[11 février 1598] - Il était une foi
[11 février 1598] - Il était une foi
Cela faisait un moment qu’elle y songeait, qu’elle ressassait ses interrogations et ses doutes. Elle n’avait pas osé en parler à Démétrius. Et si lui aussi doutait après ce qui lui était arrivé ? Si elle plantait une graine qui finissait par germer dans son esprit avec toutes ses questions qui l’agitaient ? C’était la dernière chose qu’elle voulait. Elle ne voulait surtout pas être la cause de ses doutes et d’un manque de foi. C’était bien trop important pour lui.
Elle avait passé toutes les festivités à analyser l’évêque que son père avait fait venir. S’il était là c’est que son père avait une relative confiance en lui, n’est-ce pas ? Il ne pouvait pas avoir totalement récrié son mode de vie ou n’être qu’intéressé par sa position, si ? Elle l’écouta attentivement et l’observa agir avec sa famille, puis jugea qu’il semblait assez inoffensif pour oser lui demander un entretien.
Elle avait encore en mémoire la dernière fois qu’elle avait voulu confier ses doutes à un homme d’Église… Virgil était arrivé juste à temps pour canaliser son père qui avait déchargé sur lui toute sa colère et elle s’en était atrocement voulu de lui avoir fait subir cela. Elle s’était cachée derrière une porte et n’avait pu retenir ses larmes. Elle comprit soudainement pourquoi Démétrius lui avait déconseillé de procéder ainsi. Elle était si stupide… Elle ignorait ce qui s’était passé ensuite car elle s’était enfuie dans sa chambre, mais quelque temps plus tard, on l’avait fait descendre dans le grand salon où se trouvait la figure terrifiante du curé qui s’excusa platement, toutefois Bérénice avait bien senti qu’il n’en pensait pas moins… Elle n’avait pas lu une once de regret ou de repentance dans son regard.
À Aussevielle, elle avait rencontré le vicaire qui était nettement moins vindicatif que celui de Fromart. Toutefois, elle évitait autant que possible de trop s’attarder en sa compagnie tant cela continuait de la mettre mal à l’aise. Ses confessions étaient effectuées avec un détachement complet et elle s’acquittait de cette tâche comme d’une obligation parmi d’autres. Et pourtant, malgré tout cela, elle ne pouvait nier trouver désormais plus de plaisir à prier qu’elle n’aurait pu le croire. Et c’était indubitablement grâce à Démétrius. Si elle n’avait au début que tenté de se plier à sa rigueur toute militaire, elle avait par la suite apprécié partager ce moment avec lui, et plus encore lorsqu’il partait et que cela les liait par-delà les lieues qui les séparaient.
Et puis il y avait eu son accident.
Et depuis elle n’était plus sûre. Elle ne savait même pas par quel bout prendre le problème. Un jour elle se demandait si cela était de sa faute pour avoir manqué quelque chose. Un autre elle maudissait Dieu lui-même de leur infliger un tel sort et un autre encore elle le remerciait de lui avoir rendu son mari vivant. Elle n’aurait pas dû en faire tout un drame de ces questions, mais elle ne parvenait plus en s’en séparer et il n’y avait qu’un seul moyen de retrouver la paix...
Elle passa la porte de la cathédrale, trempa le bout de ses doigts dans le bénitier et se signa avant de traverser la nef d’un pas lent à la rechercher de l’évêque de Braktenn.
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Hier avait été une merveilleuse journée, remplie de joie et félicité. Mis à part le bonheur des membres de la famille de Fromart et d'Aussevieille, Zacharie avait également beaucoup aimé le repas préparé pour les noces. Le gibier qui fut servi était si rare et si goût. Il avait aussi abusé un peu des pâtisseries, mais comme il l'avait expliqué à un moment au jeune Adéis, à un moment curieux, cela revêtait nullement du péché de gourmandise. Au contraire, les Saintes-Ecritures leur apprenaient que Dieu avait mis la nourriture à disposition des hommes en leur laissant la liberté de les cueillir autant qu'ils le voulaient. C'était un des paragraphes de la Genèse. Par ailleurs, les paysans avaient besoin des nobles et des bourgeois pour produire les récoltes qui leur permettraient de vivre. Par conséquent, il relevai du devoir de l'élite que de contribuer à acheter leurs récoltes et le produit de leur récolte. De la sorte, chacun vivait ainsi en bonne harmonie, à sa juste place.
Aujourd'hui, l'évêque s'était levé bien plus tard qu'à l'accoutumée et avait prétexté à des responsabilités pour rester dormir dans son lit jusqu'à neuf heures. Il lui arrivait peu de paresser, mais après une aussi excellente journée, c'était agréable de reposer un peu avant de reprendre une routine huilée. Il se rendit à la cathédrale vers dix heures, désireux d'arriver un peu en avance pour recevoir Bérénice d'Aussevieille qui lui avait sollicité un entretien hier dans l'après-midi. Elle se présenta, ponctuelle, et il l'aperçut trembler avec hésitation ses doigts dans le bénitier. Zacharie retint un sourire. En bonne fille de Coldris de Fromart, elle sans doute blasphémer dans son esprit en réalisant ce rite. C'était un point qu'il ne pourrait pas changer de cette famille. Autant se résigner.
L'évêque s'avança pour rejoindre la jeune femme et l'accueillit de son sourire bienveillant.
"Bien le bonjour, madame d4aussevieille. J'espère que vous portez bien."
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Au bout de la nef, Bérénice remarque la silhouette de l’évêque se diriger vers elle. A son arrivée, elle s’inclina profondément et baisa l’anneau.
— Je vous souhaite le bon jour, Monseigneur l’évêque, salua-t-elle avant de se redresser. Aussi bien qu’il m’est possible d’aller. J’espère que vous avezapprécié la réception donnée en l’honneur de mon père et de sa nouvelle épouse.
Sa langue faillit fourcher pour lui demander s’il s’était remis de ses petits excès de la veille, mais ce n’était pas le moment d’ouvrir les hostilités avec ce qu’elle s’apprêtait à lui dire. Elle ne se souvenait trop bien que de la dernière fois où elle était venue trouver un homme de Dieu en désespoir de cause. Aujourd’hui encore, elle n’était pas parfaitement certaine que cela puisse être la solution. À défaut d’avoir pu trouver mieux, elle avait rassemblé son courage. Elle n’était plus une enfant et que pouvait-elle entendre de pire que de pratiquer l’inceste avec son frère ? Une messe noire orgiastique dans les bois peut-être ? Tuer des nourrissons ? Tout compte fait l’esprit humain était suffisamment fertile lorsqu’il s’agissait de faire pire.
