[1 Novembre 1597] Les ombres du passé qui reviennent continuellement [Terminé]

En ce jour de la Toussaint, Cassandre s'était sentie le devoir, comme à chaque année, de partir en pèlerinage sur les terres qui l'avaient vu naître. Elle l'avait expliqué hier après-midi à Dame Irène qui avait compris l'importance de cette démarche.  Pour gagner du temps sur le trajet, l'enfant avait choisi de couper par la forêt. Qu'aurait-elle eu à craindre à présent ? Elle était protégée par le Roi des Brigands ! D’ailleurs, Sylvère lui était tombé dessus, presque littéralement, alors qu'elle progressait sur le sentier en apparaissant dans son dos pour lui tapoter l'épaule et la regarder d'un air faussement innocent.  Elle s'était d'abord énervée puis calmée en constatant que sa fureur amusait son grand frère et le faisait même rire. Quel gamin ! Comme toujours...

Ils avançaient à présent hors de la forêt. Sylvère avait tenu à l'accompagner pour voir cette ferme où avait grandi sa petite sœur. Ils contournèrent un village et se rendirent à une petite ferme isolée, entourée par deux hectares de vignobles. En cette période automnale, il ne restait plus de raison. Les ceps étaient en train d'être taillés. Autrefois, son père accomplissait l'ouvrage seul. Deux journaliers se trouvaient là, à la place son père. Elle se rapprocha de la maison, dissimulée derrière le muret et contempla avec mélancolie cette chaumière en pierre rassurante. De la fumée sortait du tout en paille. Dans la cour s'amusaient deux jeunes enfants bas âge. Leur mère, au ventre proéminent, berça un bébé entre ses bras en surveillant avec tendresse sa progéniture et il s'avérait difficile à manquer que la famille allait encore s'agrandir.

Une larme menaçait de perlait à l'oeil de la fillette. Elle cacha le visage contre le muret et marmonna :

"Qu'elle meurt en couches... qu'ils ne reçoivent plus d'amour... Que leur père se désespère... qu'ils souffrent... Qu'ils souffrent tous..."

Le cœur empli de rancœur et de colère, Cassandre répétait à voix basse ces paroles, comme une incantation, chaque année et espérait apprendre un jour que la famille qui avait réussi à reprendre la ferme de la sienne connaisse aussi le malheur. Pourquoi auraient-ils été les seuls à subir un sort injuste ?

"Je les hais. Je les hais tous."

Année après année, ses espoirs étaient déçus. A chaque visite, elle comptait toujours un enfant de plus, tous en excellente santé, avec une mère elle aussi en pleine forme.

Cassandre releva la tête vers Sylvère et demanda, les yeux un peu rougis :

"Ys... Tu n'as jamais eu envie de voir quelqu'un mourir, toi ?

Quand Cassandre était passée au pied de l'arbre dans lequel il était monté, il n'avait pas résisté à l'envie de descendre pour la saluer. Il avait donc sauté juste derrière elle et avait posé une main sur son épaule, la surprenant par la même occasion... Et comme elle s'était retournée, reproches aux lèvres pour le gronder très certainement, il lui avait adressé son plus beau sourire, comme si de rien n'était.

Cela ne l'avait pas empêché de lui faire la morale une nouvelle fois, jusqu'à ce qu'elle comprenne que, loin d'avoir un quelconque effet utile sur lui, cela l'amusait avant tout. Quand elle avait soupiré, il lui avait ébourriffé les cheveux affectueusement, en lui souhaitant le bonjour.

Il lui avait demandé ce qu'elle venait faire ici et elle lui avait révélé l'objectif de son passage dans la forêt. Qu'elle le laisse l'accompagner n'avait pas été très dur. Il était tout de même curieux d'en savoir plus sur le milieu de vie de Cassandre. Enfin, son ancien milieu de vie aurait été certainement plus juste.

Le chemin ne dura pas. Bientôt, ils arrivèrent aux abords d'une ferme isolée, mais bel et bien habitée. Deux jeunes enfants jouaient, surveillés par l'oeil attentif de leur mère, bébé serré contre elle, et ventre rond signalant la naissance prochaine d'un nouveau-né pour agrandir la famille. Ils avaient l'air heureux et c'était agréable à regarder. Cela lui rappelait vaguement ses parents, toujours prêts à tout faire pour lui.

Et pourtant... Pourtant, les larmes brillaient dans les yeux de Cassandre. Soudain, elle cacha son visage contre les pierres du muret, faisant sursauter Sylvère au passage. Il lui lança un regard perdu mais les explications arrivèrent bien vite.

Cassandre était rongée par la rancœur et la haine. Une haine qu'elle avait besoin d'expulser. Et pour cela, il fallait des coupables. Des coupables qu'elle pouvait atteindre. Les seuls qu'elle avait à disposition étaient donc cette innocente famille - qui avaient eu le malheur, ô combien grand, de venir habiter ici.

Sylvère posa une main sur son dos et elle releva les yeux vers lui. Des yeux rougis.

- Ys... Tu n'as jamais eu envie de voir quelqu'un mourir, toi ?

Sylvère ne réfléchit pas quand il la prit contre lui et qu'il la laissa pleurer sur son manteau en silence, simplement en murmurant :

- Oh, Cassy...

Il fit une pause, lui laissa quelques secondes pour déverser sa douleur, avec le plus grand respect du monde puis enfin, toujours en la gardant contre lui, il reprit à mi-voix :

- Cassandre, écoute-moi. Je sais que tu as vécu des choses très dures... J'aimerais beaucoup te dire que je comprends, mais je ne peux pas parce que ce serait te mentir. Je ne peux pas prétendre, et je ne le pourrais jamais, pouvoir imaginer un dixième de ce que tu ressens...

Pas alors qu'il avait toujours eu la vie facile. Qu'est-ce qu'il avait bien fait de venir, pour pouvoir la consoler ! Il fit une pause, posa sa tête contre la sienne pour l'envelopper davantage et reprit, toujours si doucement :

- Ce qui est arrivé à ta famille, ce n'est pas ta faute, mais ce n'est pas celle de ces gens-là non plus, tu comprends ? Ils n'ont jamais souhaité ton malheur. Je sais bien que cette ferme était la tienne, que tu es en colère contre ce qui est arrivé, que tu trouves ça injuste et tu as entièrement raison, c'est injuste. Je sais bien que tout ça fait beaucoup de choses à accepter mais... mais tout ça, ce n'est pas leur faute à eux.

Il la prit par les épaules pour planter son regard dans le sien et sécha les larmes sur ses joues :

- Quand je demande les impôts à des honnêtes gens, tu me répètes toujours qu'il ne faut pas. Parce que ce que je leur prends, ils ont travaillé dur pour l'obtenir. C'est la même chose ici. Ces gens ont travaillé pour obtenir cette ferme. Ils continuent de travailler pour l'entretenir et faire vivre leur famille. Tu ne peux pas les priver de leur bonheur, comme ça, parce que tu n'y as pas eu le droit. Ce serait injuste, tu sais, parce qu'ils n'y sont pour rien.

Il fit une pause et reprit peu de temps après :

- On a tous eu, un jour, des gens que l'on appréciait pas. À différents niveaux. Même moi. Et bien sûr que c'est normal, parfois d'en avoir envie. De leur souhaiter des malheurs. Mais Cassandre, dis-moi, si ces gens mourraient ... qu'est-ce que cela te ferait ? Serais-tu vraiment plus heureuse de les savoir malheureux - alors qu'ils n'ont rien fait ? Cela ne te rendra pas ta vie d'avant, petite sœur, même avec tous les efforts du monde. Ce ne serait pas une solution, de les voir mourir.

Il se tut enfin complètement, avant de conclure à voix encore plus basse :

- Je t'aime beaucoup, Cassandre. Et si une personne sur cette terre mérite de vivre libre et heureuse, c'est toi.

Lorsque Sylvère la saisit contre son large manteau, Cassandre se résista pas et s'enfouit la tête première contre le corps chaleureux de son grand frère. Elle sanglotait un moment contre le tissu, l'esprit tourmenté par les ombres qui la harcelaient.

