Boite aux lettres d'Éléonore de Tianidre

Ma chère Eléonore,

Vous me voyez terriblement déçu à l’idée de diner seul,
Encore une fois, sans personne avec qui partager
Nouvelles et anciennes histoires.
Etes-vous sûr de ne point vouloir entendre les mythes de
Zakros, Ho-Yô ou Lodmé ?

D’ici ou d’ailleurs, j’aurais su vous
Intriguer et même vous émerveiller.
Naturellement, je conçois que vous puissiez
Etre effrayée de ma sulfureuse réputation.
Reverrez-vous votre jugement ? Je l’ignore.

Avoir le plaisir de vous accueillir aurait
Vraisemblablement permis d’égayer
Esprit autant que papilles en si
Charmante compagnie.

Mais les apparences sont parfois
Obscures et dissimulées sous une
Incandescente lumière…

Ma charmante luciole,

Vous pardonnerez mon écriture quelque peu hâtive, mais je me refuse de faire attendre outre mesure votre cocher.
Avoir de vos nouvelles est toujours un plaisir, surtout lorsqu’elles arrivent de si bon matin et même lorsqu’elles ne sont pas aussi bonnes qu’elles le pourraient.

Avec votre fiancé, faites comme vous l’entendrez. Je sais que d’une façon ou d’une autre, il finira par venir me trouver ou frapper à cette porte. Faites ce qui vous semble le mieux, je vous fais entièrement confiance et je m’y plierai.

Quant à demain, je ne sais dire si vous savoir si près me réjouie ou au contraire m'effraie. Je sais que l’homme que vous verrez discourir n’est pas celui que vous aimez, et je vous prierais presque de m'en excuser. J’espère simplement que vous ne m’en tiendrez pas rigueur: c’est bien pour cela que je n’aime guère mélanger les affaires professionnelles et personnelles. Passée la cérémonie, je me rendrai sur la tombe de mon ami, là où vous m’aviez surprise la dernière fois. Je me doute que vous serez certainement sous bonne escorte, mais si jamais… c’est ici que vous me trouverez.

Je vous aime, ma petite luciole, ma belle aurore. Je me languis déjà de vous retrouver, de vous embrasser, de vous caresser, de vous écouter… Toutes ces choses qu’une simple lettre ne saurait remplacer. Je rêve de pouvoir vous dire que je vous aime sans même avoir à laisser échapper le moindre mot, car alors c’est que vous serez là, entre mes bras.

Passez une belle journée, ma merveilleuse Eléonore, et comme toujours laissez consumer ce billet dans l'âtre aussi sûrement que ne l’aurait fait votre cœur rougeoyant.

Mademoiselle,

Conformément au jugement rendu ce jour par le tribunal de Braktenn concernant le prévenu Thierry d’Anjou, il a été requis que l’accusé face pénitence et s’excuse publiquement des actes dont il s’est rendu coupable. En tant que victime, votre présence est requise céans ce 23 janvier pour Tierce.

Ma merveilleuse petite luciole,

Pour tout vous avouer, je ne suis pas bien certain d’avoir compris l’intégralité de votre courrier. J’ai beau le lire et le relire, certaines choses ne se complètent pas aussi bien que vous et moi.

Quoi que vous puissiez penser de ce que vous avez vu hier, sachez qu’il ne s’agissait là que d’une sombre affaire d’État. Je conçois que les apparences étaient fort trompeuses, mais pour tout vous avouer le seul plaisir que j’en ai retiré est la satisfaction de la savoir pourrir à la Prévôté. Il y est d’autres choses que je pourrais vous dire à ce sujet mais que je ne saurais confier à un papier.

J’ignore ce qui a pu vous mettre dans un tel état et je m’en voudrais que cela soit dû à ce que vous avez pu surprendre, car si je ne nierais jamais avoir d’autres femmes dans mon lit, celle-ci n’en faisait guère partie.

Avez-vous terminé Roméo et Juliette ? Si oui, vous aurez sans doute découvert quelques vers à la fin répondant à votre question. Ces mêmes vers récités à un certain soir. Rien n’a depuis changé et rien ne changera. Vous brillerez toujours demain et tous les jours qui se succèderont. Je veux bien être votre erreur, mais vous ne serez jamais la mienne. Admettre une erreur signifierait regretter. Or voilà bien une chose dont je suis incapable. Certains observent leurs genoux et leurs mains éraflées pour déterminer le chemin parcouru, je préfère embrasser du regard le paysage depuis ma tour. Et si vous vous tenez à mes côtés pour l’admirer, alors il n’en sera que plus parfait encore. Voilà tout ce que je puis vous dire en l’état.