L’évêque Zacharie l’invita à le suivre dans son bureau. Cela lui épargnerait au moins l’inconfort du confessionnal et la sensation d’étouffement qui y régnait. Qui plus est, elle s’était déjà pliée à l’exercice dans la semaine. Pour tout dire, elle avait quitté Fromart pour Saint-Eloi : il n’était pas question de dire quoi que ce soit à ce détestable vicaire.
Lorsque la porte fut close et qu’une chaise lui fut désignée, elle s’installa, les mains entrelacées déposées sur ses genoux.
— Je vous remercie de me recevoir si rapidement. J’imagine que vous avez bon nombre de choses à faire, introduit-elle pour tenter d’initier la conversation. C’est idiot je voulais vous parler, mais en réalité je m’aperçois que je ne sais par quel bout prendre la chose...
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Zacharie accueillit avec ravissement la jeune femme et sourit au rappel de l'excellente réception à laquelle le ministre avait eu la gentillesse de l'inviter.
"Elle fut absolument esquisse. Nos jeunes mariés étaient si charmants. J'ai pu aussi faire connaissance avec votre fils. Il est absolument adorable et si bien élevée. Je vous en félicite."
Il l'invita ensuite à passer dans son bureau. Elle lui avait demandé un entretien et non une confession. Ce serait plus intime. Elle ne souhaitait certainement pas que leur conversation fasse le tour de Braktenn. Bérénice s'excusa de le déranger mais il secoua la tête.
"Non, non, je n'avais seulement l'intention d'écouter les messes que l'on donne ici."
Il l'observa fort pensive, puis elle avoua ne pas savoir quels sujets aborder en premier. Zacharie répondit avec sa douceur coutumière.
"Peut-être par ce qui vous met le plus à l'aise ? Ou bien ce qui vous embarrasse le plus, peut-être ? De la sorte, vous serez débarrassé rapidement de ce poids."
Zacharie resta les mains croisés derrière son bureau, lui souriant toujours, nullement pressé. Si elle avait besoin de temps pour rassembler ses pensées, lui n'était nullement pressé.
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Bérénice eut un sourire sincère à l’évocation des festivités autant que de fierté lorsqu’il évoqua leur fils. Elle le remercia pour son compliment tout en se remémorant l’échange surpris avec Adéis au sujet de la gourmandise. Certes, la gourmandise n’avait rien d’un si vilain péché en règle générale. Elle n’était d’ailleurs pas sûre de savoir en quoi cela pouvait être si grave en comparaison des autres péchés. Certes cela pouvait nuire au corps, mais tout de même…
Elle s’installa à la place indiquée peu à l’aise dans cet environnement et tâcha de se détendre. Elle ne sentait nulle perversité, nulle malignité derrière son apparente bonhommie et cela la rassura autant que faire se pouvait. Pourtant, cela n’empêcha pas sa gorge de se nouer lorsqu’il fallut expliquer l’essence même du problème. C’était tout de même idiot ! Pourquoi fallait-il qu’elle demande un entretien et ne sache comment aborder la question ! Quelle idiote ! Elle baissa le regard vers ses doigts qui s’entortillaient nerveusement sur sa robe de satin bleu nuit. Les minutes s’écoulèrent et elle s’inquiéta soudainement du silence grandissant dans le bureau de l’évêque. Mais quelle idiote !
— Je vous prie de m’excuser… C’est que je n’ai pas pour habitude de confier à qui que ce soit ce qui me pèse sur le cœur, alors j’ignore comment faire. Chaque fois… chaque fois que je songe à ce que je veux dire, j’ai l’impression que ce n’est pas la bonne façon de le présenter et que vous risquez de ne pas avoir l’ensemble…
Elle joua nerveusement avec son alliance pour contenir la nervosité grandissante qui s’emparait d’elle.
— Mon mari… mon mari est un homme très pieux, vous savez… tenta-t-elle finalement en se raccrochant à sa vision apaisante.
Elle prit une longue inspiration et soupira lentement dans l’espoir de se calmer.
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Un petit temps passa alors que la jeune femme demeurait plongée dans ses pensées. Zacharie n'indiqua aucun mouvement d'impatience et se contenta de la contempler avec bienveillance. Les premiers mots étaient toujours difficiles à sortir, mais les autres venaient ensuite une fois le mouvement initié. Bérénice se décida à avouer ne pas avoir pour habitude à se confier que chaque fois que cela arrivait elle avait la sensation de ne pas avoir bien dit ce qu'elle souhaitait dire. Zacharie se décida à briser la glace en déclarant d'un petit rire gentiment moqueur :
"'Tant que vous ne m'insultez pas, je ne m'offusquerais d'aucune de vos paroles !"
Elle se mit à jouer avec alliance et évoqua son époux. Zacharie se mordit la joue pour ne pas rire à nouveau. Le marquis d'Aussevieille pieux ? Quelle nouvelle ! Cette famille était réputée pour être la pieuse de tout Monbrina. Par ailleurs, l'un de membres, un cardinal, était enterré au sein de la cathédrale. Il se décida à la détendre, percevant sa nervosité à ce sujet, et reprit, légèrement facétieux :
"Il me semble en avoir entendu parler, oui. Si les rumeurs sont avérées, je crois même que votre époux est aussi pieux que votre père aime fréquenter un pieu en bonne compagnie."
Il lui sourit tendrement et reprit plus sérieusement :
"Est-ce à son sujet que vous vous inquiétez ? Il y a eu cet accident. Est-ce qu'il... aurait perdu sa foi ? J'ai conscience qu'après de tels drames, malheureusement, certains chrétiens éprouvent du dépit, voire de la colère envers Dieu. Est-ce cela ?"
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Bérénice ne parvenait pas à ordonner son esprit de manière suffisamment convenable pour évoquer ses questionnements. C’était chaque fois trop… ou pas assez… Comment savoir ce qu’il en déduirait ? Elle n’avait que trop conscience du silence qui devait être affreusement pesant et qui commençait à alourdir ses épaules. Elle lui confia ses difficultés à s’exprimer et partager son fardeau, ce dont il ne lui tint pas rigueur le moins du monde. Bérénice sourit à sa boutade et rétorqua :
— J’aimerais autant m’abstenir de fâcher mon époux alors que je viens tout juste de le retrouver, voyez-vous, répondit-elle avec la même légèreté avant de poser ses yeux sur son alliance et d’évoquer Démétrius.
La remarque de l’évêque lui arracha un infime rire pour son bon mot, mais elle parvenait toujours difficilement à se détendre et se fit violence pour lui répondre le regard fuyant.
— Vous savez, lui aussi aimait à fréquenter son pieu en ce que j’ose espérer qu’il qualifierait de bonne compagnie lorsqu’il rentrait chez lui.
