[7 janvier 1598 - soirée] - Un nouveau souffle aux effluves de rose pour le lupanar [RP Sensible][Terminé]

Avertissement - Interdit aux yeux chastes:

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces derniers jours étaient particulièrement riches. Non pas qu’il ait rarement le temps de s’ennuyer -chose qu’il abhorrait et fuyait comme la peste de peur de finir noyer sous ses pensées-. Il y a deux jours, il avait visité l’hôpital général en compagnie du baron. Une visite fructueuse, comme il l’avait si bien souligné, et à plus d’un titre. Aujourd’hui, c’était Thierry qu’il avait reçu inopinément à Fromart. Son cher cousin soudainement fourbu de culpabilité et surtout de peur s’était présenté avec une information des plus dangereuses : rien de moins qu’une potentielle trahison. Le sérieux de la discussion avait cependant bien vite laissé place au rire… Demain en revanche, la journée serait nettement plus grave avec ce retour quasi redouté à l’hôpital général. Il ne pouvait s’empêcher d’avoir un mauvais pressentiment à ce sujet. L’un de ceux qui vous hérissaient constamment les poils sur l’échine, comme une sourde alerte. Coldris avait beau canaliser ses pensées sur la soirée qui l’attendait ensuite au théâtre, le jardin des supplices revenait constamment hanter son esprit tel un spectre planant furtivement comme un oiseau de mauvais augure.

C’était pour chasser l’effroyable redondance de ces images qu’il avait décidé de se rendre au lupanar. Comme à son habitude, il passa par la porte dérobée située dans l’arrière-cour de l’établissement. L’entrée des artistes. Celle qui lui permettait d’éviter de traverser les salons. Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant un nouveau visage près du bureau ! Isabelle avait donc trouvé une remplaçante à Louise. Il afficha un sourire charmeur de circonstance :

- Bonsoir Mademoiselle. salua-t-il d’une discrète inclinaison de la tête.

Il chercha du regard la patronne de l’établissement avant d’ajouter:

- Je ne crois pas que nous ayons eu le plaisir d’être présentés.

Depuis combien de temps avait-elle pris ses fonctions ? Il l’ignorait, mais certainement guère plus qu’une maigre poignée de jours. Il était venu pas plus tard que lundi et ne l’avait pas vu ce jour-là. Déjà sa curiosité commençait à le dévorer. Il avait grande hâte de faire sa connaissance et c’était bien ce que sous-entendait le terme de présentation. Lui, resterait « Monsieur».

La soirée commençait en douceur, et cela arrangeait parfaitement les affaires de Rose-Abelle. Ainsi elle pouvait assimiler correctement ses tâches avant d’être noyée sous le flot de clientèle en plein rush. Elle avait invité des clients à rejoindre les filles au centre de la salle et noté consciencieusement sur son carnet les informations souhaitées par Isabelle de sa belle écriture curviligne. À ses côtés, les deux novices patientaient en bavardant discrètement. Rose-Abelle en profita pour balayer du regard le salon. Elle devait ce l’admettre les tenues de ces demoiselles étaient pour le moins affriolantes en plus d’être de très bonne manufacture.

Elle fut sortie de ses pensées lorsqu’un homme pénétra dans la pièce par la seconde entrée. L’accès réservé et emprunté par les clients particuliers, et ils se comptaient sur les doigts de la main. Ce monsieur était donc une personne importante ou bien un gros client, voire même les deux. Rose-Abelle tenta de localiser Isabelle, mais ne la trouva point. Elle ne voulait surtout pas commettre d’impair avec un client aussi important, mais manquer à la politesse n’était pas envisageable pour autant.
Elle se leva donc et se permit d’observer discrètement le nouveau venu. Somme toute, l’homme dégageait une assurance et un charisme non négligeable. Ce sont surtout ses pupilles bleu hypnotisant qui accrochèrent Rose-Abelle. Le sourire qui s’élargit sur son visage la fit frissonner. C’était à n’en pas douter avec cet artifice qu’il devait prendre les femmes dans son filet. Il n’y avait aucun doute, cet homme aimait les femmes et savait comment les attirer dans son lit.

— Bonsoir Monsieur. Bienvenue au Lupanar, lui répondit-elle à sa salutation en une révérence qui se voulut la plus humble et gracile possible.


Il n’y avait plus de doute sur l’identité du monsieur qui se tenait face à elle, c’était celui qui n'appréciait presque exclusivement les demoiselles des autres contrées. Rose-Abelle avait déjà amorcé le geste pour le conduire au centre du salon, là où il ne manquerait pas de trouver son bonheur, mais à sa grande surprise il lui adressa la parole.

— En effet Monsieur, je n’ai pris mon poste que très récemment. Rose-Abelle pour vous servir. N’hésitez pas à faire appel à moi au besoin, je répondrais au mieux à tous vos désirs.

Rose-Abelle s’inclina de nouveau et, cette fois-ci, fit quelques pas vers le salon pour inviter son client à s’approcher des demoiselles. Les clients ne devaient pas rester plus que nécessaire au bureau et il était exclu que ce Monsieur s’intéresse aux novices.

— Si vous voulez vous donner la peine, près du second canapé je suis certaine que vous trouverez ce que vous désirez. Un mets des plus exotiques comme il vous sied.

De cette manière Rose-Abelle ne passait pas pour une ignorante. Elle montrait qu’elle savait qui était son client et que bien qu’elle soit nouvelle dans l’établissement, elle était bien au fait des habitudes de chacun. Cela rassurerait la clientèle qui pouvait se montrer frileuse à toute nouvelle venue.

Une nouvelle soirée commençait et quelques clients remplissaient déjà les lieux. Presque toutes les filles étaient attablées avec un homme, à convenir des prestations et tarifs. Deux étaient montées rejoindre les chambres. Voilà u démarrage qui augurait bon pour la trésorerie ! Seule Isabelle restait pour le moment sur la touche, amis elle ne doutait bientôt d'avoir plusieurs demandes. En tant que patronne, il lui fallait donner l'exemple et ne pas lésiner sur l'investissement. Ce n'était pas non plus une activité si désagréable. il existait des professions bien pires que s'allonger sur un lit et d'offrir du plaisir à ceux qui venaient le chercher.

Tout en surveillant la salle, Isabelle observait les gestes de sa nouvelle employée, encore peu sûre d'elle, lorsqu'un client entra par l'arrière. Elle n'eut pas à se retourner pour deviner son identité, reconnaissait à l'oreille ce pas si familier. Coldris de Fromart, le ministre des affaires étrangères, avait ses habitudes ici que celui-ci aurait tout aussi bien se résoudre à y installer son bureau. Cela lui aurait gagné du temps en reliant ses activités. Il venait de repérer leur toute nouvelle secrétaire et, le connaissant bien, devait admirer la silhouette de la jeune femme. Elle l'accueillait avec enthousiasme et politesse. Cela se révélait parfait. Puis, elle prononça des paroles malheureuses, qui n'allaient pas du tout, et qui risquaient de lui attirer de rudes ennuis.

