[14 Novembre] La visite d'un malicieux Cupidon [Terminé]

Après sa visite dans la forêt à son grand frère, Cassandre retourna rapidement en ville puis se dirigea vers le domaine du comte de Monthoux. La fillette étudia dans un renfoncement les lieux puis profita d'un relâchement de deux esclaves qui nettoyaient la cour pour se faufiler dans une brèche étroite du mur d'enceinte elle remonta dans les ombres les allées du jardin puis s'introduisit à l'intérieur même du château, par une petite porte. Que cela était simple de se glisser chez les nobles qui se croyaient à l'abri derrière leurs murailles prétendument sûres ! Si elle l'avait désiré, Cassandre aurait pu être une formidable cambrioleuse si elle avait été malhonnête. Mais son père aurait été déçue. Alors, elle serait une personne droite et honnête.

Après quelques déambulations, Cassandre finit par découvrir la chambre de Kalisha et poussa la porte qui n'était décidément pas fermée à clé. Quel grossier manque de prudence ! Elle n'était pas devenue la compagne de Sylvère sans raison celle-là ! Derrière, la fillette découvrit une pièce qui dépassait le cadre de l'endroit pour dormir. Tout état si richement décoré, avec tant de meubles et d'accessoires ! En premier lieu, Cassandre retira ses souliers et saura dans le lit immense puis se laissa tomber dedans. Comme il était confortable ! Encore meilleur que celui où elle dormait avec Grace !

Peu encline à rester longtemps inactive, Cassandre se releva et s'approcha de la fenêtre. des esclaves continuaient à balayer la cour et d'autres coupaient du bois. Elle se souvint que c'était sans là que devait travailler Achille lorsqu'il se trouvait sous les ordres du cruel Prosper de Monthoux. A la pensée du comte, un sourire narquois lui vint. elle avait hâte de conter à Kalisha puis Sylvère le petit tour qu'elle avait décidé de jouer à ce méchant homme. Ils en riraient fort ! Surtout Sylvère !

Cassandre continua son exploration et s'éloigna, par réflexe, d'une corbeille de fruits, surmontée d'une grosse pomme rouge appétissante, disposée sur une petite table. Elle s'approcha des étagères et contempla les ouvrages épais aux couvertures colorées. Ses petits mains en dégagèrent un. elle s'assit au sol, l'ouvrage posé sur le plancher et l'ouvrit au hasard. Elle chercha à décomposer un mot, lettre après lettre, comme Sylvère lui avait appris, mais ne reconnaissait aucune de ces lettres étranges. Les caractères étaient serrées, minuscules et dans une écriture difficilement lisibles. Pourquoi ça ne ressemblait pas à ceux montrés par son grand frère ? C'était un livre particulier ? intriguée, Cassandre sortit un à un  les neufs ouvrages qui formaient sur cette étagère cette petite bibliothèque et chercha à comprendre. A chaque fois, c'était la même chose et les mêmes caractères. Elle soupira.

"Pffft.. la lecture, c'est aussi chiant que se prendre une corne d'auroch dans le cul !"

Elle avait laissé échapper un juron que Eldred avait un jour poussé devant elle sans en avoir conscience.  Frustrée, Cassandre se délaissa des livres et les abandonna sur le plancher puis chercha une autre idée pour s'occuper. Son regard surprit une coiffeuse avec dessus différents onguents de maquillage, de crème et autres produits de beauté. Cassandre se rappela que les filles du Lupanar en mettaient aussi pour perfectionner leur beauté eut envie de les essayer. Jusque-là, elle n'avait jamais eu le droit d'y toucher et la tentation de voir tous ces pots proches, sans aucune surveillance, devint vite trop difficile pour ne pas y succomber.

Assise devant le miroir, Cassandre commença à tester les diverses crèmes et se les étalait sur le visage au hasard, sans savoir leurs effets. Rapidement, ses joues prirent des couleurs étonnantes et devinrent plutôt poisseuses.

"C'est vraiment censé embellir ? Je ne me trouve pas beaucoup plus belle ! On alors je dois encore en mettre une ?"

Sans se poser davantage de questions, Cassandre ouvrit un autre pot, sans avoir refermé aucun des autres, et s'enduisit le visage d'une énième crème.

Kalisha était sortie prendre l'air dans les jardins. Depuis son retour, elle n'avait que peu quitter ses appartements dévoraient par une mélancolie qu'elle n'arrivait pas à contrôler. De temps à autres des larmes jaillissaient sans qu'elle ne puisse les arrêter et cette raison était suffisante pour l'empêcher de sortir. Sans parler du fait qu'elle n'en avait pas envie. Elle n'avait envie de rien. Rien n'avait de saveur. Rien n'était intéressant. Rien n'était beau. Rien n'était amusant.


Florentyna lui avait proposé de se rendre dans le parc, respirer l'air frais.
Elle avait décliné.
Pour finalement, se décider.
Seule. Sans personne.
Car la seule qu'elle attendait, ne viendrait pas.

Malgré tout, elle avait dans l'espoir que de s'asseoir au pied d'un chêne lui procure un quelconque réconfort. Est-ce que ses racines s'enfonçant dans les entrailles de la Terre, la sillonnait jusqu'à la forêt comme autant de veines?
Elle avait posé son oreille contre le tronc, espérant entendre le cœur de Sylvère battre de l'autre côté.


Elle s'était relevée et avait pris le chemin du retour


Elle se renfrogna et poussa la porte de ses appartements.

Kalisha poussa un cri de détresse. Avant de reconnaitre la petite Cassandre. Que faisait-elle ici? Comment? Pourquoi?

- Madame la Comtesse ? Est-ce que tout va bien ? demanda inquiète une esclave.

Elle entrouvrit à peine la porte et répondit

-Ce n'est rien… Veuillez m'excuser… J'ai simplement aperçu une… petite souris filée derrière le rideau.
- Laissez-moi chasser cette vermine, Madame.
Elle jette une œil à la fillette avant de répondre un brin paniquée
- Non, non, non je vous assure ! Ce n'est rien ! C'est juste… La surprise. Je ne m'attendais pas à la voir s'amuser dans mes fards sur ma coiffeuse !

Les mensonges, devaient toujours contenir une part de vérité. Comme celui qu’elle avait servi lors de son retour. Elle afficha un petit sourire triste quand elle aurait autrefois rit et referma la porte tout en soupirant, paupières closes. Une fois remise de ses émotions, elle s’avança lentement vers la fillette au teint bariolé.

- Mais ! Qu'est-ce que tu fais ici… couverte de rouge à lèvre et de fard ? Et… et.. et… Tous ces livres… que s'est-il passée ici nom de Dieu ?

Elle se rapprocha d'elle et entreprit de ranger les petits pots en céramique méthodiquement, d'un air absente.