Un petit sourire mutin orna ses lèvres tandis qu’elle se remémorait ses retours du front et cette même allégresse qui l’emportait chaque fois qu’elle l’apercevait du haut de la fenêtre de l’ancien donjon. Toutes ces fois où, comme une petite fille, elle dévalait les marches avec empressement. Toute cette intimité qu’il partageait alors comme pour rattraper les jours écoulés. Et puis il y avait eu son dernier retour…
Elle leva tristement les yeux vers ceux de l’évêque qui la questionnait.
— Je l’ignore... Il est la seule personne qui pourrait répondre à cette question et je doute que ce ne soit vers moi qu’il se tourne pour débattre d’un tel sujet. Je peux simplement vous dire qu’il a bien peu quitté sa fenêtre au cours de cette dernière année et qu’il croit toujours fermement en la vie. Le reste… S’il a des doutes, je n’en ai pas connaissance.
Elle en revanche… Elle tourna la tête et son regard se posa vers la statue de la Sainte Vierge à l’enfant.
— Un jour, alors que j’étais une enfant, je lui ai demandé de veiller sur mon frère lorsqu’il partirait avec lui. Il m’a proposé de prier. Alors j’ai prié pour eux deux. Chaque jour, sans faute. Et même parfois plusieurs fois par jour. Et comme ils revenaient toujours indemnes ou presque, je continuais. Je continuais avec la crainte de ne manquer qu’un seul petit jour...
Et elle n’avait jamais manqué un seul jour. Elle, qui pouvait être si étourdie, n’avait jamais manqué une seule de ses prières quotidiennes. Elle avait bien trop peur que son unique manquement ne signe leur arrêt de mort.
... et que celui-ci soit le dernier. Et… il y a eu ce sergent qui s’est présenté aux grilles, à revoir ses images, ses yeux commencèrent à la bruler. Il venait m’annoncer que mon mari avait été gravement blessé à Mornoy. Et… Sa voix s’étrangla pour laisser s’échapper deux larmes qui roulèrent lentement sur ses joues encore rosées de la froidure hivernale.
— Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’Il lui inflige cela ? Cela n’a pas de sens… Il… Il… C’est la personne la plus douce, la plus juste, la plus confiante, la plus aimante, la plus croyante et j’en oublie certainement plus de la moitié, mais… mais… il ne le mérite pas. Moins que tous les autres encore… glissa-t-elle entre quelques larmes. Et tout cela après avoir perdu ses parents si peu de temps auparavant. Je ne comprends pas. C’est si mesquin de lui imposer cela que parfois j’en viens à me dire que tout est de ma faute. D’autres fois encore, je me dis que ce n’est qu’un hasard comme un autre et que nous sommes bel et bien seuls. Parfois je le déteste, je le déteste d’une telle violence… Et d’autre fois je le remercie de me l’avoir ramené en vie parce que je réalise désormais à quel point il est important pour moi. Je ne sais plus quoi penser, déclara-t-elle le regard embué. et chaque fois que je le vois lutter pour reprendre sa vie – oh il ne le montre pas bien sûr – cela me fait tellement souffrir vous ne pouvez même pas imaginer. Je me sens tellement… impuissante… et s’il existait la moindre chance de lui rendre ses jambes croyez bien que je ferai tout pour la lui donner.
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Afin de la détendre, Zacharie se permit une légère plaisanterie et cela sembla fonctionner. Elle se calmait un peu. Il répondit, toujours malicieux :
"Ne vous inquiétez pas, même si cela se produisait, je ne le répéterais. par conséquent, votre époux ne le saura pas."
Zacharie se permit une seconde plaisanterie pour l'encourager et rougit ensuite légèrement de la réponse qui suivit. C'était bien la fille de son père. Bérénice se laissa finalement aller à se confier sur le mal-être de son époux depuis son accident. Il passait beaucoup de temps à la fenêtre, sans doute à regrette ses jambes perdues. Elle poursuivit qu'enfant avoir demandé à Démétrius de veiller sur son frère lorsqu'ils partiraient en compagne et celui-ci lui avait demandé de prier pour eux. Elle s'y était merveilleusement consacrée et s'interrogeait à présent sur le pourquoi de son accident. Zacharie sentit toute la détresse et la douleur qui perçaient de ces paroles où se mélangeaient colère et rancune. Que répondre ? Il ne connaissait rien des plans de Dieu. Autrement, il serait un Saint.
"Je pourrais dire que si vous n'avez pas autant prier, votre époux serait mort et non blessé. Je crois fermement à la valeur de la prière et que dieu ne peut nous abandonner lorsque nous faisons l'effort de bous adresser à Lui. Néanmoins, de là à comprendre ses plans... Je ne puis réellement répondre. Ce serait du blasphémer que de s'imaginer penser à sa place. Ce n'est sûrement pas réconfortant, j'en suis navré, mais je pense, ma fille, que nous devons pas chercher de sens à tout ceci. Nous devons nous contenter d'accepter les épreuves avec courage et avec force. Au bout de celle-ci viendra toujours la lumière si l'on ne renonce ni à son devoir ni au bonheur. De cela, au moins, je suis convaincu."
Il la contempla d'un regard navré.
"Je regrette, mes paroles ne sont pas très utiles, je le crains."
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Elle avait beau tout faire pour se retenir les sanglots finirent par s’engouffrer dans la multitude de brèches qui s’étaient formées dans son armure. Et plus elle le retrouvait, plus avait l’impression de se perdre tandis qu’elle prenait conscience de la réalité. C’était comme une immense boule de neige perpétuelle qui roulait, roulait, roulait et menaçait de l’écraser.
Peut-être serait-il mort, oui. Mais pourquoi ne pas l’avoir épargné dans ce cas ? Pourquoi lui qui ne le méritait pas. Elle croisa brièvement le regard de l’évêque avant de le quitter pour son jupon souillé de ses larmes. La vérité c’est qu’il n’en savait rien non plus. Lui qui était censé Le connaître mieux que les hommes n’en savait rien. Personne n’en savait rien. Tout ce qu’il fallait c’était prier bêtement dans l’espoir que l’on soit écoutée. Elle n’avait pas besoin de Lui pour accepter les épreuves avec courage. Elle n’avait besoin que de [i]lui[\i] son mari qu’elle avait réalisé aimer sincèrement. Celui-ci qu’elle voulait égaler mais sur qui elle ne cessait de se reposer. Toute sa force c’était à lui qu’elle la devait. A lui qu’elle devait l’endurance stoïque des longs mois de silence. A lui qu’elle devait le courage d’avoir gardé la face quand son âme pleurait en permanence. A lui qu’elle devait l'optimisme qu’elle avait essayé médiocrement de lui rendre.
