L'antre de Lucrezia
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Re: L'antre de Lucrezia
A la grimace qu'elle fit, Tristan comprit bien vite la douleur que constituait le sujet et ne posa pas davantage de questions. Il offrit simplement un sourire timide, et une intensité dans son regard qui eut de quoi laisser deviner toute sa peine et sa solidarité.
Comme elle le retenait vigoureusement et l'invitait à rester auprès d'elle, le danseur ralentit, se retourna, céda. Il approcha lentement, resta finalement aux côtés de Lucrezia bien que l'inquiétude ne disparaissait pas de ses traits.
-- Qu'est-c'qu'y s'passe donc ici ? C'est vraiment normal ce... ce.... cette odeur....
Ça tournoyait encore un peu plus devant ses yeux et entre ses tempes. Il se tint aux accotoirs de son siège roulant et interrogea la jeune femme de sa mine perplexe.
Comme elle le retenait vigoureusement et l'invitait à rester auprès d'elle, le danseur ralentit, se retourna, céda. Il approcha lentement, resta finalement aux côtés de Lucrezia bien que l'inquiétude ne disparaissait pas de ses traits.
-- Qu'est-c'qu'y s'passe donc ici ? C'est vraiment normal ce... ce.... cette odeur....
Ça tournoyait encore un peu plus devant ses yeux et entre ses tempes. Il se tint aux accotoirs de son siège roulant et interrogea la jeune femme de sa mine perplexe.
Re: L'antre de Lucrezia
L'odeur résineuse envahissait l'antre. On respirait dans un tournis d'oliban fournissant les visions d'un vieux cauchemar. La suffocation noyait tant la gorge et les yeux qu'il fallait fuir dans un autre espace afin d'en réchapper. Devant la mince fenêtre, les tentures se rabattirent tout à coup. Il aurait fait totalement nuit si, sur le guéridon, le pentacle n'avait lui d'un blanc lunaire et soudain. L'ambre tomba de la manche de Lucrezia au milieu de la figure ; et c'était là, d'ordinaire, que l'on dessinait les cornes sataniques.
Il y eut un coup de genou. Il y eut un râle. Et Lucrezia agrippa par-dessus le meuble, en étendant les bras sur le jeune infirme, les mains de Tristan. Lorsqu'elle eut assuré sa prise, elle se redressa, attirant Tristan tout contre le guéridon. Il devait sentir les doigts sur ses poignets, comme s'il se faisait happer par les racines mortes d'une mangrove millénaire. Il releva le visage et les yeux (LES YEUX !) tombèrent les uns dans les autres. Lucrezia plaqua les quatre mains sur le pentacle, employant la force de la folie, et les visions s'enchaînèrent.
Il y avait un homme. Il rayonnait de joie : il tenait sur les genoux une fillette, calme et fascinée, qui jouait avec un saphir noir. L'homme revenait des colonies. Il avait parcouru la montagne et la mer. Il avait trouvé ce qu'il cherchait.
Cela se dissipa. Il y avait maintenant un deuxième homme. Il ressemblait au premier mais son visage ne souriait pas. Il annonçait des malheurs ; sans doute en inventait-il la moitié. Il enflait l'adversité pour avoir le beau rôle de l'affronter, de la vaincre et d'en récolter le fruit. Mais il annonça bientôt un dernier malheur. Celui-là passait tout.
Cela se dissipa. À travers le brouillard de l'encens, le jeune infirme et Lucrezia aperçurent la maison de la grand'place. C'était la maison des di Subiaco : on se retrouva d'un mouvement à l'intérieur. Sur un lit à baldaquin, une fille de seize ans s'étendait sur le ventre. Elle n'était pas vêtue. Cela ne l'occupait pas : son regard s'abîmait dans la contemplation d'un saphir noir. À l'intérieur, si l'on regardait très attentivement, les événements de l'avenir ricochaient sur les facettes. Ils se mélangeaient mais l'esprit pouvait, s'il s'y exerçait, diviser leur confusion pour la lire. Elle essayait. À force de patience et d'efforts, l'une des facettes se figea. Sur l'image noire, elle vit la porte en pin sculpté, dans son dos, s'ouvrir sur une silhouette encore imprécise. C'était LUI ! Il avait les yeux. LES MÊMES ! Deux puits d'ambre et de miel dans lesquels, si l'on traversait un voile de soleil bizarre, on entrevoyait des fosses dans le fond desquelles se tordaient, sur la cendre, les reptiles et les cadavres d'humains incomplets morts dans un autre temps.
Puis son oncle entra. "Ah, tu es prête ! Il faut en finir !" C'était sa voix d'escroc, de pilleur de tombes. "Giacometti, c'est à vous. Tâchez de finir rapidement." Il quitta la pièce et l'autre eut un sourire. Il se dirigea vers un meuble fantomatique et tira sur le drap blanc couvrant la structure de bois. Il révéla la toile et le chevalet. Sur un autre sourire, il s'occupa de mélanger les couleurs. "Tu verras, dit-il (et sa voix fit grimper un frisson sur le dos de la folle et lui brisa la nuque), ce sera mon chef-d'œuvre. Cet homme est un sauvage et il vit dans une jungle au fond des colonies, mais mon art touche les rustres tout autant, non, davantage encore ! Il recevra le tableau dans les dix jours : sois sûre qu'il t'épousera. Mon art transforme les défauts en nobles grâces." On entendit Lucrezia répondre : "Il me verra mais il ne m'entendra pas." L'autre haussa les épaules ; sur un nouveau sourire : "Il se contentera d'abord de voir. Lorsqu'il voudra t'entendre, il fera le voyage, et, s'il le veut toujours, il t'emmènera. Ton oncle aura sa concession minière, et moi, j'aurai mon paiement : tout le monde sera heureux."
Il y eut un coup puissant dans le guéridon. Les mains de Lucrezia agrippèrent le meuble et, sur un sifflement sourd dont l'origine fut indistincte, elle s'effondra, la tête en plein milieu du pentacle.
Il y eut un coup de genou. Il y eut un râle. Et Lucrezia agrippa par-dessus le meuble, en étendant les bras sur le jeune infirme, les mains de Tristan. Lorsqu'elle eut assuré sa prise, elle se redressa, attirant Tristan tout contre le guéridon. Il devait sentir les doigts sur ses poignets, comme s'il se faisait happer par les racines mortes d'une mangrove millénaire. Il releva le visage et les yeux (LES YEUX !) tombèrent les uns dans les autres. Lucrezia plaqua les quatre mains sur le pentacle, employant la force de la folie, et les visions s'enchaînèrent.