Occupée à étudier les divers pots de maquillage et à les ester sur son visage, Cassandre n'avait pas entendu tout de suite l’ouverture de la porte. Elle sursauta quand retentit le cri de Kalisha puis se cacha dans l'anfractuosité de la coiffeuse quand elle perçut la voix d'une esclave zélée. Kalisha prétendait à une souris malicieuse. La fillette étouffa un rire devant cette malice. Quelle rusée que sa grande sœur ! Elle congédia assez facilement la femme puis referma enfin la porte.

Alors que Kalisha approchait et observait la pièce puis remettait ses pots de maquillage, Cassandre se dégagea de sa cachette. La jeune femme l'observa, encore sous le coup de la surprise, et voulut savoir la raison de sa présence dans cette chambre. Avant de répondre, l'enfant se précipita pour étreindre Kalisha, omettant que son visage bariolé risquait de salir sa belle robe.

"Grande sœur !"

Elle s'écarta peu après et rit de son étonnement.

"Je suis un ange qui descend du Ciel pour réconforter les amoureux séparés !"

Cassandre s'amusa de sa réponse et prit son temps pour sortir le rouleau de sa robe. Elle le dissimula derrière ses mains puis le fit apparaitre devant elle.

"Il y a quelqu'un qui voulait te faire parvenir ça ! Ah oui ! Et il a dit aussi qu'il aimerait qu'à a tombée de la nuit, tu regardes le ciel. Il a dit aussi qu'il le ferait aussi."

La fillette fit alors une moue, perplexe.

"Dis, j'ai pas osé le demander à Ys, j'avais peur que ça lui fasse de la peine qu'on comprenne pas sa demande, mais pourquoi il faudrait vous regardiez le ciel au même moment ? Ça va faire un truc spécial ?"

Il était temps de la rassurer aussi sur le sort de Sylvère.

"T'inquiète, il va bien Ys ! Enfin, il est un peu triste et pense à toi mais il a toujours un bon moral ! Ne crois pas les dernières rumeurs si tu les entends ! Les gens ils croient en ce moment qu'il est mort car y a pas d'attaques de sa part depuis quelques jours ! Ils sont bêtes ces vermines de troll ! Il y avait juste pas eu de passage dans la forêt ! Du coup, pour s'occuper, Sylvère, il est allé embêter Hyriel ! Tu vois ? iI va très bien, Ys !"

Cassandre se tut puis hésita avant de pouruivre. elle sourit d'un air timide.

"Tu sais, Kalisha, je te trouve très courageuse pour être revenue ici dans un endroit que tu détestes alors que tu aurai pu le fuir. Autrefois, quand je travaillais au Lupanar, chaque fois que j'en partais pour une course, j'avais envie de ne pas revenir. De me sauver. Mais je savais qu'il y aurait des ennuis. Alors je rassemblais mon courage et j'y retournais. c'était difficile mais après tout ça j'ai pu avoir maintenant une gentille famille. Alors, je suis certaine que toi aussi, grande sœur, tôt ou tard, tu auras une meilleure vie."

Elle remarque que Kalisha avait observé plusieurs fois le désordre de la pièce. Cassandre eut un rire gêné.

"Ah oui ! Je me suis un peu ennuyée en t’attendant. Alors j'ai voulu essayé de lire un de tes livres. Mais ils sont trop compliqués ! Et puis, après, j'ai voulu essayer tes produits ! Au Lupanar, les filles disaient que ça faisait ressortir la beauté. mais moi je me trouve vraiment pas plus belle ! Si tu veux mon avis, grande sœur, tu t'es faite arnaquer avec ces produits !"

Cassandre se jeta dans ses bras. Surprise par le geste, elle resta un instant les bras le long du corps avant de l’enlacer à son tour. Tant pis pour sa robe ! Ce n’était qu’une robe monbrinienne !

"Je suis un ange qui descend du Ciel pour réconforter les amoureux séparés !"

Elle afficha un sourire triste. Elle aurait sans doute ri de concert en temps normal. Pourtant elle était tellement adorable avec elle ! Alors qu’elle la connaissait si peu. La petite fille farfouilla dans sa robe et sortit un rouleau.

Une lettre ? Une lettre de son Roi ?

Son regard s’éclaira soudainement alors qu’elle écoutait attentivement le message.

Il aimerait qu'à la tombée de la nuit, tu regardes le ciel. Il a dit aussi qu'il le ferait aussi.

Elle pouvait entendre sa voix lui murmurer ces paroles, accompagné de son sourire malicieux. Oh ce que ce sourire pouvait lui manquer… Ce qu’il lui manquait… Terriblement.
Elle entreprit de se déchausser, de quitter ses inconfortables souliers. Elle aimait marcher pied-nus sur les épais tapis qui recouvraient le sol de ses appartements. Dans sa main, elle tenait toujours le rouleau.
Elle n’osait pas le lire. Mais en même temps, elle en mourrait d’envie.


- Parce que le ciel est le même partout n’est-ce pas ? Alors si on le regarde au même moment c’est un peu comme si l’on partageait quelque chose. Tu comprends ?

Dorénavant, elle regarderait chaque soir le ciel en direction de la forêt. Jusqu’à ce qu’elle puisse le faire, lovée dans ses bras, sous l’épais manteau élimé.

- Comment va-t-il ? Est-ce qu’il va… Bien ?

T'inquiète, il va bien Ys ! Enfin, il est un peu triste et pense à toi mais il a toujours un bon moral !

Elle soupira de soulagement. Elle culpabilisait tellement de l’avoir quitté. Elle n’avait pas voulu partir, mais n’avait pas eu le choix. Elle avait bien senti que la nouvelle l’avait anéanti et s’en voulait encore terriblement. Alors savoir qu’il allait bien, lui allégeait un peu la conscience. Enfin, bien… La suite la fit frémir.
On croyait le Roi mort ? Mort… Il n’avait pas prélevé d’impôts. Sylvère ?!
Elle commença à devenir livide. Jamais il n’aurait  « oublié »  de réclamer ses impôts. Il tenait bien trop… Elle l’imagina soudainement avachi contre arbre ou enroulé sous sa couverture dans sa grotte. Elle doutait fortement que personne ne soit passé… Car si tel était le cas, il n’y aurait jamais eu de rumeur sur sa prétendue mort. Elle serra le petit rouleau de papier contre son cœur, retenant ses larmes. Cassandre, petite bavarde qu’elle était, lui avoua qu’elle l’avait trouvée courageuse. Pauvre petite, elle avait du vivre des choses terribles, elle aussi et la serra dans les bras.


Il ne devait pas savoir. Il ne devait pas savoir qu’elle était triste. Cela rendrait son absence encore plus difficile. Elle ravala ses larmes, étouffant un petit rire quand la fillette lui fit part de ses expériences durant son absence.

- Ce sont des livres inintéressants. Ils ne sont exposés que pour faire beau. Mais je peux t’en trouver un qui te plaira je pense.

Sans lâcher la lettre, elle ouvrit une porte, qui donnait sur une autre pièce en enfilade : le bureau où se trouvait une belle bibliothèque. Elle parcourut les titres des yeux et en saisit un, qu’elle lui tendit.

