[23 Septembre 1597] Un bon bain... [Terminé]

Sorcière-de-Pacotille le laissait partir, bien que très ironique sur les bords. Bon, ce serait toujours temps de prendre sa revanche un autre jour. Ce n'était pas parce qu'il avait perdu une bataille qu'il avait dores et déjà perdu la guerre. Il reviendrait à la charge un autre jour, quand il aurait fait ses armes. Pour le moment, la paix tacite était très bien.

Il allait s'en aller définitivement quand il entendit la voix de Keshalgër - davantage chuchoti - se fit entendre. De là, Sylvère ne pouvait pas dire ce qui se disait mais pas de doute pour une chose pour savoir que ça le concernait d'une manière ou d'une autre.

La voix d'Hyriel retint son attention. Une voix malicieuse de celui qui avait une idée en tête. Comme s'il cherchait à l'occuper ailleurs. Il les dévisagea, tous, un par un et remarqua comme si de rien, avec une voix qui n'en restait pas moins un peu aigre :

- Vous me prenez vraiment pour un con.

Cependant, la demande d'Hyriel était sérieuse. Il était en train de réclamer un des pots de confiture. S'il pensait qu'il allait lui en donner un si facilement ! Après ces quelques minutes à ne rien faire pour l'aider et même à, pour ainsi dire, prendre parti. Mais certainement pas avec lui.

- Mais je ne vous quitte que temporairement, mon cher médecin ! Un au revoir n'a rien d'un adieu, bien entendu !

Il fit mine de s'incliner ironiquement et reprit avec un sourire en coin, alors qu'il se redressait :

- Quant au partage de la récolte... Pourquoi ferais-je une chose pareille ?

Un nouveau sourire pour enchaîner sans tarder sur la suite :

- J'ai bien dit que j'étais un Roi qui ne faisait pas travailler ses sujets infirmes. Je serais fort mal élevé si je donnais la moitié de ma charge au concerné et je m'en voudrais de le lui faire transporter à ma place.

Et puis, à l'heure actuelle, Sylvère ne se sentait pas redevable pour un sou. Et c'était bien tentant de le faire patienter le bras tendu encore un peu, histoire de se venger. Il allait ajouter autre chose quand...

- Dis, Hyriel, tu veux que le Roi Sylvère partage sa nourriture avec toi ? Pourquoi ? Lui, il ne sait rien faire, comme son égal le Roi de Monbrina !

Sylvère se tourna vers l'enfant et la regarda avec de grands yeux. Alors là... c'était carrément vexant ! Ils le pensaient vraiment imbécile à ce point ?! Mais...

Comment ça, il ne savait rien faire ? Il y avait quand même une différence entre lui et le Roi de Monbrina, non ? Qu'on dise à ce dernier de vivre dans une forêt, sans larbin pour le servir, et on verrait ! Lui, il savait chasser, se servir d'une arme quand il en avait besoin, grimper aux arbres, faire un feu, décrocher la bourse d'un noble sans qu'il ne s'en rende compte... Bon, enfin, le dernier, il ne fallait mieux pas s'en vanter.

Mais tout de même !

- Comment ça je ne sais rien faire ? demanda-t-il en se tournant vers Charlotte, en ayant abandonné toute moquerie.

Ne disait-on pas que la vérité sortait de la bouche des enfants, après tout ? Il devait avouer que tout cela l'avait chamboulé.

Keshalgër sourit à Charlotte, cette gamine est futée et a du caractère. Puis s'ensuit une série d’événements qui se terminent par... Un roi vexé, Keshalgër est prise de fou rire devant la réaction puéril de Sylvére.

- Ha ha ha ha. Le grand roi d'Aiguemorte, vexé par les mots d'une enfant. Ha ha ha ha ha !

Son rire devient incontrôlable et elle se met dos a un arbre en se tenant le ventre. Rire autant n'arrange pas ses douleurs mais ça fait du bien d'une certaine façons, elle avais pas autant ri depuis un bout de temps.

- V-Ha ha ha ha Vous devriez monter un théâtre dans cette-Ha ha ha ha... Cette forêt, vous feriez un ma-ha ha ha ha malheur.

Keshalgër en a les larmes aux yeux, mais elle n'arrive toujours pas à se calmer devant le comique de la situation, un brigand bardé d'armes se fait ridiculiser par une fillette.

