[7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
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[7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
De légères courbatures tiraient les bras de Tristan après sont grand tour du domaine en compagnie de l'intendant. Concentré, il avait tout observé avec un mélange de fascination et de prudence. Il fallait retenir les embranchements de ce vaste domaine afin de faire un bon travail. La visite avait aussi offert au jeune invalide d'admirer les boiseries gorgée de lumières, les tentures et le métal tranchant d'armes centenaires. Les arbres du parc restaient ce qui l'avaient le plus retenu, et apaisé dans ce nouvel environnement.
Après la visite, il avait fallu enchaîner sur l'apprentissage du matériel de cuisine et Tristan fut vite mis à la besogne. La fatigue montait en lui, il était fourbu. Les épaisses volutes de fumée et les flammèches des plats sur le feu gonflaient autour de lui tandis qu'il s'activait en tous sens au milieu d'autres serviteurs. Beaucoup l'avaient regardé avec ce mélange de curiosité, de voyeurisme ou de compassion auquel il avait bien fû s'habituer depuis des années. Tristan n'y répondait que par sa mine timide et un sourire trouble.
Après la visite, il avait fallu enchaîner sur l'apprentissage du matériel de cuisine et Tristan fut vite mis à la besogne. La fatigue montait en lui, il était fourbu. Les épaisses volutes de fumée et les flammèches des plats sur le feu gonflaient autour de lui tandis qu'il s'activait en tous sens au milieu d'autres serviteurs. Beaucoup l'avaient regardé avec ce mélange de curiosité, de voyeurisme ou de compassion auquel il avait bien fû s'habituer depuis des années. Tristan n'y répondait que par sa mine timide et un sourire trouble.
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Après son bain, Lucrezia avait revêtu une robe en soie, brocardée de fils d'or, dont la servante lui indiqua la propriétaire ; elle l'oublia, mais retint qu'elle était morte. Cela l'intéressa. S'il fallait se renseigner sur le seigneur du lieu, la morte en saurait long.
Lorsqu'elle descendit, Lucrezia avait un air de contrariété sur le visage. Il aurait été plus simple et discret d'agir loin des domestiques. S'il faisait trop de difficultés, il faudrait lui arracher les yeux.
Il ne lui vint pas à l'esprit qu'il y avait une difficulté, pour l'infirme, à monter les étages sur son chariot.
Elle erra un moment. Tout à coup, elle vérifia le flacon d'encre entre ses seins, la plume froissée dans sa poche et le contenu de la bourse dont la servante lui avait fait le prêt, car la défunte la portait toujours sur la robe. Elle y avait mis le nécessaire.
Il fallait trouver le garçon puis se mettre à l'ouvrage. Elle s'orienta à l'odeur ; il y avait aussi l'appel de l'ambre. On lui jeta un ou deux regards surpris. Les invités se tenaient en général loin des cuisines ; mais ceux qui l'avaient vue en nonne, à son arrivée, lui imaginèrent une sympathie envers le petit personnel : leur imagination persuada les autres. Son vœu supposé de silence et sa fonction lui laissèrent le champ libre.
Elle fronça les sourcils. Son énervement lui déplut. Soupirant, elle regarda par la fenêtre et compta les arbres du grand domaine.
Lorsqu'elle descendit, Lucrezia avait un air de contrariété sur le visage. Il aurait été plus simple et discret d'agir loin des domestiques. S'il faisait trop de difficultés, il faudrait lui arracher les yeux.
Il ne lui vint pas à l'esprit qu'il y avait une difficulté, pour l'infirme, à monter les étages sur son chariot.
Elle erra un moment. Tout à coup, elle vérifia le flacon d'encre entre ses seins, la plume froissée dans sa poche et le contenu de la bourse dont la servante lui avait fait le prêt, car la défunte la portait toujours sur la robe. Elle y avait mis le nécessaire.
Il fallait trouver le garçon puis se mettre à l'ouvrage. Elle s'orienta à l'odeur ; il y avait aussi l'appel de l'ambre. On lui jeta un ou deux regards surpris. Les invités se tenaient en général loin des cuisines ; mais ceux qui l'avaient vue en nonne, à son arrivée, lui imaginèrent une sympathie envers le petit personnel : leur imagination persuada les autres. Son vœu supposé de silence et sa fonction lui laissèrent le champ libre.
Elle fronça les sourcils. Son énervement lui déplut. Soupirant, elle regarda par la fenêtre et compta les arbres du grand domaine.
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Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Affairé à son travail, les mains dans les légumes écossés et les casseroles à laver, Tristan laissait ses pensées flotter, balleriner au milieu des odeurs, se métamorphoser au gré des teintes crépusculaires. La danse cependant était douloureuse, et les teintes comme celles d'une toile vieillie. Un âcre pressentiment. Il ressentit l'approche d'une présence et ses lèvres tremblantes murmurèrent, sans même qu'il s'en aperçût, quelque prière à la Mère pour éviter le pire.
Il la vit approcher des arbres, dans l'encadrement de la porte. Tristan prétexta de lui servir lui-même à manger pour charger une soupe chaude, du fromage de qualité et de la brioche sur ses genoux. Il demanda la permission de quitter un instant son poste pour apporter les mets à la nonne. Il promit de revenir rapidement à ses tâches. Tôt ou tard, leur rencontre aurait lieu. Autant que ce fût donc maintenant, et non loin des domestique qui allaient et venaient, selon la prudence que Tristan avait calculé.
Il s'approcha de Lucrezia, lui sourit et lui tendit le plateau. Tournait en lui un mêlement de peine pour cette personnalité qu'il devinait plus qu'ébréchée et sans doute encore heurtée par la scène de la taverne ; de dureté malgré tout pour le feu qui aurait pu faire bien plus de victimes que seulement le prêtre ; et de sympathie malgré tout pour des traits dans lesquels il se retrouvait : une connexion avec un autre monde, des visions, une invalidité, une famille qui vous jette... Perdu au milieu de sa sensibilité exacerbée, il lui laissera la main pour la "conversation".
