[12 septembre] A la Rose Azùl [Terminé]

Bastien se décida à intervenir en apercevant cet homme étrange rôder à la fenêtre de la boutique. A sa tenue pourpre, il serait un cardinal. Serait était le bon terme. Il était bien placé pour savoir qu'un déguisement bien porté et préparé dissimulait parfaitement une personne. Et quoi de plus idéal qu'une robe de prélat ? Il ne savait pas les intentions de cet homme et préféra prendre les devants. Agir le premier.

L'intendant du lupanar sous couverture passa devant le cardinal et le salua brièvement, histoire de ne pas l'effaroucher sil était bien religieux, et pénétra dans la boutique. Beaucoup de monde ce matin-là. Son regard se posa en premier sur la délicieuse petite. Elle, il s'occupera plus tard, quand l’affaire de Blanche serait résolue. elle jouait avec les deux esclaves. Son attention fixa le second, celui qu'on nommait béquilleux. C'était lui le neveu de Blanche ? Galaad ? Il semblait si ordinaire. Près d'eux se tenait une femme, la commerçante, avec son bébé dans les bras. Bastien se découvrit, prenant garde à sa perruque blonde, et salua.

"Bonjour, madame. Je suis venu hier visite votre échoppe et pris quelques échantillons pou ces dames. A mon retour, si vous saviez ! Elles étaient de vraies folles ! Elles m'ont supplié pour je revienne chez vous ! Elles m'ont fait une de ces listes ! Je pense, madame, que vous serez très contente, vous aussi."

A ces quelques caresses, Alexandre sentait son désir monter. Si rapide. Si fort. il se redressa et s'écarta de son amant. il devait résister à ces tentations, ne pas aller si loin. Pas de jour, en tous les cas. Cette nuit, dans le secret de leur couche, par contre... Il s'apprêta à retourner à son dessin lorsque la porte s'ouvrit. Il sursauta en apercevant le singulier homme blond se présenter. Une impression étrange parcourait son échine. Son intuition lui soufflait la méfiance. Pourquoi ? Ce n'était qu'un client.

Nerveux, le jeune homme détourna le regard et croisa par la fenêtre un autre. Son maitre ! Alexandre baissa la tête et réfléchit à la meilleure politique à agir. Il songea que politesse et générosité seraient, comme toujours, sa meilleure réponse. Il désarmait le Seigneur de Frenn. pourquoi pas le cardinal ? Confiant, le garçon se releva puis attrapa ses béquilles. Il traversa la pièce, passa devant le client et sortit.

"Maître ?"

La voix d'Alexandre était à la fois timide et pourtant chaleureuse. il adressa un sourire sincère à son maitre. Il n'oubliait pas ces blessures que Tristan lui devait. Il n’avait encore rien raconté mais il le devinait. Il se souvenait cependant que Irène avait parlé de son éducation. Il avait élevé à croire les esclaves et les infirmes inférieurs. il se croyait dans son bon droit. Alexandre continua ainsi à lui adresser un discret sourire doux.

"Je peux faire quelque chose pour vous ? Vous... Vous ne voulez pas déranger votre sœur ? Si c'est pour le baptême de votre neveu, c'est un peu compliqué, mais je peux vous expliquer."

Le jeu initié par Grâce l'absorba complètement. Tristan roulait après elle, faisait semblant de s'essouffler et de ralentir pour la laisser fuser victorieuse à travers la maison. Puis d'un coup, il bondissait et accélérait tel un félin, glissait et la rattrapait. Il tournoyait autour de la petite en riant, ne manquant pas de l'attraper en ronronnant d'un air faussement inquiétant prompt à l'amuser, avant de la relâcher et de reprendre son manège. Les murs de la boutique résonnèrent de leurs plaisanteries.
Il n'en vit même pas arriver le cardinal à la fenêtre et jouait encore à papillonner dans la suite de l'enfant. Ce ne fut qu'avec l'entrée d'un client -- cet homme blond aperçu plus tôt -- que l'esclave cessera ses jeux et reprendra une position effacée, mains croisées sur ses jambes, dans un coin de la pièce. Alors, il nota du même coup la sortie d'Alexandre. Suivant son amant des yeux, il découvrit avec horreur leur maître resté dehors. Tristan blanchit à cette seule vision qui lui rappelais tout ce qu'il avait enduré la veille. Mais pourquoi Alexandre allait-il lui parler ? Et s'il l'emmenait pour le maltraiter de la même façon ?
L'esclave ne quittera pas la scène des yeux, grattant nerveusement ses roues du bout des ongles et marmonnant une prière. Il ne manquera pas de s'incliner humblement si le cardinal venait à le repérer à travers la fenêtre. Il adressa aussi de petits coups d'yeux vers Grâce, désolé d'avoir interrompu le jeu, puis vers ce client blond qui ne lui disait rien qui vaille.
La politesse le poussa cependant à saluer ce dernier d'un modeste :

-- Bonjour Monsieur. Bienvenue.

