[Flashback RP Solo - 1573 - 1584] Un passé de verre brisé

Irène tenait bien fermement la main de son frère, alors qu’ils rentraient à la maison derrière leurs parents. Matthieu montrait à sa benjamine les maisons, leurs voisins et lui apprenait parfois quelques nouveaux mots. Alors qu’ils tournaient à un angle de rue, ils virent un homme âgé, dans une chariote, les jambes déchiquetées, un œil en moins sous un linge gris et sale, tendant misérablement une écuelle vers eux. Aussitôt, Irène se recula, Effrayée, elle se pelotonna contre son frère. Matthieu se retourna et comprit.

- Non, tu ne dois pas avoir peur, petite sœur ! C’est le vieux Louis. Il a été blessé à la guerre et n’a plus de famille. Il est juste un peu malade, pas méchant.

Il chercha alors dans sa poche une des petites pièces qui lui restait des courses que ses parents le laissaient désormais parfois faire, pour qu’il apprenne à bien gérer son argent. En le voyant s’approcher de l’homme, Irène se redressa un peu, moins craintive. Elle le suivit alors que le vieux Louis leur présentait un sourire édenté mais sincère. Irène en oublia alors sa peur.

- Dieu vous bénisse, mon garçon. Vous et votre charmante sœur !

Il ébouriffa un peu les cheveux d’Irène d’un geste tendre qui fit sourire la fillette. Matthieu inclina la tête puis reprit la main de sa sœur pour rattraper leurs parents. Irène resta songeuse avant de relever les yeux vers ton frère.

- Mais dis, ça ne te fait vraiment pas peur ?

Matthieu lui offrit un sourire rassurant.

- Non et puis, ce n’est pas leur faute, tu sais. Il faut au contraire bien les aider ! C’est ainsi que notre Seigneur nous a montré sa générosité et il nous a demandé de suivre son exemple ! Alors nous devons le faire pour vivre dans Sa lumière.

Matthieu se tourna alors vers l’horizon, des étoiles dans les yeux, le regard déterminé.

- C’est pour ça qu’un jour, je serais prêtre. Comme ça, j’aiderai tous les miséreux et les infirmes ! Je construirai une grande église où je pourrais tous les accueillir, qu’est-ce que tu en dis ?

Irène s’éclaira aussitôt.

-Oh oui ! Tu seras un très gentil prêtre ! Et dès que nos parents me donneront des sous, je ferai comme toi grand frère !

Matthieu se pencha vers elle et lui embrassa les cheveux.

- Je n’en doute pas, nous ferons beaucoup de bien ensemble !

Pauline avait laissé ses enfants jouer sagement sur le tapis alors qu’elle était partie accompagner Joseph à l’équitation, pendant que Marc étudiait avec Pierre. Matthieu observait en souriant sa sœur jouer avec ses poupées. Paul avait préféré aller s’entraîner à lire dans le petit salon mais Matthieu aimait bien tenir compagnie à sa petite sœur. Elle était si mignonne.

Alors qu’il tombait sur sa page préférée du Nouveau Testament, il ne put s’empêcher de la montrer à sa sœur, notamment l’illustration d’un jeune homme légèrement barbu, brun, grand qui étendait les bras vers la foule.

- Tiens, regarde Irène ! Là, c’est le moment où Jésus enseigne à tout le monde qu’on doit tous s’aimer et être bienveillant les uns envers les autres !

Irène observa, encore un peu dubitative parce qu’elle ne comprenait pas tout mais avec un grand respect puisque cela venait de son grand-frère. Matthieu lui sourit.

- C’est très important, car c’est l’une des plus importantes leçons de notre Seigneur. Et c’est pour ça qu’il faut être gentil avec tout le monde, tu comprends ?

Irène hocha la tête.

- D’accord, grand frère, je comprends !





Pauline avait eu la surprise de trouver son oncle dans l’entrée. Sa longue robe pourpre n’annonçait rien de bon. Elle déglutit alors qu’elle passait une main dans le dos de Joseph.

- Va devant, trésor, je te rejoins.

Pauline se redressa et fit face à son oncle. Celui-ci la dévisageait de son œil froid. Pauline se demandait parfois s’il avait un jour eu la moindre émotion. Cet homme était de glace malgré sa robe de feu. Elle déglutit en croisant ses mains devant elle.

- Mon oncle, que me vaut le plaisir de votre visite ?

Plaisir était un bien grand mot… Cependant, il fallait tenir les apparences. Clarence leva le menton.

- Je viens le chercher.