Il la vit approcher des arbres, dans l'encadrement de la porte. Tristan prétexta de lui servir lui-même à manger pour charger une soupe chaude, du fromage de qualité et de la brioche sur ses genoux. Il demanda la permission de quitter un instant son poste pour apporter les mets à la nonne. Il promit de revenir rapidement à ses tâches. Tôt ou tard, leur rencontre aurait lieu. Autant que ce fût donc maintenant, et non loin des domestique qui allaient et venaient, selon la prudence que Tristan avait calculé.
Il s'approcha de Lucrezia, lui sourit et lui tendit le plateau. Tournait en lui un mêlement de peine pour cette personnalité qu'il devinait plus qu'ébréchée et sans doute encore heurtée par la scène de la taverne ; de dureté malgré tout pour le feu qui aurait pu faire bien plus de victimes que seulement le prêtre ; et de sympathie malgré tout pour des traits dans lesquels il se retrouvait : une connexion avec un autre monde, des visions, une invalidité, une famille qui vous jette... Perdu au milieu de sa sensibilité exacerbée, il lui laissera la main pour la "conversation".
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Ils étaient là.
Lucrezia jeta à l'infirme un regard féroce ; mais se refréna aussitôt, transformant la colère en un sourire placide. Elle remarqua tout à coup qu'elle était dans un réfectoire, non loin de la cuisine, et dont la fenêtre donnait sur l'arrière-cour. Plus loin, les sommets des séquoias se balançaient dans l'air du soir.
La plupart des domestiques s'étaient rassasiés là. Ils devaient avoir reçu leur soirée : en l'absence du maître, il ne restait plus grand-monde ici. Quelques serviteurs se trouvaient toutefois dans les parages. On astiquait l'argenterie, d'après le bruit, dans le garde-vaisselle.
Elle s'assit à la table. Le garçon lui tendit un plateau sur lequel la soupe fumait. Il y avait aussi de la brioche et du fromage. Mais ce serait plus simple en utilisant la soupe.
Très souriante, elle invita l'infirme à poser le plateau devant elle et à approcher son chariot. Comme il les avait servis dans le cabinet vert, il n'avait pas dû manger. Elle poussa vers lui l'écuelle de soupe et mima l'acte de la boire. En même temps, Lucrezia tira de la bourse, à couvert de la table, la petite fiole de belladone et de pavot, adoucis par la passiflore. Elle en retira aussi, coincée entre l'annulaire et le majeur, l'un de ses petits cristaux de lithomancie ; il tomba, très opportunément, sous le chariot du garçon.
Tandis qu'il se penchait très obligeamment pour le lui rendre, elle fit sauter le bouchon de la petite fiole et la versa dans la soupe. Elle achevait le geste en même temps qu'il se redressait. Ils échangèrent un regard difficile à déchiffrer.
Lucrezia jeta à l'infirme un regard féroce ; mais se refréna aussitôt, transformant la colère en un sourire placide. Elle remarqua tout à coup qu'elle était dans un réfectoire, non loin de la cuisine, et dont la fenêtre donnait sur l'arrière-cour. Plus loin, les sommets des séquoias se balançaient dans l'air du soir.
La plupart des domestiques s'étaient rassasiés là. Ils devaient avoir reçu leur soirée : en l'absence du maître, il ne restait plus grand-monde ici. Quelques serviteurs se trouvaient toutefois dans les parages. On astiquait l'argenterie, d'après le bruit, dans le garde-vaisselle.
Elle s'assit à la table. Le garçon lui tendit un plateau sur lequel la soupe fumait. Il y avait aussi de la brioche et du fromage. Mais ce serait plus simple en utilisant la soupe.
Très souriante, elle invita l'infirme à poser le plateau devant elle et à approcher son chariot. Comme il les avait servis dans le cabinet vert, il n'avait pas dû manger. Elle poussa vers lui l'écuelle de soupe et mima l'acte de la boire. En même temps, Lucrezia tira de la bourse, à couvert de la table, la petite fiole de belladone et de pavot, adoucis par la passiflore. Elle en retira aussi, coincée entre l'annulaire et le majeur, l'un de ses petits cristaux de lithomancie ; il tomba, très opportunément, sous le chariot du garçon.
Tandis qu'il se penchait très obligeamment pour le lui rendre, elle fit sauter le bouchon de la petite fiole et la versa dans la soupe. Elle achevait le geste en même temps qu'il se redressait. Ils échangèrent un regard difficile à déchiffrer.
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Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Le membre 'Lucrezia di Subiaco' a effectué l'action suivante : Lancer de dés
'Acte avec point fort' :
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Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Une vive tension était là. Tristan se doutait qu'elle émanait de Lucrezia, malgré le petit sourire de convenance qu'elle accrochait à sa face. A présent que le jeune infirme avait totalement retrouvé sa conscience du réel et quitté ses rêveries, il s'attacha à observer plus en détail la jeune femme. D'où venait cette tenue qu'elle portait ? Cela ne risquait-il pas d’éveiller les soupçons des autres domestiques, de voir une nonne censée avoir fait vœu de pauvreté troquer sa robe religieuse pour un luxueux habit ?
-- C'qu'elle est belle ! souffla Tristan en pointant la robe.
Une défunte... Tristan savait que le seigneur de Frenn avait perdu sa femme. Était-ce de ses habits à elle qu'on avait sorti ce vêtement à prêter à l'hôte ? Curieux.
Lucrezia s'installa pour manger et laissa soudain tomber une pierre. Tristan prit soin de la ramasser et de la lui tendre, avant de la voir lui proposer sa soupe. C'est vrai qu'il avait beaucoup travaillé et pas encore mangé. La faim commençait à se faire sentir. Tout autour, les autres employés s'affairaient à leurs besognes et paraissaient ne pas faire attention à eux. Le flottement âcre d'une impression de danger tournait encore cependant dans la poitrine de Tristan. Il eut quelques secondes d'immobilité devant le potage. Une hésitation. D'un coup d’œil, il consulta Lucrezia et murmura comme par instinct :
-- Qu'est-c'que vous voulez exactement ici ? Pourquoi ?
