[8 décembre 1597] Cadeaux empoisonnés [Terminé]

Début décembre. Malgré un doux soleil, l’air était saisissant. Kalisha s’était vêtue d’une épaisse cape en laine bleutée doublée de fourrure. Elle avait rabattu son capuchon et emmitouflée ses mains dans un manchon mais li faisait toujours terriblement froid ! La nature semblait s’être endormie jusqu’au retour de la douceur.
Ils ne venaient voir Hyriel que de temps à autres afin d’éviter tout soupçon. Il prenait sa tâche à cœur et elle était toujours émerveillée de voir les plans si parfaits des jardins qu’il avait prévu. Elle avait déjà passé plusieurs commandes de plantes exotiques. Il n’y avait désormais plus qu’à patienter jusqu’aux beaux jours car toutes les importations étaient désormais gelées.

A chaque fois qu’elle était venue, elle avait toujours trouvé quelqu’un dans les parages -à commencer par Marthe- pour l’empêcher de parler librement. Les journées s'écoulaient inévitablement mais elle n’avait toujours pas pu lui faire part de son idée folle…

Ils débouchèrent sur la serre : personne en vue ! Excepté leur cher médecin royale attablé devant ses plans et ses listes. Kalisha salua Louis avec la distance qu’imposait l’étiquette en vigueur. Elle jeta un coup d’œil inquiet aux alentours puis à Sylvère et commença à parler à voix plus basse.

- J’ai eu une nouvelle idée… Je sais que c’est complètement fou mais… Est-ce que vous seriez capable de… Faire passer quelqu’un pour mort ? Comme ces animaux qui se raidissent face à un prédateur ?

Même encore aujourd’hui, elle trouvait cette idée définitivement absurde et terriblement séduisante. Ses yeux pétillaient de malice et -un peu, il fallait bien l’admettre- de supplication. Pourvu qu’il réponde par l’affirmative !

Comme à son habitude, Hyriel étudiait des plantes. L’avantage qu’il tirait de sa nouvelle situation était qu’il avait accès à davantage de livres et de connaissances, à propos de plantes qu’il n’avait même jamais vues. Même si ses propres livres lui manquaient, de même que sa petite vie tranquille, en forêt…
En entendant des pas, il reprit ses plans, pour donner le change, mais se rassura en voyant arriver deux personnes connues. Il se leva pour les saluer, comme il se devait, et écouta la question. Il s’en étonna tout d’abord puis sourit avec calme.

« Certaines plantes ont ce pouvoir, Madame, et je devrais pouvoir m’en procurer sans trop de difficulté. »

Il remarqua bien son regard et sourit pour la rassurer. Bien sûr qu’il pouvait faire ça et c’était déjà plus rassurant qua sa précédente demande, juste avant qu’ils ne quittent la forêt…

Passé son étonnement, Hyriel lui affirma pouvoir fabriquer cette étrange potion. Un large sourire s’étira sur son visage. Elle prit ses mains entre les siennes et les serra entre les siennes, recouvertes de gants.

- Merci infiniment. Combien de temps pensez-vous qu’il vous sera nécessaire ?

Elle se pencha à son oreille pour compléter

- Je connais quelqu’un qui pourra confirmer la mort, si… Nous nous retrouvons dans cette situation.

Elle s’éloigna subitement pour reprendre une attitude moins familière. Dans le cas où quelqu’un arriverait. Et puis elle mourrait d’envie de savoir, tout ce qu’il avait pu créer depuis la dernière fois.

- Comment avance le jardin, Louis ?

Hyriel souffla de rire à la réaction enjouée de Kalisha. Il s’inclina avec autant de cérémonie que le lui permettaient ses béquilles.

« Allons, c’est le moins que je puisse faire pour ma chère belle-femme ! Quant au temps, il faudra attendre un peu que les plantes en question soient prêtes mais la réalisation ne devrait pas être longue, je pense. Dans une petite dizaine de jours, je pourrai sans doute vous le procurer mais ce n’est pas sans risque pour vous, vous en êtes conscients, n’est-ce pas ? »

Il hocha la tête à la suite et sourit en reprenant son rôle.

« Il se porte très bien, Madame. Les plantes que nous y avons fait germer ne semblent pas avoir de problème et les pieds apportés se portent très bien, comme vous pouvez le constater. Bientôt, nous aurons plein de jolies fleurs à contempler ! »

Pris par leur conversation, ni le jardinier ni Kalisha n'auront sans doute prêté attention à l'entrée rapide de Marthe dans la serre. A peine avait-il achevé sa phrase que, depuis l'autre bout de la pièce, tonna la voix pincée de l'intendante :

-- LOUIS !!!

