[8 Janvier 1598] Les liens tissés autour d'un ange [Terminé]
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Re: [8 Janvier 1598] Les liens tissés autour d'un ange [Terminé]
Ils levèrent leur verre à leur santé respective et Bérénice trempa ses lèvres dans le jus de fruits. Cela ne valait pas un bon vin cuit ou un hypocras, mais puisqu’Alexandre ne buvait pas elle avait proposé d’office le jus de fruits. Les notes d’agrumes à la fois fruitées et acidulées la ramenaient à Aussevielle, dans les orangeraies en terrasse qui jouxtaient leur demeure. C’était toujours un pur plaisir de se promener entre les allées rocailleuses, enveloppées des doux effluves floraux des orangers en fleurs qu’elle humait à pleines narines. Dans ce genre de moment, elle comprenait parfaitement pourquoi son époux était si attaché à la terre de ses ancêtres quand bien même il avait vécu la majorité de sa vie à Braktenn.
Bérénice ne connaissait pas son père, mais elle connaissait le sien. Loin d’être irréprochable en tout point, elle ne l’admirait pourtant pas moins. Elle ne savait pas trop quoi penser de ses propos. C’était sans doute vrai, mais qui savait ce qui s’était passé réellement sans avoir été présent ? Elle se souvenait encore fort bien de ce qu’il s’était passé ici à Fromart et combien les choses auraient pu mal tourner sans intervention de son père. D’ailleurs elle ne comprenait pas non plus que l’on se laisse ainsi surprendre sans opposer de réactions. L’homme qui s’amuserait à cela avec elle aurait certainement une drôle de surprise. Et en même temps, toute cette histoire lui faisait froid dans le dos autant qu’elle la répugnait. Pourquoi fallait-il toujours que les hommes en profitent de la sorte ?
— Je vois. Je pense qu’il est important d’entendre tous les partis avant de porter un jugement, quel qu’il soit. Il est bien souvent aisé de condamner des actes sous l’effet de la colère avant de s’apercevoir que la vérité n’est pas telle que nous la percevions.
Elle hésita un instant, suspendant son souffle et ses paroles dans les airs. Devait-elle lui dire ce qu’il s’était passé ce jour-là ? Elle n’en avait parlé à personne depuis que les quelques informations glanées auprès de Sarkeris et complétées par son père. En même temps, si cela pouvait l’aider à relativiser sa propre relation avec son père…
— Quand elle est venue, la dernière fois, elle a joué aux pirates avec Adéis et Sarkeris. Mon frère, c’est bien le fils de mon père…
Elle étouffa un petit rire. Et ce n’était pas uniquement parce qu’il y avait un air de famille entre les deux. Non, tous deux étaient de grands séducteurs et s’il était particulièrement adorable (ce qui l’aurait sans doute fait ronchonner) il était tout aussi adroit avec les femmes de la capitale qu’un phoque sur terre. Pourtant, il n’aurait jamais forcé qui que ce soit, elle en avait l’intime conviction.
— Mais il n’abuserait d’aucune femme. Et pourtant, il s’est retrouvé dans une situation délicate parce qu’elle ne comprenait pas ce qu’elle disait. Heureusement que mon père passait par là à cet instant, car tout cela aurait pu affreusement mal finir.
Elle baissa les yeux vers son verre à moitié rempli et soupira.
— Nos parents ne sont pas parfaits Alexandre. Ils font de leur mieux pour être ce que l’on attend d’eux comme nous faisons de notre mieux pour les satisfaire. En vérité, nous ne sommes que des humains faillibles. Qu’importe ce que pourrait faire mon père ou Adéis, jamais je ne pourrais leur en vouloir éternellement. Excepté peut-être si l’un d’entre eux tuait un membre de ma famille.
Ils poursuivirent leur discussion autour des femmes puis de ce projet de vengeance. Jusqu’à ce que le mot « marin » tombe au milieu de leur échange, soulevant quelques taquineries de part et d’autre. Elle porta le verre à ses lèvres et prit une gorgée écoutant ce qu’allait dire Alexandre. Le désir chez une femme ? Des érections intérieures ? Elle avala de travers et toussa dans sa main. C’était pour le moins osé comme question et elle n’avait jamais parlé de cela à personne. En vérité, elle ne savait pas réellement comment répondre aussi intime et précise à la fois. Savoir et dire étaient deux choses bien distinctes.
— Eh bien... commença-t-elle en reposant son verre pour gagner quelques précieuses secondes
— C’est différent...