- C’est une édition illustrée du Roman de Renart.  J’espère que ce livre te plaira. Allons te débarbouiller veux-tu ? Tu t’es badigeonnée de rouge à lèvres ce n’est pas très malin ! Je te montrerai comment faire si tu veux ?

Elle retraversa le bureau jusqu’à la coiffeuse et dû se séparer de la lettre afin de tremper le linge dans l’eau. Kalisha entreprit de nettoyer son petit visage bariolé.

- Moi aussi j’ai quelque chose que j’aimerai que tu lui transmettes.

Comme elle ne sortait pas, elle passait le plus clair de son temps à broder pour oublier. S’occuper l’esprit lui évitait de se laisser dévorer par le chagrin. Elle tendit le linge à Cassandre afin de se rendre auprès de sa table de chevet. Elle réprima un frisson, en songeant à ce soir où Prosper l’avait visité.

Elle fit glisser le tiroir et en sortit un mouchoir brodé d’un arbre dont le tronc était formé d’un Y et les branches d’un K renversé avant de revenir auprès de la petite et de lui tendre.

- Tu… Tu pourras lui donner cela ?

Kalisha répondait à son étreinte et la prenait aussi dans ses bras. Cassandre sourit, soulagée que celle-ci ne lui en veuille pas pas pour tous les mots méchants qu'elle avait pu dire à leur première rencontre. La fillette resta un petit temps contre son corps chaud, réconfortant, à profiter de l'étreinte. Elle en tirait autant de bienfaits qu'elle en apportait.

Lorsque Cassandre se retira et dévoila le rouleau, le regard voilé de Kalisha changea. Elle pétillait. C'était vraiment l'effet de l'amour ? L'enfant en était encore surprise et avait du mal à comprendre. La main de la princesse serrait précieusement le parchemin alors qu'elle se déchaussait. Ses pies étaient nus sur le tapis. Elle ne risquait pas d'avoir froid ? La fillette se rappelait de ces moments où elle avançait ainsi sur les pavés froids ou humides.  Cassandre s'accroupit et tâta le sol, sursautant devant cette douceur.

"Ah ! C'était tout chaud ! Et doux !"

Intriguée, Cassandre continua à explorer cette matière inconnue, perplexe, lorsque les poils du tapis chatouillèrent ses narines et provoquèrent un éternuement. Elle renifla et se moucha dans une de ses manches, sans le moindre souci d'élégance.

Peu après, Kalisha répondit à sa question et Cassandre se releva tout en cherchant à réfléchir. Le ciel était partout le même, oui, mais ça n'empêchait pas qu'ils restaient séparés.

"Je... Pas très bien."

Kalisha prenait à présent connaissance de comment se portait Sylvère. Cassandre la sentait vulnérable, prête à s'effondre. Pourtant, elle restait forte et solide. L'enfant ne l'en admira que plus. Comme elle était forte et courageuse. A son étonnement, la jeune femme vint la cueillir dans ses bras. Cassandre se laissa bercer, appréciant de retrouver dans l'étreinte de la chaleur et du réconfort. Kalidha vint commenter que les ouvrages que Cassandre avait essayé de consulter était inintéressant puis s'écarta pour se rendre dans une autre pièce. Curieuse, la fillette la fillette la suivit et découvrit de nombreux livres, éberluée.

"Ah ! Il y a une centaine de livres ! Quoique.. non. Attends. Sur cette rangée, y en a quinze...   Et là-bas. Non, y en a juste quarante-six. Mais ça fait quand même beaucoup ! Tu as lu tout ça ?"

Pendant ses calculs, Kalisha revint pour lui tendre un ouvrage superbement illustré. cassandre hésita.

"Je.. Je peux vraiment le prendre ?"

Cassandre eut un long moment d'hésitation avant de prendre le livre, ayant soudain l'impression que sa main allait être brûlée quand elle aurait effleuré la couverture. mais naturellement rien ne se produisit et la fillette range avec prudence le livre sous sa robe, le coinçant dans ses jupons. Elle remercia, la voix remplie par l'émotion, touchée par un cadeau aussi généreux.

Toujours sous le coup de l'émotion, Cassandre se laissa entrainer vers la coiffeuse. Kalisha entreprit de lui nettoyer lev visage en lui faisant la leçon. Elle répondit d'une petite voix.

"Au Lupanar, les filles expliquaient que ces produits servaient à devenir plus belles. je regardais et elles se l’étalaient sur le visage la crème. j'ai juste voulu faire pareil. Mais ça a pas donné le même résultat. Eh ! C'est vrai ? Tu vas m'apprendre ? Tu vas m'apprendre ?"

Néanmoins, après lui avoir nettoyé le visage, Kalisha se retira et se rendit vers la table à chevet du lit. Ses gens semblaient plus lents. Mécaniques.La tristesse revenait ? Cassandre s'assombrit, peinée, et chercha une idée pour la dérider lorsque sa grande sœur revint pour lui tendre un mouchoir. Elle baissa les yeux et s'émerveilla de al douceur puis de la qualité de la broderie. elle sourit puis le rangea précieusement sous sa robe.

"Oh ! Il va être trop content !"

Tout en rangeant le mouchoir, Cassandre toucha les chardons qu'elle avait rapporté de la forêt et un sourire espiègle se dessina sur son visage. Elle est sortit pour les exposer.

"Dis, grande sœur, ton mari... J'imagine qu'il doit venir certaines nuits ou de demander de venir dans son lit, non ? J'ai été en mettre tout à l'heure dans son lit ! Il va avoir une belle surprise ! Et quand il vient chez toi, tu pourras en glisser discrètement ! Avec un peu de chance,ça le dégoûtera de venir !"

Cassandre avait eu cette idée naïve sur le chemin du retour, peu avant de quitter la forêt. Cela pouvait marcher, si ? Et puis, Kalisha, c'était la femme de son grand frère, même officiellement mariée à un autre homme, personne d'autre ne pouvait la toucher.

Kalisha observa interloqué la petite Cassandre frotter sa tête contre les tapis, avant de comprendre qu'elle n'avait sans doute pas dû en voir de pareil durant sa vie d'enfant. Les poils la firent éternuer, elle se moucha dans sa manche, sous le regard réprobateur de la jeune Comtesse.

-Ce n'est pas là une attitude digne d'une princesse, jeune fille!, sur ce, elle fouille sa robe pour lui tendre un mouchoir brodé à son monogramme Ce sera plus élégant avec ceci. Garde-le en souvenir si tu veux.

Sur ce, elle lui tendit la précieuse lettre tout en transmettant le message qu'elle tenta d'expliciter avec plus ou moins de succès vu la mine dubitative qu'elle arborait. Après l'avoir serré dans ses bras et constaté les livres éparpillaient, elle s'était rendu dans son bureau afin de lui offrir un ouvrage de sa collection.