Rapidement, avant que Coldris ne puisse réagir, Iasbelle se précipita et vint saluer le ministre.

"Bonsoir, votre Excellence, quel plaisir de vous revoir en ces lieux ! Je vois que vous faites connaissance avec notre nouvelle employé mais je vous prierai de ne pas l'importuner avec une quelconque plaisanterie. La pauvre enfant débute et ne connaît pas encore le pouvoir suggestif de certaines phrases."

Elle se tourna vers Rose-Abelle et lui adressa un sourire compatissant, puis lui expliqua gentiment, sans chercher à la brusquer..

"Si vous dites à un client que vous répondriez au moindre de ses désirs, surtout en lui indiquant après les canapés, ce dernier risque d'envisager certaines choses avec votre personne et vous risqueriez de vous retrouver avec des plaisanteries dérangeantes. De manière générale, quand vous discuter avec un client, évitez d'utiliser un pronom personnel qui vous désigne."

Demain, elles aborderaient une leçon importante de langage sur les arts des sous-entendus et du premier degré. Cela se révélait plus que nécessaire pour armer au mieux la jeune femme. Isabelle revint vers Coldris.

"Que désirez-vous pour ce soir, votre Excellence ? Si c'est une débutante, je peux vous confier Marie. Avec vous, je la sais entre de bonnes mains, sans risquer de la confronter à des pratiques qui pourraient la choquer. Par ailleurs, l'idée de vous amuser avec une de nous qui porte le nom de la mère de notre Seigneur, vous connaissant, cela devrait vous amuser."

Tout en parlant, Isabelle s'avançant pour poser la main sur l'épaule de la jeune Marie qui réalisa aussitôt une révérence pour le ministre. Elle détestait user ainsi de religion, blasphémer.. Mais c'était pour le bien de l'établissement. Pour se vendre, il fallait sacrifier quelques principes.

Il lui suffisait de passer cette anodine petite porte pour que son esprit s’allège subitement du poids des contraintes quotidiennes. La simple perspective de passer un agréable moment suffisait à chasser les nuages qui tentaient de s’amonceler dans son esprit. Qui plus est, le lupanar s’était offert une nouvelle petite fleur pour accueillir ses clients. Élégante et gracieuse, de surcroit. Mais il ne doutait pas des talents d’Isabelle pour dénicher de charmantes roses.

… N’hésitez pas à faire appel à moi au besoin, je répondrais au mieux à tous vos désirs.

Il esquissa un sourire amusé devant sa candeur toute débutante et inclina la tête. N’importe qui savait ici que ce n’était pas le genre de phrases à prononcer à la légère. Et encore... malgré tous ses travers, Coldris n’exigeait jamais rien de malsain. Il observa le canapé en question où il reconnut instantanément quelques succulentes têtes connues puis reporta ses yeux bleus sérac sur la jeune femme.

- Oh je vous remercie, je crois avoir à trouver la mise en bouche parfaite pour ma soirée, Rose-Abelle.

C’était sans compter sur la gérante de l’établissement qui se précipita à la rescousse de sa nouvelle employée. Il les écouta, sourire mutin au bord des lèvres jusqu’à ce qu’Isabelle lui présente Marie. Ah! Elle savait lui parler, c’était indéniable ! Il détailla la jeune femme d'un oeil expert: la peau laiteuse, les lèvres carmin et une chevelure de feu. Il opina du chef, mais son sourire trahissait la malice naissante de son esprit.

- Je vous remercie pour cette proposition enchanteresse, mais je souhaiterais faire connaissance avec votre nouvelle venue avant toute chose. La confiance c’est important, Isabelle. Je pourrais lui donner un cours de langue accéléré, si vous le souhaitez, vous pouvez compter sur mes soins. plaisanta-t-il

Il se sentait particulièrement en forme ce soir et... terriblement taquin. Il posa son regard sur un lierre enroulé sensuellement autour d’une colonne et déclara :

- Ah Madame, si vous saviez ce que votre plante me fait chaque fois que je la vois !

A sa commissure retroussée, on pouvait deviner un sens caché dans ses paroles. Il plongea son regard dans celui de Rose-Abelle et renchérit:

- Connaissez-vous l’histoire du berger qui écarta les biches et découvrit le petit mouton bien calé entre les deux chèvres ? Je vous rassure à la fin, il ne coupa pas la biche en trente.

Sur ce, il s’esclaffa, fier de cette tirade qui ferait certainement son effet si elle parvenait à la déchiffrer. Isabelle, elle, ne manquerait pas de comprendre le trait d’esprit, il n'en doutait pas.


- Vous voyez, je suis bon professeur. Aussi bien pour la théorie que pour la pratique, mais je vous promets de ne la toucher qu’avec les yeux, vous pouvez me faire confiance. Je ne suis pas homme à enfreindre ostensiblement ma propre parole.

Il avait donc trouvé en un coup d'œil sa mise en bouche... Parler de femme comme de la simple nourriture la faisait toujours frissoner. À sa réplique Isabelle vint à leur rencontre et la reprit sur ses paroles. Bien sûre qu’elle avait conscience de ses paroles, quand on voyait comment les hommes paralient au femme en se croyant malin pourquoi ces mêmes femmes ne pouvaient pas en faire autant. Elle le savait très bien, contrairement à ce que l’on pouvait penser la majorité des hommes aimaient à ce qu’on leur tienne tête et quoi de mieux que leur montrer qu’elles étaient autant capables de manier les mots ? Mais si la patronne souhaitait qu’elle fasse profil bas, elle essayerait, même si ce n’était pas dans sa nature.

Isabelle orienta Monsieur vers Marie, ce qui la surprit. Pourquoi un homme aussi connaisseur et avide de femme s’intéresserait à une novice ? Du moins dans un tel établissement.

— Je vous remercie pour cette proposition enchanteresse, mais je souhaiterais faire connaissance avec votre nouvelle venue avant toute chose. La confiance c’est important, Isabelle. Je pourrais lui donner un cours de langue accéléré, si vous le souhaitez, vous pouvez compter sur mes soins.

Vraiment ? Rose-Abelle réussit à retenir un rire en entendant la réplique de Monsieur. Des cours de langue accéléré ? Il serait surpris de savoir combien de langues elle savait maîtriser… Pourquoi s’intéressait-il à elle ? Elle ne faisait pas partie des filles mise à disposition, alors c’était une sorte de nouveauté ou de trophée qu’il cherchait. Elle garda sa bouche scellée pour s’empêcher d’avoir une réplique malheureuse. Isabelle était présente, c’est avec elle qu’il négociait. En espérant que ce ne soit pas elle le véritable objectif de la négociation.