Ses larmes redoublèrent sans qu’elle ne mette la moindre force à les contenir.
—Eh bien c’est inutile alors car je me sens parfaitement abandonné et livré à moi-même. A quoi cela sert-il de prier si lorsqu’on en a réellement besoin, personne ne répond à notre détresse ? Je ne sais plus. Si je dois me contenter d’endurer comme je l’ai fait alors qu’elle intérêt y a-t-il à prier ? Si la lumière revient ce n’est pas grâce à Lui, c’est juste que c’est ainsi que la vie est faite. Je crois qu’au fond Notre Seigneurs n’est qu’un observateur passif des petites fourmis que nous sommes.
Et elle était d’autant plus déçue qu’elle commençait réellement à apprécier prier et à croire au pouvoir mystique de ces quelques paroles. Elle sanglota de nouveau et il n’y eut que le ploc étouffé de ses larmes sur le bureau.
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Zacharie baissa la tête en découvrant que ses paroles maladroites, emplies par le doute, continuaient de troubler Bérénice au point que celle-ci en vienne à pleurer. Ses poings se serrèrent sous le bureau. Que pouvait-il faire ? Que pouvait-il dire ? Son regard se tourna u court instant vers le crucifix était accroché l Christ. Lui n'avait jamais envisagé de remette en question l'amour divin. Pas plus que sa compassion pour chacun d'entre eux. Sa foi restait aussi pure et intacte qu'au temps de son enfance insouciante. Il fixa, la gorge serrée, la jeune femme et tenta de réfléchir à ses paroles et à une manière de l'apaiser.
"Je pense que la prière est toujours bénéfique. Même si Dieu ne voudrait ou ne pourrait répondre à nos désirs, il me semble que celle-ci nous aide à nous apaiser. Rassembler nos pensées et nos idées lors d'un moment de recueillement permet, je crois, de mieux nous recentrer sur nous-mêmes et nos proches. Même si Dieu n'est qu'un observateur, Il nous aime. Profondément. Sincèrement. Et il attend que chacun de nous ait la force de surmonter ses épreuves en restant dignes et en se gardant bien sûr du Mal."
Il se sentait si démuni à ne pouvoir apporter de meilleure réponses, mais ce serait bien plus grave de lui mentir pour la garder dans le giron de la foi. Ce serait une manipulation honteuse, digne de ces prêtres dont il aspirait à débarrasser la ville. Cette pensée lui donna une idée pour poursuivre.
"Pour ma part, je ressens un profond désespoir quand je constate que les curés de cette ville sont à ce point corrompus. Luxure, orgueil, colère, paresse... Certains agressent même des femmes, volent, abusent de al confiance de leurs ouilles... J'aimerais que Dieu fasse un signe pour les ramener sur le droit chemin ou les arrêter. Cela ne vient jamais. Ils poursuivent leurs œuvres destructives et contribuent à éloigner les fidèles de la foi ou à leur enseigner de mauvaises pratiques. Ceci est mon épreuve. Je dois chaque jour accepter que je ne puis faire que peu choses pour empêcher les fidèles de se laisser posséder par ces gens indignes de prêcher la parole divine."
Zacharie n'état plus certain d'avoir eu raison e s'exprimer ainsi. Ne risquait-il pas de lui faire abandonner tout espoir ? Tant pis. Cela était fait. Il toucha sa croix et pria le Seigneur afin que sa grâce touche Bérénice et lui apporte la lumière.
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Bérénice se sentait perdue. Comme dans un profond brouillard où tout était grisonnant et feutré. Perdue avec ses questions qui parvenaient à déstabiliser l’évêque lui-même. Devait-elle en déduire qu’il n’existait aucune réponse à toutes ses interrogations ? Était-elle censée croire aveuglément ? Elle sortit un mouchoir et épongea ses yeux humides tout en écoutant sa réponse. Elle eut un discret sourire. Cela ressemblait à ce que Démétrius lui avait dit lorsqu’elle l’avait questionné plusieurs années auparavant.
— Je suppose que ce fut le cas pendant un temps. Lorsqu’il était loin et que je craignais chaque jour une visite ou que mes songes ne me laissaient pas en paix, j’aimais m’installer à l’endroit exact où il priait aux heures où il s’y adonnait avec l’espoir secret que nos pensées se croisent. J’avais l’impression que cela brisait la distance entre nous. C’est idiot, mais c’est tellement important pour lui que j’ai fini par y croire aussi et même à apprécier. Et quelque part j’apprécie toujours, seulement je trouve cela inutile. Je ne suis pas sûre de vouloir d’un amour qui torture ceux que j’aime. Aimer c’est prendre soin de ceux que l’on aime. Pour rien au monde, je ne voudrais les voir souffrir. C’est cruel, c’est si cruel. Vous ne pouvez pas imaginer ce que cela fait de voir celui que l’on aime n’être guère plus que son ombre, brisé jusqu’au fond de son âme. Bérénice ravala les larmes qui s’amoncelaient de nouveau au bord de ses paupières. Et lorsque je cherche une raison… La seule que je vois ne me plait pas du tout, parce que la seule chose de positif qui me soit arrivée depuis c’est d’avoir réalisé à quel point il tenait une place importante dans mon cœur. Et si c’en est la raison, alors je trouve cela bien trop cher payé.
L’évêque se confia sur ses propres difficultés et tout cela lui semblait bien maigre en comparaison de la tempête dont elle émergeait seulement sans bien savoir où elle avait échoué. Elle soupira, songeant aux noms qui lui venaient à l’esprit.
— Ne le prenez pas mal, mais je trouve que les hommes d’Église ne servent à rien.
L’avait-il aidé dans ses doutes ? Non. Elle avait envie d’y croire, vraiment. Vraiment, vraiment, vraiment. Mais elle ne parvenait pas à obtenir d’explication suffisante. Il y avait de ses choses qui n’avaient aucune logique et contredisaient tout le reste. Et en même temps lorsqu’elle ne savait plus quoi faire d’autre, c’était tout ce qui lui restait. Parce que même de retour, elle avait continué de prier tous les jours pour lui, pour qu’il aille mieux, pour le revoir sourire et en fait elle continuait tout de même, mais elle ne savait pas. Ne pouvait-on pas trouver un Saint qui puisse le faire remarcher ?
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Zacharie contemplait avec tristesse, désemparée, Bérénice sortir un mouchoir et essuyer. Il essayait, sans doute maladroitement, de la ramener vers la foi mais ses tentatives se soldaient par des échecs. sa main toucha la croix à sa poitrine, désireux de solliciter l'aide divine dans cette nouvelle épreuve. Il l'écouta poursuivre et secoua doucement la tête. Non, Dieu n'était pas cruel. il souffrait de leurs souffrances. Mais il ne pouvait pas toujours tout arranger.
