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[24 Mars 1598] Lorsque des grenouilles mènent à la vérité

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[24 Mars 1598]  Lorsque des grenouilles mènent à la vérité Empty [24 Mars 1598] Lorsque des grenouilles mènent à la vérité

Message par Cassandre Velasquez Mer 24 Mai - 14:03

[24 Mars 1598]  Lorsque des grenouilles mènent à la vérité Cimeti12
“Vaincre la colère, c'est triompher de son plus grand ennemi.”
Publus Cyrus

Les murailles de Braktenn devenaient de plus en plus visibles au fur et à mesure que Cassandre descendait la longue pente qui menait à la colline où avait été construite Frenn. Elle ne s’était pas attendue à retourner si tôt en ville, mais Kalisha avait partagé ses inquiétudes sur le fait que l’ancien prêtre de Saint-Eustache allait sans doute essayer d’échapper à ses responsabilités. Il était sans doute retourné dans la forêt auprès de Sylvère et Nico. Dans ce cas, elle leur rendrait visite et s’amuserait de nouveau à effrayer cet imbécile. De toute façon, il ne pouvait s’enfuir loin avec cette sanction judiciaire qui lui imposait pendant vingt ans de travailler gratuitement pour des hospices. A moins de vouloir vivre clandestinement... Mais cet idiot était bien trop bruyant pour échapper aux autorités. S‘il devait commettre un crime, il serait capturé dans la journée. Quoique… Il était si bête et si paresseux que celui-ci resterait peut-être sur les lieux, pensant qu’on ne le soupçonnerait pas.

Cassandre pouffait bruyamment lorsque la présence d’une grenouille sur le sentier retint son attention. Elle s’arrêta, surprise. Il n'y avait aucune mare proche. Ou alors il en existerait une particulièrement bien dissimulée... La fillette lorgna avec envie les buissons no loi de là, ayant envie de s'y faufiler. Partir en exploration, comprendre ce mystère... Ce serait si amusant ! Elle secoua la tête. Sa mission en premier. Surtout si elle devait aller dans la forêt et persuader cet imbécile de retourner à la maison qui l'avait adopté. Elle irait seulement jouer ensuite.

En approchant des portes, Cassandre salua poliment les soldats du guet postés nonchalamment là, puis remarqua plusieurs grenouilles qui chantaient dans la rue derrière eux. Intriguée, la fillette interrogea les gardes en rappelant n’avoir aucun animal de la sorte lors de sa dernière visite. Ils haussèrent les épaules et rapportèrent qu’elles avaient envahi la ville depuis hier. Elle les quitta assez vite, perplexe, et s’enfonça dans plusieurs rues pour constater que des grenouilles étaient présentes partout. Des garçons jouaient avec elles, excités, tandis que des femmes poussaient des cris ou tapaient les petites créatures d’un bâton ou d’un seau. Naturellement, les superstitions allaient bon train et sans surprise, Cassandre entendit plusieurs fois que Dieu les avait maudit que les sept plaies d’Egypte s’abattaient sur leur royaume. Elle aurait bien aimé en profiter, laissé entendre qu’elles annonçaient de libérer tous les esclaves ou tous périraient, mais elle s’était résolue à arrêter ces farces. Mais que ce serait drôle ! Quelle panique cela causerait !

Afin d’échapper à la tentation, Cassandre se concentra sur sa route initiale et se dirigea vers la maison où vivaient les Lesueur. Elle approchait de leur quartier lorsqu’un attroupement important à l’entrée du cimetière retint son attention. Un prêtre, dépassé, ne savait plus comment se faire écouter de tous ces gens devenus fous qui s'égosillaient tous en même temps.

“C’est Saint-Virgil ! C’est Saint-Virgil !”

“Hier, le garçon… Le garçon passé devant sa tombe et peu après…”

“Le garçon a demandé à Saint-Virgil de nous maudire !”

“Ou Saint-Virgil nous a maudit !”

“Saint-Virgil ! Saint-Virgil !”


Cassandre se mordait les lèvres pour ne pas éclater de rire. Ridicules. Ils étaient profondément ridicules. Même de petits enfants crédules ne croyaient pas à ces sornettes. Et Louise s'y était aussi perdue. Toutes les semaines, elle se rendait sur la tombe et le priait. La fillette savait son lien envers celui qui avait été son protecteur, mais de là à accepter de lui conférer des pouvoirs dans la mort… Coldris devait être excédé d’entendre ces histoires sur son meilleur ami. Si Nico devait mourir avant elle, elle ne supporterait jamais que des idiots fassent de son tombeau un culte.

“Nous devons prier…”

L’indolence du prêtre n’aurait pas raison de la foule. Il s‘efforçait de la canaliser parlant lentement, avec douceur, mais cela ne fonctionnerait pas. Cassandre avait à la fois envie de rire et de compatir. Elle se décida alors à s’avancer. Finalement, pour une fois, elle pouvait bien jouer une petite farce…

“Ma grand-mère m’a parlé une fois d’un moyen de calmer un Saint en colère.”

Elle réprima un sourire en terminant sa proclamation qui avait fait tourner toutes les têtes dans sa direction.

“Une chose semblable s’était passée dans son village natal. des grenouilles étaient sorties d’une tombe. Partout ! Elle devait avoir mon âge, je crois.”

“Et qu’ont fait les villageois alors ?”

“Euh, si je me souviens de son histoire, ils sont restés une semaine enfermés chez eux à prier. Et ils devaient manger une fois par jour en n’utilisant que la main gauche. Ah oui, oui, ils devaient utiliser que leur main gauche ! Ma grand-mère a bien dit que c’était le plus important !”

“Et pourquoi ? “

“Ben, d’après d’elle, c’est une pénitence. Ca montre au Saint qu’on accepte ses péchés. Ma grand-mère a bien insisté. Une semaine après, plus de grenouilles !”

Cassandre aurait bien hurlé de rire en contemplant cette assemblée de gens crédules qui analysaient sérieusement ses paroles. Ils se concertaient à voix basse, troublés puis se dispersaient par petits groupes. Quelques instants plus tard, le prêtre lui tapota l’épaule. Elle se retourna et lui adressa un sourire faussement innocent pour répondre à ses yeux colériques.

“Tu as dit des mensonges.”

“”C’est vrai. Mais auriez-vous réellement réussi à les faire partir ? Ma méthode est peu honnête, je le confesse, mais elle a pour mérite de les empêcher de continuer à rapporter des rumeurs.”