Elle finit par redresser lentement la tête et entendit Sylvère exposer qu'elle avait vécu des choses très dures. C'était étrange. Lui, le gamin qui avait toujours vécu de manière protégé, bêtise après bêtise, et qui vivait en marge de la société, libre de toutes contraintes, c'était lui qui la comprenait le mieux. Elle le sentait sincère dans ses mots. Ce n'était pas de la compassion comme les autres adultes savaient si bien faire puis oubliaient ensuite. Alors, il écouta attentivement la suite et se sentit mal à l'aise. La fillette s'écarta et contempla à nouveau les enfants qui s'amusaient insouciamment dans la cour sous le regard bienveillant de leur mère. Son cœur se serrait.

Elle aurait souhaité continuer à les haïr ces gens.

Cela aurait été plus simple.

Sylvère poursuivait et son développement sur les impôts la blessait. Il retournait contre elle ses propres arguments. C'était... dérangeant. Elle soupira.

"Pourquoi t'es raisonnable maintenant, Ys ? C'est pas juste ! T'es pas censé être sérieux, toi !"

Il avait raison. Elle le savait. Mais elle ne voulait pas l'admettre.

Son regard revint à la cour et aux enfants. Sylvère continuait à parler et à lui demander comment elle se sentirait s'il arrivait malheur à ces gens. Comment elle se sentirait ? Sans doute pas apaisée. Elle avait trop de colère en elle. Une colère qui bouillonnait et la rendait aigre.

"Les voir mourir... En fait, je ne voudrais pas les voir mourir juste, eux. Dès fois, je rêve. Je rêve que ce royaume bruie. le palais, les châteaux des nobles, les cours de justice, les maisons de bourgeois, les églises, les boutiques riches... Je voudrais voir ce royaume maudit disparaitre dans les flammes. Tu sais, il y a deux mois, le presbytère de Saint-Eustache a brûlé. J'étais triste. pas de l'incendie. mais que l'incendie ait frappé un gentil curé, pas riche, proche du peuple."

Elle tourna la tête et fixa Sylvère d'un air triste.

"Tu crois, Ys, que je suis une mauvaise personne ?"

Elle ne répondit pas à sa déclaration émouvante. Elle ne savait pas quoi dire.

Cassandre avait pleuré contre son manteau sans pouvoir se retenir. Et Sylvère l'avait serré contre lui tout ce temps, en attendant qu'elle se calme. Elle finit par relever la tête.

- Pourquoi t'es raisonnable, Ys ? C'est pas juste ! T'es pas censé être sérieux, toi !

Cela le laissa un moment surpris. Non pas parce qu'il était vexé mais parce que ... c'était vrai, elle avait raison. Depuis quand il était sérieux, au juste ? D'habitude, il mettait même un effort particulier à être tout le contraire. Alors qu'est-ce qui changeait ? Il n'aurait su le dire exactement mais il sentait que maintenant, il fallait qu'il le soit. Ça allait bien au-delà de toutes ses convictions habituelles.

- Tu veux savoir la vérité ? C'est toi, qui me rend sérieux. Je suppose qu'il y a des circonstances où il faut l'être, et où on a pas le choix. Je suppose aussi que ... ça ... ça fait partie de ces circonstances-là. Tu te rappelles ? Je veux essayer de m'améliorer, je te l'ai dit.

Il soupira à son tour. Il savait qu'il avait raison, elle le savait aussi. Ce n'était pas facile à entendre, ce qu'il lui disait - pour elle qui n'acceptait pas la situation - mais il ne faisait qu'évoquer un fait : cette famille était innocente et elle n'avait rien à voir dans son malheur.

Il écouta sans la couper le rêve qu'elle lui raconta ensuite. Un rêve enflammé, c'était le cas de le dire. La haine transperçait chacun de ses mots, jusque dans les moindres recoins de son esprit. Comment était-il possible d'être aussi amère à tout juste douze ans ? Cassandre avait grandi trop vite : elle n'avait pas eu d'enfance.

Il ne répondit rien, jusqu'à ça. Jusqu'à ce qu'elle lui demande si elle était une mauvaise personne. Sylvère secoua la tête lentement.

- Non, Cassy. Tu n'es pas une mauvaise personne. Au contraire. Tu veux que je te dise qui tu es ?

Il fit une pause, n'attendit pas la réponse pour enchaîner aussitôt, avec un léger sourire, un peu triste à bien y regarder :

- Tu es ma petite sœur. Tu es la Princesse Cassandre de la Forêt d'Aiguemorte. Tu es une enfant, récemment recueillie par Dame Irène, qui a encore toute la vie devant elle. Mais tu n'es certainement pas une mauvaise personne, ça non, j'en suis sûr. Sinon, tu ne partagerais pas ton goûter avec moi à chaque fois que tu viens me voir.

C'était étrange. Il avait la sensation d'avoir inversé leurs rôles pour quelques minutes - avant que les choses ne finissent par revenir à la normale. Elle qui était d'habitude si sérieuse, toujours présente pour le rappeler à l'ordre...

Il la regarda une seconde. Il ne connaissait pas quelqu'un qui soit plus droit dans ses bottes.

- Cassandre... De quoi as-tu peur au juste ?

Est-ce qu'elle craignait sincèrement d'être une mauvaise fille à cause ... d'un rêve ? Il s'assura qu'elle le regardait droit dans les yeux pour reprendre :

- Si tous les gens qui ont rêvé un jour de voir quelqu'un mourir étaient de mauvaises personnes alors crois-moi, le Paradis serait bien vide.

Il se dressa en position accroupie d'un saut et reprit :

- Allez, viens ! Je suis sûr qu'en leur demandant gentiment, ils te laisseront me montrer tout le domaine !

Et inutile de préciser qu'une fois de plus, la prudence lui faisait défaut et qu'il aurait sûrement mieux valut pour lui de se tenir loin de toute maison habitée.

Cassandre s'était tristement adossée au mur et fixait Sylvère qui lui répondait qu'elle le rendait sérieux. Elle eut malgré elle un rire.

"Oui, enfin, t'es pas non plus si sérieux que ça. Je te rappelle qu'il y a une heure tu t'amusais à me faire peur e tombant une fois de plus de ton arbre !"

Elle se perdit dans ses pensées, songeant à sa famille disparue, sa mère jamais connue, et ses longues années de misère. Sylvère prit alors la parole pour rappeler son titre de Princesse d'Aiguemorte et cela lui arracha un sourire sincère. Il lui remémorait les goûters partagés ensemble et la fillette retrouva une moue ironique.

"C'est juste que j'ai pitié de toi, c'est tout. T'es si peu doué comme brigand que sans moi, tu mourrais de faim !"

Sur cette provocation, elle lui tira la langue.

Il lui posa ensuite une question qui la renvoya à son sérieux habituel. De quoi avait-elle peur ? Elle soupira. Il y avait tant de choses qui lui faisaient peur.

"La misère, la faim, un accident, un mauvais maître... J'ai peur que Dame Irène ne meure. Elle va bientôt avoir un enfant. Et alors... Elle pourrait... Ses enfants, elle a des frères, on va les prendre. Mais une petite esclave comme moi, on la prendra pas. Au mieux, on me refilera à un autre maître et au pire... Au pire, ce sera le marché."

Cassandre se raidit, terrifiée à l'idée de se voir à nouveau sur l'estrade de Greeglocks. Elle ne voulait pas être sur ces planches, une pancarte pendue au cou avec un prix dessus, exposée aux regards des badauds. Elle trembla.

"Je veux pas... Je veux pas retourner au marché."

L'enfant baissa la tête, hantée par ces souvenirs terribles, alors que Sylvère assurait que ces pensées mauvaises ne faisaient pas d'elle une mauvaise personne, que tout le monde en avait. Vraiment ? Même quelqu'un comme Dame Irène ou même Alexandre ? Ils étaient si... idéalistes. Comment les gens idéalistes pourraient avoir de mauvaises pensées ?