Hyriel écouta la réponse de Cassandre à la sorcière. Il se laissa aller à sourire. Effectivement, c’était une bonne situation, ça, fille de grande dame. Il la regarda à nouveau tourbillonner avec un grand sourire jusqu’à ce que Sylvère énonce une certaine vérité. Il se contenta d’arborer un air innocent et l’écouta rejeter sa demande. C’était à prévoir. Tant pis car, après tout, il n’en avait en effet pas tellement besoin mais, si cela pouvait titiller Sylvère… Son sourire s’étira à sa justification finale. C’était bien retourné, il fallait le reconnaître. Il faisait des progrès.
 
Il se retourna alors vers Cassandre et s’attendrit à sa question. Il se retenait de rire aussi en pensant au visage de Sylvère qui devait bien devenir Sylvère de rage… Et alors la sorcière éclata d’un rire franc, si franc qu’elle semblait ne plus pouvoir s’arrêter. Monter un théâtre ? C’était là une idée. Il se redressa avec des airs d’acteur pour prendre une grande inspiration avant de se pencher, écartant les bras comme s’il contait une histoire.
 
« Cela serait fort plaisant. Nous aurions joutes verbales et réflexions, tragédies et comédies, actions et manipulations, de quoi attirer un beau public et réjouir le maître des lieux avec ses prix d’entrée ! »
 
Il se réadossa à son tronc avec un grand sourire.
 
« Oui, ce serait amusant… »

Un théâtre ? Cassandre tourna la tête vers Keshalgër qui riait adossé à un arbre et lui jeta un regard de travers. Là-dessus, Hyriel choisissait de rebondir sur ses paroles et continuait à se moquer de Sylvère. Elle se sentait gênée pour lui. Il était certes gamin mais ne méritait pas non plus qu'on l'enfonce comme ça.

Sévère, les mains sur les hanches, Cassandre répliqua à Hyriel :

"Tu étais plus gentil que ça dans la cabane."

Elle fixa en même temps Keshalgër qui s'amusait follement dans la scène.

"Et vous, même si Sylvère vous a beaucoup embêté avec ses impôts, il ne mérite pas qu'on se moque de lui."

Elle se tourna finalement vers le fameux Roi des brigands qui était effectivement vexé de sa remarque. Sa colère ne lui faisait pas peur.  Dans le pire des cas, elle savait que Hyriel la protégerait. D'accord, elle venait d'être un peu dure avec lui mais sans se montrer non plus impolie. elle n'avait fait que le reprendre sur la bonne manière de se conduire.

"Si tu ne volais que des nobles, je ne dirai rien. Au contraire, je t'encouragerai. Mais quand tu demandes des impôts à n'importe qui venant dans la forêt, tu embêtes les gens ! Les gens en ville ils ont besoin du peu qu'ils ont ! Ils mettent du temps et s'usent la santé pour s'offrir la moindre chose ! Et tu trouves ça juste, toi, de le leur voler ?"

Les morts sortaient seuls de ses émotions qui remontaient. Toutes ces frustrations enfouies remontaient et explosaient au visage du malheureux Sylvère. Son discours en devint même personnel.

"J'ai volé moi aussi. Quand je pouvais pas faire autrement. Quand je crevais de faim. Mais même le ventre douloureux à en mourir, j'ai jamais volé quelqu'un qui aurait été gêné. Je volais au marché des fruits. A des marchands riches. Qui n'auraient pas de manque. "

Dans un élan d'aigreur, elle remonta la manche de sa robe. Son index appuya la peau blanche de son épaule. la terrible marque, le sinistre M, était gravé dans la peau de la fillette.

"J'ai reçu ça à dix ans. Pour avoir volé une pomme. Une putain de pomme. Parce que j'avais faim. Parce que j'allais mourir de faim. Tu trouves ça juste, toi ? Moi, je trouve ça juste de voler parce qu'on a faim, parce qu'on peut pas se nourrir autrement. mais toi.. toi, t'as sans doute plein de capacités, non ? Tu peux chasser ou pêcher ! Ou poser des pièges ! mais t'as préféré détrousser les honnêtes qui demandent rien, qui veulent juste vivre, et ça, ça, je trouve ça méchant ! Tu vaux pas mieux que les nobles ! Tu vaux pas mieux que l'autre Roi qui a son cul assis sur le trône doré !"