Vous étiez belle, emmitouflée dans votre épais manteau. Si ce n’était cette foule et votre escorte, je vous aurais volé un baiser. Et, je l’avoue, j’ai espéré qu’un miracle vous ramène sur mon chemin comme ce jour de début janvier.  C’était sans doute trop escompter. Si je devais tout vous confier, je vous dirais justement que c’est devant mon ami que j’ai lu votre courrier qui me laisse encore aujourd’hui perplexe. Sa sagesse me manque sans doute car j’ai l’impression qu’un voile de brouillard insondable obscurcit mes moindres raisonnements et pensées (et je puis vous jurer que ce n’est nullement le laudanum qui en est la cause, ou peut-être qu’il devrait l’être et éclaircirait ce qui devrait au contraire ?). Quoi qu’il en soit je ne puis que vous conjurer de regarder devant vous et non derrière. Quel que ce soit ce que vous souhaiteriez changer, il est impossible de le faire et inutile de s’époumoner en ce sens. Laissez votre passé où il est et levez les yeux vers l’horizon. Vous voyez le soleil là-bas qui pointe à l’horizon ?

Je vous aime ma courageuse Athéna.

Ma douce lumière,

Il semblerait que vous vous soyez bien amusé avec ma petite souris. J’ai pour ma part adoré jouer les grands méchants loups. Je confesse volontiers avoir hâte de planter mes crocs dans votre gorge d’albâtre et de me repaitre de votre délicieuse chair tendre, mon adorable petit agneau.

Je sais. Je ne suis pas un loup. Mais n’allez pas rompre le charme de ma métaphore avec des considérations si terre à terre et bien moins poétiques.

Tout cela me ramène à notre diner et à la guerre de Troie. Vous constaterez qu’une fois de plus les Grecs ont remporté la victoire. Cependant, il me reste un merveilleux cheval à utiliser. L’ennui voyez-vous c’est qu’il ignore quels sont les déplacements autorisés pour son espèce. Que diriez-vous de devenir son professeur ?

Vous n’aurez qu’à me donner votre réponse lorsque je vous aurai dévoré d’ici deux jours. Profitons de cet évènement en commun pour rentrer chez moi, ensuite.

A qui de droit,

Afin d’endiguer toute inquiétude inutile, sachez que Mademoiselle de Tianidre s’est rendue de son plein gré en mon domaine hier soir. Je l’ai en conséquence invitée à y demeurer pour aussi longtemps qu’il lui plaira.

Monsieur le comte,

Sans doute trouverez-vous ce courrier bien étrange au regard de l’absence de connaissance des derniers évènements survenus à Braktenn. Je me permettrai donc de vous les résumer succinctement céans.
Votre fille a fui l’hôtel Tidrien hier soir pour se rendre de sa pleine initiative en mon domaine, accompagnée par Jean Sargnan. Tous deux se trouvent donc en sécurité chez moi à l’heure à laquelle je vous écris. Une missive vient également de partir pour l’hôtel Tidrien afin de juguler toute inquiétude inutile. De fait, j’ai invité Mademoiselle votre fille à demeurer ici pour le temps qu’elle jugera nécessaire.

Vous êtes bien entendu le bienvenu à Fromart, si vous désirez me rencontrer ; sachez en revanche que je ne recevrai personne d’autre de votre maisonnée – y compris « son fiancé » – afin de traiter de cette affaire.

Avec tout mon respect,

Monsieur le Comte,

Laissez-moi tout d’abord vous souhaiter un bon retour en notre belle capitale et espérer que vous ayez fait bon voyage.

Ce n’était que la moindre des choses de l’accueillir autant que de vous prévenir. Croyez bien qu’il n’aurait pu en être autrement. Je puis d’ailleurs vous rassurer quant à sa bonne santé.

Je ne pourrais malheureusement guère vous recevoir avant samedi prochain, est entendu que de nombreuses obligations me retiennent de part et d’autre. Si cela vous convient, soyez libre de vous présenter à mon domaine dans la matinée quand il vous siéra.

Votre fille est bien entendue la bienvenue à notre entretien aussi longtemps qu’elle le désirera. Vous pourrez ainsi vous rassurer quant aux bons traitements que reçoivent mes invités.

Soyez assuré de toute ma coopération dans la résolution de cette affaire,