Un soir je descendis dans une auberge triste...
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Un soir je descendis dans une auberge triste...
Tout était beaucoup trop parfait. La marqueterie de ce guéridon. Les petits visages des pièces d'échecs qui s'affrontaient, en se renvoyant un reflet déformé, immobiles comme des glaciers. Le confort de ces tentures alors qu'au-dehors, l'hiver n'en finissait pas de mourir. Eymar se leva comme un ressort, appliqua un baiser sur la joue de l'adversaire qui restait interdite dans son petit fauteuil, et esquissa un sourire d'excuse.
"Navré, ma soeur, mais je ne supporte vraiment plus tout cela." Sa main décrivit un large arc de cercle en direction des voûtes dont les peintures semblaient cligner des yeux. "Tout cela. Je dois sortir pour un moment. J'irai peut-être chevaucher au bord de la mer, je ne sais pas."
Un soupir excédé, un pas en direction de la porte, et une pirouette sur le seuil. Toujours le pantin, invulnérable de souplesse et d'insouciance, même au coeur des tempêtes qui traversaient parfois son crâne de bois dur pour s'en aller ensuite, sans laisser de traces apparentes.
"Mais je reviendrai. Je reviens toujours."
~~~~~~~~
Les choses étaient moins parfaites en ville. Quel soulagement ! Il y avait de l'animation, de la folie dans l'air. A la première boutique venue, Eymar s'empara d'un chapeau fauve à large bord qui ne lui allait pas tout à fait, mais dont la plume bleuâtre fantasque et déchiquetée semblait tout droit sortie des méandres actuels de son imagination. Direction les faubourgs, les querelles, le vin presque gratuit, quoique sans goût, et le reste. Il ne passait jamais inaperçu, alors à quoi bon essayer ? Il traversa les rues tel un chariot sans conducteur, en bousculant qui bon lui semblait. A pied dans la boue du printemps naissant, agrippé à la réalité et à son chaos du mieux qu'il le pouvait, tâchant d'oublier qu'il vivait dans un immense boîte à musique et qu'il était une poupée de porcelaine.
Quelque chose bruissait dans l'air. L'énergie de la foudre, mais à toute petite dose, celle qui se communique d'un vêtement froissé au bout des doigts et y laisse une piqûre vivifiante. Et, en passant devant une taverne, il entendit qu'on récitait l'un de ses poèmes. Il était tellement à fleur de peau qu'il le trouva bancal et maladroit, et eut envie de se disputer avec quelqu'un qui s'en ferait le défenseur ; ça n'avait pas vraiment de sens, mais son âme scindée y trouverait un reflet. Le coeur en chamade, il chercha des yeux dans la foule à qui adresser son humeur débordante. Puis il changea d'avis, excédé par ses impulsions même, et se laissa tomber à une table, l'épaule appuyée contre le mur de chaux.
Il pouvait aussi composer une répartie. Mais il se devait de rester discret. Le secret de son autorat en était l'un des piments, et dans cet état d'agitation où se trouvait son âme, il ne pouvait se permettre de lui retirer l'un de ses jouets trop vite : il lui semblait qu'elle aurait chuté en essayant de le rattraper.
"A boire," cingla-t-il en pianotant sur le bord de la table. Tout le monde ici lui paraissait avachi, décharné. La récitation continuait ; il essayait de percevoir des réactions dans la salle, mais au fond il savait que son esprit était ailleurs. Pourquoi avait-il fallu qu'un innocent disparaisse dans les flammes ? Ah, Libert, mon ami, comme si c'était le seul... Comme un bon petit cheval de trait, tu as porté tes oeillères bien trop longtemps, et aujourd'hui seulement alors que l'âge s'avance, tu réalises ce que tes efforts ont transporté.
Une ode au feu, peut-être. La passion de ses idées. L'inconstance de ses actes. L'inanité de tout cela, car que reste des flammes quand elles se sont éteintes, et la cendre envolée, imprégnée dans la tête, où pousseront les arbres et les bûchers de demain ? Non, décidément il valait mieux qu'aujourd'hui il n'écrive pas. Un marchand étranger, murmuraient certains en le pointant du doigt ; d'autres l'avaient déjà vu errer et avaient leurs propres conjectures, plus élaborées. Un ou deux, peut-être, au cours de la soirée, saurait qu'il appartenait à la Cour. Celui-là, il l'épinglerait. D'une façon ou d'une autre. Il n'avait pas envie qu'on lui parle de la Cour en ce moment, il faudrait bien détourner la conversation.
"Imbéciles, c'est du théâtre qu'il vous faut, pas des comptines !" coupa-t-il au milieu d'un vers qui lui sciait les oreilles et l'esprit. "Du mouvement. De l'action. Une histoire. Une fin."
Ses poèmes n'avaient pas de fin conclusive, rien qui frappe, rien qui tranche. Ils se dissolvaient dans le néant. Ils laissaient sur la langue un goût d'inachevé qui lui donnait l'impression de parler d'outre-tombe. Mû par un de ces caprices comme il les multipliait aujourd'hui, il sauta sur la table, frappa du pied pour attirer l'attention, et entonna le dialogue d'une pièce qui circulait à l'étranger. Evidemment, ces veaux n'en auraient pas entendu parler. Eh bien, les veaux venaient ici pour boire, et il allait leur en donner pour leur argent. Personne pour lui donner la réplique ? Qu'à cela ne tienne, il interprétait les deux rôles tour à tour. Hélas, il savait à quoi ressemble un Grand Inquisiteur.
Et quant à l'aubergiste, il avait un tavernier sous les yeux à caricaturer, que ça lui plaise ou non. Pour le moment, ça le faisait rire, d'un rire un peu crispé.
"Oui, hélas... une pénurie d'hérétiques. Nous n'avons plus que de bons chrétiens dans le pays. - C'est impossible ! Un bon chrétien est forcément un pécheur ! Un pécheur est un coupable, et un coupable, ça se grille !"
Ah, qu'on vienne l'arrêter. Vraiment ! Qu'on s'essaye à cela. Son épée s'en alla chatouiller les flambeaux au mur, pour ponctuer ses propos.
"Navré, ma soeur, mais je ne supporte vraiment plus tout cela." Sa main décrivit un large arc de cercle en direction des voûtes dont les peintures semblaient cligner des yeux. "Tout cela. Je dois sortir pour un moment. J'irai peut-être chevaucher au bord de la mer, je ne sais pas."
Un soupir excédé, un pas en direction de la porte, et une pirouette sur le seuil. Toujours le pantin, invulnérable de souplesse et d'insouciance, même au coeur des tempêtes qui traversaient parfois son crâne de bois dur pour s'en aller ensuite, sans laisser de traces apparentes.
"Mais je reviendrai. Je reviens toujours."
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Les choses étaient moins parfaites en ville. Quel soulagement ! Il y avait de l'animation, de la folie dans l'air. A la première boutique venue, Eymar s'empara d'un chapeau fauve à large bord qui ne lui allait pas tout à fait, mais dont la plume bleuâtre fantasque et déchiquetée semblait tout droit sortie des méandres actuels de son imagination. Direction les faubourgs, les querelles, le vin presque gratuit, quoique sans goût, et le reste. Il ne passait jamais inaperçu, alors à quoi bon essayer ? Il traversa les rues tel un chariot sans conducteur, en bousculant qui bon lui semblait. A pied dans la boue du printemps naissant, agrippé à la réalité et à son chaos du mieux qu'il le pouvait, tâchant d'oublier qu'il vivait dans un immense boîte à musique et qu'il était une poupée de porcelaine.
Quelque chose bruissait dans l'air. L'énergie de la foudre, mais à toute petite dose, celle qui se communique d'un vêtement froissé au bout des doigts et y laisse une piqûre vivifiante. Et, en passant devant une taverne, il entendit qu'on récitait l'un de ses poèmes. Il était tellement à fleur de peau qu'il le trouva bancal et maladroit, et eut envie de se disputer avec quelqu'un qui s'en ferait le défenseur ; ça n'avait pas vraiment de sens, mais son âme scindée y trouverait un reflet. Le coeur en chamade, il chercha des yeux dans la foule à qui adresser son humeur débordante. Puis il changea d'avis, excédé par ses impulsions même, et se laissa tomber à une table, l'épaule appuyée contre le mur de chaux.
Il pouvait aussi composer une répartie. Mais il se devait de rester discret. Le secret de son autorat en était l'un des piments, et dans cet état d'agitation où se trouvait son âme, il ne pouvait se permettre de lui retirer l'un de ses jouets trop vite : il lui semblait qu'elle aurait chuté en essayant de le rattraper.
"A boire," cingla-t-il en pianotant sur le bord de la table. Tout le monde ici lui paraissait avachi, décharné. La récitation continuait ; il essayait de percevoir des réactions dans la salle, mais au fond il savait que son esprit était ailleurs. Pourquoi avait-il fallu qu'un innocent disparaisse dans les flammes ? Ah, Libert, mon ami, comme si c'était le seul... Comme un bon petit cheval de trait, tu as porté tes oeillères bien trop longtemps, et aujourd'hui seulement alors que l'âge s'avance, tu réalises ce que tes efforts ont transporté.
Une ode au feu, peut-être. La passion de ses idées. L'inconstance de ses actes. L'inanité de tout cela, car que reste des flammes quand elles se sont éteintes, et la cendre envolée, imprégnée dans la tête, où pousseront les arbres et les bûchers de demain ? Non, décidément il valait mieux qu'aujourd'hui il n'écrive pas. Un marchand étranger, murmuraient certains en le pointant du doigt ; d'autres l'avaient déjà vu errer et avaient leurs propres conjectures, plus élaborées. Un ou deux, peut-être, au cours de la soirée, saurait qu'il appartenait à la Cour. Celui-là, il l'épinglerait. D'une façon ou d'une autre. Il n'avait pas envie qu'on lui parle de la Cour en ce moment, il faudrait bien détourner la conversation.
"Imbéciles, c'est du théâtre qu'il vous faut, pas des comptines !" coupa-t-il au milieu d'un vers qui lui sciait les oreilles et l'esprit. "Du mouvement. De l'action. Une histoire. Une fin."
Ses poèmes n'avaient pas de fin conclusive, rien qui frappe, rien qui tranche. Ils se dissolvaient dans le néant. Ils laissaient sur la langue un goût d'inachevé qui lui donnait l'impression de parler d'outre-tombe. Mû par un de ces caprices comme il les multipliait aujourd'hui, il sauta sur la table, frappa du pied pour attirer l'attention, et entonna le dialogue d'une pièce qui circulait à l'étranger. Evidemment, ces veaux n'en auraient pas entendu parler. Eh bien, les veaux venaient ici pour boire, et il allait leur en donner pour leur argent. Personne pour lui donner la réplique ? Qu'à cela ne tienne, il interprétait les deux rôles tour à tour. Hélas, il savait à quoi ressemble un Grand Inquisiteur.
Et quant à l'aubergiste, il avait un tavernier sous les yeux à caricaturer, que ça lui plaise ou non. Pour le moment, ça le faisait rire, d'un rire un peu crispé.
"Oui, hélas... une pénurie d'hérétiques. Nous n'avons plus que de bons chrétiens dans le pays. - C'est impossible ! Un bon chrétien est forcément un pécheur ! Un pécheur est un coupable, et un coupable, ça se grille !"
Ah, qu'on vienne l'arrêter. Vraiment ! Qu'on s'essaye à cela. Son épée s'en alla chatouiller les flambeaux au mur, pour ponctuer ses propos.
Eymar Sartyre- Fiche perso : Ma vie, mon oeuvre
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Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
Les regards s’étaient tournés vers ce curieux histrion qui déclamait des tirades au parfum de souffre, dont celui aux yeux bridés du jeune androgyne qui ne s’attendait certes pas à retrouver dans cette taverne des mots qu’il avait écrit pour un prince djerdanien ayant la religion catholique en horreur. On entendit quelques sifflements, des bruissements de voix, et on vit les esprits accrocher des éclats de curiosité aux prunelles des spectateurs avides d’oublier leur ordinaire.
Hibiki, lui, connaissait la suite. Chaque mot était gravé dans sa mémoire, ainsi que les milles intonations différentes avec lesquelles ils avaient été prononcés par les comédiens lors des répétitions qui avaient accouché cette représentation unique pour un public trié sur le volet au palais du prince Narendra. Que cherchait donc ce jeune fou, à remuer les braises du mécontentement populaire avec le tison de paroles incendiaires ?
« Et tu sais de quoi tu parles, négrot. Paraît que même si on vous grille, ça servirait même pas à vous purifier vu qu’vous avez pas d’âme ! » ricana un homme accoudé au comptoir. La controverse de Valladolid et la bénédiction du Pape à asservir les païens, ainsi que l’intense traite négrière avaient marqué les esprits. Si beaucoup n’avaient pas prêté un grand intérêt à des débats de théologiens, ils avaient retenu le « principal » : les noirs étaient des païens et des êtres sans âmes et tuer l’un d’entre eux n’était pas plus grave que d’abattre une bête sauvage.
« Le noir de ma peau reflète le noir de votre âme, celle que vous me refusez dans votre très haute charité chrétienne. La plume qui orne mon chapeau s’abreuvera du sang de l’un de nous deux ; encre de velours pour un chant de liberté, triste sire mal emplumé. Qu’il puisse atteindre les plus hautes cimes et s’épanouir sous des cieux débarrassé de vos prophètes et de votre dieu. » écrivait Hibiki (en hiragana) dans son carnet, mû par une inspiration soudaine. Pendant ce temps, d’autres n’attendaient pas pour donner la réplique au raciste de comptoir.
- « Faut croire que tous nos esclaves sont des païens alors. Bizarre que certains soient aussi blancs que vous et moi. »
-Parce que les zakrotiens sont de bons chrétiens p’tet ?
-Si les païens ont pas d’âme, alors pourquoi certains se convertissent, hein ?
-Tu s’rais pas en train de remettre en cause l’esclavage et la parole du pape par hasard ?
-Et si j’le faisais, tu dirais quoi ?
-J’dirais que la prévôté serait contente d’entendre ça.
-Les gars, on a un vendu. »
Hibiki, lui, connaissait la suite. Chaque mot était gravé dans sa mémoire, ainsi que les milles intonations différentes avec lesquelles ils avaient été prononcés par les comédiens lors des répétitions qui avaient accouché cette représentation unique pour un public trié sur le volet au palais du prince Narendra. Que cherchait donc ce jeune fou, à remuer les braises du mécontentement populaire avec le tison de paroles incendiaires ?
« Et tu sais de quoi tu parles, négrot. Paraît que même si on vous grille, ça servirait même pas à vous purifier vu qu’vous avez pas d’âme ! » ricana un homme accoudé au comptoir. La controverse de Valladolid et la bénédiction du Pape à asservir les païens, ainsi que l’intense traite négrière avaient marqué les esprits. Si beaucoup n’avaient pas prêté un grand intérêt à des débats de théologiens, ils avaient retenu le « principal » : les noirs étaient des païens et des êtres sans âmes et tuer l’un d’entre eux n’était pas plus grave que d’abattre une bête sauvage.
« Le noir de ma peau reflète le noir de votre âme, celle que vous me refusez dans votre très haute charité chrétienne. La plume qui orne mon chapeau s’abreuvera du sang de l’un de nous deux ; encre de velours pour un chant de liberté, triste sire mal emplumé. Qu’il puisse atteindre les plus hautes cimes et s’épanouir sous des cieux débarrassé de vos prophètes et de votre dieu. » écrivait Hibiki (en hiragana) dans son carnet, mû par une inspiration soudaine. Pendant ce temps, d’autres n’attendaient pas pour donner la réplique au raciste de comptoir.