-- C'qu'elle est belle ! souffla Tristan en pointant la robe.
Une défunte... Tristan savait que le seigneur de Frenn avait perdu sa femme. Était-ce de ses habits à elle qu'on avait sorti ce vêtement à prêter à l'hôte ? Curieux.
Lucrezia s'installa pour manger et laissa soudain tomber une pierre. Tristan prit soin de la ramasser et de la lui tendre, avant de la voir lui proposer sa soupe. C'est vrai qu'il avait beaucoup travaillé et pas encore mangé. La faim commençait à se faire sentir. Tout autour, les autres employés s'affairaient à leurs besognes et paraissaient ne pas faire attention à eux. Le flottement âcre d'une impression de danger tournait encore cependant dans la poitrine de Tristan. Il eut quelques secondes d'immobilité devant le potage. Une hésitation. D'un coup d’œil, il consulta Lucrezia et murmura comme par instinct :
-- Qu'est-c'que vous voulez exactement ici ? Pourquoi ?
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Elle se força à la patience.
Afin de le mettre en confiance, elle décida de répondre à la question. Lucrezia leva l'index, puis fit un petit geste circulaire, indiquant le château ; puis, levant la main, les doigts repliés à l'horizontale, elle suggéra l'idée d'un grand homme. Elle prit ensuite l'air de quelqu'un qui a perdu un petit objet, et, juste ensuite, elle simula l'acte de peindre.
Ensuite, elle leva l'index et le majeur. Lucrezia montra son propre cœur. Elle eut un geste très vague.
Enfin, Lucrezia montra l'index, le majeur et l'annulaire, en tenant son auriculaire à l'aide du pouce de l'autre main. Elle pointa l'index sur son interlocuteur.
Elle afficha alors son plus gentil sourire et l'invita à manger la soupe. Elle donna l'exemple en saisissant un petit bout de brioche, qu'elle grignota lentement, à sa façon mécanique et inhumaine.
Afin de le mettre en confiance, elle décida de répondre à la question. Lucrezia leva l'index, puis fit un petit geste circulaire, indiquant le château ; puis, levant la main, les doigts repliés à l'horizontale, elle suggéra l'idée d'un grand homme. Elle prit ensuite l'air de quelqu'un qui a perdu un petit objet, et, juste ensuite, elle simula l'acte de peindre.
Ensuite, elle leva l'index et le majeur. Lucrezia montra son propre cœur. Elle eut un geste très vague.
Enfin, Lucrezia montra l'index, le majeur et l'annulaire, en tenant son auriculaire à l'aide du pouce de l'autre main. Elle pointa l'index sur son interlocuteur.
Elle afficha alors son plus gentil sourire et l'invita à manger la soupe. Elle donna l'exemple en saisissant un petit bout de brioche, qu'elle grignota lentement, à sa façon mécanique et inhumaine.
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Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Tristan crut comprendre qu'elle avait besoin de lui pour percer les secrets du château... ou plutôt du domaine de quelqu'un d'autre. Un peintre ? A moins qu'elle ne voulût lui signifier par là que leur vision conjointe serait perçante, comme celle d'un artiste, pour repérer cet homme. Sans doute l'individu qui l'avait fait souffrir, comme il l'avait découvert en vision dans son Antre... Que voulait lui faire Lucrezia ? Tristan frémit à l'intuition de cette vengeance et de la colère fort légitime de la jeune femme.
D'un regard ferme, il choisit d'accorder sa confiance à Lucrezia et de lui laisser la responsabilité de la suite. Si elle l'agressait, d'ailleurs, les serviteurs du domaine qui rôdaient autour interviendraient aussitôt. Tristan prit le pari. A petites gorgées, il avala le breuvage. Il ignorait ce qu'il pouvait y avoir dedans, comme souvent il pressentait seulement mais sans y mettre de mots précis.
D'un regard ferme, il choisit d'accorder sa confiance à Lucrezia et de lui laisser la responsabilité de la suite. Si elle l'agressait, d'ailleurs, les serviteurs du domaine qui rôdaient autour interviendraient aussitôt. Tristan prit le pari. A petites gorgées, il avala le breuvage. Il ignorait ce qu'il pouvait y avoir dedans, comme souvent il pressentait seulement mais sans y mettre de mots précis.
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
C'était un mélange de belladone et de pavot, adouci par la passiflore. Il n'en fallait pas beaucoup pour plonger un homme robuste dans le sommeil fantasmatique. La belladone, en particulier, restait un recours sûr : un huitième d'once, ou drachme, de l'eau distillée de la feuille, entraînait une excitation des sens ; deux drachmes menaient au sommeil halluciné ; trois drachmes rendaient le sujet fou pour l'essentiel de sa vie ; et, au-delà, c'était l'extase et le cimetière. Enfin le garçon n'aurait là, vu la dose, qu'un sommeil long, hanté, pénible, au réveil duquel il ne saurait pas s'il avait vu une femme, le diable, ou un double de lui-même errant dans le labyrinthe d'un monde d'extase et d'ennui.
Cela ferait vite effet. Lucrezia affichait toujours son sourire ; elle avait posé n'importe où le bout de brioche et, d'un hochement de tête encourageant, elle observait fixement le garçon.
Cela ferait vite effet. Lucrezia affichait toujours son sourire ; elle avait posé n'importe où le bout de brioche et, d'un hochement de tête encourageant, elle observait fixement le garçon.
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Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Ça tournait. Vite. Ça pulsait entre ses tempes avec des soubresauts de danse désarticulée. Puis le poids s'installa. Deux menhirs sur ses pupilles trop lourdes. Une vague gonfla la poitrine tremblante de Tristan et sa tête plongea de sommeil contre le bois de la table. Le sommeil le statufiait mais ses larges yeux et son esprit restaient très alertes. Décuplés, même. L'invalide haletait, dardait ses pupilles dans celles de la jeune femme.
