[5 décembre 1597] Le retour du héros [Terminé]

C'est d'un pas décidé, déterminé et fier que Matthieu traversait les rues de Braktenn. Les gens l'observaient, le saluaient, osaient parfois lui demander une bénédiction qu'il leur donnait avec plaisir. Il se trouvait presque enjoué, rasséréné par la confiance que le pape avait placé en lui. Il était l'envoyé du Saint Père, missionné pour apporter la bénédiction de Dieu à cet empire. Et il comptait bien commencer cette mission avec de nombreuses réussites, même les plus petites. Il allait donc commencer par aller récupérer son esclave.

Dès son arrivée dans la boutique, il claqua la porte avec force.

- Bonjour ! Serait-il possible de voir ma sœur !


Grâce était contente d'avoir fini la journée et de l'avoir passé avec sa grande sœur à s'occuper de la boutique. Elles allaient enfin pouvoir fermer. En plus, sa mère avait bien voulu aller se reposer pour une fois et vraisemblablement avait dormi ! Mais une simple porte envoya tout cela valser. Grâce cligna des yeux.

- On... oncle Matthieu ?

L'intéressé soupira en levant les yeux au ciel.

- Évidemment, tu attendais quelqu'un d'autre ?

- Euh... non, mais on allait fermer...

- Mais je ne suis pas un client. Où est ta mère ?

Grâce fit une petite moue.

- Elle va sans doute se réveiller vu tout le bruit que tu as fait...

La journée s'était parfaitement bien déroulée. Après le déjeuner, en travaillant ensemble, Cassandre et Grâce avaient su s'unir pour vaincre les réticences de Dame Irène et à la forcer à garder le lit. Comme elle pouvait être têtue ! Chaque après-midi, c'était toujours la croix et la bannière pour que celle-ci accepte de leur obéir ! Portant, il fallait qu'elle se ménage et pense au bébé. L commerce avait été rentable et grâce à ses talents, la fillette avait su vendre bon nombre d'articles. De temps en temps, quand il n'y avait pas eu de clients les deux sœurs s'étaient amusées à écrire des mots ou des phrases.

Au soir, alors qu'elles s'apprêtaient à fermer la boutique, un homme vêtu de pourpre se présenta de manière bien autoritaire et claqua derrière lui la porte avec une fermeté qui agaça aussitôt Cassandre. Où avait-il appris les bonnes manières celui-là ? Parce qu'il serait cardinal, il se croyait tout permis ? Elle eut une seconde surprise en entendant sa petite sœur échanger avec le malpoli que c'était ce fameux oncle Matthieu qui se trouvait jusque-là à Rome. Bon sang ! C'était vraiment lui le frère de l'oncle Joseph et de Dame Irène ? Il ne leur ressemblait pas. En tous les cas, elle n'allait le laisser malmener sa petite sœur !

Soucieuse de lui montrer en priorité sa bonne éducation, pour contraster avec les manières rudes du malotru, Cassandre s'avança et esquissa une révérence en tirant avec élégance sur sa robe.

"Bonsoir oncle Matthieu? Je suis Cassandre Velasquez, la filleule de votre sœur."

Elle prit ensuite un ton plus sévère, se plaçant devant Grâce.

"Vous serait-il de parler un peu moins fort, s'il vous plaît ? A moins que vous n'ayez pas été informé, votre sœur est enceinte de plus de sept mois et elle est de plus en plus fatiguée. Elle a besoin de longs moments de repos sans ça vous risquer de lui causer de graves problèmes."

Elle fixa ensuite la porte derrière eux puis reprit d'une petite voix d'où perçait à présent une discrète pointe d'insolence :

"Au fait, oncle Matthieu, personne ne vous a appris que c'était mal de claquer une porte. J'ai beau avoir grandi à) la campagne, mon père m'aurait sacrément attrapé si j'avais une fois claqué la porte de l'étable comme vous venez de faire avec celle de note commerce."

Ce n'était en aucun cas la bonne manière de débuter une bonne relation avec lui mais Cassandre ne pouvait se retenir. Il n'avait qu'à pas s'en prendre comme ça à Grâce et à troubler le sommeil de Dame Irène. Non mais !

matthieu haussa un sourcil en voyant une petite fille s'avancer et l'appeler oncle. Il plissa les yeux et la reconnut, d'autant plus quand elle se nomma. Ah, mais oui, l'un des fameux chats errants de sa soeur... Bon, au moins, celle-ci semblait éduquée et moins empotée que les deux autres.