- A vrai dire... Je ne les ai jamais compté. Mais je te fais confiance. J'en ai lu une bonne partie depuis mon arrivée. Les livres cela permet à l'esprit de s'évader tu sais.

Si son corps était prisonnier, son esprit lui, demeurait libre.


- Bien sûr que tu peux le prendre si cela te fait plaisir. Je pense que tu vas beaucoup l'apprécier. C'est un roman avec des animaux pour personnages dont un loup du nom de Ysengrin. Mais il n'a rien à voir avec le notre! Lui ce serait plutôt Renart dans l'histoire. Le malicieux goupil.

Son coeur se mit à battre plus fort en prononçant son nom à haute voix pour la première fois depuis leurs adieux avant de serrer de plus belle...

Elle avait  longuement hésité à prendre ce livre et Kalisha comprenait sa réticence. Les livres coûtaient chers et celui-ci encore plus de part les illustrations qu'il contenait. C'était un ouvrage de collection. Mais si cela lui faisait plaisir, elle lui cédait bien volontiers. Ce n'était pas comme si elle manquait de quoi que ce soit ici où si l'ouvrage en question lui manquerait.


Depuis qu'elle avait prononcé son nom, elle avait l'impression d'avoir comme un écho dans son esprit. Une boule commençait à se former dans sa gorge et elle entraina rapidement la fillette vers la coiffeuse avant de se laisser déborder par l'émotion grandissante.
Elle entreprit de la nettoyer tout en l'écoutant raconter son expérience au lupanar. Elle avait dû être bien courageuse pour survivre dans un tel milieu...

- Les crèmes que tu mets sur ton visage sont blanches. Comme celle-ci, elle ouvrit un petit pot pour lui montrer l'onguent les rouges ce sont pour les lèvres, tu vois? Et les poudres de couleurs pour les paupières. Sauf les roses qui sont pour les joues. elle attrapa un dernier pot semblable à un encrier qu'elle ouvrit. et ça c'est du khôl, je l'ai fait venir de Djerdan. C'est pour les yeux. Elle lui désigna le discret trait noir qui ornait ses paupières.

Elle se retira ensuite afin de récupérer la précieuse broderie sur laquelle elle avait passé de nombreuses heures. Un cadeau pour son Roi qui lui manquait tant. Sa réaction pleine de candeur la fit la sourire. Quand avait-elle égaré cette spontanéité enfantine? Elle avait parfois l'impression de la retrouver lorsqu'il était là...

Alors que son esprit s'envolait vers la forêt, Cassandre avait déposé des chardons sur la coiffeuse. L'évocation des visites de son mari la fit tressaillir. Elle avait encore en mémoire ce soir dernier où il était venu réclamé son dû et faire son devoir conjugal. De toutes les choses qu'il aurait du faire dans leur mariage c'était bien la seule qu'il ne manquait jamais d'honorer. Mais si elle s'y était prêtée jusque là de bonne grâce la simple sensation de ses grassouillettes mains sur ses hanches lui arrachaient un haut-le-coeur. Elle avait bien faillit littéralement vomir et n'avait dû son salut qu'à la liberté de son esprit qui était parti loin très,très,très loin tandis qu'il faisait son affaire. Lorsqu'il était finalement reparti un sourire porcin sur les lèvres, elle s'était effondrée lamentablement sur le sol dans une cascade de larmes avant de réussir à trouver la force d'extirper le foulard de Sylvère, soigneusement caché sous son épais matelas.
En entendant qu'elle avait glissé des chardons dans son lit, elle ne put retenir un éclat de rire à l'image de Prosper piqué par ces petites choses!

- Je ne peux pas Cassandre. Il ne doit rien savoir et ne doit pas se douter de quoi que ce soit. Tout doit rester comme avant. Officiellement j'étais parti faire un pèlerinage pour m'assurer fertilité...
C'était bien -plus ou moins- la raison initiale de son arrivée dans la forêt. Au jour d'aujourd'hui, elle se demandait comment elle avait bien pu faire cela. Elle avait l'impression que c'était dans une autre vie...

- Si notre relation est découvert, il risque d'importantes représailles et moi... Moi ce n'est rien en comparaison. Tu comprends Cassandre? Mais j'apprécie ton geste.

Elle embrassa doucement son front désormais propre.

-Bon et si nous lisions cette lettre?!

Cassandre observa Kalisha avec une moue d'ennui quand celle-ci la reprit pour s'être essuyé avec sa manche. Elle rangea le beau mouchoir qu'elle lui tendait avec délicatesse.

"C'est chiant toutes ces règles de politesse. Dame Irène, elle me reprend souvent mais... Mais c'est quand même plus naturel de se moucher ou s'essuyer avec un bout de vêtement !"

Mais elle n'avait pas envie de faire de la faire à Kalisha. Elle était si gentille. Elle lui offrait un si joli mouchoir et un livre si sublime. Elle serait ingrate de faire la muvaise tête.

"Mais je ferai un effort. pour toi."

Elle l'écouta parler du récit que contait le roman que la princesse venait de lui offrir. Un loup nommé Ysengrin et un goupil malicieux... Comme elle avait envie soudain de savoir lire et de connaitre cette histoire !

"Dis, tu crois que je saurais le lire seule quand ? Si j'arrive à retenir mon alphabet, je pourrais lire ?"

Peu après, Cassandre ouvrit grand oreilles et yeux pour suivre sa première leçon de maquillage. Elle suivait avec attention ses explications et mémorisait les bons pots à utiliser et pour quelle partie du visage. Le dernier produit mentionné la fit réagir. Elle s'approcha et prit l'onguent que la princesse nommait khôl et le reniflait.

"Mais ça ne sent pas du tout comme de la colle !"

Avec prudence, elle trempait deux doigts dedans et vit le bout devenir noirs.

"Et c'est pas du tout de la colle ! Alors, pourquoi on appelle ça de la colle ?"

Pendant que Kalisha se perdait dans ses pensées, Cassandre tourna le dos et s'amusa à mettre en pratique la leçon de maquillage. d'abord, très curieuse, elle appliqua le fameux khôl et souligna le contour de ses paupières. Elle mit ensuite dessus une légère dose de poudre violette dessus. Cela faisait beau. La fillette se saisit ensuite d'une crème toute blanche et l'étala sur son visage ordinairement bruni. Elle mit ensuite du rouge sur ses lèvres mais déborda légèrement, malhabile, et en fit couler sur son menton.

D'abord, elle se contempla dans le miroir, cherchant à apprivoiser cette nouvelle image, puis se retourna.

"Je suis devenue belle ?"

Elle attendait, nerveuse, le verdict de Kalisha. Et si elle s'était encore trompée ?

A son étonnement, son cadeau ne sembla pas faire plaisir à Kalisha. Elle paraissait triste même si elle rit à un moment. Kalisha évoqua alors al réalité dure de sa vie et la mine de Cassandre s'assombrit. Son regard se posa vers le grand lit qui recevait les visites de ce gros porc qui souillait de sa présence les draps et le corps de la jeune femme. Elle se sentait glacée. Inconsciemment, sa main se porta à l'endroit où se trouvait la marque infâme.