Rose-Abelle ne put s’empêcher, à la mention de la plante grimpante, de rouler des yeux. Elle ne voulait vraiment pas s’imaginer ça… mais le mal était fait. Ce Monsieur semblait particulièrement apprécier le maniement des mots. Elle devait se l'avouer, cela changeait des hommes à la conversation barbante.

C’est alors qu’il s’adressa directement à elle en fixant son regard sur le sien. Elle en fut déstabilisée l’espace d’un instant mais se reprit bien vite. Cette histoire de gibier était tout bonnement...intéressante. Mais voilà, il s’adressait à elle et s’attendait à une réponse. Isabelle était présente et ne manquerait pas de la rappeler à l’ordre mais ses lèvres la démangeaient.

— Je crains bien que non, Monsieur. Mais j’espère de tout coeur que ce petit mouton était au goût de Monsieur le berger et que cette pauvre créature ne sait pas faite trop mal menée.

Monsieur se félicita de son talent, en fin de compte cet homme piquait sa curiosité. Il voulait lui parler sans la toucher ? Mais à quoi cela lui servirait-il ? S’attendait-il à ce qu' elle fasse quelque chose de son propre chef ? L’espace d’un instant, elle envisagea le fait qu’Isabelle l’offre à lui comme un cadeau spécial pour un client très spécial ! Était-elle prête à devenir l’une de ces demoiselles qui patientait sur les canapés ? Elle n’en était pas tout à fait sûr, cela dépendrait de ce qu’elle avait à y gagner dans toute cette histoire.

Isabelle se tenait droite face au ministre, parfaitement avenante, séduisante même. Ils se connaissaient bien tous deux, même très bien, et elle avait effectivement confiance en ces manières. Que ce soit pour traiter les filles ou les conséquences. Elle s'inclina poliment devant cet homme qui partageait souvent sa couche contre quelques rétributions.

"En vous, votre Excellence, vous savez que j'ai confiance, et je suis bien heureuse que ces paroles, qui auraient pu être dangereuses ont été prononcées pour vous. Je ne m'inquiétais que pour Rose-Abelle, si elle se retrouvait à reproduire cela. Veuillez m'excusez si vous ayez pu penser l'espace d'un instant le contraire de mes intentions."

Le petit incident passé, la patronne de l'établissement se décida à faire la promotion des services de son établissement. Elle aurait pu se proposer elle-même, aller avec Coldris se révélait toujours un agréable moment, mais il fallait aussi former les novices. Ainsi Isabelle lui introduisit la jeune Marie. Avec des clients tels que le ministre, soucieux de ne pas abuser des filles, elle la savait entre de bonnes mains pour se lancer dans ce commerce qui exposaient leurs âmes et leurs corps à toutes les expériences possibles et parfois les plus invraisemblables ou les plus douloureuses. Tout en observant Marie se mettre en valeur, Isabelle déposa un léger baiser, discrètement, sur l'épaule de la jeune fille, puis s'avança vers Coldris alors que celui-ci la détaillait. Son regard semblait apprécier la silhouette féminine de la petite lorsque ce dernier s'amusa de son esprit à proposer des cours de langue accéléré. Elle lui répondit de manière un peu espiègle :

"Pourquoi pas ? Après tout, vous nous avez prouvé depuis longtemps, votre Excellence, que vous étiez un virtuose de la langue."

Elle se rapprocha un peu plus, puis, discrètement, lui murmura bas :

"En vous remerciant bien généreusement pour ce médecin que vous avez dépêché. Dieu merci, il est enfin sauvé. Grâce aux remèdes prescrits. Ce petit inconscient est même reparti quelques jours plus tard dans les rues, malgré le froid, malgré l'interdiction, pour retrouver ses copains. Un vrai petit taureau..."

Elle eut un sourire tendre en prononçant cette toute dernière phrase, qui ferait honneur et plaisir à son interlocuteur. Quelques années plus tôt, tous deux avaient conçu ce petit garçon, lors d'une passe, et elle lui avait présenté vers les trois ans de l'enfant, quand celui-ci semblait enfin viable. Depuis, en dépit de vivre dans la famille de l'un de ses deux frères, comme deux petites filles qu'elles avaient eu chacune d'un autre client, qui eux avaient nié toute paternité possible, Coldris soutenait discrètement mais généreusement l'éducation de Thomas. Il avait même promis de lui réserver une bonne place quand il serait en âge de travailler.

Isabelle reprit rapidement à voix haute, laissant là le personnel sur le côté.

"Mais puisque maintenant tout semble réglé, je vous laisse discuter avec Rose-Abelle, si vous le désirez"

Elle pensait se retirer, puis l'entendit s'amuser à partir de ce lierre autour de la colonne. Le ministre semblait dans une humeur exceptionnelle ce soir. Elle lui répondit d'une voix gentiment moqueuse :

"Mais ce lierre est placé pour donner cette impression, bien sûr. Je vous en remercie, votre Excellence, de nous conforter dans nos choix de décorations."

Il enchaîna déjà à présent avec une histoire dont la maquerellé connaissait le sens. Elle observa Rose-Abelle l'écouter puis répondre elle aussi et se demandait si celle-ci avait réellement tout compris du temps. Elle préféra de ne pas ajouter autre chose et choisit que de renchérir suite aux dernières propositions du Ministre en réalisant une légère révérence polie et gracieuse.

"Je vous le répète, votre Excellence, vous avez ma confiance et je sais que vous n'êtes pas homme à abuser des femmes."

Elle se tourna ensuite vers Rose-Abelle et ajouta d'une expression coquine.

"Autrement, si vous en éprouvez une réelle envie, je ne en vous en blâmerez. Il est si difficile de résister à certains hommes"

Son regard se tourna vers le reste salle. De nouveaux clients entraient. Si Coldris ne la retenait pas, elle devrait bientôt pour les accueillir.

Isabelle était toujours aussi charmante et espiègle, et ça, toutes les années qui s’étaient écoulées depuis leur rencontre n’avait rien changé. Il répondit d’un sourire entendu à sa boutade au sujet des langues. Virtuose, sans doute. Dans bien des cas. Et elle pouvait en témoigner. Elle s’approcha alors de son oreille pour y glisser quelques nouvelles de leur fils, le petit Thomas qui s’était remis de son infection. Il était ravi d’entendre que son médecin avait réussi à le remettre sur pied et eut un discret signe de la tête. Il ne le voyait que très rarement, mais cela ne l’empêchait pas de veiller à ce qu’il ne manque de rien.

Coldris enchaina sur toute une suite de contrepèteries allant de la plante jusqu’au mouton en passant par la biche. Il n’avait pas tant souvent l’occasion de pouvoir en placer autant sans obtenir de regards interloqués ou de joues rouge pivoine, une fois le véritable sens dévoilé. Alors il en profita.

- Quel dommage, je me ferai une joie de vous initier à ces contes oraux. Quel berger serait-il s’il ne prenait pas soin des moutons qu’il aime tant ?