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
[Je lance un dé pour les domestiques et l'intendant de Dyonis : est-ce qu'ils calent les pratiques cheloues de Lucrezia avec Tristan ? ]
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Le membre 'Dyonis Howksley de Frenn' a effectué l'action suivante : Lancer de dés
'Audace' :
'Audace' :
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Le maître a bien fait de donner des consignes de surveillance : Guillaume et trois hommes ont gardé Sœur Lucie et Tristan à l’œil et les surprises ne manquent pas d'arriver. Ou plutôt les confirmations des choses étrange observées plus tôt : une mystérieuse besace au contenu que la prétendue none cache, des pratiques peu catholiques...
Et maintenant, la voilà qui a fait boire au nouveau domestique une soupe pour le plonger dans le sommeil et le livrer à ce qu'elle voulait. Toujours cachés, l'intendant et ses hommes se regardent : faut-il intervenir ? Observer encore un peu ? Ils choisissent la deuxième option pour le moment. Une chose est sûre : le seigneur de Frenn serait informé de tout à son retour et l'étrange hôte rendrait des comptes.
Et maintenant, la voilà qui a fait boire au nouveau domestique une soupe pour le plonger dans le sommeil et le livrer à ce qu'elle voulait. Toujours cachés, l'intendant et ses hommes se regardent : faut-il intervenir ? Observer encore un peu ? Ils choisissent la deuxième option pour le moment. Une chose est sûre : le seigneur de Frenn serait informé de tout à son retour et l'étrange hôte rendrait des comptes.
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Lucrezia le vit s'affaisser sur la table. Il avait les yeux ouverts sur un autre monde ; il dormait toutefois.
Elle le regarda, comme s'il s'agissait d'un petit animal blessé, puis prit un air maternel. Se levant, elle le redressa dans son chariot, où il continua à rêver, le regard fixé devant lui, vide et brûlant. Elle essuya un peu de la soupe qui lui collait au visage en utilisant son mouchoir ; lorsqu'il n'en resta plus beaucoup, elle remit le mouchoir dans sa manche en le repliant lentement. Puis elle lui caressa les cheveux, comme on souhaiterait une bonne nuit tranquille à un jeune enfant, et, s'assurant qu'il était bien calé, la tête en arrière et les bras sur les accoudoirs, Lucrezia le poussa dans sa charrette en dehors du réfectoire.
Elle avait emporté, dans sa main, le couteau du fromage.
Elle marchait à pas lents, très droite, en prenant un air de majesté. Cette fois-ci, Lucrezia n'erra pas. Elle savait qu'il fallait traverser les communs, remonter le couloir aux blasons, se diriger vers le donjon, à la base duquel il devait y avoir la chambre. On la lui indiqua à l'intérieur de sa tête : il y avait une femme, enceinte quatre fois, qui n'allait plus dormir au piano nobile ; trop de ventre et trop de médecins s'y opposaient. Elle y était morte et l'on n'entrait plus dans ses appartements.
Le donjon massif imposait l'énormité de sa pierre à la largeur du couloir. On croyait changer d'époque en le voyant. Lucrezia ouvrit la porte et poussa l'infirme à l'intérieur. Là, elle barra l'accès, en repoussant d'abord les targettes, puis en assujettissant les deux barres de traverse. Il faudrait de la force et du temps pour rentrer dans ce donjon médiéval.
Ils se trouvaient dans un boudoir rempli de curiosités. Celui-ci donnait sur la chambre. Elle savait qu'il n'y avait pas d'autre issue.
Le garçon dormirait encore un moment. Dans son cauchemar, les figures se succéderaient, faites de vie et de mort, de fantasme et de réalité. Lucrezia l'installa devant un guéridon. Elle s'assit face à lui, le regard toujours couvant, toujours maternel.
Elle s'aperçut qu'elle avait dans la main le couteau pour le fromage et s'interrogea. Fallait-il lui prendre les yeux maintenant, tant qu'il dormait ? Ou fallait-il les utiliser sur lui, pour trouver Giacometti ? Si elle n'arrivait pas à utiliser le noble à cette fin, il lui faudrait le trouver par ses propres moyens. Cela aurait lieu dans l'esprit.
Elle soupira. Il était très gentil, se souvint-elle tout à coup ; mais il ne tenait pas en place. Avait-il vraiment besoin de ses yeux ? Comme elle avait un peu de temps, Lucrezia voulut réfléchir. Comme toujours, la réflexion lui fut impossible, et son esprit dériva vers d'inquiétants objets.
Elle le regarda, comme s'il s'agissait d'un petit animal blessé, puis prit un air maternel. Se levant, elle le redressa dans son chariot, où il continua à rêver, le regard fixé devant lui, vide et brûlant. Elle essuya un peu de la soupe qui lui collait au visage en utilisant son mouchoir ; lorsqu'il n'en resta plus beaucoup, elle remit le mouchoir dans sa manche en le repliant lentement. Puis elle lui caressa les cheveux, comme on souhaiterait une bonne nuit tranquille à un jeune enfant, et, s'assurant qu'il était bien calé, la tête en arrière et les bras sur les accoudoirs, Lucrezia le poussa dans sa charrette en dehors du réfectoire.
Elle avait emporté, dans sa main, le couteau du fromage.
Elle marchait à pas lents, très droite, en prenant un air de majesté. Cette fois-ci, Lucrezia n'erra pas. Elle savait qu'il fallait traverser les communs, remonter le couloir aux blasons, se diriger vers le donjon, à la base duquel il devait y avoir la chambre. On la lui indiqua à l'intérieur de sa tête : il y avait une femme, enceinte quatre fois, qui n'allait plus dormir au piano nobile ; trop de ventre et trop de médecins s'y opposaient. Elle y était morte et l'on n'entrait plus dans ses appartements.
Le donjon massif imposait l'énormité de sa pierre à la largeur du couloir. On croyait changer d'époque en le voyant. Lucrezia ouvrit la porte et poussa l'infirme à l'intérieur. Là, elle barra l'accès, en repoussant d'abord les targettes, puis en assujettissant les deux barres de traverse. Il faudrait de la force et du temps pour rentrer dans ce donjon médiéval.
Ils se trouvaient dans un boudoir rempli de curiosités. Celui-ci donnait sur la chambre. Elle savait qu'il n'y avait pas d'autre issue.