"Je ne crois pas que Dieu soit cruel. Il souffre autant que nous, peut-être plus même. Il est semblable à un parent qui observe ses enfants acquérir peu à peu leur autonomie. Par ailleurs, s'y réfléchis, le fait de ne pas intervenir, peut-être est-ce pour empêcher des tragédies plus terribles ? Lorsque Dieu intervient, c'est avant somme tout avec des moyens humains en communiquant avec nous via l'Esprit-Saint. Néanmoins, cela requiert que la personne soit réceptive ou assez ouverte pour entendre le message. Cet accident... Il est terrible, mais... Peut-être était-ce déjà une intervention qui a protégé la vie de nombreux autres soldats ? Je sais que ce n'est pas agréable à entendre, mais peut-être aurait-Il décidé, bien sûr à contrecœur, à laisser votre époux connaître ce sort plutôt que ce soit des hommes qui n'auraient pas eu les moyens de survivre une fois devenus infirmes ? Pardonnez-moi, mes paroles sont sûrement maladroites, mais... Mais les infirmes ont si mauvaise réputation, surtout dans le peuple. Même les vétérans qui reviennent du front sont blâmés et jetés à al rue sans le moindre respect. Songeons à ce malheureux Edouard que l'on a sanctifié le mois dernier. Ainsi, devant une attaque qui risquait de détruire de nombreuses vies, peut-être Dieu a t-il choisi celle qui avait au moins les chances de survivre ? Par ailleurs, Il connaît la foi qui anime les d4aussevieille. Il avait confiance en sa force pour surmonter l'épreuve."
Zacharie termina sa tentative, peu convaincu de sa propre explication, mais il le cacha et se montra résolut. Pourtant, il n'aimait pas l'idée de considérer que Dieu faisait de tels calculs. Néanmoins, al théorie pouvait être juste. Prendre soin des soldats de bas niveau, ce serait une noble intention. Il fixa Bérénice et espéra avoir trouver un bon argument pour la ramener vers la foi.
Sur cela, il se décida à évoquer ses propres tourments et grimaça en entendant Bérénice décréter assez fermement considérer. Son intonation et cette répartie rappelaient instinctivement une certaine personne. il soupira.
"Vous êtes bien la fille de votre père."
Il poussa un autre soupir et reprit calmement.
"Nous essayons de servir au mieux les fidèles. Malheureusement, ce siècle a connu des relâchements que le Vatican cautionne. Quand on songe à ces cardinaux qui se permettent de vivre en concubinage... Ce sont pas les hommes d'Eglise le souci, mais le fait que certains ne savent pas se libérer de leurs passions d'hommes. Si seulement il pouvait y avoir un Pape pour décider de réaliser un grand ménage..."
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Malgré son caractère dubitatif, Bérénice écoutait attentivement les paroles de l’évêque. Comme un parent ? Cela venait bien d’un homme qui n’avait pas d’enfant. Quel genre de parents regardait souffrir ses enfants sans rien faire, ni même les consoler ? Elle lui était cependant reconnaissante d’essayer de trouver une réponse à ses interrogations de son propre chef bien loin des insipides dialogues que l’on pouvait servir d’ordinaire. Son hypothèse éveilla une réflexion plus large dans son esprit, de celle qu’elle avait déjà eu auparavant : si tout le monde priait pour obtenir son bien ou sa sauvegarde ou celle de ses proches, alors comment se faisait-il que l’on trouve autant de malheur et comment Dieu lui-même choisissait-il ? Pourquoi telle personne mourait-elle et telle autre non ? Le blesser lui pour en préserver d’autres ?
Elle songea un instant à ce qu’elle aurait fait dans une situation similaire et… oui cela pouvait s’entendre, en réalité. Seulement de ce qu’elle savait – ou ne savait pas – il n’avait pas été blessé au cours d’une mission particulière. Elle agita néanmoins la tête. Elle savait qu’il avait énormément de chance d’être né noble. Il n’avait pas à travailler. Il avait tout le personnel nécessaire pour l’aider au quotidien et les moyens financiers d’y parvenir. Il était bien plus souvent perçu comme un héros que comme un paria. Elle baissa ses yeux vers la table. Elle avait parfaitement conscience qu’il était privilégié et qu’il ne finirait jamais à errer dans les rues comme tant d’autres. Comme elle savait qu’elle l’aurait été s’il lui était arrivé malheur. Quant à avoir la foi, pour cela elle soupira doucement, plus que dubitative sur l’effet que cela avait bien pu avoir son mal-être.
Enfin, l’explication était suffisamment pertinente pour qu’elle puisse l’accepter. C’était toujours mieux que de culpabiliser ou de ne pas comprendre. Ce n’était peut-être pas la vérité, mais c’était une vérité qui lui convenait et dont elle avait besoin pour avancer.
— Peut-être avez-vous raison. J’imagine que c’est toujours mieux que d’imaginer que cela puisse être le prix du rachat de mes péchés et de ceux de mon père.
Elle prit une inspiration qu’elle bloqua dans sa cage thoracique plusieurs secondes avant de se résigner à l’expirer lentement de dépit. L’évêque Zacharie lui confia ses propres difficultés à juguler la corruption et la dépravation au sein de l’Église catholique. Elle fronça sévèrement les sourcils et déclara calmement :
— C’est un peu facile tout de même, Monseigneur. Je vais à la messe tous les jours et je me confesse régulièrement, vous ne pouvez pas en dire de même de mon père. A moins que ne qualifier les femmes de pécheresses soit ce que l’on vous enseigne à Rome ? Quelque que soient mes doutes, j’ai vraiment envie de croire qu’il y a quelqu’un là-haut, parce qu’il ne peut pas se tromper. Pas à ce point. Je suis peut-être la fille de mon père, mais ma position ne devrait pas être vue en fonction de la sienne. Pourtant je le pense sincèrement : je n’aime pas les prêtres et je les trouve dans leur majorité inutiles.
L’évêque reprit en arguant que cela venait des dérives de ce siècle, mais Bérénice secoua la tête.