L'attitude condescendante du cardinal agaça Alexandre amis il n'en laissa rien paraitre. Au contraire, sans se départir de son sourire, il répondit avec une amabilité joviale :

"Je venais vous saluer, maître, pardi ! Et puis, je devinais que vous deviez être intrigué de ne pas nous voir à l'église. Alors les choses sont un peu... compliquées. Hier, la journée a été horrible ! D'abord, votre sœur a fait un malaise. Rien de grave, rassurez-vous. il faut juste qu'elle se ménage. Une guérisseuse est passée la voir. Mais peu après, Grace a découvert au pas de cette porte une femme qui s'était évanouie. Apparemment, elle n'avait rien mangé. Grace l'a prise en affection. Mais en réalité...."

La voix d'Alexandre se troubla et devint plus sévère, comme son visage. Dans son esprit repassait une fois encore ce terrible incendie.

"Avez-vous eu vent de l'incendie du presbytère du père Thierry ? Cette femme... J'ai malgré moi frayé avec elle, sans connaitre ses intentions, et je lui ait indiqué le lieu, et une heure plus tard il brûlait. Elle est très néfaste. le père Thierry me l'a confirmé. J'étais terrifié hier de savoir une telle personne dans cette maison, que Grace soit aussi amicale avec elle, qu'elle pourrait.. J'ai.. J'ai considéré que mon devoir était de la dénoncer rapidement avant qu'elle ne soit rétablie. mais pour cela..."

A cet instant, Alexandre s'obligea à baisser la tête et à prendre un ton de pénitent, affligé :

"Je.. J'ai menti, maître. je vous en demande le pardon. mais je ne savais comment sortir et avertir le père Thierry de cette aventure. alors... Alors j'ai menti à votre sœur et votre nièce en prétendant que j'allais chercher une accoucheuse pour vérifier si le bébé allait bien afin de pouvoir aller chercher le père Thierry. j'ai essayé d'expliquer à votre sœur au début mais elle a refusé de croire. Elle pensait qu'à soigner cette femme. Je devais pourtant les protéger du danger. alors voilà. Vous.. vous m'absoudrai de ce pêché, maître ? Il ne cesse de me travailler depuis hier.

le jeune homme réprima un sourire derrière cette petite comédie du bon chrétien repentant. A coup sûr, son maître aimerait. il poursuivit d'une voix un peu plus sûr :

"En apprenant la chose, le père Thierry a immédiatement décidé d’alerter la prévôté. Elle m'a demandé de l'attendre, qu'il me ramènerait personnellement ici. J'ai attendu. longtemps. Jusqu'en début de soirée. Il n'est jamais revenu et j'ai fini par me décider à aller à la prévôté réclamer des informations. Au départ, on a refusé de me répondre, on me chassait. Alors... Alors j'ai invoqué votre nom, maître, j'ai prétendu que vous réclamiez d'en savoir plus sur cette arrestation qui s'est déroulée chez votre soeur. Ils ont accepté cette fois de répondre. La femme a été arrêté, oui, mais le père Thierry... Le père Thierry l'a été aussi. On ne sait pas trop pourquoi. Apparemment, la femme a lancé des accusations contre lui. Des mensonges, je suppose, pour espérer se dédouaner. En tous les cas, voilà, nous ne savons plus quoi faire. Nous n'avons plus de prêtre pour le baptême du petit Ludovic."

Alexandre releva les yeux vers son maître, anxieux, espèrant que son discours avait été bien travaillé et saurait lui plaire.

Bastien sourit poliment à la commerçante qui lui faisait déjà l'article.

"Vraiment ? Quelle excellente nouvelle ! Je vais donc faire le tour !"

