[9 Septembre 1597] Aux abords du château [Terminé]

Claire se demandait bien où ils allaient. Elle espérait seulement qu'Alexandre savait vraiment ce qu'il faisait. Elle avait conscience qu'il voulait aider son ami, mais ne risquait-il pas de se mettre en danger. De plus, il faisait nuit... elle ça ne la dérangeait pas, les bruits s'entendaient mieux la nuit et elle pouvait ainsi mieux se diriger. Seulement, la voix d'Alexandre ne lui semblait pas très assuré. Elle tenta de la rassurer.

- Oh, je n'ai pas peur... et puis...

Elle entendit alors un glissement. En s'arrêtant, elle comprit qu'il venait de tomber. Prudemment, elle contourna ce qui semblait être une flaque puis vint à tâtons trouver le bras de son frère pour le relever.

- Il faut que tu fasses attention. Vous, vous devez être plus attentif quand il fait noir.

Vautré dans la boue, Alexandre poussa un long soupir, désespéré par sa propension à réaliser toutes sortes d'étourderies. Il se laissa relever par Claire, gêné, puis l'entendit lui faire la leçon. Sois plus prudent, regarde où tu vas, réfléchis avant de parler ou d'agir... Leur père pourrait dire les mêmes conseils. Avec une pointe de cynisme, en plus. Il se tourna en même temps vers le château dont on apercevait la silhouette au bout du chemin. Le jeune homme reporta son attention vers sa sœur, soucieux.

"En parlant de prudence, l'homme à qui nous rendons visite est mon ami mais c'est aussi un noble. Il faut savoir être réservé et ne pas l’embarrasser. Il est gentil, très gentil même, mais il a le respect des différences sociales. Alors laisse-moi parler, d'accord ? Et ne réponds que si je m'adresse à toi ou que ce soit lui."

A cette évocation, Alexandre plongea dans ses souvenirs. Il revit en premier le visage si doux du Seigneur de Frenn quand celui-ci lui avait fait apporter une chaise à son intention. Il se rappelait son incrédulité. Quelles chances existaient-il pour qu'un noble puisse accomplir un tel geste envers un vulgaire infirme comme lui ? Sa colère ensuite en découvrant qu'il s'était décidé à fouiller son château, sans permission, se révélait finalement logique. Son comportement l'avait déçu, surtout qu'il l'avait aperçu précédemment arrêté pour vol à la bibliothèque. Il baissa la tête et songea aux paroles de son maître de la veille : il n'était qu'un boulet, toujours à prendre les plus mauvaises décisions. Il releva la tête en serrant les poings. Cette fois, il ne commettra pas d'erreur. Il allait demander son aide au seigneur de Frenn et ce serait lui à prendre les bonnes décisions.

"Allons-y !"

D'un pas résolu, Alexandre reprit la route et le duo parvint au bout du chemin devant le château qui s'illuminait dans l'obscurité les pierres éclairées par des flambeaux. Cette belle vision romantique fit oublier un instant au jeune homme les raisons de sa présence. Il prit le temps pour décrire à Claire cette représentation que lui seul pouvait voir afin de l'apprécier à eux. Il s'avança ensuite vers les gardes, postés devant l'entrée, et reconnut ceux rencontrés au matin lors de sa première visite de la journée. Alexandre s'adressa à eux en simulant la docilité mais sans paraitre impressionné :

"Bonsoir, messieurs ! Vous me reconnaissez ? Je dois à nouveau voir le seigneur de Frenn pour lui faire le rapport qu'il m'a demandé lors de notre entretien de ce matin."

Le jour commence déjà à tomber lorsque deux silhouettes malingres apparaissent en contrebas des austères murs du domaine de Frenn. Les gardes qui sont de ronde ce soir les avisent avec curiosité : une jeune femme avec un chat (elle semble de condition assez modeste, dans une robe très simple qui n'ôte cependant rien à sa beauté candide) ...et encore l'esclave aux béquilles. Décidément cela devient un gag ! Trois soldats s'échangent des regards entendus, puis pouffent quand le garçon s'étale au sol alors qu'il faisait le fiérot.
Un homme d'armes l'observe se relever avec un fond de pitié, devant ses vêtements tout crasseux et déchirés par ses nombreuses chutes. C'est alors que l'esclave demande s'ils se souviennent de lui... C'est une blague ? Sûrement. En tout cas deux des gardes le prennent comme tel et répondent, depuis le haut des remparts, moqueurs :

"Et comment !" (puis, plus sérieux, devant la demande cavalière) "Le Premier Conseiller à autre chose à faire de ses journées que de te recevoir et de te ramener. Il est absent. Ou bien vous déguerpissez, ou bien vous l'attendez."

Dyonis se trouve en effet en réunion du Conseil au palais. Il devait s'en revenir d'ici une petite heure. Mais soudain, l'esclave avance l'argument d'un compte rendu à faire au seigneur. Cela leur semble étrange, mais soit. Plus calme, moins méprisant, le soldat reprend :

"Ah. Attendez-le dans ce cas."

Face au mépris que les soldats lui témoignaient, Alexandre prit sur lui et conserva un air docile. Il leur adressa un petit sourire ingénu puis répondit :

"Ah, mince, le seigneur n'est pas encore revenu. Je vois. Nous allons effectivement attendre. Le rapport dont il parlait au matin lui tenait si à cœur."