- Bonjour, ma petite.

Il n'ajouta pas qu'il était ravie de la revoir, même s'il hésita. Non, il devait rester dans sa posture ferme, même au sein de sa propre famille. Il arrondit cependant les yeux à la suite. Elle osait... Mais... Ah, oui... Il était vrai que sa soeur était enceinte et passablement fatiguée...

- Bien, soit, veuillez m'excuser, cela m'était sorti de l'esprit.

Grâce fit la moue. Il oubliait toujours tout et même les choses les plus importantes ! C'était quand même un comble pour un cardinal qui faisait des prêches de mémoire.

La suite le fit davantage froncer les sourcils. Depuis quand une gamine se permettait de faire la leçon à un adulte ? Mais, curieusement, il n'eut pas envie de répliquer tout de suite. C'était fou, mais cette petite lui rappelait leur mère... Étrange, quand il sachait qu'ils ne partageaient aucun sang. Enfin, si sa sœur voulait l'adopter, il allait devoir faire avec...

- Oui, oui, je ferai attention la prochaine fois. Mais pour ta part, tu ne devrais pas parler avec autant d'insolence à tes...

- Elle peut parler comme elle veut, parce qu'elle a entièrement raison !

Irène se traîna un peu péniblement hors de la cage d'escalier et soupira en voyant Matthieu toujours aussi fidèle à lui-même. Ce dernier redressa le menton.

- Ma sœur...

-Mon frère.

Ce fut tout et ils restèrent un moment à s'affronter du regard. Grâce se trouve même frissonner tant l'ambiance était glaciale. Matthieu aurait pourtant voulut demander à Irène comment elle allait, en toute sincérité. Il était vrai qu'elle semblait être fatiguée, elle qui débordait pourtant d'énergie en temps normal. Et son ventre était énorme... Ou peut-être n'était-ce qu'une impression. Il se reprit pourtant. Il n'était pas là pour parler de telles futilités. Sa sœur avait sa vie et lui avait la sienne, consacrée à la mission qu'il avait envers Dieu. Matthieu brisa le premier le silence.

- Bien, je ne vais pas y aller par quatre chemins ; je viens simplement récupérer mon esclave.

Irène soupira.

- Il a encore fui la maison aujourd'hui mais ne devrait pas tarder à rentrer...

Malgré la robe poupe que portait cet homme devant elle, Cassandre ne s'impressionna pas et continua à fixer l'oncle Matthieu. Elle ne s'excuserait pas de ses paroles. Il ne le méritait pas. Les gens bien élevés parlaient normalement, pas comme si on était leur larbin, et ne claquaient pas le portes. Il avait même osé oublier que sa sœur était enceinte et approchait du terme. Quelle indélicatesse !

D'ailleurs, il semblait comprendre. Il ne répliqua pas tout de suite, comme s'il savait que al réprimander sonnerait creux. Cassandre sourit en entendant la voix de Dame Irène qui intervenait pour la soutenir. Elle se retourna et s'attrista de voir sa tutrice descendre si difficilement. Pourquoi n'était-elle pas encore assez grande pour l'aider ? Avec deux ans de plus, elle aurait pu lui proposer de s'appuyer sur ses épaules.

Ce qui suivit laissa Cassandre effarée. C'était quoi ses retrouvailles ? Ils ne disaient que "mon frère" ou "ma sœur" ? Pas d'embrassades ? Aucune éreinte ? Aucune parole gentille ? La froideur de cette rencontre l'atteignit dans son cœur et opprima sa poitrine.

"C'est tout ? Je veux bien que vous ayez des incompréhension, que ce soit difficile de s'entendre avec des gens qui ont des points de vue différents mais vous êtes de la même famille ! Vous êtes frère et sœur ! Vous avez forcément des choses à vous dire ! Vous comptez entendre que l'un de vous meure pour regretter tout ce qu'il n'aura pas dit à l'autre ?"

Cassandre était bouleversée et revivait dans cette situation cette relation étrange tissée avec sa grande sœur Agathe. Des larmes commençaient à lui venir. elle reprit d'une petite voix.

