[10 février 1598] Les manigances du fils prodigue [Terminé]

La gouvernante vient d'amener les trois petits enfants dans la salle de jeux aménagée récemment par leur grand-père, puisque ce domaine comptait désarmais une nouvelle jeune présence : Sébastien. C'est d'ailleurs pour lui aussi que toutes les entrées du rez-de-chaussée se trouvent désormais munies de rampes. Pour Dyonis de Frenn, il est hors de question de reporter son mépris pour Thierry d'Anjou sur ce pauvre fils illégitime qui n'a rien demandé, rien fait de mal... et sans doute même essuyé comme tant d'autres les stupidités et couardises de son géniteur. Il espère lui offrir une nouvelle famille.
William est là aussi. Les trois jeunes gens se dirigent vers lui et disent en chœur un joyeux et souriant "Bonjour, Monsieur Wagner." - accompagné des marques de politesses qui leur ont été apprises. Et puis l'intendant les a si gentiment accueillis la semaine dernière, ça les changeait de certaines peaux de vache. Ils allaient se plaire au château. Mais aussitôt, les trois paires d'yeux se reportent vers le garçon blond, assis, qu'ils n'avaient même pas encore eu l'occasion de fréquenter encore bien. Les visites avec leurs pères, les moments avec leur grand père, les promenades, l'installation les ont tant occupés. Valentine et ses deux cousins avancèrent vers l'enfant dans sa chaise roulante - engin bien curieux pour le petit Childéric, alors que les deux plus grands comprennent de quoi il s'agit pour avoir déjà vu des estropiés... et connaître le sujet avec leur grand-Papa prothésé.

"Euh... bonjour ! Comment tu t'appelles ? Moi c'est Valentine."

"Nous sommes Archibald et Childéric de Frenn, enchanté" complète l'aîné des garçons en tendant une main cordiale à Sébastien.


Il souffle un mauvais air dans ce domaine. Quelle mouche pique donc son père, lui si droit et chevaleresque d'ordinaire ? S'est-il donc entiché de tous les poussins de Monbrina pour avoir gaspillé son argent à acheter une esclave boiteuse à Lavinia, à adopter un gamin éclopé, à embaucher une nouvelle personne à la comptabilité alors que le personnel du château est déjà - lui semble-t-il - bien fourni. Sans compter cette nouvelle selon laquelle son père serait allé témoigner à décharge pour un sorcier, en décembre ! Ou encore cette affaire de l'Hôpital Général, dont il serait revenu avec une gueule cassée comme autre poussin à entretenir si les choses avaient été différemment... Au moins, cette inspection avait rapporté beaucoup d'argent à la couronne.
Qu'est-ce qui ne tourne plus rond, depuis sa promotion au poste de Premier Conseiller ? Ses délires humanitaires empiétent sérieusement sur l'argent qui devait lui revenir à lui, l'héritier du domaine. Déjà que Dyonis se refuse à l'aider à assurer son train de vie à la cour. Dans son austérité monacale et ses nombreuses dépenses pour le bien être de ses paysans, il ne comprend pas que bien s'habiller, faire des fêtes, participer à des jeux, tout cela participe aussi à tenir son rang !
Aux jeux justement... Goderigue a perdu. Plus d'argent qu'il ne l'aurait pensé... Mais il se referait ! Aussitôt qu'il aurait trouvé l'argent pour cela. Il n'aime pas ce qu'il s'apprête à commettre. Vraiment pas. Il rembourserait toutefois son père aussitôt sa fortune acquise de nouveau. Le voilà dans l'aile des bureaux, vers le placard des comptes et monnaies. Il a obtenu la clé grâce à un de ses hommes fieffé rusé - elle aussi, il la reposera. Goderigue se sert d'une bonne centaine de rilchs. Cela fera l'affaire. Il ouvre ensuite le carnet de comptes et s'applique à changer à la baisse un chiffre correspondant au coffre où il vient de prendre. Dents serrées. Gestes crispés. Il espère qu'il n'a pas fait trop de bruit...
Normalement, personne ne passe par là à ce moment, il s'en est assuré. Une fois le méfait accompli, il quitte la pièce, referme à clé, la range et se retourna vers le couloir quand soudain... il croit voir quelqu'un approcher tout près. Diantre. Qui cela peut-il être ? Que fiche ici cette personne. Pourvu qu'elle n'ait rien entendu.

Lucinde avait beau savoir pertinemment que le baron accueillait ses fils, il ne lui semblait pas avoir entendu que ceux-ci étaient censés se servir dans les coffres à leur bonne convenance. Ce qui aurait pourtant été une information assez essentielle pour bien remplir sa fonction. Alors, lorsqu'elle vit l'aîné d'entre eux sortir du bureau où elle se rendait afin de faire quelques vérifications, elle trouva à la fois sa présence, son attitude pseudo-discrète fort suspecte. Et son inquiétude en l'apercevant n'était pas pour la démentir.

— Monsieur, salua-t-elle sobrement - sans pouvoir retenir une pointe d'accusation dans sa voix. J'ignorais que vous aviez accès aux coffres.