Le garçon dormirait encore un moment. Dans son cauchemar, les figures se succéderaient, faites de vie et de mort, de fantasme et de réalité. Lucrezia l'installa devant un guéridon. Elle s'assit face à lui, le regard toujours couvant, toujours maternel.
Elle s'aperçut qu'elle avait dans la main le couteau pour le fromage et s'interrogea. Fallait-il lui prendre les yeux maintenant, tant qu'il dormait ? Ou fallait-il les utiliser sur lui, pour trouver Giacometti ? Si elle n'arrivait pas à utiliser le noble à cette fin, il lui faudrait le trouver par ses propres moyens. Cela aurait lieu dans l'esprit.
Elle soupira. Il était très gentil, se souvint-elle tout à coup ; mais il ne tenait pas en place. Avait-il vraiment besoin de ses yeux ? Comme elle avait un peu de temps, Lucrezia voulut réfléchir. Comme toujours, la réflexion lui fut impossible, et son esprit dériva vers d'inquiétants objets.
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Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Il dormait encore, l’œil bien alerte cependant. Sa conscience était bien là, corsetée dans une enveloppe qui se refusait à lui et floutée par des visions qu'il ne savait toutes bien réelles. Sa tête roula entre les mains de Lucrezia. Ses vertèbres remontèrent, une à une, pour reprendre une position droite. Chaque bras à son accotoir.
La route coula sous ses roues entre deux vagues de briques. Elle le poussait au milieu d'ombres de morts ou de vivants. Domestiques au loin ou fantômes de visions partagées. Il y eut les armures des grands hommes et les tressages de leurs victoires, les bougies à la lumière dégoulinante et les formes qui s'étiraient. Il haletait en suivant le fil. Puis sa respiration se faisait silencieuse, presque inexistante. Avant de jaillir à nouveau sans ordre.
Tristan se sentit porté. Déposé entre les murs d'une tour. Une main dans ses cheveux. Une lame dans l'autre. Et ses pupilles dorées fixées entre les deux. L'ordre des événements s'était écroulé entre les parois de son crâne. Sa voix comme séparée de son corps, toute offerte à un autre et à des souvenirs différents des siens, murmura le long de son voyage :
-- Père... trop loin les mots sont partis... ton frère et un coup et... des yeux... ça troque la vue et la voix.... Gia... Gia...
C'avait été à peine audible. La fragilité des sons vacilla et s'éteignit. Tristan plongea à nouveau dans la brume et quelques larmes roulèrent de ses yeux.
La route coula sous ses roues entre deux vagues de briques. Elle le poussait au milieu d'ombres de morts ou de vivants. Domestiques au loin ou fantômes de visions partagées. Il y eut les armures des grands hommes et les tressages de leurs victoires, les bougies à la lumière dégoulinante et les formes qui s'étiraient. Il haletait en suivant le fil. Puis sa respiration se faisait silencieuse, presque inexistante. Avant de jaillir à nouveau sans ordre.
Tristan se sentit porté. Déposé entre les murs d'une tour. Une main dans ses cheveux. Une lame dans l'autre. Et ses pupilles dorées fixées entre les deux. L'ordre des événements s'était écroulé entre les parois de son crâne. Sa voix comme séparée de son corps, toute offerte à un autre et à des souvenirs différents des siens, murmura le long de son voyage :
-- Père... trop loin les mots sont partis... ton frère et un coup et... des yeux... ça troque la vue et la voix.... Gia... Gia...
C'avait été à peine audible. La fragilité des sons vacilla et s'éteignit. Tristan plongea à nouveau dans la brume et quelques larmes roulèrent de ses yeux.
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
L'intendant et ses hommes n'ont rien raté de la manœuvre. Ils pistent le duo de loin, au milieu des autres serviteurs occupés à leurs travaux et qui n'ont pas plus que cela prêté attention à la machination. Le contremaître prend soin de marcher à une certaine distance de la femme pour ne pas la perdre ni éveiller les soupçons. Elle se rend dans le donjon, un couteau à la main. La porte est soigneusement fermée.
En chuchotant et avec des gestes discrets, Gullaume prépare une intervention si nécessaire. On va chercher une masse pour enfoncer le battant si les choses dérapent. L'homme écoute. Il essaie de capter ce qui peut bien arriver de l'autre côté. Au moindre bruit suspect (et sans doute même sans cela), il faudra entrer, neutraliser la femme. Et tout rapporter au seigneur à son retour. L'intendant écoute encore un peu.
En chuchotant et avec des gestes discrets, Gullaume prépare une intervention si nécessaire. On va chercher une masse pour enfoncer le battant si les choses dérapent. L'homme écoute. Il essaie de capter ce qui peut bien arriver de l'autre côté. Au moindre bruit suspect (et sans doute même sans cela), il faudra entrer, neutraliser la femme. Et tout rapporter au seigneur à son retour. L'intendant écoute encore un peu.
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Les mots du garçon la tirèrent du néant.
Que disait-il ? Il parlait trop bas !
Lucrezia avait eu l'intention d'utiliser à nouveau les yeux pour voir, comme elle l'avait fait dans l'antre. Elle voulait voir ce qui s'était réellement produit il y avait six ans. Elle voulait retrouver Giacometti.
Pour ce faire, il aurait fallu qu'il la retrouve à l'écart, comme elle l'avait suggéré. Mais il semblait réticent. Lucrezia avait donc imaginé, s'imprégnant de l'esprit d'une ancienne femme, de le conduire en un lieu discret, où la séance aurait lieu. Mais, comme il était trop contrariant, elle avait emporté le couteau. S'il ne voulait pas l'aider, il lui suffirait de lui ôter les yeux ; ce n'était pas grand-chose.