"Quand j'étais petite, ma grande sœur était sévère et me parlait peu. Je me suis mise à a détester. J'ai fini par comprendre qu'elle m'aimait, qu'elle essayait de m'élever, qu'elle essayait de remplacer notre maman... Je voudrais pouvoir lui dire tout ce que j'ai jamais pu lui dire, lui dire que je regrette d’avoir parfois mal agi.. Mais pour moi, c'est trop tard. Un jour, on se reverra sans doute au Paradis. Mais dans combien de temps ? C'est long d'attendre quand on a des regrets de toutes ces choses qu'on a jamais pu dire à l'autre."

Elle releva la tête et fixa les deux adultes.

"Imaginez que quelque chose arrive à l'autre. Vous voulez vivre des années avec vos regrets ? Ou laisser vivre l'autre avec ses regrets ?"

Elle renifla et se moucha dans le revers de manche, oubliant de prendre son mouchoir.

Cassandre se recula un peu, le temps de se remettre de ses émotions qui l'avaient bouleversé. Elle tressaillit en entendant l'oncle Matthieu demander pour récupérer son esclave. Alexandre... Sa main se passa instinctivement sur sa gorge qui avait heureusement cicatrisée depuis sa blessure du vilain Fromart. Elle avait une dette de vie envers Alexandre. C'était peut-être le moment de commencer à la rembourser. Elle se mordit les lèvres quand dame Irène mentionna le mot fui. C'était dangereux. Un esclave et le mot fuite ça ne devait jamais être associé.

Feignant la timidité, Cassandre s'avança :

"Ce n'est pas vraiment une fuite, oncle Matthieu. C'est juste... Alexandre est plein de bonne volonté mais il c'est un garçon. alors il ne s'y connait pas trop pour aider à la boutique, vous voyez. Alors, il a préféré aider à l'église Sainte-Eustache, là où il pouvait se sentir utile. Surtout avec le curé qui est pas là en ce moment. Vous voulez que j'aille le chercher ? Normalement, il ne devrait pas tarder mais Alexandre quand il est absorbé par une prière il oublie parfois l'heure. Même avec les cloches qui sonnent !"

Cette dernière affirmation n'était pas un mensonge. Elle avait remarqué, comme elle, que le petit infirme se coupait du monde extérieur lors de ses prières. C'étaient bien l'un de leurs rares points communs.

Matthieu garda un regard sévère mais dans sa tête se bousculait plusieurs attitudes, plusieurs réflexions, toutes contradictoires. Devait-il tout de même embrasser sa sœur ? Bénir son ventre pour être sûr que l'accouchement se passe bien ? Curieusement, il lui semblait qu'il en avait envie mais sans oser franchir le pas. Cette froideur entre eux s'est consolidée au fil des années jusqu'à devenir une pente glissante sur laquelle il était très dangereux de s'aventurer. Irène également regrettait un peu mais pensait son frère complètement fermé et inaccessible, encore plus s'il revenait de Rome. Cependant, Cassandre les surprit tous les deux. Irène cligna des yeux et Matthieu arrondit les siens. Irène se mordit la lèvre à l'évocation d'une possible mort et serra les dents. Elle n'avait pas entièrement tort et même si elle voulait croire que ça n'arrivera pas, c'était une possibilité.

Grâce elle aussi était un peu perdue. Sa grande sœur était sur le point de pleurer et elle ne comprenait pas pourquoi. Elle se glissa doucement à son côté et vint lui prendre la main avec douceur, pour la consoler. Irène fut également très touchée par le récit qu'elle fit de sa grande sœur. Elle oubliait à quel point elle était chanceuse d'avoir encore tout ses frères, tout tête de pioche qu'étaient certains. Elle alla vers Cassandre.

- Je suis désolée, Cassandre, je comprends que cela te blesse. Et je ne vais pas te faire l'affront de te dire que ce sont des affaires de grandes personnes. Mon frère et moi sommes juste... un peu en froid par rapport à ce qu'il a pu se passer, mais ce n'est pas pour ça que nous ne pouvons pas avoir une conversation cordiale.

Elle se redressa puis observa Matthieu, sans le toiser comme elle en avait l'habitude. Elle soupira et recommença avec plus de douceur.

- J'espère donc que tu vas bien et que ton voyage s'est bien passé.

Matthieu secoua la tête, un peu surpris avant de soupirer en lâchant un peu de leste mais en fuyant le regard d'Irène.

