[1591 à 1598] L'envol du moineau qui se rêvait aigle
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[1591 à 1598] L'envol du moineau qui se rêvait aigle
“Un homme n’est pas malheureux parce qu’il a de l’ambition, mais parce qu’il en est dévoré.”
Montesquieu
15 Mars 1591
La nuit était tombée.
Depuis une heure, Achille, allongé dans son lit, guettait les bruits de la maison. Cette sale petite peste Cassandre était encore debout. leur père la retenait sur ses genoux Ses rires lui étaient toujours aussi insupportables. Elle, elle était la petite fille adorée, celle que leur père adorait, celle que leur père ne grondait jamais. Il la trouvait même plus courageuse, plus intelligente et plus capable que lui. Ce matin, cette petite peste était venue leur apporter le repas et l’avait surpris à dormir dans les ceps. Elle l’avait aussi rapporté et avait montré comment redresser les pieds que sa tête avait endommagé durant son sommeil. Son père, bien sûr, l'avait grondé, puis l’avait surveillé toute la journée. Insupportable. c’était insupportable. Au retour, Agathe lui avait demandé d’aller chercher de l’eau au puits. Comme si elle n’avait pas eu le temps d’y aller avant !
Des pas montaient dans l’escalier. Sophie et Agathe montaient se coucher. La porte voisine se refermait déjà. En bas, les rires cessaient. Son père emmenait Cassandre au lit.Achille fixa avec agacement le plafond. Il faisait cela lui aussi avant. Quand il était petit garçon. mais depuis qu’il avait dix ans, qu’il serait devenu un homme, il aurait passé l’âge d’être embrassé au lit. Il n’était plus un bébé. Il n’en pouvait plus de cette famille. Elle l'agaçait. Tous ! Tous l'agaçaient.
Dans un mouvement de fureur, Achille se redressa.
Cette fois, il partirait. Parfois, cette idée lui était venue, mais le courage lui avait toujours manqué. Il était sans doute encore trop jeune. Mais il venait d’avoir seize ans. A cet âge, les jeunes gens quittaient leur foyer. Il saurait se débrouiller et trouver une meilleure place.
Après deux longues heures, Achille quitta sa chambre à pas de loup et descendit à la cuisine. La famille cachait ses économies dans la huche à pain. En leur laissant la moitié, ils auraient assez pour vivre. Les vignes donnaient en abondance. Chaque année, en automne, leurs bouteilles s'écoulaient à prix d'or. Leur père leur offrait alors de nouveaux vêtements. Ainsi, ce vol n'aurait aucune conséquence. Il leur laissait bien assez pour vivre et ils avaient assez de nourriture dans les réserves pour tenir jusqu'à l'été. Au moins ! Lui ne s'imaginait transporter un sac encombrant sur ses épaules alors qu'avec une bourse bien garnie, il achèterait pendant plusieurs mois de bons repas.
Ivre de sa liberté nouvelle, Achille courut joyeusement pour descendre la pente qui l’amena au village. Il ralentit l’allure pour ne pas attirer l’attention et recouvra avec plaisir les sentiers de la campagne. La forêt proche lui tendait les bras et l’invitait à rejoindre Braktenn, mais la ville l’effrayait. Elle se situait trop près du village. Si son père ou ses sœurs voulaient le retrouver, ils y arriveraient sûrement. Et là… Là, son père le battrait. Il ne l’avait jamais fait. Il lui avait répété que bien des pères auraient corrigé sa paresse de cette manière mais que lui espérait le voir devenir raisonnable en mûrissant. Mais découvrir sa fugue… Achille trembla à cette seule pensée. Il ne laisserait pas cela se produire. Il partirait loin.
Malgré la frayeur que lui inspira un cri de hibou, la peur du fouet la surpassa; Achille détala dans la nuit sans prêter attention au chemin. Il s’effondra à l’aube dans l’herbe. A son réveil, le jeune homme écarquilla les yeux. Cette grande plaine, avec peu de végétation, ne ressemblait en rien à ce qui se trouvait autour de son village Il se rappela alors sa décision. Il avait fui pour débuter une vie meilleure, loin des travaux pénibles de la ferme. Il se releva, sentant son estomac vide. Sa main passa dans la poche de ses chausses, mais ne trouva aucun gâteau. Comment allait-il se nourrir ? Il n’y avait aucune auberge. Et s’il mourrait de faim ? Achille secoua la tête. Il existait des relais à chevaux tout le long des routes du royaume. En marchant, il réussirait bien à atteindre l’un d’eux.
***
Une heure était passée.
De la sueur lui coulait le long du visage et son estomac le tiraillait de plus en plus. Achille s’arrêta pour placer sa main devant ses yeux afin de mieux apercevoir au loin. Aucune bâtisse salvatrice ne surgissait. Il remontait cette route et rien ne venait. Pas même un marchand. Pourtant, s’il y avait une route, des gens devaient bien l’emprunter. Il rencontrerait quelqu’un. C'était une certitude. Courageusement, il recommença à marcher malgré ses pieds qui le blessaient à chaque pas. Il n’avait pas imaginé que partir à l’aventure serait si fatiguant. Lors de leurs récits, les voyageurs proclamaient avec enthousiasme la joie que procurait un périple, les richesses, les découvertes et les amis qu’ils se faisaient. Aucun n’avait jamais mentionné de douleurs. Il soupira en levant la tête vers le ciel. A cette heure, son père travaillait seul dans les vignes. Ou peut-être que cette petite peste de Cassandre l’aidait. Ce serait bien son genre de profiter de sa disparition pour se rendre indispensable. Agathe se réjouissait, elle, d’avoir une bouche de moins à nourrir et moins de linge à laver. Et Sophie… Sophie… Achille s’arrêta à nouveau en imaginant un instant le visage triste de sa grande sœur si gentille. Il secoua rapidement la tête. Elle se remettrait. A seize ans, les jeunes gens quittaient la maison pour vivre leur vie. C’était dans l’ordre des ordres. Elle serait même heureuse pour lui.
Une journée entière s’était écoulée et Achille gisait entre les racines d’un arbre. Il pleurait, désespéré. Son idée d’aventures était un échec. Il allait périr au bord de la route, tué par la faim. Son estomac se tordait en lui et n’avait jamais été si douloureux. Demain, il n’aurait certainement pas la force de se lever. Il allait mourir. Lui si jeune, qui aurait sans doute pu être promis à un bel avenir s’il n’était pas né dans une ferme vulgaire, allait mourir en pleine campagne comme le dernier des clébards.
Une averse le réveilla pendant son sommeil et le laissa pantois. Achille, déjà mouillé, fixait l’eau qui lui dégoulinait dessus en se demandant où s’abriter. Et son estomac qui grondait toujours autant… Il se releva péniblement et marcha à la recherche d’un abri, mais dans l’obscurité rien ne venait. Perdu. Il était perdu. Ou il mourrait de faim, ou de froid.
Lorsque l’aube se leva, la pluie cessa. Achille tremblait de tous ses membres et se refusait à présent de s’arrêter. un abri. Il avait besoin d’un abri. Avec du feu. Et de la nourriture. S’il pouvait avoir de la soupe... La veille de son départ, Cassandre avait préparé seule une soupe aux fanes et s’en était vantée en la servant. Il avait prétendu à un mal de ventre pour monter se coucher, refusant de boire une gorgée de ce que cette petite peste avait fait. Aujourd’hui, il aurait tout donné pour en avaler un bol. Il l’aurait même remercié, la petite peste !
