[5 février 1598] - Rats des bois [Terminé]

Cela faisait un peu moins d'une semaine - ou un peu plus ? parce que c'était très long - que Mésange avait revu Nicolas et appris qu'il vivait dans les bois. Alors, comme elle avait su manger assez la veille, la fillette avait décidé d'emmener sa troupe en expédition dans les bois pour le retrouver.

Pierraille, Piécette et Festin la suivaient sagement depuis des heures. Elle n'osait pas leur dire, mais en réalité, elle se demandait si elle n'était pas perdue. Il ne fallait pas se perdre dans la forêt, parce qu'alors, il arrivait de vilaines choses, son frère l'avait toujours dit. Mais enfin, il était encore tôt et elle n'allait tout de même pas retourner en ville sans avoir trouvé Nico. 

Elle continua donc à avancer résolument, s'arrêtant de temps à autre pour gratifier ses petits d'une caresse ou leur donner une miette de pain. Elle serra son manteau autour d'elle. Elle finirait bien par le trouver.

Soudain, une voix l'interpella, un peu déformée par le vent qui sifflait entre les branches nues. S'étant d'abord figée sur place, Mésange chercha bien vite d'où elle pouvait provenir. 

C'était tout de même des paroles curieuses. Quant au nom, elle l'avait déjà entendu, mais même pas peur ! Peuh ! De toute façon, c'était une petite voix pas dangereuse, et elle courrait plus vite que les gens qui voulaient l'attraper - surtout quand ils ne se montraient même pas !

— Eh bien moi, j'ai rien pour vous donner et je passe où j'veux ! protesta-t-elle fermement avant de chercher le propriétaire de la voix dans les branchages.

Eh bien elle aussi était pauvre, d'abord ! Et elle n'avait rien avec elle. Comme la voix - qui lui évoquait vaguement quelque chose mais que le vent déformait - se manifestait de nouveau, Mésange finit par repérer son propriétaire dans les branches nues et fronça les sourcils. 

Nico ! Elle aurait dû s'en douter tout de suite ! Ooh ! Il allait voir ! Elle se pencha pour ramasser de la neige avec un clin d'oeil à Pierraille avant d'en lancer une boule bien compacte très fort dans sa direction. 

— J'te cherche depuis tantôt, et toi, quand j'te trouve, tu me d'mandes des trucs que t'sais qu'j'ai pas ! le réprimanda-t-elle. Descends ! En plus c'est même pas drôle !

Nico la reconnaissait aussi, maintenant. Bon, d'accord, il avait raison : il n'aurait pas pu savoir que c'était elle. Mais soudain, il se mit à s'inquiéter et elle fronça les sourcils. Pas qu'elle ait l'habitude de refuser une occasion de manger, mais bon, c'était Nico et il était trop gentil. Et il n'avait pas besoin de s'inquiéter. Oui, c'était vrai, Cassandre était plus facile à trouver… sauf que c'était lui qu'elle cherchait. 

— Tu dois pas paniquer, Nico, on t'cherchait, c'tout. Maint'nant qu'chais qu't'es dans la forêt… c'grand, la forêt. On a failli s'perdre. Puis, t'à l'heur', Piécette avait peur, mais c'pas grave.

Mésange écarquilla les yeux, impressionnée.

— Si j'siffl' t'sais m'entendre dans toute la forêt ? demanda-t-elle, admirative. 

Elle fronça tout de même les sourcils en se rendait compte qu'il faisait ça pour essayer de la mettre à l'écart.

— Mais chuis pas un bébé, t'sais, se renfrogna-t-elle.

Piécette, Pierraille, Festin et elle savaient très bien se débrouiller. Et puis, la forêt c'était même pas plus dangereux que la rue, d'abord. Nico lui prit la main en lui demandant de le suivre. Elle acquiesça et eut un claquement de langue pour enjoindre sa petite troupe à les accompagner. Oh, et puis s'il tenait tant à la faire manger, elle n'allait pas faire l'andouille et refuser. De toute façon, s'il travaillait pour un roi, il était un peu riche, non ? 

— D'accord. Tu sais, c'est encore plus difficile l'hiver pour le rats que pour les humains. Même que les autres ils sont tous morts… les rats des bois ils meurent aussi, tu crois ?

