[14 Février 1598] Oreille pour oreille [Terminé]

Le jour-dit, Bérénice se rendit dans la chapelle à l’heure où le vicaire disparaissait dans les couloirs de Fromart. Cela n’avait pas été si simple de cacher l’évêque Zacharie, mais l’arrière du confessionnal offrait une place de choix et une discrétion assurée.
Elle inspira profondément, tachant d’oublier la dernière fois où elle avait parlé à cet homme. Elle n’était plus une jeune fille désormais. Elle était une femme. Elle ne craignait rien et surtout pas le vicaire quand l’évêque se cachait derrière. Elle devait simplement le faire parler. Elle y arriverait. Elle y arriverait. Des pas la firent sursauter, interrompant son fil de pensées.

— Bonjour mon Père, je ne vous avais pas entendu entrer. Je n’avais jamais vu la chapelle dans un si belle état je dois dire. Pardon… Oui j’aurais souhaité m’entretenir d’un sujet avec vous… C’est… Enfin je ne sais pas comment expliquer cela… Cela ne cesse de me tourmenter nuit et jour… expliqua-t-elle maladroitement en refermant ses poings.

Bérénice entama la conversation, s’en tenant à son rôle. Elle le complimenta sur la chapelle comme si elle était venue l’admirer une dernière fois avant que les araignées ne conquièrent de nouveau leur royaume. Elle lui adressa un petit sourire à la mention de son père : c’était bien vrai après tout, elle n’aurait jamais pu le nier, mais ce n’était pas de cela qu’elle était venu s’entretenir. Il indiqua le confessionnal. Elle fit mine d’être hésitante, après tout elle en gardait un mauvais souvenir… Elle céda néanmoins dans une petite moue soumise, tête baissée, et le suivit sans un mot vers la petite porte où elle prit place. Le père Rodrigue émit une première hypothèse, Bérénice se plongea dans l’observation de ses genoux.

— Pas exactement… C’est au sujet de mon mari, il…

Installé sur le banc du confessionnal, le vicaire encouragea la jeune femme à s'exprimer en invoquant l'hypothèse qui lui paraissait le plus logique. Dans l'esprit d'une mère, qu'est-ce qui importait autre que ses enfants ? Rien, bien sûr. Dès que son premier fils naissait, toute son existence se trouvait concentré autour de la vie de ce nouveau petit être. Elle fixa ses genoux et prit la parole. Finalement, ses tourments concernaient son époux. Il n'était pas tombé si loin. Après tout, toute femme vivait dans la dépendance de son mari et lui devait obéissance et loyauté.

Il reprit d'une voix contrite :

"Votre époux ? En quoi vous cause-t-il onc du souci ?"

Rodrigue réprima un sourire en songeant que le marquis, fidèle à son sang et à sa lignée, savait au contraire dompter son épouse. Avec lui, elle ne pouvait plus assouvir tous ces caprices que son père lui passait autrefois. Il la laisserait exposer ses griefs, puis lui rappellerait les devoirs que toute épouse devait à son mari. Elle irait sûrement s'en plaindre encore au ministre. Soit ! Lui irait le rapporter au marquis et à l'instar de feu son père il prendrait sa défense.

Désireux de gagner sa confiance, il eut un sourire bienveillant, empli de douceur.

"Courage, ma fille, je ne vous jugerai pas."
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Bérénice jouait les timides devant le vicaire afin de dissimuler sa duplicité, il ne fallait pas qu’elle ait l’air trop sûre d’elle. Et s’il se montrait trop correct ? Non… Ce n’était pas possible, même l’évêque semblait convaincu de sa mauvaise foi. Elle prit une profonde inspiration :

— Depuis qu’il est revenu de Mornoy, il n’est plus le même… Elle marqua un temps d’arrêt afin de réfléchir puis reprit : il ne quittait plus sa fenêtre et… il n’a plus effectué son devoir conjugale…

Elle leva les yeux vers lui, un brin gêné par sa déclaration, espérant qu’il fasse un commentaire qui l’aiderait à aiguiller ses propos pour la suite.

Bérénice grinçait des dents intérieurement aux paroles du vicaire. Il n’avait décidément pas changé ! Quel répugnant parasite ! Et il allait jusqu’à sous entendre qu’Adéis risquait de mourir ! Comme si elle avait besoin de cela pour en avoir conscience. Elle garda néanmoins les yeux baissés pour ne pas laisser éclater sa rage. Il ne s’agissait pas de tout compromettre d’un coup de sang. Il ne fallait pas oublier que ce n’était qu’un piège.

— C’est bien mon avis mon Père, je crains pour la vie de mon fils. J’ai peur qu’il ne paye pour mes péchés comme mon époux. Mais… pardonnez-moi mon Père… A quel genre de solution songez-vous ? Car je ne vois nul moyen de le forcer à effectuer son devoir…

Sur cette partie, elle était sincèrement curieuse de connaître l’idée qu’il avait derrière la tête, car elle ne voyait pas vraiment où il voulait en venir avec sa solution.

Bérénice ne put s’empêcher de grimacer à la mention des fautes payés par les fils. Elle happa l’air pour se contenir et froissa par la même occasion son jupon entre ses poings. Ce n’était qu’un piège. Ce n’était qu’un piège tout allait se dérouler à merveille. Il était inutile d’écouter ce qu’il avait dire si ce n’était pour l’entrainer un peu plus loin sur le chemin de la déchéance. Elle acquiesça donc et poursuivit sur la solution.