Une rivière barrait la route et aucun pont ne permettait de la franchir. La route se poursuivait en suivant le cours d’eau. Achille surprit alors de superbes baies rouges dans un buisson proche. Il se précipita pour les cueillir d’un geste vif lorsqu’un souvenir arrêta son bras. Cassandre. Le mois dernier, Cassandre l’avait empêché de manger des baies en forêt. Leur père avait reconnu qu’elle avait eu une bonne intuition, car celles-ci étaient empoisonnées. Soudain inquiet, Achille se recula et s’accroupit. Cassandre avait examiné le buisson pour trouver deux rongeurs morts. Il n’en repéra pas. Il se releva et fixa à nouveau les baies, mais le doute s’était installé. Il n’osait plus les toucher. Cassandre chantonnait souvent “Rouge, dans la nature, pas manger”. C’était peut-être une petite peste, mais elle avait des raisonnement toujours justes, même si peu de gens la croyaient. Il resta encore un moment à observer les belles baies écarlates et se décida à écouter les conseils de sa petite sœur.
Des arbres bordaient la rivière et apportaient une ombre agréable, mais aucune trace de nourriture ne surgissait à nouveau. Achille se désespérait. Il allait mourir de faim et des animaux se repaitraient de son cadavre. Si seulement il avait apporté un peu de pain.. Mais il n’avait jamais eu à songer à la nourriture. Sa mère, puis ses sœurs, lui préparaient toujours tout et devançaient ses attentes. Il ne se rappelait pas avoir eu un jour réellement faim.
Soudain, un homme tomba d’un arbre et lui barra la route. Une enfilade le défigurait. Ses longs cheveux étaient si mal entretenus qu’’Agathe aurait hurlé. Il le fixa d’un étrange sourire, puis dégaina un poignard.
"Tes économies ! Tout de suite !"
"Je… je n’ai rien," bégaya Achille, apeuré.
"J’ai jamais vu un drôle circuler dans la campagne sans rien dans les poches ! M’est avis que tu dois être cousu d’or, fiston !"
Achille tomba à genoux, anéanti par la violence des émotions qui le submergeaient. Mourir. Il allait mourir de la main de ce monstre. Il sanglota et tenta vainement de l’attendrir.
" J’ai fui ma maison ! S’il vous plaît, ne me tuez pas ! Ma famille ne m’aimait pas ! S’l vous plaît, laissez-moi ! S’il vous plaît !"
Le brigand roula des yeux. Ses jérémiades semblaient fonctionner. Persuadé d’avoir trouvé une bonne technique pour survivre, Achille continua de sangloter d’implorer la pitié du voleur. Ce dernier le fixait avec embarras lorsqu’il s’avança et avant même que le garçon ne le comprit, le tapa à la nuque.
Achille s’éveilla lentement, confus, et grimaça en sentant l’arrière de sa tête douloureuse. Il se redressa en se la tenant et observa la rivière paisible. Le brigand avait disparu. Il avait dû s’assoupir et rêver. Autrement, jamais un tel être ne lui aurait laissé la vie sauve. Dans les histoires, les voleurs étaient des personnes méchantes qui coupaient les gorges pour une seule pièce d’argent ! Par précaution, il passa la main sous sa veste et dégagea sa bourse. A son étonnement, elle était bien moins lourde. Aussitôt inquiet, il la délia et découvrit un quignon de pain. Dessous reposait la moitié de son argent. Le brigand l’avait bien dépouillé, mais il avait épargné sa vie. Il lui avait même octroyé de quoi se nourrir. Finalement, c’était un gentil brigand.
Dans un premier temps, Achille se leva pour boire quelques gorgées à la rivière, puis mangea avidement la moitié du quignon. Il aurait bien tout avalé, mais la peur de la faim prochaine l’effraya. En le rangeant dans la bourse, sa main tomba sur un bout de papier. Dessus avait été rapidement griffonné de descendre vers l’aval. Achille se leva pour observer le cours d’eau et soupira. Cela voulait dire retourner sur ses pas, mais il y avait certainement une meilleure opportunité dans cette direction. Le relais tant espéré s'y trouvait peut-être.
***
20 Mars 1591
Après trois jours de marche, un pont surgit enfin. Achille s’était peu à peu accoutumé à l’effort et avait réussi à pêcher un beau poisson la veille. Le début de ses aventures avaient été difficiles, mais cette fois, cela se passait mieux. Tout irait désormais bien.Finalement, cette rencontre avec le brigand avait été une opportunité. elle l’avait instruit et aidé à avancer vers une meilleure direction. A présent, il volerait vers son destin. Son imagination galopait. Il se voyait déjà bourgeois, avec de l’argent à ne plus savoir quoi en faire, et des serviteurs pour obéir à la moindre de ses volontés.
Le crépuscule tombait lorsqu’Achille découvrit enfin une auberge. Un palefrenier rentrait des chevaux et il ne put se retenir de l’approcher, le torse bombé, et de proclamer
"Moi, je vais à la ville."
Sans attendre sa réaction, il entra à l’intérieur de l’établissement et de fortes odeurs peu agréables l’assaillirent. Il se fraya un chemin vers le comptoir et commanda un repas chaud. Le patron l’observa manger et s’informa du but de ce voyage.
"Je vais à la ville faire fortune, monsieur !”
"Tu vas surtout t’attirer des ennuis, mon garçon."
"Superstitions ! Dans tous les histoires, les paysans qui partent à la ville deviennent toujours riches et sont heureux !."
"Des fables, gamin. Moi, Je crois que si tu pars comme ça, sans rien dans les poches, tu finira mal."
"J’ai seize ans, monsieur. Je ne suis plus un gamin. Et j’ai passé l’âge qu’on me donne des ordres et qu’on me dicte ma vie !"
Le patron n’insista pas et continua à frotter silencieusement ses verres.
"Mon garçon, tu ne voudrais pas partir avec des économies ? "
"Ce ne serait sûrement pas une mauvaise chose, mais ça se trouve pas sous les sabots des chevaux de votre écurie !"
"Je pensais te proposer de m’aider au service. En quelques mois, tu gagnerais bien et tu aurais un bon capital pour te lancer dans cette grande aventure en ville. Et puis, si ça ne fonctionnait pas, tu pourrais revenir. Je te reprendrai avec plaisir.”
Achille se tourna pour contempler avec dégoût la salle. Plusieurs buveurs étaient déjà effondrés sur leur table et l’un d’eux gisait dans son vomi. Il n’avait pas quitté la ferme pour descendre plus. Au contraire, il aspirait à monter. A s’élèver haut dans la société. Il serait un bourgeois. Un vrai ! Il n’avait pas de temps à consacrer avec les travaux de seconde catégorie. C’était bon pour ses sours, ça.
"Non, merci", cracha-t-il avec aigreur.
Il déposa rapidement deux pièces sur le comptoir pour payer le repas et monta se coucher. Devant la chambre que le patron lui avait indiqué attendait un homme incroyablement bien équipé. Son costume vert le fascina et la matière devait être de la soie. Ses cheveux tombaient presque sur ses épaules et avaient un tel soin. Achille souhaita un jour lui ressembler et être aussi élégant. Le bourgeois se recula en l’apercevant et le salua poliment. le garçon lui répondit de la même manière, touché par sa simplicité. Alors qu’il les dominait tous dans cette auberge, il restait à leur hauteur. Achille s’apprêta à refermer la porte lorsque la toux de l’homme l’arrêta.
"Je n’aurais pas dû écouter, c’est absolument malpoli, mais tu parlais si fort que tes paroles me sont parvenues, et… Tu espères devenir riche en allant en ville ?"
"Oui, monsieur."
"Est-ce que je pourrais entrer ? J’ai peut-être des idées pour ton avenir."
Achille opina immédiatement et ouvrit la porte. l’homme se présenta en révélant se nommer Thomas Gardin. Ils s’installèrent autour d’une petite table et le commerçant commença à évoquer son affaire.