Le jeune homme se tourna et prit la main de sa sœur pour l'inciter à reculer puis lui proposa de s'asseoir à l'écart. La vision du château illuminée dans les ténèbres continuait à retenir son attention et à le fasciner. Il en oublia les raisons de sa présence, les gardes, Claire... Sa main sortit quelques feuillets vierges de sa tunique qu'il avait gardé au cas où et l'étala sur les dalles du chemin. D'un fusain, il évalua la taille de l'édifice puis commença à en reproduire les détails. Il dessina lentement mais sûrement la construction et donnait vie aux pierres reproduites, illuminées par les flambeaux. Le regret de ne pas avoir de couleur l'agaça un peu. Il observa avec envie le bâtiment, navré de ne pouvoir retranscrire complètement sa vision. Le jeune homme travaillait sans se soucier de son entourage, indifférent au monde extérieur, concentré sur l'ouvrage.

Un peu plus tard dans la soirée, le luxueux véhicule du seigneur revient par l'allée principale vers son domaine. Dyonis, concentré à lire à l'intérieur, ne voit pas ce qui se passe alentour. Les pas soutenus des chevaux et les roues du carrosse secouent la terre et en font gicler autour de la route.
Une fois arrivé dans l'enceinte du château, on vient immédiatement ouvrir et un intendant informe le Premier Conseiller des visites en son absence. Un soldat pointe Alexandre et Claire au loin. Une fois seul, Dyonis passe sa prothèse contre son front plissé et grommelle :

"Ne peut-il donc m'oublier ce gamin, et comme moi souhaiter clore cet épisode ?"

Il presse le pas pour aller vers lui, avec l'intention de rapidement le faire déguerpir. Le seigneur se demande ce qu'il peut bien encore lui vouloir, et pourquoi il lui amène en prime cette petite blonde aujourd'hui. En s'approchant, l'homme voit une feuille posée sue les jambes de l'esclave et contemple quelques instants sont impressionnant travail au fusain. Il hoche distraitement la tête à l'attention de la fille.
Il considère Alexandre, à nouveau dans un état décidément misérable, avec ses haillons couverts de boue. L'infirme a donc encore commis des imprudences, ou son maître le traite si mal...

L’esprit toujours happé dans son œuvre, les bruits extérieurs ne parvenaient toujours pas à Alexandre. Il continuait à perfectionner son dessin, apportant ici et là différentes petites touches pour mieux rendre les éclairages. Il n'entendit ni la venue du véhicule ni les pas de Dyonis. Son attention demeurait fixée sur sa feuille, la main s’agitant sans cesse avec lenteur et minutie.

Au bout de quelques minutes, la position inconfortable lui rappela les fatigues de son corps fragile. Il se redressa, voulant détendre ses muscles et son regard croise celui sévère du seigneur. A ce seul échange, si bref, des souvenirs s'éveillèrent et une vive terreur passa sur le visage du malheureux garçon. Alexandre se souvint des colères de cet homme qu'il croyait jusque peu être son père véritable. Il l'autorisait, certes, à dessiner quand son organisme nécessitait de demeurer alité afin de se divertir. Mais s'il le surprenait en temps ordinaire à une telle activité... Le père Bellanger affirmait que la passion du dessin n'avait rien de viril et que seuls de maudits bougres pouvaient apprécier cela. Son dos se remémorait lui aussi des coups de ceinturon. Les maudits bougres... Un terme pour désigner les gens comme lui... Alexandre en versa des larmes. La respiration haletante, pris de panique, il fixa le seigneur de Frenn et son esprit lui confondre son visage avec celui du père Bellanger. Les premiers coups allaient venir. Il le savait.

Par réflexe, Alexandre se plaqua au sol, tremblant de tous ses membres, ses mains serrées au-dessus de sa tête pour la protéger au cas. Il hurla, terrifié :

"Pitié, Papa ! Je sais ! Je sais que je ne dois pas dessiner ! C'était pour m'occuper, juste en attendant ! Pardon ! Pardon ! Je ne le referai plus ! Pitié, papa, pitié !"

Les yeux déjà embués par les larmes, une vision de sa mère au sol lui traversa l'esprit. Sa mère... Il allait encore la frapper à sa place pour le punir. Il se redressa, malgré les tremblement, misérable, et gémit :

"Pitié, papa. Ne la touche pas, elle. Elle savait pas. c'est moi qui... C'est moi qui doit être puni"

Spoiler:

Le corps entier d'Alexandre tremblait. Son regard apeuré fixait Dyonis mais son esprit persistait à déformer la réalité et à faire apparaitre les traits sinistres du père Bellanger sur ceux de noble. Les larmes continuaient à ruisseler. Soudain, des mains le saisirent. Elles le secouèrent. Une voix résonnèrent. Douce. Prévenante.

"Maman.. ?"

La voix ne correspondait. Non, sa mère n'était pas avec lui. Il était un esclave désormais et elle recluse dans sa propre maison. Il tendit l'oreille et reconnut le timbre de sa sœur.

"Claire... ?"