Elle sursauta quand Sylvère lui donna l'impression de bondir et lui proposer de montrer le domaine. Dans ce moment troublé, elle oublia sa prudence légendaire et le fait que Sylvère soit recherché. elle se leva et contempla à nouveau la cour tranquille.

"Tu... tu crois ? Mais on dit quoi ? Que je vivais là avant ? C'est... C'est pas bizarre ?"

Sylvère avait réussi à la faire rire et c'était un premier point de gagné. Il lui donna une petite tape sur le bout du nez, avec un sourire condescendant, en abandonnant son air sérieux :

- Mais je n'ai jamais dit qu'il fallait l'être tout le temps ! Une vie tout le temps sérieuse, quelle idée ! Qu'est-ce que je m'ennuierais, tu peux le croire !

Et alors qu'il lui rappelait qu'elle était sa petite soeur, et donc la Princesse d'Aiguemorte, il eut à droit à un sourire. Un vrai sourire, cette fois. Un second point de gagné. On disait bien, jamais deux sans trois. D'ailleurs, ni une, ni deux, elle lui lança une petite pique - signe qu'il était parvenu à faire changer ses pensées de chemin.

Le voilà, le troisième point.

- Si peu doué comme brigand ? releva-t-il en faisant semblant d'être vexé, puisqu'il ne l'était pas du tout. Dis donc, tu as pas froid aux yeux ! Je serais peut-être meilleur si tu m'obligeais pas à rendre mes impôts à chaque fois !

Et comme elle lui tirait la langue, il la lui tira en retour. Elle ne fut pas longue par la suite à lui dire de quoi elle avait peur. Et ça faisait beaucoup de poids pour une enfant seule. Il ne pouvait guère lui assurait qu'elle n'aurait plus jamais faim, ni qu'un accident ne pouvait pas arriver. Parce que bien sûr, c'était possible et que toute la bonne volonté du monde n'y ferait pas grand chose...

- Tu sais, c'est normal d'avoir peur... Tout le monde a peur, même le plus coriace des brigands ou le plus aguerri des soldats. Ce qui fait vraiment la différence, c'est avec quelle force on affronte nos peurs. Regarde-les dans les yeux, dis-leur qu'elles ne te font plus rien, et tu verras. Elles te laisseront en paix.

Il fit une pause, la laissa évoquer un nouveau maître, si Dame Irène venait à mourir. Ainsi que le marché. Sylvère secoua la tête. Non, ça, il ne laisserait pas faire. Jamais.

- Tu n'y retourneras pas, Cassandre. Je ne te laisserais pas tomber.

Sa voix ne tremblait pas. Il était sûr de lui : tant qu'il était vivant, il ferait ce qu'il faut pour lui éviter une nouvelle fois cette torture. Il se tourna vers elle et ajouta :

- Si Dame Irène venait à mourir, je ne te laisserais pas être vendue à nouveau. Tu viendrais dans la forêt, avec moi, d'accord ? Et je m'occuperais de toi. Tant que je le pourrais, je le ferais.

Puis, il sourit, et répondit enfin à sa question tandis qu'elle se redressait :

- Oui ! Que veux-tu dire d'autre ? Ce n'est pas bizarre, c'est vrai. Tu as habité ici. Ils n'ont pas de raison de t'en empêcher ... et s'ils le font, alors ils valent moins que rien.

Il lui sourit, se redressa à son tour et passa la main dans les cheveux de Cassandre :

- Allez ! Vas-y ! Au moins, tu auras essayé et tu n'auras pas de regrets à avoir, quoi qu'il se passe ! Je suis là, je t'aiderais si tu as besoin que je t'aide.

Il lui adressa un hochement de tête assuré pour l'encourager.

Cassandre sourit à la réponse de son grand frère qui insistait pour rappeler que la vie toujours sérieuse serait ennuyeuse. D'une certaine manière, il avait raison. Mais c'était pas ennuyant. C'était étouffant. Ça brulait de l'intérieur.

Il fit semblant d'être vexé sur sa réplique sur ses capacités de brigand et l'accusait gentiment que c'était de sa faute. I lui tira la langue et elle répondit en tirant à nouveau la sienne.

"T'as qu'à voler plus de nobles si t'es si doué ! Là, je te grondera pas ! Mais tu es un petit brigand, tout petit brigand, alors tu prends des cibles faciles !"

Elle éclata de rire suite à sa plaisanterie, satisfaite de son effronterie.  Elle se troubla en l’entendant redevenir sérieux et expliquer que la peur était normale, que tout le monde avait peur et ajouter qu'il fallait juste les affronter. Elle n'était pas certaine de bien comprendre mais ces mots lui faisaient du  bien. Elle opina doucement la tête puis sursauta quand son frère annonça qu'il ne la laissera jamais retourner au marché si Dame Irène mourrait, qu'il la prendrait avec elle dans la forêt... elle eut un hoquet de surprise.

"Tu... tu ferais vraiment ça ?"

Son visage s'assombrit alors.

"Mais tu seras encore en vie toi aussi ? si Dame Irère avait un accident l'an prochain par exemple ? Et si t'avais été capturé ? il y aurait alors plus personne pour m'accueillir dans la forêt."

Cassandre essaya de chasser ces pensées dérangeantes de son esprit et reporta son attention vers al ferme. Les enfants s'étaient relevés et couraient après un coq. Leur mère s'était assise sur un banc et continuait à bercer son bébé. Derrière elle, Sylvère l'encourageait à demander la permission de visiter le domine. Elle tremblait. Elle n'était pas sûre. Mais Sylvère disait qu'il fallait affronter ses peurs, c'était ça, non ?

Elle observa la mère sur le banc et inspira profondément.

La fillette grimpa par dessus le muret et sauta dans la cour. Les enfants s'arrêtèrent et l’observèrent, surpris. Elle comprenait leur réaction. Il y avait rarement des visites dans ce lieu isolé.

Elle prit une seconde inspiration puis s'avança.

Ses jambes tremblaient.

"Pardon. je.. je me nomme Cassandre. je.. je vivais ici.. avant. Ma mère... Ma mère a été enterré de l'autre côté de l maison. je peux.. je peux aller me recueillir là où on a creusé sa tombe ? Avec mon grand frère... qui est là. C'est là où il y a un olivier qui vient d'avoir neuf ans"

Lancer de dés : Quelle av être la réaction de la mère ou de son époux non loin ?

1 - 3 - 6 :     Elle accepte.
2 - 4 : :        Elle refuse.
5 :               Quelqu'un reconnait Sylvère comme le brigand d'Aiguemorte

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'Dé à 6 faces' :

Installée sur le banc, la mère de famille découvrit une enfant d'une dizaine d'années sauter par dessus le muret de la ferme puis exposer souhaiter traverser leur domaine pour se recueillir sur la tombe de sa mère. Elle ne savait pas quelle famille habitait là autrefois. Son époux lui avait dit avoir acheté la ferme pour une bouchée de pain car l'ancien propriétaire était ruinée. La fillette sous ses yeux ne semblait pas miséreuse. Au contraire, elle était même soignée et bien habillée. Ils avaient dû rebondir. Ou elle avait été confié à des proches. Ou placée en apprentissage.

Le visage de la mère s'attrista en songeant que cette pauvre enfant avait perdu sa mère fort jeune. Ils avaient placé un olivier pour marquer la tombe. Neuf ans disait-elle. Cette petite était devenu orpheline si jeune. Son regard devint inquiet et se posa sur ses fils qui observaient la scène, perplexes. Sa main se posa sur son ventre. Pourvu qu'un malheur pareil n'arrive jamais à leur famille ! En tous les cas, cette Cassandre avait été très bien élevée pour venir ainsi se recueillir en ce jour de la Toussaint sur la tombe d'une mère qu'elle avait si pourtant peu connu.

La mère de famille sourit.

"Bien sûr. Ta mère, qui est au Paradis, sera heureuse de voir qu'elle a donné naissance à une si brave et gentille fille."