- « Faut croire que tous nos esclaves sont des païens alors. Bizarre que certains soient aussi blancs que vous et moi. »
-Parce que les zakrotiens sont de bons chrétiens p’tet ?
-Si les païens ont pas d’âme, alors pourquoi certains se convertissent, hein ?
-Tu s’rais pas en train de remettre en cause l’esclavage et la parole du pape par hasard ?
-Et si j’le faisais, tu dirais quoi ?
-J’dirais que la prévôté serait contente d’entendre ça.
-Les gars, on a un vendu. »
Hibiki- Fiche perso : Attention, l'abus d'alcool est dangereux pour la santé.
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Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
Il n’était pas simple, debout en hauteur au milieu du vide, de singer un individu lourdement avachi contre une masse de bois bien ancrée dans le sol. Eymar avait tout de même un certain art pour se positionner dans l’espace. Il s’accouda à son tour sur un support imaginaire, provoquant quelques éclats de rire : ce n’était pas très difficile de voir de qui il se faisait la caricature. Et cette caricature d’apostropher le saint personnage dont il avait endossé la dédaigneuse autorité l’instant d’avant :
« Monseigneur, tant que vous êtes là, une humble question, » lança-t-il en s’appliquant à imiter la voix, la diction ainsi que l’accent du brave abruti. Puisque accent était mis sur ses propres particularités, il ne voyait aucun scrupule à répliquer avec la même mesquinerie de bas étage. « Comment purifie-t-on celui qui n'a point d'âme ? Notre Seigneur a bien dû y penser. »
Pirouette, retour à l’inquisiteur, stature imposante, componction affichée : « En l’absence d’âme, mon brave homme, le corps peut être purifié. Comme peut l’être un objet, un lieu, l’épée d’un saint, le site d’une cathédrale. »
Demi-tour et bouche béante, surprise candide, avidité à s’imprégner de la sagesse ecclésiastique. « Je n’y songeais point. Par quelle méthode purifie-t-on un corps, Monseigneur ? »
Demi-tour et ricanement plein de morgue. « Mais par l’amour. N’avez-vous rien appris de Notre Saint Livre ? C’est en faisant l’amour à sa femme que l’on sanctifie notre union. C’est en faisant l’amour aux femmes des terres lointaines que l’on conquiert pour le Christ. »
« J’ai même entendu dire qu’au séminaire... »
« Suffit. Vous m’avez compris. »
Petit moment de malaise. L’assistance semble apprécier. Cependant, en contrebas, le mauvais plaisant passe un autre genre de quart d’heure inconfortable ; il se trouve dans cette auberge miteuse une sympathique compagnie décidée à chercher querelle, elle aussi. Fort bien, le feu prendra de divers points de la salle, à moins qu’ils ne se rejoignent tout à coup ? Par miracle, un envol par exemple. Eymar, reprenant son jeu pour imiter son adversaire verbal, saute de la table et traverse la salle à pas lents et patauds, feignant un début d’ivresse.
« Mais Monseigneur… Ne puis-je me contenter d’une danse et d’un baiser ? C’est que ces physionomies ténébreuses m’inspirent quelque... appréhension. »
Il trébuche, traverse le cordon de mécontents, atterrit nez à nez avec le vilain drôle. Pas forcément vilain en soi, juste de mauvais poil, c’est très bien, ils sont deux. Un sourire diabolique apparaît sur son visage avant qu’il ne se retransforme en grand prêtre, et n’étende la main sur la foule pour la bénir ; on croirait qu’il saupoudre des étincelles de rire.
« Soit, mon fils. Une danse et deux baisers, l’un avant et l’autre après, un Pater et un Avé, à vous ! »
Le baiser sonne comme un soufflet, nul dans la salle n’a pu en perdre miette, pas même ceux qui n’en voyaient rien. Et surtout pas celui qui ne l’avait clairement pas mérité.
« Monseigneur, tant que vous êtes là, une humble question, » lança-t-il en s’appliquant à imiter la voix, la diction ainsi que l’accent du brave abruti. Puisque accent était mis sur ses propres particularités, il ne voyait aucun scrupule à répliquer avec la même mesquinerie de bas étage. « Comment purifie-t-on celui qui n'a point d'âme ? Notre Seigneur a bien dû y penser. »
Pirouette, retour à l’inquisiteur, stature imposante, componction affichée : « En l’absence d’âme, mon brave homme, le corps peut être purifié. Comme peut l’être un objet, un lieu, l’épée d’un saint, le site d’une cathédrale. »
Demi-tour et bouche béante, surprise candide, avidité à s’imprégner de la sagesse ecclésiastique. « Je n’y songeais point. Par quelle méthode purifie-t-on un corps, Monseigneur ? »
Demi-tour et ricanement plein de morgue. « Mais par l’amour. N’avez-vous rien appris de Notre Saint Livre ? C’est en faisant l’amour à sa femme que l’on sanctifie notre union. C’est en faisant l’amour aux femmes des terres lointaines que l’on conquiert pour le Christ. »
« J’ai même entendu dire qu’au séminaire... »
« Suffit. Vous m’avez compris. »
Petit moment de malaise. L’assistance semble apprécier. Cependant, en contrebas, le mauvais plaisant passe un autre genre de quart d’heure inconfortable ; il se trouve dans cette auberge miteuse une sympathique compagnie décidée à chercher querelle, elle aussi. Fort bien, le feu prendra de divers points de la salle, à moins qu’ils ne se rejoignent tout à coup ? Par miracle, un envol par exemple. Eymar, reprenant son jeu pour imiter son adversaire verbal, saute de la table et traverse la salle à pas lents et patauds, feignant un début d’ivresse.
« Mais Monseigneur… Ne puis-je me contenter d’une danse et d’un baiser ? C’est que ces physionomies ténébreuses m’inspirent quelque... appréhension. »
Il trébuche, traverse le cordon de mécontents, atterrit nez à nez avec le vilain drôle. Pas forcément vilain en soi, juste de mauvais poil, c’est très bien, ils sont deux. Un sourire diabolique apparaît sur son visage avant qu’il ne se retransforme en grand prêtre, et n’étende la main sur la foule pour la bénir ; on croirait qu’il saupoudre des étincelles de rire.
« Soit, mon fils. Une danse et deux baisers, l’un avant et l’autre après, un Pater et un Avé, à vous ! »
Le baiser sonne comme un soufflet, nul dans la salle n’a pu en perdre miette, pas même ceux qui n’en voyaient rien. Et surtout pas celui qui ne l’avait clairement pas mérité.
Eymar Sartyre- Fiche perso : Ma vie, mon oeuvre
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Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
Un baiser qui mit le feu aux poudres. Contrairement à nos cousins les bonobos, il se trouve des personnages pour qui l’union de deux lèvres, en particulier quand elles appartiennent à des personnes de même sexe, représente une offense insoutenable.
« Sale pédé ! J’vais t’apprendre moi à oser m’toucher ! » rugit le mauvais plaisant en agrippant Eymar par le col de son vêtement pendant que Hibiki se demandait si ce jeune inconscient cherchait à se faire tuer. C’eût été une regrettable perte, ce garçon avait le sens de la répartie et l’acteur de Kabuki l’aurait bien rallié à la troupe de talents variés qu’il cherchait à créer, s’il ne faisait pas déjà partie de quelque autre compagnie. Le jeune homme à la peau d’ébène lui rappelait quelque peu Marlowe. Ah, ces gens de théâtre, tous les même… ! songeait-il, frappé d’amnésie temporaire en oubliant que lui-même faisait précisément partie de cette espèce bizarre, histrions en mal d’attention, esclaves des bons plaisirs d’une société qu’ils jaugeaient d’un œil supérieur tout en lui mendiant leur pitance. En cet instant néanmoins, le comédien nippon se faisait particulièrement discret dans son haori noir tel corbeau guettant avec gourmandise les futurs morts d’un champ de bataille. Non pour s’en repaître, notez bien, malgré ses récentes plaisanteries envers un enfant trop naïf pour lui faire accroire que son peuple était cannibale. Disons plutôt qu’il aimait se faire spectateur de certaines scènes de vie qui, pour certaines, n’avaient rien à envier à celles bien réglées qu’on jouait sur les planches.
« Au bûcher le sodomite ! » beugle un autre soûlard, rejoint par quelques autres ivrognes réclamant les flammes.
« Vous voulez du feu ? Z’avez qu’à aller en Espagne ! Nous ici, on en a ras le cul de Sa Majesté l’Infante qui voudrait faire cramer tous ceux qui pensent pas comme elle. »
-P’tet qu’elle aime allumer les hérétiques... parce qu’elle a l’feu au cul ! » lance un génie de l’humour, déclenchant une vague d’hilarité qui aurait pu être générale si elle n’avait dû partager l’opinion de la salle avec un mécontentement outré des gars les plus respectueux de la royauté.
BASTOOOOOOOOOOON!!! lance un mec, et c’est le branle bas de combat. Les lanceurs de pinte vide saisissent leur arme, certains attrapent leur chaise et la soulève comme une lance, d’autres font valdinguer les tables, les plus courageux se planquent ou s’enfuient, dont Hibiki qui fait une cabriole et passe derrière le comptoir cause qu’il est plus doué pour trancher dans le vif avec un katana que pour le pugilat désorganisé. Il jeta un œil par dessus le rade et vit un homme glisser dans une flaque de bière et atterrir tête la première sur le genou d’un autre avant de s’affaler au sol. Ouch !
« Pas très propret chez vous.» plaisanta le nigaud aux yeux bridés à l’adresse du tavernier.
« He ben t’as qu’à aller nettoyer ! » Et le tôlier de l’attraper et de le balancer vers la mêlée où il se retrouva nez à nez avec l’allumeur. Allumeur de mèche, bien sûr.
« Heu… bonsoir ?»
« Sale pédé ! J’vais t’apprendre moi à oser m’toucher ! » rugit le mauvais plaisant en agrippant Eymar par le col de son vêtement pendant que Hibiki se demandait si ce jeune inconscient cherchait à se faire tuer. C’eût été une regrettable perte, ce garçon avait le sens de la répartie et l’acteur de Kabuki l’aurait bien rallié à la troupe de talents variés qu’il cherchait à créer, s’il ne faisait pas déjà partie de quelque autre compagnie. Le jeune homme à la peau d’ébène lui rappelait quelque peu Marlowe. Ah, ces gens de théâtre, tous les même… ! songeait-il, frappé d’amnésie temporaire en oubliant que lui-même faisait précisément partie de cette espèce bizarre, histrions en mal d’attention, esclaves des bons plaisirs d’une société qu’ils jaugeaient d’un œil supérieur tout en lui mendiant leur pitance. En cet instant néanmoins, le comédien nippon se faisait particulièrement discret dans son haori noir tel corbeau guettant avec gourmandise les futurs morts d’un champ de bataille. Non pour s’en repaître, notez bien, malgré ses récentes plaisanteries envers un enfant trop naïf pour lui faire accroire que son peuple était cannibale. Disons plutôt qu’il aimait se faire spectateur de certaines scènes de vie qui, pour certaines, n’avaient rien à envier à celles bien réglées qu’on jouait sur les planches.
« Au bûcher le sodomite ! » beugle un autre soûlard, rejoint par quelques autres ivrognes réclamant les flammes.
« Vous voulez du feu ? Z’avez qu’à aller en Espagne ! Nous ici, on en a ras le cul de Sa Majesté l’Infante qui voudrait faire cramer tous ceux qui pensent pas comme elle. »
-P’tet qu’elle aime allumer les hérétiques... parce qu’elle a l’feu au cul ! » lance un génie de l’humour, déclenchant une vague d’hilarité qui aurait pu être générale si elle n’avait dû partager l’opinion de la salle avec un mécontentement outré des gars les plus respectueux de la royauté.
BASTOOOOOOOOOOON!!! lance un mec, et c’est le branle bas de combat. Les lanceurs de pinte vide saisissent leur arme, certains attrapent leur chaise et la soulève comme une lance, d’autres font valdinguer les tables, les plus courageux se planquent ou s’enfuient, dont Hibiki qui fait une cabriole et passe derrière le comptoir cause qu’il est plus doué pour trancher dans le vif avec un katana que pour le pugilat désorganisé. Il jeta un œil par dessus le rade et vit un homme glisser dans une flaque de bière et atterrir tête la première sur le genou d’un autre avant de s’affaler au sol. Ouch !
« Pas très propret chez vous.» plaisanta le nigaud aux yeux bridés à l’adresse du tavernier.
« He ben t’as qu’à aller nettoyer ! » Et le tôlier de l’attraper et de le balancer vers la mêlée où il se retrouva nez à nez avec l’allumeur. Allumeur de mèche, bien sûr.
« Heu… bonsoir ?»
Hibiki- Fiche perso : Attention, l'abus d'alcool est dangereux pour la santé.
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Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
Les sons d’une taverne en pleine échauffourée avaient une certaine qualité musicale, un rythme déconstruit tout à fait entraînant, qui donnait envie d’y ajouter son grain de sel en cassant quelques pots, têtes et autres tabourets. Eymar était dans son élément sur les lits profonds et parfumés que drapent de semi-pudiques baldaquins, il l’était tout autant dans cette ambiance palpitante où les rubans étaient des projections sanguines, les taureaux, des bipèdes, et les spectateurs sur les gradins, des têtes d’animaux empaillés qui trônaient au long des murs.
Il s’amusait comme un petit fou, quand il se retrouva face à un visage qu’il n’attendait pas. Un joli petit masque aux yeux d’écureuil étonné, délicat comme celui d’un enfant ou d’une princesse. Une hallucination, probablement. Il n’avait pourtant presque rien bu !
« Bonsoir, » répondit-il avant de donner un nouveau baiser, « distribution gratuite ! »
Alors qu’il entraînait l’apparition dans un pas de danse qui esquivait les lancers, les coups et autres croche-patte, un sinistre personnage tout en noir appuyé au mur suivait les événements d’un œil sombre, en caressant la tête de son chien, suffisamment comparable à un loup pour que personne ne s’en approche. Il n’en pensait pas moins. Décidément, il se distribuait beaucoup trop de mignardises ce soir à son goût. Pas de quoi beugler comme un porc ou donner des coups, c’était bon pour ces imbéciles apeurés, qu’il dédaignait tout autant que les joyeux extravertis qui attiraient toutes les attentions.
Après quelques tours de piste au sein de ce bal improvisé, Eymar trébucha sur le loup à la renverse, se raccrocha à son frêle cavalier et, un peu exprès, l’entraîna dans sa chute. Les mâchoires claquèrent à quelques centimètres de sa jambe, qui en avait vu bien d’autres et ne se formalisa pas. Et ils atterrirent sous la table, dans un calme relatif.
« Je m’appelle Eymar, et je n’ai pas de métier honnête, » sourit le courtisan. « Et vous ? »
Le loup s’aplatit à terre aux pieds de son maître, à moins que ce ne soit une association basée sur des termes d’égalité, et les garda à l’oeil. On ne savait jamais ce qui pouvait se passer sous une table, tandis qu’une salle entière échangeait des opinions politiques et des plaisanteries spirituelles. Les salons mondains, on savait ce que ça donnait, passée une certaine heure. On se réunissait pour les échanges culturels et on terminait la nuit en ayant échangé bien davantage. Cette soirée n’était pas très appropriée pour échanger des vêtements, en tout cas ; c’était bien dommage, si Eymar avait su, il serait sorti plus apprêté.
« Oh, et toutes mes excuses, j’étais malheureux aujourd’hui, j’avais besoin de scandale. »
Il s’amusait comme un petit fou, quand il se retrouva face à un visage qu’il n’attendait pas. Un joli petit masque aux yeux d’écureuil étonné, délicat comme celui d’un enfant ou d’une princesse. Une hallucination, probablement. Il n’avait pourtant presque rien bu !