— Je ne suis pas tout à fait d’accord, mon Père. Je crois qu’il y a plusieurs problèmes, mais celui que vous soulevez ne devrait pas en être un. Personnellement, je préfèrerais que les prêtres puissent se marier et fonder une famille s’ils le désirent comme ce fut le cas plusieurs siècles auparavant. Je me sentirais bien plus proche de quelqu’un qui pourrait réellement compatir à ma situation que d’un moine vivant dans son petit monde fermé. Mais le fait est que je ne les aime pas. Je ne les aime pas, car je n’ai pas envie d’avoir un interprète entre moi-même et Notre Seigneur. Vous savez, mon père a coutume de dire qu’il faut se méfier des traducteurs. Eh bien je suis on ne peut plus d’accord. Qui mieux que Lui pourrait lire avec exactitude dans mon cœur ? Je ne les aime pas non plus, car toutes les fois où je me suis tournée vers eux je n’ai obtenu aucune réponse dans le meilleur de cas et dans le pire je me suis fait accuser des pires maux. Alors non, vraiment, je suis désolée, mais tout ce que je puis voir, c’est qu’une organisation politique comme une autre avec ses jeux de pouvoir et ses travers. J’ai bien conscience que tous ne sont pas ainsi et je ne vous range pas d’ailleurs avec ces individus, seulement à ma connaissance, c’est ainsi que les choses se passent la majorité du temps.
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Zacharie se sentait mal à l'aise à l'idée d'échouer à ramener une fidèle sur le chemin paisible du Christ. Les épreuves pouvaient éroder tant de belles âmes. Il observa Bérénice perdue dans ses pensées lorsque celle-ci sembla souscrire à son hypothèse en estimant que celle-ci était mieux que le rachat. L'évêque eut une grimace à cela.
"Non, Dieu ne punit pas. Il n'es qu'amour. Même s'il ne peut rien faire, IL ne blesse pas. Est-ce... un curé qui vous a dit cela ? C'est répandu, je le sais, mais cet esprit de marchandage est tout le contraire de ce que le Seigneur prêcha."
La suite les amena à discuter du problèmes que posaient certains prêtres et les propos de la jeune femme n'étaient pas sans lui rappeler les intonations de son père.
"Non;, non, bien sûr que non toutes les femmes ne sont pas des pécheresses. On fait le raccourci facile avec Eve, mais c'est oublier bien vite qu'Adam avait son mot à dire. Si j'analysais plus profondément la Genèse, j'en déduirais qu'Eve ose alors qu'Adam est couard, incapable d'avoir une opinion, préférant se cacher derrière sa femme."
Le reste le mettait beaucoup plus mal à l'aise. Le mariage et le célibat des prêtres... C'était une chose qui revenait souvent, oui, mais... Lui vivait très bien de n'avoir ni famille ni relation charnelle. Participer au bonheur collectif, apaiser les tourmentes... cela le réjouissait bien plus que d'élever des enfants. Il répondit maladroitement :
"Je... je n'ai jamais ressenti le célibat comme une contrainte. Au contraire, je le vis tell une force et même un bonheur. Je n'ai pas cette impression que ce soit une si grande épreuve. Quant aux institutions, elles... Il est vrai qu'elles ont tendance à trop couvrir les mauvis prêtres. Cela est vrai. Mais je suis persuadé que malgré tout les prêtres aident les fidèles. Je me sens jamais plus heureux quand je revois partir une âme apaisée après une confession. pouvoir parler sans être jugé c'est une libération. "
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Sa théorie ne remporta pas grand succès auprès de l’évêque et quelque part cela la rassura. Elle n’avait pas envie d’être réduite à cet état, pas plus qu’elle ne désirait en portait le poids de la culpabilité. Elle soupira puis agita la tête lorsqu’il évoqua un curé. Oui, ce satané vicaire de Fromart qu’elle évitait comme la peste. La suite de son développement lui fit retrouver le sourire. Elle préférait de loin cette analyse nettement moins discriminante. Et puis il avait le bon ton de ne pas insister sur l’autorité qu’aurait pu exercer Adam.
— En réalité, Monseigneur, je crains que vous ne soyez la première personne que je rencontre avec une telle opinion. Sans parler des extrêmes que j’ai pu côtoyer, je n’ai jamais entendu dire qu’Adam serait couard.
Elle se plut alors à imaginer toute sorte de récits alternatifs suivant ce que l’un et l’autre auraient pu faire. Si Adam l’avait arrêtée. Si Adam avait pris l’initiative. S’ils l’avaient fait ensemble.
— Vous rendez-vous compte à quel point notre société tout entière aurait pu être différente si les choses ne s’étaient pas déroulées ainsi ?
De ce constat, leur discussion évolua jusqu’à évoquer la place des prêtres dont Bérénice n’avait jamais cessé de douter. L’évêque, en revanche, semblait bien mal à l’aise. Ce n’était pas volontaire de sa part. Elle ne cherchait nullement à le mettre en défaut, simplement à exprimer son opinion. Elle acquiesça donc à ses propos, jugeant que c’était un point de vue parfaitement compréhensible quoiqu’elle le situât plus dans les exceptions que la généralité. La fin lui arracha un rictus acide.
— Si seulement ce pouvait être le cas, mon Père. Souvent pourtant, le jugement est de rigueur et bien souvent la condamnation va de pair. Et je ne vous parle pas là encore de ceux qui mésinterprètent les propos pour n’y voir ce que bon leur semble sans prendre le temps de vous écouter. À ceux là, vous pourriez donner une lame qu’il ne ferait pas plus de dégâts.
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Bérénice semblait plus que surprise par son interprétation plus que particulière de la Genèse. pourtant, elle lui semblait belle et bien plus raccord avec les idées fondamentales de la chrétienté. La jeune femme avait-elle connu un mauvais prêtre pour l'influencer ? C'était plus que possible ? le vicaire à l'esprit de renard de Fromart ? Il le détestait. Bien trop mielleux pour être honnête. Néanmoins, cela n'avait pu se produire à Fromart. Son père n'aurait jamais pu tolérer cela. Ou il lui aurait confessé avoir occis le fameux vicaire sur l'autel. Sur cette pensée blasphématoire, il toucha la croix et se signa discrètement.
"J'en ai conscience, oui, mais pourtant mes idées me semblent plus en raccord avec la pensée du Seigneur ? N'a t-il pas parcouru les chemins de Palestine pour nous enseigner l'amour et la fraternité ? Avec les disciples, des femmes les accompagnaient. Malheureusement, on évoque peu ces dernières. même Marie-Madeleine est toujours rabaissée à son statut de prostituée plutôt qu'à ses actes vertueux. Par ailleurs, un mariage ne doit-il pas se construire sur la complémentarité du couple ? L'homme et la femme ne devraient pas être selon moi des ennemis mais des alliés capables de s'unir pour des buts communs, notamment l'éduction des enfants. Comment peuvent-ils bien grandir si une harmonie ne les berce pas ? N'êtes-pas d'accord avec ceci, vous qui êtes mère ?"