- Très bien, en effet... Et le voyage fut fructueux... Et... hem... toi et le bébé ?

Irène posa une main sur son ventre. c'était déjà mieux que rien.

- Pour l'instant, tout va bien. Je suis juste un peu fatiguée.

- C'est pour ça qu'on demande à maman d'aller se coucher pendant qu'on garde la boutique...

Grâce avait parlé d'une voix un peu timide, mais tout de même assurée. Irène posa une main tendre sur sa tête, puis fit de même en caressant les cheveux de Cassandre. Matthieu soupira ensuite à la précision de Cassandre.

- J'avais compris que ma sœur employait une métaphore, Cassandre, ne t'inquiètes pas.

Il plissa cependant les yeux à la suite. N'avait-il pas ordonné que ce garnement reste pour être au moins un peu utile à sa sœur. Le regard qu'Irène glissa au sol ne l'aida pas à comprendre mais le poing serré de sa petite nièce lui donna quelques indices. Il s'était encore passé quelque chose... Il espérait qu'il pourrait en apprendre plus par la suite. Au moins, il se doutait que la partie sur les prières n'était pas totalement fausse, ce garçons avait le mérite d'être un minimum pieux.

- Bien, je vois, alors je suppose que je vais... attendre ici.

- Veux-tu quelque chose de chaud ?

matthieu pesa le pour et le contre avant de hocher la tête.

- Pourquoi pas, ce n'est pas de refus. Merci, chère sœur.

A la suite de son discours, l'ambiance semblait s'être un peu allégée et les deux adultes commençaient à comprendre que leur conduite était peur mature. Décidément, à leur âge, ne pas le comprendre seuls... Il fallait qu'ils soient bête quand même ! Dame Irène finit par venir à elle et à lui caresser la tête et à essayer d’expliquer leurs relations tendues. Peu à peu, la fillette se reprit et dissimula ces sentiments qui l'avaient saisi pour répliquer d'une voix sèche :

"Vous devriez quand même tous deux arrêter de vous comporter comme ses enfants. C'est pas en cessant de communiquer et n espérant un miracle qu'on règle ses problèmes."

Elle se tourna vers l'oncle Matthieu puis reprit d'une voix plus aimable :

"On dit bien Aide-toi, le Ciel t'aidera, non ? Moi, je le comprends que même si Dieu ou les Saints sont là pour nous aider, ils ne feront rien si n est pas un minimum volontaire, que l'effort est avant tout récompensé. Sainte-Zita était avec moi quand je vivais au Lupanar, je la sentais mais parce que je me décourageais pas et que je continuant à travailler sans perdre espoir. Que j'essayais quand je pouvais de faire de bonnes actions. Et c'est pour ça qu'elle m'a permise d'avoir à nouveau une famille. Enfin.. c'est comme ça que je vois les miracles."

Peu après, elle recula et laissa le frère et la sœur se faire la conversation. C'était un peu maladroit mais c'était déjà un effort. Ah, ces adultes ! Ils se comportaient comme des enfants ! Cassandre s'éloigna pour aller vers Grâce en remarquant son air perdu et lui fit un câlin en l'embrassant plusieurs fois.

Elle relâcha Grâce quand l'oncle Matthieu en vint à évoquer le cas Alexandre. Peu après son intervention, il lui caressa la tête et utilisa un mot inconnu. La fillette fronça les sourcils.

"C'est quoi une métaphore ? Méta... phore... Phore, c'est comme le son de phrase. Je ne comprends pas du tout ce mot. Il veut dire quoi ?"

Alors que l'oncle Matthieu semblait réfléchir à son esclave, Dame Irène proposa une boisson. Le frère désira quelque chose de chaud. Immédiatement, Cassandre bondit avant que sa tutrice ne décide à y aller. Elle remarqua à cet instant elle-ci debout et fronça les sourcils.

"Qu'est-ce que vous faites debout ? Dans votre état, on s’assoit ! Ca vous fatigue et ça fatigue ! C'est pas possible d'être aussi têtu ? Si vos autres frères ont le même caractère, vos parents auront gagné le Paradis pour vous avoir élevé tous les cinq sans en avoir étranglé un !"

Cassandre fixa longuement Dame Irène jusqu'à ce que celle-ci daigne bien prendre place sur une chaise puis elle s'élança pour rejoindre la marmite où bouillait déjà la soupe.

