[9 Septembre 1597] Une visite du père Thierry [Terminé]

Alexandre se laissa conduire mollement, telle une poupée de chiffon, ayant perdu toute volonté. il n'osait relever la tête et croiser le regard déçu de Thierry. Le châtelain s'adressa à lui, le menaçait, l'insultait.. Les larmes lui venaient.

"Pardon... Pardon..."

Soudain, son père se leva, s'approcha, le toucha. Alexandre versa de nouvelles larmes, honteux de ressentir encore cet amour dont il n'était pas digne. Il le trahissait et lui continuait à le soutenir. il l'observa, incrédule, dévoiler le secret de leur lien. Il l'aimait donc à un tel point ? Au point de se livrer lui-même ?

" Papa... Pardon, papa."

Ses joues ruisselaient. Le jeune homme ne pouvait plus s'arrêter, étouffé par cette honte d'être un fils indigne. En plus, Dyonis ne paraissait pas sensible aux arguments Il continuait à l'interroger sur ses liens avec Tristan.

D'une voix tremblante, sanglotante, il murmura :

"Je... Je voulais juste voir Tristan, savoir s'il alliat bien, c'est tout ! Tristan est mon ami ! Il m'a soutenu toute la nuit quand j'étais au pilori ! Et après.. Après... Je suis resté alité deux jours à me remettre, j'étais malade, j'étais fatigué. Tristan est resté près de moi ! Il m'a veillé ! Il m'a réconforté ! Je.. Je suis désolé ! Je ne voulais vraiment pas faire de tort dans votre château ! Je voulais juste voir Tristan ! Je serai ensuite reparti ! Je vous promets !"

La respiration de Thierry est sifflante. Tant d'enjeux reposaient dans cette pièce. Alex... Son pauvre Alex...

"Je vous jure, je le jure sur Dieu, sur le Seigneur, sur les écritures, ce médaillon est authentique. Il appartenait autrefois à ma sœur Rebecca d'Anjou qui l'a reçu pour sa communion de notre père André d'Anjou, comme j'ai reçu ma chevalière de lui à la même occasion. Nous avions échangé nos objets à mon départ pour les ortdresq uand j'ai eu quinze ans, tous deux désespérés de nous quitter. Nous voulions donner une part de nos à l'autre, une pensée naïve d'enfants, en même temps que le serment de se revoir. Je ne mens pas, je vous le jure !"

Le prêtre s'arrêta brusquement, se sentant cloué au mur, tel un Jésus en croix, devant l'inflexibilité de l'homme. sa respiration manqua de s'arrêter. il se sentait étouffé.

"C'est une bêtise de jeunesse ! C'est une bêtise d'enfant ! Pitié, seigneur, pitié !"

Il se tourna ensuite vers Alexandre dont le désespoir lui brisa le cœur et lui arracha à lui aussi des larmes.

"Pitié, seigneur, soyez indulgent. Pour l'amour de Dieu !"

"Voir ton ami, sérieusement ? Et à aucun moment ne t'es-tu dit qu'il n'était pas disponible et que tu aurais bien l'occasion de la voir d'ici quelques jours ? Non, tu préfères te comporter comme un enfant encore au lait de sa mère ! Cumuler mensonges et nouveaux délits ! J'ignore si tu es un imbécile fini, ou un voleur, ou si tu caches des choses bien plus sérieuses."

Sa voix gronde. Il y a cependant moins de colère que de mépris dans son regard. Neutre, en retrait, Guillaume observe la scène et attend qu'on lui dise de disposer. Le regard du noble s'arrête avec peine sur le père Thierry, véritablement empathique pour ce garçon. Il faut bien effectivement qu'il y ait un lien très fort entre eux pour susciter une telle réaction chez un adulte qui jusqu'alors s'est montré aussi stoïque et distant. Plus calme, Dyonis dit au prêtre :

"Il est peut-être en effet votre fils. Et vous, nobles. Mais qu'y puis-je si votre titre s'est perdu ? Voilà une affaire qui ne peut regarder que le roi et cela demande des semaines, des mois. En attendant, vous êtes des sujets de la roture lambda."