Une procédure pour un impuissance ? Un congrès ? Oh elle en avait déjà entendu parler bien entendu, mais cela ne l’empêcha pas d’écarquiller les yeux de stupeur tant elle était à des milliers de lieues de songer que c’était cette solution qu’il allait proposer. C’était tout bonnement… ridicule. Mieux valait continuer de jouer les innocentes néanmoins.

— Mais… mais… mais… je ne veux pas me séparer de mon mari ! Enfin vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Et s’il ne peut plus à cause de son accident…

Le vicaire semblait se satisfaire de son attitude ou de ses propos, elle n’en savait trop rien à vrai dire et cela lui était bien égal tant elle se concentrait uniquement sur le but de cette entrevue. Elle prit une profonde inspiration afin de se canaliser tandis qu’il reprenait déjà, de son sourire mielleux. Et… Ses yeux s’agrandirent comme deux larges billes vertes sous l’effet de ses paroles jusqu’à ce qu’elle n’expire incrédule, tout l’air contenu dans ses poumons, bouche bée. Pour que Dieu reprenne sa vie. Pour que Dieu reprenne sa vie. Pour que…

Il la fixa d’un air docte. Elle y répondit d’un sourire mécanique quand ses poings se serrèrent un peu plus, jusqu’à ce que ses ongles ne piquent ses paumes. Le curé reprit aussitôt son exposé et elle manqua de s’étouffer. Mieux valait mourir ? Non mais il s’entendait ? Pouvait-on prier le Seigneur pour qu’il se rompe le dos et expie ses paroles impies jusqu’à son dernier souffle ? Oh si seulement ! Son regard s’enflamma derrière ses orbites subitement rétrécis par le plissement de ses paupières. Il avait de la chance qu’une grille les sépare où elle aurait bien du mal à se retenir de le gifler pour oser tenir de telles propos sur Démétrius.

Et voilà qu’il renchérissait avec son congrès ! Bérénice frappa ses poings sur sa robe :

— Mais je ne veux pas me séparer de mon mari, enfin ! s’exclama-t-elle. Vous devriez avoir honte de proférer de telles paroles si éloignées de celles de Notre Seigneur ! Je vous crois plus proche de Satan que de Notre Très Haut ! Que faites-vous de l’Amour et de la Compassion ? Avez-vous seulement conscience du sens de ces mots ? Vous me répugnez, acheva-t-elle comme un couperet avec mépris.

Qui elle pensait être ? Elle savait parfait qui elle était, et il aurait mieux fait de se taire. Un petit sourire victorieux se peignit sur ses traits lorsqu’elle entendit la porte s’ouvrir à la volée.

Elle se redressa lentement puis lissa méthodiquement sa robe de satin tout en écoutant les récriminations de l’évêque et la défense boiteuse qu’offrait le vicaire en échange. Elle se plaça derrière le vicaire, sans pouvoir contenir son sourire. Ce qu’elle pouvait être ravie de le voir payer ses paroles venimeuses à souhait. Cela valait presque le coup d’avoir attendu aussi longtemps pour assister sa déchéance par un membre de sa propre Eglise. Et dire qu'il se permettait de conserver ce même ton mielleux en voyant qu'il n'arriverait pas à le convaincre de sa bonne foi. Quel ignoble personnage.

Lorsque la gifle claqua à sa plus grande surprise, elle se mordit les joues pour ne pas rire. Elle avait peine à croire à la scène qu’elle venait d’assister : l’évêque Zacharie, plein de bonhommie giflant ce petit rat perfide de vicaire. Elle soufflota un ricanement puis inclina la tête à destination de l’homme de Dieu qui haussait les épaules.

— Oh mais je n’ai rien dit, mon Père. Ce n’est pas moi qui vous jugerais, ne sommes-nous pas tous faillible ?

Elle n’avait pas pu s’empêcher de rire en voyant le vicaire se faire gifler par l’évêque. Vu l’homme, elle n’avait pas songé un seul instant à ce qu’il puisse être sujet à un tel coup de sang. Bérénice se fit réprimander et elle baissa la tête, honteuse de ces mots avant prononcer quelques paroles d’excuses.

Elle ne dit plus rien ensuite, mais ne put s’empêcher de faire bondir ses sourcils à la mention du pèlerinage. Tout de même, proposer sa propre pénitence ! Il ne manquait pas de culot ! Et pourquoi ne pas lui proposer une petite retraite dans un château tout confort aussi ?
Au nom de Zakros et à la mine déconfite du curé, Bérénice due se mordre les joues une nouvelle fois pour contenir le sourire qui souhaitait s’imposer sur ses lèvres. Quelle excellente idée tout de même ! Et comme il se tenait vers lui, elle s’empressa d’acquiescer ?

— Si j’en fais la demande aimablement, certainement ! Peut-être même pourrait-il le faire pour demain puisqu’elle émane de vous.

Son père serait bien trop heureux de se séparer de son religieux une bonne fois pour toutes, en fait il risquait même de jubiler intérieurement. Elle avait hâte de voir sa réaction. Pour l’instant, elle se complaisait dans le teint livide du curé. Comment cela il n’était pas enchanté ?