À moins qu'un fâcheux hasard n'ait enfermé ses osselets a l'intérieur la dernière fois que l'on avait verrouillé, peut-être ? Et que ce fut tout à fait par hasard qu'il transporte cet argent. Enfin, elle préférait tout de même ne pas trop s'avancer.

Après avoir tous trois répondu à William de leurs plus grands sourires, ils entourèrent Sébastien, autant par curiosité que par volonté de faire connaissance et s'amuser. Ils n'avaient pas bien compris exactement pourquoi ce garçon était là et d'om il venait, mais puisqu'il avait plus ou moins leurs âges alors ce serait amusant. C'était toujours agréable, des camarades de jeux, il y en avait si peu autour d'eux dans la mesure où des précepteurs personnels se chargeaient de les enseigner.
Valentine ne se défit pas de son sourire et Archibald serra volontiers cette timide main tendue en retour. Le nom de famille du jeune invalide lui signifia immédiatement un roturier : leur père ne serait pas très très content. Mais bon, il n'était pas là pour le moment, et après tout en quoi jouer avec des non-nobles interférait vraiment dans l'apprentissage de leurs futurs statuts, à eux ? Valentine quant à elle n'aurait pas ce problème là avec son père - l'oncle des deux petits garçons : Tonton avait toujours été plus ouvert à beaucoup de choses.

"Oh ! Monnier, presque comme les meuniers. Est-ce que cela a à voir ou pas du tout ?"

Childéric frottait ses pieds au sol, pas très intéressé par une conversation qui se nouait, mais bien davantage attiré par la perspective de jouer ou... par le véhicule. Il s'accroupit - malgré le regard tacite de son grand frère pour lui commander de faire attention - et mit le doigt sur une des petites roues avant de demander :

"Est-ce que ça peut aller vite ? Vite comme un petit carrosse ?"


Il ne s'y était pas trompé, quelqu'un venait bien vers lui. Il eut juste le temps de se redonner une stature et un visage au dessus de tout soupçon, pour rencontrer le regard déférent de cette jeune femme. Malgré l'impeccable politesse de son salut, Goderigue sentit poindre le soupçon. L'accès aux coffres... La suite lui confirmait donc être en présence de la comptable. Jolie roquine. S'il ne connaissait pas son père sur le bout des doigts, il aurait eu quelques autres idées mais là n'était pas la question.

"Madame." rendit-il la politesse avec un hochement de tête à peine esquissé, avant de lui répondre un "Naturellement" qu'il souhaita être le plus... naturel possible précisément. Après tout, n'était-il pas le fils héritier ? Irait-elle remettre en cause sa parole et demander quoi que ce fut d'étrange à son employeur sans avoir l'air affreusement déplacé ?
Sur ce coup de poker, il pria pour que la jeune femme s'en satisfasse et que l'affaire en reste là. Goderigue ne s'éternisa pas et laissa le champ libre. Mais il savait en vidant les lieux que ces prochains temps, cette femme-ci, il allait falloir qu'il la garde à l'œil.

Naturellement ? Ah oui, elle voyait cela. Elle voyait surtout qu'il la prenait pour une demeurée. C'était qu'à son sens, il n'avait pas tant l'attitude d'un homme qui se trouvait dans son bon droit. Cela ajouté au fait qu'on ne lui ait pas fait parvenir l'information méritait largement qu'elle le vérifie plus amplement. 

— Naturellement, confirma-t-elle. Bien sûr je m'étonne que l'on n'ait pas pris la peine de m'en avertir. Au temps pour moi.

Devant cette espèce de fuite, elle ne put s'empêcher d'ajouter pour elle-même : 

— Vous comprendrez néanmoins qu'il me faille vérifier cette information. Ne fût-ce que par conscience professionnelle.

Qui était d'ailleurs la seule chose qui l'empêchait, pour l'heure, de l'accuser franchement. D'abord : vérifier les comptes. Puis conserver le registre hors de portée de toute nouvelle falsification jusqu'à savoir ce qu'il en était.

Monsieur Wagner se déplaça sur le côté et les enfants finirent vite par l'oublier, intéressés par leur nouveau potentiel camarade de jeu. Émondeur ? Archibald hochant naturellement la tête, lui qui connaissait le sens du mot. Ce qui ne fut pas le cas des deux plus jeunes, mais qui prirent la petite mine assurée de ceux qui ne veulent pas montrer leur ignorance. Tout sur leurs petites frimousses disaient plutôt "oh oui bien sûr".
La grande timidité de Sébastien et sa confidence sur l'absence du paternel tira une mine désolée à Valentine. Elle croisa les mains devant elle et, penchant la tête sur le côté :

"Oh, c'est triste ça... Tu dois te sentir seul... Est-ce que tu as quand même des amis ? Et le reste de la famille ?"

Mais Childéric s'intéressait déjà à un tout autre sujet, bien plus rigolo : le véhicule. Il adressa à Sébastien une moue aussi navrée que ses deux immenses yeux, avant de grimacer au sujet de ces douleurs qu'il préférait ne même pas imaginer... Le pauvre, le pauvre... Qu'est-ce qui avait bien pu causer ça ? Il retint sa question, saisi soudain par une autre idée. Il sautilla sur place en arguant :

"Mais si quelqu'un d'autre pousse, avec tes poignées là, tu pourrais aller vite ?" Il se dressa sur la pointe des pieds, mais son si jeune âge ne lui permettrait ni d'atteindre les poignées, ni - quand bien même - d'avoir la force de pousser, lui. "Mon frère, il est fort ! Tu veux qu'il te pousse vite ?"