Il tourna la tête et aperçut la jeune femme ravagée par l’inquiétude que son propre tourment venait de lui faire vivre. Les pièces commencèrent à se réassembler. Claire, esclave... Il vit ensuite le château derrière eux. Le voile sinistre se déchira enfin et les traits du véritable Dyonis réapparurent. Encore haletant, Alexandre le contempla, navré et confus. Il se ridiculisait encore en sa présence. Avec humilité, le garçon s'inclina, mortifié :

"Je vous prie de bien vouloir m'excuser, messire, à la fois cette attitude indigne et honteuse ainsi que ma présence une fois de plus sur vos terres. Je n'aurais pas voulu vous déranger mais un événement inquiétant vient de se produire en vile."

Peu à peu, le calme lui revint même si Alexandre demeurait encore fébrile. Cette fois, le souvenir de Tristan et la pensée de son sort affreux l'habitaient entièrement.

"Nous nous trouvions tout à l'heure au baptême du fils d'Irène, la sœur de notre maître. Pendant la cérémonie, sans que personne ne le remarque, Tristan a été enlevé. Non, ce n'est pas une fugue. Son fauteuil était toujours à l'église. Il ne manquait que Tristan. Quel infirme esclave prendrait ainsi la fuite ? Mon maître, Irène.. Tout le monde ne sait pas de quoi il s'agit. Pour ma part, j'ai recueilli un témoignage... intéressant."

Son regard se dirigea un court instant vers Claire. Il ne dévoilerait tout de suite ni son identité ni son pouvoir. Il valait laisser le seigneur de Frenn mordre à leur appât et le persuader ainsi de s'intéresser à leur affaire. Il prit un temps de réflexion puis ajouta avec prudence :

"Il semblerait que ce soit un noble qui soit derrière ce rapt. Une femme. Ce fait est certain. Pour ce qui est de ses origines, je me base sur la logistique du rapt. Tout cela est si énorme... Seul un noble aurait pu affréter un pareil mécanisme. Or, au vu de la coïncidence avec une certaine affaire pas si lointaine et au vu de votre récente nomination... Cela pourrait bien être un de vos ennemis."

Dyonis s'apprête à faire constater sa présence par un raclement de gorge, alors qu'Alexandre semble ne même pas le remarquer, concentré sur son dessin (oeuvre très réussie : le garçon a du talent, il faut le reconnaître). Seule la jeune fille qui l'accompagne a remarqué le seigneur et lui adresse une humble révérence auquel le baron ne répond que d'un bref acquiescement.
Mais il n'a pas le temps de se signaler que déjà, l'esclave aux béquilles croise son regard et est pris d'un soudain accès de terreur. Dyonis marque un léger sursaut et son regard se durcit pour ne pas trahir son trouble face à la pathétique scène. Le garçon se recroqueville, plaque les mains à sa tête comme s'il allait être battu. Et ces paroles délirantes qu'il hurlait... Le seigneur comprend à ses mots que le père, ce grossier individu entendu au procès, a voulu donner une bonne éducation d'homme à son fils, une éducation à la dure comme Dyonis lui-même en a eue... mais que le Bellanger a peut-être un peu forcé. Et surtout, battu régulièrement sa femme par procuration.
Interdit, le baron secoue légèrement la tête et pousse un faible grognement de mépris envers le libraire rustaud bien peu digne de sa fonction. Son regard navré tombe ensuite sur Alexandre : aurait-il complètement perdu la raison ? Dans cet état, il ne trouve rien de mieux à faire que de revenir l'importuner. S'en déferait-il un jour ? Il s'apprête à le faire déguerpir sans ménagement lorsque la dénommée Claire parvient à le calmer. Le baron reste en retrait le temps qu'Alexandre reprenne ses esprits entre les mains de la fille, ce qui ne semble pas tarder d'arriver.

Enfin, les esprits reviennent au garçon. Il s'incline et présente ses excuses. Le regard que Dyonis pose sur lui est à la fois las et agacé. Il rebondit sur sa remarque concernant cette nouvelle présence incommodante sur ses terres :

"Une fois de plus en effet. Et combien d'autres encore à suivre ?"

La voix est distante, contrariée. La présence récurrente dans son domaine d'un esclave qui ne lui appartenait pas, et qui en plus commence à montrer des signes de démence, pourrait bien servir des concurrents ou des ragots. Hors de question d'y prêter le flanc, ni de raviver le plan auquel Dyonis devait sa place. Il approche son crocher dans l'intention de se saisir de l'habit du garçon pour le renvoyer, mais Alexandre mentionne un péril qui se prépare en ville. L'homme croise les bras et écoute ce que l'esclave a à lui dire.

D'abord, le baron lève les yeux au ciel. La disparition de Tristan. En quoi le sort de cet esclave invalide le regardait-il ? C'est à la police de gérer cela et il se met à redouter qu'Alexandre prenne l'habitude de venir le chercher à chaque pet de travers.
Le regard d'Alexandre se dirige alors vers la fille dont Dyonis ne sait toujours rien. Mais il comprend qu'elle lui aurait donné des informations. Qui peut-elle être par rapport à lui ? La robe très simple de ladite Claire laisse seulement deviner une roturière - au mieux. Une légère grimace vient soudain aux lèvres du baron devant les arguments du garçon.

"Il n'y a rien d'énorme à cela. Des bandes de gueux et des gitans organisent aussi régulièrement ce genre de choses. Sans parler des routiers à plusieurs pour des pillages. Ou des groupes d'enlèvement d'enfants pour de diaboliques activités. Quels éléments vous font donc dire qu'il peut s'agir d'un noble ? L'accusation est grave."