Elle s'était levée du mauvais pied et il n'avait fallu qu'une insignifiante erreur dans le fonctionnement du domaine... pour lui permettre de passer ses nerfs sur l'infirme. Si minuscule faute : le béquilleux avait traversé le vestibule de l'aile sud afin de remettre la liste de graines à acheter au commis chargé des courses. Ce faisant, pressé sans doute, Hyriel ne se sera pas rendu compte qu'il avait laissé sur son passage un peu de terre - mais pire : de vilaines rayures sur le luxueux parquet.
Marthe fondit sur Louis - ne prenant au passage qu'une seconde pour adresser la révérence protocolaire à Madame la comtesse qui se tenait aux côtés de l'employé. Bigre... La Djerdanne était trop complaisante avec domestiques et esclaves - la vieille chouette aurait préféré être seule avec le fautif. Tant pis. Son bras partit. Elle décocha au jardinier une claque puissante - quitte à risquer de le déséquilibrer - avant de pester :

-- Faites un peu attention, ma parole ! Le parquet du vestibule est dégoûtant de terre ! Et vos satanées cannes y ont laissé deux rayures qui ne partiront peut-être jamais !

-- Marthe au nom du Ciel ! Vous aussi, vous, faites attention ! s'emporta aussitôt, dans le dos de la contremaître, une autre voix beaucoup plus claire et dont les petits accrocs laissaient deviner qu'elle était peu habituée à s'emporter de cette façon.

Florentyna elle-même ne croyait pas au ton qu'elle venait d'employer. Du rouge lui chauffait les joues - pas seulement dû à sa traversée des jardins à grandes enjambées en plein milieu du froid d'hiver. Elle n'avait pas pu s'empêcher... Elle regardait les arbres à la fenêtre quand soudain l'intendante était apparue, furibonde, dans son champ de vision. La demoiselle avait alors vite compris qu'elle se dirigeait vers la serre ! Ni une ni deux, la fille de Monthoux s'était précipitée à sa suite, devinant l'intention de Marthe de s'en prendre à Hyriel. Non... Elle ne pouvait pas laisser faire... Sa première conversation avec le jeune homme lui avait laissé voir une personne aussi cultivée que dévouée, il n'avait pas à subir les assauts de colère du fennec sûrement pour un rien ! Malheureusement, Florentyna était arrivée trop tard : en pénétrant dans la serre, elle entendit la gifle retentir.
Après avoir repris son souffle, elle haussa le menton et chercha ses mots. Elle finit par déclarer avec autant d'autorité que cela lui était possible - en essayant au passage de ne pas adresser un regard trop bienveillant ni trop traître à Louis :

-- Je sais, Marthe, qu'il vous appartient de diriger les domestiques et de les punir quand cela s'avère nécessaire. Mais de quel droit levez-vous la main sur l'un d'eux sans même avoir au préalable rapporté l'incident à un membre de la famille ?! J'ignore ce que Louis a fait, mais... mais... (Un temps) Je rapporterai ceci à Père, qui prendra les mesures nécessaires pour vous rappeller à vos prérogatives.

Cette dernière phrase ne la convainquait pas elle-même. Prosper... Florentyna savait qu'il passait tout à l'intendante : elle terrorisait les esclaves et les domestiques - c'était tout ce qui comptait aux yeux du comte. Cependant il était le chef de la famille, la pointe de toute la pyramide de ce domaine, et seule une menace impliquant le seigneur de Monthoux pouvait générer un début de crainte chez la Marthe. La jeune fille se retint de se pincer la lèvre : arriverait-elle à convaincre son père d'adresser à sa contremaître un petit remontage de bretelles ? Elle harcèlerait s'il le fallait ! Elle lui ferait peut-être même un caprice comme elle en avait rarement expulsé depuis trop d'années !
Un peu perdue, Florentyna évita toujours de croiser les yeux de Louis, et quêta en revanche ceux de Kalisha comme pour lui demander "Appuyez-moi..." - autant que pour dire à Marthe qu'elles seraient deux à insister auprès du comte.

Hyriel tombe-t-il sous le coup de la gifle surprise de Mme la Chouette ? (En prenant en compte l'effet de surprise et la violence de la gifle.)

1 ou 2 : il tombe
3 ou 4 : il chancelle et se rattrape en se faisant mal au bras
5 : il chancelle mais se rattrape sans mal.
6 : il ne tombe pas

Le membre 'Hyriel Radgery' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

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'Dé à 6 faces' :

« Ma chère belle-femme » ? Il était sérieux ? Elle le regarda avec des yeux ronds avant de pouffer de rire face à ce nouveau titre si incongru. Dix jours. Cela ne serait donc pas bien long. Elle hocha la tête à ses avertissements. Malgré le sérieux de ses paroles, elle ne pouvait retenir un sourire espiègle.

- Je le sais bien mon futur beau-mari mais c’est un risque à prendre au vu de la situation. Que ce soit… Pour lui ou pour vous. Je risque moins que vous dans tous les cas.

Sur ce, elle reprit son rôle en même temps que lui, l’interrogeant sur l’avancée des travaux. C’était si beau d’assister à ce projet naissant !  Il n’y avait que de petites pousses pour le moment, mais ce serait bientôt le plus beau des jardins.

- Vivement les jours meilleurs en ce cas !

Une phrase qu’elle attribua tant aux fleurs qu’à leur situation précaire. D’ailleurs, absorbée par leur conversation, elle ne remarqua que trop tard le vieux fennec enragé qui sauta sur Hyriel, toutes griffes dehors.