Pour rompre les éventuelles cachotteries que peut faire Alexandre, Dyonis décide d'observer quelque chose avec un test. Il se fait plus doux et dit :

"Puisque nous sommes dans les révélations, je dois dire aussi que l'obligation de secret des affaires me contraignait à vous cacher la vraie situation actuelle de Tristan, puisqu'il est mêlé à une enquête. Mais comme les paroles de ce garçon" (désigne Alexandre) "l'ont impliqué... il va en effet le voir. Ici."

La réaction d'Alexandre indiquera si Tristan n'était qu'un prétexte ou fera céder ses dernières digues émotionnelles, ce qui peut éventuellement faire sortir des informations de la part d'Alexandre ou de celle de Tristan. Dyonis demande à Guillaume :

"Faites amener Tristan."

Guillaume sort.

Devant la réaction de Dyonis, Thierry se prit la tête entre les mains, désespéré. Le Ciel aurait-il décidé de l'abandonner ? Par tous les Saints, qu'un miracle se produise ! Par pitié ! Par la miséricorde ! Protégez son fils ! Seuls les êtres célestes avaient le pouvoir d'influer désormais le destin d'Alex.

"Monsieur... Monsieur... Je.. je n'ai pas tout dit.. mon fils... En plus de l'infirmité physique, il a quelques séquelles mentales, une intelligence vive, capable d'apprendre un tas de choses savantes mais avec une capacité de raisonnement proche d'un enfant de sept ans. C'est sans doute ma punition pour mon péché. Malheureusement. Les écritures disent que les enfants paient pour le crime de leurs parents."

Son regard attristé se posa en même temps sur son fils, horrifié de devoir ainsi le dénier. Le ton hautain du noble l'agaça, lui donna envie de hurler après son impuissance et sa disgrâce. Il le détesta. se détesta lui-même. A cet instant, il s'amusa - il en était certain que cela l'amusait - à annoncer que Tristan allait venir et était impliqué dans son enquête. La situation devenait encore plus horrible. Que s'était-il passé depuis ces deux derniers jours ? Qu'avait pu révéler le petit infirme ? Tout était perdu. Thierry le pressentait. La tête lui tournait. il se reculait, titubant, comme s'il était ivre, et s'écroula dans le fauteuil où s'était assis Dyonis. Les vertiges le saisissaient encore. Il perdit alors connaissance.

Face au mépris du noble Alexandre garda la tête baissée et ne répondit pas. A cela s'ajoutait l'intervention de son père qui le faisait passer pour un être limité. Au vu de sa bêtise et de sa désobéissance, il l'acceptait. Il aurait pu dire encore pire, il n'aurait pas protesté.

Le regard toujours baissé, il suivit son altercation avec son père qui tentait vainement de le défendre, de l'implorer à la clémence, quand brusquement Dyonis révéla que Tristan serait mêlé à une enquête. un vent de panique agita l'âme du garçon mais Thierry l'avait heureusement préparé à cette hypothèse? Ne pas se dévoiler. Contenter à jouer al comédie du gamin niais.

"Comment ? Tristan serait impliqué dans un truc illégal ? Un crime ? Non ! Non ! Vous vous trompez ! Tristan est pas méchant ! C'est mon ami ! Vous entendez ? Pff ! Vous savez même pas ce que c'est un ami de toute façon !"

Alexandre espéra ne pas en avoir fait trop et paraitre insolent. Il s'efforçait de rester dans le rôle du gamin niais, uniquement obnubilé par une seule idée. Il poursuivit donc :

"Oh ? Vous allez me laisser voir Tristan ? c'est vrai ? C'est vrai ? oh merci, monsieur ! Merci ! Vous êtes gentil finalement !"

A cet instant, Thierry perdit connaissance et cette vision créa un choc véritable en lui. Il hurla.

"Non ! Papa !"

Malgré l'infirmité, malgré sa faiblesse, le garçon se leva et se cogna contre Dyonis.