Alors que Cassandre rabaissa la manche de sa robe, elle continua à fixer Sylvère de son air colérique.

Oui, il était vexé. Parfaitement ! Et alors ? Ce n'était pas Sorcière-de-Pacotille et ses propositions ridicules qui allaient arranger les choses ! Surtout que le fou rire qu'elle avait à l'heure actuelle avait quelque chose de très... désobligeant. Monter un théâtre ? Et puis quoi, encore ?

Et l'autre imbécile de médecin qui approuvait ! Il fallait mieux entendre cela qu'être sourd ! Et encore … finalement, il se posait la question. Il avait envie de lui arracher son immense sourire pour le lui faire avaler !

Et puis, soudain, la petite voix de Charlotte résonna de nouveau et attira son attention momentanément :

- Tu étais plus gentil que ça dans la cabane. Et vous, même si Sylvère vous a beaucoup embêtée avec ses impôts, il ne mérite pas qu'on se moque de lui.

Sylvère la regarda dans rien dire. Elle était vraiment en train de... de le défendre ? Il eut un moment de surprise. Pourtant, cela ne dura pas longtemps. Quelques secondes plus tard, elle se tournait vers lui. Et s'il s'était attendu à cette floppée de reproches ! Quoique si... finalement, un peu.

Il ne pouvait nier : elle n'avait pas totalement tord non plus. Il aurait pu trouver des arguments lors de la première partie de son discours – c'était encore assez général pour que ce soit faisable. Mais quand elle évoqua son passé ? Un passé bien dur pour une gamine si jeune...

- J'ai volé moi aussi. Quand je pouvais pas faire autrement. Quand je crevais de faim. Mais même le ventre douloureux à en mourir, j'ai jamais volé quelqu'un qui aurait été gêné.

Et sur ce, elle remonta la manche de sa robe, pour dévoiler le M sur sa peau. La tristement célèbre marque des esclaves. La preuve incontestable que sa vie n'avait rien d'enviable.

À côté, il avait la vie simple et heureuse. Il ne pouvait rien répondre à cela. Pas alors qu'il était né dans une situation convenable, même s'il n'était peut-être pas très reluisante. Avec des parents qui s'étaient toujours démenés pour lui et qui, même s'ils n'avaient pas les moyens, avaient payé ce qu'on leur demandait de payer par sa faute. Sylvère n'avait jamais eu de problèmes grâce à eux. Il avait toujours eu un toit, n'avait jamais eu vraiment faim et par dessus tout, et le plus important à ses yeux : il était libre. Pas de M sur l'épaule.

Et enfin. La conclusion. Ce qui était bien le plus rude à ses yeux.

- Tu vaux pas mieux que les nobles ! Tu vaux pas mieux que l'autre Roi qui a son cul assis sur le trône doré !

Combien de fois on le lui avait dit ? Même ses parents avaient fini par le penser, à force de le voir raccompagner chez lui par les autorités. Il était un vaurien. Il avait fini par y croire lui-même et certains jours, il lui arrivait de se le dire.

Mais dans la bouche d'une gamine de douze ans... cela n'avait pas la même sonorité. Il y était attaché le goût aigre de la vérité. Il ne dit rien pendant un long moment, puis enfin... :

- Tu veux savoir toute l'étendue de mes capacités ? Je n'ai aucun talent particulier.

Il admirait ces honnêtes gens qui menaient une activité légale et qui suivaient les règles comme il se devait. Il hésita une seconde puis s'accroupit pour déposer les deux pots de confiture au sol, avec la claire intention de les rendre à sa propriétaire. Il se redressa et déclara, en abandonnant définitivement toute forme d'arrogance qui lui était propre :

- Et personne n'a jamais dit que je valais quelque chose non plus.

Il s'inclina avec beaucoup plus d'humilité, surtout vers Charlotte.

Keshalgër va de surprise en surprise. Déjà il y a le fait que Charlotte prenne la défense de Sylvère, mais cette surprise là est moindre comparée aux autres. Sylvère, le théâtrale, le grand roi d'Aiguemorte... fait preuve d'humilité. Keshalgër est surprise certes, mais de manière positive : là, a ce moment précis Sylvère ressemble enfin à un homme et non à un adolescent en manque d'attention.