"Vous pourriez souper avec nous, oncle Matthieu ? Aujourd'hui, j'ai fait une soupe de potirons avec un peu de pommes de terre et des restes de poissons !"

Sans attendre véritablement de réponse, l'enfant s'attacha à mette rapidement la table puis servit la soupe dans les écuelles. Elle vint ensuite s'installer et oignit les mains pour le bénédicité mais patienta que tous soient autour de la table pour dire la prière.

Alexandre avait passé un temps considérable et oubliait l'heure. Il rentra aussi rapidement que ses jambes le lui permirent à la Roza Azul et frappa deux coups à la porte pour s'annoncer puis entra.

"Excusez-moi du retard, Irène, je priais et je n'ai pas entendu les cloches des vêpres. "

L'excuse se répétait chaque soir mais on ne lui disait heureusement. Son visage pâlit brusquement en apercevant son maître dans la pièce. ainsi il était de retour... Il aurait préféré ne le voir jamais revenir. Qu'il demeure à Rome ou périsse sur une route. Ce n'était pas chrétien mais cela lui aurait permis de continuer à voir son amant en toute liberté. Comment allaient-ils faire désormais ? Des rencontres à intervalles longues seraient horribles. Il venait juste de le quitter et Alduis lui manquait déjà.

Néanmoins, Alexandre balaya vite ces pensées et s'avança pour saluer le cardinal.

"Bonsoir maître. Votre voyage et votre séjour auront-ils été bons ?"

Son regard remarqua la table et les six couverts dressés.

"Nous souperons ici, maître ?"

L'odeur alléchante de la soupe flatta ses narines.

"En tous cas, cela sent très bon."

Irène se sentit un peu prise en faute par Cassandre pendant que Matthieu considérait avec un regard de travers sa nouvelle nièce. Elle n'avait pas la langue dans sa poche. Malgré tout sa volonté de ne pas vouloir prendre en compte ses dires, il se sentait touché. Un enfant, lui ? Non, il en était revenu. Il... Il secoua la tête, chassant des images désagréables. Ce n'était pas le moment et ce n'était quand même pas cette gamine qui allait lui apprendre la vie ! Pourtant, alors qu'il allait ouvrir la bouche, il se trouva sidéré lorsqu'elle lui débita un monologue.

- Sainte...

- Zita, Matthieu, la sainte patronne des servants de maison.

- Mais... ça existe ?

- Eh bien, écoute...

Elle lui désigna Cassandre en haussant les épaules, comme preuve irréfutable. Matthieu reste muet. Bon, d'accord, il l'avait peut-être sous-estimé cette gamine. Bon, au moins, cette fois sa sœur avait recueilli quelqu'un de respectable et catholique sous son toit !

Grâce pour sa part sourit en voyant sa sœur la prendre dans ses bras et l'embrasser. Elle lui rendit un baiser sur la joue puis se détacha d'elle, toute contente, pour écouter la suite. Matthieu quant à lui pencha la tête. Bon, peut-être pas instruite sur tout visiblement, mais elle l'était pour l'essentiel. Il prit un air de professeur, gardant malgré tout un peu de douceur dans la voix, ce qui étonna Irène. Elle ne lui connaissait pas une nature de pédagogue, encore moins avec l'éducation qu'il avait connu...

- Une métaphore est une image qu'on utilise pour illustrer quelque chose, parfois, comme l'a fait ma sœur, de façon ironique. C'est... un peu comme une parabole dans la Bible ! Vois-tu ?

Irène le regarda avec un petit sourire avant de se faire réprimander. Elle capitula immédiatement, désormais habituée aux injections impérieuses de sa pupille.

- D'accord, d'accord, très bien, j'y vais.

Elle pouffa ensuite alors que Matthieu rougissait.

- Nous n'étions pas si turbulents voyons !

- Es-tu sûr ?

- Mais... Mais d'abord tu n'étais même pas née, toi !

Irène lui adressa un petit sourire moqueur qui finit par le faire sourire aussi. D'accord, peut-être un peu. Même si honnêtement, et paradoxalement, il leur semblait avoir été bien plus sages enfants comparé à maintenant. Enfin, si on se fiait à la définition qu'en donnait Cassandre... Matthieu ne la trouvait pas si agitée que ça, lui, même si Dieu seul savait combien sa sœur pouvait être têtue...