Il s'éloigna et entreprit de simuler un grand intérêt pour les objets exposées à la vente. Il en saisissait plusieurs, les comparait, remettait à sa place.... Bastien donnait ainsi l'impression d'un homme en train de bien réfléchir. Finalement, il arriva au comptoir avec une dizaine de robes, une cinquantaine de foulards, tout un nécessaire de produits de beauté et quelques perruques aussi.

"J'ai été un peu long, excusez-moi. Il semble que vous ait dévalisé, dis-donc !"

Il laissa échapper un petit rire gêné, parfaitement calculé puis estima que la seconde partie du plan pouvait commencer. Bastien prit un air contrarié e évaluant tous les articles.

"Mon dieu ! Tout ce qu'elles ont demandé... Je ne pensais que ça ferait tant. Mon dieu ! Comment pourrais-je porter tout ça ? moi, qui ait des problèmes de dos ! Ah ça, ces dames, elles l'oublient toujours ! Je ne compte vraiment pas, sauf pour leurs caprices !"

Bastien garda son visage nerveux, se mordant un instant la lèvre inférieure. Il évita de fixer le petit infirme. Si la commerçante ne le proposait pas, il inventerait une excuse pour lui suggérer ce moyen de livraison.

Tristan restait silencieux, le regard baissé, dans le coin de la boutique. Donner l'illusion du bon esclave prêt à servir au moindre ordre au sein du magasin. Ne pas éveiller de nouveau les soupçons ni les foudres du Cardinal. Le ventre du garçon se nouait : la conversation entre le maître et Alexandre semblait durer. Puisse le religieux admettre ce qu'il lui disait et ne pas se décharger cette fois-ci sur son amant.
Pendant ce temps, le client étrange menait ses affaires. Tristan serrait les dents, toujours en prises avec un fort mauvais pressentiment que lui inspirait ce personnage. Mais pourrait-il seulement le dire ? S'il s'insurgeait une nouvelle fois, le malheureux esclave recevrait encore les reproches de son maître ici présent. En l'absence du Crdinal cependant, il n'eut pas hésité un seul instant à faire part de ses doutes.

Alexandre demeura calme en dépit de la provocation et répondit doucement, sans se départir :

"J'étais sous le choc du procès, de la condamnation, de la vente, maitre. C'était... très éprouvant. Mais j'ai été bien éduqué et je sais le respect et la politesse que je dois à ceux qui me sont supérieur. Je suis bon chrétien, vous savez. Depuis ma naissance, du fait de mon infirmité, ma mère m'a apprise à prier longuement le Seigneur afin d'avoir pitié de moi qui ait hérité de son péché."

Le jeune homme retint un soupir en songeant à toutes ces idées hérités effectivement de son enfance et auxquelles sa mère croyait réellement. Quelles idées ridicules. l'infirmité venait d'une maladie qu'un parent portait, ou les deux, il était à peu près certain de cette théorie à laquelle ses lectures l'avaient amené. Mais comment les exposer à un homme intolérant ? Impossible. Il fallait mieux plaire à son maître par où il était sensible.

"Oh si, maître, je le sais. Comme je viens de vous le dire, cette sorcière, je la connais. elle.. Elle m'a approché et a causé ma déchéance. J'ai fait confiance, j'étais naïf, sans véritable connaissance du monde... C'est pourquoi j'ai agi en conséquence. Je connais à quel point elle est dangereuse et il y avait Grace. Grace avait pour elle un regard si admiratif, semblable à celui que je devais avoir quand je ne connaissais pas cette femme... J'ai agi avant tout pour elle, pour la protéger de la tentation."

Une idée vint à l'esprit d'Alexandre. Et s'il utilisait le cardinal pour aider son père ? Peut-être.... D'une petite voix, il reprit :

"Peut-être, maître, que vous pourriez intervenir auprès de la prévôté en ce qui concerne le père Thierry ? Il n'a rien fait de mal, seulement donner l'alerte qui a permis l'arrestation de la sorcière. Toutes les accusations qu'elle a pu sortir, ça ne peut être que des mensonges. Elle essaie de le décrédibiliser pour affaiblir son témoignage de prêtre. vous ne le pensez pas ?"

Bastien observa tranquillement la commerçante comptabiliser ses articles, avec nonchalance, puis ouvrit son aumônière pour sortir la somme réclamée. La suite allait devenir la plus difficile. Il devait repartir avec le petit esclave absolument. Il prit un air contrariée à la réponse de la dame.