Alors ça c'était épatant ! Tellement épatant que Mésange se demander si Nico n'exagérait pas un peu parce que bon, quand même, elle était grande cette forêt puis qu'elle avait mis longtemps avant de le trouver. 

Et puis d'abord, elle pouvait bien trouver son chemin seule, elle n'était pas un bébé. Elle fronça les sourcils dans un regard sévère.

— Eh bah alors ? La rue aussi c'dangereux, j'te rappelle. Puis d'puis qu't'a disparu ici nous on tous seuls. Les autre j'fais pas confiance. Pas'que Cassandre c'bien mais chez la dame qu'elle est t'sais j'peux pas aller. Alors la forêt, même pas peur !

En revanche, « même pas faim » était une autre question. Alors puisqu'elle y était, eh bien, elle le suivit. En chemin, elle ne put s'empêcher de parler des amis qu'elle avait perdu. Magie, Chevalier, Citadelle - ça voulait dire château où quelque chose comme ça -, Abondance - ça, c'était une dame qui lui avait appris et ça voulait dire qu'on avait tout ce qu'on voulait -, Printemps et Foyer étaient allés au Ciel. Parce que le prêtre qu'elle avait vu l'autre fois il disait des mensonges ! C'était sa famille, alors eux aussi ils pouvaient aller au paradis, d'abord ! Il ne restait plus que Piécette, Pierraille, Festin et elle. Ça faisait un peu froid de ne plus dormir tous ensemble mais elle se mettait en boule avec ses trois petits contre son ventre et avait une couverture. Et puis aussi, ils pouvaient moins la défendre, et les autres avaient moins peur d'essayer de lui chiper ses maigres effets. Surtout, elle avait beau savoir que tout le monde mourait - même les grands frères - eh bien elle était quand même très triste. 

— J'sais, fit-elle d'une petite voix. Elle vérifia que ses amis rongeurs restaient bien dans son sillage tout du même, et claqua la langue pour les rappeler à l'ordre.

Elle chercha du regard la cabane désignée par Nico. Pas un vrai sorcier. Ah, c'était mieux comme ça. Parce qu'attention, le premier qui essayait de transformer sa famille en soupe, elle lui crevait les yeux ! De toute façon, elle était déjà maudite alors même pas peur ! Elle fronça les sourcils, sans comprendre de quoi il parlait mais…

— D'accord. J'aime bien les histoires, t'sais, mais mes amis y z'en connaissent pas beaucoup et puis moi non plus alors j'dois tout l'temps raconter les mêmes.

Mésange acquiesça quand Nico assura qu'il viendrait plus souvent. C'était que s'il re-disparaissait aussi longtemps, eh bien peut-être qu'ils ne se retrouveraient plus jamais… Toutefois :

— Et pourquoi c'pas moi qui peux v'nir t'voir ? Peux m'dire ousque tu vis comme ça j'trouve le ch'min quand j'veux.

Et puis, il assurait aussi que la dame chez qui Cassandre vivait ne la jeterait pas. Et qu'elle avait de la nourriture. Ah, Nico était vraiment trop gentil d'avoir peur de prendre de prendre la nourriture que les riches avaient en trop. 

— Mais les gens quand ils voient des comme nous ils les jettent dehors, t'sais bien ! Moi chuis pas sûre pasque si j'me fais attraper bah… t'sais c'qui s'passe. Et puis j'ai Festin, Piécette et Pierraille, j'aime pas d'les laisser seuls dehors pasque les gens y trouvent c'est dégoûtant.

Et c'était même pas vrai, d'abord, parce que c'étaient se meilleurs amis. Et puis - sans que sa petite fierté ne lui permette de lui avouer -, elle avait vraiment peur qu'ils la prennent comme ils avaient fait avec son frère. Ou bien comme ils avaient fait avec Cassandre et même qu'ils l'avaient transformée en esclave. C'était bien un truc de riche de vouloir acheter des gens. Et d'abord c'était vraiment bête et pas juste. 

Ils arrivèrent dans la cabane. Là, ses petits compagnons pouvaient entrer puisque le gentil-faux-sorcier n'était même pas là. Elle fronça les sourcils à la précision de Nico. En comparaison avec les ruelles crasse qu'elle habitait, c'était presque une maison de riche, ça. Sauf que c'était une cabane. 