Cassandre attendit, anxieuse, le verdict, et fut surprise de recevoir une approbation. Elle pensait être chassée.

"Je... merci, madame."

La fillette se tourna vers Sylvère.

"Tu viens ? Cest derrière la maison !"

En passant près des deux garçons, Cassandre sortit deux biscuits d'un pan de sa robe et les leur offrit. Les enfants la remercièrent puis les dévorèrent. Elle conduisit Sylvère à l'arrière de la maison mais s'arrêta à mi-chemin près des cubes/ Son nez reconnut aussitôt les odeurs.

"Tu sens, ça, Ys ? Ça c'est de l'alcool de prune ! Et ça, ça va bientôt être du vin. C'en est à la dernière étape. Huuum, ça sent bon ! "

Les arômes la ramenaient à cette enfance insouciante quand elle aimait à suivre son père et l'interrogeait sur les choses de son métier. Elle se rappelait de sa surprise quand elle parvenait à distinguer les différentes odeurs et après coup à les reconnaitre.

"Papa... Papa me surnommait son petit chien des vignes. Parce que je sens bien les odeurs et je sais les reconnaitre."

Voler plus de nobles. Il le ferait volontiers mais il prenait ce qui passait dans le coin et les nobles ne traversaient pas si souvent que ça la forêt. Beaucoup moins que les honnêtes gens, toujours, et quand ils le faisaient, ils étaient protégés et escortés. Et à cinq contre un, Sylvère n'avait guère de chance de s'en sortir vivant... Il y avait une légère marge entre prendre des risques et être suicidaire.

Il sourit en l'entendant rire. Elle avait un rire communicateur et il aimait l'idée que c'était lui qui parvenait à la faire rire ainsi.

Elle eut l'air étonné quand il lui assura qu'il l'accueillerait dans la forêt. Il haussa des épaules comme si de rien, presque avec nonchalance.

- Bien sûr que je ferais ça ! s'exclama-t-il.Si je suis encore là, tu peux en être sûre. Et si je ne le suis plus...

Il ne pouvait écarter cette hypothèse. Il se pouvait bien que, déjà l'année prochaine, il n'existe plus qu'un vague souvenir du brigand, autrefois roi de la forêt, qui impôsait les voyageurs de passage. Il n'était pas vraiment le genre de personne dont l'empire garderait un souvenir impérissable.

- ... si je ne le suis plus, alors les choses ne changeront pas. Tu auras toutes mes affaires, et pas besoin de partager tout ça avec un idiot. La belle vie, non ?

Il lui tira la langue de nouveau. Ils étaient tout de même en train de parler de sa mort, mais pour ne pas avoir peur, il fallait rire de tout. Et puis, quand bien même il n'y aurait plus personne - ni Hyriel et ses trois amis, ni Keshalgër, ni Achille - il resterait toujours les arbres. Et ils étaient, eux, la véritable âme de la forêt.

Sylvère se tourna vers la ferme en même temps que Cassandre. Les enfants pourchassaient un coq dans toute la cour, la mère s'était assise pour bercer le petit dernier... Il lui fit signe d'y aller et elle prit son courage à deux mains, en prenant une inspiration. Elle escalada le muret, Sylvère la suivit sans rien dire. Il la laissa passer la première mais il n'était pas loin derrière elle, pour qu'elle soit assurée de sa présence en cas de problème.

Il l'écouta parler, comme la femme assise sur le banc qui la regardait avec attention. Quand elle eut fini, comme elle attendait anxieusement la réponse - et qu'en passant, lui aussi -, il posa ses mains sur ses épaules pour lui apporter son soutien. Et par procuration, pour la protéger d'une réponse négative.

Mais la mère acquiesça, à son plus grand soulagement. Si elle avait refusé la demande, Sylvère se serait senti bête, mais surtout, il s'en serait voulu. D'avoir poussé Cassandre à faire quelque chose qui n'aurait pas fonctionné. Parce qu'elle aurait alors dû surmonter une cuisante déception.

Cassandre la remercia, Sylvère eut un hochement de tête aussi et il emboîta le pas de sa soeur. En passant devant les deux enfants, elle sortit de sous sa robe — à force, Sylvère n'en était même plus surpris — un petit gâteau pour le leur offrir. Il n'y avait pas eu le droit, lui, aujourd'hui...

- Dis ... tu n'en aurais pas un pour moi aussi ? demanda-t-il avec un coup d'œil innocent, mais intéressé.

Elle le conduisit derrière la maison et alors qu'ils étaient loin des oreilles indiscrètes, Sylvère reprit :

- Alors ? C'était si dur à faire ? Tu vois qu'il n'y avait pas de peur à avoir ! Je suis fier de toi !

Cassandre s'arrêta brusquement.

- Tu sens, ça, Ys ?

Il lui lança un regard interrogateur tandis qu'elle lui indiquait l'origine des différentes odeurs qu'elle percevait. C'était impressionnant, parce que lui, tout ce qu'il sentait, c'était un vague arôme qu'il aurait été bien incapable de qualifier de quelques manières. Était-elle capable de faire ça avec toutes les odeurs ?

Il observa le domaine d'un regard circulaire pour en avoir une vision globale.

- Alors c'est là que tu habitais ?

Cassandre écoutait Sylvère lui répondre avec légèreté sur as propre mort, comme si celle-ci n'avait aucune importance pour lui. Elle s'élança spontanément pour l'enlacer.

"Mais moi je ne veux pas voir la forêt sans toi ! La forêt d'Aiguemorte sans son Roi, c'est plus la forêt d'Aiguemorte !"

Elle se sépara de lui pour s'avancer vers la ferme. Après la permission accordée par al mère de famile, la fillette traversa la cour puis tourna la tête en entendant son grand frère réclamer lui aussi un gâteau. Elle soupira, mi-amusée réprobatrice.

"Je ne savais pas que t'avais cinq ans toi aussi, Ys !"

La fillette sortit cependant un autre gâteau et le lui tendit.

Ils marchèrent vers l'arrière de al maison et Cassandre s'amusa du regard confus que son frère avait quand elle lui décrivait les odeurs. Les gens trouvaient ça toujours bizarre qu'elle soit capable de reconnaitre les différentes odeurs. Mais c'était utile. Très utile. Grâce à ça, elle répétait les gens à éviter de loin.

Sylvère contemplait le domaine et Cassandre fixa les ceps dépourvus de fruits.

"Oui, c'est là où je suis née et j'ai grandi. C'est dommage que ce soit la Toussaint. En été, le raisin est mûr et c'est magnifique ! Il y a plein de feuilles et de fruits ! Et ça sent si bon ! Et avant, il y avait rien. C'est mon grand-père qui est venu ici. Il a construit la maison puis crée pas à pas la vigne. Il était fort, hein ? Mon père était très fier de lui et adorait nous parler de lui le soir pendant la veillée. Il me prenait dans ses bras comme j'étais la dernière et racontait. Puis, je m'endormais. Et je me réveillais le matin dans mon lit."

Son cœur se serra au souvenir tendre de son père. Il croupissait dans une cellule miteuse pour réparer de trop lourdes dettes qu'il n'avait pu honorer. Il ne le méritait pas. Il avait juste une malchance terrible à cause des grêlons qui avaient détruite toute leur précieuse récolte.

"Il y avait aussi mes deux sœurs. Elles étaient beaucoup plus grandes que moi. Agathe, c'était l'ainée, elle avait douze ans de plus que moi. Mon père lui disait qu'elle devrait penser à se marier mais elle répondait que son rôle était de remplacer maman. Sophie elle avait trois de moins qu'elle, elle était gentille aussi mais elle rêvait d'aller vivre en ville. Et puis, il y a eu Achille... mais je l'ai pas connu. Il est parti , en cachette, une nuit. Il ne voulait jamais travailler. Et il se disputait toujours avec papa ou Agathe. Papa était pas content"

Tout en parlant, Cassandre progressa à l'arrière de la maison et attira Sylvère vers le potager. On continuait à y faire pousser des légumes qui servaient à se nourrir l'hiver. Elle traversa le jardin et atteignit un espace avec des oliviers. Il y en avait deux très grands.