"Pardon. Je ne pensais pas que... Mais... T'es vraiment obligée de subir ça ? Si j'ai bien compris, tu as dû épousé ce gros porc parce que c'était une condition entre une alliance entre Djerdan et Monbrina, c'est ça ? Mais le roi.. Le roi, il prépare des troupes en ce moment contre ton pays. C'est une rupture de contrat, ça ! Alors si Monbrina a rompu son contrat, pourquoi tu devrais honorer le tien ?"

Cassandre continua à fixer le lit et frissonnait toujours.

"Tu es comme ces filles esclaves au Lupanar. Elles étaient obligées de suivre un client si celui-ci avait décidé de les prendre. Et quoique il demande, elles devaient le subir. Sans pouvoir dire non. Un jour.. Un jour, je vais être femme moi aussi. Il y aura sûrement des hommes qui... Je ne pourrais pas dire non moi non plus. Mais je le ferai quand même ! Et je me défendrai ! Une esclave qui agresse un homme libre, même s'il l'a attaqué, elle est condamnée à mort. Mais tant pis ! Je préfère être pendue que subir ça !"

La fillette se recroquevilla et se sentit toujours gênée.

"Je veux pas qu'un homme me touche. Jamais."

Peu après ces mots prononcés d'une voix qui transpirait l'angoisse, Kalisha se pencha lui embrassa le front avec une douceur qui la troubla et l'apaisa. Elle sourit et vint spontanément se blottir contre son corps chaud et réconfortant.

Alors, la princesse lui proposa lire avec elle la lettre.

Cassandre releva la tête, surprise.

"Je peux vraiment l'entendre ? C'est pas personnel ?"

La petite chipie maugréa sur les règles de bienséances et Kalisha eut bien du mal à garder sa mine contrarier devant ses réflexions. Elle l'emmena ensuite dans son bureau où elle lui offrit de quoi assouvir son envie de lecture avec quelque chose d'un peu plus ludique que ce traité politique français sur la Servitude Volontaire qu'elle était en train d'essayer de déchiffrer péniblement. Un livre qu'elle avait de surcroit acquise en douce afin d'étancher sa curiosité et son ignorance politique...

- Et bien tout dépend depuis combien de temps tu as commencé, ton envie d'y parvenir et l'acharnement que tu y mettras. Elle déposa sa main sur celle de la fillette Tu sais, il faut parfois savoir être patient. Tout finit par arriver pour peu qu'on s'en donne les moyens, n'est-ce pas?

Une phrase destinée autant à elle-même qu'à cette petite sœur d'adoption qui aurait tout voulu... Tout de suite. Et comment lui en vouloir quand elle-même bruler d'envie de le revoir tout de suite?

Elle entreprit par la suite de lui expliquer les arcanes du maquillage afin d'éviter à l'avenir de finir plus bariolé qu'un costume d'arlequin. La jeune Comtesse n'avait jamais mis un pied dans un lupanar mais elle doutait fortement des compétences de ces dames pour se farder avec subtilité (et goût).

- De la colle?! Mais... malgré tout le chagrin qui l'habitait, elle ne put retenir un violent éclat de rire face à la cocasserie de cette remarque. Cassandre perplexe en rajoutait une couche, et la jeune djerdanne en avait presque les côtes douloureuses tant les spasmes la secouer.

De la colle...

- Ce... Ce n'est... pas de la colle... Du KHOL. C'est un mélange de pigments noirs qui sert à souligner le regard. Tiens, avec un petit pinceau comme ça, tu vois?
Les larmes aux coins des yeux, il lui avait fallut un petit instant avant de parvenir à retrouver son calme pour lui offrir une explication décente.

Le temps qu'elle récupère le précieux présent destiné à Sylvère, Cassandre s'était refait une beauté. Ou plus exactement avait tenté de mettre en application ses conseils. Le trait de khôl était un peu hésitant mais son fard était correctement posé, avec sa peau toute pâle elle ressemblait désormais à une poupée de porcelaine. Il n'y avait que son rouge à lèvres qui était encore artistique. Devant sa question d'où pointait une certaine inquiétude, Kalisha se saisit d'un tissu de coton et corrigea son rouge à lèvres. Elle épongea légèrement ses joues pour qu'elles soient moins blanches également.

- Tu es très belle comme ça! Encore un peu d'entrainement et tu seras la plus jolie des princesses! lui répondit-elle avec un petit sourire.

Elle lui soumit ensuite son idée piquante concernant la literie et l'amusement de l'image laissa bien rapidement place à un profond malaise. Les évènements encore frais la touchait toujours. Elle n'avait pas manqué de remarquer que la petite avait posé son regard sur son lit. A quoi pouvait-elle bien penser à cet instant? Elle eut tôt fait de le savoir car le silence glacial ne s'éternisa pas.

Que pouvait-elle répondre à cela? Qu'une fois que le mariage était conclu, il n'était plus possible de faire machine arrière? Que... Qu'elle avait encore espoir de sauver Djerdanne et de démontrer qu'il s'agissait d'un mal entendu? Car oui... Elle n'y croyait toujours pas. Même après bientôt deux mois, elle doutait toujours autant de la version officielle.

- Je dois tout faire pour sauver mon pays. Tout? Tu comprends?

Elle la laissa poursuivre son raisonnement et avouer ses craintes. Etre comparée à une prostituée lui fait terriblement mal mais c'était pourtant proche de la réalité, excepté que l'homme était toujours le même et qu'il ne payait pas. Elle passa son bras dans son dos pour lui caresser lentement. Etre une femme dans ce monde d'hommes n'était pas chose facile. C'était même un chemin semé d'embuches. Mais heureusement, il y avait également la possibilité de trouver la lumière qui éluder les ténèbres.

- Je suis certaine que Dame Irène te protègera. Elle ne laissera pas quelqu'un te toucher... Et puis... Si tu peux... Trouve un mari que tu aimeras rapidement! Et... elle essuya son rouge à lèvres de son index N'essaye pas d'être la plus jolie. Soit quelconque, soit invisible et personne ne t'embêtera.

Sur ces conseils, elle lui proposa de lire avec elle, la lettre de Sylvère. Oh oui c'était personnelle mais il aurait surement était ravi de savoir qu'elle avait été partagé avec sa petite soeur. Kalisha déroula lentement la feuille et lu:

A vous, Kalisha.

Ma très chère reine, je me fais à ce jour,
Fidèle messager de vos cloportes amis,
Qui croyez-le sincèrement, vous remercient,
Et m'envoient dès à présent vous porter secours.

Je laisse à vos sentiments le soin de choisir,
S'il s'agit d'une déclaration officielle,
Mais sachez que vous m'êtes devenue essentielle,
Et plume en main, j'offre mon coeur comme avenir.