"Vous avez tué mon père ! "

L'on n'avait rien expliqué à l'infirme. Il y avait seulement eu deux gardes venus le chercher sur les ordres de l'intendant. Lorsque les hommes l'avaient soulevé, Tristan avait serré les dents aux vives douleurs revenues dans ses membres alors qu'on le déposait dans son fauteuil roulant. Au moins, la souffrance était atténuée grâce à la potion de Lucrezia et il pouvait mouvoir ses bras dans de lents et petits gestes.
Les soldats soulevèrent son fauteuil dans les escaliers pour l'amener au vestibule. Tristan ressentait un très mauvais pressentiment. Qui se confirma en voyant Thierry évanoui, Alexandre en pleurs et Dyonis qui les surveillait. Il se murmura, la gorge serrée :

-- Oh Madre Mia... Mais qu'est-ce qui est arrivé... Alexandre...

Les ennuis recommençaient. Les larmes lui montaient aux yeux. Le regard du châtelain se tourna vers l'invalide sur son fauteuil. Ses jambes étaient encore bleuies et les marques rouges des cordes apparaissaient à ses poignets.

Au moment de son cri de rage, Tristan fit son apparition dans la pièce. Hagard, Alexandre perdit toute énergie. Son corps chut au sol, ses jambes fragiles ne le soutenaient plus, et ses genoux s'écrasèrent sur le parquet. Son regard contempla la silhouette meurtrie de son ami. Mais que lui avait-on fait ? Il avait été attaché, battu... Mais que lui avait-on fait ? Un sifflement sinistre s'échappa de sa gorge.

"Qu'avez-vous fait ?"

Sa voix vibrait de toute sa colère. Son poing frappa le sol.

"Vous... Vous avez torturé mon ami ! Vous êtes un monstre !"

La colère envahissait son âme entière. Il avait envie de crier davantage sa révolte mais sa loyauté pour son père le maintenait à la surface et l'empêchait. Thierry avait lutté pour le protéger. Il devait continuer à jouer le rôle que celui-ci avait su lui composer. Cela lui allait bien. Traiter Dyonis de monstre, voilà tout ce que cet homme méritait.

"Monstre ! Monstre ! Monstre !"

En son for intérieur, il se demandait ce que Tristan avait pu dire. Mais au fond peu importait. Il devait jouer pour sauver Tristan, sauver son père puis se sauver lui-même.

Le noble se pince la lèvre se mordille sa joue quand le prêtre lui annonce les soi-disant problèmes mentaux de son fils. Il allait s'adoucir et tenter une conversation avec le père d'Anjou quand soudain, le religieux tombe dans les pommes. Dyonis a un sursaut. Il avance vers le fauteuil sur lequel l'homme s'est écroulé.
Il s'apprête à saisir la anse d'une cloche pour sonner des domestiques, quand justement on toque à la porte. Il autorise qu'on entre : c'est une servante qui ramène à Alexandre ses béquilles, qu'il avait laissé tomber au milieu du couloir. Elle pose les cannes près du garçon éploré et lui adresse un sourire compatissant, même si elle ne sait pas bien ce qui est en train de se passer. Le seigneur interpelle alors l'employée :

"De l'eau et des médications. Vite."

La domestique installe plus confortablement le prêtre évanoui et part chercher des éponges ainsi que des flacons d'alcool et d'éther. Pendant ce temps, le châtelain écoute Alexandre bavasser ses paroles décousues : tantôt, le garçon lui dit qu'il est gentil, tantôt il l'accuse d'avoir tué son père. Dyonis hoche négativement la tête, blasé.

"Ne dis pas de sottise, il a juste défailli mais va vite nous revenir."