« Bonsoir, » répondit-il avant de donner un nouveau baiser, « distribution gratuite ! »
Alors qu’il entraînait l’apparition dans un pas de danse qui esquivait les lancers, les coups et autres croche-patte, un sinistre personnage tout en noir appuyé au mur suivait les événements d’un œil sombre, en caressant la tête de son chien, suffisamment comparable à un loup pour que personne ne s’en approche. Il n’en pensait pas moins. Décidément, il se distribuait beaucoup trop de mignardises ce soir à son goût. Pas de quoi beugler comme un porc ou donner des coups, c’était bon pour ces imbéciles apeurés, qu’il dédaignait tout autant que les joyeux extravertis qui attiraient toutes les attentions.
Après quelques tours de piste au sein de ce bal improvisé, Eymar trébucha sur le loup à la renverse, se raccrocha à son frêle cavalier et, un peu exprès, l’entraîna dans sa chute. Les mâchoires claquèrent à quelques centimètres de sa jambe, qui en avait vu bien d’autres et ne se formalisa pas. Et ils atterrirent sous la table, dans un calme relatif.
« Je m’appelle Eymar, et je n’ai pas de métier honnête, » sourit le courtisan. « Et vous ? »
Le loup s’aplatit à terre aux pieds de son maître, à moins que ce ne soit une association basée sur des termes d’égalité, et les garda à l’oeil. On ne savait jamais ce qui pouvait se passer sous une table, tandis qu’une salle entière échangeait des opinions politiques et des plaisanteries spirituelles. Les salons mondains, on savait ce que ça donnait, passée une certaine heure. On se réunissait pour les échanges culturels et on terminait la nuit en ayant échangé bien davantage. Cette soirée n’était pas très appropriée pour échanger des vêtements, en tout cas ; c’était bien dommage, si Eymar avait su, il serait sorti plus apprêté.
« Oh, et toutes mes excuses, j’étais malheureux aujourd’hui, j’avais besoin de scandale. »
Eymar Sartyre- Fiche perso : Ma vie, mon oeuvre
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Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
Pendant que la diligence des bisous s’arrêtait sur sa bouche, comme si chaque paire de babines représentait un arrêt de poste pour l’homme aux lèvres en feu, tombait sur eux l’œil réprobateur d’un étrange personnage.Il fallait avoir un curieux tempérament pour rester planté là avec un loup à ses pieds telle une incarnation du Mépris fait statue vivante, affichant sur sa figure la haute désapprobation de tout ceci. Peut-être un homme qui souhaitait simplement boire une pinte dans un calme relatif, calme qui semblait pour le moment impossible à rétablir tant les joyeux hurluberlus de ce bouge s’empoignaient à bras le corps dans une salsa du démon enragée. Un homme que la frêle créature japonaise eut à peine le temps d’apercevoir entre deux pas de danse avant de se retrouver sous la table avec son récent cavalier.
« Les autres m’appellent Hibiki. Quant à moi, je m’appelle un peu moins.»
répondit le faux castrat avec son curieux accent, repensant à Tristan, le délicat lanceur de couteaux en fauteuil roulant qu’il avait rencontré sur le port lors de son arrivée et auquel il avait fait une remarque relativement similaire. Un autre artiste talentueux avec lequel il se réjouissait de collaborer prochainement. Il avait déjà une pièce en tête, écrite en Angleterre durant son long séjour en Albion, et qu’il espérait faire traduire avec discrétion en monbrinien sans éventer pour autant l’identité de son auteur. Il songeait à Tristan pour l’intermède entre deux actes, une danse aux couteaux effectuée sur une poésie… Si seulement il avait eu connaissance de la personne qui avait écrit les vers entendu plus tôt dans la soirée et avait pu lui commander un poème pour l’occasion ! Il y aurait eu de la grâce à voir voltiger les lames du petit invalide sur un fil de mots brodés en délicates rimes.
« J’exerce très honnêtement mon métier de comédien, que votre église considère comme une occupation malhonnête. D’ailleurs, vu votre talent, j’aurais bien une proposition à vous faire... »
Et voilà, on fait quelques pas de danse, et on se retrouve à faire des propositions allongé sur le plancher ! Quant au besoin de scandale, il ne se sentait pas assez intime pour demander s’il s’agissait d’une manœuvre de diversion volontaire de la part d’un filou ou d’une impérieuse nécessité émotionnelle.
Sur ces entrefaites arriva un grand échalas à la chevelure de feu qui eut le bonheur de pouvoir ouvrir la porte sans qu’une assiette ne lui arrive en plein dans la figure. La surprise laissa rapidement place à une intense contrariété qui s’afficha brièvement sur sa figure taillée au couteau avant de céder la place à son tour sur ce drôle de visage à un air fermement résolu. Le grand rouquin enjamba un corps, longea un mur, se trouva momentanément écrasé par deux énergumènes pour lesquels il amortit la rudesse du choc un peu plus agréablement que le pan minéral que lui-même reçut de plein fouet et se dégagea sans même songer à se plaindre. Enfin il atteignit l’homme au loup, le seul qui semblait avoir conservé un brin de raison dans le chaos ambiant.
«J’ai votre commande. »
« Les autres m’appellent Hibiki. Quant à moi, je m’appelle un peu moins.»
répondit le faux castrat avec son curieux accent, repensant à Tristan, le délicat lanceur de couteaux en fauteuil roulant qu’il avait rencontré sur le port lors de son arrivée et auquel il avait fait une remarque relativement similaire. Un autre artiste talentueux avec lequel il se réjouissait de collaborer prochainement. Il avait déjà une pièce en tête, écrite en Angleterre durant son long séjour en Albion, et qu’il espérait faire traduire avec discrétion en monbrinien sans éventer pour autant l’identité de son auteur. Il songeait à Tristan pour l’intermède entre deux actes, une danse aux couteaux effectuée sur une poésie… Si seulement il avait eu connaissance de la personne qui avait écrit les vers entendu plus tôt dans la soirée et avait pu lui commander un poème pour l’occasion ! Il y aurait eu de la grâce à voir voltiger les lames du petit invalide sur un fil de mots brodés en délicates rimes.
« J’exerce très honnêtement mon métier de comédien, que votre église considère comme une occupation malhonnête. D’ailleurs, vu votre talent, j’aurais bien une proposition à vous faire... »
Et voilà, on fait quelques pas de danse, et on se retrouve à faire des propositions allongé sur le plancher ! Quant au besoin de scandale, il ne se sentait pas assez intime pour demander s’il s’agissait d’une manœuvre de diversion volontaire de la part d’un filou ou d’une impérieuse nécessité émotionnelle.
Sur ces entrefaites arriva un grand échalas à la chevelure de feu qui eut le bonheur de pouvoir ouvrir la porte sans qu’une assiette ne lui arrive en plein dans la figure. La surprise laissa rapidement place à une intense contrariété qui s’afficha brièvement sur sa figure taillée au couteau avant de céder la place à son tour sur ce drôle de visage à un air fermement résolu. Le grand rouquin enjamba un corps, longea un mur, se trouva momentanément écrasé par deux énergumènes pour lesquels il amortit la rudesse du choc un peu plus agréablement que le pan minéral que lui-même reçut de plein fouet et se dégagea sans même songer à se plaindre. Enfin il atteignit l’homme au loup, le seul qui semblait avoir conservé un brin de raison dans le chaos ambiant.
«J’ai votre commande. »
Hibiki- Fiche perso : Attention, l'abus d'alcool est dangereux pour la santé.
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Feuille de personnage
Inventaire et / ou réputation:
Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
« Comédien ! Comme c’est charmant ! »
Eymar s’installa confortablement, sa joue calée dans la paume de sa main, et se perdit dans la contemplation du petit théâtre de pieds, d’objets renversés et de corps évanouis qui roulait autour d’eux, comme s’ils étaient deux poissons tapis sagement dans le fond d’une rivière en crue.
« Inventez-moi donc une pièce avec... » Son regard sauta en direction des étranges personnages plaqués contre le mur, seuls immobiles dans ce chaos, puis revint se délecter de la physionomie de Hibiki – dont il n’aurait pas osé dresser le compliment de manière inconsidérée ; il n’en savait pas suffisamment à son sujet. Quelque chose d’enfantin sans l’être, qui le faisait tiquer. Peut-être une sorte d’elfe tombé d’un arbre à lucioles par une nuit de lune rousse. A propos de rousse, l’illumination lui vint tout à coup.
« Avec un loup, un renard, et une belette, » acheva-t-il en pointant l’index sur le petit nez de sa nouvelle connaissance. « En échange, demandez-moi ce que vous voudrez. »
Ainsi propulsé au statut de mécène – ou de gigolo, ou un peu des deux – il sourit largement, certain qu’il allait avoir droit à quelque chose de tout à fait divertissant, quoi que ce soit. Même une gifle l’aurait diverti. Le reste n’était plus que bruit de fond. Il avait toujours trouvé quelque chose de très symphonique à la rumeur des champs de bataille. Il était à l’origine de ce chaos, qui se serait peut-être déclenché sans lui, à vrai dire, mais on l’avait oublié.
De son côté, le loup suivait des yeux avec un intérêt renouvelé, mais sans bienveillance aucune, quelques-uns des bagarreurs. Son maître le retint par un épais collier de cuir et de clous qui entourait son col, à la façon des chiens de guerre que les peuples antiques menaient à la bataille et abreuvaient du sang de leurs ennemis. Le moment n’était pas du tout propice ; les meneurs de loups étaient assez souvent soupçonnés d’endosser la pelisse de leur étrange troupeau à la pleine lune. Rien ne servait d’aggraver cette réputation par défaut en se livrant à quelque assassinat sanglant au beau milieu d’une taverne bondée. Plus tard, dehors. Dans l’ombre. Telle était la promesse que sa caresse discrète communiquait à l’animal farouche.
« Vos côtes sont au complet ? » demanda-t-il ensuite d’un air faussement distrait, sans regarder l’échalas aux cheveux rouges ; autre raison de finir sur un bûcher, soit dit en passant. « Mon ami suit ce mauvais plaisant des yeux. Nous lui ferons un sort, en son temps. »
Sa main gantée de noir se tendit pour réceptionner l’objet apporté. En apparence, un petit livre carré qui aurait pu être la Sainte Bible, mais qui était en réalité une imitation, un boîtier de cuir hermétique ; et Dieu sait, ou pas, ce qu’il recelait, mais ce n’était pas une substance sans dangers, car l’homme au loup prit soin de ne pas retourner l’objet en le rangeant soigneusement sous sa cape. Puis il coula enfin un regard appuyé en direction de son complice, comme pour lui demander combien il lui devait, ou peut-être s’il avait été facile de se procurer l’objet ; ou toute autre interrogation comme il en circule en silence entre les criminels qui se connaissent trop bien.
Eymar s’installa confortablement, sa joue calée dans la paume de sa main, et se perdit dans la contemplation du petit théâtre de pieds, d’objets renversés et de corps évanouis qui roulait autour d’eux, comme s’ils étaient deux poissons tapis sagement dans le fond d’une rivière en crue.
« Inventez-moi donc une pièce avec... » Son regard sauta en direction des étranges personnages plaqués contre le mur, seuls immobiles dans ce chaos, puis revint se délecter de la physionomie de Hibiki – dont il n’aurait pas osé dresser le compliment de manière inconsidérée ; il n’en savait pas suffisamment à son sujet. Quelque chose d’enfantin sans l’être, qui le faisait tiquer. Peut-être une sorte d’elfe tombé d’un arbre à lucioles par une nuit de lune rousse. A propos de rousse, l’illumination lui vint tout à coup.
« Avec un loup, un renard, et une belette, » acheva-t-il en pointant l’index sur le petit nez de sa nouvelle connaissance. « En échange, demandez-moi ce que vous voudrez. »
Ainsi propulsé au statut de mécène – ou de gigolo, ou un peu des deux – il sourit largement, certain qu’il allait avoir droit à quelque chose de tout à fait divertissant, quoi que ce soit. Même une gifle l’aurait diverti. Le reste n’était plus que bruit de fond. Il avait toujours trouvé quelque chose de très symphonique à la rumeur des champs de bataille. Il était à l’origine de ce chaos, qui se serait peut-être déclenché sans lui, à vrai dire, mais on l’avait oublié.
De son côté, le loup suivait des yeux avec un intérêt renouvelé, mais sans bienveillance aucune, quelques-uns des bagarreurs. Son maître le retint par un épais collier de cuir et de clous qui entourait son col, à la façon des chiens de guerre que les peuples antiques menaient à la bataille et abreuvaient du sang de leurs ennemis. Le moment n’était pas du tout propice ; les meneurs de loups étaient assez souvent soupçonnés d’endosser la pelisse de leur étrange troupeau à la pleine lune. Rien ne servait d’aggraver cette réputation par défaut en se livrant à quelque assassinat sanglant au beau milieu d’une taverne bondée. Plus tard, dehors. Dans l’ombre. Telle était la promesse que sa caresse discrète communiquait à l’animal farouche.
« Vos côtes sont au complet ? » demanda-t-il ensuite d’un air faussement distrait, sans regarder l’échalas aux cheveux rouges ; autre raison de finir sur un bûcher, soit dit en passant. « Mon ami suit ce mauvais plaisant des yeux. Nous lui ferons un sort, en son temps. »
Sa main gantée de noir se tendit pour réceptionner l’objet apporté. En apparence, un petit livre carré qui aurait pu être la Sainte Bible, mais qui était en réalité une imitation, un boîtier de cuir hermétique ; et Dieu sait, ou pas, ce qu’il recelait, mais ce n’était pas une substance sans dangers, car l’homme au loup prit soin de ne pas retourner l’objet en le rangeant soigneusement sous sa cape. Puis il coula enfin un regard appuyé en direction de son complice, comme pour lui demander combien il lui devait, ou peut-être s’il avait été facile de se procurer l’objet ; ou toute autre interrogation comme il en circule en silence entre les criminels qui se connaissent trop bien.
Eymar Sartyre- Fiche perso : Ma vie, mon oeuvre
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Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
« Un loup, un renard et une belette… voyons... »
Il s’allongea sur le dos, laissant sa chevelure d’ébène côtoyer ce sol même dont il dénonçait le manque de propreté quelques instants plus tôt. Certes, son étrange voisin n’avait pas précisé quand il souhaitait cette pièce, mais il semblait à Hibiki qu’il désirait l’entendre de suite. Son regard se perdit dans les nœuds du bois dont était composée la grande table rectangulaire qui leur servait actuellement de cachette, cherchant peut-être parmi eux les nœuds de l’histoire à composer tandis que celui du semeur de pagaille étudiait sa physionomie sans qu’il ne s’en formalise, habitué à la curiosité que déclenchaient les membres de son ambassade sur ces créatures de l’autre bout du monde.
« Figurez-vous un décor fait de hautes montagnes escarpées, aux crêtes saupoudrées de neige éternelle et protégeant par endroits, à l’abri de leurs flancs de pierre, des pins solitaires. Parfois un ruisseau ou une cascade pour faire entendre son chant de perles liquide où viennent boire les bêtes sauvages des environs. Et, de loin en loin, un petit village niché au creux d’une vallée assez clémente pour y abriter la vie. Dans ces montagnes vivaient un loup, un renard et une belette. Mais attention, il ne s’agissait pas de vulgaires animaux, non. Tous trois étaient des créatures surnaturelles dotées de grands pouvoirs. Le loup pouvait d’un seul regard savoir si le cœur d’un homme penchait du côté du mal ou du bien et appliquer aussitôt sa sentence ; la belette formait avec deux autres comparses de son espèce le kamaitachi, prélevant en un instant une part de chair sur d’infortunés voyageurs tout en les soignant aussitôt grâce à sa salive, les laissant perclus de douleur mais sans blessures apparentes ; quant au renard, il s’agissait d’un kitsune, créature mythique à neuf queues et au blanc pelage disposant d’immenses dons, capable qu’il était de se métamorphoser ou de contrôler l’esprit de ses victimes afin de les plonger dans un monde d’illusions.