Et cette facette de Sylvère que la sorcière découvre, cela le fait remonter dans son estime. Et puis il y a aussi l'histoire de Charlotte. Keshalgër en a croisé d'autres des comme elle, il y en a partout... mais Keshalgër ne parviendra jamais à s'habituer à la souffrance des autres. Certaines personnes finissent blasées et habituées à force de voir les autres souffrir, ils finissent pas voir ça comme une norme. Et parfois même ceux qui souffrent finissent par trouver ça normal. Mais Keshalgër est incapable de s'y faire. L'histoire de la petite lui retourne les boyaux, l'entendre de la bouche d'une enfant est horrible.

Keshalgër aurait bien enlacé la petite, mais elle a peur que ce geste soit déplacé ou que Charlotte prenne mal son signe d'affection, après tout elle vient à peine de la rencontrer.

- Charlotte a raison. Et je m'excuse Sylvère, j'ai était cruelle de me moquer autant. Il a fallu l'intervention d'une enfant pour que je m'en rende compte.

Keshalgër a un faible sourire.

- A se demander qui est la personne la plus adulte ici.

Keshalgër n'avait plus envie de rire ou de se moquer. Les paroles de Charlotte lui avaient vraiment fait l'effet d'une douche froide. Mais pour le coup, la sorcière trouve que c'est pas plus mal.

- Je crois bien Charlotte que tu est la plus intelligente d'entre nous actuellement.

Hyriel, conscient qu’il n’améliorait pas l’humeur de Sylvère par son jeu, retourna brusquement la tête vers Cassandre et son air réprobateur. Du haut de sa dizaine d’années, les mains sur les hanches et avec sa petite frimousse courroucée, elle était tout bonnement adorable. Il lui sourit néanmoins avec douceur en inclinant la tête.

« Je n’avais alors pas autant à plaisanter. Je suis navré si cela te déçoit, mais c’est ainsi, j’aime bien les traits d’humour en tout innocence. »

Il écouta ensuite sa réprimande adressée à Sylvère, un léger sourire au coin des lèvres. Une réflexion si sérieuse dans la bouche d’une si jeune enfant, c’était à la fois impressionnant et inquiétant. Elle était plus mature que les autres de son âge mais en même temps, son enfance lui avait été volée, à cette pauvre enfant. Il s’en était bien rendu compte quand elle était chez lui. Toujours à vouloir travailler, s’occuper, payer en retour des services… Malheureuse Cassandre. Il resta de marbre en apparence quand elle évoqua son passé même si intérieurement il restait révolté. Nul enfant ne devrait vivre cela. Et quand elle montra sa marque... Il releva les yeux pour voir les réactions des deux autres. Ce serait instructif de savoir comment ils recevaient cette information. Pour ou contre cet équilibre précaire de la société, dominé par ces nobles conquérants et préoccupés seulement par eux et leurs appétits, autant de nourriture que de terres.

Sylvère se montra médusé, atterré et stupéfait vite fait bien fait. Il resta pantois un moment, ruminant sans doute les mots de Cassandre. Et il s’ouvrit. Calmement, modestement, il avoua sa faiblesse. Il rendit même ses impôts à Cassandre avant de s’avouer définitivement vaincu et même… de s’incliner. Devant une jeune fille de douze ans, lui, le roi de la forêt, il s’inclinait. Hyriel n’aurait jamais cru voir cela un jour et il en resta sans voix. Non seulement il ne se sentait pas de faire une quelconque plaisanterie à ce moment – il partageait tout de même le fond des idées de Cassandre – mais surtout, c’était tout bonnement étonnant. S’il devait y avoir une personne pratiquant la « magie » parmi leur quatuor, c’était bien elle. D’ailleurs, Keshalgër le reconnaissait également mais en mots. Hyriel se contenta d’incliner la tête avec humilité. Tout mot aurait été superflu à ce moment-là.

Cassandre se sentit soudain mal à l'aise après cette longue tirade qui lui était naturellement venue. Elle commençait à regretter. Ses regards devenaient nerveux et redoutaient de croiser un agent du guet ait pu l'entendre. Elle secoua la tête. ils étaient forêt. Tous étaient mal vu de la société. Elle ne risquait rien. Ou pas ? Cassandre n'arrivait pas à éloigner la peur qui venait de naître en elle.