Elle en était là abasourdie par le coup qui fut porté et jeta à terre son ami, tant et si bien qu’elle se couvrit la bouche de sa main. Dans la foulée, Florentyna entra furieuse pour sermonner le chacal qui aboyait avant de se tourner vers elle à la recherche d’un appui. Le temps de rassembler ses esprits et d’analyser la scène, elle aida Hyriel à se relever puis s’interposa mains sur les hanches, un regard sévère sur l’Intendante qui se permettait décidément bien trop de liberté.

- Est-ce donc ainsi que vous me saluer ? Le protocole est à respecter par chaque membre de ma maisonnée vous y compris. Suis-je bien claire ? Vous allez donc ressortir de cette serre et me faire une entrée aussi bien convenable que respectueuse. Nous discuterons ensuite de cette correction que vous venez d’administrer. lança-t-elle glacialement.

Elle préféra pour l’heure éviter le terrain glissant de sa correction sur Hyriel qu’elle jugeait bien évidemment déplacé.

Hyriel sourit bien largement en voyant la surprise de Kalisha à son appellation. Il souffla de rire en s’entendant appeler « mon futur beau-mari » en retour et hocha la tête plus sérieusement. Il retrouva cependant le sourire en parlant de plantes et en voyant que ses cultures ravissaient la maîtresse du domaine.

« Comme vous dites ! »

Le double sens de ses mots ne lui échappa pas, naturellement.
Il sursauta en entendant crier son pseudonyme. Il resta figé en la voyant avancer. Que se passait-il ? Incapable de bouger. Qu’avait-il fait ? Sa joue le brûla. Emporté par la force du coup, il bascula et sa béquille glissa. Il fut bien incapable de se retenir, encore sous le choc, et ne put que protéger sa tête d’un violent impact au sol en pliant ses bras pendant sa chute. Il releva la tête, encore stupéfait, hagard, vers l’intendante, une main sans force sur sa joue meurtrie. Les paroles de la chouette résonnaient dans sa tête encore sonnée, sans qu’il n’en comprenne vraiment un mot. Parquet, terre, cannes, rayures… Un parquet de terre ? Une canne à rayures ? Non… Il ne put que bouger erratiquement les lèvres, sans pouvoir articuler une parole compréhensible. Il cligna fort des yeux pour se remettre les idées en place mais voilà qu’une autre femme criait déjà, toute proche. La demoiselle de Monthoux, elle criait contre l’intendante, elle était donc de son côté ? C’était bien… Il en profita pour se redresser sur son coude mais il le lançait, lui aussi. Il s’était appuyé de tout son poids dessus… Et ses côtes signifiaient leur présence avec véhémence… Il espérait ne pas s’en être cassée une… Il retrouva assez de lucidité pour comprendre ce qu’il se disait quand sa bonne alliée demanda de l’aide à Kalisha. Et celle-ci s’approchait de lui, elle l’aidait… Il s’efforça de récupérer rapidement ses béquilles pour se relever comme il le pouvait, en réprimant des grimaces de douleur. Il remercia Kalisha d’un hochement de tête et d’un regard reconnaissant en s’efforçant de tenir debout, même si c’était difficile. Il se mordit la lèvre en entendant la réprimande de Kalisha. Il était décidément bien aidé… Pour autant, il se fit tout petit et préféra garder les yeux baissés, contrit. La comtesse et sa belle-fille prenaient déjà sa défense, autant ne pas la ramener davantage…

Le coup porté par Marthe fut d'une telle force qu'elle même fut étonnée une seconde d'avoir abattu Louis au sol dans une pareille chute. Mais bon. Il ne l'avait pas volée. L'intendante n'aimait guère la façon dont l'éclopé s'était montré si peu précautionneux en traversant le vestibule. Plus encore, elle n'aimait pas la sympathie excessive dont il semblait jouir auprès de nulles autres que ces Dames ! Et elle ne l'aimait pas lui, tout court, sans vraiment parvenir à se l'expliquer. Comme cette ancienne catin que le comte avait finalement offert à l'ambassadeur d'Espagne deux jours plus tôt.

Florentyna venait d'assister avec horreur à la chute du jeune homme, elle aussi avec une longue inspiration et une main devant ses lèvres arrondies. Et bien qu'Hyriel mettait tous ses efforts dans la dissimulation de sa douleur, il était évident qu'il souffrait. Cœur serré, la demoiselle le voyait se redresser non sans peine - assisté heureusement par Kalisha. A en croire les mouvements contrits de sa poitrine alors qu'il s'efforçait de tenir debout, il devait avoir pris un méchant coup dans les côtes. Elle en déglutit avec difficulté, et se retint d'adresser un regard noir à la contremaître abusive. Elle fit plutôt quelques pas de côté pour approcher elle-même un tabouret juste derrière le jardinier.

-- Asseyez-vous donc, Louis, demanda-t-elle d'une voix que la colère rendait un peu plus sèche qu'elle l'eut souhaité - au moins cela dissimulait-il sa vive émotion.