"Euh ??!" réagit aussitôt Archibald, surpris par l'initiative de son cadet et surtout craintif de mal faire.


La comptable répéta du tac au tac sa réponse... se doutait-elle de quelque chose. Derrière la formule de politesse qui s'ensuivit, Goderigue sentit qu'elle n'était sûrement pas complètement dupe. Bonté Divine... il commençait déjà à regretter tout cela. Geste impulsif. Et si précipité, et tout ce qui s'en était suivi. Au moins les pécunes étaient-elles bien cachées dans le revers de sa veste matelassée et il se retira l'air de rien.
Vint alors la suite... Ah, sa conscience professionnelle n'est-ce pas. C'était sûr à présent : celle-là ne plaisantait pas et il était tombé que encore plus procédurier et administrateur que son propre père. Tandis qu'il s'éloignait, il s'enjoignait à ne rien trahir. Acquiescer comme de rien. Se retirer tranquillement.
Peste ! Restait à espérer que cet œil d'aigle ne repère pas maintenant le changement de chiffre dans le carnet. Goderigue avait fait au mieux. Et qu'elle n'aille pas non plus faire remonter ses doutes à l'intendant Wagner, voire à son père lui-même. Ah ! S'il pouvait accessoirement trouver moyen de l'éloigner...

De retour dans la grande salle, il s'efforça de penser à autre chose. Comme si rien n'était arrivé. De loin, en passant devant la grande entrée, il vit ses fils en compagnie du gamin en chariote récupéré de l'autre prêtre défroqué. Et ne put contenir un regard suspicieux.

Lucinde s'était efforcée d'inspecter les registres. Après tout, on ne farfouillait pas dans la salle des coffres juste pour le plaisir des yeux. Alors avant de s'amuser à tout recompter… et effectivement, elle finit par repérer une irrégularité. Elle était certaine d'avoir lu autre chose. 

Bon. Au-delà de toute idée d'accusation de qui que ce soit, il était clair que la priorité était de tirer cette affaire au clair et de rendre compte de tout ce qu'elle en savait. Réfléchir dans l'ordre, agir en conséquences. Cela pouvait lui retomber dessus, mais au plus vite elle s'y prenait, au moindre était le risque. Se taire maintenant, c'était se rendre complice et entrer dans un cercle vicieux qui la répugnait déjà. Hors de question de persister dans la clandestinité si elle pouvait y échapper. Elle prit donc sur elle d'aller immédiatement frapper chez son employeur - la porte, pas le personnel. S'il avait plus urgent, elle patienterait bien, mais autant régler cette affaire tout de suite.  

Elle entra lorsqu'on l'y autorisa - se rendant compte sur l'instant qu'elle aurait tout aussi bien pu interroger Monsieur Wagner, d'abord, tant pis - salua le baron et s'expliqua : 

— Pardonnez-moi de vous déranger, messire. J'ai surpris votre fils aîné près des coffres : n'ayant pas été informée, il me fallait vérifier que l'accès lui soit permis. En outre - bien que je ne puisse lier avec certitude ces deux faits - j'ai remarqué que ce registre avait été falsifié.

Elle avait prononcé le tout d'un ton parfaitement neutre et attendait désormais de savoir ce qu'il en était.

La réponse laconique de Sébastien laisse comprendre aux trois jeunes gens que le sujet de la famille semble compliqué pour lui. Peut-être ne vaut-il mieux pas insister... D'autant qu'à ce que comprennent Valentine et Archibald, leur camarade n'a effectivement pas beaucoup de compagnie auprès de ses frères et sœurs, s'ils sont plus grands et déjà au travail. C'est bien triste, tout cela. Raison de plus pour inspirer à la demoiselle un sourire et une enthousiaste table-rase du passé :

"Dans ce cas, maintenant au moins, tu es là et nous jouerons ensemble !" En tout cas... le temps de leur présence à tous trois chez Grand-Père, mais autant ne pas y penser et profiter de l'instant présent.
"Bien sûr !" enchaîne Archibald, tout flatté de se bomber un peu de son statut d'aîné et d'homme fort, lui qu'on réduit bien souvent à son statut d'héritier en devenir et aux études rigoureuses qu'il doit mener. Cela fait plaisir de parler un peu d'autre chose, et d'aborder plutôt, pour une fois, la partie plus physique de sa formation. "Tout sieur se doit d'être solide. Comme un chevalier !" ajoute-t-il plein d'entrain. Ces valeurs chevaleresques dont parle son grand-père : être vigoureux, sportif, et mettre cette vigueur et ce sens du combat au service d'autrui. Je... Je ne voudrais juste pas mal faire avec toi : je n'ai jamais poussé de chariote, ce n'est pas vraiment au programme de mes activités physiques. Mais si tu m'expliques, alors c'est d'accord ! Je te pousserai et nous irons vite !