Le loup et le kitsune en particulier étaient craints autant que révérés par les humains, qui leur élevaient des temples où étaient déposées des offrandes à leur intention, ou encore dressaient des statues à leur effigie. Les hommes espéraient les bienfaits qu’ils pouvaient dispenser tout en redoutant leur colère. Tous trois vivaient dans la montagne et se rencontraient parfois pour échanger sur les nouvelles du monde des esprits ou se raconter leurs dernières aventures. Ce soir là justement, ils s’étaient réunis autour d’un feu que le kitsune avait créé en frottant ses queues entre elles et il leur narrait son voyage au sanctuaire d’Ôji dédié à Inari, dieu du riz entre autres, ainsi que la procession des renards en l’honneur de leur divinité tutélaire.
(En aparté : Je n’aurais pas été cantonné à un dessous de table, je vous aurais fait une danse mimant la procession des renards, accompagnée au shamisen et au taiko *. Ce sera pour une prochaine fois, peut-être… Bien, je reprends.)
La belette railla alors les deux autres. « Vous avez beau être puissants, vous restez des serviteurs des dieux. Toi, loup, tu es envoyé pour protéger les voyageurs égarés qui ont la faveur du kami que tu sers et toi, kitsune, tu es le messager d’Inari. Quant à moi je vais mon chemin et n’ai pour maître que mon seul bon plaisir. »
« Ne confonds pas le service et la servitude. » grogna le loup. « Il y a une forme de liberté et d’accomplissement à servir un idéal à travers un maître dont la sagesse nous montre le chemin. Et puis, les hommes sont si faibles qu’ils ont bien besoin qu’on leur indique parfois la route. »
Le kitsune quant à lui se murait dans le silence, affichant son souverain mépris en prenant soin de sa fourrure et en dédaignant de répondre aux attaques de la belette. Il laissait les deux autres se quereller lorsque la dispute menaça de s’envenimer ; alors il intervint et de sa voix suave dit ceci :
« Pour savoir lequel est le plus libre de nous trois, rien de plus simple. Rendons visite au vieil esprit de la montagne et demandons lui de nous départager. »
Le kitsune était certain qu’il s’agirait de lui. Après tout, il pouvait prendre l’apparence d’une belle jeune femme autant que d’un vieillard, tromper les hommes ou leur venir en aide. On avait même vu des kitsune se marier avec des humains et leur donner une descendance avant de retourner à leur forme première et s’enfuir après avoir été démasqués. Parmi toutes les créatures surnaturelles, ils étaient peut-être ceux qui étaient les plus proches des hommes, ou du moins ceux qui les comprenaient le mieux.
Voilà donc notre trio en route pour le sommet de la montagne après avoir convenu de s’en remettre au jugement du kami qui habitait là. Ils le trouvèrent dans une grotte creusée à même la roche, occupé à ciseler un collier de stalactites de glace en sifflotant, vêtu de neige dont une partie recouvrait la mousse de sa chevelure. Tous trois s’inclinèrent avec déférence et lui exposèrent leur différend.
« Telle est la raison de notre venue. Nous réitérons nos plus plates excuses pour troubler Votre Divine Personne avec nos vulgaires querelles. »
Le kami de la montagne sourit et répondit :
« Serait-ce à dire que vous osez me déranger avec des problèmes que vous même présentez comme vulgaires ? »
« Pardon, Ô grand kami ! »
« Allons, cessez vos flatteries et écoutez. Durant toute une journée, que chacun agisse contre sa nature. Revenez me trouver après cela. Maintenant, partez ! »
ils s’inclinèrent à nouveau et déguerpirent, chacun gardant silence et se creusant la tête afin de savoir quelle pouvait bien être leur nature et comment aller contre. Le jour suivant, les mineur du hameau le plus proche furent surpris de ressentir un vent bénéfique qui semblait fendre la roche sous leurs pioches et soulageait leurs courbatures ; il s’agissait de la belette, bien sûr, qui loin d’attaquer ces pauvres hères leur venait en aide. Le loup quant à lui se retint de croquer un marchand de la ville qui venait arnaquer les mineurs et le guida même jusqu’au village où ils habitaient. Le kitsune, enfin, prit le parti de réfréner chaque impulsion qui lui venait et d’agir exactement à l’inverse de ce qu’il aurait fait. C’est ainsi qu’en voyant les greniers plein de riz, lui le serviteur d’Inari, loin de préserver le résultat de ces heureuses récoltes, prit le contrôle de l’esprit des villageois et leur fit croire que le grain avait pourri. On vit bientôt les femmes se tordre les mains et pleurer de douleur tandis que les hommes, la mine grave empoignaient les sacs pleins de riz et les jetaient dans la rivière. A la fin du jour, les mineurs rentrèrent au village, leurs charrettes remplies de minerai veiné d’or ou d’argent, harassés mais contents. Hélas, les sourires qui ornaient leurs visages laissèrent vite place à la consternation lorsqu’on leur apprit la terrible nouvelle à propos des réserves de grains pourries. Sur ces entrefaites arriva le marchand, escorté par le loup.
« Rassurez-vous, bonnes gens, je suis prêt à acheter votre minerai un bon prix, pourvu qu’il soit strié de belles veines d’or ou d’argent. »
« Ça, il l’est ! Voyez un peu ! »
Le marchand inspecta les éclats qu’on lui présentait et fit mine d’être déçu.
« Comparé aux mines d’or de Toi et de Sado, votre caillasse ne vaut pas grand-chose. »
« Comment ça, pas grand-chose ? Ce gars se moque de nous ! »
« Hélas, je suis navré mais c’est la vérité. Il faut voir comme l’or et l’argent coule en riches filons dans ces mines, comme le sang dans les veines des hommes. Cela dit, par compassion avec le malheur qui touche votre hameau, je suis prêt à acheter tout votre chargement en échange de 10 sacs de riz. »
L’abattement et la colère gagnaient le cœur des villageois, mais ils se sentaient pris au piège et acceptèrent finalement le marché. Résignés, une poignée d’hommes accompagna le marchand jusqu’à la ville afin d’y transporter l’objet de la vente et récupérer leur dû. Quant à nos trois compères, ils retournèrent voir le dieu de la montagne, assez satisfaits d’eux-même, chacun persuadé qu’il serait déclaré vainqueur.
Le kami les écouta lui narrer leurs agissements contre-nature et déclara ceci :
« Aucun de vous n’est libre. »
« Mais enfin, nous avons rempli notre mission ! »
« Vous l’avez fait, c’est sûr. Mais c’est la jalousie et l’orgueil qui ont guidé vos actions, occupés que vous étiez à vouloir vous prouver supérieur aux autres. Par vos méfaits, vous avez ruiné la vie des habitants d’un village. Toi, loup, tu aurais dévoré le marchand, et les mineurs auraient pu conclure un meilleur marché à la ville avec le propriétaire de la fonderie. Toi, belette, tu te serais nourri sur un homme qui avait grand besoin de repos et l'aurait forcé à s'aliter alors qu'il risque maintenant de tomber malade de fatigue. Et toi, kitsune, tu aurais chassé les rongeurs qui sont aux abords du village et protégé les récoltes ; à présent, Inari risque de te punir pour ta fourberie. »
« Peuh, les villageois auraient pu refuser le marché du négociant. C’est leur faute s’ils se sont laissé berner. » rétorqua le kitsune en se drapant dans sa superbe.
« Pourquoi nous avoir confié cette tâche en premier lieu ? » gronda le loup.
« Pour vous apprendre que la liberté n’existe pas. Vous pouvez agir conformément à votre nature, ou pas, vos actions auront toujours des conséquences sur le cours de l’histoire. Seule la mort libère. La vie, elle, n’est qu’une parenthèse où vous devez prendre votre place sur le théâtre du monde et tenir votre rôle. Il est donc inutile de perdre votre temps à rechercher une chose que seul l’anéantissement peut offrir. A présent, partez méditer tout ceci. »
Quant à moi, qui ai improvisé cette histoire, je dis : vous êtes libre d’être en accord ou en désaccord avec le dieu de la montagne, libre également de me le faire savoir ou non. Mais pour ma part, mon récit s’achève ici. »
Il faisait soif pour le conteur, mais hélas les pintes reconverties en marteaux de fortune semblaient fort occupées à cogner contre les têtes dures qu’elles croisaient sur leur passage. Un comportement tout à fait contre nature qui avait pour conséquence directe sa dramatique déshydratation ; ce à quoi le kitsune aurait rétorqué qu’il était libre d’aller boire ailleurs s’il en avait l’envie. Mais encore eût-il fallu aller contre tous les préceptes de politesse qu’on lui avait inculqués et qui disaient qu’on ne plante pas son interlocuteur au beau milieu d’une conversation sans crier gare.
Pendant ce temps, le grand rouquin tâtant ses côtes répondit à son compère « loup » :
« Je crois qu’elles sont toutes là. A défaut, je pourrais toujours me pencher sur un philtre pour les faire repousser. »
Durant un moment qui lui parut bref mais durant lequel il perdit la notion du temps pour laisser son esprit dériver sur la possibilité ou non de créer un tel philtre et comment s’y prendre, l’alchimiste à la tignasse de sorcier oublia qu’il était dans un relatif chaos et fut brusquement rappelé à la réalité par un verre qui vint éclater sur le mur, près de sa figure. Il lui sembla qu’on lui avait parlé, mais absorbé par ses réflexions il n’avait pas tellement prêté attention aux paroles qui s’échouaient dans l’air, entre deux sons de phalanges s’écrasant contre des mâchoires ou de cris de rage qui ressemblaient à des clameurs de bêtes indistinctes.
« Je viens de récupérer un breuvage magique, venu tout droit du nouveau continent. Dommage que ces bougres ne soient pas d’humeur à boire… J’aurais préféré l’essayer sur eux avant de l’essayer sur moi. » lâcha-t-il dans une moue dépitée, songeant à la gourde pleine de peyotl qu’il transportait avec lui et avait pris la peine de ramener ce soir.
« Pourtant j’aurais eu un résultat direct de l’effet de cette substance sur des organismes en colère, c’eut été tout à fait pertinent dans le cadre de mes recherches. » se désola-t-il de plus belle.
*Voilà un lien vers la musique à laquelle songe Hibiki pour accompagner la danse : https://www.youtube.com/watch?v=LYuVMGbgutY
Il s’allongea sur le dos, laissant sa chevelure d’ébène côtoyer ce sol même dont il dénonçait le manque de propreté quelques instants plus tôt. Certes, son étrange voisin n’avait pas précisé quand il souhaitait cette pièce, mais il semblait à Hibiki qu’il désirait l’entendre de suite. Son regard se perdit dans les nœuds du bois dont était composée la grande table rectangulaire qui leur servait actuellement de cachette, cherchant peut-être parmi eux les nœuds de l’histoire à composer tandis que celui du semeur de pagaille étudiait sa physionomie sans qu’il ne s’en formalise, habitué à la curiosité que déclenchaient les membres de son ambassade sur ces créatures de l’autre bout du monde.
« Figurez-vous un décor fait de hautes montagnes escarpées, aux crêtes saupoudrées de neige éternelle et protégeant par endroits, à l’abri de leurs flancs de pierre, des pins solitaires. Parfois un ruisseau ou une cascade pour faire entendre son chant de perles liquide où viennent boire les bêtes sauvages des environs. Et, de loin en loin, un petit village niché au creux d’une vallée assez clémente pour y abriter la vie. Dans ces montagnes vivaient un loup, un renard et une belette. Mais attention, il ne s’agissait pas de vulgaires animaux, non. Tous trois étaient des créatures surnaturelles dotées de grands pouvoirs. Le loup pouvait d’un seul regard savoir si le cœur d’un homme penchait du côté du mal ou du bien et appliquer aussitôt sa sentence ; la belette formait avec deux autres comparses de son espèce le kamaitachi, prélevant en un instant une part de chair sur d’infortunés voyageurs tout en les soignant aussitôt grâce à sa salive, les laissant perclus de douleur mais sans blessures apparentes ; quant au renard, il s’agissait d’un kitsune, créature mythique à neuf queues et au blanc pelage disposant d’immenses dons, capable qu’il était de se métamorphoser ou de contrôler l’esprit de ses victimes afin de les plonger dans un monde d’illusions.
Le loup et le kitsune en particulier étaient craints autant que révérés par les humains, qui leur élevaient des temples où étaient déposées des offrandes à leur intention, ou encore dressaient des statues à leur effigie. Les hommes espéraient les bienfaits qu’ils pouvaient dispenser tout en redoutant leur colère. Tous trois vivaient dans la montagne et se rencontraient parfois pour échanger sur les nouvelles du monde des esprits ou se raconter leurs dernières aventures. Ce soir là justement, ils s’étaient réunis autour d’un feu que le kitsune avait créé en frottant ses queues entre elles et il leur narrait son voyage au sanctuaire d’Ôji dédié à Inari, dieu du riz entre autres, ainsi que la procession des renards en l’honneur de leur divinité tutélaire.
(En aparté : Je n’aurais pas été cantonné à un dessous de table, je vous aurais fait une danse mimant la procession des renards, accompagnée au shamisen et au taiko *. Ce sera pour une prochaine fois, peut-être… Bien, je reprends.)
La belette railla alors les deux autres. « Vous avez beau être puissants, vous restez des serviteurs des dieux. Toi, loup, tu es envoyé pour protéger les voyageurs égarés qui ont la faveur du kami que tu sers et toi, kitsune, tu es le messager d’Inari. Quant à moi je vais mon chemin et n’ai pour maître que mon seul bon plaisir. »
« Ne confonds pas le service et la servitude. » grogna le loup. « Il y a une forme de liberté et d’accomplissement à servir un idéal à travers un maître dont la sagesse nous montre le chemin. Et puis, les hommes sont si faibles qu’ils ont bien besoin qu’on leur indique parfois la route. »
Le kitsune quant à lui se murait dans le silence, affichant son souverain mépris en prenant soin de sa fourrure et en dédaignant de répondre aux attaques de la belette. Il laissait les deux autres se quereller lorsque la dispute menaça de s’envenimer ; alors il intervint et de sa voix suave dit ceci :
« Pour savoir lequel est le plus libre de nous trois, rien de plus simple. Rendons visite au vieil esprit de la montagne et demandons lui de nous départager. »
Le kitsune était certain qu’il s’agirait de lui. Après tout, il pouvait prendre l’apparence d’une belle jeune femme autant que d’un vieillard, tromper les hommes ou leur venir en aide. On avait même vu des kitsune se marier avec des humains et leur donner une descendance avant de retourner à leur forme première et s’enfuir après avoir été démasqués. Parmi toutes les créatures surnaturelles, ils étaient peut-être ceux qui étaient les plus proches des hommes, ou du moins ceux qui les comprenaient le mieux.
Voilà donc notre trio en route pour le sommet de la montagne après avoir convenu de s’en remettre au jugement du kami qui habitait là. Ils le trouvèrent dans une grotte creusée à même la roche, occupé à ciseler un collier de stalactites de glace en sifflotant, vêtu de neige dont une partie recouvrait la mousse de sa chevelure. Tous trois s’inclinèrent avec déférence et lui exposèrent leur différend.