Ce n'était même pas de l'excès de gentillesse. A ce stade-là et à voir l'état de l'invalide, qu'importait sa "faute", c'était simplement de la décence de ne pas le laisser peiner debout. Pendant ce temps, au grand plaisir de Florentyna, la princesse se chargeait d'adresser ses plus vertes remontrances à Marthe. Les mots de Kalisha étaient parfaits. Humiliants à souhait et amplement mérités. Sa belle-fille en jubila intérieurement - attitude peu chrétienne ni stoïque, mais tant pis ! Et encore ! La Djerdanne restait courtoise. D'un coup d'œil et d'un discret sourire, la jeune fille la remercia pour sa très sage intervention. Puis, plus sévère, elle s'efforça d'aviser l'intendante, alors même que toutes ses pensées allaient à Hyriel et qu'elle priait pour qu'il n'ait rien de grave... Toujours, cependant : ne pas regarder vers lui.

Marthe ne fut qu'à moitié étonnée d'entendre - une nouvelle fois ! - Madame et Mademoiselle prendre l'une et l'autre la défense de l'éclopé. Leur laxisme avec le personnel n'était plus à démontrer. Ce château irait à vau-l'eau s'il n'y avait que des caractères dans leur style pour le diriger. Néanmoins, elle devait malheureusement le reconnaître : dans le feu de l'action elle n'avait salué que trop précipitamment Madame la comtesse - qui ne manqua pas de le lui souligner. L'intendante cacha parfaitement l'étendue de sa honte en s'entendant ordonner de refaire son entrée - être au-dessus des serviteurs mais en-dessous des châtelains l'avait accoutumée à ne jamais rien laisser voir de son ressentiment. Ce fut donc avec une mine radoucie et honteuse qu'elle commença par déclarer un suave :

-- C'est vrai. Je vous demande pardon, Madame.

Excuses qui lui coûtaient fort. Tout comme de ressortir d'un pas tranquille, pour rentrer à nouveau. Rythme paisible. Et cette fois-ci : révérence distinguée, prenant son temps dans les règles de l'art. Rongeant son frein, elle souffla son déférent :

-- Madame la Comtesse. (Et pour Florentyna : ) Mademoiselle.

Et Marthe d'attendre qu'on lui redonnât la parole. Quoiqu'elle en débordait d'envie, elle s'interdit de darder un autre regard venimeux sur Louis qui - au moins - avait le bon goût de se faire tout petit et docile. Cette vermine ne perdait rien pour attendre.

Elle était toujours furieuse de ce coup porté bien trop fort et sans réel justification à Hyriel. Peu importe qui aurait été à sa place, cela n’aurait rien changé à son attitude, seulement cette fois-ci, elle partageait en plus la douleur de voir son ami agressé et blessé sous ses yeux. Florentyna s’occupa de le faire asseoir tandis qu’elle sommait le vieux fennec de refaire son entrée avec humilité. A ses excuses, elle n’eut qu’un regard glaciale.

- Votre comportement est inacceptable et parfaitement déplacé. Dois-je vous rappeler que Louis est notre employé et non notre esclave ?

Kalisha se tenait droite et sévère, posture qu’elle prenait rarement, préférant se cacher derrière son apparente réserve.

- J’exige de vous l’exemplarité et les accès de colère impulsive n’en font pas partie. Je compte sur vous pour confesser vos péchés avant la prochaine messe et faire pénitence.

Elle marqua un temps d’arrêt avant de conclure sèchement.

- Si mon jardinier est blessé par votre fait et que les travaux prennent du retard vous en serez tenue pour responsable. Suis-je bien clair ?

Une fois le sermont entendu, elle la congédia sans plus de cérémonie.

Hyriel s’étonna du geste de la demoiselle de Monthoux. Elle lui approchait un tabouret… Il parvint à sourire, malgré la dureté du ton de celle-ci. Il sentait bien que ce n’était pas contre lui. Il ne se fit pas prier et s’assit en inclinant la tête avec respect et gratitude. Il se retint de palper sa côte pour détecter une éventuelle fêlure. Il ne voulait pas faire ce plaisir à la harpie. Il jubila intérieurement aux nouvelles réprimandes de son amie la comtesse, dont l’assurance faisait plaisir à voir, et aux « excuses » mielleuse de la chouette aigrie. Mais ne pas trop sourire, surtout, ne pas sourire…  Il vit bien qu’elle lui en voulait, qu’elle rêvait sans doute de l’étrangler à main nues, mais elle ne pouvait pas. Pauvre, pauvre petite chouette… Il s’appliqua à garder son masque neutre, légèrement baissé, et releva seulement le regard vers la furie. Parfaitement innocent. Comme il l’était, lui, l’humble jardinier du grand comte de Monthoux. Après tout, il n’était que bonté… Sinon, il y a belle lurette que cette sorcière – mais pas du même genre que lui – aurait expérimenté les effets de certaines plantes, comme les racines de rhubarbe…

Il se mordit la lèvre en entendant la dernière parole de Kalisha et ne put résister. C’était le moment parfait pour vérifier… Il porta la main à sa côte douloureuse. Elle ne semblait pas cassée, c’était déjà un bon point, mais elle devait être fêlée, ce qui, avec ses béquilles, n’allait pas lui faciliter la tâche. Oh, bien sûr, il ne faisait pas grand-chose dans les travaux matériels et s’occupait plus de la théorie, ce qu’il pourrait toujours faire malgré son mal, mais ce n’était pas pour autant qu’il allait se priver de causer une petite frayeur à la vieille pie… Le pauvre jardinier s’autorisa donc une petite grimace en touchant sa côte. Était-elle exagérée ? Peut-être, peut-être pas.. Après tout, quelle importance ?