Mais tout cet enthousiasme retombe un peu lorsque les trois petits aperçoivent enfin Goderigue et sa mine des mauvais jours... Pourquoi Père - Oncle pour Valentine - a-t-il l'air courroucé ? Ce n'est pas après eux, espèrent-ils... Un petit flottement s'installent, et les trois enfants penauds attendent une réactions. Rassurante, si possible.


Goderigue n'a pas décoléré. En partie après lui-même quoiqu'il se refuse à l'admettre pleinement. Il a bien conscience qu'il vient de commettre une énorme faute. Et qu'elle risque d'être révélée. Sauf s'il venait à trouver ces jours prochains quelque chose pour décrédibiliser la parole de la comptable. Mais pour l'heure, ses pas l'ont mené vers la grande salle où il tombe sur les enfants en compagnie du jeune Sébastien. Devant le blanc que son arrivée a jetée, il comprend aussitôt que sa contrariété n'a pas échappé à ses fils et à sa nièce. Il faut donner le change. Et la discussion des enfants lui en donne l'occasion : pas question que Goderigue perde trop son temps en stupidités auprès du jeune infirme. Ce qu'il rappela aux trois petits d'un simple et bref :

"N'en oubliez pas de retourner bientôt à vos leçons, jeunes gens." De maintien, de lois, de politique... La préceptrice de Valentine et l'enseignent de ses deux fils, qui les avaient accompagnés, ne toléreraient pas que les jeux débordent sur le moment - d'ici une bonne heure - où ils devraient se présenter pour leurs études.


Tout à ses décrets, Dyonis est surpris d'entendre frapper. Il lui faut deux secondes pour quitter pleinement ses réflexions, se redresser at papillonner un coup des yeux avant d'autoriser à entrer. C'est Madame Tiéran qu'il découvre en se retournant, et à qui il adresse un hochement de tête équivalant à un "je vous en pris" à ses excuses pour le dérangement. La connaissant, si elle vient le voir, ce n'est vraiment pas pour rien.

Et pour cause ! Ce que la comptable lui apprend le laisse un petit instant en suspend. Son fils vers les coffres ? Mais... Il n'y a pas l'accès. Il se passe quelque chose de vraiment pas net. Comment son fils peut-il avoir eu la clé ? Et s'imagine-t-il déjà maître en ce fief ? Tout cela ne plaît déjà pas du tout au seigneur, qui fronce les sourcils. La suite n'arrange rien. Une falsification. Voilà qui est très grave. Madame Tiéran prend les précautions oratoires de mise, ce qui témoigne là encore de son professionnalisme, mais elle-même tout comme Dyonis doivent être conscients au même moments qu'il ne faut pas être sorti de la cuisse de Jupiter pour comprendre le rapport de cause à effet. Qui n'a pas besoin d'être verbalisé pour que l'un comme l'autre fassent le lien. Si Goderigue a effectivement fait cela, voilà qui est très grave.

La colère monte en Dyonis. La déception et la froideur crispent ses traits, qu'il s'efforce cependant de garder neutres devant la jeune femme - par dignité, et respect pour elle. Le baron aimerait bien ne pas croire à tout ceci. Il espère de tout cœur un malentendu, pourtant les faits sont là. Mentir ? Protéger son fils et avec lui l'honneur du nom de l'héritier ? Cela n'avancerait à rien. Un mensonge finit toujours par causer des ennuis. Et ce ne serait pas faire honneur à la franchise de Madame Tiéran, chez qui le seigneur devine que ce n'est pas une partie de plaisir pour elle non plus que de venir là et prendre sur elle de formuler une telle accusation. Il dira donc la vérité lui aussi, sans détour :

"Il n'a pas cet accès." (Un temps) "Que vous a-t-il dit ? Et quels montants ont changé ?"

Lucinde ne trouvait rien d'agréable à ce qu'elle avait à dire, mais on ne l'avait engagée bi pour tergiverser, ni pour omettre. Soit : elle dit. Elle ne pouvait que saluer le sang froid de son employeur qui aurait eu dans tous les cas une raison d'être de mauvaise humeur : soit qu'elle ait raison et qu'il ait été trahi, soit qu'elle ait tort et qu'il puisse trouver offense dans les accusations qu'elle portait par sa seule présence. Elle respectait : les éclats ne servaient à rien et trop peu de gens avaient assez d'empire sur eux-mêmes. 

Comme elle s'en était doutée, le fils lui avait menti. Elle acquiesça légèrement mais fermement. Bien. Elle avait sa réponse, le baron savait ce qu'il avait à savoir et il ne se gênerait pas s'il avait d'autres questions. Quand il n'y avait rien d'utile à dire, on se taisait. Jacasser n'était pas au programme.

— Cent rilchs d'après ce que j'en ai vu, répondit-elle d'un ton tout à fait factuel. 

Un montant qui n'avait donc rien d'extravagant et elle en était ostensiblement consciente. Elle n'aurait su dire si voler si peu - pour un homme de son niveau de vie - était ridicule ou parfaitement désespéré. Tant mieux : on ne lui demandait pas d'extrapoler. Quoi qu'il en soit, une fraude restait une fraude et son travail n'était pas de s'en rendre complice.