Ces deux dernières phrases s'adressent cette fois-ci à Alexandre aussi bien qu'à son amie. En attendant d'entendre leurs justifications, il se demande s'il dot agir pour cet esclave enlevé. Tristan peut simplement avoir organisé sa fuite avec des complices valides. Le retrouver en revanche sans passer par la police... Pas une mauvaise idée : l'éclopé que Dyonis a torturé et fait devenir esclave pourrait le compromettre auprès de Dieu savait qui. Surtout s'il s'est enfui. Retrouver Tristan et le rendre à son maître seraient urgent dans ce cas, et tant pis s'il doit prendre sa punition pour évasion.
Le baron en reste là de ses interrogations et, d'un petit haussement de menton, ordonne d'avoir plus de détails.

Le Seigneur de Frenn était sec, indifférent même à son discours. Il ne semblait pas vouloir se mêler. Une fois de plus. Alexandre paniqua. Tristan... Il devait persuader le baron. Il était leur seule aide. Le jeune homme se força à conserver son calme et rassembla ses arguments. Il se rappela que parmi eux figurait la présence d'une invention mystique, chose pour laquelle le Seigneur de Frenn avait un faible.

D'une voix claire, il reprit :

"Au fait, je manquais à mes devoirs. Messire, voici Claire, ma sœur. Elle n'est pas, elle enfant du péché. Notre père était alors encore jeune et n'avait point prononcé de vœux. De ce que j'ai pu comprendre, il n'a pas voulu beaucoup s'ouvrir au sujet, la mort en couches de la mère de Claire l'a beaucoup affecté et l'a poussé à retourner vers les ordres."

Satisfait de cette explication que son esprit venait d'imaginer, Alexandre réprima un sourire. De cette manière, son père ne serait pas encore souillé et le baron ne rappellerait pas sa rupture de vœux. Il ne souhaitait pas que sa sœur entende de telles paroles.

"Claire, je te présente, le baron de Frenn qui est également le premier conseiller du royaume de Monbrina. Voyez-vous, messire, ma sœur est née avec une particularité : elle souffre de cécité. Cependant, sans qu'on ne sache bien l'expliquer, il lui arrive d'avoir des visions, des sortes de prédictions... Claire, je t'en prie, répète celle qui te sont venues lorsque nous avons découvert à l'église la disparition de Tristan.

La jeune fille fut rassurée de voir son frère se relever. Il reprit rapidement son discours. Elle craint un instant qu'il ne parle trop vite mais heureusement, il garda sa langue. Elle resta silencieuse, comme elle le faisait en écoutant attentivement. Elle saisit surtout au ton du baron qu'il ne semble pas être aussi amical que le pensait Alex. Elle fronça un peu les sourcils, inquiète de ce que le seigneur pouvait leur faire. D'ailleurs il ne semblait pas les croire. Claire l'avait craint et était prête à prendre Alex par le bras pour rentrer. Ils pouvaient mener l'enquête eux-même après tout, elle n'était même pas sûre que ce soit une noble.

Seulement, voilà qu'il la mit soudain sur le devant de la scène. Claire garda sagement ses mains derrière son dos. Elle hocha la tête devant le seigneur. Seulement soudain, Alex révéla son secret. Les mots mirent du temps à arriver aux oreilles de Claire. Non... Elle sentit soudain comme le fantôme de Dame Rose gémir. Elle se tourna un bref instant vers Alex, la bouche légèrement déformée, comme par une déception. Sa grand-mère avait fait tellement d'effort pour cacher son don, pour la maintenir à l'abri. Et malgré les dires de son frère, elle n'avait aucune confiance en cet homme. Et que dirait son maître s'il l'apprenait... Mais elle n'avait plus le choix. Elle trembla mais avoua tout de même.

- J'ai vu une roue qui se brisait... Un garçon... une chambre chaude, avec une femme, de figure haute...

Elle ne parvenait pas à dire plus, trop effrayée. Elle aurait voulu fuir, rentrer chez elle, mais même ses jambes ne lui obéissaient plus.

Les yeux scrutateurs de Dyonis restent un instant sur le visage de la jeune fille qu'Alexandre présentait comme sa sœur. La ressemblance n'est pas flagrante. Et surtout, elle n'a pas l'air spécialement plus vieille que le garçon, au contraire... Alors comment le prêtre l'aurait-il eue avant le prononciation de ses vœux ? Le baron ne dit rien : les apparences peuvent être trompeuses. Le garçon annonce ensuite qu'elle est aveugle.

"Ah."

Et en y regardant de plus près à la lumière de sa lanterne, en effet les yeux de Claire sont presque blancs et quasi immobiles. Plus surprenant : ce que l'esclave commence à lui dire concernant les dons qu'aurait reçus cette jeune fille. L'information intrigue Dyonis, mais il reste tout de même sur ses réserves (la dernière fois qu'il a eu affaire à une prétendue mystique, ça aurait pu très mal se terminer). Il choisit donc la prudence et commente d'une voix incrédule :

"Des visions. Allons bon."