“Tu ne dois pas mentir. Un bon chrétien agit honorablement. Sans bafouer aucun des dix commandements.”

Comme toujours, l'inflexibilité des religieux les aveuglait. Cassandre mima la repentance.

“Pardonnez-moi, mon père. Dois-je me confesser ?”

“Oui, Suis-moi.”

“C’est que… J’ai une course à faire, et je dois rentrer ensuite. Est-ce que je pourrais aller dans la semaine me confesser à l'évêque Ratier à la cathédrale ?”

“Soit. Mais je vérifierai que tu sois passée.”

Il insista à lui demander son nom et Cassandre esquissa un sourire à l’idée de revoir le vieil évêque dans cette boîte qui sentait le fromage moisi. Il serait satisfait de l’entendre s’être bien comportée depuis leur dernier entretien, puis elle s’amuserait beaucoup à confesser cette bêtise. Il chercherait à la faire se repentir et ce serait alors très drôle de répondre à ses arguments jusqu’à le forcer d’abandonner, las.

Après cet intermède, Cassandre termina son trajet et ‘invita chez les Lesueur. Seule Angélique, de son âge, l'accueillit d’un sourire sincère. Elle la questionna habilement et celle-ci l’informa que l’ancien curé vivait toujours là. Il avait même accepté le mariage et la mère de la fillette était partie hier matin demander une date au prêtre de leur paroisse. Elles discutèrent ensuite plus insouciamment de leurs occupations, même si Cassandre préféra ne dire que travailler au château de Frenn. Elles ne se connaissaient pas assez pour se répandre en confidences. Et puis, son emploi auprès de Kalisha imposait un certain secret. Et elle n’allait pas non plus se vanter de recevoir des cours d’un précepteur, comme les enfants de châtelain ou de bourgeois. A la place, la fillette préféra parler de son ancienne vie dans son village natal et de son arrivée chaotique en ville. Angélique conta ensuite leur existence difficile depuis le départ à la guerre de son père, dont ils n’avaient plus aucune nouvelle, qui avait obligé sa mère à accepter toutes sortes d’emplois, souvent pénibles pendant qu’elle s’occupait de ses cadets et de tenir la maison.

“Angélique… Prends aussi soin de toi.”

“Je me brosse les cheveux, et je m’habille bien, non ?”

“C’est… Ma grande sœur, elle était bien plus âgée que toi quand maman est morte, mais elle ne vivait plus. Elle ne faisait que s’occuper de moi et du ménage. Elle n’était pas heureuse. Tu devrais sortir toi aussi. Et puis, les autres, ils sont tous assez grands pour faire le ménage ou la cuisine !”

Angélique la fixa, incertaine, en baissant ensuite la tête vers l’ouvrage qu’elle continuait à coudre. L’image d’Agathe mélancolique se superposa à elle. De nombreuses jeunes filles subissaient ce même sort, soumises à remplacer une mère partie bien trop tôt ou devant apporter le pain sur la table.Elle, elle ne la laisserait pas. Cassandre bondit énergiquement de sa chaise.

“Allez, on va aller jouer !”

“Et si Damien ou Clémence rentraient ? Ils…”

“Ils se débrouilleront !”

Le regard impérieux de Cassandre brillait et Angélique cèda bien vite. Elle déposa son ouvrage dans sa boîte et se décida à la suivre. L’appréhension se lisait sur son visage alors qu’un éclat de joie étincelait dans ses yeux.

“On va où ?"

“Au cimetière ! On va résoudre le mystère des grenouilles !”

***
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Message par Cassandre Velasquez Mer 24 Mai - 14:16

[24 Mars 1598]  Lorsque des grenouilles mènent à la vérité Samuel10
Quentin Duval, 23 ans

Une énième grenouille sautait sur une tombe.

Un soupir lui échappa alors que son regard détailla l'un de ces mausolées superbes. S'il avait pu réaliser ses rêves, lui aussi aurait pu être enterré dans l'un de ces somptueux monuments et non au pied d'une de ces croix pitoyables. Un rat. Il était né rat et allait crever rat. Dans quelques jours, il en serait ainsi. Tout espoir lui semblait vain et seuls les souvenirs, teintés d’amertume, l’accrochaient encore à ce monde. La veille du congrès, il avait fui. Dans la nuit. Comme celle où il avait quitté la maison. Sauf que là il n’avait rien emporté. Sauf du pain et des fruits glissées dans sa poche aux repas. Les trois dernières journées avaient été sinistres. Diane, maître Maurras, son épouse, les domestiques… Tous le regardaient comme un monstre. Comme un repris de justice.

Il n’avait eu qu’un excès de colère.
Un seul !
Il n’avait tué personne.
Tout cela par sa faute à elle.
Cassandre.
Cassandre…
Cassandre !
C’était sa faute !
C’était toujours de sa faute !

La colère lui rendait quelques forces et lui permettait de se redresser. Malgré son rationnement, ses vivres s’étaient peu à peu écoulées. Il ne voyait plus comment agir, hormis attendre la mort. Il pourrait recommencer, changer d’identité à nouveau, retrouver une autre place, mais une fois dans une bonne situation, Cassandre le narguerait encore. Elle aspirait à le détruire. Il ne lui échapperait pas.

“Monsieur ? Vous allez bien ?”

Une fillette blonde venait de s’approcher et l’observait d’un air timide. Il l’effrayait sans doute. Quentin haussa les épaules.

“Vous avez faim ? Attendez, j’ai justement une pomme !”

Il la regarda, pensif, sortir un fruit rouge de sa robe et la lui tendre. Par réflexe, Quentin la remercia du bout des lèvres et rangea la pomme. Elle lui servirait plus tard. S’il avait réellement faim…

“Vous êtes blessé ? Malade ?”

Elle tourna le dos, nerveuse, et s’éloigna en tendant le cou.

“Avec une amie, on est venus essayer de comprendre le mystère des grenouilles qui ont envahi Braktenn. Elle se souvenait qu’il y avait une mare dans le cimetière, mais elle n’a rien vu de spécial. Alors, on s’est séparés pour fouiller. A la recherche d’indices qu’elle disait…”

“Les grenouilles…”

Quentin ferma les yeux pour se remémorer cette pathétique idée. Il avait entendu parler de ces rumeurs stupides depuis deux ans qui avaient transformé la tombe de l’ancien procureur du Roi en relique. Maître Maurras avait souvent soupiré et commenté que le malheureux aurait détesté. Il savait cela impossible, mais il avait voulu y croire un instant. Il n’avait plus rien à perdre. Alors, il s’était approché de cet endroit et était tombé à genoux pour le supplier d’arranger sa situation. Mais rien n’était venu. Hormis, une grenouille. Une grenouille, puis dix, avait brusquement jailli autour de lui.