"C'est notre cimetière ici. Celui--là, c'est la tombe de mon grand-père, il est mort bien avant la naissance d'Agathe. Et celui-là, c'est sa femme. Si je me rappelle, ils se sont mariés tard mais elle a eu quand même une douzaine d'enfants. Puis, elle est morte."

Cassandre se déplaça vers d'autres oliviers qui étaient plus jeunes. Elle s'accroupit devant deux toutes petites tombes.

"Ce sont mes deux frères. J'ai pas connu. Ils sont morts quand ils étaient petits."

Elle se tourna ensuite vers une tombe plus relevée où se développait un autre olivier. Son cœur se serra.

"Et ça.... c'est la tombe de maman. Maman... Elle est morte en mettant un autre enfant au monde?"

Elle baissa la tête, assombrie, essayant de ne pas se souvenir de ce jour-là.

C'était amusant comme parler de sa propre mort était facile quand on le faisait en plaisantant. Comme cela semblait soudain être un détail sans importance … plus facile à digérer. La Mort. Qu'était-ce, au juste, que ce mot barbare ? Rien de moins que la fin de la Vie – ou la fin d'une partie de jeu, quand on avait gagné ou perdu …

Il se laissa surprendre par les petits bras de Cassandre qui l'enlacèrent soudainement. Il rit en l'entendant parler :

- Oh, tu sais, petite soeur... La forêt vivra très bien sans moi. C'est elle qui me fait vivre et non pas l'inverse. Sans elle, je suis mort, mais sans moi, elle continue de prospérer.

Oui, au final, si Sylvère devait choisir de vouer une religion à quelque chose, ce serait assurémet la forêt. C'était certainement la seule chose qui le protégeait le plus sur cette terre.

Ils passèrent par dessus le muret et bientôt, Cassandre demandait la permission de lui faire visiter la ferme. Permission que la femme donna avec bienveillance et ils purent ainsi rejoindre l'arrière du domaine. Non sans une petite pique de Cassandre au passage quand il lui demanda s'il avait le droit à un biscuit, lui aussi. Mais bien qu'elle protestait quelque peu pour la forme, elle le offrit sans plus tarder.

Et voilà ! Il l'avait eu, son gâteau !

- J'avais cinq ans il y a vingt ans, je ne trouve pas que ce soit un argument pour empêcher de demander des gâteaux à sa petite soeur préférée ! répondit-il avec un sourire amusé avant de croquer à pleines dents dans le biscuit, un immense sourire ravi sur le visage. Ch'est délichieux ! ajouta-t-il aussitôt, en sachant très bien qu'elle ne manquerait pas de le rappeler à l'ordre une nouvelle fois.

Qatre bouchées plus tard, il l'avait englouti et il se lécha les doigts pour être sûr de ne pas en perdre une miette. C'était tellement délicieux que cela lui ouvrait l'appétit !

Cassandre ne fut pas longue à répondre à sa question ensuite. Il l'imagina ici, plus jeune, en pleine période estivale, entourée de raisins. Et il comprit bien mieux son attachement à cette ferme quand elle lui expliqua qui l'avait construite. Si c'était son grand-père qui avait fait tout ce travail, il était bien normal qu'elle ne supporte pas de voir une autre famille y vivre à sa place.

Il ne la coupa pas comme elle racontait ses souvenirs. Des souvenirs concernant également sa fratrie de frères et soeurs. Ce genre de choses qu'il ne pourrait jamais partager avec elle à son tour puisqu'il était fils unique. L'histoire concernant Achille l'intrigua, mais il ne lui demanda pas davantage de précisions puisqu'elle s'était tournée respectueusement vers les tombes et que ce n'était sûrement pas le moment d'insister.

Elle lui présenta d'abord les deux plus grands arbres – ses grand-parents – puis, ceux sous lesquels ses frères étaient enterrés et enfin … la tombe de sa mère. Quel âge avait Cassandre, quand elle avait rendu l'âme en donnant la vie ?

Ce souvenir-là, en tout cas, il sentait qu'il était sensible et il préférait éviter de la replonger dans la tristesse. Il préférait tellement quand il la faisait rire – même si c'était en faisant des idioties qui devaient certainement la déprimer !

- Tu m'en redonnes un ? demanda-t-il avec un sourire espiègle, sans préciser de quoi il parlait. Et promis, quand on rentre à la forêt, je partage avec toi le lapin que j'ai attrapé ce matin !

Il reprit un air sérieux et ajouta gentiment :

- Tu devrais profiter d'être là pour te recueillir, si tu veux, Cassy. En pensant aux moments heureux que tu as partagés avec eux.

Et il insistait sur le fait qu'il fallait que ce soit heureux. En tout cas, maintenant il avait la preuve d'une chose : il était bon de prendre des risques.

Qui ne tente rien n'a rien, disait le dicton.

Cassandre avait préféré ignorer la réponse de Sylvère sur son évocation de la mort et le rôle de la forêt. Ces propos la mettaient mal à l'aise. Elle ignora aussi les gamineries de son grand frère faisaient après avoir eu son gâteau. Cela ne servait rien. Il ne s'amusait que trop à répliquer et à paraitre le plus enfant possible. Elle continua son chemin sans prêter attention à lui. Cela l'aiderait peut-être à redevenir adulte.

Il la suivit docilement et l'écouta évoquer toutes ses histoires de famille sans l’interrompre. Ce ne fut qu'à la fin, quand elle se tourna vers lui qu'il réclama un autre gâteau. Elle eut un soupir mais son visage traduisit malgré tout de l'amusement.

"Tu devrais retourner dans la cour, Ys. Y a des copains de ton âge qui seraient ravis de jouer avec toi."

Elle souleva un pan de sa robe et sortit un gâteau pour le lancer à Sylvère.

Sylvère reprit alors un air sérieux, ce qui était quand même rare, et lui proposait de se recueillir. Elle opina en silence. cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas rendu hommage aux défunts de sa famille. La fillette se tourna et s'agenouilla devant la tombe de sa mère. Elle se signa puis joignit les mains l'une sur l'autre. Sa mère... Sa maman.. Partie beaucoup trop tôt. Elle pria pour la remercier de lui avoir donné la vie et lui disait qu'elle faisait tout pour que celle-ci soit fière, où que son âme soit partie. Cassandre n'était pas certaine de croire au Paradis ou à l'Enfer, comme les prêtres l'expliquaient, mais elle en croyait en les âmes des défunts, que celles-ci ne pouvaient disparaitre après la mort. Ils devaient forcément rester quelque chose, un quelque chose qui s'en allait pour un autre voyage. Elle pria un long moment pour sa mère puis fit de même pour ses grands-parents amis ce fut moins long. Elle ne les avait jamais connu que par des récits de son père. Elle remercia cependant d'avoir construit cette ferme et donné naissance à leur famille.

La petite pria un long moment, agenouillée au sol, et semblait étonnamment apaisée, comme partie dans un monde ailleurs.

Il eut son second biscuit sans avoir besoin de réclamer une seconde fois. Il le rattrapa au vol et déclara en le levant un peu pour la remercier :

- On partagera le lapin, tout à l'heure, dit-il alors, avant que Cassandre ne s'installe à genoux devant la tombe de sa mère, mains jointes, après s'être signée.

Il la laissa faire sans un bruit, tout en se disant cependant qu'il n'aurait jamais eu la patience pour faire une telle chose. Rien qu'à l'idée de rester aussi longtemps accroupi, il s'ennuyait déjà.

Ah, prier...

La chose la plus ennuyante de tous les temps !

Comment est-ce que les religieux faisaient, bon sang, pour y parvenir ? Il se demanda même, en observant Cassandre, si pieuse, si elle parvenait à ne pas penser à autre chose en même temps...

Comme il n'avait pas l'intention de rester debout des heures derrière elle, il s'allongea par terre et croisa les jambes pour patienter. Il appuya sa tête sur son bras et dégusta bout par bout – beaucoup plus lentement que le premier – le biscuit que venait de lui donner Cassandre. Cela lui prit une petite minute pour le finir.