« Telle est la raison de notre venue. Nous réitérons nos plus plates excuses pour troubler Votre Divine Personne avec nos vulgaires querelles. »
Le kami de la montagne sourit et répondit :
« Serait-ce à dire que vous osez me déranger avec des problèmes que vous même présentez comme vulgaires ? »
« Pardon, Ô grand kami ! »
« Allons, cessez vos flatteries et écoutez. Durant toute une journée, que chacun agisse contre sa nature. Revenez me trouver après cela. Maintenant, partez ! »
ils s’inclinèrent à nouveau et déguerpirent, chacun gardant silence et se creusant la tête afin de savoir quelle pouvait bien être leur nature et comment aller contre. Le jour suivant, les mineur du hameau le plus proche furent surpris de ressentir un vent bénéfique qui semblait fendre la roche sous leurs pioches et soulageait leurs courbatures ; il s’agissait de la belette, bien sûr, qui loin d’attaquer ces pauvres hères leur venait en aide. Le loup quant à lui se retint de croquer un marchand de la ville qui venait arnaquer les mineurs et le guida même jusqu’au village où ils habitaient. Le kitsune, enfin, prit le parti de réfréner chaque impulsion qui lui venait et d’agir exactement à l’inverse de ce qu’il aurait fait. C’est ainsi qu’en voyant les greniers plein de riz, lui le serviteur d’Inari, loin de préserver le résultat de ces heureuses récoltes, prit le contrôle de l’esprit des villageois et leur fit croire que le grain avait pourri. On vit bientôt les femmes se tordre les mains et pleurer de douleur tandis que les hommes, la mine grave empoignaient les sacs pleins de riz et les jetaient dans la rivière. A la fin du jour, les mineurs rentrèrent au village, leurs charrettes remplies de minerai veiné d’or ou d’argent, harassés mais contents. Hélas, les sourires qui ornaient leurs visages laissèrent vite place à la consternation lorsqu’on leur apprit la terrible nouvelle à propos des réserves de grains pourries. Sur ces entrefaites arriva le marchand, escorté par le loup.
« Rassurez-vous, bonnes gens, je suis prêt à acheter votre minerai un bon prix, pourvu qu’il soit strié de belles veines d’or ou d’argent. »
« Ça, il l’est ! Voyez un peu ! »
Le marchand inspecta les éclats qu’on lui présentait et fit mine d’être déçu.
« Comparé aux mines d’or de Toi et de Sado, votre caillasse ne vaut pas grand-chose. »
« Comment ça, pas grand-chose ? Ce gars se moque de nous ! »
« Hélas, je suis navré mais c’est la vérité. Il faut voir comme l’or et l’argent coule en riches filons dans ces mines, comme le sang dans les veines des hommes. Cela dit, par compassion avec le malheur qui touche votre hameau, je suis prêt à acheter tout votre chargement en échange de 10 sacs de riz. »
L’abattement et la colère gagnaient le cœur des villageois, mais ils se sentaient pris au piège et acceptèrent finalement le marché. Résignés, une poignée d’hommes accompagna le marchand jusqu’à la ville afin d’y transporter l’objet de la vente et récupérer leur dû. Quant à nos trois compères, ils retournèrent voir le dieu de la montagne, assez satisfaits d’eux-même, chacun persuadé qu’il serait déclaré vainqueur.
Le kami les écouta lui narrer leurs agissements contre-nature et déclara ceci :
« Aucun de vous n’est libre. »
« Mais enfin, nous avons rempli notre mission ! »
« Vous l’avez fait, c’est sûr. Mais c’est la jalousie et l’orgueil qui ont guidé vos actions, occupés que vous étiez à vouloir vous prouver supérieur aux autres. Par vos méfaits, vous avez ruiné la vie des habitants d’un village. Toi, loup, tu aurais dévoré le marchand, et les mineurs auraient pu conclure un meilleur marché à la ville avec le propriétaire de la fonderie. Toi, belette, tu te serais nourri sur un homme qui avait grand besoin de repos et l'aurait forcé à s'aliter alors qu'il risque maintenant de tomber malade de fatigue. Et toi, kitsune, tu aurais chassé les rongeurs qui sont aux abords du village et protégé les récoltes ; à présent, Inari risque de te punir pour ta fourberie. »
« Peuh, les villageois auraient pu refuser le marché du négociant. C’est leur faute s’ils se sont laissé berner. » rétorqua le kitsune en se drapant dans sa superbe.
« Pourquoi nous avoir confié cette tâche en premier lieu ? » gronda le loup.
« Pour vous apprendre que la liberté n’existe pas. Vous pouvez agir conformément à votre nature, ou pas, vos actions auront toujours des conséquences sur le cours de l’histoire. Seule la mort libère. La vie, elle, n’est qu’une parenthèse où vous devez prendre votre place sur le théâtre du monde et tenir votre rôle. Il est donc inutile de perdre votre temps à rechercher une chose que seul l’anéantissement peut offrir. A présent, partez méditer tout ceci. »
Quant à moi, qui ai improvisé cette histoire, je dis : vous êtes libre d’être en accord ou en désaccord avec le dieu de la montagne, libre également de me le faire savoir ou non. Mais pour ma part, mon récit s’achève ici. »
Il faisait soif pour le conteur, mais hélas les pintes reconverties en marteaux de fortune semblaient fort occupées à cogner contre les têtes dures qu’elles croisaient sur leur passage. Un comportement tout à fait contre nature qui avait pour conséquence directe sa dramatique déshydratation ; ce à quoi le kitsune aurait rétorqué qu’il était libre d’aller boire ailleurs s’il en avait l’envie. Mais encore eût-il fallu aller contre tous les préceptes de politesse qu’on lui avait inculqués et qui disaient qu’on ne plante pas son interlocuteur au beau milieu d’une conversation sans crier gare.
Pendant ce temps, le grand rouquin tâtant ses côtes répondit à son compère « loup » :
« Je crois qu’elles sont toutes là. A défaut, je pourrais toujours me pencher sur un philtre pour les faire repousser. »
Durant un moment qui lui parut bref mais durant lequel il perdit la notion du temps pour laisser son esprit dériver sur la possibilité ou non de créer un tel philtre et comment s’y prendre, l’alchimiste à la tignasse de sorcier oublia qu’il était dans un relatif chaos et fut brusquement rappelé à la réalité par un verre qui vint éclater sur le mur, près de sa figure. Il lui sembla qu’on lui avait parlé, mais absorbé par ses réflexions il n’avait pas tellement prêté attention aux paroles qui s’échouaient dans l’air, entre deux sons de phalanges s’écrasant contre des mâchoires ou de cris de rage qui ressemblaient à des clameurs de bêtes indistinctes.
« Je viens de récupérer un breuvage magique, venu tout droit du nouveau continent. Dommage que ces bougres ne soient pas d’humeur à boire… J’aurais préféré l’essayer sur eux avant de l’essayer sur moi. » lâcha-t-il dans une moue dépitée, songeant à la gourde pleine de peyotl qu’il transportait avec lui et avait pris la peine de ramener ce soir.
« Pourtant j’aurais eu un résultat direct de l’effet de cette substance sur des organismes en colère, c’eut été tout à fait pertinent dans le cadre de mes recherches. » se désola-t-il de plus belle.
*Voilà un lien vers la musique à laquelle songe Hibiki pour accompagner la danse : https://www.youtube.com/watch?v=LYuVMGbgutY
Hibiki- Fiche perso : Attention, l'abus d'alcool est dangereux pour la santé.
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Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
Sans chercher en aucune manière à se préserver, Eymar avait régressé à son stade enfantin en suivant le conte, ses grands yeux brillants ouverts comme pour capter les mimiques des créatures sur le visage de son nouvel ami. Mais tout à coup, alors que s’amorçait la morale finale, il avait perdu son expression émerveillée, pour un air de révolte qui s’était soldé par deux énormes larmes débordant d’un coup de ses deux yeux à la fois.
« Qu’est-ce que c’est que ce monde sans amour que vous me brossez là ! »
Furieux, il se redressa brusquement, se cogna la tête, et se recoucha, en se blottissant dans un maugréement hostile contre l’étrange apparition. La tête posée contre son épaule, qu’il mouillait de ses larmes. Il lui en voulait, mais il n’avait que lui contre qui se réfugier. Pourquoi était-ce toujours ainsi dans son existence ? Ce monde aussi était sans amour. Bon, mis à part ses frères et ses sœurs de la ménagerie royale. Eux, ne viendraient pas le juger sur des petits moments d’orgueil ou d’envie, sur un crime de sang-froid qu’il aurait dû commettre pour éviter les agissements du condamné… Ah, cette notion le faisait penser au bûcher, voilà ce qui l tourmentait tant. Il ne s’en remettait pas, de cette histoire.
« J’en ai assez du désespoir, » tenta-t-il d’expliquer, mais pour le coup, les mots se dérobaient. « Il y en a eu trop d’un coup, dernièrement. Un homme a été brûlé à la place d'un autre. Alors bien sûr, personne n'est innocent, bien sûr, c'était pour le bien commun et que sais-je... N’avez-vous pas d’histoires consolatrices, dans votre pays ? Mais c’est mon tour. Donnez-moi un sujet. Et peut-être que je vous ferai pleurer, moi aussi. »
Il était boudeur, mais il espérait surtout pouvoir créer quelque chose de moins sombre, dans l’humeur qui était la sienne ; rien n’était acquis.
Cependant, à quelques toises seulement, une autre pièce se jouait ; et les deux trajectoires allaient se rencontrer.
« Je suis un organisme en colère, » fit remarquer le meneur de loups en ouvrant sa main, paume tournée vers le haut, avec un roulement d’yeux dédaigneux qui respirait la résignation, mais signifiait en réalité : je ne peux vous laisser vous lamenter ainsi sans rien faire. Il avait suivi avec une sorte d’affection reniée le manège de son complice, et la façon dont ce dernier avait paru prendre au pied de la lettre sa question comme ses implications pratiques. Au lieu de témoigner cette affection à son objet direct, il se contenta de caresser la tête du chien-loup à ses pieds. « Que je le montre ou pas, elle ne me quitte jamais, vous le savez. »
Décidant qu’après tout, il n’y avait aucune raison pour qu’il soit seul à se sacrifier – il le serait cependant ; les autres seraient sacrifiés, ce qui est fort différent – il posa un genou à terre pour examiner l’un des assommés qui avait roulé au sol. Il serait facile de leur faire accepter quelques gorgées de n’importe quoi, en faisant mine de leur offrir des soins. Mais alors qu’il cherchait sa proie, son regard aigu se posa sur les deux plaisantins cachés sous la table, comme des lutins qui viennent de commettre une mauvaise action. Son visage s’anima d’un sourire doucereux.
« Venez ! N’ayez pas peur. Nous allons nous abriter dans la cave, là-bas. » Il indiqua une trappe que son geste semblait avoir conjurée. « Nous non plus, nous ne voulons pas nous battre. Et nous avons emporté à boire, ainsi, en attendant la fin de ce chaos, la soirée sera presque normale. »
Eymar s’essuya les yeux. Il y voyait trouble, et l’homme au loup semblait nettement plus agréable que sa bête. Quelques apprêts et il aurait pu paraître à la cour, avec une certaine prestance austère qu’il aurait adoré débrailler dans une alcôve. Enfin, ce n’était pas le moment d’y songer ; ils seraient quatre dans cette cave, visiblement. Non pas que ça l’arrête, lui ; mais sur quatre inconnus, il y en aurait au moins un qui serait hostile à la chose, probablement. La curiosité, surtout, l’entraînait, et l’habitude de se laisser porter avec confiance par les remous inattendus de la journée, et la frustration de ne pouvoir offrir un verre honnête à ce déshonnête comparse qu’était le comédien, pour la valeur de son effort.
« Allons-y, » lança-t-il hardiment, en s’extrayant de sa cachette. Pour se trouver nez à nez avec le chien-loup, qui le fixa de ses beaux yeux dorés de sinistre pressentiment, et se passa la langue sur les babines… mais recula, comme en saluant.
« Qu’est-ce que c’est que ce monde sans amour que vous me brossez là ! »
Furieux, il se redressa brusquement, se cogna la tête, et se recoucha, en se blottissant dans un maugréement hostile contre l’étrange apparition. La tête posée contre son épaule, qu’il mouillait de ses larmes. Il lui en voulait, mais il n’avait que lui contre qui se réfugier. Pourquoi était-ce toujours ainsi dans son existence ? Ce monde aussi était sans amour. Bon, mis à part ses frères et ses sœurs de la ménagerie royale. Eux, ne viendraient pas le juger sur des petits moments d’orgueil ou d’envie, sur un crime de sang-froid qu’il aurait dû commettre pour éviter les agissements du condamné… Ah, cette notion le faisait penser au bûcher, voilà ce qui l tourmentait tant. Il ne s’en remettait pas, de cette histoire.
« J’en ai assez du désespoir, » tenta-t-il d’expliquer, mais pour le coup, les mots se dérobaient. « Il y en a eu trop d’un coup, dernièrement. Un homme a été brûlé à la place d'un autre. Alors bien sûr, personne n'est innocent, bien sûr, c'était pour le bien commun et que sais-je... N’avez-vous pas d’histoires consolatrices, dans votre pays ? Mais c’est mon tour. Donnez-moi un sujet. Et peut-être que je vous ferai pleurer, moi aussi. »
Il était boudeur, mais il espérait surtout pouvoir créer quelque chose de moins sombre, dans l’humeur qui était la sienne ; rien n’était acquis.
Cependant, à quelques toises seulement, une autre pièce se jouait ; et les deux trajectoires allaient se rencontrer.
« Je suis un organisme en colère, » fit remarquer le meneur de loups en ouvrant sa main, paume tournée vers le haut, avec un roulement d’yeux dédaigneux qui respirait la résignation, mais signifiait en réalité : je ne peux vous laisser vous lamenter ainsi sans rien faire. Il avait suivi avec une sorte d’affection reniée le manège de son complice, et la façon dont ce dernier avait paru prendre au pied de la lettre sa question comme ses implications pratiques. Au lieu de témoigner cette affection à son objet direct, il se contenta de caresser la tête du chien-loup à ses pieds. « Que je le montre ou pas, elle ne me quitte jamais, vous le savez. »
Décidant qu’après tout, il n’y avait aucune raison pour qu’il soit seul à se sacrifier – il le serait cependant ; les autres seraient sacrifiés, ce qui est fort différent – il posa un genou à terre pour examiner l’un des assommés qui avait roulé au sol. Il serait facile de leur faire accepter quelques gorgées de n’importe quoi, en faisant mine de leur offrir des soins. Mais alors qu’il cherchait sa proie, son regard aigu se posa sur les deux plaisantins cachés sous la table, comme des lutins qui viennent de commettre une mauvaise action. Son visage s’anima d’un sourire doucereux.
« Venez ! N’ayez pas peur. Nous allons nous abriter dans la cave, là-bas. » Il indiqua une trappe que son geste semblait avoir conjurée. « Nous non plus, nous ne voulons pas nous battre. Et nous avons emporté à boire, ainsi, en attendant la fin de ce chaos, la soirée sera presque normale. »
Eymar s’essuya les yeux. Il y voyait trouble, et l’homme au loup semblait nettement plus agréable que sa bête. Quelques apprêts et il aurait pu paraître à la cour, avec une certaine prestance austère qu’il aurait adoré débrailler dans une alcôve. Enfin, ce n’était pas le moment d’y songer ; ils seraient quatre dans cette cave, visiblement. Non pas que ça l’arrête, lui ; mais sur quatre inconnus, il y en aurait au moins un qui serait hostile à la chose, probablement. La curiosité, surtout, l’entraînait, et l’habitude de se laisser porter avec confiance par les remous inattendus de la journée, et la frustration de ne pouvoir offrir un verre honnête à ce déshonnête comparse qu’était le comédien, pour la valeur de son effort.