Les trois paires d'yeux s'écarquillent quand Sébastien parlent du chevalier qu'il a rencontré. Un vrai de vrai ? Les enfants écoutent, fascinés. Coldris de Fromart. Hm, oui, ce nom leur parle de loin, ils ont bien déjà entendu leur grand-père ou leurs pères en parler. C'est apparemment un des Monsieur avec qui travaille grand-père. Mais ni Valentine ni ses cousins n'en savent davantage.

"Owoaaaaaaaaaaw !" applaudit Childéric à cet affrontement digne de Saint-Georges. "Il a bien eu raison, le chevalier. On ne trahit pas comme ça quelqu'un qui vous a fait bon accueil, na mééé !"
"Et c'était qui le vilain Monsieur ? Dis ! Dis !" s'égosille Valentine, friande d'histoires et de potins, mais aussitôt contrebalancée par Archibald qui pondère : "Hm... peut-être que c'est confidentiel et que Sébastien n'a pas à le dire." (à Sébastien) "Comme tu veux."
"Oh, c'est vrai... J'étais juste curieuse..." rosit la petite avant de traîner un pied au sol et de murmurer : "par_dooooon."

Ils se tournent vers Monsieur Wagner, retenant ce qu'il précise. Le Ministre des affaires étrangères. Voilà ! C'était ça qu'Archibald avait entendu un jour dire à son père. Les trois petites bouilles sourient à William et hochent la tête à la sage morale qu'il leur rappelle. Il avait bien raison, ce sont les actes qui parlent ! Valentine et Childéric s'écartent pour laisser l'intendant montrer à leur chevalier en herbe à faire comme il faut. Archibald observe avec attention, hoche consciencieusement la tête à mesure qu'il observe. Il s'apprête à prendre le relai quand son père intervient et... plus surprenant encore... que Monsieur Wagner fait cette proposition. Oh ! Ce serait si plaisant, un nouveau camarade d'études ! Et Sébastien apprécierait sans doute... Mais les deux garçons pressentent déjà que leur père ne goûtera pas la proposition...


Intégrer Sébastien au cours ? Et au nom de quoi ? Et les précepteurs des trois enfants ne sont pas rétribués pour gérer un élève supplémentaire. Autant par ailleurs ne pas commencer à mélanger les torchons et les serviettes. L'enseignement fait aux petits héritiers n'aurait pas grand chose de constructif pour l'avenir qui attend cet autre garçon. À chacun ses tâches.

"Non. C'est impossible."

Valentine fait la pote et pousse un "hmmmmmmmm" déçu, avant de glisser à l'oreille de Sébastien "Je te prêterai des manuels et des imagiers si tu veux."
Goderigue n'y aura pas prêté attention, retenu par Archibald qui s'aventurait à faire immédiatement contrepoids pour ne pas laisser Sébastien sur cette déception : "Mais tu as entendu, on a encore une heure de jeu. Allez ! Taga da taga da taga da !" imite-t-il en commençant déjà à promener le fauteuil à bonne vitesse comme William vient de le montrer.
"Une heure. Ne soyez pas en retard." acheva Goderigue avant de retourner à ses livres sans demander son reste, une certaine bourse toujours dans le revers de son pourpoint...


"C... Cent rilchs." répète la voix incrédule du seigneur : pas tant parce qu'il ne croit pas Lucinde qui lui semble la probité même depuis leur rencontre, mais parce qu'une si petite somme est effarante. Il se reprend et acquiesce pour signifier à la comptable qu'il ne remettait pas sa parole en cause. De là, deux options : ou bien Dieu sait quoi de désespéré est passé par la tête de Goderigue - qui lui cache des choses honteuses ; ou bien il a prévu de venir le voler par petites ponctions successibles - pas idiot, l'oiseau. Mais dans les deux cas, c'est très grave. Il devra être surveillé. Raison pour laquelle Dyonis informera William très vite de cet événement - quant bien même cela lui déplaît terriblement. Pour l'heure, il se retourne vers Madame Tiéran :
"Puis-je voir ces registres je vous prie ? Je vous suis."

Sébastien était tout fier et heureux de retenir l'attention des trois enfants avec son histoire. Il approuva d'un hochement de tête Childéric. C'était effectivement bien fait pour son père. Ce n'était pas comme s'il n'avait pas continuellement baisser de la patience de Matthias et du vicomte. Valentine souhaitait connaître plus de détails lorsque Archibald la coupa et rappela que l'affaire était peut-être confidentiel. Le jeune garçon réfléchit. Personne ne lui avait demandé de tenir le silence.

"Non, je crois pas que ça soit un secret. Et puis, tout le personnel du manoir est lui aussi au courant. Le méchant, c'est un ancien curé. Il a été révoqué il y a peu de temps car il faisait des bêtises avec ses paroissiens. Et il ne respectait jamais son vœu de chasteté. Mais c'était un ami du vicomte. Je ne sais pas comment. Alors, après ses ennuis judicaires, comme le méchant curé n'avait pas un sou, le gentil vicomte l'a accueilli au manoir. Et lui, il n'a fait que des bêtises. Alors, le vicomte s'est fâché. Voilà !"