Comment pouvait-elle expliquer cela ? Ce n’était pas tant qu’elle ne voulait pas lui répondre, mais elle ne trouverait pas réellement les mots adéquats pour lui expliquer ce qu’il ignorait et dont il n’avait aucune idée puisqu’il n’avait jamais eu de relations avec une femme.
— C’est plus comme une nuée de petits papillons de feu qui se diffusent dans le ventre et non les femmes n’ont pas ce genre de choses. Elles deviennent juste… plus accueillantes puisque c’est ainsi que se passent les choses entre un homme et une femme.
Et elle n’avait pas vraiment envie d’imaginer ce qu’il pouvait bien se passer entre deux hommes. Non, elle préférait omettre cette image dérangeante et répondre à la deuxième partie de ses interrogations nettement plus simple.
— Les femmes sont déclarées nubiles lorsqu’elles saignent pour la première fois. Ce n’est que là qu’elles entrevoient une partie de la chose sans en tenir les tenants et les aboutissants. Et la plupart sont maintenus dans l’ignorance, parce que c’est sale et impie. La société attend des hommes qu’ils prennent du plaisir et que les femmes obtempèrent. Voilà la triste réalité.
Il fallait se soumettre et se montrer docile. Avec toutes ces histoires de marins et de désirs, elle se souvenait de cette nuit de fin novembre qu’elle avait passé dans la cité portuaire de Venise. Ce fameux bal où elle avait revu Cosimo. Même dissimulé derrière un masque, elle l’avait facilement reconnu à son regard brun ourlé de cils d’un noir profond et sa démarche tout à la fois assurée et élégante. Cosimo avait tout ce que ses fréquentations braktennoises n’avaient pas, et avec le recul, c’était surement pour cette raison que son père l’avait jeté par-dessus le pont de paille. Peut-être aurait-elle dû le remercier de l’avoir empêché de trop s’attacher à cette relation qui ne serait allée nulle part. Elle ne pourrait cependant jamais s’empêcher de se demander ce qui aurait pu se passer si les choses avaient été différentes. Si elle n’avait pas été fiancée par exemple. Alexandre lui prit les mains et ses paroles réconfortantes et pleines de confiance lui firent chaud au cœur. Elle croisa son regard puis l’enlaça.
— Merci Alexandre, merci, c’est si gentil de ta part. elle s’éloigna puis ajouta avec son espièglerie retrouvée Tu n’as plus qu’à appliquer tes propres conseils pour qu’il te reconnaisse à ta juste valeur. Nous verrons bien qui de nous deux y arrivera en premier.
Un drôle de pari qu’elle perdrait sans doute, car il avait bien plus cheminé qu’elle et qu’il n’était pas enchainé par un sexe qui n’était pas celui que l’on attendait. Elle se disait parfois que la nature était bien capricieuse à l’avoir fait naitre femme alors qu’elle aurait voulu pouvoir être homme et rendre fière son père. À l’inverse, elle avait choisi de faire naitre Alduis en homme. Peut-être se serait-il plus épanoui en étant une femme ? Certes il ne serait pas allé à la guerre, mais il aurait pu conserver sa sensibilité. Et aimer les hommes comme il l’entendait.
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"Je... Je ne sais plus."
Sa mémoire se rappelait cette conversation surprise, là où son père affirmait venger son fils bafoué par le seigneur de Frenn en mettant la fille de ce dernier dans son lit. Ou de ces fois, plus jeune, où le père Thierry l'encourageait à profiter des filles de son âge. Parfois, peu après avoir été surpris il tentait de lui expliquer que quand un poisson sautait de lui-même dans l'assiette, parfois avec la sauce en prime, le pêcheur serait bête de ne pas le consommer. Alexandre détestait autrefois ces métaphores. aujourd'hui, elles avaient plus de sens et il pourrait être d'accord. Pourtant, d'autres sentiments le retenaient.
"Votre père vous a élevé depuis votre naissance, vous et Alduis. Et il aurait fait de même avec Sarkeris s'il l'avait pu. Le mien... Il a chassé ma mère en apprenant sa grossesse et nous a laissé vint longues années aux prises d'un homme violent et tyrannique. Je suppose qu'il doit exister de la rancune en moi."
La dernière phrase fut prononcée, appuyée par un cynisme grinçant. La conversation revint à un autre sujet. Malgré la gêne encouru, la curiosité du jeune homme s'éveilla et chercha à comprendre ces choses mystérieuses qui échappaient à ses connaissances. Comme il se délectait de ce sentiment puissant d'être proche d'acquérir de nouvelles réponses, même si ces réponses apportaient de nouvelles questions. C'était un cycle sans fin. Mais un cycle qui le fascinait et retenait toute son attention. Néanmoins, Bérénice semblait particulièrement troublée par ces interrogations et Alexandre songea être allé trop loin. Il lui prit délicatement la main, accompagné d'un sourire tendre.