Claire paraît très inquiète aux côtés d'Alexandre. Ses mouvements d'anxiété n'échappent pas au baron, surtout quand le garçon commence à évoquer son prétendu don : comme si le béquilleux venait d'éventer un secret... ou de dire un mensonge. L'un ou l'autre. En tout cas, cela déplaît à l'aveugle que le seigneur de Frenn sent alors parcourue d'un bref tremblement. Il écoute ses précisions plutôt vagues et acquiesce.

"Une femme dans une chambre chaude. On dirait que quelqu'un a eu besoin de se satisfaire avec un charmant esclave."

Mauvaise plaisanterie, admet-il à peine sortie de sa bouche ; mais ainsi elle déguise un peu la contrariété que tout cela laisse à Dyonis. Après quelques secondes de réflexion, l'homme se fait à l'idée d'apporter son aide à la recherche de Tristan. Pourquoi pas. Ou bien il s'est évadé, ou bien c'est un enlèvement mais quoi qu'il en soit, autant ne pas prendre le risque de voir l'esclave en chariote raconter ici ou là des choses compromettantes. Et ce serait un bon point pour la prise de fonctions de Dyonis que de résoudre et punir une éventuelle affaire d'enlèvement. Gardant cette décision dans sa tête, il s'intéresse de plus près à la fille aveugle. Se tournant vers elle, il demande :

"Claire, au juste qui es-tu donc ? Où travailles-tu ? Ou pour qui ?"

L'ouvrage pour lequel elle était officiellement occupée depuis quelques heures se terminait. Marguerite errait dans la propriété, tapie comme une mur, cherchant de bonnes informations à rapporter à Blanche. Ce maudit baron qui lui avait paru si gentil... Elle devait le faire tomber, comme sa patronne le désirait. La jeune femme se faufilait dans les couloirs et écoutait de loin les conversations de divers employés. Ses recherches lui avaient permis de découvrir que les deux esclaves déférés récemment à la prévôté. Ils se nommeraient Alexandre et Tristan. Le béquilleux, fils de Blanche, était Alexandre. Quel beau nom ! Qui l'avait choisi ? Sa mère ? Ou... ?

Soudain, elle perçut le retour du carrosse de son maître officiel. Marguerite s'avança vers la fenêtre et se pencha pour apercevoir Dyonis descendre. Il s'approcha des gardes, s'informa des dernières nouvelles au sein de son domaine puis s'avança vers une autre direction au lieu de rentrer au château. Étrange. Elle repéra alors deux manants non loin de là. Qui étaient-ils ? Des mendiants venus demander l’aumône ? Dyonis resta un temps à observer le garçon recroquevillé avant de lui adresser la parole d'une voix plus que sévère. Il semblait le connaitre. Le garçon se mit à trembler, terrifié, puis se reprit peu à peu. Ses explications lui parvenaient, elle était située juste au-dessus, au premier étage. Ils ne la remarquaient pas mais elle ne perdait pas une miette de l'entretien. Ces paroles du garçon... Il évoquait le procès de l'autre jour. Marguerite avait du mal à trouver une logique à cet événement depuis la révélation. Pourquoi exposer ainsi son fils enlevé à cette pauvre Blanche ? elle secoua les épaules d'un geste las. Un délire de nobles ! Ces gens-là n'étaient pas comme eux. Leurs esprits n'étaient animés que par la fourberie et la manipulation.  

Les propos d'Alexandre eux-mêmes la troublaient. Enlever Tristan, l'autre esclave ? Pourquoi ? Blanche désirait son fils et se moquait de ce misérable infirme. A moins que Bastien ne se soit trompé ? Une coïncidence singulière ? Un sourire flotta sur ses lèvres. Elle avait le moyen de battre Bastien et de lui prouver à lui et et Blanche sa supériorité. Dès ce soir, elle ramènerait le garçon au Lupanar.

Quittant son poste d'observation, Marguerite s'empressa de courir à l'entrée du château. Elle ralentit au moment de passer la porte, saluant gentiment gardes, l'air de rien, puis s’immobilisa devant la fameuse scène. Dyonis s'adressait à une jeune femme qui paraissait effrayée. Elle se moquait de celle-ci. Elle ne l'intéressait pas. Mais elle devrait la prendre pour avoir Alexandre. Et puis.... Ce serait un bonus ! Blanche et Bastien seraient ravis d'accueillir gratuitement une jeune femme bien fraiche pour les services de l'établissement.

Simulant la docilité, elle fit une révérence à Dyonis :

"Bonsoir, maître. Avez-vous passé une bonne soirée ?"

Son regard se dirigea avec naturel sur les deux esclaves, sceptique :

"Que font ces esclaves ici, maître ? Vous dérangent-ils ? Je dois me rendre en ville porter l'argent au docteur qui a soigné ma fille.  Si vous le désirez, je peux déposer ces deux-là chez leur maître et veiller à ce qu'ils soient punis pour leur intrusion."

Elle jeta un regard sévère à Alexandre, sa proie.

"Celui-là... Il est venu ce matin déjà. Ne soyez pas si généreux avec ce misérable. Si vous continuez à lui tendre la main il vous arrachera le bras."