“Avez-vous vu quelque chose sur ces grenouilles, monsieur ?”

La fillette revenait vers lui et lui adressait la parole de manière toujours aussi polie, d’une voix même un peu basse. Elle ressemblait plus à une petite adulte qu’à une enfant.

“Je m’en fous. De ces grenouilles. Et de tout.”

“Pardon. je ne voulais pas vous déranger.”

“Angélique !”

Une seconde fillette émergea de l’une des tombes et la première courut la rejoindre. Elles discutèrent en conciliabule. Quentin se redressa pour les apercevoir et se figea. Cette silhouette. Ses cheveux bruns, même coiffés avec un chignon, il les reconnaissait. Et ce visage… Ce visage !

“Cassandre !”

D’un bond, Quentin se leva, animé d’une fureur incontrôlable. Les fillettes se retournèrent et la dénommée Angélique poussa un cri, les mains plaquées sur sa bouche. Cassandre se positionna rapidement devant elle. Son regard menaçant ne l’impressionna pas. Toutes ces avanies, tous ces reproches, toutes ces frustrations… Tout était de sa faute ! Il se rua brusquement vers elle et la saisit par les épaules. Il l’appuya contre le mur d’un maussolée proche en se délectant de la panique dans ses yeux. Son petit corps tremblait dans la puissance de ses mains. Il se sentait le désir de la briser. Elle tenta de se débattre, mais il lui écrasa les bras.

Si elle le détruisait, il la détruirait également.
Il ne se retirerait pas en la sachant continuer à vivre insolemment.

Alors que son frêle petit corps était bien immobilisé, il remonta ses mains vers son cou. Elle lui donna un coup de genou, mais sa jambe lui provoqua une douleur plus forte. Il s’apprêta à serrer cette nuque offerte lorsqu’une pique l’attaqua dans le dos. Cela se reproduisit plusieurs fois et l’obligea à lâcher Cassandre. Il se retourna et fut interdit. La seconde fillette, Angélique, arborait une croix, rapidement déterrée, et continuait à l’agresser. Elle l’obligeait à reculer. Après un instant de flottement, Quentin émergea en entendant une violente quinte de toux. Cassandre, accroupie, reprenait difficilement sa respiration. Cassandre… Il avait... Il… Quentin se recula et s'affaissa contre le mur dans son dos.

“Assassin !”

***
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Message par Cassandre Velasquez Mer 24 Mai - 14:25

Cassandre peinait à retrouver une respiration normale.

La scène qui venait de jouer lui semblait irréelle. Angélique continuait de menacer l’homme qui l’avait agressé et celui-ci était tombé à terre. Elle se releva, légèrement chancelante, et le contempla. Il lui paraissait perdu et un sentiment étonnamment familier la saisissait. Elle continua de le fixer en interrogeant ses souvenirs. Avait-elle pu croiser sa route ? Avait-elle ou mal agir envers lui, ou sa famille peut-être ? les paroles de Eléonore s’éveillèrent. Les soldats de la prévôté. Si souvent, elle s‘était amusée à les humilier. C’était peut-être l’un d’eux qui avait perdu son emploi. les siens étaient peut-être à la rue depuis. ou morts. Par sa faute. Elle se mordit les lèvres lorsque son amie, sans lâcher son arme, l’appela.

“Va chercher le guet !”

En temps ordinaire, Cassandre n’aurait pas hésité, mais là quelque chose la retenait. L’homme leva un court instant la tête, misérable, et se recroquevilla. Elle eut soudain l’impression de se revoir avec Irène après une grosse bêtise. Comme ce moment douloureux où elle était descendue pour lui annoncer avoir insulté Bérénice. Elle n’avait jamais souhaité la blesser, ni mal se comporter. C’était simplement parti comme ça. Par la faute de son mauvais caractère et de son impulsivité. Lui, il n’avait peut-être pas voulu l’agresser. Alduis avait agi de la sorte quelques mois plus tôt. Pour la faire taire. Enfin, sans Alexandre, il aurait peut-être… elle secoua la tête. Non, Alduis était impulsif, effrayant, mais il était aussi gentil. Il ne l’aurait pas tué pour sa seule curiosité.

Cassandre adressa un sourire silencieux à Angélique, puis se décida à avancer vers l’homme. Par prudence, sa main glissa vers le pan de sa robe où elle cachait sa dague, prête à dégainer. Une fois, pas deux. S’il faisait mine de recommencer, elle lui ouvrirait le ventre. Sans hésitation. Sans regret. Elle expliquerait ensuite la situation à Coldris et à lui seul. Pas même Kalisha. Ou peut-être à Eldred aussi. Lui comprendrait.

“Puis-je savoir pourquoi vous m’avez attaqué ?”

“Parce que c’est un fou !”

Cassandre demeura impassible et l’homme releva lentement pour croiser son regard. Il semblait réellement honteux. Brusquement, une lueur d’agacement sinctilla.

“Parce que tu as une vie parfaite. Depuis toujours.”

“Je suis bien habillée, je mange bien, mais ma vie n’a jamais été parfaite avant ça. Loin de là.”

“Peu importe ce que tu fais. Tu te comportes mal, mais tu t’en sors toujours. Tu n’es jamais puni. Ce sont les autres qui prennent. Tu attrapes les grenouilles de la mare, tu les caches, mais c’est pas toi que l’on gronde. Ou si on ait que c’est toi, on en rit. Ce n’est qu’une enfant, elle joue, c‘est tout ce qu’on dira de toi.”

Le ton était rempli d’amertume, mais au-delà de cette voix, Cassandre percevait autre chose. les grenouilles de la mare, ne jamais être puni… Il n’évoquait rien de sa vie à Braktenn, mais de son quotidien à la ferme. Personne ne pouvait plus raconter cela. Personne. Son père… Son père était décédé d’une pneumonie dans sa cellule. Ses deux sœurs avaient été emportées par la maladie. Il ne restait que… Elle se recula, encore interdite, et dévisagea l’homme. Ce visage familier. Ces expressions. Il était… C’était…

“Achille !”

“Achille est mort. Aujourd’hui, je me nomme Quentin. Quentin Duval.”

Il lui cracha ce nom qui n’avait rien d’inconnu avec une profonde aigreur. Quelques jours plus tôt, elle l’avait entendu. Un jeune bourgeois, marié à la fille d’un avocat respectable, avait quitté le domicile pour échapper à l'épreuve du congrès pour impuissance. Quentin Duval était Achille. C’était son frère.