Il y avait un homme. Il rayonnait de joie : il tenait sur les genoux une fillette, calme et fascinée, qui jouait avec un saphir noir. L'homme revenait des colonies. Il avait parcouru la montagne et la mer. Il avait trouvé ce qu'il cherchait.
Cela se dissipa. Il y avait maintenant un deuxième homme. Il ressemblait au premier mais son visage ne souriait pas. Il annonçait des malheurs ; sans doute en inventait-il la moitié. Il enflait l'adversité pour avoir le beau rôle de l'affronter, de la vaincre et d'en récolter le fruit. Mais il annonça bientôt un dernier malheur. Celui-là passait tout.
Cela se dissipa. À travers le brouillard de l'encens, le jeune infirme et Lucrezia aperçurent la maison de la grand'place. C'était la maison des di Subiaco : on se retrouva d'un mouvement à l'intérieur. Sur un lit à baldaquin, une fille de seize ans s'étendait sur le ventre. Elle n'était pas vêtue. Cela ne l'occupait pas : son regard s'abîmait dans la contemplation d'un saphir noir. À l'intérieur, si l'on regardait très attentivement, les événements de l'avenir ricochaient sur les facettes. Ils se mélangeaient mais l'esprit pouvait, s'il s'y exerçait, diviser leur confusion pour la lire. Elle essayait. À force de patience et d'efforts, l'une des facettes se figea. Sur l'image noire, elle vit la porte en pin sculpté, dans son dos, s'ouvrir sur une silhouette encore imprécise. C'était LUI ! Il avait les yeux. LES MÊMES ! Deux puits d'ambre et de miel dans lesquels, si l'on traversait un voile de soleil bizarre, on entrevoyait des fosses dans le fond desquelles se tordaient, sur la cendre, les reptiles et les cadavres d'humains incomplets morts dans un autre temps.
Puis son oncle entra. "Ah, tu es prête ! Il faut en finir !" C'était sa voix d'escroc, de pilleur de tombes. "Giacometti, c'est à vous. Tâchez de finir rapidement." Il quitta la pièce et l'autre eut un sourire. Il se dirigea vers un meuble fantomatique et tira sur le drap blanc couvrant la structure de bois. Il révéla la toile et le chevalet. Sur un autre sourire, il s'occupa de mélanger les couleurs. "Tu verras, dit-il (et sa voix fit grimper un frisson sur le dos de la folle et lui brisa la nuque), ce sera mon chef-d'œuvre. Cet homme est un sauvage et il vit dans une jungle au fond des colonies, mais mon art touche les rustres tout autant, non, davantage encore ! Il recevra le tableau dans les dix jours : sois sûre qu'il t'épousera. Mon art transforme les défauts en nobles grâces." On entendit Lucrezia répondre : "Il me verra mais il ne m'entendra pas." L'autre haussa les épaules ; sur un nouveau sourire : "Il se contentera d'abord de voir. Lorsqu'il voudra t'entendre, il fera le voyage, et, s'il le veut toujours, il t'emmènera. Ton oncle aura sa concession minière, et moi, j'aurai mon paiement : tout le monde sera heureux."
Il y eut un coup puissant dans le guéridon. Les mains de Lucrezia agrippèrent le meuble et, sur un sifflement sourd dont l'origine fut indistincte, elle s'effondra, la tête en plein milieu du pentacle.
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Re: L'antre de Lucrezia
L'odeur sirupeuse secoua moins Tristan que la violente accroche des mains de Lucrezia autour des siennes. Il n'eut pas le temps de réagir que déjà, ses paumes étaient plaquées contre le pentacle. Les ténèbres tournoyèrent au-dessus de sa tête et au creux de ses pupilles. Il en perdit quelques instants le regard de la jeune femme, mais le retrouva aussitôt pour y découvrir des choses qui le glacèrent. Des tremblements firent tressauter les membres du danseur, qui serrait les dents et se concentrait sur les ombres qui dansaient devant lui, reconstituant des lieux dans lesquels il se trouvait invité avec la discrétion d'un spectre.
La fille entre les bras de l'homme secoua Tristan et le visage de l'enfant remplit ses yeux de larmes. Une autre scène lui présenta une chambre dont tout le luxe était vain à combler la pesanteur qui y coulait. Poids d'un silence. D'un regard. Son regard ! Ou du moins, des yeux qui ressemblaient aux siens, à la différence que ceux-ci portaient des flammes et des abysses horrifiques. Ils n'avaient rien d'une douce lumière ni d'une amicale espièglerie et chaque éclat de ces pupilles-là mordait, tordait, brisait. Tristan retint une nausée, eut un mouvement de fuite inconscient mais les mains de Lucrezia le retenaient. Il se concentra à nouveau.
Vinrent des paroles. Abjectes. Une monnaie d'échange que l'on se négociait et, à ce moment, l'ambre des yeux évoquèrent à Tristan le métal brûlant de l'or pour lequel se commettaient nombre de crimes.
Dans le délirium, avec les silhouettes de Lucrezia et Tristan si proches l'une de l'autres, si suffocantes que leurs souffles parurent s'échanger d'une poitrine à l'autre, la jeune femme aura peut-être été en mesure de ressentir les visions qui avaient également secoué les tempes de Tristan. A peine quelques secondes. Des secousses qui en disaient cependant assez long.
Il y a les murs étrangleurs d'un charnier pour enfants délaissés. Un garrot de poussière mais où tout prend des allures de charité. Les vagues de briques sont échevelées comme les crânes secs des éducateurs. Des coups. Du pain sec. Un rasoir qui tond des cheveux d'un indécent danseur. Par la fenêtre poussiéreuse apparaît, au loin, trop loin, le souffle d'un soleil ambré comme des restes de chandelles qui se consument.
Il y a le rouge des mains d'un père dans les peaux sanguinolentes des animaux à tanner. Elles sont calleuses et transpirantes de son labeur. Les deux poings se serrent comme deux masses pour cogner. Ça burine les tempes et l'air. Avec l'implacable aller-retour d'un balancier de faux. Couleur ambre, il y a le crochet d'un bout de ceinture et, sous la peau, c'est la marée et la contre-marée.
Tourne et tourne le soleil qui se lève. Se traînent et se traînent les ruelles en chemin inverse pour regagner l'institut "de charité".