Irène alla donc s'asseoir, vite suivie par sa fille. Matthieu resta pour sa part sur le pas de la porte de la cuisine, les bras un peu ballants, ne sachant pas trop quoi faire. Irène secoua la tête.

- Aurais-tu passé tout ton temps à Rome debout, mon cher frère ? Viens t'asseoir.

Il secoua la tête et fronça un peu les sourcils avant de s'avancer, pour tirer une chaise et s'asseoir dessus, le dos droit. Il cligna ensuite des yeux à la proposition.

- Eh bien, je...

A ce moment, la porte fut poussée. Alexandre revint et aussitôt Grâce prit une mine mauvaise. Elle détourna les yeux, observant sa sœur et allant l'aider en prenant des verres. Matthieu s'étonna de ce comportement. Sa nièce était pourtant quelqu'un de très poli et gentil, pourquoi l'ignorait-elle à ce point ? Oh, il s'était encore passé des choses en son absence... Irène pour sa part chassa ses excuses d'un revers de la main.

- Bonsoir. Et ce n'est pas grave, inutile de t'excuser.

Dans la voix de sa sœur non plus, il ne percevais pas non plus une très grande chaleur. Il haussa un sourcil en regardant Alexandre s'avancer. Il se redressa un peu pour lui répondre, incertain de la conduite à adopter, lui qui avait pourtant réfléchi à de potentiels efforts. Si néanmoins il avait ennuyé sa sœur, il n'était pas sûr de vouloir les faire.

- Bonsoir. En effet, le voyage a été plutôt bon et sans encombre et mon séjour auprès du Saint Père fut productif, oui.

Il regarda ensuite la table déjà dressée et finit par hausser les épaules.

- Il semble, oui.

- Avoue que ce sera ton premier vrai repas depuis des mois.

Matthieu voulut nier mais force était de constater qu'elle avait raison. Il ne mangeait pas très bien lorsqu'il était seul. Grâce quant à elle renifla à la remarque d'Alexandre. Ça l'embêtait qu'il mange avec eux et profite du bon repas que Cassandre avait préparé. Il ne le méritait pas... Mais comme son oncle restait, il devait rester aussi, alors elle le supporterait.

Cassandre finit par lâcher sa petite sœur quand elle entendit les deux adultes reporter leur attention vers elle, notamment grâce à sa mention de Sainte Zita. Elle fixa l'oncle Matthieu, réellement surprise. Il ne la connaissait pas. Elle reprit, sans la moindre insolence dans la voix, véritablement intriguée :

"Mais... Mais oncle Matthieu, vous êtes un cardinal. Un cardinal, ça sait tout des Saints et des textes religieux, non ? Alors comment même vous vous pouvez ignorer Zita ?"

Sa voix se serrait en prononçant ces derniers mots.

"Tout le monde ne veut pas se souvenir d'elle. Même les servantes.. peu la connaissent. Elles préfèrent invoquer directement al Vierge. C'est bien, oui, mais Zita, Zita, elle connait quand même mieux notre sort. Elle a été servante elle aussi. Elle a été placée jeune chez des maîtres qui n'étaient pas gentils et les autres domestiques l'embêtaient. Elle subissait chaque jour des brimades mais Zita est restée bonne sans cesse, sans se plaindre et elle aidait ceux qui étaient démunis. Elle qui n'avait rien les recueillait dans son lit et dormait par terre. Puis un jour, elle a été récompensé de as vertu et les gens lui ont témoigné le respect qu'elle méritait. Puis , elle est morte."

Comme à chaque fois où elle racontait cette histoire la fillette se sentait émue, imprégnée par la force de cette Sainte incroyable.

"il y une chapelle qui lui ait consacrée dans l'église Saint-Eustache. Je pourrais vous montrer sa statue oncle Matthieu vous voulez ! D'ailleurs.. Vous trouvez pas que ce serait bien de lui organiser une messe en son honneur ? On célèbre toujours les mêmes Saints. Pourquoi ? Il y a plein ! Alors pourquoi ils sont tous au moins une fois à l'honneur ?"

Peu après cette leçon, l'oncle Maatthieu se montra aimable pour essayer de lui apprendre ce que pouvait être une métaphore. Cassandre écouta attentivement et essaya de comprendre.