A l'arrivée de Tristan, le garçon aux béquilles s'effondre et se met cette fois-ci à injurier le seigneur. Celui-ci garde une distance de marbre en l'écoutant l'insulter. Un vague malaise commence à lui prendre la tête : tous ces événements qui se sont précipités depuis à peine une demi-heure ! La situation a complètement dégénéré, mais il ne faut pas qu'elle lui échappe. Dyonis explique :

"Je n'ai fait qu'une procédure dans le cadre d'une enquête. Vois-tu, Tristan est mêlé à une affaire de livre convoité, comme toi, étrangement... et potentiellement d'un incendie."

Quittant la chambre de Tristan pour rejoindre les fourneaux du diable et la bibliothèque de l'ennui, Lucrezia avait entendu le remue-ménage et cru reconnaître, au fond du tumulte, des voix bizarrement familières.

Elle s'arrêta sur le seuil. C'était le fils Bellanger. Non loin, inconscient dans un fauteuil, gisait le religieux tripoteur. Le cochon avait donc réchappé du barbecue.

Lucrezia ne bougea pas ; sa tête, inclinée sur le côté, ouvrait sur la scène des yeux trop grands.

Quelques larmes commençaient à rouler le long des joues de Tristan. Mais que Diable était-il encore survenu ? Il comprit vite qu'Alexandre avait sens doute absolument voulu venir le voir... et devina que le reste des ennuis s'étaient précipités après ça. Son ami gisait là, à genoux sur le plancher, à aggraver son cas en insultant le seigneur. Tristan prit sur lui et donna quelques tours de roues pour approcher et lui prendre une main. Il espéra le calmer. Sans trouver mieux, il lui chuchota maladroitement :


-- C'est... c'est pour moi que tu... Mais enfin... non, fallait pas... Et... rassure toi, j'ai eu un très bon médicament, demain j'pourrai bouger à nouveau, et j'aurai presque plus rien.


De ses yeux dorés plongés dans ceux d'Alexandre, il espéra lui réchauffer le cœur, même s'il pouvait également s'y lire un grand dépit pour les imprudences du garçon. L'attention de Tristan s'arrêta aussi sur le père Thierry. Il déglutit, se sentit à nouveau trembler en entendant les accusations à son sujet, que Dyonis exposait froidement à Alexandre. Mais ce ne fut rien à côté du frisson qui secoua soudain tout du long le corps blessé de l'infirme : Lucrezia... Il ressentit sa présence. Elle était là ! Elle restait légèrement cachée mais observait... Non ! Comment allaient tourner les choses si on la repérait ?

Au milieu de ses cris et de sa tourmente, Alexandre aperçut une servante lui rapporter ses béquilles et lui adresser un sourire qui le désarma. Une amie ? Une alliée ? Que se passait-il ? Il ne savait pas comprendre la gentillesse lui sans cesse persécuté du fait de son infirmité. Il la remercia du bout des lèvres, timide, puis suivit les ordres que tenaient Dyonis pour apporter des soins à son père.

Tremblant sur ses béquilles, il s'avança jusqu'à Thierry, les larmes aux yeux, et observa son visage tiré dans l'inconscience. La culpabilité revint le frapper. Le fardeau de sa trahison et de sa désobéissance. Dans son désespoir, ses oreilles n'entendaient pas ce que Tristan essayait de lui dire pour le réconforter.

"Papa... Pardon, papa. Je n'ai pas réfléchi encore, je ne t'ai pas écouté. Pardon..."

Au milieu des murmures qui trahissaient sa honte qui ne cessait de croitre et de l'étouffer, Alexandre perçut les révélations de Dyonis. La mention de l'incendie agrandit la faille de sa culpabilité immense. Dans son esprit se matérialisa des flammes recouvrant un quartier gigantesque, des centaines d'enfants qui avaient le visage de Grace disparaissant dans ce brasier... Il transpira. La honte, la douleur et l'effroi le brûlait. Il devait se confesser. Il était temps. Il ne pouvait plus porter ce secret qui allait tôt ou tard le détruire.

"L'incendie... Tristan n'a rien à voir avec cet incendie, avec le vol à la bibliothèque... L'incendie, c'est ma faute."

Sa voix était désormais étonnamment claire, perdant toute hésitation, tout timidité. il soulageait enfin cette conscience qui le pesait depuis trop longtemps.