Je ne sais comment vous avouer honnêtement,
Combien j'attends de vous revoir prochainement,
Pardonnez-moi si mes mots provoquent vos larmes.

De nouveau, je confie ceci à vos secrets,
Vous manquez infiniment à notre forêt,
Je me demande ce que vous faites, ma dame...

En  espérant avoir su remettre un peu de joie dans votre coeur,

Votre Roi dévoué.

A chaque nouvelle strophe, une petite larme roulait le long de sa joue. Elle avait l'impression d'entendre sa voix prononçait de concert ces paroles à ses côtés.



Sa voix se fit trembolante et elle eut bien dû mal à terminer sans avaler les dernières syllabes. Comment pourrait-elle lui en vouloir? Alors même qu'elle n'aurait jamais espéré pouvoir avoir la moindre nouvelle!


Et en même temps, ces quelques lettres tracés à l'encre, formaient comme un lien invisible jusqu'à son coeur. En silence, elle lu et relut ces quelques vers qui valaient tous les poèmes du monde.

Cassandre baissa la tête tout en écoutant les explications de Kalisha. Il y avait presque un an Hyriel lui avait appris quelques lettres mais qui s'était effacées peu à peu, son esprit continuellement happé par le quotidien. Lorsque Dame Irène avait commencé à lui apprendre aussi la lecture, rien ne restait. Et si la leçon de Sylvère disparaissait aussi ?

"Mais j'essaie. Je te jure que j'essaie. Mais ça veut pas rester. Ys m'a appris un truc tout à l'heure mais j'ai peur d'oublier encore. Et si j'étais bête ? J'ai peut-être pas les capacités pour savoir lire ?"

Elle releva la tête en entendant parler de patience.

"Je sais. Il faut attendre en silence et ne pas se plaindre. Comme Sainte-Zita. Zita, c'est ma patronne. Et al patronne des servantes ! Mais c'est aussi celle du courage et de la justice ! Je sens qu'elle est là, toujours là, et veille sur moi, même quand je me sens seule et désespérée."

Les paroles de Sylvère lui revenaient en tête. Zita... elle était encore capable de l'écrire ? Et si les lettres avaient déjà disparues ? Elle dénicha une feuille sur un bureau et réfléchit pour essayer de se souvenir.

"Z... Z comme Zita, comme la fin de Velasqyez ou Xérès.... I, comme Irène, impôt, idiot... T comme thym... A comme Achille. "

Lentement, la fillette écrivit une à une les lettres puis montra nerveuse la feuille.

"Je.. je l'ai bien écrit ?"

Peu après vint la séance de maquillage auquel Cassandre se montra très attentive. Elle s'étonna de voir brusquement Kalisha éclater de rire. Qu'est-ce qui lui prenait ? Elle développa et la fillette soupira.

"Non mais ils sont bêtes d'inventer des mots qui ressemblent aussi ! C'est comme nos prénoms, Tiens ! Cassandre et Kalisha ça a l'air d'être le même son mais ça s'écrit pas pareil ! C'est pénible ! Comment on peut comprendre après franchement ?"

Alors que Cassandre terminait de se maquiller, elle observa, nerveuse, sa grande sœur vérifier son travail. Elle semblait satisfaite. La fillette sourit, ravie, puis observa la princesse effacer la trace de rouges à lèvres mal étalé. Kalisha évoqua ensuite ses problèmes conjugaux et son désir de respecter le contrat. Elle croyait encore que c'était à elle d’arranger les choses pour son pays. Cassandre n'osa pas lui répondre. Elle comprenait, elle, que non, que tout était déjà décidé par cette charogne couronnée qui avait les fesses confortablement installée sur un trône en or. Il avait annexé les autres pays voisins et ferait de même avec Djerhan. C'était inévitable. Mais le dire blesserait Kalisha. Alors, Cassandre resta silencieuse et vint se blottir contre sa grande sœur. Ses petits bras frêles enlacèrent sa taille.

"Grande sœur... Je t'aime."

Les mots étaient sortis naturellement. Sans réfléchir. Cassandre resta blottie dans les bras de Kalisha qui venait de la serrer contre elle. Elle se sentait bien. Protégée.. mais ça ne durerait pas. Elle le savait. mais ce petit temps était si agréable. Elle se laissa bercer par ses mots et sa peur des hommes s'effaça lentement, avalé par l'amour que lui donnait la princesse.

Kalisha se décida finalement à lire le poème que Sylvère avait composé pour elle. Cassandre l'écouta et en fut véritablement émue. C'était absolument magnifique. Des larmes perlaient à ses yeux. il y avait tant d'amour, de respect et de douceur dans ces mots.

"C'est beau... "

Cassandre s'inquiétait de sa lecture malgré ses efforts. Apprendre à lire n'était pas une chose aisée, encore plus lorsque l'on grandissait et qu'on ne pouvait pas y consacrer toute son énergie et son temps... Kalisha chercha comment l'aider du mieux qu'elle peut.

- Il faut que tu travailles un peu tous les jours pour que tu n'oublies pas. Jusqu'à ce que cela te vienne naturellement. Tout le monde peut apprendre à lire avec du temps, des efforts et un professeur. Comment fais-tu pour te souvenir de quelque chose en temps normal? Moi, par exemple, j'invente une chanson.

Puis la fillette, lui parla de Sainte Zita et commença à tracer son nom avant de lui tendre fébrilement la feuille afin qu'elle puisse valider son travail. La comtesse hocha de la tête un sourire aux lèvres:

- C'est parfait! Tu vois que c'est à ta portée!

Lorsque la séance de maquillage arriva, le khôl déclencha un grand fou rire chez la jeune femme. Elle eut bien du mal à retrouver son calme pour lui expliquer que cela n'avait rien à voir avec de la colle.

- C'est parce que Kalisha et Khôl ce sont des mots étrangers Cassandre. Il n'y en a pas beaucoup dans la langue commune avec un K. Tu ne pouvais pas deviner.

Elle reprit la feuille où était inscrit "Zita" et inscrivit "Colle", "Khôl" et "Col"

- Celui-ci c'est la colle avec un e à la fin comme Encre ou Feuille, avec deux L car on les colle ensemble. Celui-là le Khôl. Il est très différent des mots habituels. Et lui, c'est le "col" comme un col de chemise ou un col de montagne. Il finit par un L comme Ciel. Car les Cols sont proches du Ciel.

Leur discussion évolua sur son mariage et son absurdité. En parler était toujours douloureux et compliqué. Elle était désolée d'avoir effrayée la petite. Pourtant ils n'existaient pas que des mariages tristes ou d'horribles maris. Certains hommes étaient parfaitement digne de confiance.
Sylvère par exemple.
Et ces pensées la ramenèrent à lettre qui attendait toujours qu'elle trouve le courage de la lire.
Cassandre blottit dans ses bras, l'appela Grande Soeur et Kali, touchée par ses paroles, la serra un peu plus fort encore dans ses bras.

