[19 janvier 1598] - Légitimité d'existence [Terminé]

La route défilait sous les roues du coche mené par Jean, comme les lignes calligraphiées sous le regard embué d'Éléonore. Elle passait d'une lettre à l'autre comme l'on suivait un débat, comme si l'une d'elle allait finir par afficher un discours différents.

Qu'ils en fassent donc ce qu'ils voudront, mais je n'ai ni besoin de la voir, ni de lui parler, ni même de recevoir de ses nouvelles.

Avoir de vos nouvelles est toujours un plaisir [...] Je me languis déjà de vous retrouver, de vous embrasser, de vous caresser, de vous écouter…

J'entends bien que cette petite, malgré tout ce qu'elle représente, ne mérite pas ma haine. Cependant, elle ne saurait obtenir de moi que la plus stricte indifférence.

Je vous aime, ma petite luciole.

Mais rien ne bougeait. Personne ne revenait sur ses positions. C'en était presque agaçant. Effrayant. Coldris l'aimerait-il toujours autant s'il savait qu'elle n'avait pas le droit d'exister ?

Pour moi, elle n'existe pas et n'existera jamais.

Tu existes, Éléonore. Tu dois exister. Promets-moi d'essayer.

Et Ariste, qu'avait-il pensé ? Qu'aurait-il dit ? Qu'aurait-il fait ? Essayer. Essayer sans en avoir la légitimité. On ne voulait pas d'elle. Si Oncle Eineld avait voulu être son père, il le lui aurait dit. Seulement, il ne voulait pas. Il ne voulait pas d'elle Elle était une erreur, un problème, quelque chose qui avait détruit sa famille. Et elle recommençait toujours. Elle se détestait.

Ariste savait. De tout, c'était ce qui la déroutait le plus. Il avait su. Il n'avait rien dit. Et elle était tellement stupide qu'elle n'avait rien vu. Rien. Elle n'avait pas vu qu'il était amoureux. Elle n'avait pas vu qu'il lui cachait quelque chose. Elle devait savoir. Et pour cela, elle n'avait eu qu'une idée : demander à quelqu'un qui s'y trouvait.

En descendant de voiture à Fromart, elle se fit immédiatement indiquer Alduis. On la laissa alors gagner la salle d'armes où il se trouvait.

— A… Alduis ?

Elle se sentait coupable. Atrocement coupable de venir le déranger avec ses questions et ses yeux rouges de larmes. Elle ne servait vraiment à rien, comme amie. Ni pour lui, ni pour personne. Rien qu'une pauvre gourde égoïste qui n'aurait pas dû exister.

— Je… Je suis désolée de te déranger encore pour rien mais… Est-ce qu'Ariste t'a semblé étrange vers début mai ? Son dernier... Préoccupé ? Quelque chose ?

Alduis ne s’était pas attendu à la venue de quelqu’un. Encore moins Éléonore. Avait-elle les yeux… rouges ? Comme si elle avait pleuré. Cela eut le don de l’arrêter immédiatement, d’autant plus qu’elle l’appelait d’une manière presque… suppliante et hésitante ?

Alduis baissa la pointe de sa lame. Il ne savait pas vraiment quoi répondre à cet appel désespéré mais il sentait malgré tout qu’elle avait besoin d’être encouragée. Alors, un peu incertain, il hocha la tête.

— … Oui ?

Pourquoi pleurait-elle ? Pourquoi avait-elle cette voix perdue ? Pourquoi… ? La suite le fit secouer la tête. Non, elle ne le dérangeait pas pour rien. Ou bien il aurait pu certainement dire la même chose. Après tout, elle l’avait hébergée au début du mois. Elle l’avait encouragé. Il pouvait bien lui rendre la pareille. C’était ce que faisait des amis.

Ariste… À son retour… Il convoqua ses souvenirs en quelques secondes. Mai 1596. Un an et demi plus tôt. Ce ne fut pas difficile de comprendre de quoi elle lui parlait. Un Ariste préoccupé, qui tournait comme un lion en cage, et jouait de plus en plus avec sa dague… Ce n’était pas tous les jours. Il l’avait suivi, quand il s’était éloigné, et ne s’était pas attendu à cette inondation de mots. À toutes ces émotions mêlées dans une seule conversation. Le reste de la soirée avait été plus intime, mais il se doutait que ce n’était pas cette partie-là qui intéressait Éléonore, mais la première.

Le savoir était une chose. Plus délicat, en revanche, de savoir comment en parler. Et cela même si Ariste lui avait dit qu’il ne voudrait jamais lui cacher. Alduis avait conscience que ce n’était pas le genre de choses que l’on disait comme l’on parlait du temps. Quand votre cousin se révélait être votre demi-frère… Mais alors que savait-elle ?