La conversation se poursuivit sur ces mauvais prêtres et les paroles de Bérénice réveillèrent ses soupçons. elle en avait eu. C'était certain. La vision mielleux du vicaire ne s'effaçait. Il sentait son ombre. Par ailleurs, pourquoi Coldris en aurait-il été informé ? Ce fourbe avait pu la saper en profitant de sa sensibilité de jeune fille pour lui imposer le silence de ses confessions.
"Excusez-moi, Bérénice, je vais être direct, mais j'ai besoin de davoir. Avez-vous été... importunée par Rodrigue de Polignac, le vicaire de Fromart ?"
Ses poings se serrèrent son le bureau alors que son regard s'enflammait. Si ce renard avait osé, il ne resterait plus longtemps à Fromart. Un beau pèlerinage à Zarkos serait des plus profitables. Le printemps, c'était un bon départ pour le dernier voyage de son existence. A moins que Diu lui prête vie...
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Bérénice était bien peu à même de lui répondre concernant l’exactitude de son analyse. Elle était bien peu versée dans la théologie et se contenta donc de lui laisser le bénéfice de ce doute qui lui convenait par ailleurs fort bien. Elle apprécia tout autant son étrange vision du couple. Des alliés oui. Être égaux… C’était ce qu’elle avait demandé à son mari. Un sourire s’installa sur ses lèvres tandis qu’elle acquiesçait.
— S’ils doivent être alliés, alors pourquoi pensez-vous que le femme se doive d’être subordonnée à son mari en tout point ? Les alliés devraient être égaux en paroles et en droits autant qu’en devoir ne croyez-vous pas ? Quant aux enfants, c’est indubitablement mieux j’imagine, quoique je ne puisse répondre pour moi-même n’ayant guère connu ma mère. Sans doute mon frère vous appuierait-il. Je me souviens de bien peu tant j’étais jeune, mais j’ai le souvenir de la tension permanente qui régnait. Comme un orage, qui jamais ne prenait congé.
Bérénice évoqua en suivant ses convictions bien peu orthodoxes au sujet des prêtres. Si les églises ne lui déplaisaient désormais plus autant, son avis sur le clergé n'avait guère évolué : elle n’en voyait pas le moindre intérêt. Et elle doutait d’évoluer un jour à ce sujet. Elle arqua un sourcil à la mention du vicaire de Fromart.
— Une fois. Je ne l’ai plus revu en suivant à vrai dire. A l’annonce de mes fiançailles j’étais quelque peu perdue… Ne sachant vers qui me tourner, j’ai… procédé comme aujourd’hui. Sans doute n'ai-je pas été des plus clairs, mais il m’a accusé d’inceste avec mon frère et voulait m’enfermer dans un couvent. Elle soupira, aigrie au souvenir. Quand il a finalement compris, il m’a dit que je pourrais racheter tous mes péchés de femme en donnant la vie… Je me suis emportée et… enfin peu importe, ensuite j’ai quitté les lieux.
Fuir était sans doute plus approprié en réalité. Elle avait également omis les larmes qui avaient volé dans son sillage. Détail dont il n’avait pas besoin de disposer.
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Ils se retrouvèrent à débattre de la vision de ce que devrait être un mariage et Zacharie était un peu gêné à analyser de cette manière le mariage. il pouvait user de nombreuses citations bibliques pour proposer son point de vue du sujet, mais les interrogations plus concrètes le laissaient plus sceptique. Que pouvait-il dire exactement ?
"Je ne sais pas bien, je le confesse. Chaque couple devrait, je crois, savoir construire son propre équilibre. Néanmoins, il importe de pas se fier aux écrits bibliques sur ce sujet. Surtout l'Ancien Testament. Ils ont été rédigés à des époques trop antérieures, proches des modes païennes et ne répondent pas du tout aux valeurs du Seigneur. Qu'a dit-il, lui, de la femme adultère ? Il ne la blâmait pas véritablement et répudiait toute lapidation, toute violence envers elle. Il est certain qu4il serait en désaccord sur notre manière de traiter les épouses et les jeunes filles."
Sur cela, ils abordèrent la délicate question de prêtres et Zacharie perçut un malaise trop perçant pour ne pas insister. la mauvaise rencontre de la veille restait trop présente dans sa mémoire. Il entendit abasourdi que le vicaire avait osé accuser une jeune fille bouleversée par ses fiançailles prochaines de crimes sordides. Son teint blêmit et il explosa de colère.
"PARDON ?"
Il avait osé ?
Ce misérable rat mielleux avait osé tomber aussi bas ?
Il l'imaginait fourbe et calculateur, certes, mais pas à blesser des fidèles.
Son poing claqua sur le bois du bureau et fit tomber le chandelier posé dessus sous la violence du coup.
"ZARKOS !!! Je vais l'envoyer à Zarkos !"
Il se calma peu à peu en constatant le trouble de Bérénice, même si la colère restait encore présente.
"Non... Cet homme a gravement fauté a ainsi raconté les pires horreurs à une jeune fille qui cherchait du réconfort. Je n'ose imaginer tout ce qu'il a pu dire à d'autres depuis des années. Zarkos... Je vais l'envoyer à un pèlerinage à Zarkos en lui recommander de longuement prier Diu pour espérer un billet de retour pour Braktenn !"
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
L’évêque n’avait pas de réponse à lui fournir. Au moins n’essayait-il pas d’enrober tout cela dans un beau vernis religieux dans le simple but de lui plaire. Elle devait avouer qu’elle lui en était reconnaissante de cette honnêteté. Elle acquiesça à ses paroles sans pour autant comprendre comment l’on pouvait encore se trouvait dans cette situation. Elle blâma de nouveau intérieurement ces hommes en robe qui ne satisfaisait que leurs propres intérêts.
— Pourquoi s’obstine-t-on à le citer en exemple lors des liturgies en ce cas, Monseigneur ? demanda-t-elle malgré tout en ayant la réponse. Elle voulait simplement l’entendre formuler à voix haute.
Il fallait croire que tous les ramener à la corruption des âmes puisqu’elle se retrouva à partager avec lui son ultime entretien avec le vicaire de Fromart. Le teint de l’évêque concurrença soudainement les cierges avant de s’accorder avec sa robe tandis qu’il s’emportait et menaçait l’odieux de l’envoyer en pèlerinage à Fromart. Bérénice se demanda s’il valait mieux finir assassiné par son propre père ou cloué à la porte de la chapelle par des Zakrotiens. Elle esquissa un petit sourire.
— Ah oui, il a aussi ajouté que la colère était un péché tout aussi capital que la luxure lorsque je me suis laissée aller à lui répondre, mon Père, avoua-t-elle avec un petit air taquin tandis qu’elle ramasser le chandelier.