Elle entendit alors Sylvère réagir à ses dernières paroles

- Tu veux savoir toute l'étendue de mes capacités ? Je n'ai aucun talent particulier.

Cassandre haussa les épaules.

"J'ai pas de talent particulier non plus. J'essaie juste de faire les choses qui paraissent bien. Et pas gêner les autres. Je crois pas que ça demande beaucoup plus d'efforts qu'autre chose."

A son étonnement, le Roi rendait ses impôts et les déposait devant elle. Cassandre le fixa, toujours surprise, et se baissa pour ramasser les pots de confiture. elle contempla encore Sylvère puis l'entendit dire :

- Et personne n'a jamais dit que je valais quelque chose non plus.

Il avait vraiment l'air triste maintenant. Elle avait trop parlé et blessé. Peinée, Cassandre posa à nouveau ses pots et lui fit un câlin.

"Mais non ! Si tu m'as rendu ça, tu pas une qualité, tu es gentil !"

Dans son élan spontané, Cassandre se grandit sur la pointe des pieds et fit à bisou à Sylvère.

"Les pots de confiture, reprends-les ! Je te les donne ! Mais plus comme impôt ! Comme cadeau d'une amie !"

Cassandre se retira en souriant candidement à son nouvel ami. A ce moment, elle remarqua les réactions des deux autres et se rengorgea quand Keshalgër déclarait qu'elle était la plus intelligente de leur groupe. Ses joues rougirent un peu.

"Merci... Mais j'ai pas fait grand chose."

Non loin de là, Hyriel aussi lui adressait une sorte d'hommage. Son intervention était si extraordinaire ? Les adultes étaient vraiment étranges !

Dire que les mots de Charlotte ne l'avaient pas remué aurait été mentir. Cela venait de le remettre face à son inutilité flagrante. Il ne valait pas mieux que les nobles, elle venait de le dire sans une hésitation. Ne disait-on pas que la vérité sortait de la bouche des enfants ? A ses yeux, c'était plus une phrase toute faite qu'autre chose mais cette fois, elle avait le goût aigre de la réalité.

Non, Sylvère ne savait rien faire. Enfin, si, il était passé maître dans l'art de faire les poches aux passants mais ce n'était pas le genre de choses dont il allait se vanter dans l'immédiat. Mais hormis cela ... hormis cela, rien.

- Tu as un talent amplement plus important que tout, répondit-il, pratiquement en même temps que Keshalgër qui complimentait la petite. Tu es débrouillarde et intelligente. Tu as toutes les capacités de t'en sortir dans la vie. Personne ne mériterait plus la liberté que toi.

Il allait partir pour de vrai quand elle reposa les pots de confiture qu'elle avait repris quelques secondes plus tôt. Et aussitôt après, elle le prit dans ses bras sans prévenir, avec la spontanéité propre à son jeune âge. Ce fut sans le moindre signe avant coureur supplémentaire qu'elle se hissa sur la pointe des pieds pour lui faire un bisou.

Il ne put s'empêcher de jeter un oeil aux pots par terre. Elle les lui rendait ? Vraiment ? Et même pas comme impôts ? Quand est-ce que c'était, la dernière fois qu'on lui avait fait un cadeau, au juste ? Il ne s'en rappelait même plus. Il en était encore à se poser la question quand elle recula en lui souriant.

Il hésita à peine une seconde. Il ne reprit même pas les pots de confiture. Il posa un genou à terre devant elle pour se mettre à sa hauteur et la serrer dans ses bras à son tour, bien que plutôt rapidement. Il n'avait aucun cadeau à lui faire en échange. Il déclara en s'assurant qu'elle était la seule à pouvoir l'entendre et que ces mots ne pouvaient arriver jusqu'aux oreilles des deux autres.

- Merci.

Il fit une courte pause, eut un sourire malicieux et il ajouta ensuite :

- Quand je serais grand, je voudrais être comme toi.

Il se redressa d'un bond et attrapa les deux pots de confiture. Il eut un deuxième sourire, regarda les deux pots de confiture dans ses mains puis il en jeta un à Hyriel, avant de saluer à la ronde.

- Eh bien, si tout le monde a dit ce qu'il avait à me dire, je vous souhaite une bonne journée. Bien le bonjour à Achille, ajouta-t-il à l'intention de Charlotte, avant de faire demi-tour, sans aucun autre commentaire.

