est pas faite pour moi. Tu connais la devise de ma famille et elle n’est pas de se laisser dériver par le courant pour échouer où bon lui semble. Invenit qui quaerit*

Coldris inclina cérémonieusement la tête lorsqu’Alexandre renouvela son souhait de requérir à son avis concernant son épouse. Il se sentait honoré de cette confiance qu’il lui était donné et ferait tout pour que celle-ci convienne le plus parfaitement possible à ce qu’Alexandre souhaitait et ce que lui espérait.

Quant à l’homosexualité, la simple idée d’essayer une telle chose suffisait à lui donner la nausée autant qu’anéantir les moindres raideurs qu’il aurait pu avoir. Non vraiment… Il réprima frisson, visiblement mal à l’aise, et le petit sourire d’Alexandre ne trouva qu’un faible écho.

— Hmm, oui, éventuellement… Concernant ta demande, c’est entendu, tu peux te reprendre au Lupanar. Paye pour ton père et demande à Isabelle de mettre la tienne sur mon compte, si tu le désires. Bien, je dois me préparer pour me rendre au Palais de Justice et espérer que ton père n’ait pas le bon ton d’arriver en retard ou de proférer je ne sais quelle bêtise de son cru…