"Une femme est venue me rendre visite à la librairie de mon père, mon autre père, celui dont je porte le nom. Elle m'a manipulé, a exploité ma solitude, mon désir d'avoir des amis, de faire des choses... Elle m'a alors demandé un moyen d'aller chercher un ouvrage : le grimoire d'Alfredi. J'ai hésité au début puis je me suis senti au bord d'une grande aventure, excité, grisé.. je me disais que ce serait facile, que ça ne poserait de problèmes de personnes... La suite vous la connaissez : j'ai découvert que le livre a été emprunté par le père Thierry, mon vrai père, et j'ai été arrêté."

Il marqua une pause dans son récit afin de reprendre son souffle. La partie la plus dure arrivait seulement.

"En prison, j'ai envoyé un message à ma complice, pour la prévenir d'où se trouvait son livre, pour que ma mission ne soit pas un échec complet. J'étais encore... dans l'excitation. Je n'avais pas encore réfléchi. C'est seulement quand j'ai appris pour l'incendie. L'incendie...  C'est elle qui l'a déclenché. Après avoir volé le livre, elle a allumé le feu. Ce n'est peut-être pas moi qui l'ai fait mais je lui ait donné le moyen de le faire. Par ma faute... Par ma faute, tout le quartier aurait ou être détruit ! J'ai failli tuer des centaines de personnes ! Je..."

A la toute fin de sa confession, le ton d'Alexandre redevint gémissant. Il aurait voulu dire être désolé, regretter ses décisions stupides mais les mots se bloquaient dans sa gorge. Il éclata alors en sanglots, tel un enfant désespéré.

Au milieu de ses larmes, Alexandre finit par relever la tête et à contempler Dyonis avec dignité :

"Vous voyez, monsieur ? Tristan n'a absolument rien à voir avec toute cette histoire. Son seul et unique crime est d'avoir été mon ami, d'avoir entendu mon histoire que je lui ait raconté pendant ma convalescence et lui m'a consolé de mes mauvaises décisions, de am culpabilité.. Tout ce que vous avez appris de lui, cette torture que vous lui avez subir... Tout ça sur un homme innocent ! Il.. il m'a protégé, moi, qui a failli détruire des centaines de vies !"

A cet instant, le regard du jeune homme distingua la silhouette qui se tenait derrière Dyonis, au seuil de la pièce. Son teint pâlit d'effroi. Elle ! Il hurla :

"Elle ! C'est elle ! Seigneur de Freen ! "

Le choc était si terrible que les mots s'entrechoquaient dans sa bouche et se mélangeaient. La colère et la rage se disputaient en son âme. Elle... C'était elle qui avait failli tuer tous ces gens.

"Toi ! C'est toi ! Tu... Tu as voulu tuer des gens innocents ! Des gens qui n'avaient rien demandé ! Monstre !"

Dans un réflexe impulsif, déconnecté de ses pensées, Alexandre lâcha une de ses béquilles et fonça vers cette femme perverse et manipulatrice. Sa seconde béquille se leva et s'apprêta à frapper....

C'était bien le fils Bellanger.

Comme elle n'écoutait qu'à moitié son discours, selon son habitude, elle s'était focalisée sur les émotions du jeune homme ; et, par l'esprit, Lucrezia avait compris qu'il lui en voulait.

C'était très curieux. Ne l'avait-il pas aidée de son plein gré ? À la différence de Dyonis, qu'il fallait intéresser à l'affaire, le fils Bellanger n'avait pas tergiversé. La quête du manuscrit semblait même avoir répondu à un besoin, chez lui ; il n'aurait pourtant rien saisi du contenu d'Alfrédic le Trismégiste.

Il s'était introduit tout seul dans la bibliothèque. Il ne l'avait pas attendue.

Quant à l'incendie, il avait touché la maison du faux prêtre ; le fils Bellanger l'avait vilipendé lui-même, à la taverne, en défendant Lucrezia. Le pervers n'était pas mort, puisqu'il était là.