"Non, malheureusement, ces dames ne me laissent ni panier ni chariot. Elles ont une vie... si détachée des réalités. Et si j'ai le malheur de me plaindre.. bah, à quoi bon ? Elle n'écoutent pas ! Ah ! Comment pourrais-je ? Si je ne ramènes pas leurs affaires, elles seront furieuses. elles pourraient me renvoyer ! Et am famille.. Ma pauvre famille qui dépend de mon travail !"

Simulant l'affliction, Bastien portait la main à son front, paraissant des plus inquiets. il se retourna, donnant l'impression de chercher une quelconque idée.

"Un chariot.. Si je pouvais avoir un chariot.. Mais.. Attendez ! Ce garçon-là ! Ca ne pourrait pas être un commis ? il pourrait porter mes courses, ne pensez-vous pas ? Attendez..."

Sa main plongea à nouveau dans son aumônière et il posa quelques pièces sur le comptoir.

"Que diriez-vous de cinquante rilcchs pour cette course ?"

Tristan restait à écouter, nerveux, sans pouvoir rien dire. Il n'entendait pas non plus ce qui arrivait dehors entre Alexandre et son maître. Restait ce client étrange qui maintenant demandait à disposer de lui pour porter ses achats. L'esclave tenta de rester calme : après tout, il ne voulait peut-être que de l'aide pour sa transaction et tout se passerait bien ensuite. Tristan voulut fermer les yeux sur les ombres informes qui dansaient devant ses yeux et ravaler l'âcre impression serrant sa gorge.

Bastien espérait réussir à apitoyer cette femme avec des problèmes familiaux, des patronnes exigeantes... Il sursauta en entendant une voix sévère l'apostropher. Il se retourna et aperçut, ennuyé, le cardinal qu'il avait croisé à l'entrée de la boutique. Malgré la surprise, son visage ne montra pas de réaction. Son agacement était pourtant fort. Ainsi c'était lui le maître des garçons ? Quelle plaie ! Comment ruser ? il tentait de jouer un dernier atout et s'approcha du religieux.

"Veuillez me pardonner, monseigneur, mais je travaille pour une excellente maison. Je suis le domestique des filles du marquis de la Pérousière et elles m'ont mandé toutes ces achats. Je dois revenir au plus vite et sans chariot, ce sera si dur. Votre esclave me serait donc des plus utiles."

Bastien espéra que le nom mentionné susciterait quelque chose au cardinal. Le marquis de al Pérousière était un noble influent à la cour, qui avait l'oreille du Roi... Si l'homme d'église était ambitieux, comme bon nombre de cardinaux et d’évêques, cela pourrait le satisfaire de nouer une possible bonnes relations avec un tel personnage.

"Votre esclave vous sera rendu très vite. Dès que je serai de retour chez le marquis, je vous le renverrai. Vous avez ma parole."

Alexandre continua à sourire d'un air modeste puis répondit :

"Je veux continuer à m'améliorer et pouvoir prétendre être bon chrétien, maître. Vous.. vous m'y aiderez, n'est-ce pas ?"

Il baissa la tête suite à sa réponse à son idée. Il s'y attendait mais en était malgré tout déçu. Les services, les amitiés, la loyauté.. Toutes ces choses ne fonctionnaient pas. Seules comptaient les manigances et le pouvoir, comme ce marché conclu hier soir avec la tavernière de l'Ours Noir pour créer un témoignage qui laverait son père de l'accusation de la Sorcière. Ce serait un mensonge. Et alors ? Tout le monde manipulait tout le monde pour ses propres envies. il ne ferait plus exception s'il devait en avoir besoin. La bonne conscience, ce n'était que des mots. Une illusion. On ne protégeait rien avec.

"Oh.. je comprends, oui, maitre, je vous prie de bien vouloir excuser mon ignorance."

Alexandre rentra dans la boutique à la suite de son maitre et resta figé quelques instants en découvrant ce client qui réclamant que Tristan l'accompagne pour porter ses courses. Ce client qui était l'homme blond le fixait tout à l'heure. Son intuition se réveilla. Ce ne pouvait pas être une coïncidence. Cela n'existait plus dans son monde actuel. Il écouta, soulagé, la répons du cardinal puis tira discrètement la manche de ce dernier.

"Maitre..."