Tristan pleurait. Suffoquait. Quand Lucrezia lâcha ses mains, il la vit s'effondrer et fut saisi de terreur. Il héla le vieux serviteur qui, espérait-il, serait resté dans les parages :
-- Au s'cours !
En attendant son arrivée, Tristan essaya tant bien que mal de soulever Lucrezia et de l'allonger. Il fouilla les environs, découvrir de l'eau, un chiffon, et entreprit de lui tamponner délicatement le front.
La fille entre les bras de l'homme secoua Tristan et le visage de l'enfant remplit ses yeux de larmes. Une autre scène lui présenta une chambre dont tout le luxe était vain à combler la pesanteur qui y coulait. Poids d'un silence. D'un regard. Son regard ! Ou du moins, des yeux qui ressemblaient aux siens, à la différence que ceux-ci portaient des flammes et des abysses horrifiques. Ils n'avaient rien d'une douce lumière ni d'une amicale espièglerie et chaque éclat de ces pupilles-là mordait, tordait, brisait. Tristan retint une nausée, eut un mouvement de fuite inconscient mais les mains de Lucrezia le retenaient. Il se concentra à nouveau.
Vinrent des paroles. Abjectes. Une monnaie d'échange que l'on se négociait et, à ce moment, l'ambre des yeux évoquèrent à Tristan le métal brûlant de l'or pour lequel se commettaient nombre de crimes.
Dans le délirium, avec les silhouettes de Lucrezia et Tristan si proches l'une de l'autres, si suffocantes que leurs souffles parurent s'échanger d'une poitrine à l'autre, la jeune femme aura peut-être été en mesure de ressentir les visions qui avaient également secoué les tempes de Tristan. A peine quelques secondes. Des secousses qui en disaient cependant assez long.
Il y a les murs étrangleurs d'un charnier pour enfants délaissés. Un garrot de poussière mais où tout prend des allures de charité. Les vagues de briques sont échevelées comme les crânes secs des éducateurs. Des coups. Du pain sec. Un rasoir qui tond des cheveux d'un indécent danseur. Par la fenêtre poussiéreuse apparaît, au loin, trop loin, le souffle d'un soleil ambré comme des restes de chandelles qui se consument.
Il y a le rouge des mains d'un père dans les peaux sanguinolentes des animaux à tanner. Elles sont calleuses et transpirantes de son labeur. Les deux poings se serrent comme deux masses pour cogner. Ça burine les tempes et l'air. Avec l'implacable aller-retour d'un balancier de faux. Couleur ambre, il y a le crochet d'un bout de ceinture et, sous la peau, c'est la marée et la contre-marée.
Tourne et tourne le soleil qui se lève. Se traînent et se traînent les ruelles en chemin inverse pour regagner l'institut "de charité".
Tristan pleurait. Suffoquait. Quand Lucrezia lâcha ses mains, il la vit s'effondrer et fut saisi de terreur. Il héla le vieux serviteur qui, espérait-il, serait resté dans les parages :
-- Au s'cours !
En attendant son arrivée, Tristan essaya tant bien que mal de soulever Lucrezia et de l'allonger. Il fouilla les environs, découvrir de l'eau, un chiffon, et entreprit de lui tamponner délicatement le front.
Re: L'antre de Lucrezia
Elle avait retrouvé son nom. Giacometti.
Il n'était pas le père de Tristan. Ses yeux venaient d'ailleurs. Il était vrai qu'il n'y avait pas la mort dans le regard de Tristan. Ce qu'elle avait appris de lui la toucha ; il lui parut, un court instant, avoir traversé moins de malheurs. Mais l'autre était un démon. C'était un duel d'esprits : son corps sur le lit, les yeux de l'autre et, tandis qu'il peignait, toujours ses yeux !
Mais elle ignorait toujours son rôle. Lorsqu'elle le saurait, il y aurait un cadavre.
Inconsciente, elle n'entendit ni Tristan ni le vieux domestique essayer de l'allonger dans sa duchesse en bateau. Elle ne sentait ni son corps ni le relief du vieux capitonnage. En soupirant, du fait de l'habitude, le vieillard déplaça les coussins sous la tête de Lucrezia, libéra la lumière moisie en tirant sur une tenture et s'assit non loin. Petit à petit, la poitrine de Lucrezia ne se soulevait plus si violemment. Sa respiration ralentissait. C'était la frontière entre la transe et le sommeil.
Le vieillard mécanique eut l'air résigné. Comme il se disposait à attendre, il regarda le jeune infirme. Il avait été visiblement traumatisé mais semblait se remettre. "Et toi, mon garçon ? fit le serviteur. À voir tes yeux, j'imaginais..." Il s'interrompit et lança un coup d'œil vers l'escalier de la cave. "Il y a des rencontres sur lesquelles renaissent les souvenirs" termina-t-il simplement. Il tira d'une poche un flacon, dont il ôta le bouchon. C'était un mélange d'acide et de carbonate d'ammonium. Il fit respirer les sels à Lucrezia.
Il n'était pas le père de Tristan. Ses yeux venaient d'ailleurs. Il était vrai qu'il n'y avait pas la mort dans le regard de Tristan. Ce qu'elle avait appris de lui la toucha ; il lui parut, un court instant, avoir traversé moins de malheurs. Mais l'autre était un démon. C'était un duel d'esprits : son corps sur le lit, les yeux de l'autre et, tandis qu'il peignait, toujours ses yeux !
Mais elle ignorait toujours son rôle. Lorsqu'elle le saurait, il y aurait un cadavre.
Inconsciente, elle n'entendit ni Tristan ni le vieux domestique essayer de l'allonger dans sa duchesse en bateau. Elle ne sentait ni son corps ni le relief du vieux capitonnage. En soupirant, du fait de l'habitude, le vieillard déplaça les coussins sous la tête de Lucrezia, libéra la lumière moisie en tirant sur une tenture et s'assit non loin. Petit à petit, la poitrine de Lucrezia ne se soulevait plus si violemment. Sa respiration ralentissait. C'était la frontière entre la transe et le sommeil.
Le vieillard mécanique eut l'air résigné. Comme il se disposait à attendre, il regarda le jeune infirme. Il avait été visiblement traumatisé mais semblait se remettre. "Et toi, mon garçon ? fit le serviteur. À voir tes yeux, j'imaginais..." Il s'interrompit et lança un coup d'œil vers l'escalier de la cave. "Il y a des rencontres sur lesquelles renaissent les souvenirs" termina-t-il simplement. Il tira d'une poche un flacon, dont il ôta le bouchon. C'était un mélange d'acide et de carbonate d'ammonium. Il fit respirer les sels à Lucrezia.