Lucrezia avait compris qu'il lui en voulait mais n'avait pas saisi pourquoi. Lorsqu'il s'étala de tout son long, elle dut lutter visiblement pour réprimer l'élan qui la poussait, en remerciement du livre et de son aide, à venir l'assister. Laissant retomber ses bras le long de son corps, Lucrezia inclina légèrement la tête sur le côté, d'un air tendre et navré.

A l'odeur des sels que la servante avait amené, Thierry revint peu à peu la vie. D'abord, son corps bougea faiblement, presque timidement. Ce n'était que quelques réflexes musculaires. Ses mains commencèrent à s'accrocher aux accoudoirs du fauteuil, ses ongles griffèrent légèrement le tissu.

Finalement, ses yeux s'ouvrirent et découvrirent, avec perplexité, le chaos. Face à lui se tenait Dyonis, austère, et digne, son fils étalé au sol et Tristan au milieu de al pièce confus. Rien des événements qui lui revenaient à l'esprit ne semblait avoir été le fruit de son imagination. Il ne se réveilla pas d'un terrible cauchemar.

Poussant un long soupir, il laissa échapper :

"Si je suis mort... oui, c'est cela, je suis mort cette nuit, dans mon sommeil, et Saint-Pierre m'a condamné à la damnation éternelle"

Fataliste, il releva la tête vers Dyonis et ajouta, sans le moindre cynisme, sans le moindre amusement, uniquement avec une portée réaliste :

"Je présume que vous êtes Lucifer, le responsable de mon supplice, c'est bien cela ?"

Comme le père Thierry revenait à lui, Lucrezia alla agripper le bras du noble ; elle suivit la scène, abritée derrière Lucifer.

Dyonis n'entend pas bien ce que dit Tristan pour réconforter Alexandre mais il comprend que le garçon aux béquilles n'a pas menti : ils sont vraiment amis. Et c'est ce que confirme le laïus du garçon pour le supplier d'épargner son domestique. Le garçon prend même tout sur lui. Troublé, touché par cette naïveté et ce caractère presque poupon qu'il entrevoit chez Alexandre, il allait se résoudre à le laisser sortir d'ici avec seulement quelques coups de fouet par un de ses gardes, pour la récidive d'intrusion, les mensonges et insultes... lorsque de sa propre bouche, le noble découvre que la muette est entrée !
Tout dérape alors. Alexandre qui essaie de l'attaquer, ses paroles dirigées contre elle, ses accusations. Le Sibylle serait bel et bien l'incendiaire, il l'avait senti et l'avait questionnée dans ce sens plus tôt. Il fallait agir très vite ! Faire un choix. Oh le châtelain pourrait la faire expédier à la justice, avec Tristan comme complice (même involontaire) ...mais la tentation allumée en lui (par lui-même autant que par la muette) et son ambition plus en marche que jamais lui font perdre pied : il a passé un arrangement intéressant avec Lucie. Il faut la protéger.
Et cela tombe bien ! Le père Thierry lui même, pendant qu'Alexandre faisait son escapade interdite, a dénoncé une autre femme. Il se servirait de cela !

La pointe de son crochet s'entortille solidement autour du col de la chemise d'Alexandre pour l'immobiliser. Sa voix stricte claque :

"Silence, toi ! Non, ce n'est pas elle. Une piste sérieuse m'a été donnée."

Il n'a plus le choix. Alexandre et Tristan sont trop dangereux. Ils savent trop de choses et maintenant que le boiteux a vu que Dyonis abritait la muette, il y aurait trop d'explications malaisantes à fournir. C'étaient Alexandre et Tristan qu'il fallait empêcher de semer le grabuge dans ses plans. Il avait contre Alexandre son entrée clandestine, ses désobéissances, ses insultes, ses mensonges et maintenant une fausse accusation. Et contre Tristan, le fait qu'il a lui même avoué sous la torture avoir retenu le prêtre hors de son office pour permettre le méfait d'une femme... qui pouvait être celle de la rue des Nonnes indiquée par Thierry. Dyonis appelle :

"Gardes !" (pointe Alexandre quand arriveront les soldats à l'entrée de la salle) "Enfermez-moi cet exalté."  (et sur Tristan) "Et celui-là aussi. Tout est clair à présent."