Il ne fut pas long à monter dans un arbre. Il ne mit que quelques secondes à arriver au sommet. De là, il voyait les silhouettes des trois autres mais il s'en fichait pas mal. Il se cala contre le tronc, jambes croisées, et ouvrit le pot de confiture pour commencer la dégustation. Elle était délicieuse, soit dit en passant, et il pensa que la prochaine fois qu'il croiserait Charlotte, il le lui dirait.

Que dire ? La scène à laquelle Keshalgër assiste est à la fois adorable, touchante et pathétique. Une petite fille qui réconforte un "roi" bandit. (Tiens, ça pourrais être un titre de pièce de théâtre !). Émue par la scène et prise par l'ambiance Keshalgër en avais presque oublié ses douleurs abdominales dues à ses menstrues. Mais ces dernières, elles ne l'ont pas oubliée et la douleur revient à la charge tel un coup de couteau. Cela fit grimacer la sorcière, qui se plie légèrement tout en posant sa mais sur son ventre dans une vaine tentative d’étouffer la douleur. Autant s'agiter ne lui a pas été bénéfique, loin s'en faut.

- Et merde.

Marmonne t'elle en serrant les dents. Elle ne fait même pas attention au départ de Sylvére, non pour l’embêter cette fois-ci mais parce que le pic de douleur requière toute son attention. Elle essaie de s’asseoir, mais elle s’effondre plus par terre qu'autre chose. La douleur la fait transpirer malgré l'air frisquet et elle a la respiration hachée.

Hyriel vit le malaise qui commençait à naître en Cassandre. La pauvre, éduquée comme elle l’était, elle devait s’en vouloir d’avoir haussé le ton contre des adultes, même si ceux-ci tenaient parfois de l’enfant en bas âge. Elle semblait aussi sur le qui-vive, comme si elle craignait quelque chose. Il était vrai qu’elle s’était livrée et qu’elle avait avoué des crimes pour lesquels elle serait certainement punie si on la capturait. Hyriel sourit. Un brigand, un sorcier et une sorcière. Maintenant, une jeune voleuse. Les gardes auraient à faire s’ils venaient dans le coin. Il lui adressa un regard attendrit quand elle avoua n’avoir aucun talent particulier. Pourtant, la débrouillardise était un talent et pas des moindres. Sylvère le reconnaissait justement. Il paraissait avoir été sérieusement ébranlé, lui !

Il ouvrit de grands yeux en voyant Cassandre poser ses pots et étreindre le brigand, même l’embrasser. Eh bien, alors qu’elle l’enguirlandait quelques minutes avant, c’était un beau revirement ! Il sourit et laissa échapper un souffle de rire. Cette petite était absolument adorable. Et Sylvère s’agenouillait pour la serrer aussi. Il n’aurait jamais cru voir ça un jour et pourtant… Il ne retint pas un léger pouffement à la remarque enfantine de Sylvère. Il continua de la regarder quand elle s’écarta de Sylvère et qu’elle rougit en les voyant, lui et la sorcière. Il secoua la tête avec un sourire doux.

« Il n’y a pas besoin de faire grand-chose pour que ça fasse de grandes choses. »

Il sourit intérieurement. La phrase était sympathique. Sa vision périphérique indiqua alors à Hyriel qu’un objet consistant arrivait dans sa direction. Il releva la tête, surpris, et attrapa le pot de confiture au vol. Il resta un instant stupéfait avant de rire de bon cœur. Finalement, il l’aura eu. Il releva la tête et remercia Sylvère par un sourire.

« Merci et bonne journée à toi aussi, heureux roi ! »

Il retourna aussitôt la tête en entendant la sorcière. Avec tout ça, il avait complétement oublié qu’elle avait mal au ventre. Il se redresse aussitôt qu’il la voit tomber. Elle est de plus en plus mal.

« Vous sentez-vous de marcher jusque chez moi ou dois-je improviser avec ce que nous avons autour de nous ? »

Cassandre se remettait difficilement de sa sortie, craintive de conséquences, puis entendit, surprise, Sylvère la complimenter. Elle baissa la tête.

"Non, je n'ai pas de talent particulier. Je ne fais que survivre."