Il n’était pas sûr qu’elle ait saisi tous les niveaux de lecture de ce calembour salace, mais cela n’avait pas tant d’importance que cela en réalité. Elle aurait tout le temps d’essayer de le déchiffrer si le doute persistait. Isabelle lui réaffirma sa confiance à lui confier Rose-Abelle. Il inclina la tête, s’amusant de ses propos oh combien révélateur de son expérience personnelle.

- Gardez-moi Marie, pour tout à l’heure. Je ne peux décemment pas vous refuser une telle faveur. Je ne vous retiens pas plus, pour l’instant du moins. conclut-il avec un sourire charmeur.

Le vicomte proposa son bras à la jeune nouvelle et l’entraina vers les chambres, situées un peu plus loin. Il aurait pu traverser le lupanar les yeux fermés tant il connaissait les lieux comme sa propre demeure.

- Je préfère discuter dans un lieu plus intime. Et je m’éternise de toute façon rarement dans les salons lorsque je n’ai pas privatisé l’établissement. Mais cela, vous le savez sans doute déjà malgré votre récente arrivée.

Il avisa une porte ouverte et s’y engouffra avant de la renfermer derrière elle. Il servit deux verres et s’appuya nonchalamment contre la table avant de déclarer de but en blanc :

- Alors dites-moi donc, que fait une délicate petite fleur ici ?

Il porta le verre à ses lèvres. Ici, elle pourrait parler librement et il était curieux de savoir comment elle avait atterri dans cet endroit, car on ne finissait jamais dans un bordel par pure vocation. Pas même pour s’occuper de l’administratif ou de l’accueil, mais surtout, il espérait découvrir s’il pouvait lui faire confiance ou non. Et peut-être même pourquoi pas lui proposer une certaine collaboration si elle acceptait de laisser trainer ses oreilles dans les salons…

Monsieur sembla déçue qu’elle ne renchérisse pas à la hauteur des sous-entendus dissimulés dans sa petite histoire. Elle avait fait en sorte de pouvoir répondre sans pour autant dévoiler à quel point elle avait compris le sens de chacun de ses mots. C’est ce qui lui valut cette proposition d’initiation aux contes oraux...et elle en était sûre, il était maître en la matière !

— Comme il vous plaira, Monsieur. Il faudrait néanmoins déterminer qui sont les moutons de Sieur le berger pour ne pas créer de malentendu fâcheux.

Isabelle la confia à lui et il sembla s'en réjouir. Rose-Abelle nota la demande de réservation sur Marie. Alors il était donc ce genre d'homme à tout de même apprécié des moments avec des novices ? Cela la surprit et la rassura à la fois, si il voulait passer du temps avec Marie c'est qu'il ne comptait pas entreprendre quoi que ce soit avec elle.

Il lui proposa son bras qu'elle se garda bien de refuser. Elle connaissait sa place et surtout la sienne, il ne s'agissait pas de se mettre à dos un tel homme. Il la conduisit vers une chambre. Durant le trajet il s'efforça à faire la conversation car elle, elle ne savait que dire.

— En effet, j'ai la chance d'avoir une grande capacité de mémorisation. Et Monsieur n'est pas homme à passer inaperçu, vous avez un profil assez atypique et tape à l'œil.

Ils s'engouffrèrent dans une chambre et un frisson lui remonta dans le dos au son de la porte qui se referma derrière elle. Elle était prise au piège avec ce qui était ni plus ni rien un prédateur contre qui elle ne pourrait pas lutter si il usait de sa force.

Monsieur lui offrit un verre qu'elle s'empressa de saisir avant de s'éloigner pour instaurer une distance de sécurité convenable. Il y avait quelque chose dans son regard, une étincelle qu'elle peinait à identifier. Rose-Abelle fit quelques pas dans la chambre. L’ambiance feutrée ne mettait aucun doute à ce qui devait prendre place dans ces lieux. Elle contourna l’imposant lit qui trônait au centre de la pièce pour s’arrêter devant un magnifique miroir à pieds placé à côté du paravent. C’était étrange à quoi pouvait-il bien servir ? Elle regarda son reflet et se perdit un instant dans sa contemplation.

— J’ai eu envie de voir du pays, côtoyer des personnes plus intéressantes...Et j’ai vu de la lumière et suis entrée. Il fait bien meilleur à l’intérieur n’est-ce pas ?

Coldris marchait de son pas digne dans les couloirs du lupanar. Elle semblait surprise de son choix, mais s’il avait pour habitude de préférer les femmes expérimentées, il lui arrivait aussi de prendre des novices. Autant qu’elles soient bien formées n’est-ce pas ?

Elle enroula son bras autour du sien tout en répondant à ses remarques.

- Nous avons donc ceci en commun. Il faut croire que l’on vous a dressé un portrait des plus précis de moi. nota-t-il avec une pointe de raillerie.

Oh oui ! Isabelle aurait pu lui faire un portrait particulièrement détaillé de sa personne, et pour cause, elle connaissait chaque recoin de corps comme finalement peu de femmes pouvaient s’en vanter. Mais elle était certainement restée assez évasive. « un regard bleu glacier pénétrant et un visage sévère. Grand. La cinquantaine. Séducteur invétéré. Cultivé »

Il passa la porte de la chambre et lui offrit un verre. Le craignait-elle à ce point pour se réfugier à l’autre bout de la chambre ? Il avait pourtant promis de ne la toucher qu’avec les yeux. À moins que l’initiative ne vienne d’elle et… Il n’allait pas se priver de provoquer sa chance. Il trempa ses lèvres dans son verre et le reposa aussitôt pour se rapprocher de la nouvelle fleur du lupanar qui contemplait son reflet. Quelle formidable idée ces miroirs ! Il ne s’en lasserait jamais! Il entreprit d’ailleurs de retirer son manteau de fourrure qu’il déposa sur le paravent puis son pourpoint de velours noir tandis qu’elle répondait –évasivement – à sa question. La fin lui étira un sourire espiègle.

- Oh ce n’est pas moi qui vous contredirez.

Il n’y avait guère quelques dizaines de centimètres désormais qui les séparaient. Dans le reflet du miroir, il observait leurs deux regards. Ses yeux bleus brillaient de cette malice caractéristique alors qu’il approchait sa bouche de son oreille pour y souffler quelques paroles :

- Il fait effectivement bien meilleur à l’intérieur.

Il se redressa sourire en coin, face à ces paroles définitivement osées. Isabelle avait sans doute raison : un cours de langue ne serait pas de trop. À moins que ce ne soit ce qu’elle recherche au fond ?

- Soyez prudente tout de même. dit-il en délassant le haut de sa chemise en soie blanche pour se mettre à l’aise  A trop être attiré par la lumière, les charmants papillons finissent les ailes brulées.

Il réprima un petit rire avant de reprendre sur le ton de la confidence
- Mais je nous note un second point commun dans nos motifs à venir à Braktenn : une ville riche en opportunités et expériences, n’était-il pas ?.