Quand ce fut fait, il cueillit une fleur qu'il fit tourner entre ses doigts et qu'il coinca ensuite entre ses dents pour en mâchonner la tige distraitement. Cela l'occupa quelques secondes tout au plus. En même temps, il observait le ciel plutôt dégagé, parsemé de quelques nuages. Il tâcha d'y déceler des formes. Là, un mouton. Ici, un cheval au galop. Et celui-ci, une grosse sauterelle.

Mais les rires des deux enfants, dans la cour, semblaient l'appeler. La proposition de Cassandre d'aller jouer avec eux n'était pas tomber dans l'oreille d'un sourd et il en avait plus que sérieusement envie. Jouer à chat serait toujours plus amusant que regarder une enfant prier. La seule chose qui le retenait d'y aller effectivement, c'était de se dire que l'enfant aurait peut-être besoin de lui à un moment ou un autre.

Il se releva sur ses coudes, pour voir. Cassandre semblait calme. Il hésita encore une petite seconde puis se dit que si elle avait besoin de lui, elle viendrait le chercher. Alors, il bondit sur ses pieds et revint à l'avant de la ferme. Les enfants courraient toujours après le coq. En arrivant à leur niveau, il demanda avec enthousiasme :

- On joue à chat ?

Dans la cour, la mère de famille continuait de bercer son bébé qui gigotait dans ses bras et refusait de dormir. Ses deux enfants s'amusaient à courir après le coq pendant que son époux surveillait la taille des ceps qu'effectuaient les deux journaliers. Elle aperçut surprise le frère de la fillette qu'elle avait autorisé à tarverser leur ferme pour se recueillir sur la tombe de leur mère.

Ses garçons s'approchaient de cet adulte, tout heureux de jouer à chat avec lui.

Intriguée, la mère de famille se releva et s'avança.

"Excusez-moi, mais vous n'êtes pas avec votre sœur ? Vous ne souhaitez pas vous aussi vous recueillir sur la tombe de votre mère ?"

Quelque chose était étrange dans cette histoire.

Les enfants jouaient. Ils étaient heureux. C'était tellement tentant de se joindre à eux et de faire une partie de chat en attendant que Cassandre ait fini ses prières. Beaucoup plus amusant, pour ainsi dire. Elle ne devait pas en avoir pour très longtemps encore, bientôt elle reviendrait... En tout cas, une chose était sûre : il avait terriblement bien fait d'insister pour venir avec elle. Sinon, elle serait encore derrière le muret à maudire cette innocente famille.

Les enfants approchaient, curieux, mais heureux d'avoir un troisième compagnon de jeu. Sylvère aimait les enfants. Ils étaient encore innocents, la vie était à leur yeux un immense plateau de jeu où il fallait s'amuser. Sur ce point-là, ils se ressemblaient beaucoup.

Il les aimait aussi parce qu'il ne se posait pas de questions, ne se demandait pas sans arrêt si telle ou telle chose était bien ou mal. Logique ou illogique. Ils prenaient la vie comme elle venait, simplement, avec ses forces et ses faiblesses. De leur côté, il ne risquait rien.

Du côté de la mère, cela dit... C'était une autre histoire. Elle venait de se redresser et venait vers lui, avec la claire intention d'entamer la conversation. Et ses mots le laissèrent un moment étonné. Elle n'était pas agressive, loin de là, il n'empêchait qu'elle essayait de comprendre. Et qu'essayer de comprendre, ça, ça ne pouvait leur apporter que des problèmes. Surtout si elle finissait par faire le lien avec le Roi de la Forêt. Ce qui, heureusement, n'était pas encore le cas mais pouvait finir par arriver.

- Excusez-moi, mais vous n'êtes pas avec votre sœur ? Vous ne souhaitez pas vous aussi vous recueillir sur la tombe de votre mère ?

Sylvère réfléchit à toute vitesse. Trouver un argument crédible et rapidement. Il ne pouvait décemment pas avouer que Cassandre n'était pas sa soeur de sang ni qu'il ne priait jamais. L'un et l'autre cas aurait des répercussions.

Il fit par trouver une excuse qu'il espéra crédible, en un temps record. Il fallait dire qu'inventer des histoires et des déguisements, il l'avait fait tellement de fois que son esprit commençait à avoir une certaine gymnastique ancrée.

- En fait, nous n'avons pas la même mère... Cassandre est ma demi-soeur mais nous sommes proches. Je préfère l'accompagner pour qu'elle ne fasse pas de mauvaises rencontres en chemin... et la laisser tranquille lors de ses prières.

Il sourit, en guettant la réaction de la femme. Finalement, il ajouta :

- À ce propos, je vous remercie du fond du cœur d'avoir accepté de la laisser venir se recueillir ici. C'est très important pour elle, et elle n'avait encore jamais osé.

Il ébourriffa les cheveux d'un des deux garçons affectueusement qui s'était approché et demanda ensuite, pour tenter de rediriger la conversation ailleurs :

- Comment s'appellent-ils ?

Il se tourna ensuite vers le fond de la cour. Toujours pas de Cassandre en vue. Il espérait qu'elle n'allait pas trop tarder à revenir. Il savait mentir, ça oui, mais chaque mensonge avait des failles qui ne résistaient pas aux questions trop poussées.

Et des failles dans cette histoire-là particulièrement, il y en avait à foison.

La mère de famille écouta la réponse de son interlocuteur et opina silencieusement en se sentant idiote. Ce n'était pourtant pas si rare que cela les enfants d'un lit différent. Et cela permettait à cette fillette ayant perdu si jeune sa mère d'avoir des personnes pour l'aimer et la protéger. Elle sourit.

"Je vois. Excusez-moi. Vous êtes quelqu'un de bien et cette enfant a beaucoup de chance de pouvoir compter sur vous."

Elle retourna s'asseoir sur le banc, cherchant désespérant à endormir ce bébé qui refusait de trouver le sommeil. Ses jambes la fatiguaient tant. Elle observa en même temps ses garçons s'approcher de l'étranger qui souhaitait connaitre leur nom. L'aîné répondit rapidement.

"Moi, c'est Paul ! Et lui Jacques !"

Le cadet eut une moue d'impatience :

"Eh ! T'as dit qu'on jouait à chat ! On joue alors ?"


Pendant ce temps, Cassandre avait terminé de se recueillir et se sentait apaisée. Durant sa prière, elle avait cru percevoir l'esprit de sa mère. Elle était proche. elle veillait sur elle. Les défunts ne partaient pas réellement. Ils s'en allaient de temps en temps ailleurs mais ils finissaient par revenir là où ils étaient attachés. Elle croyait en cela. Fort.

Sylvère avait disparu. Il se promenait sans doute pas trop loin. Rester derrière quelqu'un e prière elle comprenait que ça paraisse long et ennuyeux. Elle retourna dans la cour et observa son grand frère donner une réponse à la mère de famille. A son propre étonnement, il semblait prudent et mentait bien. Les enfants approchaient pour jouer. Un sourire espiègle lui vint et la fillette s'empressa de courir pour pousser l'adulte dans le dos.

"Chat ! C'est toi qui y est ! C'est toi qui y es !"

Narquoise, Cassandre resta cependant près de Sylvère et s'amusa à marcher doucement sur l'une de ses mains. Les garçons, eux, s'étaient pressés de courir se mettre à distance.

"Alors, tu m'attrapes, Ys ? Eh ben non ! Tu m'attraperas pas !"

A ces dernières paroles, elle détala en courant et courut se percher sur une échelle adossée à la maison. Assisse sur un barreau, à mi-chemin du toit, la fillette chantonna :

"Il ne m'aura pas le vilain matou ! Il ne m'aura pas le vilain matou !"

Cassandre éclata d'un rire léger et joyeux. C'était si bon de jouer sans rien pour se prendre la tête.