« Allons-y, » lança-t-il hardiment, en s’extrayant de sa cachette. Pour se trouver nez à nez avec le chien-loup, qui le fixa de ses beaux yeux dorés de sinistre pressentiment, et se passa la langue sur les babines… mais recula, comme en saluant.
Eymar Sartyre- Fiche perso : Ma vie, mon oeuvre
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Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
« Là, là...» le consola maladroitement le comédien, peu habitué à voir un homme pleurer, et encore moins contre son épaule. Dans un coin de sa tête, il roulait la question comme Sisyphe son rocher : cette histoire était-elle donc si terrible ? Était-il lui-même mort à l’amour et à l’espoir ? La seule réponse qui lui vint fut : peut-être. Puis il comprit que ce conte n’était qu’une goutte d’eau dans un vase déjà bien rempli, et mit sur le compte d’un trop plein d’émotions le débordement de larmes qui secouait son voisin et venait tremper une partie de son haori.
« Ne prenez pas mal la chose. Au contraire, ce chagrin qui vous consume le cœur, laissez-le embraser d’autres foyers d’une juste colère au lieu de vous éteindre dans une vallée de larmes. Vous n’êtes pas coupable d’être en vie, vous savez. Alors ne la détruisez pas... Allons, haut les cœurs ! » Tentait de le rasséréner le farfadet aux cheveux d’ébène lorsqu’un énergumène les découvrit là et leur proposa de quitter une cachette pour sauter dans une autre, comme à la guerre les soldats quittent parfois un abri précaire pour le prochain, plus sûr. Un énergumène accompagné d’un dangereux animal, tiens donc…
Voilà qui lui rappelait Sylvia et sa meute de chiens loups. Une femme qu’il avait réussi à faire sangloter à plusieurs reprises également. A croire qu’il aurait dû vendre ses services en Égypte pour des cérémonies d’enterrement de pharaon. Hibiki, le bouffon qui vous fera pleurer… tout court. Même pas pleurer de rire. Quelle déception !
Cela dit, son voisin était déjà passé à une autre émotion, trop heureux de foncer dans la gueule du loup _sans doute pour continuer à mettre en jeu cette vie qui semblait pour lui un fardeau. Chaque homme est un Atlas qui soutient plus ou moins bien tout un monde de peines. Lui-même avait lâché sa propre sphère _ d’aucuns diraient qu’il avait perdu la boule, ce qui était à ses yeux une blague un peu trop facile _ pour contempler plus librement, dans un rire grinçant, la prodigieuse mascarade de la vie humaine.
Il allait refuser, laisser ce jeune inconscient plonger dans cette trappe comme un Onésime blessé s’amuse à se jeter à la mer, et surtout pas prendre le rôle du banquier ! Qu’il aille donc avec ces deux lascars tout droit sortis d’un livre de lycanthropes et de sorciers, il n’aurait qu’à faire la belette et danser lors d’une nuit de sabbat pendant que lui irait se rouler dans les foins de Michao, si possible avec une jolie pouliche à la belle crinière. D’ailleurs cette proposition était vraiment suspecte. Pour quelle raison cet individu voudrait-il partager l’abri découvert avec eux, en plus de leurs boissons ? Et puis commencer une phrase par « venez, n’ayez pas peur » réactivait sa méfiance naturelle et lui disait qu’il fallait précisément se défier de ce type. Sans compter que, grands dieux, il se baladait avec un loup ! Que faisait donc l’aubergiste ?! Ah oui, il se planquait derrière son comptoir...
Il lui arrivait beaucoup trop de choses bizarres sur ce continent. Sylvia et sa meute qui semblaient avoir disparus, Louise qui lui avait remis le traité anti-esclavagisme circulant sous le manteau comme ça, entre deux verres de pinard, cette soirée où il se retrouvait nez à nez avec de vieux écrits et qui dégénérait en baston. Non, à bien y réfléchir, sa vie entière était bizarre, comme si quelque puissance occulte s’amusait à le malmener, par pur divertissement ou dans l’idée de lui faire accomplir quelque sombre dessein. (C’est le moment où l’auteur fait coucou.)
Bien vite, il chassa cette idée qui lui semblait hautement prétentieuse. Qu’il traîne au-dehors des yokais et des créatures mystérieuses, soit ; qu’une divinité se divertisse à ses dépens, c’en était une autre. Il allait donc refuser, disais-je, lorsqu’un grand gaillard renversa la table sous laquelle il avait trouvé temporairement refuge. Manquait plus que ça tiens !
Il détala comme un lapin et rejoignit le petit groupe qui s’enfonçait, aussi discrètement que possible, par la trappe dévoilée par le meneur de loups, qui les menait en plus de son compagnon à fourrure vers une aventure qui ferait revoir à Hibiki sa définition du bizarre.
Le grand roux s’y était engouffré le premier et n’avait pas perdu de temps, en découvrant un tonnelet de bière, afin d’y adjoindre les acides sous forme liquide qu’il transportait avec lui, dégoupillant le petit bouchon situé au sommet du réceptacle et versant la précieuse substance directement venue d’Amérique du sud dans la bonne ale braktennoise. De quoi les faire voyager bien loin d’ici...
« Ne prenez pas mal la chose. Au contraire, ce chagrin qui vous consume le cœur, laissez-le embraser d’autres foyers d’une juste colère au lieu de vous éteindre dans une vallée de larmes. Vous n’êtes pas coupable d’être en vie, vous savez. Alors ne la détruisez pas... Allons, haut les cœurs ! » Tentait de le rasséréner le farfadet aux cheveux d’ébène lorsqu’un énergumène les découvrit là et leur proposa de quitter une cachette pour sauter dans une autre, comme à la guerre les soldats quittent parfois un abri précaire pour le prochain, plus sûr. Un énergumène accompagné d’un dangereux animal, tiens donc…
Voilà qui lui rappelait Sylvia et sa meute de chiens loups. Une femme qu’il avait réussi à faire sangloter à plusieurs reprises également. A croire qu’il aurait dû vendre ses services en Égypte pour des cérémonies d’enterrement de pharaon. Hibiki, le bouffon qui vous fera pleurer… tout court. Même pas pleurer de rire. Quelle déception !
Cela dit, son voisin était déjà passé à une autre émotion, trop heureux de foncer dans la gueule du loup _sans doute pour continuer à mettre en jeu cette vie qui semblait pour lui un fardeau. Chaque homme est un Atlas qui soutient plus ou moins bien tout un monde de peines. Lui-même avait lâché sa propre sphère _ d’aucuns diraient qu’il avait perdu la boule, ce qui était à ses yeux une blague un peu trop facile _ pour contempler plus librement, dans un rire grinçant, la prodigieuse mascarade de la vie humaine.
Il allait refuser, laisser ce jeune inconscient plonger dans cette trappe comme un Onésime blessé s’amuse à se jeter à la mer, et surtout pas prendre le rôle du banquier ! Qu’il aille donc avec ces deux lascars tout droit sortis d’un livre de lycanthropes et de sorciers, il n’aurait qu’à faire la belette et danser lors d’une nuit de sabbat pendant que lui irait se rouler dans les foins de Michao, si possible avec une jolie pouliche à la belle crinière. D’ailleurs cette proposition était vraiment suspecte. Pour quelle raison cet individu voudrait-il partager l’abri découvert avec eux, en plus de leurs boissons ? Et puis commencer une phrase par « venez, n’ayez pas peur » réactivait sa méfiance naturelle et lui disait qu’il fallait précisément se défier de ce type. Sans compter que, grands dieux, il se baladait avec un loup ! Que faisait donc l’aubergiste ?! Ah oui, il se planquait derrière son comptoir...
Il lui arrivait beaucoup trop de choses bizarres sur ce continent. Sylvia et sa meute qui semblaient avoir disparus, Louise qui lui avait remis le traité anti-esclavagisme circulant sous le manteau comme ça, entre deux verres de pinard, cette soirée où il se retrouvait nez à nez avec de vieux écrits et qui dégénérait en baston. Non, à bien y réfléchir, sa vie entière était bizarre, comme si quelque puissance occulte s’amusait à le malmener, par pur divertissement ou dans l’idée de lui faire accomplir quelque sombre dessein. (C’est le moment où l’auteur fait coucou.)
Bien vite, il chassa cette idée qui lui semblait hautement prétentieuse. Qu’il traîne au-dehors des yokais et des créatures mystérieuses, soit ; qu’une divinité se divertisse à ses dépens, c’en était une autre. Il allait donc refuser, disais-je, lorsqu’un grand gaillard renversa la table sous laquelle il avait trouvé temporairement refuge. Manquait plus que ça tiens !
Il détala comme un lapin et rejoignit le petit groupe qui s’enfonçait, aussi discrètement que possible, par la trappe dévoilée par le meneur de loups, qui les menait en plus de son compagnon à fourrure vers une aventure qui ferait revoir à Hibiki sa définition du bizarre.
Le grand roux s’y était engouffré le premier et n’avait pas perdu de temps, en découvrant un tonnelet de bière, afin d’y adjoindre les acides sous forme liquide qu’il transportait avec lui, dégoupillant le petit bouchon situé au sommet du réceptacle et versant la précieuse substance directement venue d’Amérique du sud dans la bonne ale braktennoise. De quoi les faire voyager bien loin d’ici...
Hibiki- Fiche perso : Attention, l'abus d'alcool est dangereux pour la santé.
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Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
Eymar était terriblement émotif, en bien comme en mal, mais au moins cela ne durait pas. Exprimer son humeur dans l'instant lui permettait de ne pas s'en encombrer outre mesure. C'était bien ce qui faisait de cette affaire de bûcher un poison persistant : il n'avait pas pu exprimer ce qu'elle lui inspirait réellement. Il n'avait guère de rancune pour les petites offenses et blessures occasionnées par les interactions du quotidien. Surtout lorsque l'auteur de l'écorchure était un aveugle : quelqu'un qui ne pouvait pas voir quel coup il lui portait.
C'était le cas, à plus d'un égard, et pour avoir beaucoup voyagé lors de ses années d'espionnage et de conquête, il avait le plus grand respect pour les êtres de cultures diverses qui faisaient l'effort de communiquer, avec tout le potentiel de maladresse, de confusion et de simple échec qui accompagnait fatalement de telles tentatives. C'était une forme de courage qu'il estimait autant voire plus que celui des armes, une danse invisible à laquelle aucun orgueil ne poussait à se risquer, et dont on ne pouvait retirer que de l'effort, du désavantage, ou éventuellement des amitiés inattendues.
En gagnant leur cachette, esquivant les objets volants non identifiés, il poursuivit donc la conversation comme si de rien n'était ; et leur échange disparut par la trappe, dans les profondeurs du ventre de la taverne, où ils échapperaient aux regards hostiles.
"Qu'avez-vous voulu dire par : vous n'êtes pas coupable d'être en vie ? C'est une phrase étrange mais elle me parle tout aussi étrangement. J'espère que vous n'avez jamais officié comme confesseur, là d'où vous venez ! Moi, les confesseurs, je les..."
Fesse. Chut.
"Je leur fais un sort."
La bagarre ne donnait aucunement signe de se calmer. Il faut croire que l'otage de la Cour n'était pas le seul qui avait besoin de défouler quelques tensions trop longtemps contenues. Le Charivari ferait du bien à tout le monde. Enfin, la trappe se referma derrière eux, actionnée par l'homme à mine sombre qui les avait invités et qui était entré le dernier. Il avait presque l'air de refermer une cage. Mais puisqu'il y était entré avec eux, qu'y avait-il à redouter ? Et puis, de toute façon, redouter était absurde. Constater, pourquoi pas ; mais il n'y avait rien à constater de désagréable pour le moment. L'instant présent paraissait, au contraire, agréablement intriguant. Et comme on sait, à la Cour, on vit pour l'intrigue.
A ce sujet, cette fois Eymar sentit venu le moment de se présenter de manière un peu plus complète.
"Eymar Sartyre, courtisan. Je sais, c'est affreux. Faites comme si je n'avais rien dit. Monsieur est comédien. Et vous êtes ?"
"Cléopold, meneur de loups," répliqua sobrement l'homme brun à la barbe de démon. Puis il se tourna vers son complice pour le laisser se présenter. Ça lui donnerait l'air plus innocent. Quoique, c'était assez incroyable à quel point Ludwig pouvait avoir un air innocent alors même qu'il faisait et disait toutes sortes de choses que la morale, au sens où "tu ne drogueras pas la boisson de ton prochain", réprouve.
C'était le cas, à plus d'un égard, et pour avoir beaucoup voyagé lors de ses années d'espionnage et de conquête, il avait le plus grand respect pour les êtres de cultures diverses qui faisaient l'effort de communiquer, avec tout le potentiel de maladresse, de confusion et de simple échec qui accompagnait fatalement de telles tentatives. C'était une forme de courage qu'il estimait autant voire plus que celui des armes, une danse invisible à laquelle aucun orgueil ne poussait à se risquer, et dont on ne pouvait retirer que de l'effort, du désavantage, ou éventuellement des amitiés inattendues.
En gagnant leur cachette, esquivant les objets volants non identifiés, il poursuivit donc la conversation comme si de rien n'était ; et leur échange disparut par la trappe, dans les profondeurs du ventre de la taverne, où ils échapperaient aux regards hostiles.
"Qu'avez-vous voulu dire par : vous n'êtes pas coupable d'être en vie ? C'est une phrase étrange mais elle me parle tout aussi étrangement. J'espère que vous n'avez jamais officié comme confesseur, là d'où vous venez ! Moi, les confesseurs, je les..."
Fesse. Chut.
"Je leur fais un sort."
La bagarre ne donnait aucunement signe de se calmer. Il faut croire que l'otage de la Cour n'était pas le seul qui avait besoin de défouler quelques tensions trop longtemps contenues. Le Charivari ferait du bien à tout le monde. Enfin, la trappe se referma derrière eux, actionnée par l'homme à mine sombre qui les avait invités et qui était entré le dernier. Il avait presque l'air de refermer une cage. Mais puisqu'il y était entré avec eux, qu'y avait-il à redouter ? Et puis, de toute façon, redouter était absurde. Constater, pourquoi pas ; mais il n'y avait rien à constater de désagréable pour le moment. L'instant présent paraissait, au contraire, agréablement intriguant. Et comme on sait, à la Cour, on vit pour l'intrigue.
A ce sujet, cette fois Eymar sentit venu le moment de se présenter de manière un peu plus complète.
"Eymar Sartyre, courtisan. Je sais, c'est affreux. Faites comme si je n'avais rien dit. Monsieur est comédien. Et vous êtes ?"
"Cléopold, meneur de loups," répliqua sobrement l'homme brun à la barbe de démon. Puis il se tourna vers son complice pour le laisser se présenter. Ça lui donnerait l'air plus innocent. Quoique, c'était assez incroyable à quel point Ludwig pouvait avoir un air innocent alors même qu'il faisait et disait toutes sortes de choses que la morale, au sens où "tu ne drogueras pas la boisson de ton prochain", réprouve.
Eymar Sartyre- Fiche perso : Ma vie, mon oeuvre
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Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
« Je vous présente mes excuses si je vous ai blessé. Il me semblait à voir votre attitude ce soir que vous jouiez bien légèrement votre vie, et après la mention que vous avez faite du bûcher, j’ai cru que c’était quelqu’un de vos amis qui avait péri par le feu. Mais rassurez-vous, je ne vous ferai pas de sermons, de toute façons nous n’avons pas de confesseurs dans le bouddhisme ou le shintoïsme.»