Du coin de l'œil elle le voyait, tel un vautour qui s’approchait de manière nonchalante de sa proie. Elle s’efforça à rester droite et surtout campée sur ses pieds en observant à la dérobée Monsieur se délester une à une de ses couches de vêtements.  Il souriait éhontément à sa dernière phrase. Alors il aimait vraiment jouer à ce jeu de mots à double sens ? Cela tombait bien, Rose-Abelle était friande de ce genre d’amusement.

Il n’était plus très loin d’elle, quasi dans son dos, elle pouvait aisément l’observer s’approcher de son oreille sans la quitter du regard. Lorsque son souffle lécha son lobe, un frisson parcourut l'entièreté de son corps. Elle maintenait toujours le contact visuel, il était hors de question de paraître soumise à qui que ce soit. Mais tandis que ses lèvres s’entrouvrirent pour lui délivrer ses pensées, elle comprit en quoi ce miroir pouvait être aussi intéressant.

— En effet… et cela est d'autant plus agréable lorsque l’on est le bienvenue. Quand les portes nous sont grandes ouvertes, les perspectives pour l’avenir prennent une toute autre dimension.

Serait-il véritablement assez ouvert d’esprit pour se prendre à ce petit jeu ? Rose-Abelle s’amusait et aidait de quelques gorgées de ce divin breuvage, oublia cette appréhension qui la tiraillait depuis le début. Elle écouta sa douce remontrance, elle en était certaine, il n’en pensait pas un mot. Non, pas en délassant le haut de sa chemise de la sorte, avec ce regard, ce sourire...

— Le feu, susurra-t-elle avant de se délecter d’une nouvelle gorgée de son breuvage. Vous savez, on m’a toujours dit qu’il m’habitait. Trop franche, trop impulsive, comme un volcan. Le feu qui le dévore de l’intérieur, qui s’accumule dans ses entrailles. Ce liquide brûlant en fusion qui met à mal son épiderme, une pression qui petit à petit mène à une sorte de libération salvatrice. Et quand la croûte terrestre ne supporte plus ce trop plein...Boum ! Vous devez bien connaître cela !

C’était dans un souffle qu’elle imita le son d’une explosion tout en mimant l’action avec sa main. Ses doigts, repliés dans sa paume , se déplièrent de manière simultanée au moment où le son passa la barrière de ses lèvres. Elle ne put empêcher un petit rire de résonner dans la pièce, fière de sa tirade. Elle fut cependant surprise par la confidence de Monsieur.

— Je vais commencer à penser que nous chercher des points communs vous met en joie ! Mais vous avez visé juste, des opportunités et des expériences, c’est bien ce que je recherche ici. Pour peu qu’elles soient alléchantes.

Coldris s’était délesté de son manteau et de son pourpoint noir. Il fallait dire qu’au lupanar, les foyers qui brulaient toujours continuellement, sans cesse entretenus, permettaient de conserver une chaleur moite, quasi transpirante, y compris au plus fort de l’hiver. À proximité de son oreille, il détaillait ses iris bleu-vert dans le reflet du miroir tandis que ses lèvres se mouvaient pour lui répondre. Il afficha un léger sourire.

- Vous faites erreur. Cela est d’autant plus agréable lorsque la porte est fermée. Il n’y a rien de plus gratifiant que de se voir finalement ouvrir une porte autrefois close.

Et il ne parlait pas que d’amour ou de relations charnelles. Non, c’était une philosophie de vie bien plus vaste. Il sentait encore le métal doré gelé sous ses paumes demain, agrippé qu’il était aux grilles du palais, rêvant de les voir un jour s’ouvrir pour lui.

- Il faut parfois ruser pour les ouvrir.

C’était là qu’était tout le jeu. Des portes grandes ouvertes, le lupanar en regorgeait, c’était plaisant, mais pas divertissant et encore moins excitant. C’était facile, accessible, rapide. Deux activités bien différentes. Dans le premier cas, il s’agit d’une chasse, dans le second, il suffisait de passer à table.

Tout compte fait, c’était en son âme et conscience qu’elle semblait prononcer ces paroles, ce qui n’en était que plus intéressant. Le feu, c’était son élément. Après tout, Aurélia l’avait bien surnommé Vulcain, lors de cet innocent jeu. Le dieu de la forge, le volcan qui transformait sa lave en sang. Lui-même s’était senti se consumer, s’embraser, bouillir de l’intérieur. Mais il savait également être aussi froid qu’un glacier. Si elle voulait jouer, il ne la laisserait pas gagner.


- En effet, je connais bien ça. Ne me transforme pas en volcan qui veut. reprit-il un sourire en coin alors qu’elle riait toujours.

Alors que Rose-Abelle interprétait sa dernière déclaration, il lui prit son verre des mains pour en voler une gorgée, avec une certaine provocation : le sien était trop loin, c’était évident, défiait-il du regard avant de lui rendre pour aller s’asseoir sur le lit et se délester de ses souliers. Il avait promis de ne pas la toucher sauf initiative de sa part. Cela n’incluait pas de toucher les objets en sa possession. Tout comme ses effets personnels. Tant que ses doigts ne frôlaient pas sa peau, il n’enfreignait pas sa parole.

- Il faut nécessairement l’une de ces deux choses pour établir de bonnes relations entre deux personnes : commença-t-il en déposant sa première chaussure sur le parquet. des points communs ou des intérêts communs. il releva la tête pour croiser son regard ou bien les deux. À vous de voir ce que vous êtes venue chercher ici.

Les pieds enfin libres, il retourna à l’entrée, où était toujours disposée la carafe de vin dont il se saisit pour remplir le verre de la jeune femme.

- Je ne voudrais pas que vous vous sentiez lésé. commenta-t-il taquin avant de la reposer à son emplacement.

Quant à son verre, il n’avait pas quitté le voisinage du contenant en cristal. À quoi bon ? Il avait tout le vin qu’il voulait et il ne comptait pas en abuser, ce n’était pas cette ivresse qu’il recherchait ce soir.

Les portes, tout une histoire depuis tant d'années. Tout comme les fenêtres d’ailleurs
- Entrouvertes déclara-t-il laconiquement avant de répondre à se seconde interrogation Non. Monsieur suffira amplement… Ou comme il vous plaira excepté mon titre.

Il avait prononcé cette phrase d’une légère malice dans sa voix. De quel nom allait-elle bien pouvoir le baptiser désormais qu’elle avait carte blanche ? Certains auraient pu juger cela risqué de laisser tant de libertés à une femme, mais ceux-là n’étaient assurément pas joueurs comme lui.

- C’est pourtant évident : le plaisir de jouer avec le feu. Tout l’art réside dans la maîtrise la combustion.