Après la seconde de sidération, Cassandre s’élança brusquement et le gifla.

“C’est pour papa, ça !”

Sa tête chancela et ses yeux se fermèrent instinctivement. Elle lui assèna aussitôt deux nouvelles claques, l’une après l’autre.

“Et ça c’est pour Agathe !”

Elle souffla, s’immobilisa un instant, puis donna une nouvelle caque.

“Et pour Sophie !”

Elle s’apprêta à le frapper encore lorsque la main d’Angélique arrêta son bras et la contraignit à reculer.

“Mais arrête ! Arrête ! Mais c’est pas possible ! Vous ne savez que vous taper dessus dans votre famille !”

Rageuse, Cassandre s’éloigna en jetant un regard méprisant à Quentin. Ce dernier, étourdi, se massait lentement l’une de ses joues. Angélique s’approcha et mouilla son mouchoir pour l’apposer sur la partie endolorie.

“Qu’est-ce que vous reprochez à votre sœur, vous ?”

Cassandre étouffait. Des reproches ! Des reproches ! Il n’avait pas à en faire ! Juste à se taire. Il les avait abandonné ! Trahi ! Ils avaient tous connu la ruine et la misère par sa faute ! Par son égoïsme ! Elle se recula en sortant sa dague et commença à donner des coups avec dans une pierre tombale. Au même moment, Angélique continuait de soigner ce parasite. Elle aurait dû l’écouter et le laisser être arrêté par les soldats du guet. Il ne méritait pas mieux. La corde ! La corde ! Comme ça, il se serait excusé devant leurs parents !

“Je comprends que ce soit une histoire douloureuse, mais essayez de m’expliquer, s’il vous plaît. Pourquoi, vous, vous êtes en colère après Cassandre ?”

Quentin releva la tête et observa d’un regard dur Cassandre un instant qui jouait toujours de sa lame, puis reporta son attention vers Angélique.

“Car, elle me déteste. Depuis toujours. Alors, moi aussi.”

***
Cassandre Velasquez
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[24 Mars 1598]  Lorsque des grenouilles mènent à la vérité Empty Re: [24 Mars 1598] Lorsque des grenouilles mènent à la vérité

Message par Cassandre Velasquez Mer 24 Mai - 14:39

[24 Mars 1598]  Lorsque des grenouilles mènent à la vérité Enfant13
Angélique Lesueur, 13 ans

En acceptant de suivre Cassandre, Angélique n’aurait jamais imaginé vivre une aventure comme ça. La chasse aux grenouilles, fouiller le cimetière, c’était amusant, mais assister à une dispute familiale, c’était bien moins drôle. Quentin marmonnait, assis contre l’un des mausolés, en toisant de temps en temps des regards mauvais à Cassandre. Cette dernière frappait la croix d’une tombe plus modeste sans s’arrêter. Ils n’avaient vraiment pas appris à communiquer leurs émotions autrement que par la colère. Ou alors ils ne s’étaient jamais parlés. Avec ses frères et sa sœur, c’était parfois tendu, mais ils arrivaient plus ou moins à s’entendre. Souvent, ils s’unissaient, car elle était l’aînée, qu’elle les grondait la journée à la place de leur mère, ou faisait respecter les punitions. Ils jouaient des farces, mais leur mère les punissait en leur expliquant pourquoi ils avaient mal agi.

Angélique suivit Quentin du regard, intriguée de ces dernières paroles.

“Pourquoi elle vous déteste alors ?”

“Parce qu’elle est mauvaise. Elle n’arrête pas de me jouer des tours. De m’humilier. Et papa ne lui dit rien. Ou il la félicite. Elle, elle est travailleuse. Elle, elle connaît la vigne. Elle, elle adore être la petite fille parfaite.”

“Et toi, t’es qu’un paresseux !”

“Et toi une peste !”

“Il se plaint, Angélique, il fait sa victime, mais il ne dit pas qu’il passait son temps à abandonner le travail pour dormir ! Il ne dit pas que papa passait des heures à travailler seul ! Et il ne dit pas qu’il est parti avec nos économies ! Il ne dit pas…”

Cassandre s’arrêta au milieu de sa phrase, vomissant de haine. Son poing se serrait et avait lâché sa dague. Elle se pencha et jeta une pierre vers Quentin, qui rebondit heureusement contre le mur, à quelques centimètres de son visage. Le jeune homme esquissa un bref sourire.

“‘Tu vois ? Elle est mauvaise. Elle ne veut que me détruire.”

“Et toi, t’es un Saint, peut-être, c’est ça ?”

“Du calme !”

Angélique se planta devant Cassandre pour lui faire les gros yeux. Avec Damien, cela fonctionnait, mais les petits frères de huit ans étaient beaucoup plus impressionnables qu’une fille de son âge entêtée.

“Je comprends que tu sois en colère contre lui, c’est normal. Mais laisse-moi lui parler et ne m'interromps pas. S’il te plaît.”

Cassandre marmonna entre ses dents, dans une attitude assez semblable à celle de son frère, puis celle-ci s’éloigna de plusieurs pas pour s’installer à terre et bouder. Angélique soupira, puis retourna vers quentin.

“Et si vous me racontiez votre histoire ? Avec des faits. Sans parler de Cassandre.”

“il n’y a que peu à dire. Je suis né dans un village pas très loin de Braktenn. dans une ferme. Ma famille cultive des vignes. Mon père était possédé. il ne pensait qu’à sa vigne. Sa stupide. Moi, je la détestais. Il rêvait de me voir reprendre la ferme, mais moi, je rêvais d’aventures. Et ce travail l’ennuyait. Alors, oui, je m’échappais, mais pour aller rêver. Pas pour paresser.”

Angélique fronça les sourcils, assez gênée. Même si le travail des champs ne le passionnait pas, on ne choisissait pas sa vie. Il avait déjà de la chance d’être né dans une bonne famille avec une bonne situation. Sa mère, elle, sa soeur et ses frères, ils ignoraient bien souvent si la semaine ils auraient à manger. Mais formuler ces pensées allaient réveiller sa colère. Mais ne rien dire, c’était Cassandre qui protesterait. Elle aurait raison. Ce n’était pas juste de laisser sa famille travailler pour aller rêver ailleurs.

“Vous n’avez jamais discuté de ça avec votre père ?”

“Si. Mon père voulait que ce soit son héritier. Point.”

