Boîte aux lettres de Lavinia de Kergemont

Ce 17 septembre de l'an de Grâce 1597

Lavinia, ma très chère fille,

Voilà bien des semaines à présent que nous ne nous sommes pas donné de nos nouvelles. Je suis fort désolé de n'avoir pas envoyé cette missive plus tôt alors même qu'il n'y a pas un jour sans que je ne pense à vous. De nombreuses affaires se sont bousculées et m'ont retenu à la capitale - si bien que je n'ai pas touché terre jusqu'à ce moment-ci où j'écris ces lignes.

J'ai l'immense honneur d'avoir été tout récemment désigné Premier Conseiller de l'Empire par Sa Majesté. A peine ce poste obtenu qu'il m'a fallu mener de grandes opérations d'observation de la bonne marche de plusieurs de nos établissements en la capitale. Ainsi ais-je contrôlé les négoces d'esclaves, ou encore ce sinistre établissement de débauche qu'est le Lupanar et où trop de scandaleuses pratiques se déroulaient sous la noire houlette d'une certaine Blanche, demandant la mise immédiate de la maison sous la tutelle de deux nouvelles patronnes. Plus sordide encore fut la réquisition, pour le compte de la Couronne, du château de Rottenbarg après l'arrestation de son propriétaire : duc qui s'est révélé être un esclave Zakrotien se faisant passer pour son maître depuis des années ! Les abominations qu'il commettait en son fief dépassaient l'entendement et c'est à moi qu'il est revenu de perquisitionner et redistribuer ses biens, ou encore d'assurer la revente des pauvres esclaves qu'il torturait. D'ailleurs, l'une de ses esclaves fait désormais partie de mon personnel, il n'est pas impossible que vous la rencontriez lors de votre prochaine venue à Frenn.

J'espère d'ailleurs de tout cœur vous revoir bientôt. Comment vous portez-vous ? Quelles sont les nouvelles de votre côté ? Et qu'en est-il de Monsieur votre mari ? Je prie régulièrement pour que son état de santé s'améliore.

J'ai grand hâte, ma fille, de vous lire et bientôt de vous revoir.
D'ici-là, je vous embrasse chaleureusement.

Dieu vous ait en sa sainte garde.

Ma chère Lavinia,

Cela fait une éternité que je n'ai plus eu le plaisir de vous voir. J'en ai perdu le compte des années. J'ai entendu dire par mon père que vous étiez vous aussi rentrée à la capitale pour les fêtes.

Si cela vous dit, vous pourriez venir prendre le thé demain avec moi à Fromart. Nous pourrions échanger quelques souvenirs et quelques avis autour de bonnes pâtisseries.

Qui plus est j'ai cru comprendre que vous étiez venue seule vous aussi. Mon mari est resté à Aussevielle également. Seul mon espiègle petit Adéis m'a accompagné mais je crois qu'il préfère courir les écureuils dans le parc que d'étudier le latin et le grecque enfermé dans un salon.

Je serai ravie de vous revoir,

Ce 21 novembre de l'an de Grâce 1597

Ma très chère Lavinia,

Je suis si soulagé d'avoir pu vous écrie enfin ! En effet, ce nouveau poste m'occupe infiniment plus de temps que je l'aurais imaginé. Je l'ai cependant souhaité, et ne reculerai désormais devant rien pour l'honorer au mieux. Quel bonheur de sentir la joie transparaître dans vos mots ! Nos échanges m'ont manqué tout autant qu'à vous et j'escompte bien que nous rattrapions dans les prochaines semaines ces moments perdus.