"Je suis l’organisateur d’un cercle où des hommes se rencontrent et s’échangent des services. J’ai la conviction que tu pourrais retenir leur intérêt."
"Que devrais-je faire, monsieur?"
"Tout commence par des discussions, mais nous sommes avant tout un lieu où les hommes brisent leur solitude. Vois-tu, aussi riches que certains peuvent être, il est parfois difficile d’entretenir des relations."
"Mais je n’aurais sûrement pas la conversation nécessaire. Je suis…"
"Tu seras parfait, le coupa rapidement Gardin. Ces hommes ont besoin de conversations simples, légères…Et grâce à eux, à leurs contacts, toi aussi tu t’élèveras. Et tu seras peut-être un jour un ces hommes qui viennent au cercle pour rompre la solitude."
Achille fixa la silhouette de son interlocuteur, buvant chacune de ses paroles. La richesse et l’ascension sociale semblaient si faciles. Trop facile. Il devait y avoir un piège.
"Je… Ça ne peut pas être si simple."
"Dans la vie, Achille, tout n’est qu’une question d’opportunités. Si tu les saisis au bon moment, tu deviens riche. Sinon… Sinon, tu n’es qu’un parasite qui terminera à la fosse commune."
Pour terminer sa phrase, monsieur Gardin s’était relevé et l’avait toisé plus sévèrement. son intonation avait pris une pointe d’agressivité. Achille le fit s’éloigner vers la porte.
"Vous… partez déjà ?"
"Si ma proposition ne te va pas, je ne m’acharnerai pas. D’autres gens le seront."
Achille couvrit sa bouche de sa main, interdit. s’il le laissait partir; toute fortune s’évanouissait. Il n’aurait pas une seconde fois une telle chance. C’était comme sa rencontre avec le brigand. L’aventure mettait sur son chemin les bons éléments de sa réussite. Il se releva pour l’interpeler :
"Non ! Monsieur, je… Je viendrai avec vous !"
Monsieur Gardin se retourna pour le dévisager, sceptique.
"Vraiment ?"
"Oui !"
"Tu sais, Achille, j’ai beaucoup d’exigences, et tu pourrais ne pas aimer certaines de mes conditions."
"Je saurais vous donner une parfaite satisfaction. Je vous assure !"
Un sourire se dévoila et l’homme revint pour lui tendre la main.
"Dans ce cas, devant une telle résolution, c'es le signe d’une collaboration qui assurera beaucoup de plaisir."
Achille, tout heureux, lui serra la main. Demain, il découvrirait Braktenn, la capitale et dans peu de temps, de véritables bourgeois allaient s’entretenir avec lui. La vie lui souriait enfin et la fortune semblait plus proche que jamais. En cet instant, en serrant la main de son nouveau patron, il s'imagina revenir à la ferme dans plusieurs années et proposer de payer les dots de ses trois soeurs qui se seraient résignées à finir vieilles filles. Il allait-être leur sauveur et son père le couvrirait enfin d’éloges.
***
Re: [1591 à 1598] L'envol du moineau qui se rêvait aigle
13 Avril 1593
Depuis le grenier infâme, il contemplait une fois plus la rue et ses si belles tentations. Ses rêves se trouvaient à portée de main, plus proches qu’ils n’avaient pu être autrefois à la ferme, mais demeuraient inaccessibles.
Une torture.
Chaque jour était une longue torture atroce.
Tout cela par la faite d'un seul homme.
Gardin.
Ce traître de Gardin.
Des mois s’étaient écoulés depuis cette rencontre. Bien trop pour que son esprit soit encore capable de les compter. Désormais, il avait changé. Du tout au tout. Il avait même abandonné son nom. Achille était mort. Achille était un être faible, vulnérable. Une brindille qu’un enfant cassait d’un seul pas. Désormais, il répondait au nom de Samuel. A Gardin aussi il devait ce changement d’identité. Lors de son arrivée à Braktenn, l’homme l’avait conduit à cette superbe demeure, implantée dans les beaux quartiers. Il avait mangé dans une vaisselle d’un luxe inouïe, dormi dans les draps de soie et connu la découverte d’un bienfait. Puis, la première nuit était venue. Un premier client était entré dans sa chambre. Il ne savait rien de toutes ces choses. Il avait dû se soumettre. Le client avait exposé avec fermeté qu’il serait la propriété de monsieur Gardin et que lui l’avait loué. il n’avait rien compris. Il croyait devoir le suivre pour faire des travaux. Au lendemain, Gardin était apparu alors qu’il vomissait dans la salle de bains. D’un sourire dérangeant, il l’avait observé et déclaré qu’il s’habituerait. Il lui avait alors annoncé ce nouveau nom, puis conduit dans ce grenier.
Samuel tourna la tête pour contempler le clapier qu’ils se partageaient à six. Deux aînés, d’un an de plus que lui, discutaient à voix basse et laissaient parfois échapper un rire. Un de seize ans, aux traits presque féminins, fixait un mur. Le plus jeune de leur groupe, qui avait tout juste quatorze ans, se recroquevillait dans un recoin. Enfin le dernier, de son âge, restait allongé à observer le plafond d’un air éteint. Leur médiocrité lui brûlait la gorge. Ils avaient accepté leur sort. Ils subissaient chaque soir ces passes répugnantes sans un espoir à l’esprit. Des idiots. Ils n’étaient que des idiots.
Après le choc initial, Samuel avait commencé à réfléchir à un plan. Chaque soir, en descendant rejoindre le client qui l’avait loué, il s’arrêtait à la bibliothèque et empruntait un livre. Gardin aimait cette initiative et s’exclamait que les hommes qui venaient les retrouver aimer avoir une conversation stimulante avec leur amant. Peu à peu, il s’était instruit. Lui, le petit paysan, censé être destiné à cultiver une bête vigne, s’était affranchi de ses chaînes. Les débuts avaient été laborieux. Sa mère lui avait peut-être appris à lire, mais il n’avait jamais ouvert autre chose auparavant qu’un livre de prières ou la Bible protestante que celle-ci gardait secrètement dans la chambre parentale. Mais il avait surmonté ces écueils. Il était devenu peu à peu un érudit et le regard de ses clients commençait à changer. Désormais, il lui restait à les manipuler et à persuader que l’un d’eux le rachète à Gardin. Il serait encore un amant, mais sûrement confortablement traité, et réussirait sans doute à exiger des caprices. Résister et céder, c’étaient les deux facettes de ce métier où l’on offrait ses charmes.
Un nouveau soir arriva et un des gardiens les libéra pour descendre rejoindre les clients. Samuel observa ses collègues disparaître un à un dans les chambres lorsque l’une des portes se rouvrit. Un homme en sortit, mortifié, et se dépêcha de s’éloigner. Intrigué, Samuel approcha et découvrit un prêtre. Il fixait, sévère, le jeune Paul qui bafouillait.
"Mon père, reprit-il après un instant de surprise, que puis-je pour vous ?"
"J’aimerais avoir qui est le responsable de cette folie."
Samuel hésita, incertain de la conduite à tenir. Les ordres d’un religieux ne se discutait pas et au village, dès que le curé surgissait, son autorité écrasait quiconque. En ville, selon ses lectures, les choses ne semblaient pas beaucoup plus différentes. Pourtant, il percevait que celui-ci allait faire arrêter Gardin. Son commerce fini, lui le serait aussi.
Quelques instants plus tard, alors que Samuel hésitait encore, Gardin apparut. Sans doute, informé qu’un client avait pris la fuite, la queue entre les jambes. Son visage impossible se fissura à la vision du prêtre. Il s’approcha, tentant un sourire manipulateur.
“Comment pouvons-nous vous satisfaire ?”
“En m’offrant ces garçons.”
“Ils coûtent assez chers, voyons, et je doute que vos moyens…”
“Une cellule à la prévôté, voilà mon unique prix.”