"Si vous ne souhaitez pas me répondre, ce n'est pas un souci. Je comprendrais. Je vous prie de m'excuser pour mon indélicatesse."
Bérénice manifesta cependant un superbe courage et tint à répondre à ses interrogations embarrassantes. Les explications étaient toutefois difficiles à saisir. Une nuée de papillons de feu ? Pour lui, le désir, c'était un volcan. Les cendres chaudes qui explosaient du Vésuve et qui recouvraient Pompéi. Il médita sur la suite : les femmes devenaient plus accueillantes et c'était ainsi entre un homme et une femme. Il ne se sentait pas plus avancé dans ses réflexions et songea que celles-ci appartenaient à la catégorie de ces choses que l'on apprenait guère dans les livres mais sur le terrain. Un jour, il devrait lui aussi pratiquer pour enfin connaître. Cette idée le mettait mal à l'aise. Saurait-il réellement s'y prendre ? Etsi du fait des attirances peu ordinaires, il se révélait incapable d'accomplir la chose ? Non, impossible. Alduis y parvenait en dépit de son absence totale de motivation. Si lui y parvenait, il le pourrait aussi. Certainement. Il restait cependant nerveux mas ce devait être naturel. Qui ne le serait pas à envisager sa première fois ?
"Je vous remercie, Bérénice, d'avoir eu la gentillesse de me répondre."
Elle poursuivit en rappelant à quel point les femmes étaient tenues dans l'ignorance jusqu'à leurs noces et il sentit toute l'aigreur que le sujet faisait remonter en elle. Ses mains revirent étreindre les siennes et les caresser pour apporter un peu de réconfort. C'était la seule chose qu'il pouvait lui apporter. En réponse à son témoignage affectif, elle l'enlaça. Comme une sœur le ferait avec un frère.
"C'est bien ce que je fais, Bérénice. Par ailleurs, même si nos efforts ne portent pas entièrement leurs fruits, ne renoncez pas. Même si l'objectif n'est pas atteint, les choses qui auront été accompli resteront un accomplissement. Alors, ayez confiance en vous et faites ce que vous désirez vous faire. Autrement, quand nous serons âgés, quelles tristes personnes serions-nous si nous avons accumulé les regrets ?"
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Loin de l’avoir rassurée, ses propos semblaient l’égarer un peu plus encore. Elle ignorait ce qui avait bien pu se passer et peut-être que tout ceci n’était qu’un malentendu. Comment savoir ? Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était lui rappeler de garder son esprit ouvert et d’éviter des jugements trop hâtifs comme on en voyait souvent. Bérénice posa sa main sur la sienne avec douceur.
— Je comprends Alexandre, mais parfois il n’est pas toujours possible de faire ce que l’on souhaite. D’autre fois encore nous faisons des erreurs, c’est humain. Certains s’en rendent compte plus rapidement que d’autres voilà tout.
En disant cela elle pensait à son propre père. Alduis aurait sans doute préféré être élevé par un autre compte tenu de leur relation houleuse. Lui aussi avait fait des erreurs, mais Bérénice ne lui en voulait pas le moins du monde. Il ne pensait pas à mal, il n’avait jamais voulu le blesser consciemment, il était juste maladroit, comme Alduis. Deux maladresses qui ne s’accordaient pas ensemble.
La discussion se poursuivit jusqu’à une question fort embarrassante du jeune homme qui se montra compréhensif. Bien que cela soit déstabilisant, elle s’efforça de lui répondre du mieux qu’elle put - sans doute trop nébuleusement vu le regard perdu dans ses pensées qu’il arborait -. Elle faisait toujours en sorte de répondre aux questions lorsqu’elle en avait la possibilité, et ceux, même si elles pouvaient s’avérer dérangeantes de prime abord. Adéis qui était très curieux ne manquait jamais l’occasion de poser l’une de ces fameuses interrogations.
— Allons, c’est parfaitement normal. répondit-elle à son tour à la suite de ses explications.
Tous deux feraient mieux qu’ils pourraient pour atteindre leurs objectifs réciproques. L’avenir leur dirait s’ils y parviendraient. Il n’existait qu’une seule certitude : il n’y avait qu’en essayant que l’on pouvait savoir si le jeu en valait la chandelle.
Ils bavardèrent quelques minutes supplémentaires, puis Bérénice songeant à son petit garçon qui l’attendait prit congé en emportant le magnifique recueil d’illustration.
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