Le dos heureusement tourné, William écoutait l'histoire naïve mais amusante de Sébastien. Sa manière de la raconter et de diaboliser ce pénible ancien curé lui donnait une furieuse envie d'éclater de rire. Il se contint cependant, les lèvres serrés, et agita le plumeau autour d'une étagère. De son état et au nombre de poussières, l'intendant jugea que la personne assignée au nettoyage de cette pièce semblait s'être relâchée. Avait-elle été malade ? Sa mémoire ne s'en rappelait pas. Il consulterait tout à l'heure les registres et chercherait à comprendre les causes de ce mystère. Pour le moment, il revint vers les enfants, tout sourire, et utilisa cette jolie fable, tissée naturellement, de Sébastien à un dessein pédagogique pour leur enseigner que la noblesse signifiait de prendre soin des faibles et lutter contre ceux qui les oppressait. Ils l'écoutaient docilement et approuvaient. Quels bons petits !

Sur cela, Goderigue se présenta pour rappeler aux enfants qu'il leur fallait se rendre à leur leçon. L'intendant tenta d'inclure Sébastien à celle-ci, ce qui ravissait les petits, mais le père refusa net. William s'en désola intérieurement. Malgré les différences sociales, les jeunes gens apprenaient beaucoup en étudiant côte à côté. Ils développaient notamment la solidarité. Combien de fois n'avait-il pas écrit discrètement des réponses à Ulysse quand celui-ci se perdait à rêvasser et risquait d'être démasqué lorsque leur percepteur l'interrogeait ? Ou Morgane et lui avaient appris à envoyer sous la table des coups de pieds dans la cheville pour lui rappeler de se taire quand Ulysse entreprenait de dissertait pour reprendre en question le cours du professeur. Quel dommage que le fils ainé du baron ne puisse le comprendre ! Néanmoins, l'intendant respecta la volonté du père.

"Excusez-moi, messire."

William retint un sourire en constatant que les enfants s'attachaient à conserver leur heure de jeu et à la compagnie de Sébastien. au même moment, le jeune garçon sourit à Valentine en entendant sa proposition.

"Merci. C'est très gentil. Moi, si tu veux, je peux te montrer, moi, l'abécédaire illustré que m'a offert mon grand frère."

Sur cela, Archibald se mit à pousser l fauteuil et Sébastien applaudit pour l'encourager.

"Ah ! T'es trop fort !"

Touten surveillant le jeu, William observa le père se retirer et iclina poliment la tête.

"J'y veillerai, messire, soyez rassuré."

— Ou du moins n'en ai-je pas vu plus, mais il m'a semblé que cela suffisait à vous avertir, confirma-t-elle.

Après tout, un vol était un vol, et réussi, cela appelait à récidive. C'était aussi simple que cela. Lucinde fit glisser dans ses mains le registre qu'elle avait calé devant elle et s'apprêtait à demander quand le baron réclama consultation. Elle acquiesça dans un « tout de suite » et l'ouvrit pour le lui présenter immédiatement au bon endroit. 

— Voici. L'irrégularité constatée est à ce niveau, précisa-t-elle en désignant le chiffre maquillé.

Goderique ne se sera pas attardé, une fois rappelées ses directives. Heureusement, les enfents entendent bien profiter de cette heure qu'ils ont encore devant eux. Ils sont plutôt contents que Sébastien ne soit pas tenu au secret concernant le vilain curé et le chevalier. Goderigue écarquille les yeux et secoue la main devant sa bouche pour se scandaliser :
"Des bêtises ? Oh la la la la ! Mais quels genres de bêtises avec les paroissiens ?"
"En tout cas, il avait bien de la chance d'être accueilli malgré ses bêtises. Il est trop bête d'avoir gâché son asile." s'insurge Valentine.

La déception des trois petits à ne pas pouvoir accueillir Sébastien dans leurs cours les tient un instant. Heureusement, déjà des promesses d'échanges de savoir s'organisent. Et autant voir le verre à moitié plein : ils vont regarder les temps de jeux qu'ils auront de disponible puisque désormais Sébastien vit ici. Valentine se penche pour l'entourer de ses bras et s'égaye d'un large sourire à sa proposition :
"Oh oui ! Oh oui volontiers ! Faisons ça alors, des échanges ! Et puis j'aime beaucoup regarder des dessins !"

Mais déjà, la grande ballade de fauteuil roulant au rythme preste d'Archibald commence et s'égosille de s'entendre ainsi complimenté par Sébastien. Satisfait, il redouble de ses imitations équestres et effectue quelques virages avec le siège, allant et venant dans la grande salle.