Festin leva le museau en entendant Nico prononcer son nom. 

— Pas toi, idiot, s'amusa-t-elle en le prenant dans ses bras tendrement comme s'il s'était agi d'un petit enfant. 

Tandis que Nico préparait leur festin - parce que c'était bien pour ce mot là qu'elle avait appelé son ami ainsi, parce que c'était quelque chose qu'elle voulait -, elle distribua les dernières petites miettes de sa poche aux trois rongeurs. 

Oh, ça alors ! C'était quand même une drôle d'histoire que Nico racontait. Et puis elle ne comprenait pas non plus. De toute façon les prêtres ils disaient jamais ce qu'il fallait. Enfin, après c'était peut-être juste que les gens qui décidaient n'aimaient vraiment pas les pauvres et que c'était mieux de les laisser mourir, mais ce n'était pas très chrétien de dire ça, même le prêtre le disait. Enfin, c'était bien que le gentil sorcier ne soit pas mort et que Cassandre lui ait sauvé la vie. 

— Peut-être que juste ils l'aimaient pas. Mais moi j'aime pas beaucoup les bûchers. Les gens ils font beaucoup de bruit et ils sont bizarres quand on tue quelqu'un. Enfin, moi j'ai même pas peur ! De rien ! Mais les autres oui. Surtout Piécette. Et aussi Printemps mais il est mort parce qu'on lui a jeté une pierre sur la tête. C'est Martin qui a fait ça - tu t'souviens de Martin ? Il voulait me prendre ma couverture que c'était à moi qu'on l'avait donnée. Il veut toujours prendre les trucs des autres. Tu vois, même les comme nous ils sont méchants.

Nico avait raison. La confiture avec du pain, ce n'était drôlement pas mauvais. Mésange avait pris ses trois rongeurs sur les genoux, et ils attendaient sagement qu'elle partage son pain. Ils savaient tous les trois que c'était elle le chef. 

— Y d'vait avoir très faim pour vouloir manger ma couverture, gromella Mésange. T'es un gentil, Nico, mais pardonner c'dangereux. Après on t'rattaque pasqu'on dit qu't'es faible, voilà c'qui s'passe. Puis les gens y changent pas.

Mésange écouta la seconde histoire avec plus d'attention que la première. Elle était plus facile, celle-là. Et il se passait plein de choses ! La petite écarquilla les yeux à la mention du montant. C'était un nombre trop loin pour qu'elle compte mais elle savait que "mille" ça voulait dire "très beaucoup". Alors dix fois très beaucoup…

— Waaaaw il est très riche alors ton roi maintenant ? Dis, Nico, qu'est-ce qu'on achète avec autant d'argent ?

Mésange soupira. Oui, Nico était définitivement trop gentil. C'était bien joli, tout ce qu'il disait, mais ce n'était pas comme ça que l'on pouvait survivre au milieu de gens injustes et méchants. 

— J'dis pas qu'faut être méchants méchant, mais être trop gentil et s'faire tuer c'bête, j'dis.

Nico raconta alors une histoire. Une histoire sur un vrai méchant qui avait été attrapé et même que le roi de Nico avait gagné très beaucoup d'argent. Mais Nico n'avait pas l'air de bien savoir. Elle, elle savait : cela voulait dire qu'on pouvait manger très longtemps, et même avoir des autres vêtements. Enfin, peut-être. 

Elle fronça néanmoins les sourcils à sa proposition. Elle n'eut même pas le temps d'intégrer la question qu'elle était retirée.

— Vous avez un vrai palais pour de vrai ? s'étonna-t-elle. Pour vous tous seul ?!

Nico était peut-être dans la rue depuis longtemps, mais Mésange, elle, y était depuis toute sa vie, même qu'il ne s'était rien passé avant. Personne ne l'avait tuée non plus, mais quand même, c'était dangereux et les humains étaient méchants. 

Enfin, elle ne voulait pas vraiment parler de ça et ces histoires de Palais étaient fascinantes. Plus joli que celui du roi, en plus ! Elle acquiesça vivement. Il fallait vraiment qu'elle le voie !

— Oui ! Je veux aller ! On peut aller ?