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Re: L'antre de Lucrezia
Sous l'efficacité des sels, Lucrezia rouvrit les yeux.
Le vieil homme l'interrogea du regard. Elle hocha la tête, en souriant de loin. L'odeur résineuse, en se dissipant dans le mouvement des tentures, subsistait comme la trace d'un ancien malaise. Il entrait dans l'antre un résidu de lumière. Elle eut, à nouveau, un faible sourire de convalescente. Elle regarda Tristan.
Le vieil homme l'interrogea du regard. Elle hocha la tête, en souriant de loin. L'odeur résineuse, en se dissipant dans le mouvement des tentures, subsistait comme la trace d'un ancien malaise. Il entrait dans l'antre un résidu de lumière. Elle eut, à nouveau, un faible sourire de convalescente. Elle regarda Tristan.
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Re: L'antre de Lucrezia
Elle reprenait ses esprits. Tristan la regarda, ne dit rien tant qu'elle ne serait pas complètement remise. Une fois remise de ses émotions, le danseur tenta quelques mots :
-- Content d'vous r'trouver... Je... J'ai vu.... c'que vous m'avez montré. Est-c'que... j'peux faire quequ'chose ?
Il ne savait bien quoi en réalité, il demeurait surtout troublé par cette atmosphère renfermée et s'était laissé porter par son empathie devant ce qu'il avait découvert. Les sévices vécus par la jeune femme faisaient écho à bien des tourments dans son propre passé. Exploiter les gens... Les traiter comme des monnaies d'échange. Les mépriser car ce ne sont "que" des femmes, ou "que" des invalides... Des porteurs du péché, des inférieurs. Il ravala sa mélancolie et attendit la suite.
-- Content d'vous r'trouver... Je... J'ai vu.... c'que vous m'avez montré. Est-c'que... j'peux faire quequ'chose ?
Il ne savait bien quoi en réalité, il demeurait surtout troublé par cette atmosphère renfermée et s'était laissé porter par son empathie devant ce qu'il avait découvert. Les sévices vécus par la jeune femme faisaient écho à bien des tourments dans son propre passé. Exploiter les gens... Les traiter comme des monnaies d'échange. Les mépriser car ce ne sont "que" des femmes, ou "que" des invalides... Des porteurs du péché, des inférieurs. Il ravala sa mélancolie et attendit la suite.
Re: L'antre de Lucrezia
Le vieillard lui donna la plume et l'encrier. Utilisant un livre en guise de support, Lucrezia rédigea un mot, qu'elle fit lire à son vieux serviteur.
"La Sibylle, elle aussi, a vu ton passé. Comment peut-elle te remercier de ton aide ?"
Elle lui reprit le parchemin, le compléta, le lui rendit.
"Tu as vu un homme. Elle le soupçonne d'avoir tué son père. Elle le tuera mais, avant, elle voudrait savoir s'il l'a fait sur la demande de son oncle. Elle est pressée par le temps : son oncle essaie de se débarrasser d'elle."
Un dernier aller-retour du parchemin :
"La vérité n'est pas dans ses souvenirs. Elle ne l'a jamais sue. Si tu revois l'homme, elle voudra le savoir. Si tu apprends sur lui n'importe quoi, il faudra le lui dire. Elle devra lui briser l'esprit."
"La Sibylle, elle aussi, a vu ton passé. Comment peut-elle te remercier de ton aide ?"
Elle lui reprit le parchemin, le compléta, le lui rendit.
"Tu as vu un homme. Elle le soupçonne d'avoir tué son père. Elle le tuera mais, avant, elle voudrait savoir s'il l'a fait sur la demande de son oncle. Elle est pressée par le temps : son oncle essaie de se débarrasser d'elle."
Un dernier aller-retour du parchemin :
"La vérité n'est pas dans ses souvenirs. Elle ne l'a jamais sue. Si tu revois l'homme, elle voudra le savoir. Si tu apprends sur lui n'importe quoi, il faudra le lui dire. Elle devra lui briser l'esprit."
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Re: L'antre de Lucrezia
-- Me r'mercier. Oh... J'demande rien. J'espère juste qu'on pourra s'recroiser dans d'meilleures circonstances.
Son visage retrouva tout son sérieux et un silence de respect quand il écouta la suite de la traduction, bien moins réjouissante. Un meurtre en préparation. Tristan resta un court instant sans rien dire. Il demeurait très sceptique quant à l'idée de ce crime et d'une telle vengeance, mais ne dit rien du tout : c'étaient là les affaires de Lucrezia, et par ailleurs elle avait cent fois raison d'en vouloir à cet homme. Un châtiment se devait sans doute mériter, le danseur le comprenait. Il acquiesça avec sobriété.
-- J'manquerai pas d'vous signaler quoi que ce soit, si j'ai des informations, répondit Tristan en regardant la Sibylle. J'suis avec vous.
Il sentit que la jeune femme était pressée. Probablement d'autres occupations à venir pour elle. Il pencha la tête et attendra ses dernières recommandations.
Son visage retrouva tout son sérieux et un silence de respect quand il écouta la suite de la traduction, bien moins réjouissante. Un meurtre en préparation. Tristan resta un court instant sans rien dire. Il demeurait très sceptique quant à l'idée de ce crime et d'une telle vengeance, mais ne dit rien du tout : c'étaient là les affaires de Lucrezia, et par ailleurs elle avait cent fois raison d'en vouloir à cet homme. Un châtiment se devait sans doute mériter, le danseur le comprenait. Il acquiesça avec sobriété.
-- J'manquerai pas d'vous signaler quoi que ce soit, si j'ai des informations, répondit Tristan en regardant la Sibylle. J'suis avec vous.
Il sentit que la jeune femme était pressée. Probablement d'autres occupations à venir pour elle. Il pencha la tête et attendra ses dernières recommandations.
Re: L'antre de Lucrezia
Le vieux domestique eut une grimace.
Il avait longtemps tenté, mais sans succès, de dissuader Lucrezia. Il avait été fidèle à son père et, lorsqu'elle avait perdu l'espoir de le revoir, la santé mentale et l'usage des mots, il avait choisi de veiller sur la fille. Entraîné dans son alchimie de lumière et de noirceur, de caprice et d'abnégation, de charlatanisme et d'érudition, le vieillard tomba dans l'habitude de lui céder. À force de vivre en ne parlant plus, il était devenu l'araignée de la remise.