"Et vous avez bien eu raison." répond Dyonis. "Ainsi va-t-on pouvoir enrayer l'affaire s'il... s'il avait l'intention de venir dérober de nouveau." achève-t-il même si ces mots lui serrent la gorge. Son fils. Son propre fils... Qu'a-t-il pu manquer ? La colère est bien là mais ne doit pas prendre le dessus : Madame Tiéran a fait son travail - et très bien agi. Et même face à Goderigue, il sera compliqué de ne pas exploser, pour privilégier une froide conversation.
Mais d'ici là, il faut prendre des mesures... Il n'a pas besoin de bouger de là pour voir Lucinde lui révéler immédiatement le document qu'elle a donc - très judicieusement - mis à l'abri. En observant l'endroit qu'elle lui indique, Dyonis remarque les trafics. Oh, la chose est subtile et peut très bien passer pour quiconque ne s'y arrête pas avec attention... Cependant l'œil averti de la comptable a été bien acéré, et Dyonis lui-même reconnaît un trait typique de Goderigue. Il déglutit silencieusement. Le seigneur acquiesce.
Dans la plus grande urgence, il doit donc aller trouver le capitaine des gardes et diligenter l'enquête pour trouver qui s'est laissé soudoyer pour donner la clé à Goderigue. Il lui fait mal au cœur du reste d'avoir à demander surveillance contre son propre fils, mais puisque les choses en sont là... Une autre personne doit immédiatement être informée : Dyonis rend le cahier à Lucinde et reprend : "Je vais aller de ce pas prendre les mesures qui s'imposent du côté de la surveillance au sein du domaine. Puis-je vous demander d'aller trouver Monsieur Wagner et lui faire part de ce que vous venez de me signifier ? En tant qu'intendant, il va être tout comme vous un appui solide pour veiller à ce que ces faits - ou des similaires - ne surviennent plus. Je souhaiterais enfin que vous gardiez le secret et rapportiez à moi uniquement de nouveaux manquements."

Sans vouloir se vanter, Lucinde pensait bien avoir eu la réaction la plus adaptée. Sans commentaire. Ni à ce sujet, ni à celui d'une récidive. Comme demandé, elle lui ouvrit le registre et lui désigna le nombre où elle avait note la fraude, priant pour que cette affaire ne lui retombe pas sur le nez. Elle n'avait pas envie de gâcher sa chance de retrouver une certaine stabilité aussi… bêtement. Il n'y avait pas d'autre mot. Mais paniquer ou être nerveuse ne lui aurait rien apporté, alors autant s'en abstenir. D'autanr qu'elle n'avait rien à se reprocher. Elle aviserait si cette affaire devait lui nuire. 

La colère qu'elle devine chez le baron la laisse impavide. Elle récupère le document comme il le lui rend et ouvre l'oreille à ses instructions, acquiesçant au besoin. Pour le secret, cela relevait de l'évidence. 

— C'est entendu, messire, notifie-t-elle plus qu'elle ne ressent le besoin de l'accepter. Si vous voulez bien m'excuser, je m'en charge immédiatement.

Son congé accepté, Lucinde quitta le bureau en quête de l'intendant qui avait eut la charmante idée de ne pas aller se perdre au centre d'un labyrinthe - en remerciant la collègue qui avait daigné lui indiquer son emplacement. Elle le trouva auprès des quatre enfants auxquels elle ne put s'empêcher de sourire - au moins cette course de fauteuil n'avait-elle pas abouti dans ses genoux. 

— Bonjour, jeunes gens, les salua-t-elle avec un regard pour chacun. Puis-je vous emprunter Monsieur Wagner un moment, je vous prie ?

La comptable se tourna vers l'intendant : elle voyait qu'il était occupé plus ou moins occupé, mais c'était important et à priori pas long.

— Je vous en prie, déclare le seigneur tandis que Madame Tiéran prend aussitôt les choses en main, prête à aller informer William et ranger ailleurs le livre des comptes. Et croyez bien qu’il n’est pas question que votre honnêteté vous vaille le moindre ennui. J’y veillerai, se sent-il le devoir d’ajouter : si son fils aîné a été capable de volerie, qui dit désormais qu’il n’essayerait pas de s’en prendre à la messagère…

C’est certain à présent : il faut mettre le chef de la garde et Monsieur Wagner dans le secret. Et veiller particulièrement à ce que la comptable ne risque pas de payer d’une façon ou d’une autre que pour avoir obéi à sa conscience professionnelle. Il la salue d’un signe de tête et, aussitôt Lucinde sortie, le baron se dirige d’un pas décidé vers l’aile de service où il sait trouver le capitaine. Quant à Monsieur Wagner… pauvre de lui, il peut déjà imaginer sa tête quand Madame Tiéran va lui faire part d’une pareille nouvelle. Il ne manquait plus que cela.


— Taga da taga da taga da, wouuuuuuh attention virage ! Poursuit joyeusement Archbald en se promenant avec Sébastien dont il pousse les poignets. Il le bascule un peu en arrière en s’écriant : Dos d’âne ! Hop ! Alors tu aimes l’équitation ?

Le plaisir de son camarade assis et ses applaudissements l’encouragent d’autant plus : c’est un régal que de partager un moment comme celui-là et de permettre à Sébastien de faire quelque chose qu’il doit si peu connaître. Après un allègre tour de la grande salle, ils s’en reviennent vers les deux autres et, tout rieur, l’aîné reprend son souffle en écoutant ces affreuses histoires de mauvais prêtre.