Sylvère fut soulagé de voir que son excuse fonctionnait. La mère n'insista pas plus que cela, elle retourna s'asseoir en tâchant de bercer son enfant pour qu'il s'endorme. En ajoutant même qu'il était quelqu'un de bien. Cela lui tira un immense sourire. C'était plutôt lui qui avait de la chance d'avoir Cassandre !

Comme les deux enfants – Paul et Jacques - s'impatientaient de ne pas jouer, il fit volte-face vers eux en souriant. Ils s'éloignèrent alors en courant et en riant à gorge déployée. C'était dans ce genre de moments que Sylvère n'aurait échangé sa place pour rien au monde. C'était la plus merveilleuse des forces, à ses yeux, que de savoir rendre les gens heureux et de les faire rire.

Soudain, quelqu'un le poussa et sous le coup de la surprise, il se retrouva à quatre pattes, un peu sonné. Mais cela ne dura pas. Une Cassandre plus heureuse qu'il ne l'avait jamais vue jaillit dans son champ de vision.

- Alors, tu m'attrapes, Ys ? Eh ben non ! Tu m'attraperas pas !

Et elle fila à toutes jambes le plus loin possible de lui. Sylvère se redressa d'un bond. Elle vint se percher sur un barreau d'échelle pour se mettre hors d'atteinte. Il eut un immense sourire. Si elle croyait lui échapper en escalandant une échelle, elle oubliait que lui, il ne se passait pas une journée où il ne montait pas dans les arbres !

Fièrement, en riant, elle chantonnait sur son échelle. Une claire provocation pour qu'il vienne la chercher. Sylvère lui répondit pas un demi-sourire :

- Oh ? Tu es sûre de toi ? Je ne t'attraperais pas ?

Il lui suffisait d'une pierre à hauteur d'homme qui dépassait légèrement du mur pour pouvoir l'attraper et monter suffisament haut pour la toucher. Et c'était ce qu'il avait sous les yeux. En deux temps trois mouvements, il s'était hissé, et l'avait touchée avant qu'elle ne puisse réagir. Alors il lui tira la langue :

- Touchée, Cassy ! Tu as encore des progrés à faire !

Il sauta à terre, en profita pour faire un salto avant et quand il atterit – parfaitement sur ses deux jambes – il écarta les bras, comme s'il était un grand artiste, et salua son public en souriant, ravi de les amuser.

Il se redressa tout aussi vivement, se tourna vers Paul et Jacques en attendant que Cassandre redescende et demanda avec un sourire malicieux :

- Est-ce que vous savez marcher sur les mains ? On vous a déjà montré comment faire ?

Assise sur le barreau de l'échelle, Cassandre fixait son grand frère et continuait de chantonner, toute narquoise. Les deux petits garçons couraient, eux, vers Sylvère et essayaient de l'empêcher d'atteindre l'échelle. Le plus jeune rit en lançant des boules de terre dans le dos de l'adulte. Cassandre riait aussi, s'amusant follement du spectacle, alors que ses jambes se balançaient dans le vide. Elle n'avait jamais été aussi insouciante, aussi épanouie.

Brusquement, déconcentrée par son fou rire, la fillette n'entendit pas Sylvère qui la toucha dans le dos et montra toute sa joie d'avoir su la rattraper en dépit de ses provocations. elle fit la moue, un peu boudeuse.

"Pfft, c'est parce que j'ai bien voulu, hein ! Sinon, hein, tu m'aurais vraiment jamais attrapé !"

Cassandre feignit de bouder mais observa malgré tout, très intéressée son grand frère réaliser une pirouette impressionnante et ne put retenir un cri admiratif. Les garçons regardaient aussi Sylvère, les yeux émerveillés. Leurs sourires s'étirèrent en entendant la question.

"Tu sais faire ça, toi ? "

Oh oui ! Oh oui ! Je veux marcher avec mes mains !"

Depuis l'échelle, Cassandre souriait, heureuse d'assister à cette scène si touchante. Elle éprouvait cependant encore l'envie d'embêter son grand frère. La fillette profita alors de sa hauteur pour sauter sur les épaules du brigand et s'installer sur ses épaules. Ses petites mains couvrirent ses yeux.

"Et avant de marcher sur les mains, tu sais marcher sans les yeux ?"

Elle riait de cette trouvaille. Elle baissa la tête vers les garçons et crâna :

"Vous avez vu ? Il est beau mon cheval, hein ? Allez, hue, Ys ! Huuue !"

Intérieurement, Cassandre eut soudain peur que Sylvère ne s'amuse à la désarçonner ou la pousser dans cette flaque de boue toute proche. Ce serait si tentant et bien dans son genre. Elle haussa les épaules. Tant pis ! C'étaient les risques du jeu !

"Allez, cours, Ys ! Cours ! Cours !"

C'était être magicien que de parvenir à faire jouer Cassandre aussi insouciamment. Sylvère ne pouvait s'empêcher de se dire que c'était lui qui la faisait rire ainsi. Elle semblait tellement heureuse ! Et rendre les gens heureux, Sylvère ne connaissait rien de plus agréable. Le meilleur moyen au monde pour se sentir utile - et sans danger, en plus !

Lorsqu'il parvint à la toucher, elle ne manqua pas de bougonner, un peu vexée d'avoir été prise par suprise. Sylvère eut un sourire malicieux.

- Oh, alors ma petite soeur est donc une mauvaise joueuse ?

Il la charriait, bien entendu, parce qu'il aimait sans aucun doute autant l'embêter qu'elle n'aimait elle-même le faire.

Il ne put retenir son sourire de satisfaction - et de fierté - quand elle poussa néanmoins un cri impressionné pendant qu'il s'inclinait devant son public, suite à son salto. Quel beau compliment que de voir ces étoiles dans leurs yeux, à tous les trois... Comment aurait-il pu avoir envie de devenir sérieux face à ces regards-là, qui respiraient la joie de vivre ? Les deux garçons étaient surexcités, et cela encore plus à l'idée qu'il marche sur ses mains.

- Évidemment que je sais faire ça ! C'est pas si compliqué que ça en a l'air !

Il leur aurait bien montré comment faire aussitôt, si une petite fille n'était pas alors atterrie sur ses épaules en riant, très fière d'elle. Et elle posa les mains sur ses yeux. Petite chipie.

- Et avant de marcher sur les mains, tu sais marcher sans les yeux ?

Et voilà que Sylvère se retrouvait être son nouveau cheval. À qui elle demandait d'avancer, à grands renforts de hue ! Il pensa quelques instants à l'envoyer valdinguer dans la flaque de boue à ses pieds - et il était certain qu'elle avait elle aussi imaginé cette possibilité - mais il décida en fin de compte de jouer les gentils chevaux obéissants. La voir s'amuser avec autant de légèreté était si agréable !

Il fit quelques tours de cour, avec elle toujours perchée sur ses épaules. Les deux garçons les observaient toujours, ainsi que la mère, qui semblait attendrie.

Sylvère n'aurait su dire combien de temps ils avaient joué ainsi, tous les quatre, sans penser à rien d'autre, mais cela devait faire bien quelques heures qu'ils y étaient quand vint l'heure de rentrer. La journée était bien entamée, il avait faim et, pour ne rien arranger, quelqu'un pouvait toujours risquer de le reconnaître. Il ne s'en inquiétait réellement que maintenant, mais mieux valait tard que jamais, n'est-ce pas ?

Il s'en voulait quelque peu de briser cet instant d'innocence, si rare quand on parlait de Cassandre mais désormais qu'elle connaissait Paul et Jacques, elle pourrait revenir jouer avec eux sans lui - même s'il aurait été vexé qu'elle ne vienne pas lui proposer de l'accompagner dans ces cas-ci.

- Cassy, il se fait tard. Nous devons rentrer.

Il lui sourit, passa la main dans ses cheveux et ajouta avec un petit clin d'oeil complice :

- Je t'ai promis de partager mon repas avec toi, tu te souviens ?

À l'air dépité qu'affichèrent les deux enfants en comprenant que la séance de jeu touchait à sa fin, Sylvère se décida à leur offrir une dernière pirouette. Il avait promis de leur montrer comment marcher sur les mains, alors pourquoi pas le faire maintenant ?