Les gardes approchent des deux garçons et s'apprêtent à faire leur office. C'est alors que Thierry se réveille et que Lucie vient s'abriter derrière le noble. Le prêtre délire complètement. Dyonis fait signe à ses servantes de l'allonger dans le canapé du salon d'à côté le temps qu'il reprenne ses esprits. C'est très bien : quand il sera revenu à lui, la muette aura décampé (il fait signe à celle-ci de déguerpir histoire que Thierry puisse croire encore à une vision) et Alex et Tristan ne seront plus dans la place. L'homme serait moins dangereux, espéra Dyonis. Il n'avait de toute façon aucun chef d'accusation contre lui pour le coup.

Alors que Thierry contemple l'agitation de la pièce et essaie de comprendre l'agitation qui règne dans cette pièce et le sort que son fils pourrait connaitre, une apparition inattendue surgit devant. Une femme s'approche, se réfugie derrière le maître des lieux. Le prêtre se fige. A cette vision, l'énergie et le bon sens le reviennent. Cette femme... Cette créature.. C'était elle qu'il avait vu en compagnie d'Alex, qu'il avait suivi, essayé de mettre à l'aise à l'auberge dans l'espoir de lui faire confesser ses intentions. Ses poings se serrèrent. Que faisait-elle ici ? Dyonis avait-il conscience de la noirceur perverse de celle qu'il abritait chez lui ? Ou s'était-elle débrouillée habilement pour se faire recueillir ?

Soudain, la voix claquante de Dyonys résonna et le glaça. Comment pouvait-il savoir que cette femme serait celle qu'il avait inventé dans son témoignage pipeauté ? Il mentait. Il était son complice. Un discret rictus luisit alors sur son visage. Il ne les laisserait pas l'emporter. Pas ainsi. Pas sans combattre.

Alors que les domestiques venaient vers lui pour l'aider à s'allonger et que des gardes allaient s'emparer de Tristan et Alex, Thierry se leva d'un bond. Sans ménagement, il repoussa violemment ceux qui essayaient de l'attraper, sans se soucier de le sort, puis cria d'un ton impérieux :

"Arrêtez !"

La silhouette fière, le dos droit, il s'avança d'un pas lent et maitrisé vers Dyonis, le regard posé sur la femme responsable de tout.

"Je m'excuse, monsieur, mais vous faites erreur dans votre raisonnement. Cette femme.. J'affirme en toute certitude que c'est bien elle que j'ai décélé la présence suspecte à cinq reprises en l'espace de quinze jours devant mon presbytère. Comme si elle guettait l'endroit, qu'il l'intéressait.. C'est après elle que j'ai dépêché ce gamin qui l'a perdu dans la rue aux Nonnes."

Il marqua une pause, imprimant son regard dominateur sur la femme qui se cachait derrière Dyonis.

"Cette femme doit être conduite à la prévôté pour interrogatoire !"

Il ignorait encore comment tirer son fils des ennuis mais une chose était certaine : il ne laisserait pas triompher Dyonis avec sa complice. Ou alors.. Ou alors ils auraient une négociation : la liberté totale pour Alex et Tristan en échange de leur silence sur leurs manigances.

Des ondes de toutes parts. Les colères et peurs des uns et des autres. Le crâne de Tristan allait éclater sous toutes ces pressions entremêlées dont sortirait une victime encore inconnue, et des vainqueurs. Il se recroquevilla et pleura silencieusement, horrifié par l'ordre du seigneur visant à les faire arrêter, lui et Alexandre. Il avait avoué sa complicité et le châtelain défendait la muette. La corde l'attendait... Quant à Alexandre...