“Et au lieu de travailler aux champs, vous auriez peut-être pu revenir travailler à d’autres tâches ? le ménage, la cuisine, le linge…”

“Ce sont les activités des femme, ça.”

La suffisance de son ton l’agaça instantanément. Au même moment, Cassandre se releva, prête à revenir, mais Angélique répliqua la première en exprimant une colère froide.

“Mon frère de huit ans fait la vaisselle et le ménage. Je commence à lui apprendre à  coudre. Mon frère de douze ans, lui aussi, fait le ménage, coud et tout ce que vous prétendez être des activités pour les femmes.”

Quentin garda le silence, la bouche ouverte, interloqué, et baissa soudainement le regard. Ses yeux fuyaient, déstabilisés par la lueur vindicative dans ceux d’Angélique.

“Pardon…”

“Ensuite, si je comprends bien, vous avez quitté la maison, non ?”

“Oui, je suis parti à la poursuite de mon rêve.”

Angélique se tourna vers Cassandre, un peu plus calme, et lui adressa un sourire.

“Raconte-nous, s’il te plaît, ce qui s’est passé après le départ de ton frère.”

“Nous avons découvert un matin qu’il avait disparu, et ça avec la moitié de nos économies. Papa était effondré. Agathe aussi. Ils nous ont dit alors que papa avait emprunté pour racheter du matériel. Que nous devions rembourser une partie cet automne-là, et la seconde partie le suivant. Nous avons essayé de travailler, mais il y avait peu pour rembourser. Ou nous dépouillons entièrement et nous ne vivions plus. Ou nous demandions un peu de temps. papa a choisi la seconde solution. Et alors…”

Alors que les yeux de Cassandre se voilaient, Angélique se tourna vers Quentin, dégoûtée.

“Vous avez volé votre famille.”

“Nous étions riches. Je ne savais pas pour cet investissement. C’est pas ma faute.”

“C’est entièrement votre faute. Sa famille, on ne la vole pas. Ni même personne. Autrement, on est une très mauvaise personne.”

“Je pensais… c’était un emprunt ! Pas un vol !”

“Un emprunt sans demander de permission. Donc un vol.”

Angélique condamnait sévèrement cette action. Pas pour soutenir Cassandre. Elle aurait agi comme ça envers n’importe qui. Si un de ses frères s’était permis de toucher à leurs maigres économies, elle aurait hurlé. Et leur mère lui aurait sûrement décollé la tête… Elle se souvenait encore de la gifle reçue plus jeune quand elle l’avait insulté un jour où  elle espérait sortir.

“Je pensais qu’il n’y aurait pas de conséquences. je ne savais pas pour cet emprunt.”

l'intonation piteuse de Quentin réveilla la colère de Cassandre. Elle serra le poing, mais l’émotion, sans doute trop forte, lui fit lever de nouveau la main sur son frère.

“On a été ruiné ! Par ta faute !”

“Cassandre, s’il te plaît, raconte calmement la suite.”

“La suite, c’est qu’au printemps de l’année suivante, il y a une grêle. On a perdu tous les ceps. Tous. Et avec ça, plus de récoltes. plus d’argent. Agathe et Sophie sont parties en ville chercher du travail. Je ne savais pas à ce moment-là, mais elles sont devenues des prostituées. Et la moindre petite pièce que leurs passes rapportaient, elles nous l’envoyaient.”

“Sophie…”

Quentin releva la tête, se mordant les lèvres, et trembla en interrogeant Cassandre.

“Sophie… Où est Sophie ?”

“Dans une fosse commune !”

“Tu… Tu mens !”

“Nos sœurs sont devenues prostituées pendant trois ans. Tu crois qu'il arrive beaucoup de bonheur à celles qui baisent pour survivre ? Tais-toi ! Tais-toi ! Tu ne sais rien de ça !”

Quentin s’apprêta à ouvrir la bouche, mais il la referma aussitôt. Une ombre s’agitait dans ses yeux. Une sorte de peur. ou de la honte. Il devait certainement s’en vouloir d’avoir provoqué la perte des siens et il avait bien raison.

“Cassandre, s’il te plaît, reprends calmement.”

“Le peu d’argent ne suffisait pas. Nous devions rembourser une dette, sans pouvoir le faire. Alors, un jour d’automne, un peu avant la Toussaint, un homme est venu avec des soldats. Il ont arrêté papa. et moi, j’ai été jeté dehors. Sans rien pouvoir prendre. on m’a battu en me disant que c’était plus ma maison. J’ai erré des jours avant d’arriver à Braktenn.. J’ai vécu deux ans dans les rues, puis je suis devenue esclave. on m’a vendu à un bordel. Pendant trois ans, j’ai été servante. J’étais humiliée tout le temps. Parfois, des clients m’ont fait peur. Il y en a qui promenaient leurs main sous ma robe. Et toi, pendant ce temps… Toi, pendant ce temps, tu menais la belle vie !”

***
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[24 Mars 1598]  Lorsque des grenouilles mènent à la vérité Empty Re: [24 Mars 1598] Lorsque des grenouilles mènent à la vérité

Message par Cassandre Velasquez Mer 24 Mai - 14:50

[24 Mars 1598]  Lorsque des grenouilles mènent à la vérité Samuel11
Quentin Duval, 23 ans

Sa famille avait été ruinée.
Sa famille avait été ruinée par sa faute.

Quentin essayait de nier encore l’information, mais il n’y parvenait plus. Un soupçon lui était venu en découvrant Cassandre vendue amaigrie, mais il l’avait rapidement balayé. Il se refusait à les imaginer en difficulté.

Sophie.
Agathe.

Elles s’étaient vendues comme prostituées. Par sa faute. Comme lui. Elles avaient subi ces mêmes passes dégradantes. Elles avaient dû ressenti cette même nausée en revenant au matin dans leur chambre. Elles s’étaient senties aussi sales.

Il les avait souillés.

Son regard se leva timidement vers Cassandre, qui le fixait avec agressivité. Ce n’était plus une enfant mauvaise qui jouait des farces stupides, mais une fille haineuse qui avait vu sa vie détruite. Par sa faute. Il se rappela alors de son désir de la voir vendue à un bordel et exploitée et eut honte. Ce n’était pas elle qui le détruisait, c’était lui. Il détruisait tout ce qu’il touchait. Sa famille. Son mariage. Sa vie sociale. Sa mère… Elle était peut-être décédée de sa faute elle aussi. Ou ses deux petits frères aussi. Il se voulait grand, mais il était minuscule.