Il jugea que sa gorge était désespérément sèche et décida de jouer d’un peu de provocation en se servant directement dans son verre. Il ne pouvait pas la toucher. Pas tant qu’elle n’aurait pas cédé. Volontairement ou par mégarde. En revanche, rien ne l’empêchait d’user de ruse. De toute évidence, elle ne s’y attendait pas et cela ne fit qu’accentuer le plaisir qu’il eut à se délecter du breuvage. Lorsque l’on voulait jouer avec lui, il fallait être prêt à toutes sortes de facéties.

- Cela vous arrive souvent de prendre ce qui ne vous appartient pas sans en demander la permission ?

Un sourire espiègle se peignit sur son visage tandis qu’il avoua très sérieusement :

- Toujours.

Demander… c’était une perte de temps. On n’arrivait pas à sa position, en attendant patiemment que la permission soit accordée. Il réprima un petit rire en songeant au nombre de fois où il avait agi sans permission et à tous les bénéfices qu’il en avait toujours retirés. Bien évidemment, cela n’allait pas sans quelques égratignures parfois, mais…

- Ne dit-on pas d’ailleurs : Audaces fortuna juvat ?

Qu’il ne traduisit volontairement pas. Après tout, il avait bien spécifié à Isabelle qu’il souhaitait faire plus ample connaissance avec elle. À ses manières, il avait tout de suite remarqué qu’elle n’avait rien à voir avec ces filles qui échouaient au lupanar faute de mieux. Elle avait une démarche élégante et naturelle fruit de son éducation et non d’un simple entrainement. Elle parlait bien et semblait dotée d’une certaine culture. Elle n’aurait pas dépareillé dans les salons braktennois, tant s’en faut. De toute évidence, elle ne lui en voulait pas pour le verre puisqu’elle prolongea le jeu sous son regard amusé en buvant au même endroit que lui. Assis sur le bord du lit, il l’observait sans un mot tandis qu’elle le détaillait de pieds en cape jusqu’à venir s’accroupir entre ses jambes, ce qui, dans d’autres circonstances aurait pu laisser présager d’autres choses, bien plus excitantes qu’un simple essuyage de tache de vin sur son col immaculé. Ses prunelles sérac se posèrent sur ce doigt fin et gracieux qui souleva agilement la gouttelette pourpre et l’emporta jusqu’à ses lèvres. Toujours dans d’autres circonstances, il aurait déjà rattrapé cette main.

- Je doute que Marie n’ait prévu de s’attarder sur mes vêtements et je pourrais parier qu’elle serait sans doute trop nerveuse pour remarquer cette petite tache quand bien même son regard serait attiré par celle-ci. fit-il avec détachement tandis qu’il se relevait pour effectuer le service.

Quant à leurs intérêts communs, c'était à elle de lui dire ce qu'elle avait pu trouver d'intéresser en voyant cette lumière et cette porte ouverte. Coldris ne manquait jamais d'idées.

- Nous avons tous les deux, deux oreilles et une langue. Mais peut-être n’est-ce qu’un point commun de plus entre nos deux personnes ?

Il scruta sa réaction de même que la réponse qui n'allait pas manquer de venir jusqu'à ce qu'elle ne décide de s’allonger sur le lit sans réellement attendre de réponse à sa demande. Tiens donc. Il eut un sourire en coin alors qu’elle se laissait tomber dessus.

- Cela vous arrive-t-il souvent de demander sans attendre de réponse ? interrogea-t-il plein de moquerie.

- Et d’ailleurs, pour vous répondre : je ne vous permets pas. Vous êtes trop habillée pour vous avachir sur mon lit. À vous de choisir.

C’était bien pour cela qu’il s’abstenait toujours de demander la moindre autorisation et qu’il avait pris l’habitude de se servir. Il récupéra son verre des mains et alla le déposer sur la petite table de chevet opposée. Qui plus est, le confisquer de ses choix était la dernière chose à faire.

Combien de noms avaient-ils reçus depuis toutes ses années ? Un bon nombre à n’en pas douter. À croire que tous lui allaient mieux que le sien. Il la laissa s’approcher jusqu’à distinguer chaque pétale de bleu et de vert entourant son iris. Il ne cilla pas une seule fois avant qu’elle n’ait donné son verdict. Nahash donc. Le serpent biblique.

- Vous me trouvez un côté si ophidien ? À moins que je ne sois l’allégorie de la tentation ? il esquissa un sourire aussi séducteur que malicieux.

Il fallait croire qu’elles aimaient à le comparer aux reptiles ces derniers temps.

Pourquoi repensait-il à cela maintenant ? Pourquoi revoyait-il son regard pénétrant ? Sa présence flottait dans son esprit. Sa voix le chatouillait, l’enveloppait, le berçait. Il n’arrivait pas à la faire taire parce qu’il avait envie de l’entendre chanter dans le creux de son oreille. Mais ce n’était que parce qu’il la revoyait le lendemain.
Et qu’ils s’étaient quittés en mauvais terme.
Et qu’elle trouvait aussi qu’il ressemblait à un serpent.

Pour faire passer tout ça, il subtilisa une gorgée de vin. Comme une vulgaire excuse pour la provoquer. La fortune souriait aux audacieux. Sa remarque le laissa interloqué. Il avait du mal à voir comment l’on pouvait faire de cette phrase un guide de vie. Toujours était-il qu’elle semblait maitriser le latin et confirmer donc son hypothèse d’instruction. Étonnant d’atterrir dans un tel endroit. Une fugue ? Sans doute. Pour éviter le couvent ? Peut-être. Après tout, elle n’avait l’air ni mariée, ni suffisamment innocente pour remplacer la Sainte Vierge. En parlant de Marie, justement le sujet tomba.

- De l’envier? Oh sans doute puisqu’elle a la chance de passer sa première fois avec moi. Je ne lui demanderai jamais certaines choses qui auraient le don de faire saigner vos chastes oreilles sur le champ. Alors oui, vous devriez remercier Isabelle.

Jugeant le sujet clos, il s’évertua à fouiller afin de voir si de quelconques intérêts communs étaient capables de naitre entre eux. Les informations étaient la clé de voute de leur monde. Être informé permettait d’agir. Sans parler du fait que Thierry ne lui serait sans doute plus d’une très grande utilité à ce niveau avec sa future affectation. Il avait besoin d’oreilles. Et d’une langue qui savait parler quand nécessaire et se taire quand il le fallait. Et… faire d’autres choses également. À ce titre, il ne pouvait être on ne peut plus d’accord avec elle. Il lui adressa un sourire entendu.

- Voilà qui est parfaitement résumé et signe donc un nouveau point commun. Je suis certain que nous pourrions trouver à nous entendre vous et moi pour nouer une relation aussi agréable qu’enrichissante.

Ce fut à cet instant qu’elle se laissa choir sur son lit avec une certaine provocation, mais il n’avait pas dit son dernier mot. Il n’était pas homme à se laisser commander par qui que ce soit et cela ne changerait pas aujourd’hui ni demain, ce qu’il ne manqua pas de lui faire remarquer. Elle n’avait pas l’air décidée à quitter à son lit. Soit. Il croisa son regard de ses prunelles perçantes.