En remarquant le couteau dans sa main, Lucrezia avait eu une hésitation. Les yeux verraient-ils s'ils roulaient sur la table ? Auraient-ils la lumière des yeux de l'autre ? Cela l'avait absorbée. Les mots du garçon l'avaient ramenée au point où la conscience entrait en contact avec le présent. Il avait l'air de voir ! Comment cela se pouvait-il ? Sans connexion intime entre eux, sans le pentacle, il voyait ! La dissipation de son esprit dans la belladone entraînait bien des cauchemars, mais s'ils surgissaient d'un esprit pour peupler l'esprit d'un autre, il devait y avoir autre chose...
Quand le garçon ne bougea plus, Lucrezia lâcha le couteau. Il tomba sur la tapis. Comme elle avait bondi debout, tout près de l'infirme, elle vit des larmes sur son visage. Elle les essuya du doigt. Une intuition lui bouleversait le cœur. Il lui sembla, tout à coup, qu'elle aurait pu parler ! Mais il lui manquait la vérité.
Se jetant sur l'infirme, en s'asseyant à demi sur lui, Lucrezia le saisit par la tunique et le secoua de toute sa faible force ; elle répandait sur lui les pleurs muets d'un vieux désespoir : l'effondrement du manoir de son enfance et de la maison de son esprit.
Que disait-il ? Il parlait trop bas !
Lucrezia avait eu l'intention d'utiliser à nouveau les yeux pour voir, comme elle l'avait fait dans l'antre. Elle voulait voir ce qui s'était réellement produit il y avait six ans. Elle voulait retrouver Giacometti.
Pour ce faire, il aurait fallu qu'il la retrouve à l'écart, comme elle l'avait suggéré. Mais il semblait réticent. Lucrezia avait donc imaginé, s'imprégnant de l'esprit d'une ancienne femme, de le conduire en un lieu discret, où la séance aurait lieu. Mais, comme il était trop contrariant, elle avait emporté le couteau. S'il ne voulait pas l'aider, il lui suffirait de lui ôter les yeux ; ce n'était pas grand-chose.
En remarquant le couteau dans sa main, Lucrezia avait eu une hésitation. Les yeux verraient-ils s'ils roulaient sur la table ? Auraient-ils la lumière des yeux de l'autre ? Cela l'avait absorbée. Les mots du garçon l'avaient ramenée au point où la conscience entrait en contact avec le présent. Il avait l'air de voir ! Comment cela se pouvait-il ? Sans connexion intime entre eux, sans le pentacle, il voyait ! La dissipation de son esprit dans la belladone entraînait bien des cauchemars, mais s'ils surgissaient d'un esprit pour peupler l'esprit d'un autre, il devait y avoir autre chose...
Quand le garçon ne bougea plus, Lucrezia lâcha le couteau. Il tomba sur la tapis. Comme elle avait bondi debout, tout près de l'infirme, elle vit des larmes sur son visage. Elle les essuya du doigt. Une intuition lui bouleversait le cœur. Il lui sembla, tout à coup, qu'elle aurait pu parler ! Mais il lui manquait la vérité.
Se jetant sur l'infirme, en s'asseyant à demi sur lui, Lucrezia le saisit par la tunique et le secoua de toute sa faible force ; elle répandait sur lui les pleurs muets d'un vieux désespoir : l'effondrement du manoir de son enfance et de la maison de son esprit.
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Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Elle le chevauchait. Le secouait. Il crut un instant sentir les os de son cou rompre sous les assauts. Au milieu de l'agitation de son corps, le délire intérieur s'évapora et Tristan retomba. Cette fois-ci il était calme, profondément endormi, poupée entre les mains de la femme. Les yeux pourtant toujours terriblement ouverts et brûlants comme deux soleils sur un autre monde.
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Il ne répondait pas !
Lorsqu'elle eut cessé de le secouer, Lucrezia vit qu'il y avait de nouvelles larmes sur son visage. Elle ne comprit pas qu'il s'agissait des siennes.
Il fallait qu'il réponde. S'il ne disait pas ce qu'il avait vu, il faudrait lui arracher les yeux, bien sûr ; mais s'ils ne voyaient plus ? Une rage incroyablement froide et lointaine enfonça son ultime brûlure au fond de son cœur ; puis ses traits glacés s'attaquèrent à ses jambes, ses bras, ses doigts, son cou, la poursuivirent jusqu'au profond de son âme et des territoires spirituels sur lesquels, six ans durant, elle avait traqué la vérité dans le mensonge et l'invention. C'était un sentiment terrible et inhumain, comme la chute d'une étoile de haine, à l'extrémité du ciel, dans un océan d'indifférence.
Elle se releva, tira le fauteuil du garçon jusqu'à la chambre et le versa maladroitement sur le lit de la morte. Comme elle ôtait les solides cordons des rideaux du baldaquin, les rideaux retombèrent sur les trois côtés. Ils étaient maintenant dans les grenats sépulcraux d'un suaire de sommeil. Les fentes de jour du vieux donjon, comme il était tard, dispensaient une lumière morte et qui n'éclairait pas. Dans le tombeau du lit fermé, une forme se mouvait au-dessus d'une autre ; et c'était tout.
Lorsqu'elle eut attaché l'infirme aux montants du baldaquin, à l'aide des cordons, et lorsqu'elle eut ramassé le couteau dans l'antichambre, Lucrezia tira de la bourse l'autre breuvage : elle l'avait fabriqué dans son bain. Ramassé non loin de la Garde-Prudence, l'aconit napel donnait le vertige et des sueurs le long du dos ; puis les forces s'évanouissaient, l'esprit divaguait, la respiration n'était plus si facile ; et l'on mourait bien vite, en douceur.
Le couteau lui sortirait les yeux de leurs cavités s'il le fallait. L'aconit était pour elle.
Elle s'assit sur l'infirme et attendit son réveil. Ils se regardèrent tout ce temps.
Lorsqu'elle eut cessé de le secouer, Lucrezia vit qu'il y avait de nouvelles larmes sur son visage. Elle ne comprit pas qu'il s'agissait des siennes.