Inutile de s’attarder sur le fait que, dans une ancienne vie, il avait songé à embrasser une carrière religieuse pour échapper à la prostitution. Inutile également d’évoquer le commerce de chair qui était fait sur les gens de son métier, tout le monde savait bien de quoi il en retournait et que lorsqu’une baronne défaisait les cordons de sa bourse afin de financer l’une de ses pièces, ce n’était pas juste en raison de son talent. Ses détracteurs auraient même dit que la seule manière pour lui de trouver un mécène était de faire montre sous la couette de la créativité qui faisait cruellement défaut dans ce que lui appelait ses œuvres et que d’autres nommaient du papier pour latrines.
Il se consolait en songeant que même les plus grands de ce monde sont cibles de critiques et de médisances, mais une part de lui se prenait à douter. Dans ses moments les plus sombres, malheureux comme une créature des abysses en quête de lumière, il hésitait à livrer aux flammes des manuscrits qu’il aurait renié tel un mauvais père rejette ses enfants difformes et malades, ou encore à tout réécrire. Finalement, il n’en faisait rien, découragé par son manque de talent dramaturgique, prenait la ferme résolution de se cantonner à l’interprétation de personnages et à prêter sa chair tel un avatar livré à quelque dieu de papier. Puis, un nouveau scandale, quelque fait saillant dans l’existence dont les arrêtes sont parfois si tranchantes qu’on peut facilement s’y blesser, interpellaient ce qui lui servait de conscience politique, cette chose enfouie sous une montagne de fards et de sourires de complaisance à l’égard de ses nobles protecteurs, inflexible comme un commandeur revenu d’entre les morts pour pointer sur lui le doigt accusateur qu’il lui semblait devoir mériter.
Qui aurait pu deviner quels tourments abritaient parfois ce crâne dont les orbites exposaient un regard que les occidentaux considéraient bien souvent indéchiffrable. Peu importaient ses états d’âme, il avait une place à tenir dans le monde, aussi insignifiante fut-elle comparée aux monarques et aux duchesses croisées sur sa route. Mais c’était la sienne. Et elle avait l’avantage, lors de rares instants de grâce, de bouleverser suffisamment un noble personnage pour l’inviter à réfléchir au sort des petites gens du royaume. Dans ces moments là, il n’était plus une créature des abysses, mais il irradiait de bonheur et de lumière, convaincu d’avoir rempli sa mission sur terre.
« Je m’appelle Ludwig, savant de mon état, amateur d’expériences de terrain en particulier. » se présenta le rouquin, remplissant son outre avec la bière du baril mélangée à son breuvage magique avant de la tendre à son complice. Mieux valait commencer par le cobaye consentant pour rassurer ses victimes involontaires.
« Enchanté de vous rencontrer messieurs. » mentit tout à fait éhontément l’homme de théâtre. « Vous pouvez m’appeler Hibiki. »
Il attendit que la gourde arrive jusqu’à lui pour découvrir avec surprise que cette bière avait un arrière-goût assez particulier. Il n’en fit rien savoir, désireux de préserver la réputation légendaire de bonne politesse que l’on prêtait aux gens de sa civilisation.
« C’est curieux, je n’ai pas le souvenir de vous avoir vu lors de l’accueil de la délégation japonaise au palais. Mais je n’ai sans doute pas croisé toutes les personnes présentes à l’événement notez, il y en avait tellement. » relança-t-il dans la conversation à l’adresse du joli bibelot djerdanien dont le roi se servait comme otage. Une manière comme une autre de faire comprendre aux deux zouaves qu’il n’était pas un voyageur isolé que l’on pouvait faire disparaître sans lancer personne sur ses traces. Belle naïveté, sachant quels fous furieux lui faisaient face.
De son côté Ludwig dressait l’oreille, curieux à l’égard de ces voyageurs de l’autre bout du monde. On disait qu’ils avaient une médecine bien particulière, et surtout une maîtrise des arts alchimiques sans commune mesure avec l’occident. Il serait sans doute hautement profitable de mettre la main sur leur médecin. Profitable pour lui en tout cas. Pour leur médecin, tout dépendait de son goût pour ce que Ludwig appelait « les expériences de terrain. »
Inutile de s’attarder sur le fait que, dans une ancienne vie, il avait songé à embrasser une carrière religieuse pour échapper à la prostitution. Inutile également d’évoquer le commerce de chair qui était fait sur les gens de son métier, tout le monde savait bien de quoi il en retournait et que lorsqu’une baronne défaisait les cordons de sa bourse afin de financer l’une de ses pièces, ce n’était pas juste en raison de son talent. Ses détracteurs auraient même dit que la seule manière pour lui de trouver un mécène était de faire montre sous la couette de la créativité qui faisait cruellement défaut dans ce que lui appelait ses œuvres et que d’autres nommaient du papier pour latrines.
Il se consolait en songeant que même les plus grands de ce monde sont cibles de critiques et de médisances, mais une part de lui se prenait à douter. Dans ses moments les plus sombres, malheureux comme une créature des abysses en quête de lumière, il hésitait à livrer aux flammes des manuscrits qu’il aurait renié tel un mauvais père rejette ses enfants difformes et malades, ou encore à tout réécrire. Finalement, il n’en faisait rien, découragé par son manque de talent dramaturgique, prenait la ferme résolution de se cantonner à l’interprétation de personnages et à prêter sa chair tel un avatar livré à quelque dieu de papier. Puis, un nouveau scandale, quelque fait saillant dans l’existence dont les arrêtes sont parfois si tranchantes qu’on peut facilement s’y blesser, interpellaient ce qui lui servait de conscience politique, cette chose enfouie sous une montagne de fards et de sourires de complaisance à l’égard de ses nobles protecteurs, inflexible comme un commandeur revenu d’entre les morts pour pointer sur lui le doigt accusateur qu’il lui semblait devoir mériter.
Qui aurait pu deviner quels tourments abritaient parfois ce crâne dont les orbites exposaient un regard que les occidentaux considéraient bien souvent indéchiffrable. Peu importaient ses états d’âme, il avait une place à tenir dans le monde, aussi insignifiante fut-elle comparée aux monarques et aux duchesses croisées sur sa route. Mais c’était la sienne. Et elle avait l’avantage, lors de rares instants de grâce, de bouleverser suffisamment un noble personnage pour l’inviter à réfléchir au sort des petites gens du royaume. Dans ces moments là, il n’était plus une créature des abysses, mais il irradiait de bonheur et de lumière, convaincu d’avoir rempli sa mission sur terre.
« Je m’appelle Ludwig, savant de mon état, amateur d’expériences de terrain en particulier. » se présenta le rouquin, remplissant son outre avec la bière du baril mélangée à son breuvage magique avant de la tendre à son complice. Mieux valait commencer par le cobaye consentant pour rassurer ses victimes involontaires.
« Enchanté de vous rencontrer messieurs. » mentit tout à fait éhontément l’homme de théâtre. « Vous pouvez m’appeler Hibiki. »
Il attendit que la gourde arrive jusqu’à lui pour découvrir avec surprise que cette bière avait un arrière-goût assez particulier. Il n’en fit rien savoir, désireux de préserver la réputation légendaire de bonne politesse que l’on prêtait aux gens de sa civilisation.
« C’est curieux, je n’ai pas le souvenir de vous avoir vu lors de l’accueil de la délégation japonaise au palais. Mais je n’ai sans doute pas croisé toutes les personnes présentes à l’événement notez, il y en avait tellement. » relança-t-il dans la conversation à l’adresse du joli bibelot djerdanien dont le roi se servait comme otage. Une manière comme une autre de faire comprendre aux deux zouaves qu’il n’était pas un voyageur isolé que l’on pouvait faire disparaître sans lancer personne sur ses traces. Belle naïveté, sachant quels fous furieux lui faisaient face.
De son côté Ludwig dressait l’oreille, curieux à l’égard de ces voyageurs de l’autre bout du monde. On disait qu’ils avaient une médecine bien particulière, et surtout une maîtrise des arts alchimiques sans commune mesure avec l’occident. Il serait sans doute hautement profitable de mettre la main sur leur médecin. Profitable pour lui en tout cas. Pour leur médecin, tout dépendait de son goût pour ce que Ludwig appelait « les expériences de terrain. »
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Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
"Comment jouer sa vie autrement qu'avec légèreté?"
Sa légèreté, le courtisan l’avait retrouvée, du moins en apparence. Peut-être parce qu’ils étaient maintenant un groupe, et qu’il était accoutumé à briller devant les groupes, comme il avait cherché à le faire un peu plus tôt en déclamant sur sa table.
"Il faut me pardonner, je boudais dans mes appartements, j'ai réellement été perturbé par... mais ne parlons pas de politique. Vous m'intéressez, avec votre religion sans confesseurs, mais je parie qu'il y a une contrepartie plus hideuse encore. Oh, et monsieur m'intéresse tout autant. Je ne fréquente pas assez de savants."
« Hm, » marmonna le meneur de loups, comme pour déclarer son opposition à cet intérêt, sans en avoir vraiment de raisons, ni d’arguments.
Cléopold avait descendu les marches en brandissant une chandelle, mais la tenait soigneusement à distance des quidams réunis. C'était une charmante petite cave que celle-ci, bien achalandée – il apercevait quelques bouteilles de choix, étonnant pour un pareil tripot – et une table qui servait à faire les comptes sans doute lui permit même de s'installer comme un seigneur, le loup presque invisible à ses pieds, dans l'ombre opaque. Seuls deux yeux qui luisaient laissaient entrevoir que les événements pouvaient mal tourner à tout instant. Et pourtant, le brave canidé était le seul à n'avoir rien bu. Eymar en revanche, après avoir avalé une gorgée du breuvage, fit le fier :
"Il n'y a rien de plus fort, ici ? Puisque nous avons accès aux stocks, servons-nous, que diable. Je paierai, Sa Majesté a la bonté de régler mes ardoises."
Cléopold le surprit en posant sa main gantée de noir sur la sienne. « Tenez-vous donc tranquille, histrion. Vous n’avez pas à vous donner en spectacle ici. »
Il était intimidant, cet homme… Eymar eut un réflexe pour rentrer la tête dans les épaules, il se sentait brièvement retomber en enfance et ça ne lui plaisait guère. Bah, dès qu’il trouverait une prise pour attaquer, le sinistre personnage serait sa prochaine cible. Il pouvait être une vraie langue de vipère quand on le déstabilisait. Et ce n’était pas un gobelet qui allait lui geler la langue. Il sortit de sa poche un paquet de cartes et proposa de tirer leur avenir. Deux cartes chacun, et il s’amuserait à en inventer une interprétation plus ou moins fantaisiste, il préférait en avertir dès le départ.
Sa légèreté, le courtisan l’avait retrouvée, du moins en apparence. Peut-être parce qu’ils étaient maintenant un groupe, et qu’il était accoutumé à briller devant les groupes, comme il avait cherché à le faire un peu plus tôt en déclamant sur sa table.
"Il faut me pardonner, je boudais dans mes appartements, j'ai réellement été perturbé par... mais ne parlons pas de politique. Vous m'intéressez, avec votre religion sans confesseurs, mais je parie qu'il y a une contrepartie plus hideuse encore. Oh, et monsieur m'intéresse tout autant. Je ne fréquente pas assez de savants."
« Hm, » marmonna le meneur de loups, comme pour déclarer son opposition à cet intérêt, sans en avoir vraiment de raisons, ni d’arguments.
Cléopold avait descendu les marches en brandissant une chandelle, mais la tenait soigneusement à distance des quidams réunis. C'était une charmante petite cave que celle-ci, bien achalandée – il apercevait quelques bouteilles de choix, étonnant pour un pareil tripot – et une table qui servait à faire les comptes sans doute lui permit même de s'installer comme un seigneur, le loup presque invisible à ses pieds, dans l'ombre opaque. Seuls deux yeux qui luisaient laissaient entrevoir que les événements pouvaient mal tourner à tout instant. Et pourtant, le brave canidé était le seul à n'avoir rien bu. Eymar en revanche, après avoir avalé une gorgée du breuvage, fit le fier :
"Il n'y a rien de plus fort, ici ? Puisque nous avons accès aux stocks, servons-nous, que diable. Je paierai, Sa Majesté a la bonté de régler mes ardoises."
Cléopold le surprit en posant sa main gantée de noir sur la sienne. « Tenez-vous donc tranquille, histrion. Vous n’avez pas à vous donner en spectacle ici. »
Il était intimidant, cet homme… Eymar eut un réflexe pour rentrer la tête dans les épaules, il se sentait brièvement retomber en enfance et ça ne lui plaisait guère. Bah, dès qu’il trouverait une prise pour attaquer, le sinistre personnage serait sa prochaine cible. Il pouvait être une vraie langue de vipère quand on le déstabilisait. Et ce n’était pas un gobelet qui allait lui geler la langue. Il sortit de sa poche un paquet de cartes et proposa de tirer leur avenir. Deux cartes chacun, et il s’amuserait à en inventer une interprétation plus ou moins fantaisiste, il préférait en avertir dès le départ.
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Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
Curieux personnage, bondissant d’une émotion à l’autre comme un trapéziste savant. A croire qu’il prolongeait jusqu’ici le jeu de cour consistant à contrefaire les émois du cœur pour les accorder au diapason d’intérêts divers et variés. Hibiki était rassuré sur un point cela dit : leur petite descente (si tant est qu’on puisse descendre vers des sommets hallucinatoires) ne semblait pas se transformer en traquenard. Cela aurait pu, et tous les ingrédients étaient réunis d’ailleurs : un saltimbanque déclamant des tirades issues d’une pièce politiquement fâcheuse qu’il avait écrite sans la signer de son nom, le fait qu’un manuscrit problématique lui ait récemment mis la feuille dessus, deux énergumènes dont le niveau de bizarrerie n’avait rien à envier à celui de la galerie des phénomènes vivants de Sa Majesté, tous réunis dans cette cave sans savoir à quoi s’en tenir concernant les autres.
Sur ce point, Ludwig au moins avait l’avantage de posséder du meneur de loup une idée un peu plus précise que le comédien japonais qui, malgré toutes ses belles certitudes sur les êtres et le monde, ne savait trop présentement sur quel pied danser. Il fut trop heureux d’accueillir la distraction proposée par leur M. Irma inattendu tout en prenant une nouvelle goulée du curieux breuvage qui n’avait pas tout à fait le goût de la bière.
Le savant s’était lui aussi approché du courtisan et du paquet de cartes, intrigué par ce qu’il en pourrait sortir et l’interprétation qui leur serait donnée. Non qu’il crut vraiment à un destin tiré au hasard, mais cela restait une expérience comme une autre et celle-ci avait le bénéfice de ne pas impliquer un nettoyage de cadavre après coup. Sauf si Cléopold n’était pas satisfait de son tirage, peut-être… ? Baste, ils verraient bien.
« Bien, voyons ce que la Fortune nous réserve…. »
Sur ce point, Ludwig au moins avait l’avantage de posséder du meneur de loup une idée un peu plus précise que le comédien japonais qui, malgré toutes ses belles certitudes sur les êtres et le monde, ne savait trop présentement sur quel pied danser. Il fut trop heureux d’accueillir la distraction proposée par leur M. Irma inattendu tout en prenant une nouvelle goulée du curieux breuvage qui n’avait pas tout à fait le goût de la bière.
Le savant s’était lui aussi approché du courtisan et du paquet de cartes, intrigué par ce qu’il en pourrait sortir et l’interprétation qui leur serait donnée. Non qu’il crut vraiment à un destin tiré au hasard, mais cela restait une expérience comme une autre et celle-ci avait le bénéfice de ne pas impliquer un nettoyage de cadavre après coup. Sauf si Cléopold n’était pas satisfait de son tirage, peut-être… ? Baste, ils verraient bien.
« Bien, voyons ce que la Fortune nous réserve…. »
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Re: Un soir je descendis dans une auberge triste...