Il la regarda alors partir. Quel dommage, elle qui venait justement de revenir en bonne et due forme ! Il s’autorisa enfin un sourire et un soupir de soulagement quand elle eut disparu.

« Madame, Mademoiselle, vous avez toute ma gratitude. Merci à vous. »

Au retour de Marthe dans la serre - cette fois-ci avec une entrée irréprochable et des excuses - Florentyna demeura de marbre tout comme Kalisha. C'était la moindre des choses que devait faire l'intendante après une telle sortie de ses gonds. La demoiselle prit soin d'opiner vigoureusement du chef à plusieurs reprises aux saines paroles de la princesse : oh que non, Louis n'était pas un esclave et Marthe prenait trop ses aises ! Oh que oui, elle aurait intérêt à faire pénitence lors de sa prochaine confesse ! Enfin, Kalisha menaça la contremaître de possibles représailles si l'état du jardinier incommodait son travail. Bien envoyé ! Même si malheureusement dans les faits... la décision finale et toute autorité revenait en bout de course à son pataud de paternel. Néanmoins, comme Florentyna se l'était promis, elle insisterait de toutes ses forces auprès de lui pour que la vieille chouette ait au moins... hum... par exemple une suspension de prime ce mois-ci ?
La fille de Monthoux se désola de voir Hyriel grimacer et passer la main sur sa côte - douloureuse. La vieille peste ! La harpie l'avait blessé... Florentyna en fut révoltée mais garda sa colère entre ses mâchoires serrées.

-- Je souscris à tout ce que vous a signifié la comtesse, ne se priva-t-elle pas de renchérir. Un pareil coup de sang de la part d'une personne dotée de votre responsabilité est inadmissible. Que cet incident soit le premier et le dernier, Marthe. Quant au prétendu motif qui a valu à Louis votre brutalité, n'ayez même pas l'audace de revenir dessus. Je l'estime largement et même excessivement corrigé. Disparaissez.

Marthe fulminait. Il pouvait bien, cet éclopé, faire ses petits yeux et pencher la tête ! Elle demeurait persuadée qu'il ne regrettait rien de ses négligences. Depuis quelques jours par ailleurs, l'intendante avait retrouvé par deux fois des chardons dans son lit ! Ce devait être lui. La fourberie des individus de son espèce ne manquait pas de faire l'objet d'articles par les plus éminents démonologues. La contremaître gardera ce détail pour elle : il ne ferait qu'accroître la colère de Madame et Mademoiselle. Elles semblaient décidées à lui mener la vie dure et montrer de ce qu'elles pouvaient avoir d'autorité. Soit.
Il ne restait plus au vieux fennec que de croiser les mains devant elle, de plonger humblement ses yeux vers le sol dans sa plus belle amende honorable. Si c'était là ce que voulaient ces Dames - bien naïves quant à la sournoiserie de ceux qu'elles défendaient. Les esclaves, les employés - surtout les plus douteux - se menaient à la baguette.

-- J'en demanderai pardon, Madame la Comtesse. Et je vous présente encore une fois mes plus plates excuses à vous, Mesdames ainsi qu... qu'à... vous, Louis.

La contremaître avait mis le paquet et pouvait difficilement mieux faire, quoique cela lui écorchât les lèvres. Allez donc savoir si cette vermine ne simulait pas exprès sa douleur après que Kalisha l'aie menacée si l'employé souffrait ?! Il ne fallait pas exagérer ! Quel fragile aurait des os prompts à se briser à la moindre petite ruade ? Et quand bien même, son travail se passait assis à un bureau l'écrasante majorité du temps, il n'allait pas faire des gaugnes ! Elle qui envisageait - si le lavage du parquet ne suffisait pas à faire disparaître les rayures de la pointe des béquilles et s'il fallait remplacer des lattes - d'en prélever le montant sur les gages de l'éclopé... Elle paierait elle-même. Il valait mieux sauver sa place et ne pas chercher querelle avec la comtesse et sa belle-fille. Un fois ses politesses faites, l'intendante fit une dernière révérence et se retira.