“Je doute de comprendre.”
“Si je ne repars pas dans l’heure avec tous les garçons tombés entre vos griffes, je serai demain à la prévôté. Je vous ferai enfermer et cette maison sera saisie pour les biens de la Couronne. mais rassurez-vous, vous sortirez quelques mois plus tard. pour vivre de la mendicité, et peut-être en proposant à votre tour votre cul.”
Samuel observa, fasciné, l’aisance avec lequel le prêtre parlait. son intonation doucereuse laissait entendre à quel point il n’était dupe de rien et manifestait nonchalamment son autorité. Il souhaita ressembler un jour à un tel personnage. pouvoir écraser enfin ceux qui oseraient se mettre en travers de sa route. Gardin blêmissait, les mains tremblantes derrière son dos.
“Bien sûr, bien sûr… Nous allons y remédier.”
Le prêtre se tourna vers Paul, qui gémissait toujours, et lui demanda combien ils étaient. Le garçon répondit timidement six. Ils quittèrent la pièce en suivant Gardin, qui n’en menait pas large du du tout, et celui-ci appela avec résignation ses quatre autres pensionnaires. ils partirent ensuite en silence dans l’obscurité des rues et arrivèrent à une église. Leur nouveau maître annonça se nommer Thierry et les mena à une sorte de dortoir bien plus confortable que le grenier où ils avaient tant végété. Samuel contemplait avec impassibilité cette suite d'événements. Cette libération ne lui convenait pas. Comment allait-il vivre ? Il ne s’imaginait pas travailler comme ouvrier ou retourner à la vie paysanne. Il s'élèverait. Il ne retournerait jamais en bas.
Les garçons s’avançaient, penauds, vers les lits. L’un des aînés tremblait. C’était pitoyable. Samuel leur tourna le dos et alla s’allonger à l’écart du groupe, comme toujours.
Le lendemain matin, une dame leur apporta chacun un petit-déjeuner copieux, presque comparable à celui servi à la demeure de Gardin. Ils firent ensuite leurs ablutions et Samuel s’étonna à un moment de découvrir sous le lit plusieurs bouteilles vides de vin. Il n’en tint pas rigueur, surtout que le père Thierry arriva pour s’entretenir un à un avec eux.
Peu enclin à frayer avec ce personnage, Samuel se faufila pour visiter l’église. En se retirant, des bribes lui parvinrent. Le prêtre interrogeait les garçons pour connaître leur vie d’avant. Ces idiots allaient avoir tout le bonheur de se plaindre. Ils adoraient tous se complaire dans leur médiocrité. Bertrand, l'aîné, avouerait avoir été récupéré dans la rue vers l’âge de dix ans. Un parcours classique. A part lui, tous avaient été déniché entre neuf et douze ans. Dans un premier temps, ils étaient été éduqués dans une autre maison et bien soignés, puis vers leur quatorze ans, Gardin venait les chercher. Pour les mettre au travail. Pour rembourser leurs dettes.
L’église était étonnamment peu remplie. A cette heure de la matinée, dans une ville aussi peuplée que Braktenn, il aurait imaginé plus de fidèles. Un enfant de choeur en béquilles surgit dans son champ de vision et s’avançait vers une chapelle. Discrètement, Samuel approcha et lui fit un croche-pied pour rire devant ce petit boiteux qui s’écrasait sur le dallage. Le blondinet se redressa et le toisa d’agressivité.
“Dieu te punira de m’attaquer dans sa maison !”
Samuel s’esclaffa de sa posture ridicule. Le gamin le fixait toujours, l’index pointé dans sa direction, comme si celui-ci allait lui jeter un sort. Le jeune homme pouffa à nouveau et lui rabaissa la tête en passant avant de détaler rapidement Il ralentit ensuite l’allure et remarqua un bureau. Intrigué, il poussa la porte et la présence de livres le retint. Il en choisit un au hasard et s’installa au sol pour en débuter la lecture. C’était un ouvrage théologique sur la pensée Saint Augustin fort complexe à comprendre. Samuel lutta pour réussir à accrocher aux premières pages. Continuer à s’instruire ne pourrait que l’aider. Il avait déjà intériorisé tous les grands noms de la littérature et lu pour la plupart leurs œuvres. L’étude de la théologie renforcerait ses connaissances. Ainsi, il pourrait postuler dans un monastère et soulager discrètement les religieux de certaines pièces d’or.
Un jour, il serait riche.
Un jour, il serait puissant.
Un jour, il les écraserait.
Tous.
Et à commencer par cette petite peste de Cassandre.
Depuis son départ, aucune de ses humeurs ne s’étaient apaisées. Les sillons que les farces et les dénonciations de cette stupide gamine avaient creusé ne se refermeraient pas. Il la détruirait. Il lui organiserait des noces avec le pire époux possible, ou la placerait dans un couvent. Ou il la vendrait. Neuf ans. Elle avait neuf ans. Quand il la retrouverait, elle aurait certainement assez de valeur pour intéresser une maison close. Un sourire doucereux flottait sur son visage. Elle aussi enchainerait les passes, mais personne ne la libérerait. Il y veillerait personnellement. Il voulait la voir souffrir. Chaque jour. Chaque soir. Comme lui-même avait souffert de chacune de ses interventions qui lui avaient toujours valu critiques et punitions.
Comme toujours en lisant, le temps filait sans que l’on n’y prête attention. La faim rappela à Samuel que le soir approchait. Il se releva en emportant la chandelle allumée et découvrit le prêtre installé derrière le bureau. Le jeune homme baissa la tête.
“Pardonnez-moi d’être entré sans permission.”
“Je n’aime pas interrompre des gens qui s’instruisent, mais la prochaine fois, demande-moi. je déteste qu’on vienne seul dans mon bureau.”
“Oui, bien sûr, je comprends.”
“Prends donc quelques livres avec toi. Demain, je serai occupé avec tes camarades pour leur trouver des places. Je m’entretiendrai avec toi plus tard.”
Samuel opina rapidement et se retira ensuite en le saluant poliment après avoir retiré trois ouvrages de la bibliothèque. De retour au dortoir, les garçons parlaient avec enthousiasme sur leur changement de vie inespéré. Le prêtre les aurait aidé à s'interroger sur leurs motivations pour savoir quels métiers leur offrir. Bertrand rêvait d’avoir déjà sa propre boulangerie, Paul se demandait si le patron qui le prendrait comme manoeuvre serait satisfait de sa corpulence de crevette, Didier angoissait des responsabilités qu’aider à tenir un commerce impliquait, Lucas se questionnait si la poissonnerie lui conviendrait et Alfred s'imaginait déjà manier la hache du boucher qui l’accueillirait Il leur passa devant eux sans un regard. Pitoyable.Ils ne rêvaient qu’à de petites vies, sans aucune ambition.
Le lendemain, Samuel passa sa journée seul dans le dortoir, heureux d’être enfin libéré de la présence de ses camarades. Que le prêtre les mène à un bon métier ou au Diable, grand bien leur fasse ! En partant, ils avaient eu un mot pour lui, mais lui avait répondu d’un haussement d’épaules laconique.
Seule la dame apporta les repas le dérangea à deux reprises. Il se coucha vers neuf heures pour s’obliger à réapprendre un rythme de sommeil normal. Dans la nuit, un grand fracas le réveilla. Inquiet, Samuel se redressa et alluma la chandelle pour se glisser avec prudence dans l’église. En remontant une allée, il découvrit avec stupeur le prêtre couché au sol, sa main serrée autour d’une bouteille. Dans sa chute s’était renversé la colonne soutenant le tronc dans lequel les fidèles versaient des pièces. Vide. Dans la journée, Samuel avait prélevé ce beau butin. on ne savait jamais. il n’irait pas loin avec, mais c’était mieux dans sa poche que celles des pauvres. Il se pencha pour vérifier si le père Thierry n’était pas blessé et se recula aussitôt. Il puait l’alcool. Des ronflements sonores s'élevèrent alors. Un soupir la lui échappa. L’homme cuvait. Soulagé, Samuel tourna les talons et partit se recoucher.
Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, Samuel sortit du dortoir, intrigué de n’entendre toujours aucune messe et aperçut le prêtre qui dormait encore, allongé sur le sol, un bras passé autour du tronc. Un rire lui échappa. Drôle de serviteur de Dieu. Enfin, un Dieu censé les placer à la bonne place à la naissance. Pour l’avoir mis dans cette stupide ferme e de lui avoir donné cette petite soeur, il méritait bien ce représentant. Sur cette pensée, il s’en retourna lire.
***
16 Avril 1593
L’après-midi était bien entamée lorsque le père Thierry, en bien meilleur état qu’au matin, apparut dans le dortoir. S’il ne l’avait pas découvert ivre, Samuel n’aurait rien soupçonné de ses penchants alcooliques. Quoique… Ces bouteilles dissimulées entre les lits, dans l’armoire ou même sous l’autel étaient un assez bon indice. Il se redressa en fermant son livre et salua le prêtre. Ce dernier fit de même et s’installa sur une chaise, à l’envers, comme un enfant.
"Je regrette d’avoir pris le temps; mais j’étais assez occupé."
"La vie d’un curé demande certainement beaucoup d’investissements."
Il eut un mal fou à ne pas rire en lâchant cette douce ironie. Le père Thierry ne sembla pas la comprendre.
“Passons enfin à toi. tes amis ont tous pris un nouveau départ, heureux de faire ce qu’ils voulaient vraiment. Et toi, as-tu des projets ? Des rêves ?”
La cuite du prêtre lui avait octroyé du temps supplémentaire pour composer une histoire. Il ne racontera jamais la sienne. Achille Velasquez n’existait plus. Ce petit paysan sot était mort, disparu dans cette auberge miteuse. Il ne serait pas non plus Samuel, celui qui subissait les passes et espérait rencontrer un client qui le rachèterait. Désormais, il construisait sa vie.
“Je me nomme Quentin Duval, mon père, et je suis né dans une petite ville à des lieues de Braktenn. Son nom ne vous dirait sûrement rien, et il existe sûrement dans ce royaume une centaine de villes comme celle où je suis né. Je vivais dans une bonne famille. Nous étions heureux. mon père était notaire, et à quinze ans, j’aurais dû commencer ma formation sous son regard pour prendre sa succession, mais il est décédé. Brutalement. Alors… “
Il marqua une pause pour marquer l’émotion que lui ne ressentait pas. s’imaginer son père mort, ou ses sœurs, ne lui en procuraient aucune. Il se laissait guider par son souvenir du décès de sa mère. Elle, elle l’avait aimé. Elle jugeait son père trop dur avec leur fils aîné et qu’un de leurs deux cadets apprécierait certainement davantage le travail de la terre. Sa vie aurait été peut-être différente si elle était restée vivante. Mais elle était décédée. En emportant dans la tombe l'amour. Sans doute rejoindre ces deux petits frères qui auraient pu prendre sa place. Le père Thierry le fixait d’un sourire encourageant. Quentin se détendit. Il l’avait touché.
"Enfin, c’est ainsi. Ma mère, devenue veuve avec trois petites filles, nous n’avions plus assez d’argent. Des gens nous ont dépouillé de l’étude. Je n’ai pas compris. Ils disaient que telles choses leur appartenaient. Avec le recul, je crois qu’ils mentaient. un jour, Gardin est apparu. Il a proposé à ma mère de me prendre pour apprenti. il lui a laissé en échange une belle bourse. Elle ne fut pas longue à accepter. Il parlait si bien et semblait honnête. Si elle avait su…"
"Voudrais-tu que je les recherches ?"
Quentin marqua un temps d’hésitation, interdit par la demande. Il n’avait pas envisagé cela. Si ce prêtre fouillait, il découvrirait assez vite que son identité était fausse. Même si cette famille serait morte, on devrait retrouver son acte de baptême. Il baissa la tête pour réfléchir et trouva une idée après quelques instants.
"Je… C’est peut-être égoïste, je sais, mais je n’ai pas envie de les revoir. Elles m’ont demanderont de raconter et… Je ne veux pas me souvenir de ça. Je… Je voudrais passer à autre chose."
"Je comprends. Qu’aimerais-tu faire alors ?”"
"Je pensais trouver un emploi de secrétaire si je le pouvais. Mon père m’avait formé à ces tâches, répondre à du courrier, classer des documents…Ce serait dans mes capacités."
"Je pourrais organiser cela."
"Vraiment, monsieur ?"
"Avec ma recommandation, tu entreras partout."
L’entretien s’arrêta là et le prêtre sortit. Quelques jours plus tard, il lui demanda de le suivre. Sur le chemin, le père Thierry annonça lui avoir trouvé un employeur qui accepterait de le recruter. Il se nommait Marcus Mauras et exerçait en tant qu’avocat. Il était marié et avait une fille de quelques années de moins que Quentin. Ils furent reçus dans une superbe maison, où un domestique prit leur manteau, et le jeune homme songea vouloir vivre longtemps cette vie. Dans le salon, son futur patron lui vit bonne impression. A la fois calme et énergique, il prit le temps d’entendre son histoire et d’évaluer ses capacités. Ses connaissances acquises par ses lectures lui permirent de se sortir de bien des pièges et vers la fin, il entendit le verdict.
Il était engagé à ce poste de secrétaire d’avocat.
Il serait même logé les premiers temps dans cette maison.
Il recevrait un salaire de mille rich par mois.
Mille rlchs !
Sa vie commençait enfin !
***
Re: [1591 à 1598] L'envol du moineau qui se rêvait aigle
28 septembre 1594
Quentin profitait paisiblement de son jour de congé pour se promener allègrement dans la capitale. Depuis son départ, après bien des épreuves, il avait parcouru un tel chemin. Après cinq semaines de cohabitation, maître Mauras l’avait gentiment poussé à se chercher un appartement. Désormais, il vivait dans un immeuble peu reluisant près de la grande place et devait veiller à ses dépenses. Il aurait tant aimé s’offrir beaux vêtements et bijoux incroyables, mais son salaire passait dans ses frais de bouche et son logement. il devait trouver un autre moyen que le travail pour s’élever et le mariage lui semblait une bonne solution. Braktenn croulait de jeunes filles naïves. En courtiser une suffisamment bien dotée, dont le père n’aurait aucun héritier, ne serait pas tâche difficile. Ses anciens amants lui mangeaient dans la main, alors des bécasses…
Alors que ses pas se dirigeaient vers la maison où se tenait un salon, un beau vivier de gibier crédule, Quentin s’immobilisa en percevant des cris. Une fillette malingre, les cheveux sales et mal peignés, se débattait pour s’échapper d’un homme en costume qui la forçait à avancer. De la direction dont ils venaient, cette petite ne pouvait être qu’une esclave. une esclave rebelle. elle goûterait prochainement au fouet et apprendrait la docilité.La gamine mordit brusquement le bras de son nouveau maître et prit la fuite. Un soldat de guerre intervint alors et l’arrêta d’un coup derrière la nuque. Elle s’effondra au sol et l’homme vint la récupérer. Par curiosité, Quentin s’approcha et se figea.
Ce visage…
Elle avait grandi, mais ce visage état celui de Cassandre. Cassandre… Cassandre, sa peste de petite sœur, était devenue esclave. Sonné, il la fixa quelques instants, puis interpella le propriétaire de la bête.