Penché sur son jeu, dont les arcanes luisaient aux douces lueurs de la lanterne, Eymar déchiffrait chaque figure tirée et en donnait le nom… qui n’éclairait sans doute pas beaucoup ses victimes du moment. Il ne pensait pas qu’un voyageur du bout du monde connu, ou un sauvage misanthrope qui vivait avec les bêtes dans une hutte, avaient idée de ce qu’il faisait. Quant à Ludwig, il conservait ses doutes pour le moment. C’était une créature particulière, il s’en ferait une idée avec l’avancée du dialogue.
« Pour vous, le bateleur, le chariot et l’ermite, » déclara-t-il à Hibiki, avec un sourire des plus engageants. « Je vous détaillerai leur signification, mais gardez-les bien dans cet ordre. Vous passerez de A à C grâce à B, voilà le sens. De même pour nous tous. »
En suivant ce modèle, Ludwig passerait donc de l’Empereur à la Roue en passant par le Pendu, funeste conjoncture en apparence, et qui évoquait les plus sombres chutes du haut du pouvoir ; Cléopold, de l’Etoile à l’Amoureux en passant par la Force, ce qui était plus poétique, mais lui fit faire la grimace ; et Eymar mit un point d’honneur à tirer lui aussi un trio de cartes avant de ranger son jeu ; enfin, peut-être faudrait-il qu’il le ressorte si quelqu’un dans cette noble assistance se mettait en tête de le questionner plus avant. Mais pour l’heure, il avait déjà suffisamment à faire avec leurs quatre profils. Le sien rassemblait la Mort, le Mat et le Diable. Diable. Un sourire plus énigmatique s’étira sur son visage. Cela lui rappelait un autre tirage, ancien, presque historique désormais. Les échos en étaient étonnamment sensibles au fond de son âme. C’était étrange, cette ambiance feutrée aux lumières dansantes : on avait presque l’impression de voir les dessins prendre vie…
« Bien, nous disions donc : tout commence par le Bateleur. Et c’est très amusant car c’est la carte du chiffre 1. Regardez : il est inscrit ici, c’est l’un de ses symboles. Cela peut signifier votre naissance, c’est à dire vos origines. Ce serait logique, la série représenterait alors votre voyage : vous vous éloignez de vos origines, actuellement. » Ce qui, dans le cas d’Eymar, lui inspirait toute sympathie, ayant connu le même départ de feu, longtemps jadis. « Il s’agit aussi d’un apprenti qui progresse, peut-être un art que vous cherchez à maîtriser, le début d’un alphabet avec lequel vous vous familiarisez, ou une profession que vous acquérez... Voilà votre point de départ, votre quête initiale. »
Son regard parcourut les deux cartes suivante : le Chariot qui menait à l’Ermite. Puis il releva les yeux. Il aimait à fixer intensément ceux dont il lisait l’avenir, ajoutant une dimension presque séductrice à cette intime activité de lever d’imaginaires voiles sur des dimensions cachées. Cela faisait partie de la chose, n’est-ce pas ? C’était avant tout un spectacle.
« Le Chariot peut représenter un voyage, mais il y a quelque chose d’agressif et de conquérant là-derrière, un combat que vous menez, un orgueil que vous brandissez ; par esprit de diplomatie entre nos deux contrées, je ne chercherai pas à en savoir davantage. Toujours est-il que votre destination sera l’Ermite. Ces combats se résoudront par une rupture avec le monde que vous avez cherché à conquérir. Vous pourriez, par exemple, découvrir une grande vérité, que vous ne dévoilerez pas agressivement sur la place publique, mais que vous cacherez sous forme cryptée, pour vous assurer que seuls les initiés y aient accès. La phrase de l’Ermite est : gare à la flamme de la Vérité, car celui qui la transmet, comme celui qui la reçoit, peuvent s’y brûler, » conclut-il solennellement. Il avait besoin de faire un peu peur à l’assistance en début de spectacle ; c’était la manière la plus sûre de capter l’attention.
Il se tourna alors vers Ludwig, et plaça sa main sur la sienne dans un faux geste rassurant, pour maintenir cette notion de menace. Il n’en était pas l’auteur, bien sûr, uniquement le transmetteur.
« Le point de départ dont vous vous éloignez est l’Empereur : stable, stérile, pouvoir conservateur opposé à toute transformation. Il se maîtrise trop, et peut se montrer violent quand son pouvoir est menacé, que ce soit à tort ou à raison, voire pour son bien ou pour celui des autres » - le regard sournois d’Eymar coula en direction de Cléopold une suggestion silencieuse, mais il se garda bien de développer. « L’étape qui vous délivre est celle du Pendu : une phase de détachement de l’ordre du monde. Observez ce petit chiffre douze : il est écrit à l’envers, il vous faut retourner la carte pour le voir dans le bon sens, et notre supplicié semble désormais flotter dans l’air sans effort, toute la perspective de la carte est inversée. C’est aussi une carte idéaliste, qui demande un sacrifice, mais celui dont vous n’aurez qu’à vous féliciter : sacrifice des possessions matérielles pour un bonheur spirituel, ce genre de chose. »
D’un petit signe de la main, Eymar balaya cette considération, qui ne lui séyait guère ; il y était terriblement attaché, aux possessions matérielles, même s’il était loin d’en être couvert en ce moment précis. Mais bien sûr, ce parcours ne le concernait pas.
« Enfin, la roue signale une évolution dynamique, qui peut faire beaucoup de mal si on se laisse bouleverser par son cours, mais qui peut aussi ouvrir la voie aux secrets de l’alchimie. Surtout pour quelqu’un qu s’éloigne de l’Empereur, force opposée par nature à la métamorphose. Je vous laisse seul juge : est-ce une issue favorable ou inquiétante, dans votre cas ? Nous ne nous connaissons pas assez pour que je vous le certifie. »
Après une dernière œillade – il se sentait porté aux œillades, cette boisson l’avait-elle à ce point enivré ? - il se tourna gravement vers son dernier patient, en songeant à part soi que le terme d’amoureux n’avait aucun rapport avec Cléopold, et qu’il avait sans doute tiré par mégarde la carte voisine de celle qui l’appelait réellement.
« Bon, l’Etoile symbolise beaucoup de choses comme la générosité, le courage ou l’espoir, mais je crois que dans votre cas nous savons à quoi nous en tenir : c’est une carte mirage, qui peut tout aussi bien vous entraîner vers une vie meilleure, que vous trouble d’une illusion. Elle a besoin d’une autre carte pour se dévoiler, elle est mobile et changeante. Donc nous devons l’attacher à la seconde, la Force, et le dévoilement est immédiat : la maîtrise des forces animales, voilà ce qu’elles signifient. Cet arrangement est intéressant parce que dans votre cas, le point de départ dont vous cherchez à vous détacher est la même chose qui vous en extraira. Vous vous délivrez de pulsions bestiales en les apprivoisant et en les utilisant. Je pense naturellement à votre ami le Loup ; mais comme le Loup dans nos légendes, cette bestialité peut être le symbole d’autre choses, moins décentes à décrire en bonne compagnie... »
« Nous ne sommes pas des enfants, » cingla Cléopold en lui coupant la parole. De toute évidence, il supportait mal ces simagrées.
« Observons simplement » - par provocation, Eymar se fit d’autant plus docte, presque pincé - « que votre aboutissement est l’Amoureux. Désirs, tentations, épreuves de conscience venues tester votre résistance. Je n’en dirai pas davantage. »
Le diseur de bonne aventure distribua dès lors ses trois cartes aux trois participants ; il avait l’esprit un peu flottant tout à coup, et autant qu’ils s’amusent aussi. Il y avait sur les dessins suffisamment d’indices visuels pour que chacun extrapole sa propre petite version.
« Tenez, à vous. Vous avez vu comment je procède. Vengez-vous, c’est de bonne guerre. »
« Pour vous, le bateleur, le chariot et l’ermite, » déclara-t-il à Hibiki, avec un sourire des plus engageants. « Je vous détaillerai leur signification, mais gardez-les bien dans cet ordre. Vous passerez de A à C grâce à B, voilà le sens. De même pour nous tous. »
En suivant ce modèle, Ludwig passerait donc de l’Empereur à la Roue en passant par le Pendu, funeste conjoncture en apparence, et qui évoquait les plus sombres chutes du haut du pouvoir ; Cléopold, de l’Etoile à l’Amoureux en passant par la Force, ce qui était plus poétique, mais lui fit faire la grimace ; et Eymar mit un point d’honneur à tirer lui aussi un trio de cartes avant de ranger son jeu ; enfin, peut-être faudrait-il qu’il le ressorte si quelqu’un dans cette noble assistance se mettait en tête de le questionner plus avant. Mais pour l’heure, il avait déjà suffisamment à faire avec leurs quatre profils. Le sien rassemblait la Mort, le Mat et le Diable. Diable. Un sourire plus énigmatique s’étira sur son visage. Cela lui rappelait un autre tirage, ancien, presque historique désormais. Les échos en étaient étonnamment sensibles au fond de son âme. C’était étrange, cette ambiance feutrée aux lumières dansantes : on avait presque l’impression de voir les dessins prendre vie…
« Bien, nous disions donc : tout commence par le Bateleur. Et c’est très amusant car c’est la carte du chiffre 1. Regardez : il est inscrit ici, c’est l’un de ses symboles. Cela peut signifier votre naissance, c’est à dire vos origines. Ce serait logique, la série représenterait alors votre voyage : vous vous éloignez de vos origines, actuellement. » Ce qui, dans le cas d’Eymar, lui inspirait toute sympathie, ayant connu le même départ de feu, longtemps jadis. « Il s’agit aussi d’un apprenti qui progresse, peut-être un art que vous cherchez à maîtriser, le début d’un alphabet avec lequel vous vous familiarisez, ou une profession que vous acquérez... Voilà votre point de départ, votre quête initiale. »
Son regard parcourut les deux cartes suivante : le Chariot qui menait à l’Ermite. Puis il releva les yeux. Il aimait à fixer intensément ceux dont il lisait l’avenir, ajoutant une dimension presque séductrice à cette intime activité de lever d’imaginaires voiles sur des dimensions cachées. Cela faisait partie de la chose, n’est-ce pas ? C’était avant tout un spectacle.
« Le Chariot peut représenter un voyage, mais il y a quelque chose d’agressif et de conquérant là-derrière, un combat que vous menez, un orgueil que vous brandissez ; par esprit de diplomatie entre nos deux contrées, je ne chercherai pas à en savoir davantage. Toujours est-il que votre destination sera l’Ermite. Ces combats se résoudront par une rupture avec le monde que vous avez cherché à conquérir. Vous pourriez, par exemple, découvrir une grande vérité, que vous ne dévoilerez pas agressivement sur la place publique, mais que vous cacherez sous forme cryptée, pour vous assurer que seuls les initiés y aient accès. La phrase de l’Ermite est : gare à la flamme de la Vérité, car celui qui la transmet, comme celui qui la reçoit, peuvent s’y brûler, » conclut-il solennellement. Il avait besoin de faire un peu peur à l’assistance en début de spectacle ; c’était la manière la plus sûre de capter l’attention.
Il se tourna alors vers Ludwig, et plaça sa main sur la sienne dans un faux geste rassurant, pour maintenir cette notion de menace. Il n’en était pas l’auteur, bien sûr, uniquement le transmetteur.
« Le point de départ dont vous vous éloignez est l’Empereur : stable, stérile, pouvoir conservateur opposé à toute transformation. Il se maîtrise trop, et peut se montrer violent quand son pouvoir est menacé, que ce soit à tort ou à raison, voire pour son bien ou pour celui des autres » - le regard sournois d’Eymar coula en direction de Cléopold une suggestion silencieuse, mais il se garda bien de développer. « L’étape qui vous délivre est celle du Pendu : une phase de détachement de l’ordre du monde. Observez ce petit chiffre douze : il est écrit à l’envers, il vous faut retourner la carte pour le voir dans le bon sens, et notre supplicié semble désormais flotter dans l’air sans effort, toute la perspective de la carte est inversée. C’est aussi une carte idéaliste, qui demande un sacrifice, mais celui dont vous n’aurez qu’à vous féliciter : sacrifice des possessions matérielles pour un bonheur spirituel, ce genre de chose. »
D’un petit signe de la main, Eymar balaya cette considération, qui ne lui séyait guère ; il y était terriblement attaché, aux possessions matérielles, même s’il était loin d’en être couvert en ce moment précis. Mais bien sûr, ce parcours ne le concernait pas.
« Enfin, la roue signale une évolution dynamique, qui peut faire beaucoup de mal si on se laisse bouleverser par son cours, mais qui peut aussi ouvrir la voie aux secrets de l’alchimie. Surtout pour quelqu’un qu s’éloigne de l’Empereur, force opposée par nature à la métamorphose. Je vous laisse seul juge : est-ce une issue favorable ou inquiétante, dans votre cas ? Nous ne nous connaissons pas assez pour que je vous le certifie. »
Après une dernière œillade – il se sentait porté aux œillades, cette boisson l’avait-elle à ce point enivré ? - il se tourna gravement vers son dernier patient, en songeant à part soi que le terme d’amoureux n’avait aucun rapport avec Cléopold, et qu’il avait sans doute tiré par mégarde la carte voisine de celle qui l’appelait réellement.
« Bon, l’Etoile symbolise beaucoup de choses comme la générosité, le courage ou l’espoir, mais je crois que dans votre cas nous savons à quoi nous en tenir : c’est une carte mirage, qui peut tout aussi bien vous entraîner vers une vie meilleure, que vous trouble d’une illusion. Elle a besoin d’une autre carte pour se dévoiler, elle est mobile et changeante. Donc nous devons l’attacher à la seconde, la Force, et le dévoilement est immédiat : la maîtrise des forces animales, voilà ce qu’elles signifient. Cet arrangement est intéressant parce que dans votre cas, le point de départ dont vous cherchez à vous détacher est la même chose qui vous en extraira. Vous vous délivrez de pulsions bestiales en les apprivoisant et en les utilisant. Je pense naturellement à votre ami le Loup ; mais comme le Loup dans nos légendes, cette bestialité peut être le symbole d’autre choses, moins décentes à décrire en bonne compagnie... »
« Nous ne sommes pas des enfants, » cingla Cléopold en lui coupant la parole. De toute évidence, il supportait mal ces simagrées.
« Observons simplement » - par provocation, Eymar se fit d’autant plus docte, presque pincé - « que votre aboutissement est l’Amoureux. Désirs, tentations, épreuves de conscience venues tester votre résistance. Je n’en dirai pas davantage. »
Le diseur de bonne aventure distribua dès lors ses trois cartes aux trois participants ; il avait l’esprit un peu flottant tout à coup, et autant qu’ils s’amusent aussi. Il y avait sur les dessins suffisamment d’indices visuels pour que chacun extrapole sa propre petite version.
« Tenez, à vous. Vous avez vu comment je procède. Vengez-vous, c’est de bonne guerre. »
- A distribuer comme bon vous semble :
- Symboles attribués à la Mort : dépossession, incarnation, nouveau départ, cycle accompli, phénix, régénération, nourriture pour les générations futures, nouvelle énergie…
Symboles attribués au Mat : son étouffé, être muet, âme d’artiste ou de prophète contrainte à se taire, puissante cachée, action différée, potentiel (l’acte étant révélé par une autre carte.)
Symboles attribués au Diable : magnétisme, envoûtement, ambition, prix à payer, sexe sans attaches, pacte ambigu, adultère (symbolique : trahison), magie noire, gain matériel, excès...
Eymar Sartyre- Fiche perso : Ma vie, mon oeuvre
Multi-comptes ? : Augustin Carpentier
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Date d'inscription : 28/12/2020
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