Devant la réaction effrayée de Claire, Alexandre baissa la tête. Sa mémoire se rappela à cet instant de sa promesse de ne rien dire sur ces visions et son don. Mais Tristan... Tristan était en danger et dans la nécessité d'être secouru. Cela méritait quelques sacrifices. Pourtant, l'idée de cette trahison le gênait et le remplissait de honte. Sans tenir compte de la présence de quiconque, soucieux de soulager sa conscience et de s'expliquer, Alexandre s'adressa à Claire d'une petite voix intimidée mais que Dyonis pourrait certainement entendre.

"Pardon, Claire. Je sais que je ne devais parler de ces visions. Mais Tristan... Tristan doit être protégé. Je lui ai assez attiré d'ennuis comme ça. Par ma faute. S'il ne m'avait jamais rencontré, toutes ces choses ne lui seraient jamais arrivés. Alors, mon devoir est de tout faire pour l'arracher aux griffes du danger qui le guette, même si cela implique désormais des moyens... Des moyens peu Glorieux. Je croyais autrefois en un monde idéaliste, que les arguments sensés et raisonnés tenaient bon. Cela n'était rien d'autre qu'une erreur due à ma jeunesse et mon inexpérience de la vie. En réalité, notre monde ne fonctionne pas ainsi. Il n'est régi que par l'influence et le pouvoir. Les forts écrasent les faibles, comme les crocs solides d'un molosse dévorent un bébé abandonné. Ce sont les règles de la vie et j'ai été sot de ne pas les avoir compris auparavant."

Alexandre marqua une courte pause et remonta la manche de sa tunique pour frotter avec douceur la marque incrustée sa peau dans un geste étonnamment doux.

"Cette marque est là pour me rappeler ma stupidité, pour me souvenir que je dois cesser d'être idéaliste et plus égoïste. Si nous désirons protéger nos amis ou notre famille, nous devons y mettre les bons moyens. Que nous importent les scrupules ? Nos ennemis n'en auront pas. Pardon, Claire. Pardon, petite sœur, je ne suis ce frère si doux que tu imaginais. En tous les cas, je ne le suis plus."

Il releva les yeux vers Dyonis et le fixa sans chercher à éviter son regard. Alexandre s'inclina ensuite poliment.


"Je vous remercie messire, de votre enseignement. C'est grâce à vous que j'ai enfin compris ce principe important."

Sur ces paroles, Alexandre retourna au silence et recula d'un pas, laissant Claire répondre au seigneur. Quelques instants plus tard, une femme se présenta à eux en sortant du château. Une domestique donc. Elle les dévisagea d'un air austère, lui en particulier. Il frissonna. Elle se proposait de les ramener en ville. Il secoua la tête nerveusement, terrifié. Il n'avait aucune confiance en une telle suggestion après l'étrange disparition de Tristan. Et si... ? Il tenta de croiser à nouveau le regard de Dyonis, cette fois suppliant.

Claire demeure silencieuse, bien qu'elle sente le regard de Dyonis sur elle. Elle fut presque rassurée qu'il ne la croit pas à propos des visions. Elle aurait préféré au fond qu'il ne la croit pas. S'il ne voulait pas y croire, elle serait tranquille et heureuse. Comme avant.

Elle écouta Alex mais continua a avoir cette amertume en bouche.

- Ce n'est rien...

Tristan devait être sans doute plus important... Qu'était-elle de toute façon ? Dame Rose l'avait bien averti à ce propos, avant de mourir. N'en parle à personne. Quiconque sait te met en danger. Elle avait raison. Elle aurait dû le savoir.

Elle entendit les questions de Dyonis et croisa les mains devant elle. Cela devait arriver.

- Je suis esclave messire, depuis que j'ai été capturée sur Ho-Yo. Je travaille aujourd'hui au domaine de Wollenbach, pour le sieur Emeryc.

Elle entendit alors une autre voix. une femme. Claire plissa un peu les yeux, comme si elle ne lui était pas inconnue. Elle voulait les déposer en ville ? Mais ils pouvaient très bien rentrer seuls... alors pourquoi ?

Concentré sur les réponses que lui feront les deux esclaves, Dyonis ne voir pas tout de suite arriver Marguerite. Il ne s'intéresse à elle que lorsque sa voix attire son attention. Le seigneur se retourne vers la servante zélée et répond :

"Bonsoir, Marguerite. Tout est au mieux. Et au domaine, rien à signaler ?"

Il s'étonne de l'entendre aussi suspicieuse avec les deux pauvres jeunes gens. Des esclaves incommodants ne seraient sûrement pas entrés ainsi en conversation avec lui (et quand bien même, il les aurait chassés sans autre forme de procès, ne nécessitant pas l’intervention de l'employer). Dyonis lui répond donc sur un ton plutôt distant et neutre :

"Je vous remercie mais n'ayez crainte : je sais ce que veulent ces deux esclaves et comment m'en arranger." (Un temps) "Pour ce qui est de m'arracher le bout de bras, cela a déjà été fait. Vous pouvez disposer."