Une fois seule avec Louis et Kalisha, Florentyna se tourna vers cette dernière et lui adressa son plus large et pétillant sourire, accompagné d'un minuscule applaudissement du bout des doigts dans sa paume. La princesse, d'habitude si effacée, qui des mois durant était resté d'une docilité que même la demoiselle n'atteignait pas... montrait depuis quelques temps autorité et inventivité. Exception faite de son histoire avec Sylvère dont la fille de Monthoux ne savait toujours pas quoi penser, elle aimait voir Kalisha s'affirmer.
Elle se tourna enfin vers Hyriel, assis en silence, courbé, la main à sa côte. Quelque chose n'allait pas. Et Florentyna ne pensait pas seulement à cette scène détestable qui venait de se jouer. Non, la petite mine du jeune homme et son regard où elle devina une certaine mélancolie constituaient autant d'indices pointant vers d'autres motifs... Cherchant ses mots pour ne pas être maladroite, la fille de Monthoux engagea, en s'assayant pour être égale avec son interlocuteur :

-- Je suis tellement... mais tellement navrée de cette scène odieuse à laquelle nous venons d'assister. Elle ne recommencera pas, croyez bien que j'y veillerai. (Un temps, abordant la partie plus délicate) Si... s'il y a quoi que ce soit d'autre qui vous tourmente... et à quoi Kalisha ou moi-même pourrions remédier... c'est le moment, dites.

Florentyna appuya vigoureusement ses propos ce qui lui donna la force de continuer à houspiller le vieux fennec astiqueur de pieds de cochon. Ils devaient être encore plus lustrés que le fameux parquet pour lequel elle venait de réprimander durement Louis qui d’ailleurs passa une main sur sa côte. Kalisha grimaça légèrement tandis qu’elle s’excusait platement, par pure habitude sans doute et non réelle repentance. Mais qu’importe, elle lui adressa un discret signe de la tête et la chassa comme une mouche du revers de la main.

Elle opina du chef à la proposition de sa belle-fille.

- C’est bien normal. Elle ne manque pas de toupet ! Florentyna a raison, si je peux faire quoi que ce soit pour vous, ce sera avec grand plaisir. Comment va votre côte? Vous a-t-elle blessé?

Il n’échappait pas à Hyriel que l’intendante était quelque peu… pincée à la suite des remontrances qu’elle essuyait. Toutefois, lui, pauvre jardinier, se contenta de se faire tout petit petit, innocent et pauvre victime – ce qu’il était ! Il était persuadé que cette immense rayure n’était pas plus longue qu’un ongle. Mais bon, pour la boue, il voulait bien admettre qu’il n’y avait pas prêté attention mais à moins de gratter ses semelles et ses béquilles sur le seuil de la porte, ce qui n’était pas mieux, il n’avait aucun moyen d’y remédier.

Il se retint de trop sourire en entendant les excuses hésitantes dont elle le gratifiait. Il inclina sobrement la tête, même s’il jubilait intérieurement. Pauvre chouette… Il vit le geste de Florentyna à Kalisha et en sourit, malgré tout. Il la vit avec étonnement s’asseoir pour lui parler d’égal à égal. Elle était pourtant fille de comte et lui, serviteur… Il en fut touché, notamment en écoutant ses excuses, mais son cœur manqua un battement à la suite. Oh, bien sûr qu’il y avait quelque chose qui le tourmentait mais que pouvaient-elles y faire ? Phaïdée était partie, offerte à un autre… La comtesse enchérissait. Elles étaient toutes les deux si charmantes, si bonnes, comparé au comte ou à sa harpie… Il esquissa un sourire et se tourna vers son bureau en regardant Guillaume pour lui faire signe de lui apporter les fleurs qu’ils avaient coupées peu avant. Il fallait qu’il remercie ces dames en bonne et due forme… Il se retourna alors vers elles en se forçant à sourire, malgré la douleur qui lui irradiait les côtes.

« Vous êtes toutes les deux fort charitables de vous inquiéter pour moi, quand bien même je suis sans doute un peu fautif. »

Il récupéra les fleurs et les posa sur ses genoux pendant que Guillaume se retirait pour observer de loin. Laissant ses doigts faire le travail, le jardinier laissa échapper un léger soupir.

« Pour ce qui est de mon état, je pense que ma chute m’a fêlé une côte. Je resterai donc plus assis que d’habitude, ce ne sera pas trop gênant… Pour le reste… »

Non, il ne pouvait rien dire, bien sûr, absolument rien, même s’il en souffrait.

« Je vous suis déjà fort reconnaissant pour l’aide et l’appui que vous m’avez apporté à l’instant, je n’oserais pas vous en demander plus, surtout qu’il n’y aurait rien à demander – heureusement, même. »

Il continua de sourire, le plus sincèrement possible, tout en laissant ses doigts nerveux tresser les tiges des fleurs qu’il offrirait.

Aussitôt Marthe partie, Kalisha rejoignit Florentyna pour entourer Hyriel de tout leur soutien. Le fille de Monthoux écouta les questions de la princesse, puis les réactions du principal intéressé. Elle se dépita d'entendre le jardinier prendre sur lui une part de culpabilité.

-- Oh non, ne dites point pareille chose, soupira-t-elle. Il semble que la contremaître vous ait pris en grippe... ci ce n'était pas cela elle aurait trouvé un autre motif. Je... ne comprends pas pourquoi elle a ce besoin de souffre-douleur. Mais vraiment, vous n'avez rien à vous reprocher. Quelques miettes de boue ? Une petite trace ? C'est ridicule ! Un coup de chiffon et ce sera parti. Marthe devrait plutôt remarquer votre travail impeccable.