Rapidement, il poursuivit dans un murmure quand l'homme d'église tourna la tête vers lui :

"Cet homme.. Je l'ai vu tout à l'heure en rentrant. Il.. Il m'a fixé tout le long du chemin jusqu'à ce que j'entre à la boutique. il ne m'a inspiré aucune confiance et sa présence ici ensuite ne me parait pas naturelle. Méfiez-vous."

A l'entrée du Cardinal dans la maison, Tristan fut d'abord parcouru de tremblements. Il tint bon cependant et ne baissa pas les yeux, gardant sa neutralité comme bouclier. La décision du religieux étonna l'esclave : cette fois-ci, il lui sauvait la mise ! Ce client ne lui disait en effet rien qui vaille et il se serait jeté aux pieds de Matthieu pour le remercier de son intervention. Tristan se contentera d'un sourire fragile et d'un humble "merci, maître" à son attention.
Ses yeux reconnaissants se posèrent aussi sur Irène et Alexandre qui, eux non plus, ne le céderaient pas à l'intrus. La respiration du garçon s'apaisa.

Bastien se sentir malgré lui devant la colère du religieux. Face au sermon sévère, il se sentit redevenir l'enfant terrorisé par le prêtre de sa paroisse quand il le surprenait avec des camarades en pleine bêtise. Il n'osa plus insister. L'autorité de l’ecclésiastique était trop importante et trop dangereuse. Il fallait battre en retraite.

"Je comprends, monseigneur. Veuillez me pardonner. Je ne fais que remplir les devoirs qu'on me donne, qu'on exige de moi. Oui, le marquis est très permissif avec ses filles. Il est souvent absent et aime alors les gâter. Je ne sais pas si j'oserai lui dire tout cela. Lui ou ses filles me renverraient. Mais.. Mais pourquoi n'allez-vous lui rendre visite ? Ce serait du meilleur effet !"

Il jeta un oeil ers les articles que le cardinal jugeait si sévèrement.

"De mon côté, je n'achèterai rien de tout ceci. J'attendrai votre visite, si vous parvenez à raisonner mon bon maître sur les folies de ses filles et je repasserai faire ces achats, avec un chariot cette fois, si cela n'est pas le cas. Cela devrait arranger tout le monde, non ?"

Tout en parlant, Bastien fixa le garçon debout près du cardinal, ses mains serrées autour des béquilles. Il le croyait naïf mais il l'avait souffler quelque chose à son maitre. Aurait-il plus d'intuition que Blanche ne le croyait ? Cela renforçait sa décision d'enlever d'abord le petit infirme. La loyauté du béquilleux serait sa faiblesse, peu importaient son intelligence et sa sagacité.

"Sur ce, je regrette de vous avoir dérangé pour bien peu. Au revoir, messieurs, dames."

Là-dessus Bastien replaça son chapeau puis sortit en salutant une dernière fois l'assemblée.

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'Audace' :

Le petit groupe était enfin parvenu devant la boutique. Désireux de quitter la vue pénible de ces maudits soldats. Son cœur connait un mouvement irrépressible en apercevant Irène. Elle était là. Sain et sauve. En bonne santé.

"Irène... je suis ravi de vous savoir en sûreté. J'ai tant craint pour vous quand j'ai su que la responsable de l'incendie avait trouvé refuge chez vous."

Il remarqua alors être passé devant le cardinal et son fils. il rougit devant ce manque de politesse et s'excusa vite.

"Pardon, monseigneur, je ne vous avais pas prêté attention. Je ne songe depuis hier soir qu'à ce qui s'est passé ici, avec cette femme si dangereuse... J'ai tant craint pour votre sœur et sa fille."

Il s'autorisa à poser le regard vers Alex et passa ses bras autour de ses épaules.

"Pardon de t'avoir laissé, mon garçon. J'ai été.... retardé."

Alexandre se trouva ravi de voir que son maitre écoutait ses recommandations. S'il persistait ainsi, il pourrait-être réussir à se composer une vie pas trop désagréable. Dès lors que Bastien se retira, il se retourna vers le cardinal.

"En parlant de bonnes mœurs et autres, maître, j'ai beaucoup lu sur la théologie et j'ai pris pour référence de pensée les écrits de Saints-Augustin. Son regard a pour moi quelque chose... d’apaisant. mais est-ce une si bonne chose ? Me conseillerez-vous une meilleure lecture ?"