Pour autant, sa méfiance ne décroît pas de suite envers Claire et Alexandre. D'une oreille, il l'entend arguer son revirement, détailler combien il lui semble nécessaire de s'asseoir sur certaines promesses pour se sauver et sauver Tristan. Mais tout de même, il semble en l'occurrence avoir éventé le secret de la jeune aveugle - l'avoir trahie d'une certaine manière. Et voici Alexandre à remercier le baron pour ce soi-disant enseignement. Le seigneur fronce les sourcils et ne répond rien. Le garçon n'a en effet pas vu Dyonis dans le meilleur de ses œuvres, mais qu'il ne prenne pas cela comme prétexte pour trahir comme bon lui semblait à l'avenir. Le baron de Frenn espère lui-même vite enterrer cette mauvaise affaire - et qu'Alexandre ne se laisse pas corrompre. Il perdrait quelque chose de si précieux en ce monde...
Un détail tire immédiatement Dyonis de ses réflexions, dans les excuses du béquilleux auprès de l'autre esclave. "Petite soeur." Il darda ses yeux sur Alexandre et asséna :

"Je croyais qu'elle était ton aînée, si le père d'Anjou n'avait pas encore prononcé ses vœux. Cela va fort mal se passer si l'on essaie de me conter des sornettes."

L'alerte vaut aussi pour Claire, dont les prétendues prédictions (si elles sont vraies et qu'Alexandre les a effectivement éventées) lui semblent encore devoir être prouvées. Cette dernière se présente d'ailleurs comme une esclave du sieur de Wollenbach. Sans doute aurait-elle à aller raconter à son maître tout ce qu'elle avait entendu. Que ferait le comte de ces informations ? Le panier de crabes qu'est la Cour appelle à utiliser contre les autres Grands la moindre information. Et cet imbécile d'Alexandre qui dit ouvertement que Dyonis lui a "transmis un enseignement" sur la nécessité de trahir ou de mettre de côté ses valeurs ! Qu'en déduirait Emeryc ? Le baron ne laisse rien paraître de son agacement montant et demande pour l'heure à Claire :

"Ton maître sait-il que tu es là ?"

S'il l'ignorait, Dyonis proposerait secret contre secret : lui ne dirait rien de la petite promenade de Claire, si elle se dispensait de rapporter à son maître le laïus gênant d'Alexandre.

Alexandre tremblait toujours devant l'attitude menaçante de la servante qui s'adressait si servilement au baron. Qu'allait décider ce dernier ? Il respira en entendant que Dyonis souhaitait s'occuper d'eux-même. Suivre cette étrangère ne l'aurait pas rassuré. Depuis la disparition de Tristan, il se méfiait de tout le monde. La répartie au sujet du bras arracha même un sourire au jeune homme. Il aimait beaucoup cet humour.

Brusquement, Alexandre sursauta quand le baron l'interpela :

"Je ne sais pas au juste quand elle est née, avant ou après moi. Je crois en ce que papa nous répète. Il assure que Claire est née avant moi, avant qu'il ne prononce ses vœux... Peut-être ment-il ? Peut-être pour protéger Claire ? Je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas. Allez l'interrogez-vous-même. Moi, j'ai abandonné tout espoir de comprendre le père Thierry quand j'étais enfant de chœur !"

Alexandre se remémorait de ces moments étranges ou le père Thierry essayait soit de rapprocher de lui soit de le garder à distance, sans jamais réussir à se mettre d'accord. De toute manière, avec lui, le mensonge était une seconde nature. Son regard se posa sur Claire. Il ne pouvait cependant pas remettre leur filiation en cause. Leur père était trop égoïste pour reconnaitre une paternité qui ne serait pas de lui.

"De toute façon, papa doit être responsable de la venue au monde d'une cinquantaine de mômes, à mon avis ! Enfin, au vu de la mortalité infantile, il ne doit plus en rester qu'une dizaine, j'imagine ! Ainsi, il ne devrait plus que sept ou huit frères ou sœurs à retrouver."

Pendant que le baron s'intéressait ensuite à Claire, Alexandre cherchait une idée pour persuader ce dernier de les aider. Le fil des événements de la journée se retraça dans son esprit. La cérémonie du baptême, les rencontres sur le parvis, les tensions au magasin avec son maître, le client particulier qui... A ce souvenir, Alexandre poussa un hurlement :



"Le client !"

Marguerite réprima une grimace à la réponse de Dyonis. Elle s'y attendait un peu. Malgré la frustration, la jeune femme prit sur elle et fut une légère révérence.

"Je comprends, maître. Excusez-moi. J'ai fini mon service et tout s'est bien passé. Je me rends en ville voir ma fille. Je serai de retour demain matin. Bonne soirée, messire. "

Elle lui adressa un faux sourire ravi puis s'éloigna d'un pas rapide. Néanmoins, la jeune femme revint discrètement pour se placer derrière un rocher, épiant la conversation. Quand les esclaves partiraient, elle chasserait ce béquilleux et le ramènerait à Blanche.

Claire-Marie écouta attentivement la réponse du baron à Marguerite. Celle-ci s'éloigna, mais son aura ne disparut pas des environs. Elle voulait les écouter. Pourquoi ? Qu'est-ce qui l'intéressait tant ?

Elle écouta ensuite l'explication d'Alex. Il semblait s'embrouiller lui-même alors que c'était si simple. Elle avait une famille qui l'avait choisi, rien de plus. Seulement, le baron n'en avait visiblement pas terminé. Elle releva la tête à sa question et répondit avec sa franchise habituelle.

- Je ne crois pas qu'il sache exactement où je suis, car il m'a confié au général Cassin pour la journée. Mais comme d'habitude, sitôt que je rentrerais, je lui dirais tout ce qui est arrivé aujourd'hui.