D'autant plus le remarquer que, dans sa situation d'invalidité, Louis était un employé modèle et ne réclamait rien de supplémentaire à personne. Avec ses trois comparses, il faisait une excellente équipe. Le plus jeune d'ailleurs partit chercher des fleurs qu'il ramena à Hyriel, qui se mit à les tresser sur ses genoux tout en poursuivant la discussion. Intriguée, Florentyna suivait les mouvements habiles de ses doigts. Que faisait-il ?

-- Seigneur... grommela-t-elle entre ses dents, apprenant avec révolte que le jardinier avait bel et bien une côte fêlée. C'est inadmissible. Mon père, le confesseur, et toute autre personne auprès de qui l'intendante essaie de polir sa précieuse réputation vont en entendre parler, croyez-moi. Elle filera doux dorénavant ou je pourrais me fâcher.

Ce qui lui arrivait rarement et la surprenait elle-même. Décidément, il lui semblait ressentir beaucoup plus d'attachement que prévu pour Hyriel... C'était... stupide. Et sans la moindre possibilité, mais c'était là. Florentyna s'en mordit l'intérieur de la joue, honteuse. Puis la peine de l'impuissance lui vint en apprenait qu'elle ne pouvait rien faire afin d'aider le guérisseur avec le reste de ce qui le tourmentait. Reste que, bien évidemment, le jeune homme dissimulait. Mais que Florentyna sentait exister malgré ce qu'il voulait en dire. Par pudeur, elle n'insistera pas, se contentant de suivre le tracer des doigts d'Hyriel dans les fleurs. Et de changer de sujet, à voix très basse :

-- Au moins... vous avez les compétences médicale pour remédier un peu à ce qui vous a été fait. S'il y a... des ingrédients à vous faire acheter en urgence pour vos médications, je suis toute ouïe et m'en chargerai en parfaite discrétion. A moins que vous ne pensiez avoir déjà à portée de main le nécessaire contre votre mal ?

Kalisha grimaça en apprenant que son médecin royal avait une côte fêlée du fait du coup porté par le vieux fennec. Guillaume apporta des fleurs coupées et elle se demanda bien ce qu’il allait pouvoir en faire. Elle ne voyait pas bien en quoi cela allait le soulager de quoi que ce soit.
Quant au reste… Kalisha se pinçait les lèvres en se remémorant le départ de Phaïdée avec l’Ambassadeur d’Espagne et cette discussion affreusement gênante. Pauvre Hyriel… Elle partageait sa peine. Elle ne se souvenait que trop bien de ce qu’elle avait ressenti en rentrant à Monthoux le 12 novembre. Il devait avoir si peur de ne plus jamais la revoir…

La princesse s’approcha et posa une main bienveillante sur son épaule avant de lui témoigner sa sincère compassion :

- J’espère que la douleur de vos blessures s’estompera.

Elle espérait qu’il comprendrait qu’elle ne parlait pas là que de cette côte fissurée. Elle ne pouvait pas trahir ce secret, même devant Florentyna. D’ailleurs c’était pour le moins étonnant de la voir s’emporter ainsi. Pour quelqu’un qui s’était méfié de lui, elle semblait désormais bien attachée.

- Vous pouvez venir me trouver si le cœur vous en dit. ajouta-t-elle en baissant les yeux vers ses doigts tressant les tiges.

Ce qui ne manqua pas de lui rappeler quelques souvenirs. Oh c’était donc cela ! Un petit sourire espiègle refit surface tandis qu’elle commentait toute pétillante :

- Eh bien mon futur beau-mari, êtes-vous en train d’essayer de concurrencer notre bon Roi ?.

Hyriel releva la tête, surpris, en entendant le soupir de Florentyna. Il parvint à esquisser un sourire. Elle était si douce, vraiment… C’était toujours autant un mystère pour lui… Sa mère était peut-être une sainte ? Cela aurait pu logiquement contrebalancer la stupidité de son père… Il inclina la tête au compliment.

« C’est très gentil à vous, Mademoiselle. »

Il releva la tête en sentant la main de Kalisha et sourit, comprenant le sous-entendu. Il hocha simplement la tête, ne sachant trop quoi répondre de subtil sur le coup. Tout en continuant à tresser les fleurs, il sourit de la suite, reconnaissant, malgré tout, tout en se retenant de trop le faire sur la fin. Elle n’était pas le genre de personnes qu’il imaginait se fâcher, ou alors comme un petit chaton. Il sourit également à la proposition de la comtesse.

« C’est très gentil à vous aussi. »

À la suite de ce que lui disait la demoiselle, qu’il pencha la tête pour mieux entendre, il acquiesça sur le même ton.

« En effet, j’ai cette chance. C’est fort gentil à vous de me le proposer mais je crains que le seul remède à cela soit le temps et le repos… Toutefois, je pense que j’aurai besoin d’opiacés pour atténuer un peu la douleur. En revanche, inutile de vous compromettre, je pense que Guillaume pourra aller les acheter à la capitale seul, dès demain… »
Il consulta le jeune homme qui s’empressa de hocher la tête en souriant. Bien sûr, qu’il le ferait !

Le guérisseur se redressa alors à la question de la comtesse en se contentant de sourire innocemment. Elle avait compris l’inspiration. Il ne répondit pas par les mots mais en terminant la belle couronne de fleur. Il se tourna vers Florentyna pour la lui présenter.