— Haaaaaaaan ! s’outre Valentine en secouant une main devant sa bouche : abuser de ses paroissiennes, que n’entendaient-ils pas là. Mais. C’est. Im-pie ! (Un temps) Enfin… si… oui, si c’est vrai, bien sûr, ajoute-t-elle soudain un peu moins scandalisée, alors que Monsieur Wagner rappelle l’importance de ne pas croire trop vite ce qui n’est pas parfaitement avéré.

Bon. Autant en rester là. Et puis il sera plus amusant et constructif de parler d’échanges de lectures. Pendant la discussion des plus grands, Childéric aura fait quelques petits pas vers leurs affaires d’études, puis revient avec un des ouvrages de Valentine, avec la permission de celle-ci d’un petit sourire. Elle prend le livre en main et approche de Sébastien, fidèle à la promesse de plus tôt : s’échanger de quoi s’entraîner à déchiffrer – ou simplement profiter des images. Toute contente, elle l’ouvre devant lui et présente les gravures :

— Ce sont les Neuf Preux. Les neuf grands personnages modèle dans l’éducation des chevaliers. Là c’est Hector, là Alexandre le Grand, là Jules César. Ça, c’est pour ceux de l’Antiquité. (Elle passe à la page voisine) Après il y a les preux de la Bible : Josué, et puis Judas – mais pas le vilain qui a trahi Jésus, un autre Judas – et puis ça c’est le roi David qui a lancé le caillou au géant. (Tournant la page) Et pour finir, là c’est Charlemagne, le roi Arthur et Go… Go… Hmf, il est plus difficile à lire lui, quelle idée de s’appeler comme ça ! Je le retiens jamais… (se concentre) Godefroy de Bouillon.

Inévitablement, le nom de ce dernier les fait pouffer, elle et Childéric. Mais c’est alors qu’entre Madame Tiéran, à qui les deux plus jeune adressent un coucou de la main tandis qu’Archibald lui sourit.

— Oh oui, Madame. Nous serons sages, promis, assure Archibald.
— D’accord Monsieur, assure à son tour Valentine, soudain très sérieuse à la mission que lui confie William. Nous serons à l’heure.

Et tout en gardant un œil et une oreille à la conversation, elle commence à regarder consciencieusement l’horloge. Childérid arrondit une bouche curieuse de son côté, bien curieux de ce qu’il peut y avoir comme secret à se dire entre Madame Tiéran et Monsieur Wagner. Oh, mais ça ne le regarde pas, ce sont des affaires de grandes personnes, se raisonne-t-il soudain.

Soulagée par l'assurance donnée, Lucinde ne tarde toutefois pas à aller s'enquérir de sa tâche. Elle prend le temps de sourire aux enfants, son visage un instant radouci par leur présence, et acquiesce à la promesse du jeune Archibald. Elle ne s'en faisait pas trop, ils ne seraient pas loin. 

William et elle sortirent donc dans le couloir. La comptable s'assura de l'absence d'oreille indiscrète avant d'exposer la situation à voix basse.

— Le baron m'a chargée de vous informer que son fils aîné avait - selon toute apparence - volé dans les coffres et falsifié le registre.

Les trois jeunes gens ne se souciaient plus du tout de la discussion entre Monsieur William et la jolie Madame-renarde Théran. Ils étaient si occupés ! Cela devait être important et ne les regardait pas. Et puis, ils avaient mieux à faire. Comme parler de chevalerie avec leur nouveau camarade. C'était un beau terrain d'entente qui stimulait particulièrement Archibald et Valentine. Un jour, elle aussi donnerait son cœur à un Preux comme ceux des livres.

"Alexandre le Grand et Alexandre le Petit" plaisanta-t-elle un coup, avant de retrouver plus de sérieux : "J'rigole. Je suis sûre qu'il est plein de Graaaandes qualités ailleurs." (Un temps) "Je ne sais pas pour le bouillon, mais oui, peut-être qu'il était souvent en colère. En tout cas, il a sauvé la chrétienté pendant de grandes batailles." Une idée fantaisiste lui vint soudain : "Et toi ? Comment tu voudrais te nommer si tu étais un Preux plus tard ? Sébastien le... Sébastien le..."

Valentine trouvait que Sébastien le Mène-Char, ou Sébastien Frère-de-Cœur lui irait bien, mais elle garda les idées pour elle et le laissera décider. De temps en temps, ils ne manquaient pas tous les trois de suivre le regard scrupuleux de la fillette sur l'horloge. Bien vite, trop vite à leur goût, elle les enjoignit de quitter Sébastien pour rejoindre leurs leçons. Toutefois, elle laissa son livre à leur nouvel ami, avec un bisou sur la joue en prime. Ils seraient bien vite de retour et pourraient jouer de nouveau après la classe.

Il était agréable que William lui épargne les grandes manifestations d'indignations particulièrement vaines - quoi que relativement compréhensibles - que d'autres auraient pu avoir. À une question simple et concrète, elle offrit une réponse qui l'était tout autant. 

— Pour ce qui nous concerne : discrétion et vigilance.

Le reste ne la regardait pas et si la curiosité le piquait, il pourrait bien essayer de l'apprendre par lui-même. Elle saurait bien ce qu'elle avait besoin de savoir de toute façon.