Le cœur de Pauline s’accéléra dans sa poitrine. Son petit Matthieu… Maudit soit le jour où elle avait évoqué sa grande mémoire devant lui ! Elle n’aurait jamais dû… Ce petit voulait être prêtre, oui mais pas cardinal. Il était trop doux, trop gentil pour être soumis à la dure loi de Rome. Il serait bien plus heureux, à l’abri dans une petite paroisse où il pourrait s’épanouir, être au contact de ses paroissiens… Elle serra les dents pour ne pas se montrer dans un instant de faiblesse.

- Mais n’est-ce pas trop tôt ? Il n’a que sept ans…

- L’âge de raison, ma nièce. Il est temps de le former. Plus il apprendra tôt, plus il sera prêt.

La lèvre inférieure de Pauline trembla. Mais c’était encore un enfant… Et elle connaissait son oncle. Mais pouvait-elle s’opposer à sa volonté ? Et elle doutait que son mari refuse l’opportunité d’avoir un cardinal Cassin au sein de la Sainte Eglise. Pauline baissa les yeux. Ce combat était perdu d’avance. Elle ne put donc qu’acquiescer, lentement.
Elle se retourna et laissa passer dans un filet de voix.

- Je vous guide à lui.


Innocents, les deux enfants jouaient maintenant à réciter des comptines. Quand la porte claqua, aucun d’entre eux n’était prêts. Ils se retournèrent et virent un grand monstre rouge leur faire face. Matthieu le reconnut, c’était un oncle de leur mère. Il lui avait parfois fait peur étant petit, surtout qu’il l’observait bien souvent. Peut-être trop souvent à son goût. Il tâcha cependant de sourire et de rassurer sa sœur qui s’agrippa à lui.

- Bonjour, mon oncle.

Ce dernier ne répondit pas. Il resta immobile, à l’image d’une statue de sel. Matthieu chercha le regard de sa mère qui disparaissait derrière son imposant parent. Cependant, avant qu’il ait eu le temps d’esquisser un geste, son grand-oncle avait avalé les deux enjambées qui le séparaient du petit et lui attrapa le menton sans aucune douceur pour relever son visage vers lui. Matthieu se trouva aussitôt tétanisé. Il était si grand et si fort. Il se mit à trembler alors que ses yeux foncés, presque noirs le perçaient, comme s’ils pouvaient sonder les secrets de son âme. Il ne put voir que cette immensité de ténèbres qui menaçait de l’engloutir. Et sentir la main d’Irène qui agrippait plus fortement sa chemise.

Son grand-oncle le lâcha enfin et hocha la tête.

- Encore un peu frêle mais il est prêt.

Matthieu entendit vaguement sa mère bredouiller quelques vaines protestations. Le cardinal les arrêta toutes d’un simple geste de la main. Il ne comprenait pas. Que se passait-il ? Pourquoi…

Avant qu’il ne puisse demande quoique que ce soit, son grand-oncle le prit par le bras et le redressa brusquement.

- Bien, tu vas venir avec moi.

Matthieu écarquilla les yeux.

- Quoi ? Mais… mais c’est ici ma maison…

Irène elle aussi s’agrippa à son frère.

- Oui, Matthieu reste là !

Clarence fronça les sourcils.

- Pas de caprices. Matthieu va venir avec moi pour faire son éducation religieuse. Tu as un brillant avenir devant toi, mon garçon, pour peu que tu entendes raison. Si tu veux avoir une place de choix au sein de l’église, il faut travailler dès maintenant. Ainsi, tu pourras peut-être avoir une place comme la mienne un jour.

Matthieu se mit à trembler.

- Mais… mais je ne veux pas… Et puis je suis enfant de chœur ici ! Et le père Jacques me forme ! Je veux reste ici, je ne veux pas m’en aller !
Irène s’accrocha un peu plus à son frère les larmes aux yeux.

- Je veux pas qu’il parte Matthieu !

Clarence le darda d’un regard terrible.

- Cessez vos enfantillages, tous les deux ! Vous devriez être reconnaissants !

- Non, je ne veux pas ! Je veux être prêtre c’est tout et je veux rester ici ! S’il vous plaît, mon oncle !

- Suffit ! Pauline, occupe-toi de votre fille, son attitude est inadmissible.

Irène ne faisait désormais que pleurer. Sa mère se mordit la lèvre mais se résolut à la prendre pour l’inciter à lâcher son frère en douceur.

- Non ! Non ! Mère, ne le laissez pas !

- Irène, s’il te plait…

- Non ! Matthieu !

- Irène ! Lâchez-moi ! Mère, ne le laissez pas m’emmener, pitié !