Elle n'osait plus le regarder alors qu'il se décida à reprendre les pots et à continuer à la complimenter. C'était... embarrassant. Elle n'avait vraiment pas l'habitude. Le Roi se retirait. Elle évitait de le regarder encore, trop gênée.

Brusquement, une agitation derrière elle lui fit oublier son trouble. Cassandre se retourna et découvrit Keshalgër en ange. Elle était malade ? Hyriel s'occupait déjà d'elle. Ouf ! Quelle chance qu'il soit là ! Elle évita cependant de s’approcher.Les maladies étaient toujours terriblement contagieuses. Elle demanda, à distance, soucieuse :

"Tu ne vas pas bien , T'inquiète, HYriel, c'est le meilleur guérisseur ! Il va te guérir en un rien de temps !"

Keshalgër se relève avec moult précautions.

- Ça devrais aller... Si c'est pas trop loin.

Puis Charlotte lui donne des mots positifs. Sauf que sa façons de s'exprimer et son âge laissent penser à la sorcière que la petite n'a pas compris ce qui lui est arrivé. La magnétiseuse fait la grimace et a un petit rire un brin acide.

- Ha ha, malheureusement ça, il peut pas le guérir, juste l’atténuer...

Devais elle dire à la petite que cette dernière aurais plus tard à souffrir du même mal ? Ce serait un peu cruel... Mais au moins ça pourrait lui permettre de ne pas être prise au dépourvu. Mais le problème, c'est que Keshalgër manque de diplomatie pour expliquer ce genre de choses et la douleur qui l’assaille n'arrange pas son caractère.

- ... Avant que ça recommence. C'est pas dangereux mais c'est gênant et pour certaines femmes, dont moi c'est assez douloureux, heureusement toutes les femmes n'ont pas forcément autant mal.

Voilà, elle avait essayé de faire comprendre à la petite que ce problème l'attendait elle aussi.

Hyriel vit l’inquiétude de Cassandre et sourit à ses paroles.

« Ta confiance me fait chaud au cœur ! »

Il comprend toutefois qu’elle ne comprend pas trop ce qu’il se passe. La sorcière se relève toutefois et Hyriel hoche la tête en préparant aussi ses béquilles.

« Non, c’est assez proche, pas de soucis là-dessus. »

Il laissa la sorcière expliquer l’affaire à Cassandre pendant qu’il se relevait. Bon, ce n’était pas le plus rassurant mais c’était déjà ça. Il sourit à la petite.

« C’est un petit inconvénient de la nature, dirons-nous… »

Cassandre arbora un large sourire à Hyriel.

"Ben quoi ? Tu m'as sauvé la vie ! J'étais très malade, j'arrêtais pas de tousser, j'étais toute faible.. Je croyais que j'allais mourir. Mais Hyriel il m'a donné de la potion faite avec du thym et ça ma guéri ! Il peut tout soigner !"

Elle écouta ensuite la description sommaire que Keshalgër faisait de sa douleur puis précisait que cela ne touchait que quelques femmes comme elle pour que ça cause autant de douleurs. Un début d’intuition commença à venir mais elle se sentit alors mal à l'aise. Elle lui fit cependant confirmée quand Hyriel ajoutait que c'était un inconvénient de la nature. Les joues de la fillette rougirent fortement. Elle en avait un peu entendu parler. Vaguement. Très vaguement. Les prostituées du Lupanar l'évoquaient par demi-mots pour prendre une période de repos. A peu près tous les mois. Elle avait parfois essayé de les interroger mais on la rabrouait toujours en disant que ces choses n'étaient pas de son âge. Elle s'était faite une vague idée de ce que pouvait être mais le sujet l'effrayait.

Malgré elle, Cassandre se recula puis bégaya presque :

"Toutes... Toutes les femmes ont... ça ?"

Elle avait quand même compris que ce qui arrivait à une femme quand elle connaissait ces premières douleurs, c'était qu'elle pouvait porter un enfant. Cette pensée la terrifiait. Elle se recula à nouveau de quelques pas supplémentaires
puis releva la tête vers Hyriel.

"Dis, Hyriel..."

elle ajouta quelques instants plus tard, craintive :

"Il y a pas une potion qui empêche de devenir une femme ? Tu fais des potions qui enlèvent les bébés dans le ventre d'une femme. Alors y a pas moyen directement d'en faire une qui empêche de les faire ?"