Il trouvait l'infirme trop compréhensif. Au fond, Lucrezia n'avait jamais su fournir le moindre indice de l'implication de son oncle dans la mort de son père ; et ce peintre, enfin ces yeux dont elle faisait une obsession, n'avait fait, tout au plus, que la peindre et la regarder. Jamais sa plume, en courant sur un parchemin, n'avait évoqué autre chose. Il aurait voulu qu'un autre ait la force de la dissuader. Il le voulait d'autant plus qu'il avait cessé d'y croire. Enfin ! Ce jeune infirme n'était pas sorti de l'enfance ; et sans doute avait-il, lui-même, entretenu une haine du même acabit.
Comprenant d'un regard le dépit qui habitait le serviteur, Lucrezia afficha une moue de mécontentement. Puis sa fatigue prit le pas sur le caprice et la colère. Elle se redressa dans un bref effort, tendit la main pour serrer faiblement le bras de Tristan puis, sur un signe envers le domestique, elle se rallongea, mais face au mur.
Il avait longtemps tenté, mais sans succès, de dissuader Lucrezia. Il avait été fidèle à son père et, lorsqu'elle avait perdu l'espoir de le revoir, la santé mentale et l'usage des mots, il avait choisi de veiller sur la fille. Entraîné dans son alchimie de lumière et de noirceur, de caprice et d'abnégation, de charlatanisme et d'érudition, le vieillard tomba dans l'habitude de lui céder. À force de vivre en ne parlant plus, il était devenu l'araignée de la remise.
Il trouvait l'infirme trop compréhensif. Au fond, Lucrezia n'avait jamais su fournir le moindre indice de l'implication de son oncle dans la mort de son père ; et ce peintre, enfin ces yeux dont elle faisait une obsession, n'avait fait, tout au plus, que la peindre et la regarder. Jamais sa plume, en courant sur un parchemin, n'avait évoqué autre chose. Il aurait voulu qu'un autre ait la force de la dissuader. Il le voulait d'autant plus qu'il avait cessé d'y croire. Enfin ! Ce jeune infirme n'était pas sorti de l'enfance ; et sans doute avait-il, lui-même, entretenu une haine du même acabit.
Comprenant d'un regard le dépit qui habitait le serviteur, Lucrezia afficha une moue de mécontentement. Puis sa fatigue prit le pas sur le caprice et la colère. Elle se redressa dans un bref effort, tendit la main pour serrer faiblement le bras de Tristan puis, sur un signe envers le domestique, elle se rallongea, mais face au mur.
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Re: L'antre de Lucrezia
Tristan surprit la mine pincée du vieil homme et ne put que partager en partie ce dépit. Lui même gardait de sérieux doutes quant au projet de meurtre nourri par Lucrezia. Donner aux gens ce qu'ils méritaient, oui, mais il y avait peut-être des manières plus subtiles ? Le danseur devait bien s'avouer un peu perdu lui-même sur la question et concernant ses propres rancœurs, sa solution à lui avait consisté à tirer un trait sec sur sa famille biologique. Oh, il devait bien s'avouer qu'il lui restait encore une certaine haine de l'autorité masculine, de l'autorité religieuse -- de l'autorité tout court. Mais en venir aux mains...
Tristan secoua nerveusement la tête et sortit de ses pensées. Il avait promis son aide à Lucrezia, il tiendrait parole -- espérant que l'avenir contribuerait peut-être à aider la jeune femme, à la faire changer de voie ou de plan. Il serait de son côté cependant, pour tout ce que son histoire ravivait en lui.
Il la salua et, la voyant s'allonger, quitta l'antre -- après un "au revoir" très poli au vieil homme.
Tristan secoua nerveusement la tête et sortit de ses pensées. Il avait promis son aide à Lucrezia, il tiendrait parole -- espérant que l'avenir contribuerait peut-être à aider la jeune femme, à la faire changer de voie ou de plan. Il serait de son côté cependant, pour tout ce que son histoire ravivait en lui.
Il la salua et, la voyant s'allonger, quitta l'antre -- après un "au revoir" très poli au vieil homme.
Re: L'antre de Lucrezia
L'après-midi du 4 septembre, Lucrezia demeura face au mur dans un état neurasthénique. Elle consentit à se coucher dans sa chambre en début de soirée.
Le lendemain matin, la routine de l'officine avait repris. Il y eut de l'affluence et Lucrezia prépara la médication dans son antre, en faisant, de temps à autre, un aller-retour dans le local de l'apothicaire, afin d'exhumer des tiroirs les ingrédients dont elle avait besoin.
En fin d'après-midi, le 5 septembre, la fréquentation tarit. Le vieillard dirigeait son pas lourd vers la porte et s'apprêtait à la verrouiller lorsqu'il entendit, de l'autre côté, une sorte de grattement. Il l'ouvrit et tomba sur le jeune visiteur de la veille en chariot d'infirme. Il le regarda d'un air interrogateur.
Le lendemain matin, la routine de l'officine avait repris. Il y eut de l'affluence et Lucrezia prépara la médication dans son antre, en faisant, de temps à autre, un aller-retour dans le local de l'apothicaire, afin d'exhumer des tiroirs les ingrédients dont elle avait besoin.
En fin d'après-midi, le 5 septembre, la fréquentation tarit. Le vieillard dirigeait son pas lourd vers la porte et s'apprêtait à la verrouiller lorsqu'il entendit, de l'autre côté, une sorte de grattement. Il l'ouvrit et tomba sur le jeune visiteur de la veille en chariot d'infirme. Il le regarda d'un air interrogateur.
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Re: L'antre de Lucrezia
Haussant un sourcil sans mot dire, le vieillard fit entrer le visiteur du soir. Il lui indiqua les tentures du fond du local, donnant sur l'antre, et referma la porte.
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Re: L'antre de Lucrezia
Tristan remercia l'homme qui le laissait entrer puis roula jusqu'aux tentures. Là, il découvrit bientôt l'ombre de la Sibylle poussant sur le mur le plus proche. Elle arrivait. Il murmura :
-- Bonjour L... Lucrezia (il avait fini par ressentir son véritable nom, malgré les mensonges d'Alexandre leur de la première rencontre.) J'ai un mot pour vous. D'la part de quelqu'un.
-- Bonjour L... Lucrezia (il avait fini par ressentir son véritable nom, malgré les mensonges d'Alexandre leur de la première rencontre.) J'ai un mot pour vous. D'la part de quelqu'un.