- Tout. répondit-il laconiquement tandis qu’il comblait peu à peu l’espace entre eux.

Qu’elle ne croit pas qu’il ne ferait rien. Il ne toucherait pas sa peau, le reste en revanche… Il enroula ses mains autour de ses bras et la tira légèrement de façon à la remettre sur pied. Il fit onduler son dois le long de corsage de façon tout à fait serpentine.

- Si ce n’est que cela, Eve, je peux vous aider à vous en délester. souffla-t-il avant de la quitter pour retourner auprès de la fameuse table.

Comme toujours, au côté de la carafe trônait une corbeille de fruits : il était bien connu que l’exercice donnait faim. Poires, raisins, fruits secs et bien entendu… Pomme. Il en choisit une particulièrement rouge et croqua dedans en s’appuyant nonchalamment sur le mobilier dans l’attente de sa réponse.

Affublé de son nouveau surnom, il ne pouvait s’empêcher de persifler quelque peu par provocation.

- Ne boudez pas ainsi ma chère, vous allez finir toute fripée avant l’âge. Ce serait tout de même fort dommage.

Il fallait croire qu’Eve était susceptible. Elle ne le croyait pas concernant Marie, pourtant elle pouvait s’en remettre au jugement -parfaitement objectif- d’Isabelle qui avait eu le temps de se faire un avis. La discussion s’orienta vers leurs intérêts communs et il sentit que sa curiosité avait été piqué. Parfait. C’était la seule dont il avait besoin en l’état. Mettre son pied dans l’entrebâillement de la porte pour l’empêcher de se refermer. Ensuite, il l’ouvrirait. Chaque chose en son temps. Il ne répondit que d’un  sourire à son injonction. Par fierté et pour la faire mariner quelque peu. Qu’elle envisage toutes les possibilités, qu’elle tergiverse, car la partie ne faisait que commencer. Et c’était le message qu’il faisait passer en laissant courir ses doigts le long de son corsage et il n’avait qu’à croiser son regard pour s’assurer que ce n’était que son orgueil qui l’empêchait de céder. Tout le monde savait que Nahash parvenait à ses fins. Il ne la quitta que pour une pomme qu’il dégusta ostensiblement devant elle.

- Ce que je veux de vous ? Tant de choses.

Il fallait croire qu’elle avait déjà du mal à se passer de lui car la distance qui les séparait fut bien vite comblée par quelques gracieux déhanchés. Ses prunelles bleu glacier flamboyaient tandis que son regard coulait le long de ce corps qui se rapprochait jusqu’à ce que ses dents se referment sur le seul interstice disponible de pommes. Il afficha un sourire amusé et reprit dans un chuchotis :

- Soyez mes yeux et mes oreilles et offrez-moi votre langue.

Il plissa légèrement les yeux avec malice. Il ne pouvait être plus clair sur ce qu’il avait à lui proposer. Sans préavis, ses doigts graciles se refermèrent autour de la soie immaculée de sa chemise. Il aurait pu résister, il avait l’avantage physique pour lui. Il préféra se laisser guider, voir ce qu’elle comptait faire. Elle le plaqua contre l’édredon et le chevaucha avant de le mettre -vainement- en garde. En tout cas, elle ne manquait pas d’air et il n’en avait que plus envie de la faire céder. Stupide promesse. Il se redressa sur ses coudes, faisant pénitence.

- Mes excuses séduisante Eve. Je n’aurais pas dû m’imaginer avoir à faire à l’une de vos collègues.

Oh c’était parfaitement faux, bien évidemment. Il savait très bien qu’elle n’était pas à vendre et c’était bien cela qui rendait le jeu passionnant, mais il pouvait faire amende honorable avec un jeu d’acteur parfaitement convaincant pour endormir sa vigilance de ses doux yeux repentants.

Encore sa voix qui hantait son esprit. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Il se reconcentra et profita d’un instant de flottement, passa son bras dans son dos et la renversa pour inverser leur position respective. Dans un  bruit de fond, l’écho se perpétuait sans qu’il ne puisse l’arrêter et son cœur s’emballait irrémédiablement face aux visions qui s'imposaient à lui.


Il serra ses cuisses autour de ses hanches et releva ses manches au dessus de ses coudes, corsant le jeu. S’il avait pu, il aurait enlevé sa chemise, mais c’était impossible en l’état. Il empoigna ses avant-bras et se pencha au plus près de son oreille.

- Il ne tient qu’à vous de décliner unique au pluriel. Ne m’en imputez pas l’unique responsabilité, c’est trop facile. C’est un jeu qui se joue à deux. souffla-t-il

Évidemment, elle ne semblait pas prête à donner sa langue au serpent si facilement. Il s’en doutait et répondit d’un sourire enjôleur.

- Je vous en prie, précisez votre pensée et dites-moi donc ce qu’il vous siérait dans chacun des cas. Je suis certain que nous pourrons trouver un commun accord

Puisque de toute évidence, elle n’était pas fermée à l’idée et qu’il ne s’agissait là que d’un simple problème de rétribution. Qu’à cela ne tienne ! Il avait plein de possibilités pour la payer qui lui venaient à l’esprit, c’était bien là l’avantage de sa position. Il n’y avait aucune raison pour qu’il ne trouve pas un terrain d’entente permettant de sceller leur collaboration -et plus si affinité, mais cela semblait bien parti-.
Tellement bien parti, qu’il dut ruser pour reprendre le dessus. Au sens littéral comme au figuré. Ce n’était d’ailleurs pas cela qui l’empêchait de poursuivre ses provocations, ce qui ne manqua pas de l’amuser.

- Mes dents? Quelle drôle d’idée que voilà ! Il me suffit de tirer sur le lacet. répondit-il le regard pétillant.

Et ça, il savait parfaitement faire. Il aurait pu la retourner et la déshabiller, mais au lieu de cela, il préféra desserrer son étreinte : il l’avait dit, c’était un jeu qui se jouait à deux. Elle en profita pour se hisser à l’aide de son col. Ah ce qu’il regrettait de ne pouvoir s’affranchir de cette maudite chemise ! Enfin… Il n’était pas question de couper court à ce principe. Pas même pour gagner un jeu.

- Embrassez-moi et vous aurez un maigre aperçu. rétorqua-t-il avec morgue à ses paroles qui lui hérissèrent les poils de sa nuque.

Eve était bien entreprenante avec Tentation. Après tout, c’était peut-être elle, le serpent de l’histoire à voir comme elle l’ondulait entre ses cuisses dans l’espoir de lui faire perdre ses moyens. Mais si son corps ne pouvait s’empêcher d’y répondre par pur réflexe, son esprit était encore parfaitement frais. Suffisamment pour tracer le contour de son décolleté avec précision ou encore pour s’aventurer sous jupons et effleurer ce bas de fine laine jusqu’à la jarretière dont il fit quasiment le tour.