Tout excité, Nicolas montra le chemin qui menait vers leur superbe palais en sautillant dans la neige. Mésange allait adorer, c'état certain. Ils arrivèrent au sommet de la pente et l'enfant plongea en criant joyeusement pour se laisser glisser dans la neige jusqu'au bas. Il observa si Mésange l'avait suivi puis montra l'entrée de la grotte.

"C'est la porte de notre palais !"

Rapidement, il pénétra à l'intérieur et le foyer d'un feu, aux braises qui se consumaient lentement, apparut. Dans le fond reposaient deux couchettes en bruyères, l'une contre l'autre. Une troisième avait été aménagé un peu plus loin. Sur chacune était posé une couverture. Il avait également un tas de fagots, bin disposés, dans un autre recoin. Nicolas se tourna vers Mésange :

"Alors, il est pas magnifique notre palais ?"

Nico acceptait de l'emmener voir le fameux palais et Mésange le suivit avec enthousiasme. La glissade effectuée par le garçon l'inquiéta un instant pour ses petits compagnons, mais elle se lança tout de même et, d'en bas, les appela. Elle les félicita sincèrement d'être tous arrivés sagement. 

C'était… le palais. Elle fixa l'entrée béante de cette grotte avec un profond scepticisme. Magnifique, magnifique… Enfin, c'était probablement mieux pour lui que de dormir en pleine rue, mais elle devait avouer d'être attendue à quelque chose de plus imposant…

— C'est… euh… une grotte, quoi.

C'était une grotte. Juste une grotte, loin de ce que son esprit d'enfant s'était imaginé. Mais Nico ne sembla pas apprécier qu'elle le fasse remarquer. C'était pourtant vrai ! Elle haussa les épaules par mimétisme quand le garçon invoqua l'autorité de son Sylvère, comme s'il avait forcément raison en disant quelque chose ! Et les gens qui avaient toujours raison, eh bien cela n'existait pas. Oh, il y avait bien des gens qui croyaient avoir toujours raison et qui ne voulaient pas lâcher le morceau, comme Cassandre, mais dans la réalité, elle avait autant tort que tous les autres. Et encore plus parce qu'elle refusait de le voir ! Son frère aussi croyait avoir toujours raison et pouvoir décider, résultat il avait été attrapé et maintenant elle était toute seule.

— Un palais-grotte, concéda-t-elle d'un ton docte, examinant les lieux en se tenant le menton. Tant mieux si toi tu aimes bien vivre là, ajouta-t-elle avec un grand sourire.

Nico parla alors de leur invité. Eh bien, celui-là n'avait pas l'air fort dégourdi ! Bon, elle ne faisait pas bien du feu non plus. Même pas peur de se brûler, hein, c'était seulement qu'elle n'avait pas eu l'occasion. Et puis que c'était chaud et… non, même pas peur. Elle n'avait peur de rien. Elle échangea néanmoins un regard incrédule avec ses trois petits compagnon quand Nico affirma que le gars avait peur des rats. Peur. Des. Rats. Elle ne put s'empêcher de rire. C'était vraiment stupide ! Et pourquoi pas peur du pain ou des vêtements, puisqu'il y était ! Les rats, c'étaient les meilleurs animaux du monde quand on était amis avec eux ! Ah, ce que les humains pouvaient être bête, parfois. 

— Mais les rats ç'fait même pas peur ! Ç'doit vraiment être un bébé vot' type. Et pourquoi l'est là s'il a peur de tout ? L'est aussi à la rue ?

Ah ! En plus, c'était un ancien prêtre ! Les prêtres, c'était bête. Et pas parce que Cassandre le disait, surtout parce qu'ils disaient que ses amis ne pouvaient pas aller au paradis, et ça, Mésange n'était vraiment pas d'accord ! Elle ne comprenait pas grand chose, mais ne l'aurait évidemment pas avoué. De toute façon, ce qu'il fallait retenir, c'était seulement qu'il ne l'était plus et qu'il ne servait à rien. 

— Bah j'ai jamais été maçon, moi, mais y'a l'air qu'y s'f'rait vite j'ter.

Quant à mourir de froid et de faim… 

— Y s'rait pas l'seul. Puis pourquoi y peut pas s'débrouiller s'il a un travail. Même que moi, quand on m'demande d'faire quelq'chose après j'sais m'acheter à manger… réfléchit-elle à haute voix.