Clarence appuya un peu plus sur le bras de Matthieu et commença à le tirer vers l’avant. Le petit garçon eut l’impression que son os allait se briser sous sa poigne.

- Viens ici, dépêche-toi !

- Non, arrêtez !

Il continua à prier, supplier alors qu’ils traversaient les salons. Matthieu regardait en arrière, pour voir le visage de sa sœur larmoyant, enfoui dans le cou de sa mère. Ses yeux se brouillèrent eux aussi. Il ne voulait pas…


Alors qu’ils descendaient dans la rue, vers la voiture de son oncle, Matthieu vit le vieux Louis, à un angle, mendiant auprès des passants. Il fronça les sourcils en voyant le petit garçon entraîné par le grand homme. Il se redressa et roula jusqu’à eux.

- Matthieu ? Est-ce que tout va bien mon garçon ?

Matthieu ne trouva pas la force de lui répondre, la gorge trop serrée mais secoua négativement la tête, très vite. Louis roula jusqu’à stopper le cardinal dans sa course.

- Assez ! Arrêtez-vous ! Où emmenez-vous cet enfant ? Qui êtes-vous ?

Le cardinal se dressa alors de sa hauteur et le transperça d’un regard haineux.

- Ce garçon est mon petit neveu et je n’ai aucune explication à vous donner ! Hors de mon chemin, au nom de Dieu !

Louis, nullement intimidé, lui opposa un regard farouche.

- Dieu ne tolérerait certainement pas que vous trainiez ainsi cet enfant hors de sa maison et loin de sa famille alors qu’il n’en a pas envie ! Lâchez-le, vous lui faites mal !

- Comment oses-tu parler ainsi de notre Seigneur, démon ?

Il étendit sa grande main et l’abattit pour pousser le vieil infirme. Matthieu hurla alors que la chariote basculait sur le côté et que Louis perdait l’équilibre. Sa tête rencontra le sol en un bruit de choc terrible. Matthieu l’observa avec un œil horrifié. Ses yeux s’étaient fermés et il ne bougeait plus. Il chercha à tirer pour dégager son bras, mais déjà son grand-oncle l’entrainait plus loin.

-Non, non ! Laissez-moi ! Qu’est-ce que vous avez fait ?! Louis !

Clarence lui intima de se taire d’un regard en le poussant un peu plus en avant.

- Cesse de hurler ! Cet estropié n’a eu que ce qu’il mérite ! Leur infirmité est la marque de l’infamie et du diable ! Cet homme ne faisait que du mal autour de lui, il ne mérite pas ton attention.

Les sanglots dans sa gorge l’empêchèrent de répondre. Ses yeux horrifiés jetèrent un dernier regard au vieux Louis avant que son oncle ne le pousse dans une voiture obscure.[/color]

- Joyeux anniversaire !

Irène sourit en soufflant ses bougies. Elle était contente, presque toute la famille était réunie en ce jour ! Rien que pour elle ! Et en plus, ils avaient apporté pleins de beaux cadeaux ! Elle sourit en regardant ses frères. Même Matthieu avait eu le droit de venir. Il lui souriait et était visiblement content de la voir. Cela faisait si longtemps. Elle avait l’impression qu’il avait changé… Pourtant, son visage n’était pas si différent.

Ne lui laissant pas le temps de réfléchir davantage, sa mère lui prit les épaules.

- Et maintenant, si tu allais ouvrir tes cadeaux ma chérie ?

Irène sourit en hochant la tête. Elle se rendit près des paquets et se chercha. Elle alla alors vers un petit paquet, tout carré.

- C’est le mien ! se réjouit Matthieu.

Irène ne fut que plus heureuse de l’ouvrir. Elle déballa rapidement et trouva un petit bracelet.

- Oh… il est si mignon !

Matthieu se passa une main dans les cheveux.

- C’est vrai, il te plait ?

- Mais oui ! Et il vient de Rome ?

Matthieu acquiesça. Elle n’attendit pas pour se jeter dans ses bras.

- Merci !

- Aïe !

Irène releva de grands yeux et vit une grimace déformer le visage de son frère.

- Mais… qu’est-ce que tu as ? Tu t’es fait mal ?

Matthieu secoua aussitôt la tête.

- Non, non, ne t’inquiète pas… j’ai juste été un peu… surpris. Mais je n’ai pas eu vraiment mal, tu vois ? C’est un réflexe !

Irène se mordit la lèvre. Ça n’avait pas l’air, mais personne ne disait rien. Elle haussa alors les épaules en souriant.

- Bon, d’accord…

Elle fit une petite moue mais finit par lui tendre le bracelet.

- Tu me le mets ?

- Bien sûr, petite sœur !