-Moi aussi, je t'aime petite sœur. Je serai toujours là si tu as besoin, d'accord?
Même si en l’occurrence c'était plutôt l'inverse à l'heure actuelle...

Elle lui proposa alors de lire à haute voix la lettre.
C'était si doux et si dur à lire à la fois.
Elle ne put retenir les larmes de s'écouler.
De tristesse car il lui manquait terriblement.
Mais aussi de joie à l'idée de lire ces quelques mots.
C'était tellement... Magique.
Elle pouvait presque sentir sa présence à ses côtés.
Elle lut et relut la lettre, hochant la tête aux paroles de la fillette.

- C'est magnifique répondit-elle en écho, Je ne pourrais jamais écrire quelque chose d'aussi bien.


Elle essuya ses larmes. La dernière chose qu'elle aurait voulu aurait été de faire baver l'encre.
Elle comptait bien la lire et la relire, encore et encore, jusqu'à son retour.

Cassandre écoutait, un peu anxieuse, les explications de Kalisha qui tentait de la rassurer ses capacités à savoir lire. Elle eut un sourire quand elle évoqua une chanson et entonna joyeusement la comptine que Sylvère lui avait écrite en sautillant sur place.

"A comme Achille, B comme brigand, C comme Cassandre..."

Elle récita facilement la comptine puis eut à nouveau une mine inquiète.

"Pour le moment, ça va. Je l'ai entendu y a pas si longtemps. C'est comme quand je vais faire les courses. Mais demain matin, je suis sûre que je l'aurais oublié."

Cassandre se sentait stupide pour avoir cette mémoire qui s'effaçait si facilement, dès l'instant où elle ne songeait plus aux choses.

Kalisha lui expliquait à présent que les deux mots K étaient rares et n'appartenaient pas à la langue commune. Elle soupira. C'était quand même bien compliqué d'avoir différentes langues. Une seule ne suffisait pas ? La fillette suivit l'écriture de tous ces mots et grimaça devant le H muet dans khôl.

"Dis, pourquoi, y a cette lettre là ? On la prononce, non ? Alors à quoi ça sert de la mettre ? Et feuille... Tu as écrit le mot pour feuille de papier, c'est ça , Mais la feuille des arbres, elle s'écrit comment ? "

Elle fronça davantage les sourcils devant le dernier mot.

"Col... le col d'une chemise... il s'écrit comme... le col d'une montagne ? C'est quoi un col de montagne ? Ça ressemble à quoi ? J'ai jamais vu aucune montagne, à sur quelques images ! Ça a a quel forme ? C'est grand ? Ils sont.... proches du Ciel ? Tu veux dire le ciel qu'on voit où y a le soleil et les nuages ? ou le ciel... le Paradis ?"

La petite fille posait librement toutes les questions qui envahissaient son esprit curieux. Peu après, leur discussion évolua et dériva sur le mariage, les plongeant toutes deux dans leurs propres tourments. Cassandre resta contre le corps chaud et rassurant de sa grande sœur, même quand celle-ci lut la lettre écrite par Sylvère. Elle renifla, la joue appuyée contre la robe de la jeune femme et releva la tête.

"Il est adorable, Ys ! Il a l'air bête mais finalement il est très intelligent. C'est curieux, non ? moi, la première fois que je l('ai vu j'ai pensé que c'était un gamin stupide ! Mais quand on apprend à le connaitre, il devient sérieux ! C'est bizarre, hein ?"

Cassandre, sans se détacher de Kalisha, observa sa grande sœur.

"Tu vas lui répondre tout de suite ? Ou tu préfères que je te laisse avoir du temps ? tu veux que je revienne chercher quand ta lettre à toi ?"

Kalisha écouta la comptine d'un air amusé et admiratif. Il avait eu une idée prodigieuse !

- Tu connais tes prières par cœur n'est-ce pas? Et bien c'est pareil. Cette comptine est ta nouvelle prière. Tu sais la mémoire c'est comme un rocher: si tu veux y graver un message dessus c'est difficile mais avec du temps et de bons outils les caractères restent pour des millénaires. Et puis... Tu te souviens toujours du prénom de Sylvère après plusieurs jours n'est-ce pas? Alors tu n'oublieras pas l'alphabet non plus, tu verras.

Elles avaient délaissé la lecture pour le maquillage mais malgré tout le sujet revint de lui-même sur le tapis et la jeune Comtesse se fit un plaisir de lui écrire les homonyme du mot "colle". Pourtant loin de la rassasier, cela ne souleva qu'une nouvelle vague de questions dans ce petit esprit d'une curiosité infinie.

- Il se prononce mais il est aspiré. Tu entends la différence entre "Col" et "Khôl"? lui demanda-t-elle en exagérant la prononciation des deux mots pour que la différence soit plus notable.

- La feuille de papier et la feuille des arbres c'est un même mot. Elle le traça à son tour et souligna les trois premières lettres Feu. Elle dessina une petite flamme pour illustrer. La fin du mot était plus complexe à lire en revanche...

Elle acquiesça en la voyant faire le rapprochement avec les différents col. Comme elle ne savait pas ce qu'était un col de montagne, elle reprit la feuille afin de dessiner une chaîne de quelques montagnes.

- Un col c'est un passage entre deux montagnes très proches. Les montagnes est bien c'est immense. Au sommet, la neige ne fond jamais car il fait toujours froid. Tu ne peux pas être plus proche du ciel et du soleil que sur une montagne, tu vois? Il paraît même que parfois tu peux être au dessus des nuages !

C'est en tenant Cassandre dans ses bras, qu'elle avait lu la lettre de son bien aimé Roi. Ces mots si beaux et si doux... La petite releva son visage vers le sien et sa remarque la fit sourire tendrement. Elle caressa doucement ces cheveux tout en lui répondant:

- Il n'y a que les gens les plus intelligents qui peuvent jouer à être stupide, Cassandre. Il peut bien se déguiser autant qu'il veut, il restera toujours lui-même.

Cependant cette remarque entraîna d'autres questions qu'elle garda pour elle. D'où venait-il? Il avait beau n'être qu'un bandit, il était lettré et avait reçu une certaine éducation. Il n'y avait qu'à voir sa façon de parler... Ce n'était pas celle d'un simple paysan...

Sa petite soeur se détacha alors d'elle et lui demanda quand elle comptait écrire sa lettre. A son tour elle se leva.

- Non non non! Je dois lui répondre tout de suite! Tu ne peux pas retourner le voir sans un mot de part! Il serait tellement déçu et triste!.

Sur ce, elle retraversa la pièce jusqu'au bureau et s'installa à son secrétaire. Elle prit une feuille de papier, ouvrit l'encrier et prit une plume qu'elle trempa légèrement dans l'encre et...
Suspendu au dessus de la page ivoire, elle ne savait pas par où commencer.