« Mademoiselle, voici pour vous remercier d’avoir poursuivi cette chère intendante et de m’avoir si bien défendu. En plus, cela va merveilleusement bien avec votre prénom ! »

Quand elle se baissa légèrement, il l’en coiffa, masquant la douleur qu’il ressentait par un sourire ravi.

« Mademoiselle de Monthoux, vous êtes splendide ! »

Kalisha et Florentyna compatirent aux peines du jeune homme... physiques mais pas uniquement. Pourtant, la fille de Monthoux ne parvint pas à mettre le doigt sur les autres sujets qui lui causaient du tourment, contrairement à la princesse qui paraissait en savoir davantage. Après tout, elle l'avait rencontré dans la forêt, loin des convenances et faux-semblants, elle avait couché dans sa cabane : sans doute avait-ce été l'occasion pour elle de confier certaines choses, et d'en entendre certaines ? C'étaient là leurs moments à eux. Florentyna ne fera preuve d'aucune curiosité déplacée et restera en retrait bien qu'elle aurait aimé, de tout son cœur, se sentir utile et capable de quelque chose.
Une petite moue intriguée ourla ses lèvres en entendant la plaisanterie que Kalisha adressa à leur ami, l'œil pétillant et le ton espiègle. "Beau mari" ? Là encore, la demoiselle ne comprit pas. La Djerdanne était amoureuse de Sylvère, si elle suivait bien la pièce... Oh... sans doute un bon mot entre eux, là encore. Par politesse, elle eut un de ces sourires un peu faux dans sa complicité, comme lorsqu'on s'efforce en soirée de s'amuser d'une blague que l'on a pas compris.

Le bon mot concernait en tout cas le tressage des fleurs. Florentyna acquiesça, soulagée d'apprendre que Guillaume pourrait se charger sans mal de la commission et ramener de quoi apaiser la douleur de son comparse. Enfin, un sourire illumina son blanc visage quand elle vit où Hyriel voulait en venir avec ses fleurs : une couronne ! Qu'elle était belle ! Et à sa grande surprise, ce fut sur sa tête qu'il la déposa, tout en la remerciant de son intervention.

-- Mais... mais je vous en prie, c'est... ce, fit-elle, sentant déjà ses hautes pommettes empourprées à se sentir ainsi coiffée, autant qu'aux compliments qui suivirent.

Toute enjouée, elle fit quelques pas de côté, le temps de rejoindre le petit coin d'eau de la serre où elle put observer le résultat. Son cou menu hors de l'épaisse fourrure, son visage de poupée, sa chevelure ornée d'un ravissant entrelac de tiges courbées, de feuilles et pétales assortis à ses yeux. D'un mouvement vif elle se retourna et lança un joyeux :

-- Oh, merci, merci beaucoup Hyriel, c'est ravissant ! Je ferai plus souvent de la course après Marthe si c'est ainsi ! lâcha-t-elle en s'accompagnant d'un petit rire.

Elle s'oublia quelques secondes à tournoyer, chevelure dansante et bout des doigts perdus entre les courbes de la couronne. Cela changeait fort des strictes coiffures. Un plaisir de fillette, oublié depuis longtemps, se retrouva presque ici l'espace d'un court instant. Soudain, il lui fallut retrouver tout son sérieux en voyant des commis approcher de la serre. Vite, elle retira la couronne, qu'elle rangea cependant comme un petit trésor sous les pans de son manteau. Ces fleurs... oh qu'elle les garderait dans ses appartements aussi longtemps que possible ! Les meilleurs choses avaient une fin : bien à contrecœur elle affecta une distance protocolaire alors que des visages curieux observaient de loin la comtesse, sa belle-fille et le jardinier. Hyriel ayant souri et incliné la tête à ses remerciements, elle lui adressa un dernier salut - de son plus beau sourire dos à la porte et face à lui :

-- Encore merci, Louis, je vous souhaite une bonne fin de journée.

Voilà qui ne prêterait nullement à confusion. L'on croirait les deux femmes venues prendre conseil pour l'entretien de quelque plantes. Kalisha et Florentyna se retirèrent. Une main cachée sous un pan de son manteau, la demoiselle jouait du bout du doigt entre les pétales. Même dissimulée près de son cœur et sous l'épais tissu, la couronne exhalait un délicat parfum. Elle ne manqua pas de saluer Kalisha avant de devoir se séparer : sa leçon de clavecin attendait la fille de Monthoux. Mais aussitôt celle-ci achevée, elle pourrait retrouver son amie et Prudence pour un bon partage de confitures et d'anecdotes forestières. Oh bien sûr, l'écrasante majorité du temps, le couple le passait l'un avec l'autre. Toutefois la demoiselle était de temps à autres conviée à un petit moment et elle ne pouvait qu'être touchée de cette confiance. Elle aimait tant voir Kalisha heureuse auprès de son Roi et entendre un maigre pan de leurs histoires, quand bien même l'immense majorité de leurs moments restait entre eux celée. Quand pourrait-elle cueillir d'un bonheur semblable ?