Re: L'antre de Lucrezia
À la lecture, elle eut une émotion mêlée.
Lucrezia savait maintenant où se procurer le livre. Après le rituel, la mort de son oncle et celle de Giacometti, il n'y aurait plus rien à faire. Elle retournerait dans la maison de la place, elle y mettrait le feu : tout, elle y compris, partirait dans l'incendie ! Elle eut un sourire de joie profonde.
En revanche, il faudrait trouver le livre au presbytère. Il lui répugnait d'avoir à retrouver le père Thierry.
Elle prit sur la table de divination la broche de sa cape de voyage. Quittant l'antre et passant par le local, Lucrezia attrapa, dans un tiroir des semainiers sans nombre, un flacon d'émétique et un autre de poison violent. Sur un regard trop passionné pour rester sain, Lucrezia planta les deux autres sur le seuil du local d'apothicaire et fonça dans les flammes du soir.
Le vieux domestique eut un pressentiment bizarre. "Et si tu la suivais ?" fit-il à Trisan. Il avait l'air débrouillard, malgré son âge et son infirmité.
Lucrezia savait maintenant où se procurer le livre. Après le rituel, la mort de son oncle et celle de Giacometti, il n'y aurait plus rien à faire. Elle retournerait dans la maison de la place, elle y mettrait le feu : tout, elle y compris, partirait dans l'incendie ! Elle eut un sourire de joie profonde.
En revanche, il faudrait trouver le livre au presbytère. Il lui répugnait d'avoir à retrouver le père Thierry.
Elle prit sur la table de divination la broche de sa cape de voyage. Quittant l'antre et passant par le local, Lucrezia attrapa, dans un tiroir des semainiers sans nombre, un flacon d'émétique et un autre de poison violent. Sur un regard trop passionné pour rester sain, Lucrezia planta les deux autres sur le seuil du local d'apothicaire et fonça dans les flammes du soir.
Le vieux domestique eut un pressentiment bizarre. "Et si tu la suivais ?" fit-il à Trisan. Il avait l'air débrouillard, malgré son âge et son infirmité.
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Re: L'antre de Lucrezia
A peine a-t-il laissé le mot à Lucrezia qu'il voit une flamme folle s'allumer dans ses yeux. Tristan n'eut pas le temps de la retenir ni de lui dire le moindre mot : elle partit en furie à travers les rues. Ni une ni deux, il capta le regard du vieux domestique et sa suggestion. Le jeune homme porta les mains à ses roues et fusa à la suite de la muette.
Faute de ne savoir les mots utiles à l'interpeller -- surtout en pleine rue -- Tristan se contenta de rouler dans l'ombre de la jeune femme, qui se dirigeait d'un pas furieux vers le presbytère. Le danseur pria pour qu'elle ne se plongeât pas dans la première folie venue, folie qui lui vaudrait de gros ennuis comparables à ceux qui attendaient le pauvre Alexandre. Tristan retint ses larmes. Il tremblait. Si Lucrezia dérapait, il ferait tout pour la retenir.
Faute de ne savoir les mots utiles à l'interpeller -- surtout en pleine rue -- Tristan se contenta de rouler dans l'ombre de la jeune femme, qui se dirigeait d'un pas furieux vers le presbytère. Le danseur pria pour qu'elle ne se plongeât pas dans la première folie venue, folie qui lui vaudrait de gros ennuis comparables à ceux qui attendaient le pauvre Alexandre. Tristan retint ses larmes. Il tremblait. Si Lucrezia dérapait, il ferait tout pour la retenir.
Re: L'antre de Lucrezia
- Spoiler:
- Oh cette dame et son échoppe intéressent beaucoup Dyonis ! Mais j'ai cru comprendre qu'en ce moment elle n'est pas disponible et se repose dans un couvent ? Le baron repassera donc plus tard
Re: L'antre de Lucrezia
- Spoiler:
- C'est ça, oui !
Après avoir profité de ma naiveté, elle a réussi à obtenir son fameux grimoire et est parti sans laisser d’adresse à personne à ce monastère. On e sait quels sont ses projets à venir.. Mais elle reviendra sans doute un jour ou l'autre
En tous cas, moi je n'a pas envie de la revoir
Re: L'antre de Lucrezia
- Spoiler:
- Moh !
Tu as été le dégât collatéral de son plan il faut croire
Mais voilà qui me rend d'autant plus curieux de rencontrer cette dame !
Re: L'antre de Lucrezia
Au soir du 9 septembre 1597, Lucrezia arriva à la rue Sourde.
Après son périple en forêt, son suicide et sa résurrection, Lucrezia avait consenti à aider le baron de Frenn. Elle le seconderait dans son ambition de devenir le conseiller du roi ; lui retrouverait la trace du peintre, en échange des services de la Sibylle. Afin d'influencer l'esprit du roi, il fallait terminer la vapor d'Alfrédic. Il ne restait déjà plus qu'un ingrédient : un cœur humain fraîchement tiré de la poitrine d'un mort.
Lucrezia avait espéré trouver l'ingrédient à la Garde-Prudence : en effet, les infanticides se multipliaient dans les couvents, si bien qu'il lui parut simple d'y trouver un cœur, minuscule et transpercé, certes, mais tout fraîchement récupéré. Cependant son départ précipité ne lui avait pas permis de mettre la main sur un palpitant d'enfant tué. Par la suite, elle avait imaginé trouver son bonheur dans le château du seigneur de Frenn, car les servantes s'ingéniaient à faire disparaître leur progéniture en vue de garder leur place ; et là non plus, Lucrezia n'eut pas le temps de vérifier s'il s'agissait d'une idée reçue. Il lui restait trois idées : se servir de Tristan, se servir de Dyonis, se servir du pensionnaire de la cave de l'antre.
Il fallait maintenir l'infirme en vie : les yeux (si nul ne retrouvait Giacometti) seraient le seul moyen de le voir. Quant à Dyonis, il s'était avéré utile et, lui aussi, il rechercherait l'ennemi. Il restait la rue Sourde.
Elle ouvrit la porte de l'officine et, se glissant à l'intérieur, avec sa discrétion de fantôme, elle marcha jusqu'au comptoir, au milieu des semainiers sans nombre dans lesquels s'accumulaient les médecines les plus stupéfiantes, qui font rire et qui font mourir. Elle entendit alors les voix. S'immobilisant dans le rideau qui séparait l'officine et l'antre, elle écouta attentivement. Cela venait de la cave.