Elle ne lui en voulait pas et si elle était étonnée de sa réaction, il lui en aurait fallu bien plus pour l’effrayer. On était loin des accès de fureur que pouvait connaitre son père. Et puis tout cela était désormais derrière elle, c’était donc avec bien plus de philosophie qu’elle lui rapportait les faits. Elle approuva néanmoins ces dires.
— Suite à cela, j’ai tout raconté à mon père, mais par un divin hasard sans doute, feu le marquis d’Aussevielle était présent ce jour et s’est retrouvé sur le chemin de mon père, juste à temps pour l’empêcher de commettre l’irréparable. Tous ces faits sont bien vieux, mon Père pour rendre justice désormais. Je me suis bien gardée de le fréquenter depuis. Peut-être a-t-il évolué ? Bien que j’en doute, il ne me fait l’impression que d’un paresseux scélérat. Si vous le désirez néanmoins, je pourrais certainement vous aider à vérifier cela.
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Ils en étaient désormais à s'interroger sur pourquoi la Genèse et la tentation du serpent était à ce point utilisé. Zacharie l'ignorait. Il haussa les épaules.
"Ce sont le Pape et les cardinaux qui instituent les liturgies. Sans doute, ces idéaux leur parlent plus. Je ne possède pas encore assez d'influence pour comprendre. Pour ma petite peine, je me consacre à veiller sur la cathédrale et dire des messes qui apportent des bienfaits à l'âme."
Elle lui confia soudain les terribles paroles du vicaire de Fromart et Zacharie crut s'étouffer. Comment cet homme s'était cru autorisé à troubler une jeune fille déjà confuse ? Il grogna des paroles suivantes aussi décousues.
"La colère est bien naturelle lorsqu'on entend des mots aussi graves, prononcées sans grande réflexion. la colère permet à certains moment, à bon escient, de mieux se développer."
Il se calma peu à peu pour l'écouter exposer les fais e que la jeun fille qu'elle était avec été out raconter tout à son père. Zacharie blêmit.
"Par quel miracle cet homme est-il encore vivant ?"
Zacharie l'intervention providentielle du précédent marquis et se signa.
"En voilà un d'homme qui peut remercier Dieu de l'avoir protégé. Je me demande s'Il l'aidera toujours à Zarkos..."
Bérénice émit un doute que l'homme ait pu changer, mais Zacharie en doutait lui aussi. leur maigre conversation de la veille avait été trop sèche et mielleuse.
"De ce que j'ai pu entendre de lui hier, je doute moi aussi du moindre changement. Il me faisait un beau visage, mais doit mal se comporter avec les gens plus humbles. Alors, vous auriez quelques idées pour le démasquer ? Dites-moi en plus."
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Bérénice n’insista pas au sujet des liturgies. C’était inutile. Il était toutefois regrettable que leur Église ne compte pas plus d’homme l’évêque de Braktenn. Comme il l’interrogeait sur le vicaire de Fromart, elle lui fit part du récit de son entretien. Elle ne s’était pas attendue à ce qu’il s’emporte de la sorte. Qu’il désapprouve, certes, qu’il se mette en colère certainement pas. Il paraissait être un homme affable et peu enclin à ce genre de coup de sang. Elle n'avait pu s’empêcher de le taquiner gentiment à ce sujet et elle préférait de loin sa réponse à celle d’un certain autre membre de clergé qu’il était inutile de citer.
Elle était décidément d’humeur fort joueuse aujourd’hui et à sa remarque sur la bonne santé du vicaire, elle ne put s’empêcher d’en rajouter un peu :
— Je n’ai pas précisé qu’il était entier, mon Père. Avez-vous soulevé sa soutane ?
Elle s’excusa en suivant de son esprit et lui raconta la version réelle de ce qu’il était advenu.
— Je préfèrerais qu’Il aide ma famille, maugréa-t-elle avant de mettre un peu d’eau dans son vin en suggérant que l’homme est pu changer.
Tout le monde pouvait évoluer n’est-ce pas ? L’évêque semblait dubitatif pour sa part et lui confia ses propres doutes. Elle acquiesça. Humble… Tout était relatif. Elle ne s’était jamais considérée comme faisant partie des humbles. Ce n’était pas parce qu’il détenait prétendument la parole de Dieu qu’elle le plaçait au-dessus d’elle.
— Ce n’est pas très chrétien, je le crains, mais je pourrais requérir un entretien avec lui afin de le sonder et certaines oreilles pourraient se trouver… dans les environs disons…
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
Après la discussion difficile sur les sens de la liturgie et pour lesquelles les recommandations officielles se révélaient sommes toutes trop sévères pour les ouailles qui ne rêvaient qu'à l'amour inconditionnel divin. Leur conversation passa à l'évocation du vicaire fourbe de Fromart et aux paroles odieuses qui sortaient de sa bouche. Après sa colère, la réparyie joueuse de Bérénice le fit devenir tomate.
"Je... Non. Je ne fais pas étudier les choses à, euh, un tel niveau."
Il se signa pour faire passer un peu de son malaise. C'était effectivement bien la fille de son père. Nul doute possible. Il en possédait plus au sujet de l'évolution du vicaire et écouta avec attention le plan que la jeune femme lui soumettait. L'idée de piéger un homme le gênait, surtout en se servant du cadre sacré des confession, mais il importait aussi du devenir de potentielles victimes. Comment déterminer si ce Rodrigue ne continuait-il pas à répandre sa mauvaise influence ? Zacharie hésita longuement et hocha de la tête.
"Je n'aime guère ces méthodes, mais il s'avère important de savoir si ce prêtre continue de telles choses. je... Je vous suivrai donc."
Re: [11 février 1598] - Il était une foi
L’évêque vira aussi carmin que la robe d’un cardinal. Bérénice lui adressa un petit sourire candide de petite fille innocente de sa bêtise. Elle n’insista pas plus. Les meilleures plaisanteries étaient les plus courtes. Elle préféra reprendre le cours de leur discussion et lui faire une proposition peu morale afin de piéger le vicaire et de le prendre la main dans le sac.
Il demeura songeur un long moment puis acquiesça finalement.
—Je comprends parfaitement votre position, mon Père. Si le vicaire ne fait rien de répréhensible, il n’aura pas à s’en faire par la Sainte Grâce de Notre Seigneur.
Jugeant l’entretien terminé, Bérénice se leva :
— Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé, Monseigneur et vos paroles rassurantes. Je ne voudrais néanmoins pas abuser en m’éternisant. J’aurais néanmoins une dernière, si cela est possible : pourriez-vous prier pour mon frère Sarkeris ? Il est parti pour les Amériques à la fin du mois dernier et je n’aurais pas de nouvelles avant fort longtemps…
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