Angélique gardait le silence, mais Quentin entendait ses pensées. Elle aussi le jugeait coupable. Il avait volé sa famille. Il l’avait poussé vers la ruine. Il avait tué deux de ses soeurs et rendu misérable la plus jeune. Elle ne pouvait que le détester. Comme Cassandre. Comme Diane. Il était mauvais. Profondément mauvais.

Son regard se posa sur la dague abandonnée. Il se releva et marcha lentement dans sa direction. Avant cette rencontre, il s’accrochait à la vie et espérait retrouver une place honorable mais désormais, il venait de comprendre. Il n’avait de place nulle part. Un assassin ne restait pas en vie. Agathe. Sophie. Elles auraient mérité, elles, de vivre. Pas lui.

“Lâche ça !”

Alors qu’il ramassait la dague, Cassandre se précipita pour le bousculer. Il s’écrasa au sol alors qu’elle récupérait son arme et la rangeait dans sa robe.

“Vouloir mourir, c’est trop facile.”

“Facile ?”

“Ouais. Moi aussi, il n’y a pas si longtemps, je pensais à la mort. Que mourir n’aurait pas d’importance s’il y avait un sens. J’ai multiplié les bêtises avec cette idée en tête. Je pensais qu’être pendue sur la grande place serait un symbole. Que ça ferait sens. c’était stupide. ma mort ne changerait rien. Et puis, elle ferait de la peine.”

“Moi, ma mort ne ferait pas de peine. A personne.”

“Et moi alors ? Et Angélique ? Tu imagines notre choc de te voir t’égorger alors qu’on venait de te parler ?”

Quentin tourna la tête vers ma seconde fillette, restée près du mausolée, tremblante, et soupira.

“Pardon. Je ne fais que des bêtises. Depuis toujours.”

“Moi aussi, je ne fais que des bêtises, mais j’ai décidé de changer. Quand j’étais enfant, à la maison, je faisais toujours des farces, surtout à toi, je suis désolée, si c’était méchant. je n’ai jamais cherché à comprendre pourquoi tu restais à l’écart. Papa et agathe disaient qu’on devait travailler et ça me semblait normal. Au village, tout le monde travaillait comme ça. Alors, je croyais que c’était bien de t’obliger à travailler aussi.”

“Tu avais raison…”

“Non !”

Quentin la regardait, perdu.

“Mais…”

“Tout le monde n’est pas fait pour correspondre à l’idée que l’on s’attend de lui. Je connais une personne un peu comme toi, soumis à l’autorité de son père, et qui s’efforce de faire des choses pour être un bon héritier. Mais il le vit très mal. Ce n’est pas toi qui n’est pas normal, ni lui, c’est la situation. Personne ne devrait faire quelque chose qu’il ne veut pas faire.”

Des choses qu’il ne voudrait pas faire. Malgré lui, Quentin eut les images de ses amants à l’esprit. Sa respiration devenait difficile.

“Je… Je ne sais plus quoi faire.;”

Cassandre garda un instant le silence, étonnamment mal à l‘aise, avant de poser une question à voix basse qui lui fit relever la tête.

“Tu aimes les hommes ?”

“Non !”

“Il n’y a pas de mal à ça. N’écoute pas tout ce que les curés et les autres idiots qui croient à leurs bêtises peuvent dire. Si tu aimes les hommes, que t’es heureux avec un homme, ben t’as le droit. Et personne n’a à te juger pour ça.”

Quentin inspira difficilement. Elle ne comprenait pas. Elle ne pouvait pas comprendre. Elle était trop jeune. Elle… Il se rappela soudain que sa soeur avait vécu trois années au lupanar. Elle avait eu le temps de surprendre ces choses, surtout avec sa curiosité insatiable. Plus tôt, elle lui avait craché au visage qu’il ne savait rien de ce que Sophie et Agathe avaient pu endurer. Elle se trompait. Elle, elle ignorait ce que lui avait vécu.

“Je…”

Après une longue hésitation, emplie de peur et honte, il ajouta:

“Quand j’ai quitté la maison j’ai erré plusieurs jours, puis je l’ai rencontré. Il… Il m’a proposé de m’emmener à Braktenn. De me présenter à des hommes. il promettait qu’ils me donneraient une belle situation. Je me voyais riche, puissant, je…”

“Il t’a vendu à des hommes. Il t’a prostitué.”

La voix de Cassandre avait coupé inopinément le fil de sa réflexion difficile avec une froideur déconcertante. Elle donnait la sensation de considérer la chose de manière normale, comme si celle-ci avait autant d’importance que les légumes à acheter au marché, mais son regard voilé laissait passer ses sentiments. Le dégoût, la lassitude.. malgré lui, il trembla 👍

“Ils… Ils t’ont fait ça toi aussi ?”

“Non. Et s’ils avaient essayé, j'aurais planté le client qui m’aurait choisi. Plutôt la potence que ça.”

“Je croyais que tu voulais vivre.”

Quentin s’étonna de s’entendre rire en prononçant ces paroles. Cassandre haussa des épaules.

“Pour mes bêtises, non. mais subir ça, subir une agression, non jamais. Plutôt la corde.”

Il hocha lentement la tête. Il ne comprenait que trop le sens de cette déclaration. Toutes ces images atroces qui les pourchassent. Tous ces cauchemars qui revenaient chaque nuit. Tous ces sursauts à chaque fois qu’une main le frôlait seulement. Ce n’était pas vivre. Elle avait sans doute raison de préférer la mort à une vie hantée.

“Alors, c’est pour ça que tu as fui. Tu ne pouvais pas honorer ta femme. Alors, avec cette menace de congrès…”

***
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Message par Cassandre Velasquez Mer 24 Mai - 15:09

Son frère éclatait en sanglots, comme un enfant, en cachant les mains dans son visage. Cassandre recula de quelques pas, mal à l’aise, sans savoir comment agir. Elle ne savait même plus s’il le détestait encore ou avait simplement pitié de lui. Elle venait de lui exposer sa déduction et Quentin avait fondu en larmes. Elle avait encore été trop brutale, mais elle ne voyait pas comment exprimer mieux cette idée. Prendre soin des autres, se préoccuper de leurs problèmes, c’était bien beau, mais il fallait aussi dire les mots justes. Passer trois heures sans nommer ce qui n’allait pas, ça, elle ne le verrait jamais. Et ce n’était pas Eldred qui le lui reprocherait…

Angélique patientait, nerveuse, près du mausolée. Elle se décoda à la rejoindre et s’excusa.