Elle s’illumina alors qu’il prenait le bijou pour le passer avec délicatesse autour du poignent de sa sœur. Irène ne dit rien mais quand il s’avança, elle crut voir quelque chose de bleu, sous sa manche…

Matthieu serrait les dents. Il ne pleurait presque plus depuis un moment, mais ce jour-là, les larmes venaient d’une autre cause que celle des coups de fouet. Il s’agrippa au bois pour souffrir autant que possible en silence alors que son grand-oncle abattait les lames de cuir sur son dos.

C’est la souffrance du Christ, je devrais considérer ça comme un grand honneur…

Alors pourquoi ne sentait-il que la douleur et ses yeux qui le brûlaient ? Il haleta alors que son grand-oncle s’arrêtait un moment.

- Je… mon oncle, pourquoi ? Ce pauvre enfant avait faim… Je voulais juste l’aider…

- Suffit !

Les lanières s’abattirent encore. Sa mâchoire se contracta à nouveau. Il respira doucement et trouva le courage de se retourner pour rencontrer son regard. Qu'avait-il fait de vraiment mal ? Ce jeune garçon était affamé, maigre, il mendiait dans la rue, prêt à tomber d'épuisement...

- S’il vous plait... Dites-moi pourquoi. Pourquoi eux seraient plus mauvais que nous ? Ce n’est pas sa faute si sa main était mal formée…

Clarence fit les gros yeux.

- Mensonge ! Ce sont des créatures du Diable ! Une telle infirmité est la marque de l’infamie !

- Mais pourquoi ? Ce n’est qu’un accident de la vie, ce n’est pas leur faute ! Et ce garçon était gentil, il n’avait pas l’air méchant ! Ce sont des frères et nous leur devons la charité puisque personne ne veut la leur donner ! Nous sommes des hommes de Dieu, nous avons ce devoir ! Notre Seigneur nous a dit de nous aimer, je suis sûre que ce qu’il voudrait ! Pourquoi ne voulez-vous pas comprendre ?

De rage, son grand-oncle fit claquer son fouet sur son torse. La douleur mit Matthieu à genoux.

- C'est toi qui ne comprends rien ! Pauvre fou, ce n'est pas de la gentillesse, c'est de la malice ! Les infirmes sont incapables du moindre sentiment humain !

Le fouet claqua, plusieurs fois, trop rapidement pour qu’il puisse réellement compter les coups. Matthieu sentait sa respiration se couper par moment. Il n’en pouvait plus. Il fallait que ça s’arrête. Il secoua la tête, hagard. Son oncle semblait aussi essoufflé que lui. Sa figure rouge se confondait presque avec sa robe.

- Ils sont malveillants, mauvais. Rien ne peut les sauver, rien ! Et ils écartent de jeunes brebis comme toi du droit chemin. Tu ne comprends donc pas qu’ils cherchent à t’envoûter, à te tromper avec leurs belles paroles, leur allure innocente. Mais ils t’entraîneront dans les feux de l’enfer !

Matthieu le regarda, terrorisé. Comment un homme d’Église pouvait avoir autant de haine en lui ? C’était à n’y rien comprendre. Le père Jacques lui était si gentil, si bon, si compatissant. Et Dieu n’était qu’amour… Alors pourquoi tant de colère et de méchanceté ? Il ne comprenait pas. Il ne savait plus…

Clarence reprit son souffle et se redressa.

- Tu vas apprendre. Je t’ôterai ces sales idées de la tête. Tu seras bien assez tôt un bon serviteur de l’Église !

Matthieu 14 ans – Irène 11 ans

Le temps doux avait permis à la famille Cassin de se rendre sur la plage. Irène était très heureuse de pouvoir jouer dans le sable alors que ses frères s’amusaient à s’enterrer dans le sable. Elle profitait du soleil et du ciel sans nuage en fermant les yeux, pour sentir les rayons sur sa peau.

- Bonjour.

Elle se retourna, croyant avoir rêver. Mais non, son frère était bien là. Matthieu, après tout ce temps ! Elle s’illumina et se leva en courant vers lui.

- Matthieu !

Cependant, pour une fois, elle ne trouva pas la chaleur de ses bras. Il lui avait simplement pris ses bras et lui donna un bref salut, sa joue contre la sienne.

- Bonjour, ma sœur.

Irène ne comprenait pas. Il avait grandi mais il avait surtout… changé. Il n’avait plus cette chaleur dans ses yeux. Elle avait soudain l’impression de se trouver face à une statue de sel. Un golem qu’on avait façonné à l’image de son frère. Elle secoua la tête.