Il se hissa en poirier, attendit d'être stable et souleva alors les mains l'une après l'autre. Au bout de cinq fois, il fit une simple petite roulade avant pour se remettre debout et saluer en bonne et due forme ses admirateurs.

- La prochaine fois que je viendrais, je vous apprendrais ! assura-t-il en souriant avant de se tourner vers Cassandre. On y va ? Tu es prête ?

Depuis l’échelle, Cassandre continua de bouder, surtout après la remarque de Sylvère. Non, elle n'était pas mauvaise joueuse. Pas du tout. C'était lui qui n'avait pas joué correctement les règles. Voilà tout. Enfin, ce n'étaient pas qu'il y avait de règles précises, c'est vrai, mais elle n'avait pas envie de le reconnaitre. Et puis, c'était mieux de penser qu'elle avait perdu sans ce soit sa faute, par un défaut.

La fillette avait cependant vite oublié sa bouderie et s'amusait à présent à chevaucher les épaules de Sylvère. Il se comportait en cheval obéissant et effectuait sans broncher des tours de cour. Amusée, elle tendit un gâteau au-dessus de sa tête et l'agita.

"Bon cheval ! Allez, tu mérites ta récompense !"

Ils s'amusèrent un petit moment quand Sylvère la déposa au sol et lui rappelait qu'il était l'heure de rentrer. La fillette observa le soleil dans le ciel et fronça les sourcils.

"Déjà... ?"

Cassandre était déçue de s'en aller et profita à peine des pirouettes que son grand frère effectuaient pour les deux jeunes enfants qui battaient des mains, surexcités. Elle resta un peu un peu retrait, se préparant au départ, le cœur un peu lourd quand la mère de famille arriva vers, les bras encombrés d'un lourd paquet, quand Sylvère annonça qu'il fallait partir.

"Excusez-moi, mais vous avez si bien occupé mes petits, ils ont pris tant de plaisir... ça ne se fait pas de laisser repartir des visiteurs sans rien. Prenez donc. Ce n'est que peu de choses."

Un torchon recouvrait un petit panier dans lequel reposait un morceau de jambon, un petit pot de beurre et un pot de confiture.

"Ce n'est que pu de choses, bien sûr."

Cassandre rougit en découvrant la générosité de la mère de famille et se souvint de toutes ces horreurs qu'elle avait pu lui souhaiter. Elle recula de quelque pas, trop honteuse pour répondre ou remercier.

Sylvère se plia à l'exercice du cheval de bon gré et il fit autant de tours de cours que Cassandre le lui en demanda. Cela faisait si plaisir à voir qu'il ne lui aurait rien refusé et qu'il aurait pu encore continuer pendant longtemps à ce rythme, même si la jeune fille avait beau n'être pas grosse, elle restait d'un poids notable suspendue ainsi sur ses épaules.

Finalement, elle daigna enfin le laisser se reposer un peu. Sa remarque l'amusa, sans le vexer le moins du monde. Sylvère n'avait jamais été vraiment susceptible - en tout cas, pas sur ce sujet-là. D'autant plus qu'elle agitait joyeusement un nouveau biscuit juste sous son nom et que cela aurait fait passer tous les reproches du monde. Il eut un immense sourire et l'attrapa au vol pour croquer aussitôt à pleines dents dedans. Combien en avait-elle encore sur elle ? Et comment pouvait-elle parvenir à en cacher autant dans les simples plis de sa robe ?

- J'ai bien travaillé alors ? Est-ce que je suis un bon cheval ?

Mais le soleil baissait dans le ciel. Ils avaient joué ainsi des heures durant. Au visage triste qu'afficha Cassandre, Sylvère s'en voulut de lui rappeler la réalité de cette manière. Elle jouait si rarement ! Pourtant, toutes les bonnes choses avaient une fin. On le disait bien. L'avantage de cela, c'était que les mauvaises en avaient donc forcément une aussi !

Et puis, ils reviendraient. Maintenant que cette famille les connaissait et que Sylvère avait promis de revenir apprendre à Paul et Jacques à marcher sur leurs pieds, c'était pour ainsi dire déjà acté. Il n'y avait pas de raison que quelque chose les empêche de revenir très vite.

Sylvère était un éternel optimiste, quand Cassandre ne voyait que le verre à moitié vide. C'était d'ailleurs bien ce que montrait sa déception de s'arrêter maintenant. Elle regrettait toutes les heures de jeu qu'elle n'aurait pas, quand elle aurait pu se réjouir de celles qu'elle venait de vivre. Mais Sylvère finirait par lui apprendre à voir le bon côté de la vie, ces cadeaux quotidiens qui la rendait si belle, avec de la patience et du rire.

La mère s'approcha soudainement, un panier dans les bras. Un panier qu'elle... leur tendit. Surpris, Sylvère ouvrit de grands yeux et souleva un coin du torchon qui recouvrait les provisions. Du beurre, du jambon et de la confiture. Il le lâcha aussitôt. Pas grand chose ? Mais elle ne se rendait pas compte ! Quel festin il allait faire ce soir, dans sa forêt ! Il en salivait déjà !

Cassandre semblait mal à l'aise d'accepter alors Sylvère s'en chargea. Il prit le panier avec un hochement de tête :

- Je vous suis gré de votre geste, Madame. En mangeant ce soir, nous penserons à vous, merci.

Et il sourit. Enfin, il se tourna vers Cassandre et lui tendit la main tout naturellement d'un air de dire : allez, viens, on s'en va ! Allons nous régaler !

Et ils quittèrent la ferme sans attendre davantage. Quand Sylvère s'estima hors de portée d'oreille, il demanda avec un sourire, tout en s'arrêtant momentanément pour soulever le torchon une nouvelle fois et s'émerveiller de ce qui se trouvait à l'intérieur.

- Alors, Cassy ? Est-ce que tu regrettes d'avoir pris le risque de demander à cette femme son autorisation ?

Il sourit encore.

- Et tu vois aussi que ces gens sont des personnes honnêtes qui ne t'ont jamais voulu de mal.

Il se releva, en déchirant un petit bout de jambon pour le manger :

- Je suis si fier d'être ton grand frère ! Tu es ma petite championne ! Mmh ? Tu veux un bout de jambon pour finir le trajet ?

Cassandre laissa son grand frère discuter avec la mère de famille, trop embarrassée pour lui répondre. Elle continua de reculer vers le muret, tête baissée, en observant Sylvère la remercier pour son présent puis saluer la petite famille.

Ils s'en allèrent finalement.

Durant les premiers temps du trajets, le silence régna. Cassandre se sentait trop gêênée pour parler. Elle songeait à toutes ces fois où elle avait maudite cette famille pour s'être installée dans la maison de sa famille et pris leurs terres. ce n'était pas juste. ils n'avaient fait que racheter, à peu d'argent, une propriété qui avait été saisi par leurs créanciers. Pour ceux, cela avait été une belle opportunité. Alors, c'était la faute de qui ? Des créanciers ? Elle ne connaissait pas leur noms. a peine leurs visages. A part celui venu avec les gens d'armes pour emmener son père en prison et lui ordonner de déguerpir, que cette maison n'était plus à elle. La tristesse quitta son cœur qui se remplit à nouveau de haine et de colère. La vision de cette homme menaçant la remplissait à nouveau de haine. Ce serait sa prochaine cible.

Sylvère prit alors la parole et lui demandait si elle regrettait d'avoir demandé l'autorisation d'entrer. La fillette baissa la tête et marmonna.

"Euh.. Non."

Il lui disait que cette famille était famille. Oui, elle le reconnaissait. Mais elle n'avait pas envie de le dire à voix haute.

"Mmmh"

Ce fut la seule réponse que la fillette se sentit capable de faire. Sylvère sortit alors le jambon en la complimentant, ce qui al fit rougir un peu. Elle tendit ensuite le bras. Manger, ça, c'était un sujet bien intéressant !

"Oh oui !