Enfin, il hocha la tête pour confirmer.

— Le 6 mai 1596, oui… Très préoccupé... Je...

Si elle posait la question, alors elle devait sûrement savoir. Il prit donc son courage à deux mains pour ajouter :

— Tu veux que je te répète ce qu’il m’a dit ?

Elle avait débarqué, comme ça, sans réfléchir, dès lors que Gabriel avait dit de quand datait sa lettre. La seule chose chose bien légitime chez elle était bien sa peur de déranger les gens autour d’elle, et particulièrement Alduis dont elle venait d’interrompre l’entraînement sans réfléchir. Ce qu’elle pouvait être égoïste !

Elle s’en excusa. C’était bien plus sincère que les vulgaires formules de politesse que les autres employaient, et elle ne voulait vraiment pas l’interrompre… S’il avait été trop occupé, elle aurait renoncé, fait demi-tour sans discuter. Une erreur. Elle n’était qu’une erreur. Il n’y avait définitivement que pour son Ariste qu’elle avait été plus que cela durant toutes ces années. Mais Alduis semblait ne pas lui tenir rigueur de son irruption importune, et l’encourageait. Elle posa donc sa fameuse question.

Alduis hocha la tête, et les larmes se pressèrent un peu plus aux yeux de la jeune femme. Alors… Alors Gabriel n’avait pas menti - pas à ce sujet. Ariste n’était pas quelqu’un que l’on trouvait très préoccupé pour un oui ou pour un non. Et s’il ne lui avait parlé de rien d’autre…

Elle ravala sa salive. Elle devait vraiment avoir l’air stupide de poser de telles question. Horriblement stupide.

— Tu veux que je te répète ce qu’il m’a dit ?

Elle ouvrit une fois la bouche, et la referma aussitôt. Il…

— Il… Il t’a dit ? demanda-t-elle d’une toute petite voix. Alors tu… Tu sais que… Que je ne devrais pas exister ?

Oh, elle n’en voulait pas à Ariste de le lui avoir dit, elle savait qu’il lui faisait confiance, et elle lui faisait confiance aussi, c’était son ami. Au fond, c’était sans doute plus facile de ne pas avoir besoin de lui avouer, au moins à lui...

Éléonore semblait vraiment préoccupée. Encore plus qu’Ariste, ce jour-là. Et pour cause… Elle avait de quoi. Alduis avala sa salive. Il ne savait pas trop ce qu’il devait faire. Alors à défaut de savoir consoler les gens, peut-être qu’il pouvait lui répéter ce qu’Ariste lui avait dit. Si sa mémoire pouvait servir.

Il regarda Éléonore ouvrir la bouche et la refermer. Lorsqu’elle parla, ce fut d’une voix minuscule. En fait, c’était à peine si Alduis l’entendait, tant elle parlait bas. Il savait, oui, il savait qu’elle n’avait pas les parents qu’elle avait cru toute sa vie. Et il ne pouvait qu’imaginer ce que cela faisait. Comme s’il apprenait, du jour au lendemain, que son père n’était pas son père, comme si…

Il chassa ses pensées. Elle pouvait bien savoir ce que Ariste lui avait dit, ce jour-là.

— Quand Ariste l’a découvert, il a dit que… qu’il était hors de question de te mentir sur ce sujet, parce qu’il n’avait rien à te cacher, surtout pas ça, et que… vous vous étiez promis de ne pas laisser de non-dits vous éloigner.

Il releva la tête pour guetter sa réaction. Il soupira et ajouta :

— Voilà, c’est ce qu’il a dit.

Ça, au milieu d’autres choses. Ariste lui avait tout dit pêle-mêle. Alduis chercha quoi dire ensuite, combler sa propre gêne. Il aurait aimé être meilleur pour consoler. Tout ce qu’il avait à l’heure actuelle, c’était sa mémoire, pour convoquer ces souvenirs qui avaient bientôt deux ans. Il baissa les yeux sur son épée, qu’il tenait, et une idée saugrenue lui effleura l’esprit. Il hésita une seconde puis se décida à proposer :

— Tu veux rester t’entraîner avec moi ?

Comme sa proposition avait de quoi surprendre, il haussa des épaules et regarda partout ailleurs, sauf là où était la jeune femme, et se décida à expliquer.

— Je… quand quelque chose m’embête, ça m’aide bien à… penser à autre chose.