Il fallait qu'il réponde. S'il ne disait pas ce qu'il avait vu, il faudrait lui arracher les yeux, bien sûr ; mais s'ils ne voyaient plus ? Une rage incroyablement froide et lointaine enfonça son ultime brûlure au fond de son cœur ; puis ses traits glacés s'attaquèrent à ses jambes, ses bras, ses doigts, son cou, la poursuivirent jusqu'au profond de son âme et des territoires spirituels sur lesquels, six ans durant, elle avait traqué la vérité dans le mensonge et l'invention. C'était un sentiment terrible et inhumain, comme la chute d'une étoile de haine, à l'extrémité du ciel, dans un océan d'indifférence.
Elle se releva, tira le fauteuil du garçon jusqu'à la chambre et le versa maladroitement sur le lit de la morte. Comme elle ôtait les solides cordons des rideaux du baldaquin, les rideaux retombèrent sur les trois côtés. Ils étaient maintenant dans les grenats sépulcraux d'un suaire de sommeil. Les fentes de jour du vieux donjon, comme il était tard, dispensaient une lumière morte et qui n'éclairait pas. Dans le tombeau du lit fermé, une forme se mouvait au-dessus d'une autre ; et c'était tout.
Lorsqu'elle eut attaché l'infirme aux montants du baldaquin, à l'aide des cordons, et lorsqu'elle eut ramassé le couteau dans l'antichambre, Lucrezia tira de la bourse l'autre breuvage : elle l'avait fabriqué dans son bain. Ramassé non loin de la Garde-Prudence, l'aconit napel donnait le vertige et des sueurs le long du dos ; puis les forces s'évanouissaient, l'esprit divaguait, la respiration n'était plus si facile ; et l'on mourait bien vite, en douceur.
Le couteau lui sortirait les yeux de leurs cavités s'il le fallait. L'aconit était pour elle.
Elle s'assit sur l'infirme et attendit son réveil. Ils se regardèrent tout ce temps.
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Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
On entend des hoquets, comme des pleurs, et des bruits de secousse. Un siège est traîné. La femme s'introduit dans la chambre de feu-Madame. L'intendant se retourne vers ses quatre hommes et ordonne :
"On y va !"
La masse fait sauter les verrous de la porte. Les commis s'introduisent dans la pièce, armes sonnantes et bottes fracassantes. Des lances sont pointées et les épées sont tirées autour de Lucie, encerclée. Guillaume hurle du dehors :
"A la gade !! Ici !!"
Il rentre à son tour. Le spectacle est glaçant : Tristan, inconscient, solidement attaché au piliers du lit. La soupe empoisonnée n'était rien à côté. La démente qui le chevauche et semble ivre de rage, les joues cramoisies et les yeux baignés de larmes folles. Des pas résonnent dans les escaliers et on groupe de soldats finit par arriver. Le contremaître donne ses directives à toute allure :
"Vous deux, allez fouiller la besace de cette sorcière ! Toi, garde la porte. Toi, la fenêtre."
Un dernier petit groupe resserre son cercle armé autour de la femme.
"On y va !"
La masse fait sauter les verrous de la porte. Les commis s'introduisent dans la pièce, armes sonnantes et bottes fracassantes. Des lances sont pointées et les épées sont tirées autour de Lucie, encerclée. Guillaume hurle du dehors :
"A la gade !! Ici !!"
Il rentre à son tour. Le spectacle est glaçant : Tristan, inconscient, solidement attaché au piliers du lit. La soupe empoisonnée n'était rien à côté. La démente qui le chevauche et semble ivre de rage, les joues cramoisies et les yeux baignés de larmes folles. Des pas résonnent dans les escaliers et on groupe de soldats finit par arriver. Le contremaître donne ses directives à toute allure :
"Vous deux, allez fouiller la besace de cette sorcière ! Toi, garde la porte. Toi, la fenêtre."
Un dernier petit groupe resserre son cercle armé autour de la femme.
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
La sueur perlait à son front.
Ces limaces s'étaient surpassées ! Détruire en quelques secondes le lourd battant d'un donjon médiéval lorsque l'on est un commis de cuisine ou un valet de pied !
Mais peu importait : la vengeance n'aboutirait plus. Lucrezia lâcha le couteau. La robe et le lit de la défunte, inondés de transpiration, lui collaient à la peau. Malgré l'immense colère de laisser son oncle et Giacometti libres, de laisser les meurtriers s'ébattre en riant dans les ruines de l'empire de son père, un calme surnaturel l'envahit. Sa respiration n'était plus qu'un mince filet d'air.
Ces larves souffriraient pour leur erreur. Il y avait un autre espace, où habitaient les esprits. Là-bas, sous la forme d'un spectre de glace et de poussière, elle marcherait dans un long désert rocheux sous la nuit sans lune ; et les imprécations que l'on lançait là-bas s'abattaient sur les vivants, et les pleurs que l'on y versait n'aidaient personne.
S'étranglant, Lucrezia revit tout à coup un homme lui donner un objet. Elle était plus jeune et sur les genoux de son père. Ils se tenaient sur une bergère, à l'étage du manoir des di Subiaco, sur la grand'place. C'était un couloir de tentures rouges, si semblables, au fond, au baldaquin du lit de la morte ! Elle avait toujours aimé s'asseoir dans les couloirs. Les serviteurs de la famille et les employés de la boutique, emportant les vêtements de luxe dont son père faisait commerce, empruntaient le couloir le nez dans leurs affaires, sans s'arrêter ni remarquer la fillette. Et cela lui plaisait beaucoup. Le monde et la vie avaient été ce défilement d'êtres sans destination. Seul point fixe, elle avait vu les buts secrets de leur marche ; elle en devait payer le prix : ne jamais atteindre le sien.
Mais c'était à nouveau l'homme et la fillette. Il la tenait sur ses genoux, comme un don du ciel ; la fillette, elle, tenait dans ses mains, comme un don de son père, un saphir noir. C'était un miroir multiple, énorme et parfait, montrant un reflet des sept mondes.
Son corps s'effondra sur celui du garçon. Sa main laissa rouler la fiole d'aconit à terre.
Dans l'antichambre, au fond de la besace de Lucrezia, les sept faces se lézardèrent tout à coup de sept fissures. L'instant d'après, le saphir noir tombait en poussière.