Soudain, près d'elle Alexandre se mit à crier. Elle sursauta un peu et dévisagea son frère avec curiosité. Que voulait-il dire par là ? Aurait-il trouvé quelque chose ?

Dyonis attend le départ de Marguerite pour se concentrer de nouveau sur les deux esclaves. Sur Alexandre, en particulier. Le gamin tente ridiculement de se justifier, mais ses explications sont aussi décousues qu'incohérentes. Qu'importe que le prêtre lui ait dit que Claire est son aînée, le béquilleux vient de dire le contraire. Le seigneur ne se concentrera pas plus longtemps sur cette embrouille, mais il est certain que l'esclave ne joue pas franc jeu. Il décide de couper court à ses babillages quand de nouveau, Alexandre se répand en commentaires sur le père d'Anjou et en mauvaises plaisanteries pas de bon ton. L'homme lève les yeux au ciel et l'arrête d'un autoritaire :

"Tais-toi."

Pour se calmer, il écoute la jeune aveugle lui répondre et apprécie ce qui lui semble être vraiment de la franchise. Elle lui dit en effet ouvertement que son maître ignore partiellement son aventure, mais qu'elle lui contera tout. Quelle espionne avouerait de but en blanc ceci ?

"Il semble que le sieur de Wollenbach ait de la chance de t'avoir."

Au fond de lui, il redoute ce que pensera le comte en apprenant les inepties d'Alexandre et la façon dont il a sous-entendu les leçons de malhonnêteté données par Dyonis... Claire lui raconterait-elle cela aussi ? Et si oui, Emeryc y verrait-il une brèche intéressante ? Sans rien témoigner de ses inquiétudes, le baron se retourne brusquement vers Alexandre quand celui-ci hurle.

"Quoi encore ? Quel client ? En quoi cela nous concerne ?"

Le ton sec du seigneur indique qu'il souhaite des réponses claires et guère davantage de tergiversations ou de bêtises. Il aurait bien envie de renvoyer les deux esclaves sur le champ, surtout le béquilleux.

Face à l'ordre sec du seigneur de Frenn, Alexandre baissa immédiatement la tête, honteux d'être repris comme un enfant. Il recula de plusieurs pas, l'air tout désolé. Il ressemblait véritablement en cet instant à un petit garçon. Les larmes commençaient à lui piquer les yeux. Honteux, il se força à ne surtout pas pleurer. Ce serait la mortification suprême.

A distance, il écoutait sa sœur converser si naturellement avec le baron et éprouva de la jalousie que celle-ci soit aussi à l'aise. Lorsque les souvenirs de la matinée lui revinrent, le cri jaillit spontanément, sans réfléchir. Tout devenait s évident. Tout n'était que complot. Son visage pâlit quand le seigneur de Frenn revint à lui, menaçant. Alexandre glapit et balbutia sa réponse, intimidé..

"Ce matin... Quand votre garde m'a reconduit à la Rose Azul, parmi la foule, il y a eu un homme étrange. Alors que les gens se découvraient face à vos armoiries, lui n'a pas bougé. Il me fixait. J'ai fait la remarque à votre soldat qui m'a assuré que ce n'était qu'un drôle et ne pas y faire attention. Mais un peu plus tard..."

Il marqua une légère pause, reprenant son souffle, puis ajouta :

"Cet homme s'est présenté dans le magasin. Selon ce que j'ai compris de la petite Grace et de ses paroles à lui, il était déjà venu la veille acheter quelques affaires. Il a ensuite dévalisé, littéralement la boutique. Mais au moment de payer, il s'est mis à plaindre que son dos ne saurait porter ce chargement. Il a demandé un chariot, ce qu'Irène ne possédait pas. Il a alors observé la boutique et pointé Tristan et a proposé de l'utiliser pour porter ses colis. Il insistait que cela était vital, que les filles de son maitre, le seigneur de la Peroussière, le feraient renvoyer s'il revenait sans... Mon maitre, le cardinal Cassain, est alors entré et s'est fâché. Il a interdit de prendre Tristan puis fait une leçon sur les produits futiles, selon ses termes, achetés. Au final, le client est parti quand mon maître a déclaré vouloir rendre visite à ce messire de la Peroussière."

Alexandre osa timidement lever la tête vers le baron.

"Je ne sais pas tout des familles nobiliaires mas il ne me semble pas avoir entend parler d'un seigneur répondant à ce nom. Par ailleurs, cet empressement à vouloir Tristan... Quand on pense que celui-ci a disparu pendant la cérémonie du baptême à l'église à peine deux heures plus tard.. N'est-ce pas suspect ?"

Le jeune homme fouilla en même temps sa tunique parmi ses dessins qu'il emportait toujours avec lui. Ses trésors. Il se saisit de l'esquisse réalisée de l'étrange client. La feuille montrait les traits de Bastien mais ses cheveux, bien sur, camouflés, dissimulés sous une perruque. Il tendit cela à Dyonis, les joues empourprées.

"Je l'avais trouvé déjà étrange... j'avais réalisé ce croquis... ce n'est pas très bien dessin, je vous prie de m'excuser. Je ne pensais pas avoir besoin de le montrer. "

Malgré les traits rapidement dessinés, Dyonis pourra toutefois constater la précision et la qualité du travail.

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