J'ignore en réalité ce qui, dans la désignation d'un individu à une fonction prestigieuse, relève véritablement de son mérite et ce qui relève d'une certaine chance... voire de privilèges. J'évolue beaucoup sur ces questions-là depuis peu. Cependant, vos compliments, ma chère Lavinia, et ceux de votre époux me vont droit au cœur. Je crois que le mérite n'est pas nécessairement ce qui m'a amené-là, mais qu'au contraire que le travail ne fait que commencer et qu'il me faudra chaque nouveau jour démontrer ce mérite.
Mais assez de ce grave sujet - nous aurons tout le temps d'en discuter plus en détail et je me doute bien que moult autres affaires sont susceptibles de vous intéresser bien davantage. Pour répondre à votre question, en effet depuis peu l'Empire et plus particulièrement la capitale sont dans la tourmente. La politique étrangère n'est pas sous de bons augures : la guerre avec Djerdann est imminente. Pour ce qui est de Braktenn même, je travaille à faire renforcer les moyens de la police pour lutter contre les bandes de brigands et les esclaves révoltés.
Mais je prie chaque jour pour que tout cela ne soit qu'une bien sombre passe et que la sérénité revienne en notre bonne capitale. Du reste, cela ne doit pas nous empêcher de nous réjouir à nos retrouvailles prochaines. Tout le domaine de Frenn se tiendra prêt à vous recevoir. Vus y pourrez rencontrer William Wagner, nouvel employé de la demeure, et cette jeune Aud qui est une jeune fille très paisible et vaillante en plus d'une excellente servante. Des personnes comme elle démontrent bien qu'il est vain de qualifier tous les Zakrotiens de "sauvages" comme j'ai eu le regret de l'entendre plus d'une fois.

Il m'est bien douloureux en revanche d'apprendre que l'état de Monsieur votre époux ne s'arrange guère. Je mets tout mon espoir dans les médecins qui se chargeront de le soigner... ainsi que dans le Seigneur que je ne manque pas de prier, pour que sa force et sa bonté vous accompagnent, votre mari et vous, dans cette épreuve.
Je comprends par ailleurs cent fois que vous ne souhaitiez pas nécessairement intégrer la Cour ni le château de Sa Majesté notre Roi. Tout passionnant que soit le proche voisinage du pouvoir, l'endroit est parfois oppressant autant que certaines mentalités. En outre, dans la situation qui est celle de votre époux, il 'apparaît raisonnable que ce soit de la sérénité que vous veniez chercher à Braktenn. Je trouve donc que vous avez une excellente idée en souhaitant réemménager dans votre résidence secondaire aux abords de la capitale ! Sans compter bien entendu les portes de Frenn qui vous sont toutes ouvertes.

Venez donc quand vous le voudrez,
D'ici là je vous embrasse bien tendrement,

Dieu vous ait en sa Sainte Garde,

Ce 09 Janvier de l’an de Grâce 1598

Ma très cher Lavinia,

J'ai appris que notre médecin dans son indélicatesse vous aviez envoyé une missive sans me consulter au préalable. Si j'avais été avisé de ce fait je n'aurais pas manqué de vous adresser les quelques mots qui vont suivre.

Comme vous vous en douter mon état semble s'améliorer, pour preuve je viens régler par cette lettre les décisions prises alors que je me portais au plus mal et qu'il est certain je n'aurais aucunement cautionné. Je ne doute pas que vous ayez profité de l'occasion pour faire comme bon vous semble et influencer ce malheureux Docteur Grance. Dois-je vous rappeler qui décide dans ma demeure ? De ce fait, je pense que nous devrions régler au plus vite ce problème de symétrie en attente depuis bien trop longtemps.

Je me languis de vous très chère… et n'ai personne d'autre sous la main pour combler mes frustrations. Je négocie ardemment avec le Docteur Grance pour obtenir son aval quant à votre retour à mes côtés qui, je le sais, vous enjoie d'avance.

J'ai ouï dire que seuls Ingrid et Gérald sont à vos côtés ? Uniquement du personnel non recommandés par mes soins… J'espère que vous vous morfondez sur mon sort au lieu de parcourir les ruelles jupons relevés. Je pourrais aisément vérifier cela à votre retour et vous le savez pertinemment.

En attendant de pouvoir sentir votre peau contre la mienne.