Cassandre écouta, pensive, les nouvelles explications de Kalisha et eut un peu de mal à considérer la comptine comme une prière. Cela y ressemblait si peu. Elle se rappela des heures de souffrance à la table de cuisine à répéter toutes ces prières que sa grande sœur la forçait à apprendre en lui interdisant de sortir jouer ou en assurant que le bon Dieu allait la punir si elle ne savait pas ses prières. La comptine de Sylvère, c'était quand même plus amusant que toutes ces psaumes ennuyeuses ! Elle eut un sourire tendre pour sa grande sœur qui l’encourageait si gentiment.

Pendant la séance de maquillage, le sujet de l'écriture lui revenait inlassablement à l'esprit. A croire que Sylvère l'avait envoûté pour qu'elle se mette à y penser autant ! Elle essaya d'écouter la différence entre les sons khôl et colle, c'était vrai qu'il y avait une différence mais très faible. La fillette fut surprise ensuite de savoir le mot feuille pouvait autant désigner celle d'un arbre que celle de papier.

"Mais comment on sait quand on lit alors que ça désigne la feuille de l'arbre ou celle... Euh... Mais quand on parle, on n'entend le même mot. Alors... alors on déduit avec le contexte !"

Cassandre exulta d'avoir trouvé toute seule la réponse à sa question. Elle suivit du regard le dessin que Kalishha tracé qui représentait une montagne puis le col. Elle sentait aventureuse, rêvant de connaitre ces sentiers lointains.

"J'aimerais bien voir des montagnes... Tu en as déjà vu, toi, grande sœur ?"

Après la lecture de la lettre, après son commentaire, Kalisha caressa ses cheveux. C'était doux et tendre. Cassandre ferma les yeux et se laissa bercer. C'était dommage de ne pas pouvoir rester plus longtemps. Elle suivit des yeux la jeune femme se décider à écrire tout de suite une lettre pour Sylvère et s'écarta. Ce devait être tâche compliqué. Il ne fallait pas la déranger. La fillette retourna ramassa la feuille sur laquelle écrite ses nouveaux et la rangea dans un pan de sa robe puis chercha comment s'occuper en silence sans risquer de déranger sa grande sœur. Elle découvrit une boite à couture sur une table basse et son visage s'illumina. Cassandre s'installa dans un fauteuil, qui était drôlement confortable et s'appliqua à reprendre une serviette qui semblait avoir été oubliée. L'enfant s’appliqua dans ce travail de couture. ses doigts travaillaient lentement mais sûrement et habilement. elle aimait beaucoup ça coudre et broder. Cela détendait et occupait l'esprit. Et Dame Irène avait plusieurs fois dit qu'elle se débrouillait aussi bien qu'une femme adulte !

Ainsi passa le temps pendant que Kalisha écrivait sa lettre, Cassandre brodait un dessin sur la serviette.

Kalisha acquiesça à sa réflexion. C'était un tout à fait ça, tout dépendait du contexte. La suite de la leçon improvisée l'amena à la questionner sur les cols de montagnes.

- Je n'ai jamais vu de grandes montagnes, seulement en peinture et dans les récits. Mais j'aimerai bien cela doit être tellement incroyable ! Tu imagines être aussi haut?!

Elle n'était jamais sortie de son palais mais elle avait toujours voulu parcourir le monde et découvrir les merveilles dont il recelait. On lui avait tant parlé de toutes ces choses merveilleuses ! Les immenses étendues enneigés  par exemple...

- Tu sais quoi? On aura qu'à aller les voir tous ensemble ! Qu'est-ce que tu en dis?

Elle berça encore la petite, lisant la lettre de Sylvère avant de se décider à aller lui répondre. Elle était là... Devant son secrétaire. Un gros blanc. Par où commencer ? Comment pouvait elle lui dire ce qu'elle ressentait. Enfin. Sans l'inquiéter ou l'attrister?
Elle commença à gratter le papier, relut et froissa la feuille.
Une nouvelle feuille noircie.
Puis une autre.
Puis une autre.
Puis encore une...

Une petite pile de papier s'était formée sur sa droite.
Elle soupira. Comment pouvait-elle écrire aussi mal? Elle voulait tellement lui faire plaisir que rien ne semblait atteindre ses exigences.

Elle ferma les yeux, un court instant et trempa à nouveau sa plume:

C'est au plus doux des brigands
Que je livre mon cœur
Sur un plateau d'argent
Comme rançon du bonheur.

C'est au plus beau des rois
Celui qui joue aux dames,
Et qui m'apporte la joie,
Que j'offre mon âme.

Enfin, à l'homme malicieux,
J'offre mes éclats de rire
Pour lui, ce trésor précieux,
qu'il saura, je le sais, chérir.

Et je vais arrêter là,
Car je n'ai guère votre talent,
Pour faire chanter les mots,
Aussi bien que vous, votre Majesté,

Sachez que juste,
Que je me languis de vous retrouvez,
Vous, notre forêt,
Ainsi que nos humbles cloportes.

Votre bien aimée Reine

Elle relut. Ce n'était pas parfait mais c'était le mieux qu'elle avait réussi à faire. Elle plia la lettre qu'elle embrassa comme si elle avait pu par la même lui transmettre son amour et se leva. Elle trouva Cassandre occupée  à broder.
La Comtesse s'approcha et observa son oeuvre: un travail minutieux qui n'avait rien à envier aux adultes.

Tu es fort douée dis donc! Je ne ferai clairement pas mieux et encore moins en si peu de temps! Voici ma réponse pour Sylvère. J'espère... J'espère que ça lui plaira. Dis lui que je ne manquerai pas de regarder le ciel.

Cassandre écouta, charmée par ses paroles enthousiastes, en rêvant elle aussi de visiter de si hauts endroits que pouvaient être les les montagnes. Comme elle les aimerait les voir elle aussi ! Elle se serra contre Kalisha et murmura :


"Oui, on ira voir ça, un jour, tous les trois. Ou alors... avec Grace aussi. Ce serait dommage qu'elle le voit pas aussi !"

Pendant le temps que Kalisha consacra à la rédaction de la lettre, Cassandre demeura silencieuse dans la petite banquette, entièrement focalisée sur l'ouvrage de sa broderie. Elle aimait tant le travail minutieux des aiguilles et voir surgir peu à peu le résultat de son application. Lorsque Kalisha revint vers elle, la fillette releva la tête et sourit.

"J'aime beaucoup la couture. C'est une activité qui apaise, je trouve. tiens, c'est pour toi !"

Elle tendit la serviette sur laquelle elle venait de finir un liseré doré et surtout de broder un beau renard au centre. En échange, Cassandre prit la lettre et al dissimula avec délicatesse dans un pan de as robe.

"J'irai lui porter demain. Ou après-demain. il ne faut pas que j'aille trop non plus en forêt. ce serait suspect."

Avant de partir, la fillette enlaça une dernière sur Kalisha.

"Prends soin de toi, grande sœur."

Sur ce câlin rapide, Cassandre quitta la chambre et laissa la pauvre comtesse retourner à sa solitude.