– ... et je ne sais s'il faut se mettre à sa recherche, disait la voix du vieux domestique. Elle n'a jamais si longtemps disparu. Le garçon l'avait suivie. Lui non plus n'est jamais revenu. L'incendie du presbytère est son œuvre. Aucun soldat n'est venu jusqu'ici : la prévôté n'a donc connaissance de rien.
Il parlait d'une voix très basse et lente. Il parlait beaucoup pour son habitude. Comme il n'avait vécu depuis six ans qu'avec la fille de son maître, à la fois folle et muette, il avait fini par patauger dans son mutisme et son délire, en n'ouvrant plus souvent la bouche et en ralentissant tous ses vieux gestes de momie mécanique. Une autre voix s'éleva tout à coup, plus sifflante et aiguë :
– Non ! NON ! Ne va pas la trouver ! Francesco ! Non !
– Mais si les soldats la découvraient ? reprit le domestique. Au lieu de demeurer au manoir familial, j'avais choisi de veiller sur elle : et je suis devenu ce que je suis maintenant, faible et fou, vieux comme l'ancien monde, et, lorsqu'elle n'est plus là, je ne sais plus pourquoi je vis. Je suis trop vieux pour vivre encore pour moi.
– Tu es fou ! FOU ! Tu n'as rien dans la tête. Vieille épave ! Tu es un désastre ! Tu n'as jamais su t'occuper de moi ! Tu n'as jamais su !
– Je t'ai nourri tout ce temps, reprit la voix du vieillard, douce et lente.
– Détache-moi ! DÉTACHE-MOI ! Je la retrouverai ! Je le ferai pour toi ! Oui !
Quelqu'un pleura. Lucrezia ignorait lequel des deux. Était-ce le père ou le fils ?
Elle repoussa le rideau de l'antre et, avisant l'escalier de la cave, dont la trappe était ouverte, elle descendit les marches. Il y avait au bas, sur le dernier degré, une lanterne. On voyait mal, dans la pénombre, les caisses, les tables brisées, le grouillement des rats vivants sur les rats crevés (à moins qu'ils ne fussent qu'en l'imagination de la folle ?) et, tout au fond, les silhouettes des deux hommes. Le vieillard s'était assis sur des débris. Le dominant de toute sa hauteur, un homme de quarante ans secouait les chaînes de ses bras, qui l'attachaient aux anneaux de fer fixés dans la muraille de la cave. C'était un colosse et il avait un regard terrible de dieu foudroyant.
Lorsqu'ils virent Lucrezia approcher, ils se figèrent l'un et l'autre en la regardant. Aucun mot ne sortit de leurs bouches. Elle leur jeta un regard mauvais. Les ombres dansaient dans le feu de la lanterne. La scène se jouait dans un monde en-dessous du monde, où les lois rayonnantes de Dieu ne régnaient plus.
Un long moment s'écoula. Puis Lucrezia tira de son vêtement les pages sorties d'Alfrédic le Trismégiste. Elle les tendit au vieux serviteur.
Comme il n'y voyait plus beaucoup, il se rapprocha de la lanterne et les déchiffra lentement. L'écriture anguleuse et tourmentée de Lucrezia avait recouvert le codage du disciple d'Alfrédic : tout devenait lisible. Il comprit pourquoi Lucrezia avait refait surface.
– Sibylle... commença-t-il faiblement.
Il avait le ton d'un homme qui n'est pas habitué à contester ; mais, sentant qu'il se jouait là l'essentiel de sa vie, il tâcha de la raisonner, comme on raisonnerait une enfant.
– Depuis six ans tu as tenté, Sibylle, implorait-il. J'ai veillé sur toi. Je le devais à ton père et...
Lucrezia fronça terriblement les sourcils lorsqu'il fut question de son père. Il vit qu'il avait fait une erreur. Il changea de chemin.
– Tu as tout tenté, continua-t-il en se jetant à ses genoux. Dans ce quartier, certains te doivent la vie, d'autres te doivent la mort. Ton oncle ne l'aurait jamais soigné comme tu l'as fait ! Regarde-le !
Le colosse eut un ricanement de bête idiote.
– AH AH AH ! fit-il. Au fond du puits il n'y a plus rien. PLUS RIEN !
Bientôt il s'arrêta. L'écho mourut dans la cave et l'homme eut l'air de se rencogner de misère et de terreur.
– Je suis toujours là ! pleurait-il. Je suis toujours là !
– Vas-tu l'abandonner ? gémissait le vieillard. Tu n'as pas tout essayé ! Il doit rester un moyen !
Implacablement, Lucrezia pointa du doigt la mention du cœur humain sur le manuscrit.
– Pas le sien ! PAS LE SIEN ! hurla le domestique.
Un long moment plus tard, Lucrezia remontait dans l'antre. Elle écrasa l'un des ventricules sous une presse et s'adonna rapidement, l'air triste et démentiel, au filtrage et à la macération nécessaires. Elle fit un aller-retour dans l'officine, afin d'y trouver le plus puissant catalyseur dont elle avait connaissance et, la réaction produisant les effets décrits sur le livre, elle accomplit les préparatifs de son départ ; puis se pressa au-dehors de l'antre.
À la cave, le fils semblait abruti. Dans ses chaînes, il ne bougeait plus. Son regard dévalait vers le cadavre entrouvert de son père, au sol. Il l'avait vu s'ouvrir le thorax. Il n'avait pas saisi pourquoi. Le sang baignait ses pieds nus. Il remarqua qu'il avait un peu froid.
Après son périple en forêt, son suicide et sa résurrection, Lucrezia avait consenti à aider le baron de Frenn. Elle le seconderait dans son ambition de devenir le conseiller du roi ; lui retrouverait la trace du peintre, en échange des services de la Sibylle. Afin d'influencer l'esprit du roi, il fallait terminer la vapor d'Alfrédic. Il ne restait déjà plus qu'un ingrédient : un cœur humain fraîchement tiré de la poitrine d'un mort.
Lucrezia avait espéré trouver l'ingrédient à la Garde-Prudence : en effet, les infanticides se multipliaient dans les couvents, si bien qu'il lui parut simple d'y trouver un cœur, minuscule et transpercé, certes, mais tout fraîchement récupéré. Cependant son départ précipité ne lui avait pas permis de mettre la main sur un palpitant d'enfant tué. Par la suite, elle avait imaginé trouver son bonheur dans le château du seigneur de Frenn, car les servantes s'ingéniaient à faire disparaître leur progéniture en vue de garder leur place ; et là non plus, Lucrezia n'eut pas le temps de vérifier s'il s'agissait d'une idée reçue. Il lui restait trois idées : se servir de Tristan, se servir de Dyonis, se servir du pensionnaire de la cave de l'antre.