“Pardon. C’est pas que je voulais m’énerver, mais…”

“Tu étais en colère après ton frère. Je sais. Oser vous voler… je crois que j’aurais été furieuse si l’un des miens avait fait ça.”

Cassandre la remercia du bout des lèvres, encore un peu honteuse de lui avoir présenté l’un de ses pires visages. Elle ne voudrait sûrement plus jouer avec elle après cette journée désastreuse. Elles auraient dû continuer à chercher les grenouilles dans le cimetière et à comprendre pourquoi celles-ci avaient quitté leur mare. régler un différend familial, c’était loin d’être sa préoccupation première.

“Que vas-tu faire avec lui ? Le faire arrêter ?“

“Le faire… arrêter ?”

“Ben oui ! C’est un voleur, alors il doit aller en prison !”

Cassandre tourna la tête vers Quentin, prostré, et l'entendit gémir encore entre ses mains. Il ne lui inspirait plus aucune colère. Uniquement de la pitié. Il avait volé leurs économies et les avait conduit à la ruine sans même que son esprit n’y songe. Mais la prison… Un frisson incontrôlable s’empara aussitôt de la fillette en revoyant ces hauts murs qui resserraient sur elle. Cette peur de ne jamais sortir, d’avoir pu être oubliée, s’éveilla à nouveau. Elle se rappela avoir observé chaque jour la grande place par l’étroite lucarne et soupiré de ne jamais apercevoir le pilori installé. Cassandre planta ses doigts dans sa main pour revenir à la réalité. Quentin…Elle disposait du pouvoir de l’envoyer là-bas. D’abord, par sa maîtresse. Kalisha jugerait certainement elle aussi pertinent d’envoyer un voleur en prison. Autrement, il y avait Coldris. Avec de bons arguments, en utilisant son agression, elle le persuaderait sans mal du danger qu’il représenterait. Son frère serait jeté en prison. Pour vol. Comme elle lorsque sa main s’était saisie de cette maudite pomme. Il serait asservi lui aussi. Il serait esclave. Elle se redressa et fixa sévèrement Angélique.

“Jamais !”

“Mais pourquoi ? Il t’a volé, toi, ta famille. et il peut recommencer.”

“Je n’enverrai jamais quelqu’un en prison. Et encore moins à l’esclavage.”

Il restait tout de même à savoir quoi faire de ce frère encombrant revenu des morts. Cassandre se décida à retourner vers lui.

“Dis, Quentin, tu voudrais être quoi ?”

“Ce que je veux… être ?”

“Moi, je veux être parfumeuse ! Tu n’as pas un rêve, toi ?”

Son frère releva la tête et Cassandre remarqua que ses ongles s’étaient imprimés dans son visage alors que ses yeux avaient rougi.

“Je voulais être riche. Devenir comme les bourgeois. Me tenir avec eux. Être aussi puissant qu’eux. Mais maintenant…”

Cassandre grimaça. L’idée de monter dans la société lui semblait assez abstraite et un peu trop ambitieuse. De toute manière, leurs vies paraissaient ennuyeuses. Elle préférait avoir leurs oreilles et soumettre plus ou moins habilement ses idées. Une petite esclave ne pouvait gère accomplir, mais avec sa maîtresse ou Eléonore, sa portée évoluait. Et avec Coldris, en jouant finement, elle pouvait espérer parfois. Dans un premier temps, au moins, de se voir affranchie un jour. Et dans un second, qu’il accepte de lui ouvrir les portes d’un apprentissage en parfumerie.

“Maintenant, tu peux encore recommencer. Il suffit simplement de trouver un emploi et patienter d’avoir une bonne opportunité.”

“Personne ne voudra engager un secrétaire sans référence.”

“Je peux te trouver un emploi, mais pas de secrétaire. Te donner tout de suite tes rêves, ça, je ne me permettrai pas.”

Quentin soupira.

“Tu veux te venger…”

“Non, tu dois seulement apprendre que les choses se méritent. Et elles n’ont que plus de valeur parce qu’on les a espérées.”

“On dirait un curé qui professe !”

Cassandre se mordit les lèvres, se sentant presque insultée de la comparaison.

“Moi, ressembler à un curé ? Plutôt foutre des crottes de chèvres dans un bénitier !”

“De toute façon, c’est facile pour toi de dire tout ça. Tu as une bonne place. Tu fréquentes des nobles. Tu as un tas de choses. et moi.. Moi, je ne suis rien du tout.”

La fillette gonfla les joues, excédée par ses reproches. On aurait dit un enfant ! s’il croyait que tout était facile… s’il croyait que sa vie avait simple…”

“J’ai été dans ta situation moi aussi. Et par ta faute. J’ai vécu deux ans dans la rue. Trois au lupanar. Tu veux qu’on continue encore à évoquer nos malheurs ?”

“Non. je… Pardon.. Je ne voulais pas dire ça.”

“De toute façon, même si tu retrouvais une place de secrétaire, avec ce mauvais caractère, tu la perdrais à nouveau. Ce n’est pas un reproche. J’ai au moins aussi mauvais caractère que toi. Je m’énerve vite et je peux insulter des gens sans le réaliser. j’ai été au pilori le mois dernier pour ça. Et on m’a retiré à mon ancienne maîtresse. C’est pour ça que je dois apprendre à avoir de meilleures manières, à mieux me comporter. Et toi aussi, Quentin, tu dois apprendre.”

“Mes mauvaises manières… C’est parce qu’on est des paysans ?”

“Non, je te parle de nos caractères. de notre manière de ne pas maîtriser mes émotions. Je travaille dessus et je crois que je commence à me conduire un peu mieux. sauf aujourd'hui. Aujourd’hui, je n’ai pas su maîtriser ma colère.”

Un long silence gênant s’installa que Quentin finit par briser.

“Je… Quand j’ai su que tu avais été reprise par ton ancienne maîtresse, j’étais en colère. Je t’en voulais. Je t’en voulais pour toutes tes farces. Quand je suis retourné dans ma chambre, ma colère était… J’ai renversé des livres, j’ai jeté des tas de choses.. J’ai frappé… Diane est venue. Elle voulait que je m’explique, mais je ne pouvais pas lui avouer. Elle aurait… J’étais un imposteur. un paysan. Ils m'auraient chassé.”

Cassandre le fixa sévèrement, agacée de son mépris.