"Une métaphore, c'est une image pour illustrer quelque chose. C'est une comparaison alors ? attendez.. Comme une parabole de la Bible ? Mais c'est quoi une parabole ? Dans la bible il y a de nombreux récits, des histoires du Christ, de ses miracles... Une parabole, c'est un témoignage alors ?"

Elle se décida finalement à s'occuper de l'organisation du souper, les répliques de l'oncle Matthieu et le rire de dame Irène l'amusèrent.

"Eh bien, si vous n'étiez pas turbulents enfants et que vous l'êtes devenus adultes, c'est pas glorieux !"

Lorsque la table fut dressée, Dame Irène invita son frère à s'installer. Il se comportait de manière bien guindée. A cet instant, Alexandre entra dans la boutique. Cassandre serra ls dents en voyant sa tutrice et sa petite sœur ne pas dissimuler leur ressentiment. Cela risquait de lui porter hommage. La fillette, en dépit de sa répugnance, s'avança vers le petit infirme et tira la chaise.

"Viens donc nous rejoindre !"

Pouvait-elle faire quelque chose ? sans doute pas. Elle se décida à servir le repas puis vint s'asseoir près de sa petite sœur. En passant, elle lui murmura tout bas :

"S'il te plait, sois gentille avec Alexandre."

Elle s'assit puis joignit les mains, les yeux tournés vers Dame Irène puis vers oncle Matthieu.

"Qui dit le bénédicité ?"

Alexandre s'étonna que son maître lui répondre de manière gentille. Il semblait avoir perdu un pu de cet aspect effrayant. Son voyage à Rome lui avait sans doute permis de se ressourcer. Rome.. La vision de cette ville Sainte le laissait songeur. Il écouta la réponse du cardinal d'un air vague, perdu dans une légère transe.

"Ce doit être si émouvant de se promener dans cette ville... Découvrir la basilique Saint-Pierre... Rencontrer le Pape... quels privilèges incroyables, vous avez, maître !"

Malgré lui, une indiscrétion lui échappa :

"Et vous vous êtes déjà recueilli sur le tombeau de Saint-Pierre ? Ce doit être..."

Alexandre s'interrompit brusquement, tout rouge, réalisant que cela n'avait de poli.

"Pardon, maître. ce... Ce n'était pas poli. Veuillez m'excuser."

Il profita à ce moment de Cassandre qui lui tirait une chaise pour s'asseoir et espéra que cela suffirait à dissiper sa nouvelle bourde. Il se fit discret et joignit les mains, avant même l'intervention de la fillette, et commença à prier.

Matthieu passa au rouge à la question de Cassandre et Irène faillit bien s'étouffer de rire. C'était bien la première fois qu'on posait une colle à son frère ! Il reprit cependant vite contenance.

- Eh bien, disons qu'il y a beaucoup de saints et qu'il n'est pas exclu que quelques uns soient plus obscurs. Mais cela ne m'empêche pas de connaître sur le bout des doigts tous les autres et leurs histoires !

Il esquissa cependant un sourire gêné et écouta l'histoire de cette sainte avec attention, pour ne pas l'oublier.

- Oh, très bien, je vois... Tu en sais, des choses !

Il cligna des yeux ensuite, ne sachant pas bien quoi répondre.

- Ah oui, certes, en effet... Eh bien... je suppose que les prêtres d'ici sont comme moi de grands ignorants et qu'il faudrait donc que tu leur prodigue ta science... Et j'imagine que parfois on ne pense pas à tous les Saints pour les messes, je suppose...

Il la laissa ensuite dérouler le fil de sa pensée pour tenter de comprendre ce qu'était précisément une métaphore. Cette enfant semblait assez vive. Nul doute qu'elle devait plaire à sa sœur et qu'elle aurait plu à leur mère... Quand elle arriva au bout, il chercha comment l'aider.

- Comme une comparaison oui mais où on ne compare pas directement ; on utilise des images, des objets différents pour que la personne comprenne mieux ou au contraire, pour qu'elle ne comprenne pas totalement. Alors voyons, un exemple de parabole... Le bon Samaritain par exemple ! Est-ce que cela te parle ?

Irène pendant ce temps était plutôt étonnée. Jamais elle n'avait vu son frère faire preuve d'autant de patience et de compréhension avec une enfant qui plus est. Elle éclata de rire à la réponse de Cassandre à leurs bêtises pendant que Matthieu se renfrognait. Il soupira.