Et c’était souvent que quelque chose l’embêtait, alors il comprenait bien ce qu’elle ressentait.

Eléonore se tut dès qu’Alduis prit la parole. “Ariste avait dit” ; cela suffisait à décupler son attention. N’importe qui pouvait dire n’importe quoi, mais les mots de son grand-frère - dont elle savait désormais qu’il l’était à moitié par le sang en plus de l’être par le coeur - avaient une résonnance toute particulière. Et elle faisait confiance à Alduis pour ne pas trahir ses paroles, parce qu’Alduis était… Alduis.

Elle acquiesça. La dernière fois… La dernière fois, il avait promis que cela n’arriverait plus jamais. Et Ariste aussi tenait ses promesses… il… n’avait probablement pas eu le temps…

— Alors… Alors il ne m’en voulait pas ? Il m’aimait toujours ?

Quelque part, elle connaissait la réponse. Parce que c’était bien de son tout que l’on parlait. Mais elle avait tout de même besoin de l’entendre de quelqu’un qui l’avait vu.

Alduis lui proposa alors de rester s’entrainer. Elle ouvrir la bouche, puis la referma ; elle ne savait pas trop quoi répondre. S’entraîner… à l’épée ? Le jeune homme semblait soudain mal à l’aise de cette proposition, qu’il justifiait déjà.

— C’est que… En réalité...

En réalité, elle n’avait eu l’occasion de s’y essayer qu’une demi-douzaine de fois, et que cela faisait fort longtemps… elle désigna l’arme dont il se servait à son arrivée.

— Pour être honnête, je ne sais pas vraiment m’en servir… avoua-t-elle. Ariste avait dit qu’il convaincrait son père de me laisser m’entrainer avec lui à son retour mais...

Mais il n’en avait pas eu l’occasion, puisqu’il n’était pas revenu.

— J’aimerais beaucoup, mais je ne voudrais pas te faire perdre ton temps.

Alduis hocha la tête. Ariste ne lui en voulait pas, il allait de soi qu’il avait continué à l’aimer. Après tout, c’était à elle qu’il écrivait toutes ces lettres, qu’il neige, qu’il vente ou qu’il pleuve. Y aurait-il eu une attaque surprise qu’il aurait tout de même trouvé le temps de finir sa phrase avant de recevoir les ennemis. Il n’y avait aucun doute pour dire qu’Ariste avait aimé Éléonore plus que tout, qu’importe qu’elle soit sa cousine ou bien sa demi-sœur. Même Alduis commençait à comprendre que cela ne faisait aucune différence dans le cœur des gens, elle devait y croire elle aussi.

Mais face à une détresse, Alduis se sentit toujours autant démuni. Alors, bien que la proposition puisse sembler décalée, il lui proposa de l’accompagner dans la seule chose où il était réellement bon : le maniement des armes. Également la seule chose qui lui occupait assez l’esprit pour le calmer. Peut-être en serait-il de même pour elle ? L’activité physique occultait quelque temps les pensées dérangeantes.

Il attendit anxieusement la réponse, qui arriva par bribes et hésitations. Il baissa la tête. Elle ne devait pas en avoir envie. Il allait lui assurer que ce n’était pas grave, qu’il comprenait son refus, quand elle reprit. Il lui jeta un regard surpris. Alors si ? Elle acceptait ? Un immense sourire se peignit sur ses lèvres et il secoua vivement la tête pour la détromper, comme elle s’inquiétait de lui faire perdre son temps.

— J’en serais très heureux !

De toute manière, quel temps pourrait-elle lui faire perdre ? Il en avait une infinité à occuper. Un adversaire, même débutant, était plus intéressant à affronter qu’un homme invisible duquel on anticipait facilement tous les mouvements. En quelques instants, son visage s’était illuminé à la perspective de ce qu’il allait faire.

Restait à savoir par où commencer. Donner une arme à Eléonore semblait une bonne première étape. Et ce fut ce qu’il fit.

Oui, c’était évident. Ariste était bien trop parfait pour lui avoir reproché quoi que ce fut, c’avait été une crainte idiote. Pardon, grand frère, d’en avoir douté. Elle aurait l’aurait toujours aimé, quoi qu’il puisse faire ou être, il le savait. Et rien, d’ailleurs, de ce qui se passait actuellement ne remettait sa place en doute.

Ce fut alors qu’Alduis fit une proposition inattendue. Oui, mais pas particulièrement choquante, en réalité, et plutôt attirante. D’autant qu’il semblait enthousiaste ! Même si le poids des révélations du matin était loin d’avoir disparu, elle aussi se surprit à sourire en songeant qu’elle allait éloigner cela de son esprit.