Ces limaces s'étaient surpassées ! Détruire en quelques secondes le lourd battant d'un donjon médiéval lorsque l'on est un commis de cuisine ou un valet de pied !
Mais peu importait : la vengeance n'aboutirait plus. Lucrezia lâcha le couteau. La robe et le lit de la défunte, inondés de transpiration, lui collaient à la peau. Malgré l'immense colère de laisser son oncle et Giacometti libres, de laisser les meurtriers s'ébattre en riant dans les ruines de l'empire de son père, un calme surnaturel l'envahit. Sa respiration n'était plus qu'un mince filet d'air.
Ces larves souffriraient pour leur erreur. Il y avait un autre espace, où habitaient les esprits. Là-bas, sous la forme d'un spectre de glace et de poussière, elle marcherait dans un long désert rocheux sous la nuit sans lune ; et les imprécations que l'on lançait là-bas s'abattaient sur les vivants, et les pleurs que l'on y versait n'aidaient personne.
S'étranglant, Lucrezia revit tout à coup un homme lui donner un objet. Elle était plus jeune et sur les genoux de son père. Ils se tenaient sur une bergère, à l'étage du manoir des di Subiaco, sur la grand'place. C'était un couloir de tentures rouges, si semblables, au fond, au baldaquin du lit de la morte ! Elle avait toujours aimé s'asseoir dans les couloirs. Les serviteurs de la famille et les employés de la boutique, emportant les vêtements de luxe dont son père faisait commerce, empruntaient le couloir le nez dans leurs affaires, sans s'arrêter ni remarquer la fillette. Et cela lui plaisait beaucoup. Le monde et la vie avaient été ce défilement d'êtres sans destination. Seul point fixe, elle avait vu les buts secrets de leur marche ; elle en devait payer le prix : ne jamais atteindre le sien.
Mais c'était à nouveau l'homme et la fillette. Il la tenait sur ses genoux, comme un don du ciel ; la fillette, elle, tenait dans ses mains, comme un don de son père, un saphir noir. C'était un miroir multiple, énorme et parfait, montrant un reflet des sept mondes.
Son corps s'effondra sur celui du garçon. Sa main laissa rouler la fiole d'aconit à terre.
Dans l'antichambre, au fond de la besace de Lucrezia, les sept faces se lézardèrent tout à coup de sept fissures. L'instant d'après, le saphir noir tombait en poussière.
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Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Le groupe reste sidéré par la scène qui suit. Ils ne s'attendaient pas à cela. Il faudra rendre des comptes ! Il ne peuvent pas laisser cette femme mourir. Et la laisser s'éteindre dans la chambre de Feu-Madame pourrait attirer le Mauvais-Œil... Deux hommes se précipitent vers elle et l'allongent. Un autre part chercher de l'alcool fort et des compresses.
Guillaume est livide devant la précipitation des événements. Il a hâte du retour du seigneur et le redoute en même temps. L'homme se signe pieusement. Pour s'occuper en attendant du nouveau, il saisit un couteau et détache les mains de Tristan.
Quelques instants plus tard, au milieu des soldats penauds, le duo revient avec le nécessaire et tente de ranimer Lucie. Un suicide ? Ils en frémissent. Il paraît que c'est un crime contre Dieu.
Guillaume est livide devant la précipitation des événements. Il a hâte du retour du seigneur et le redoute en même temps. L'homme se signe pieusement. Pour s'occuper en attendant du nouveau, il saisit un couteau et détache les mains de Tristan.
Quelques instants plus tard, au milieu des soldats penauds, le duo revient avec le nécessaire et tente de ranimer Lucie. Un suicide ? Ils en frémissent. Il paraît que c'est un crime contre Dieu.
- Spoiler:
- Est-ce que tu veux la tuer ou pas ? Je pensais à un interrogatoire et à une potentielle alliance au retour de Dyonis après les rituels que ses hommes ont constaté
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
[Les hommes de Dyonis finissent par tenter le tout pour le tout : une bassine, un vomitif, de violentes pressions dans le ventre... Lancer de dés : est-ce que c'est efficace ? (Et Cent-visages, si tu veux réveiller Tristan et tenter un truc aussi comme le suggère Milady ) ]
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Le membre 'Dyonis Howksley de Frenn' a effectué l'action suivante : Lancer de dés
'Audace' :
'Audace' :
Re: [7 septembre] Vers les cuisines [Terminé]
Ce fut dans ce chaos que les paupières de Tristan se rouvrirent dans une lente faiblesse. Il gémit et tourna péniblement la tête pour voir les ombres reconstituer des formes à peu près claires autour de lui. Les hommes du seigneur allaient et venaient. On s'agitait. Les poignets de l'infirme lui faisaient mal : il y vit des cordes qu'on avait coupées. Et surtout Lucrezia inconsciente à côté de lui. Tristan poussa un cri hébété, qui tirait sur le râle tant la fatigue l'étouffait encore.
Il ne comprenait pas. Cette soupe... Tout ce qui était venu ensuite ne formait qu'un magma informe dans sa mémoire embrumée. Il avait mal au crâne. Quand il comprit que la jeune femme était mourante, il haleta et ses tempes sonnèrent. Ses doigts se crispèrent. Il lui semblait que le peu de forces dont il jouissait à cet instant se réunissaient et qu'un genre de transmission opérait. Comme si les récents envoûtements de Lucrezia le liaient momentanément à elle. De cruels étourdissements le reprirent et de nouvelles larmes coulèrent le long de ses joues tandis qu'il la regardait.
Il ne comprenait pas. Cette soupe... Tout ce qui était venu ensuite ne formait qu'un magma informe dans sa mémoire embrumée. Il avait mal au crâne. Quand il comprit que la jeune femme était mourante, il haleta et ses tempes sonnèrent. Ses doigts se crispèrent. Il lui semblait que le peu de forces dont il jouissait à cet instant se réunissaient et qu'un genre de transmission opérait. Comme si les récents envoûtements de Lucrezia le liaient momentanément à elle. De cruels étourdissements le reprirent et de nouvelles larmes coulèrent le long de ses joues tandis qu'il la regardait.
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