“Excusez-moi, monsieur, mais d’où sort cette petite ?”
“Une petite voleuse que le guet a heureusement ramassé. Nous avions justement besoin d’une servante au lupanar. Nous la dresserons et elle sera certainement enfin utile.”
Quentin fixa la fillette inconsciente dans les bras de l’homme, mal à l’aise. Cassandre serait une voleuse, mais il savait pourtant que celle-ci ne volait plus depuis longtemps. Quand à quatre ans, leur père l’avait surpris à prendre un pot de confiture sur un étal, il l’avait ramené sévèrement à la ferme et l’avait forcé à s’agenouiller en en relevant sa robe pour la corriger de dix coups de baguette. C’était la seule fois où il avait vu leur père utiliser un tel instrument. Cassandre était ressortie profondément marquée de l’expérience et avait intériorisé de ne plus voler. Il ne comprenait pas. Son regard détailla sa silhouette maigre. Ses os étaient apparents. Elle avait dû mourir de faim. Il remarqua alors sa robe miséreuse, usée, et trop petite, déchirée à bien des endroits. Cassandre ne vivait plus dans leur famille. Elle était seule.
Perturbé, Quentin recula.
Sa famille. Que leur était-il arrivé ? Il s’apprêta à poser la question, puis se retint. Sa famille allait certainement très bien. Ils avaient dû mettre simplement Cassandre à la porte. Ou ils l’avaient placé et elle s’était sauvée. Il se tourmentait inutilement. Son regard devint plus sévère pour fixer sa petite sœur.
"Je connais cette enfant, monsieur."
"Ah oui ?"
"Oui. Elle faisait de mauvais coup non loin de là où j’habitais. Elle est mauvaise. Elle parait gentille, mais c’est pour mieux vous tromper. méfiez-vous, monsieur et ne lui accordez aucune compassion. Autrement, elle en profitera."
"Je vous remercie de votre prévenance. Nous n’y manquerons pas."
Sur une salutation, l’homme s’en repartit et Quentin observa sa chère petite sœur rejoindre le lupanar, satisfait de la vie que celle-ci allait y mener. Finalement, la religion avait raison : tous étaient à la bonne place, mais il fallait donner un léger coup de pouce au destin parfois.
***
5 Octobre 1594
Après sa journée de travail, Quentin descendit dans les jardins pour se détendre. Maître Maurras lui octroyait toujours une grande liberté et son épouse l’invitait bien souvent à souper. Il remonta une allée en relevant la tête vers le ciel, préoccupé. Sa quête n’avançait pas. Depuis bientôt onze mois, il courtisait des jeunes filles, mais bien vite un de leurs parents freinait leurs fréquentations. Ils lui rappelaient son pedigree. La différence entre son salaire et leur niveau de vie leur faisait craindre qu’il ne soit venu chercher que la dot et l’héritage. À juste titre. Allait-il échouer ? Un mouvement de colère le saisit. Il serra les poings pour contenir ses émotions. Elles devenaient de plus en plus violentes, et parfois, le soir à son appartement, il ne se contrôlait plus et fracassait un objet. Il se sentait coincé. Piégé. Il avait acquis une bonne situation, mais celle-ci désormais le bloquait.
"Monsieur Duval !"
Quentin se retourna pour apercevoir Diane, une assez belle jeune fille, de trois ans sa cadette, lui courir après. Elle s’arrêta à sa hauteur pour reprendre contenance et le salua poliment. Une idée lui traversa l’esprit. Depuis son arrivée, elle avait été sensible à son charme, mais lui avait gardé une distance par peur de déplaire à son employeur. Il était si protecteur avec sa fille. Cette dernière ne sortait jamais, hormis pour aller à l’église le Dimanche. Son père était persuadé que tout homme qui l’approcherait la déshonorerait ou ne serait pas digne d’elle. Il s’était toutefois permis d’engager à plusieurs reprises la conversation pour partager sur des lectures communes. Peut-être…
"Excusez-moi de sans vous importuner, mais j’ai terminé hier de lire cet ouvrage de la Boétie que vous m’avez conseillé. Si vous saviez comme il m’a transporté !"
"J’ai ressenti la même émotion, Diane. Oh, pardonnez-moi, mais depuis le temps, peut-être pourrions nous utiliser nos prénoms ?"
La jeune fille resta un instant interdite, puis hocha vigoureusement de la tête. Dans ses yeux ‘animaient une lueur joyeuse proche de l’euphorie.
"Rien ne me ferait plus plaisir, Quentin."
Quentin lui tendit le bras pour l’inviter à discuter tout en poursuivant leur promenade. Tout le long, en discutant poésie, il glissa avec prudence des compliments qui faisaient doucement rire sa cible. Son plan lui paraissait bon. Maître Maurras se méfier à juste titre des prétendants de sa fille, mais lui, dont il louait chaque jour ses belles qualités morales, remporterait le lot. Grâce à ce formidable mariage, il serait à fois son gendre et son héritier. Sa place et son avenir étaient à jamais assurés.
Quelques jours plus tard, après une journée de travail, Quentin pénétra dans le bureau de son patron et mima la fébrilité.
"Monsieur, pardonnez-moi mon ignorance, mais je dois vous poser une question pour le moins personnelle."
"Faites-donc, Quentin. Vous m’intriguez."
Il s’obligea à baisser la tête et à marquer un temps de silence avant d’exposer sa requête.
"J’éprouve, monsieur, un penchant pour une jeune fille. Elle et si belle, si intelligente, si agréable… Oh, monsieur, vous ne pouvez imaginer comme je l’aime !"
"J’ai eu votre âge un jour, le coupa Maître Maurras, amusé. Je connais bien ces choses-là. Eh bien, quoi, vous n’osez pas vous déclarer ? Un peu de courage !"
"Non, monsieur, ce n’est pas cela, c’est que… Cette jeune fille est d’une naissance bien meilleure que la mienne. Elle… Ses parents pourraient imaginer que je suis…Que je ne veux.. Je ne voudrais pas lui ouvrir mon coeur, la faire espérer et que celle-ci entendent ses parents nous refuser le bonheur."
"Ces dispositions vous honorent, mon garçon, sourit son interlocuteur. Dans ce cas, je pourrais me portant garant de votre honneur et aller demander au père de cette jeune fille sa main."
Quentin réprima un sourire, fier de son coup.
"Vous êtes si bon, monsieur. C’est que…"
"Eh bien, dites-moi un nom. J’ai de nombreuses relations, je connais sans doute fort bien le père de cette petite !"
Il releva la tête dans un mouvement calculé et le fixa.
"C’est vous, monsieur. Je… C’st de votre fille, Diane, dont je suis tombé amoureux."
"Voilà un retournement inattendu, s’exclama-t-il, mais je puis comprendre que vous ayez peur de vous en ouvrir."
"Oui, monsieur."
"Allons donc vous déclarer. Ma fille ne parle que vous, si vous saviez depuis que vous êtes à mon service.
Vous.. Vous nous accorderiez votre bénédiction, monsieur ?
"Oh, que je vous remercie !”"
"Vous êtes un bon garçon, honnête, travailleur, qui se soucie sincèrement d’elle. je ne vois pas pourquoi vous refusez cela."
Quentin s’obligea à le remercier plusieurs fois d’une voix chevrotante, puis quitta le bureau pour traverser rapidement un couloir et éclata furieusement de rire. Son plan avait réussi. Il s’élevait enfin véritablement.
***
17 Juin 1795
Quentin poussa avec soulagement la porte de sa chambre et sourit devant l’immense confort désormais sien. Grâce à cet heureux mariage, il jouissait d’une superbe rente de vingt mille rilchs par an et était devenu l’associé non plus l’employé. Tout allait merveilleusement bien. il s’avança pour sauter dans le lit et ferma les yeux.