- Nous ne le sommes pas tant que ça voyons...

- Non... Pas du tout en effet...

Matthieu se tourna alors vers Alexandre qui semblait transporté à la simple idée d'aller à Rome. Il ne sait pas trop quoi lui répondre, lui qui commence à avoir l'habitude. Pourtant, un jour, lui aussi a été tant émerveillé par Rome. La première fois ? Non, il n'était pas encore en état de vraiment regarder... mais la deuxième peut-être. Quand il était seul et qu'il pouvait faire ce qu'il souhaitait.

- Hem... Oui, en effet, c'est très beau et très impressionnant. Et le Saint-Père est en effet un modèle de bonté et de vertus qu'on croise rarement dans une vie.

Il pencha la tête à sa question.

- Eh bien oui, il est certain que c'est un grand honneur...

Il se pinça les lèvres. Pourquoi ne se souvenait-il pas d'un tel émerveillement, à la hauteur de cette lueur qui brillait dans les yeux d'Alexandre ? Il se sentait presque jaloux mais secoua la tête. Il avait les pieds plus sur terre, tout simplement ! Il chassa comme d'habitude ses excuses d'un mouvement rapide de la main.

Grâce quant à elle leva les yeux vers sa grande sœur quand elle lui chuchota dans mots à l'oreille mais n'en avait toujours pas envie. Tant pis, elle se contenterait de l'ignorer. Irène quant à elle se tourna vers Matthieu quand il fut question de bénédicité.

- Mais, tu es chez toi.

- Mais tu es la plus haute autorité religieuse sous ce toit.

Matthieu se redressa alors et hocha la tête. Il joignit les mains comme le reste de la famille et commença à réciter calmement avant de se signer pour entamer ce bon repas.

Cassandre jubilait intérieurement 'apercevoir tout l'embarass qui se lisait sur le visage de l'oncle Matthieu à sa question faussement innocente. Non, elle savait bien que personne ne pouvait tout retenir. A part, peut-être Achille. Mais les curés et autres religieux affirmaient le contraire. Ils pensaient pouvoir diriger la société avec leurs règles absurdes du fait de ce principe. Alors, contempler un cardinal qui affirmait ne rien savoir au sujet d'une Sainte, ça la mettait d'excellente humeur. C'était une vraie victoire.

Néanmoins, soucieuse de se conformer à l'humilicité, ce précepte que l'Eglise aimait tant, Cassandre dissimula sa joie et adressa même un sourire discret de compassion au cardinal.

"Je comprends, mon oncle, mais dès fois ce serait bien quand même que tous les Saints soient au moins honorés une fois de temps en temps. Les pauvres, sinon..."

Elle l'entendit ensuite lui expliquer en quoi insistait une métaphore et une parle. Sa patience la surprit. C'était là le frère colérique dont Dame Irène avait parlé à quelques reprises ? Il lui semblait au contraire aimable, bon et compréhensif. Le fillette suivit son message et opina de la tête.

"Oh, je vois, alors une parabole, c'est une histoire, pour illustrer un message à la fin. "

En son for intérieur, elle se retint à ajouter que c'était de la manipulation. Mais en même temps, ça c'était le principe de ces textes religieux, comme les contes qu'on lisait aux enfants lors des veillées. Elles servaient à canaliser la population pour éviter que ce ceux-ci ne se posent pas trop de question. Et même les esclaves, pourtant victimes des pires traitements, fermaient les yeux. Il suffisait de voir Alexandre qui avait réclamé ces quinze coups de tisonnier en réalisant s'être mal comportés.

Pu après, Cassandre s'éloigna pour se décider à préparer le souper.


Le souper se déroula dans une manière conviviale, à laquelle Cassandre se décida de ne pas parler, sauf de temps en temps, pour chuchoter de petites choses à Grâce. Alexandre resta, pour une fois, étonnamment silencieux, la tête penchée vers son écuelle. Les assiettes étaient à peine vies que Grâce poussa un long bâillement qui conduisit Dame Irène à rappeler que l'heure du coucher semblait proche. Cassandre laissa sa petite sœur monter à l'étage en premier et s'attacha à débarrasser la table avant de la rejoindre, tout en ayant naturellement salué correctement l'oncle Matthieu auparavant.