Le jeune homme l'observait d'un petit regard timide, espérant continuer à entretenir de bonnes relations. Il eut ensuite un sursaut en apercevant son père entrer. Alexandre réussit toutefois à se contrôler. Ne pas montrer son trouble ou son attachement. Même quand le père Thierry lui donna cette étreinte, il s'obligea à demeurer calme en dépit de son agitation intérieure.

"Je suis heureux de vous revoir moi de même, père Thierry. Ainsi, les choses se sont-elles toutes arrangées ?"

La situation frustrait Alexandre mais il n'avait pas le choix. Avec Matthieu présent, il devait feindre la comédie du bon esclave conscient de sa place.

Spoiler:

L’argumentaire du cardinal pour une fois servait Tristan : le curieux client allait repartir bredouille vers ses prétendues patronnes. D'ailleurs, il semblait plus que suspect de voir l'homme refuser finalement de procéder à tous ses achats, comme par hasard après avoir appris qu'il ne pourrait emmener l'esclave. La conviction de Tristan était faite sur la dangerosité de l'individu et il le regarda sortir non sans satisfaction.
Il croisa, sur le seuil de la porte, le père Thierry encadré de soldats. Tristan ne retint pas un sourire de soulagement, surtout par attendrissement devant les retrouvailles entre Alexandre et son père. Il devina la joie immense de son amant, toute dissimulée en présence des gardes et du cardinal cependant. Tristan comprit à la vue des soldats que le prêtre avait dû être libéré temporairement et sous caution, le temps du baptême. Au moins, ce ne serait pas cet épouvantable Matthieu qui assurerait la cérémonie -- pauvre Ludovic ! Tristan dit avec sobriété :

-- Bienv'nue, père Thierry.

Lui aussi devait rester neutre tant que son maître était là. Du reste, il n'oubliait ni le motif qui valait une incarcération au père d'Anjou, ni la manière dont, lors de leur dernière rencontre, il avait été prêt à livrer Tristan à n’importe quels tourments pour sauver les fesses d'Alexandre.
Ce dernier justement jouait la carte du bon chrétien et de l'esclave soumis pour éviter des ennuis avec Matthieu. Après tout, en attendant mieux, cette stratégie serait peut-être la bonne.
Tristan sourit au passage à Grâce, qui avait trouvé refuge près de lui mais semblait déjà moins effrayée à présent. Il voulut garder une expression pleine d'optimisme pour la fillette.

Thierry ne prêta que peu attention au départ de Joseph. Sans doute avait-il encore des choses à organiser pour le baptême ! Il préféra s'intéresser à Irène et lui adresser un sourire poli dans lequel transparaissait encore un peu de son inquiétude.

"Ce n'est pas totalement réglé. Mais cela ira. Le baptême est bien toujours d'actualité, n'est-ce pas ? Dans ce cas, nous pourrions nous rendre à l'église. Ce pauvre Ludovic a suffisamment attendu."

Juan s'approcha ensuite pour présenter ses hommages à Irène et le prêtre s'écarta pour les laisser. Il remarqua alors le regard qui jugeait sévèrement son geste d'affection envers à Alexandre. S'il savait la vérité... Thierry se tourna vers le cardinal et dit poliment :

"Je comprends que mon geste puisse vous choquer mais c'est ainsi que je veux être avec mes fidèles. Je n'arrive pas à croire que ceux-ci puissent être touchés par un curé qui se montre distant et hautain avec eux. Je crois même que c'est là un danger de les orienter vers des gens de la Réforme. Ces idées sont dangereuses mais pourtant si tentantes. J'ai eu l'expérience de constater qu'en maintenant un lien particulier avec mes ouailles, je parvenais à les garder sur le bon chemin. Que voulez-vous, monseigneur ? Ces gens de la plèbe sont... Ils sont incultes et primaires. Il faut savoir d'abaisser à leur niveau, malheureusement, si on ne veut pas les voir s'éloigner."

Le prêtre éprouvait intérieurement un profond malaise de disserter ainsi sur sa pratique et jugea ses propos si ironiques et hypocrites. Il avait été le premier à plonger, fasciné, dans les idées révolutionnaires que proposaient les Réformés. Si les conséquences ne seraient pas mortelles, il aurait même fui depuis longtemps son ministère pour rejoindre leurs rangs. Lrs choses étaient figées. il était trop lâche pour affirmer sa réelle foi.