Quelques mois plus tôt, Diane avait sauté de joie en l’entendant déclarer des sentiments purement imaginaires et avait immédiatement crié oui à sa demande en mariage. Les fiançailles s’étaient rapidement enchaînées, mais maître Maurras lui avait refusé de s’installer chez eux. Sa fille n’était pas encore sa femme avait-il souvent rappellé. Quentin revit rapidement cette longue cérémonie ennuyeuse, que Diane avait adoré, les larmes aux yeux tout le long. Lui avait préféré la fête et de rencontrer toutes ces personnes importantes. Désormais, lui l’ancien petit paysan était leur égal. Il avait réussi.
Soudain, des lèvres se posèrent sur les siennes et un mouvement de panique s’installa en lui. Quentin, raide, revit les mains de ses premiers amants le retourner. il se redressa d’un coup et aperçut, tremblant Diane au pied du lit, étourdie.
"Je… Je croyais que vous aimeriez. Nous sommes enfin mari et femme, Quentin.”
Quentin, livide, réalisa à cet instant l‘autre signification du mariage. les rapports intimes. Le besoin de descendance. Mille images lui passaient à l’esprit et lui donnaient la nausée. il n’y arriverait pas. Se laisser toucher… Cette seule pensée faillit le faire réellement vomir. Diane se releva et le fixa, intriguée.
"Je sais. Les époux doivent attendre plusieurs jours et prier avant de consommer leur union, mais moi.. Moi, je n’avais pas envie d’attendre. je vous aime, Quentin, je vous aime et j’ai envie de vous."
Il secoua la tête, incapable de sortir le moindre mot. Elle se décomposa.
"Vous… vous ne voulez pas de moi ?"
"Si.. non… si…"
Quentin se lamentait de son incapacité à s’exprimer. Pour quelques secondes, son plan serait à terre. Il aurait dû se forcer. Comme avec ses anciens amants. A cette nouvelle pensée, sa nausée revint. Diane continuait de le fixer, perplexe.
"Vous… M’aimez-vous ?"
"Oui !"
"Alors… Vous voulez juste ne pas coucher avec moi ?"
"Oui…"
Elle garda le silence, puis après un instant lui sourit.
"Je crois comprendre. Vous êtes toujours aussi gentil. Est-ce que je peux au moins dormir avec vous ? Promis, je ne vous toucherai pas."
Il hocha timidement de la tête et elle lui sourit tendrement avant de s’installer de l’autre côté du lit.
***
6 Décembre 1597
Diane revenait avec enthousiasme à la maison, heureuse de sa journée passée à l’orphelinat à dispenser quelques cadeaux aux malheureux enfants qui y végétaient. Son mariage lui avait permis de gagner la liberté à défaut de trouver l’amour. Des mois s’étaient écoulés depuis se noces et peu à peu, la jeune femme avait abandonné tout espoir que Quentin réponde à ses invitations. Il ne l’aimait pas. C’était devenu indéniable. Il n’avait plus aucune parole tendre. Il ne lui donnait aucune caresse ni baiser. Pendant des semaines, elle avait essayé de lui proposer de consommer leur union, mais lui demeurait de marbre. Ou il bégayait, comme incapable de lui avouer la vérité, ou il trouvait refuge dans la religion. Ce n’était pas un jour pour la procréation. Il citait telle fête ou tel moment sacré pour un maudit Saint. Elle était croyante. Sincèrement. Mais aller à la messe une fois par semaine et se confesser une fois par mois lui semblait être un acte de foi conséquent. Elle priait même assez peu. Si Dieu savait tout à leur sujet, alors, Il savait aussi ses pensées.
En passant devant le miroir près de l’entrée, Diane s’arrêta. Rien de son teint ou à son front ne trahissait la femme adultère qu’elle était devenue. Si elle avait pu imaginer cela avant dans sa naïveté presque enfantine… La jeune femme esquissa un sourire espiègle au souvenir de sa rencontre avec Adam, trois semaines plus tôt. Lors de cette visite d’un hospice, il l’avait courtisé, faisant fi de son statut marital, et elle s’en était sentie flattée de susciter enfin l’admiration d’un homme. Dès leur seconde entrevue, elle lui avait cédé. Sa chair était en ébullition. Dès que ses mains s’étaient posées sur ses hanches, elle lui avait répondu avec une fougue qui la surprenait encore un peu. De toutes ces années de retenue, elle n’avait retiré qu’une seule chose : une puissante frustration.
Diane salua sa mère qui bavardait au salon avec des amis et monta dans sa chambre. Après deux mois à dormir chez son époux, elle avait renoncé. Elle ne lui plaisait pas. Ou il l’avait épousé pour sa dot. Ou pour être plus apprécié encore de son père. Elle s’en était détaché désormais. Il lui avait au moins donné la liberté de sortir et ainsi de rencontrer autant d’amants que possible. Adam ou un autre. Ce n’était certainement pas les bels hommes entreprenants qui manquaient dans la capitale.
Alors que le souvenir des mains d’Adam remontant dans son dos flottaient dans son esprit, Diane s’avança vers sa coiffeuse et commença à retirer son maquillage. Soudain, un bruit sourd retendit à l’autre bout du couloir. Intriguée, elle se leva pour rejoindre la chambre de son époux, inquiète que celui-ci ait pu défaillir d’un malaise. En poussant la porte, la jeune femme contempla, défaite la pièce. Quentin avait jeté de rage les couvertures au sol et des livres. Il martelait avec une énergie effrayante une petite table en bois. Effrayée, Diane n’osa avancer et signala sa présence d’un léger toussotement.
Pardonnez-moi, mais un problème vous accapare-t-il ?”
Quentin se figea net et se retourna vers elle, livide. Alors qu’elle lui avait adressé la parole avec calme et meme une certaine douceur, lui bégayait.
"Une… Une mauvaise rencontre."
"Racontez-moi donc", l’encouragea-t-elle.
Diane s’avança de quelques pas et l’invita à s’asseoir. Quentin baissa la tête, gêné. Elle le savait calme, toujours dans la retenue, et s’imaginait ainsi une agression en pleine rue. Des brigands l’avaient détroussé et il se sentait humilié.
"En tous cas, peu importe ce qui s’est passé, je suis heureuse de vous savoir en vie. Sincèrement, Quentin."
"Je… Je n’ai pas été agressé, Diane."
"Pourquoi cette… agitation ?"
"Je… Je ne peux pas vous dire."
Elle se recula pour le fixer, soudainement effrayée. Son époux baissait la tête, mais ses mains tremblaient. De rage. Sa violence l'inquiétait. S’il donnait libre cours à de tels accès, la suite serait certainement dramatique.
"Est-ce ma faute ? De notre mariage ?"
"Non. Non, vous n’avez rien à voir là-dedans."
"Alors, de quoi s’agit-il ?"
"Je… Je voudrais garder cela pour moi."
"Non ! Non, vous ne pouvez pas ! Vous ne pouvez me laisser dans l’ignorance alors que vous pouvez recommencer cette violence !”
"Je ne recommencerai pas, soupira-t-il. Je vous jure."
Diane le contempla, peu convaincue par ces paroles. elle se décida à accorder une chance. Une seule.
"Soit. ne recommencez pas. ou sinon j’en informerai père. Je peux tolérer que nous vivions sans amour, sans relations, mais pas d’être mariée à un homme colérique et susceptible de tout briser pour une mauvaise humeur."
Elle le toisa sévèrement alors que la gorge du jeune homme se serra et quitta la chambre.