- Peut-être devriez- vous faire monter Marie pour prendre votre place. Après tout, vous n’êtes pas comme toutes ces filles et il me semble que nous avons désormais fait suffisament connaissance. déclara-t-il suavement en laissant ses mains glisser le long de son corps.

Il se releva subitement et quitta le lit sans autre forme de procès, si ce n’était un petit sourire en coin provocateur.

Il la laissa réfléchir à ce qu’elle comptait demander en échange de ses informations. Et effectivement, le coup était loin d’être exorbitant. Il acquiesça silencieusement tout en se demandant ce qu’une jeune femme comme elle pouvait bien craindre à ce point pour que ce soit la première chose qu’elle demande. Il songerait donc à prévenir Isabelle qui ne manquerait pas de l’informer si son intervention s’avérait nécessaire. Quant aux présents plus matériels… Ses yeux se mirent à pétiller. Des livres politiques ? De la littérature destinée aux hommes ?

- S’il n’y a guère que cela pour vous complaire, je me ferai une joie de vous offrir une sélection d’ouvrages variés.

Il avait déjà plusieurs titres qui lui chatouillaient l’esprit, à commencer bien évidemment par son Prince favori entre tous. Car il était bien connu que la Fortune était femme et qu’elle obéissait davantage aux jeunes hommes audacieux. Point sur lequel Coldris s’accordait parfaitement avec l’auteur, alors qu’il reprenait le dessus de leur petit jeu dans lequel il espérait bien la faire déclarer forfait.

— Vous aimeriez bien, avouez-le !

Il eut un sourire alors que son souffle lui hérissa les poils de sa nuque. Il la sentit hésiter et s’engouffra dans la brèche alors qu’elle retombait sur le matelas.

- Vous de même. N’allez pas dire le contraire.

Elle ne résistait que par fierté et il ne pouvait pas lui en vouloir. En revanche, ce n’était pas ce qui l’empêchait de jouer avec les limites établies et il pouvait sentir à la façon dont elle se tendait qu’elle mettait tout en œuvre pour ne pas s’avouer vaincue. Il n’aurait pas manqué grand-chose pour donner raison à Isabelle et la faire céder. Il le savait. Alors il lui offrit la possibilité de s’échapper pour reprendre le jeu plus tard, tout en lui rappelant qu’il était celui qui dictait les règles du jeu.  Boudeuse, elle se releva pour lisser sa robe sous son regard enjôleur qui lui fit remarquer avec nonchalance :

- Vous n’êtes pas de ces femmes, vous vous souvenez ?

Il ne tenait qu’à elle de se proposer pour remplacer Marie si elle tenait tant que cela à poursuivre leur discussion plutôt que de le sermonner sur sa tenue qui n’irait certainement pas effrayer Marie qui verrait bien plus débraillé et bien moins vêtu. Elle tira habilement sur ses manches d’un coup sec et il sentit le contact furtif de ses doigts frôler la peau de ses avant-bras. Il ne fallut qu’une fraction de seconde à Nahash pour bondir sur Eve et l’empêcher de fuir en s’enroulant autour de son poignet. Il la dévora d’un baiser qui n’avait rien de retenu et la repoussa jusque sur le lit qu’il venait tout juste de quitter.

Inadvertance ou simple calcul ? Il n’aurait su le dire, mais les faits étaient là : sa promesse n’avait plus à être tenue désormais et offrait de nouvelles perspectives fort réjouissantes.

Il n’avait rien fallu de plus qu’un effleurement pour passer à un autre type de jeu. Elle avait pulvérisé la mince barrière érigée entre eux d’un simple contact qui ne dura guère plus qu’une fraction de seconde. La porte était toujours ouverte, mais il n’y prêtait pas la moindre attention.

- Les cartes sont rebattues, Eve. Vous avez enfreint les règles. il eut discret regard sur le couloir qui se dessinait dans la pénombre mais vous pouvez toujours fuir et échanger votre place avec Marie, bien sûr..

De toute évidence, sa décision était prise puisqu’elle referma derrière elle la porte d’un geste parfaitement maitrisé. Coldris grignota quelques raisons tandis qu’elle se séparait de ses souliers, adossée au pilier du baldaquin. Ce petit jeu ne vaudrait jamais celui partagé à Cervigny avec celle qui avait couru pieds nus autour de sa table, pourtant cela ne l’empêcha pas de sourire légèrement avec une envie non feinte. Si elle voulait connaitre le programme, il pouvait lui donner un aperçu sur le champ. Il attrapa délicatement ses épaules pour la décaler et la renversa sur le lit avant de s’accroupir pour glisser ses mains sous ses jupons.

- Je vous ai déjà donné le programme très chère. énonça-t-il en laissant courir ses doigts le long de ses bas Il était une fois, un berger qui écarta les biches… ses mains écartèrent habilement ses cuisses mais après tout peut-être que vous préférez que je vous laisse le choix dans la date pour votre premier cours ?

il esquissa un sourire polisson puis se releva et se pencha au-dessus d’elle, s’appuyant sur ses mains pour se maintenir en équilibre au dessus de son visage.

- Le cas échant je peux toujours vous prêter mes doigts adroits pour vous affranchir du port de cette encombrante toilette. murmura-t-il suavement.

Si la soirée avait débuté doucement, elle s'était finalement d'un seul coup accélérée. Isabelle venait de terminer sa troisième passe et son dernier client avait choisi de se retirer rapidement, ne souhaitant pas être vu avec une prostituée plus que nécessaire. Quelle belle hypocrisie ! Si sa réputation l'inquiétait tant que cela, pourquoi ne couchait-il pas qu'avec son épouse ? Elle riait intérieurement de l'imaginer réclamer à sa bourgeoise, sans nul doute ignorante de toutes ces pratiques, quelques uns de ses actes qu'il lui demandait à chacune de ses visites.

La patronne revenait d'un pas tranquille vers la salle principale, joyeusement, mais se trompa de couloir et ouvrit la porte d'une alcôve privée, réservée au meilleurs clients. Elle ne se rendit compte de son erreur que quand ses yeux surprirent Coldris en compagnie de sa nouvelle employée. Les bras de son amant régulier semblait par ailleurs bien occupés et Rose-Abelle se montrait bien peu farouche. Un léger rire lui vint, les souvenirs de la conversation de tout à l'heure en mémoire.

"J'avais bien dit que cela se révélait fort difficile de lui résister !"

Elle ajouta, taquine, mais respectueuse à l'intention de Coldris :

"J'espère toutefois que vous aurez comme à votre habitude autant d'énergie pour honorer les autres filles de cette maison. Nous avons grandement besoin en ces moments difficiles des subventions de notre meilleur client."

Sur cette taquinerie, elle fit une légère révérence et s'apprêta à se retirer.

"Désolée de cette interruption."