- Qu’est-ce que…

- Allons, tu n’es pas heureuse de me revoir ?

Elle déglutit. Ça ne ressemblait pas à son ton… ça ne lui ressemblait pas… Qu’est-ce qu’on avait fait de son frère ? Où était-il allé ? On l’avait-on caché ? Irène se recula et rencontra les juges de sa mère. Pauline fronça un peu les sourcils avant de sourire.

- Eh bien, Irène, que t’arrive-t-il ? Tu ne vas pas dire bonjour à ton frère ?

- Non, c’est pas mon frère.

Les yeux de Pauline s’arrondirent.

- Mais enfin, qu’est-ce qu’il te prend ?

- Non, c’est pas lui !

Elle crut alors voir comme un soubresaut chez la statue. Quelque chose… qui ressemblait à Matthieu. Mais… comment ? Qui était cette personne ? Elle ne comprenait pas… Pauline lui frotta un peu les épaules puis regarda son cadet.

Alors, tu es rentré ? Ta formation se passe bien ?

Matthieu releva mécaniquement les yeux vers sa mère puis la hocha lentement.

- Oui, mère. Tout se passe à merveille. Oncle Clarence est satisfait de mes progrès et pense que je serais bientôt éligible. Il m’apprend comment bien penser.

Irène fronça ses sourcils, de même que leur mère.

- Bien penser ? Mais comment cela ?

Matthieu releva le menton.

- Il m’apprend à discerner les méchants des gentils. Et surtout à chasser les infirmes diaboliques.

Les deux femmes froncèrent aussitôt les sourcils.

- Matthieu !

- C’est la vérité, mère. Ils sont démoniaques et nous devons les chasser. Mon oncle me l’a bien enseigné. Il faut que nous nous débarrassions de leur influence satanique.

Irène secoua la tête. Elle recula, les yeux dans le vague. Il lui sembla que Matthieu le regardait, avec encore ce semblant d’étincelle. Mais elle s’en moquait. Elle savait que ça ne pouvait pas être lui.

- Irène…

Elle se dégagea des bras de sa mère et se mit à courir en hurlant.

-C’est pas mon frère ! C’est pas mon frère !

Matthieu se râcla la gorge et lissa son vêtement. Il tenait à être présentable. Il se redressa avec assurance et entra. Irène lisait sur le balcon. Elle semblait concentrée. Ou bien elle faisait encore semblant de l’ignorer. C’était une possibilité tout à fait envisageable. Il garda cependant un visage de marbre et se contenta de toussoter.

- Ma sœur.

Elle soupira et referma son livre d’un coup sec en se retournant vers lui, l’air blasé.

- Mon frère.

C’était ainsi qu’ils se saluaient toujours désormais. Ni plus, ni moins. Cela semblait leur convenir à tous deux. Matthieu ne s’en plaignait pas. Au moins, les visites étaient toujours rapides. Et aujourd’hui, il avait une bonne raison. Il sourit, d’un air triomphant.

- Je viens vous annoncer que j’ai reçu la charge d’un évêché.

Irène haussa vaguement un sourcil, son poing contre sa joue.

- Oh, tiens donc ?

Il se rembrunit.

- Je pensais que vous seriez fière et heureuse pour moi.

- Je suis surtout admirative des manipulations de notre grand-oncle qui t’ont porté si haut, si vite.

Matthieu commença à s’empourprer.

- Je ne le dois qu’à mon mérite, et vous le savez !

Irène se décida à se lever, les yeux noirs.

- Oui, en écrasant des innocents et en les traitant d’hérétiques !

- C’est la vérité !

- Tu te leurres et tu le sais ! Il faut un bouc émissaire et ce sont les vôtres ! Mais ce n’est qu’une idée superstitieuse et ridicule, Matthieu !

- Tu oses défier l’Eglise ?

- Celui que je défie, c’est toi !

Les deux adelphes se firent face un instant, avant de détourner les yeux en même temps. À quoi bon ? Ils ne s’entendaient plus, ils le savaient. Pourquoi alors continuer à faire semblant et même à se parler. Matthieu se rappelait encore que ça n’avait pas toujours été comme ça. Cependant, il grogna en chassant ses souvenirs. Tout ceci n’existait plus. Il releva le menton.

- Bien, je n’étais venu que pour cette annonce alors j’imagine que maintenant c’est fait, je peux me retirer.

Aurait-il voulu qu’elle le retienne ? Il ne savait plus très bien. En tous les cas, il se doutait de sa réponse. Dans les yeux d’Irène, il ne lut que de l’indifférence.

- En effet, je pense que nous n’avons plus rien à nous dire.