Il fallait maintenir l'infirme en vie : les yeux (si nul ne retrouvait Giacometti) seraient le seul moyen de le voir. Quant à Dyonis, il s'était avéré utile et, lui aussi, il rechercherait l'ennemi. Il restait la rue Sourde.
Elle ouvrit la porte de l'officine et, se glissant à l'intérieur, avec sa discrétion de fantôme, elle marcha jusqu'au comptoir, au milieu des semainiers sans nombre dans lesquels s'accumulaient les médecines les plus stupéfiantes, qui font rire et qui font mourir. Elle entendit alors les voix. S'immobilisant dans le rideau qui séparait l'officine et l'antre, elle écouta attentivement. Cela venait de la cave.
– ... et je ne sais s'il faut se mettre à sa recherche, disait la voix du vieux domestique. Elle n'a jamais si longtemps disparu. Le garçon l'avait suivie. Lui non plus n'est jamais revenu. L'incendie du presbytère est son œuvre. Aucun soldat n'est venu jusqu'ici : la prévôté n'a donc connaissance de rien.
Il parlait d'une voix très basse et lente. Il parlait beaucoup pour son habitude. Comme il n'avait vécu depuis six ans qu'avec la fille de son maître, à la fois folle et muette, il avait fini par patauger dans son mutisme et son délire, en n'ouvrant plus souvent la bouche et en ralentissant tous ses vieux gestes de momie mécanique. Une autre voix s'éleva tout à coup, plus sifflante et aiguë :
– Non ! NON ! Ne va pas la trouver ! Francesco ! Non !
– Mais si les soldats la découvraient ? reprit le domestique. Au lieu de demeurer au manoir familial, j'avais choisi de veiller sur elle : et je suis devenu ce que je suis maintenant, faible et fou, vieux comme l'ancien monde, et, lorsqu'elle n'est plus là, je ne sais plus pourquoi je vis. Je suis trop vieux pour vivre encore pour moi.
– Tu es fou ! FOU ! Tu n'as rien dans la tête. Vieille épave ! Tu es un désastre ! Tu n'as jamais su t'occuper de moi ! Tu n'as jamais su !
– Je t'ai nourri tout ce temps, reprit la voix du vieillard, douce et lente.
– Détache-moi ! DÉTACHE-MOI ! Je la retrouverai ! Je le ferai pour toi ! Oui !
Quelqu'un pleura. Lucrezia ignorait lequel des deux. Était-ce le père ou le fils ?
Elle repoussa le rideau de l'antre et, avisant l'escalier de la cave, dont la trappe était ouverte, elle descendit les marches. Il y avait au bas, sur le dernier degré, une lanterne. On voyait mal, dans la pénombre, les caisses, les tables brisées, le grouillement des rats vivants sur les rats crevés (à moins qu'ils ne fussent qu'en l'imagination de la folle ?) et, tout au fond, les silhouettes des deux hommes. Le vieillard s'était assis sur des débris. Le dominant de toute sa hauteur, un homme de quarante ans secouait les chaînes de ses bras, qui l'attachaient aux anneaux de fer fixés dans la muraille de la cave. C'était un colosse et il avait un regard terrible de dieu foudroyant.
Lorsqu'ils virent Lucrezia approcher, ils se figèrent l'un et l'autre en la regardant. Aucun mot ne sortit de leurs bouches. Elle leur jeta un regard mauvais. Les ombres dansaient dans le feu de la lanterne. La scène se jouait dans un monde en-dessous du monde, où les lois rayonnantes de Dieu ne régnaient plus.
Un long moment s'écoula. Puis Lucrezia tira de son vêtement les pages sorties d'Alfrédic le Trismégiste. Elle les tendit au vieux serviteur.
Comme il n'y voyait plus beaucoup, il se rapprocha de la lanterne et les déchiffra lentement. L'écriture anguleuse et tourmentée de Lucrezia avait recouvert le codage du disciple d'Alfrédic : tout devenait lisible. Il comprit pourquoi Lucrezia avait refait surface.
– Sibylle... commença-t-il faiblement.
Il avait le ton d'un homme qui n'est pas habitué à contester ; mais, sentant qu'il se jouait là l'essentiel de sa vie, il tâcha de la raisonner, comme on raisonnerait une enfant.
– Depuis six ans tu as tenté, Sibylle, implorait-il. J'ai veillé sur toi. Je le devais à ton père et...
Lucrezia fronça terriblement les sourcils lorsqu'il fut question de son père. Il vit qu'il avait fait une erreur. Il changea de chemin.
– Tu as tout tenté, continua-t-il en se jetant à ses genoux. Dans ce quartier, certains te doivent la vie, d'autres te doivent la mort. Ton oncle ne l'aurait jamais soigné comme tu l'as fait ! Regarde-le !
Le colosse eut un ricanement de bête idiote.
– AH AH AH ! fit-il. Au fond du puits il n'y a plus rien. PLUS RIEN !
Bientôt il s'arrêta. L'écho mourut dans la cave et l'homme eut l'air de se rencogner de misère et de terreur.
– Je suis toujours là ! pleurait-il. Je suis toujours là !
– Vas-tu l'abandonner ? gémissait le vieillard. Tu n'as pas tout essayé ! Il doit rester un moyen !
Implacablement, Lucrezia pointa du doigt la mention du cœur humain sur le manuscrit.
– Pas le sien ! PAS LE SIEN ! hurla le domestique.
Un long moment plus tard, Lucrezia remontait dans l'antre. Elle écrasa l'un des ventricules sous une presse et s'adonna rapidement, l'air triste et démentiel, au filtrage et à la macération nécessaires. Elle fit un aller-retour dans l'officine, afin d'y trouver le plus puissant catalyseur dont elle avait connaissance et, la réaction produisant les effets décrits sur le livre, elle accomplit les préparatifs de son départ ; puis se pressa au-dehors de l'antre.
À la cave, le fils semblait abruti. Dans ses chaînes, il ne bougeait plus. Son regard dévalait vers le cadavre entrouvert de son père, au sol. Il l'avait vu s'ouvrir le thorax. Il n'avait pas saisi pourquoi. Le sang baignait ses pieds nus. Il remarqua qu'il avait un peu froid.
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