Alors qu’il lui cherchait une arme, elle ne put s’empêcher de se demander si Coldris était là… Il lui manquait déjà. Mais poser la question eut risqué d’en éveiller d’autres et elle ne voulait ni mentir, ni être la première à avouer : elle avait dit à Coldris qu’elle le laisserait faire.

— Merci.

Elle prit l’arme qu’Alduis lui donnait, encore un brin hésitante. Il allait vite se rendre compte qu’elle ne savait pas en faire grand chose.

Elle avait beau savoir comment cela se tenait et se positionner plutôt naturellement, force était de reconnaître que cela ne s'apprenait pas tout seul. 

Elle s'appliqua à parer comme Alduis le lui avait montré. La manière dont il fallait apprivoiser l'espace n'était pas vraiment la même que dans ses autres activités, et cela demandait un effort prompt à calmer ses pensées douloureuses. 

Mais quelque part, ce qui la rassurait le mieux était de voir Alduis tellement plus lumineux. Alors, elle ne le dérangeait vraiment pas ? Il semblait réellement aimer ce qu'il faisait et cela faisait vraiment plaisir à voir ! C'est pourtant bien coupable qu'elle se rendit compte, quand elle commençait déjà à fatiguer, qu'elle n'avait toujours pas osé lui demander de ses nouvelles… Comme il y avait une sorte de flottement, elle tenta. 

— Je suis passée, la semaine dernière, quand Lavinia était ici… j'aurais voulu te voir, mais tu étais parti avec Courage, je crois. Et j'ai rencontré ta sœur. Je comprends ce que tu voulais dire, c'est vraiment quelqu'un de gentil mais… avec tout ça, je n'ai pas pu te demander comment tu allais.

La simple idée d’avoir un adversaire, même débutant, suffisait à réjouir Alduis. Ce serait toujours mieux que les ennemis imaginaires qu’il s’inventait durant les longues heures d’entraînement solitaire. Une fois n’est pas coutume, une nouvelle lumière, inhabituelle, s’était invitée dans ses yeux, illuminant son regard.

A vrai dire, il était heureux de pouvoir partager cela avec quelqu’un qu’il appréciait. C’était bien l’une des seules choses qu’il pouvait enseigner correctement. L’une des seules choses dans laquelle il était réellement bon. Depuis bien des années, les armes étaient son élément, le langage qu’il maîtrisait mieux que les mots.

Eléonore était bonne élève, par ailleurs, à la manière dont elle para chacune de ses attaques, porter plus lentement pour commencer, et accélérer ensuite.

Ils finirent pas arrêter, néanmoins, lorsqu’Eléonore fut lasse. Alduis aurait pu encore continuer longtemps mais il hocha la tête en baissant sa lame. Il devait reconnaître qu’il s’agissait d’une activité fatigante, d’autant plus quand on n'en avait pas l’habitude. Le poids d’une arme n’était pas négligeable. Pourtant, c’était ce qu’il aimait tout particulièrement : la sensation de sentir ses muscles, de percevoir leur force.

Mais avec l’entraînement terminé retombait cette incertitude sur le comportement à tenir maintenant. Parler ? Mais que dire ? Eléonore trouva quelque chose avant lui, comme souvent.

Il hocha la tête alors qu’elle indiquait qu’elle avait rencontré Bérénice. Bien sûr qu’elle était gentille ! Et même plus : tous les adjectifs mélioratifs qu’on aurait pu trouver pour décrire une personne auraient convenu. Lumineuse. Souriante. Belle. Forte. Merveilleuse. Généreuse. Alduis était certain qu’il aurait pu poursuivre la liste à l’infini, mais il n’en eut pas le temps. Une question le prit de court, à tel point qu’il marqua une seconde d’hésitation.

De ses nouvelles...

— Je…

Il se racla la gorge. En fait, quand il y réfléchissait, il n’avait pas souvent entendu cette question. C’était les amis qui la posaient. Et il n’avait jamais eu beaucoup d'amis auparavant. Il se souvenait de ces années solitaires, à regarder sa sœur inviter ses amies et à se demander ce que cela faisait, d’être apprécié par les autres. Il finit par hocher la tête.

— Ça va… Je crois.

Comment en être tout à fait sûr ? Il avait souvent l’impression d’être dans un entre-deux, sans trop savoir dans combien de temps il finirait par basculer de nouveau dans cette espèce de poix noire qui l’étouffait la plupart du temps.

Un peu mal à l’aise, conscients que la plupart des gens auraient trouvé à entretenir la suite de la conversation, il frotta le sol de la pointe de sa botte puis releva la tête.