***
Une nouvelle année commençait alors que la veille un sorcier avait brûlé sur la grande place. De ses informations, ce condamné avait été un des ses amis elle. Elle… En contemplant la rue enneigée par la fenêtre, Quentin soupira. S’il s’était attendu à l’apercevoir ce jour-là, devant cette échoppe. Cette petite peste se sortait de toutes les situations. Elle avait échappé à la misères, aux agressions, à l’esclavage pour vivre sereinement dans une famille bourgeoise. La femme tenait un commerce depuis peu mais qui semblait florissant, surtout depuis que celle-ci avait démoulé des jumeaux. Et cette dame avait deux frères puissants. Un cardinal et un général. Deux hommes avec un pouvoir comme il n’en aurait sûrement jamais.
Une fois de plus, elle le dominait.
Il la revoyait, moqueuse, lui apprendre comment soigner la vigne.
Ses poings se serraient. Il éprouvait une nouvelle fois l’envie de casser quelque chose. Un vase. Une statue. Un meuble. Mais il devait se retenir. Diane. Diane le surveillait. Elle était assise dans le canapé à discuter avec sa mère.
Quentin se redressa pour prendre une longue inspiration, mais ses souvenirs refaisaient déjà surface. Elle le narguait, mauvaise, alors que lui essayait de se rendormir à l’ombre d’un chêne. Ou elle riait de la mauvaise farce qu’elle venait de lui jouer. Et leur père ne disait rien. Leur père la soutenait. Ce n’était qu’une enfant. Que cela lui passerait avec l’âge. Il étouffait. Il se retourna, s’excusa rapidement, et sortir rapidement pour gagner le jardon. Il le traversa vite pour rejoindre la remise et s‘empara de la hache. Fendre des bûches soulageait cette colère. A chaque souvenir qui resurgissait, il mettait plus d’énergie dans le prochain. puis la fatigue s’installait et ses humeurs se dissipaient enfin. Jusqu’à la prochaine occurence.
Elle le rendrait fou.
Elle le détruirait.
***
3 Mars 1598
Après deux longs mois de souffrance, à intérioriser continuellement cette colère, Quentin avait appris la mise au pilori d’une fillette par son beau-père. Ce dernier avait lâché son nom et il avait failli s'étrangler.
Cassandre.
Cassandre était tombée de son piédestal.
Elle avait non seulement condamnée au pilori, à la prison, mais si retirée à sa maîtresse. Elle serait revendue et son prochain propriétaire serait bien moins clément que la précédent. Il s’imaginait déjà l’acheter et l’humilier quotidiennement, comme celle-ci le faisait autrefois, mais son beau-père avait tué à la sources ses rêves en évoquant que celle-ci avait été acquise par la nouvelle baronne de Frenn et celle-ci entendait lui apprendre de bonnes manières en la prenant comme son assistante camériste.
Il avait failli exploser.
Il s’était contenu puis avait prétendu devoir rejoindre son épouse pour sortir rapidement, mais la colère le consumait trop. Elle allait débordait. Il n’avait atteint que le couloir menant à la porte donnant sur le jardin que celle-ci éclata. Sa main se saisit d’une statue et la lança sur un miroir qui éclata. Quentin souffla, encore excédé, puis frappa du poing un mur.
"Assez !"
Le cri sec le ramena à la réalité. il se retourna, les mains tremblantes encore de rage, et aperçut Diane, mains sur les hanches, qui le toisait. Sa gorge se serra. Sa fin était proche. Cassandre. Même à distance, sans rien faire, elle continuait à lui nuire.
"Je… c’est pas ma faute. C’est…"
"Vous êtes entièrement responsable de vos humeurs et de la manière dont vous les gérez."
"Non", murmura-il faiblement.
"Vous n’êtes même pas capable de le reconnaître."
"Non, ce n’est pas ce que vous croyez."
"Alors, expliquez-moi !"
Quentin baissa la tête pour contempler des bris à ses pieds. Avouer que cette colère qui ui brûlait le ventre provenait de sa maudite petite soeur était impossible. Il aurait dû reconnaître son imposture et ses origines honteuses. Il serait chassé. il le serait aussi s’il se taisait, mais il préférait se retirer ainsi. Achille Velasquez était mort. Tout comme Samuel. Il ne le ressusciterait pas. Pas même pour la persuader de le garder.
"Je… Je ne peux pas."
"Dans ce cas, je vais voir mon père."
Elle tourna les talons et il ne chercha pas à la retenir. Les dés avaient été lancés et son destin scellé. Las, Quentin monta dans sa chambre et s’effondra le long de la porte. la tête entre ses mains, il laissa libre cours à ses sanglots. la rue le guettait, la misère, et… les anciennes images dansaient à nouveau. Il serait forcé de revenir à cette vie. D’offrir son corps pour quelques pièces. Pour un repas. Il se redressa et croisa une dague accrochée au mur. La tentation de mourir le traversa, mais il s’en sentit incapable. S'ôter la vie, ne plus être, ne plus lire, ne plus rêver… Quentin baissa à nouveau la tête et gémit de douleur.
***
Maître Maurras terminait de consulter un rapport pour sa plaidoirie du lendemain lorsque sa fille adorée entra sans frapper dans son bureau. Il l’observa, interloquée, s’avancer pour claquer ses mains sur le bois d’ébène.
"Mon époux est un homme dangereux !"
"Quentin ? Mais il est si… doux."
"Venez inspecter le couloir, père, si vous ne me croyez pas."
Troublé, il la suivit et découvrit avec effarement le miroir et une statue brisées. une servante s’affairait à ramasser et confirma la version de Diane.
"Il y a trois mois, il a eu cette violence dans sa chambre, et j’ai eu la naïveté d'accepter ses excuses sur une mauvaise rencontre. j’ai accordé une chance. Mais cela suffit, père. Nous ne pouvons garder un tel danger."
"Mais… mais vous ne l’aimez plus, Diane ?"
Diane baissa la tête, gênée, et murmura la suite.
"Il... Il ne m’a jamais touché, père. Depuis nos noces, il n’a plus un geste, ni une parole pour moi. Je crois que Quentin ne m’a épousé que pour ma part et votre héritage. Peut-être… Il complote peut-être contre vous. pour vous tuer, puis éventuellement me tuer aussi."
Maître Maurras demeura un long moment pensif. Il connaissait Quentin depuis désormais quatre ans. Il était son gendre depuis une longue année. Il n’avait jamais eu une fois un éclat de colère. Pourtant, les faits et les témoignages se recoupaient. il ne pouvait le nier. Il ne pouvait non plus ne pas songer à ces affaires criminelles dont il avait la charge. Il n’était pas rare que des hommes s'introduisent dans une famille sous un aspect honnête mais convoitent de les dépouiller. De la sueur lui coulait dans la nuque. Il commençait à imaginer le pire.
"Je vais le faire arrêter."
"Et ensuite ?"
"Eh bien, je ne suis pas certain que des charges soient retenues. il faudrait une réelle agression contre l’un de nous. ou une faute grave."
"Une faute grave… père, comme ne pas consommer le mariage ?"
"Oui, mais.. Non, je ne peux t’imposer cela, Diane !"
"Pour le salut de notre famille, père, je consens à ce sacrifice."
Maître Maurras observa sa fille avec un mélange de surprise et de fierté. Il la prit dans ses bras et déposa un tendre baiser sur son front.
***
7 Mars 1598
Il aurait préféré être chassé directement.
De retour dans sa chambre, Quentin se laissa tomber dans le lit, bras en croix, et repassa cette courte conversation qu’il venait d’avoir avec son beau-père. Un congrès. Il allait subir dans dix jours l’épreuve du congrès. S’allonger sur son épouse, la toucher… La nausée lui venait déjà. Il ne lui restait plus qu’une seule solution.
Fuir.
Une nouvelle fois
Comme lors de la fugue.
Une nouvelle fois, par la faute de Cassandre.
Fin
Ou à suivre dans un autre RP
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