“Il n’y a rien de mal à avoir eu des parents paysans. Et tu faisais un travail honnête. Si tu étais un bon mari, une bonne personne, ils n'auraient jamais eu idée de te chasser. par contre, cacher pourquoi tu peux être violent…”

“Ils ont imaginé des choses terribles, oui. Que je pensais peut-être à les tuer. Diane m’avait accordé une chance. Pendant trois mois, j’ai lutté comme ma colère. Je t'imaginais libre, heureuse, et moi, je me sentais misérable. Et quand j’ai su pour le pilori, puis qui t’avais racheté, je… j’ai cassé un miroir avec une statue.

“Quand j’ai insulté une femme, son père m’en a lancé une aussi, tiens.”

“Diane était là. Avec des servantes. Elle a prévenu son père. Et ils ont organisé le congrès. Elle m’en voulait déjà de… Elle m’en voulait de ne pas être un homme.”

“Tout ça, c’est ta faute.”

“Je sais. si j’avais su me contrôler… Si…”

“Non. Si tu avais fait confiance à ces gens, si tu leur avais parlé, ils t’auraient accepté. Je comprends que parler de tes problèmes soit difficile. Moi, j’ai caché beaucoup de choses à Irène. Souvent, j’ai menti. je croyais que c’était mieux. Que sinon elle s'inquiétait. et que des choses, elle ne comprendrait pas. Mais tu ne peux pas construire une famille sans confiance, comme on ne construit pas une maison sans fondations.”

“Je… Tu crois que Diane aurait compris si j’avais dit… ?”

“Je crois. Et puis, si elle l’avait pas fait fait, qu’elle t”aurait méprisé, toi, t’aurais rien eu à te reprocher. C’était juste une conne !”

Son frère plongea à nouveau dans le silence. cassandre attendit quelques instants avant de proposer une idée qui lui était venue. Eldred allait s’étouffer, mais elle avait déjà hâte d’entendre sa réaction lorsque Quentin répèterait ingénument ses paroles.

“Tu sais, à Frenn, il y a une personne qui m’a beaucoup aidé à contrôler mon caractère. Je connais bien l’intendant et je pourrais te faire engager. Mais ça sera pas un emploi dans les bureaux. Quand tu la rencontreras, dis-lui que ta petite sœur t’a conseillé d’apprendre à construire des relations comme on construit des maisons avec de solides fondations.”

“Bah.. Je n’ai pas vraiment le choix.”

Résigné, Quentin semblait désormais tout accepter. Cassandre lui ordonna de se lever puis appela Angélique. Son amie lui sourit et la fillette proposa de rentrer. En sortant du cimetière, ils passèrent devant la tombe de l’ancien marquis d’Aussevieille et aperçurent une nuée de grenouilles arriver vers eux. Une à une, elles sautaient Par dessus la stèle, puis disparaissaient. Quentin, surpris, prit du recul pour les observer.

“Elles… se retirent.”

“Elles retournent enfin vers leur mare !” s’exclama Cassandre.”

“Elles sont apparues quand je priais ici. Pour demander au Saint de me rendre une bonne situation. Elles…”

“Et elles s’en vont quand vous l’avez trouvé ! “s’écria Angélique.” Alors… C’est un miracle ! Le Saint exauce bien nos prières !”

“C’est ridicule. Les grenouilles ont été dérangé dans leur mare et ont fui. Puis, à force d’envahir la ville, elles ont été chassées et reviennent. Point.”

“Mais elles passent à chaque fois par cette tombe !”


“Un hasard.”

Cassandre tira sur la main d’Angélique pour l’obliger à la suivre ou celle-ci serait sans doute mise à prier. Devant les grilles du cimetière, elles se décidèrent à se séparer. Sur le chemin du retour, Cassandre remarqua la cathédrale proche et se rappela avoir promis de se confesser. ou ce bête curé ne la raterait pas. Autant que l’evêque découvre qu’elle était venue avant que l‘idiot ne soit venu rapporter.

“Je vais aller me confesser. Et toi aussi.”

“J’y suis allé il y a quinze jours.”

“Tu as parlé du vol ? De ce que tu as subi ? De ton mariage ? De tes colères ? sûrement pas, non ? Alors, vas-y et raconte tout. Tu verras, ça te fera du bien.”

“Je ne sais pas comment dire…tout ça.”

“Laisse venir. Et puis, t’inquiète pas du temps. tu feras pas pire que moi.”

En pénétrant dans la cathédrale, Cassandre se signa avec l’eau de bénitier en roulant des yeux. Elle s’avança ensuite pour rejoindre l'évêque, qui priait sur sa chaise, et le salua poliment avant de demander si elle pourrait se confesser et que son frère le voudrait aussi. le regard interloqué du vieil homme, presque abasourdi, l'amusa. Elle se mordit les lèvres pour ne pas éclater de rire. Il bredouilla qu’il ne pensait pas la revoir mais qu’il en était bien heureux.

“Je suppose que vous m’avez fait bonne impression.”

Cassandre laissa la place à son frère d’entrer le premier dans le confessionnal. il aurait plus à dire et ensuite l'évêque lui donnerait une pénitence. Pendant l’heure que dura l’entretien, la fillette s’éloigna vers une chapelle pour prier Zita. Elle n’allait quand même pas écouter seule une messe ! Tous ces chants et ce matin lui donnaient déjà mal à la tête…

Lorsque son frère sortit, il marchait penaud vers l’autel Cassandre l’ignora et rejoignit le confessionnal. Elle rapporta fidèlement toute l’histoire qui s’était passée au cimetière. A son étonnement, il ne la gronda pas. Il ne la reprit même pas sur son histoire inventée sur les grenouilles. La fillette releva les yeux, surprise, pour fixer son interlocuteur derrière la grille et resta désarmée devant son sourire bienveillant. Il déclara qu’elle avait bien agi et qu’elle pouvait rentrer si elle n’avait plus rien à lui confier.

Perplexe, Cassandre quitta le confessionnel, presque avec hésitation, et s’apprêta à rejoindre son frère L'évêque sortit à cet instant et lui annonça d'une voix plus sévère, qui tranchait avec sa douceur habituelle, que Quentin resterait une semaine en sa compagnie. Il entendait le reprendre et lui enseigner le chemin de la vertu.

En sortant de la cathédrale, Cassandre leva la tête vers le ciel et constata que l’après-midi était bien avancée. Kalisha s’imaginait certainement qu’elle avait été en forêt, mais le récit de cette longue histoire la divertirait. En descendant rapidement les marches, elle se demanda si elle aussi la féliciterait et jugeait qu’elle avait bien agi. Elle avait pourtant cédé à nouveau à la colère. Comme avec Bérénice.

FIN
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