— Et toi ? Tu… te sens mieux ?

Alduis sembla mal à l'aise lorsqu'elle lui demanda de ses nouvelles. C'était pourtant le moins qu'elle puisse faire que s'intéresser à ce qu'il lui arrivait quand elle se disait son amie.

La réponse fut courte et hésitante. Évidemment, on ne pouvait pas simplement dire que tout allait bien dans de telles périodes. Et Alduis semblait s'être considérablement refermé dès l'entraînement interrompu. Ce n'était pas grave, c'était elle ; elle aurait dû sentir que ce n'était pas le moment. Elle se souvenait de ce qu'il avait dit à Courage dans l'église. Mais ce n'était pas grave s'il ne trouvait guère de réponse. Elle ne lui en voulait pas.

Sa question lui étira un franc sourire. Elle déposa son arme. Oh, certes, ses mauvaises pensées reviendraient la hanter dès qu'elle se retrouverait seule, elle le savait, mais en attendant...

— Beaucoup mieux. C'est… plus léger, répondit-elle en comblant la distance qui les séparait. Elle l'étreignit en précisant : Et c'est grâce à toi. Merci.

Une fois qu'elle l'eut lâché, elle chercha son regard pour y planter le sien, presque suppliant :

— Dis... Tu accepterais que je revienne m'entraîner avec toi ? Je veux dire… J'aime bien.

L'entraînement en lui-même comme le fait de le voir aussi passionné par quelque chose.

Alduis espérait vraiment que l’entraînement avait su la détendre. Ce n’était pas grand-chose, mais ça marchait pour lui la plupart du temps… Peut-être en serait-il de même pour elle ? L’affirmation qu’elle lui retourna alors lui fit étirer un sourire sincère et rassuré. Il eut un hochement de tête. Alors tant mieux.

C’était étrange, d’ailleurs : plus le corps devenait lourd à force de faire fonctionner ses muscles, plus l’esprit devenait léger. Mais Alduis aimait bien cette sensation. Il n’eut pas le temps de répondre que déjà, la jeune femme comblait la distance pour le serrer dans ses bras. Il marqua un temps d’arrêt, sans oser bouger, de peur de la chasser. Puis, comme elle ne repartait pas, il se décida à la serrer dans ses bras à son tour. Au fond, les câlins étaient agréables…

— Je… Alors je suis content, répondit-il.

Il osa un nouveau sourire comme elle reculait finalement et accepta sans chercher à se dérober le contact visuel. Sa demande lui fit hocher la tête, plus vivement qu’il ne l’aurait cru lui-même.

— Tu pourras revenir quand tu veux, lui assura-t-il.

De toute manière, il ne faisait guère autre chose de ses journées et s’entraîner contre un véritable adversaire, même débutant, demeurait toujours plus constructif que de se battre contre de faux ennemis. Quant aux entraînements, c’était certainement l’une des seules activités où il ne se sentait pas en reste face aux autres. Il savait qu’il avait sa place ici, qu’il savait se servir d’une arme. Après tout, n’était-il pas revenu indemne de tous les champs de bataille ?

Éléonore sourit quand Alduis lui rendit son étreinte. S'il était content, au final, elle l'était aussi. Et elle était contente qu'il ne fuie pas son regard. Cela… voulait dire qu'il se sentait plus en confiance, non ? 

Il avait presque l'air… enthousiaste à l'idée qu'elle revienne s'entraîner avec lui. Alors qu'elle le lâchait à peine, elle l'étreignit de nouveau quand il accepta.

— Merci ! se réjouit-elle. Tu es formidable, Alduis. 

Juste avant de sortir, son regard fut capté par un mouvement à travers les fenêtres. Une silhouette qu'elle connaissait fort bien et… et manifestement, ce n'était pas aujourd'hui qu'elle pourrait lui parler. Il avait bien choisi son moment... mais bon, tant pis.

Elle quitta définitivement la salle d'armes, remerciant une dernière fois Alduis et lui promettant de revenir bientôt. Sans la moindre remarque sur les goûts somme toute contestables de son père. Enfin, il faisait ce qu'il voulait, seulement… seulement il n'avait pas de goût. Croisant Léonilde sur le chemin de la sortie, après une certaine hésitation, elle demanda - oui oui, elle avait bien compris que le vicomte était occupé - de quoi écrire pour lui laisser un message… déjà, les effets de la séance d'entraînement refluaient et elle s'embrouillait dans ses mots. Ne restait plus qu'à faire des cauchemars à l'idée du lendemain.