Les longs aveux de ce dernier pour tenter de le faire innocenter le touchèrent. Mais Tristan retint un soupir devant la nouvelle saute d'humeur du garçon, cette fois-ci contre Lucrezia. Oui, elle avait mis des vies en danger, cependant dans cette affaire qui s'était emballée de causes à effets à l'infini, chacun avait ses démons et ses fautes. Y compris lui-même. Y compris Alexandre, à qui seuls la curiosité et le goût de l'aventure avaient forcé la main. Et Dyonis se servait de l'ensemble de ces ombres dans son tableau. C'était à lui que Tristan en voulait le plus.

Il fut donc soulagé du réveil de Thierry qui allait peut-être sauver la peau des deux jeunes infirmes. Malgré tout, il aura vers Lucrezia un regard fourbu comme un feu en désordre, mêlant démence, tristesse et impuissance. Cette fois il n'arrivait pas... Il n'arrivait pas à voir la moindre bribe de ce qui allait suivre. Et quelque soit ce qui en sortirait, il n'y aurait aucunement à se réjouir de l'ampleur du saccage.

Étendu au sol, Alexandre fut brusquement relevé par des gardes se penchant sur lui aux ordres de Dyonis. Qu’aillait-il arriver ? Où l'emmenait-on ? Qu'avait en tête ce seigneur ? Pourquoi prenait-il la défense de l’incendiaire, lui chargé d'enquêter sur l'incendie du presbytère ?

"Mais... Monseigneur !"

Soudain, au milieu de sa confusion résonna la voix stoïque de son père. Un fol espoir ressuscita dans son cœur. Il tourna al tête et aperçut Thierry tenir tête à cette vile perverse manipulatrice, l'accuser et ordonner que celle-ci soit conduite à la prévôté. Enfin, de la vraie justice ! Bientôt, ce serait elle qui cramerait dans les flammes ! Il espéra assister au spectacle et ressenti à cette idée une joie sauvage.

Dans un murmure, il laissa échapper, la larme à l'oeil :

"Merci, papa."

Sur l'indication du baron, Lucrezia avait quitté la pièce. Un serviteur la fit entrer dans la bibliothèque, de l'autre côté d'une petite antichambre. Elle hésita un moment, puis s'installa au bureau du baron. Lucrezia rédigea le mot suivant : Le prêtre est un violeur nicolaïte. Les deux garçons sont innocents. Les yeux du plus jeune entrevoient le peintre. L'autre est agité mais je saurai le calmer. Si l'un des trois s'enfuit du château, vous êtes perdu.

Elle confia le message au serviteur. Mimant les bras raccourcis du baron, Lucrezia lui fit comprendre à qui il devait le remettre. Il fit diligence. Elle ne serait plus là lorsqu'il reviendrait dans la bibliothèque ; et nul ne l'aurait vue en sortir.

Tout semble bien se passer... jusqu'au réveil du prêtre, qui retrouve soudain toute sa lucidité ! Il met en doute son accusation et certifie avoir bien vu la muette devant son presbytère. Thierry a compris qu'il mentait. Le regard du baron passe rapidement sur Tristan, silencieux, brisé en mille morceaux, puis sur Alexandre dans les jupons de son père.
Alors un instant, la réalité s'éteint autour du noble. Il se verrouille complètement, se rend indifférent à chacune et chacun pour plonger dans ses calculs (qu'il sait faire très vite). Deux hypothèses dont mettre en balance les plus et les moins.

S'il relâche les garçons et se débarrasse de la Sibylle, lui-même n'aura pas sur le dos de dénonciation de la part du prêtre (car il est évident que Thierry ne va pas le lâcher dans le cas contraire, maintenant qu'il a vu Lucie) mais perdra son alliée et tous les plans alléchants qu'il commençait à concevoir. De plus, Lucie pourrait sans doute quelque chose éventuellement contre Thierry.

S'il fait condamner Alexandre et Tristan au profit de la muette, il aura ses atouts, mais une dénonciation de Thierry au derrière. Heureusement, lui-même a ses petits arguments contre le religieux : un enfant illégitime, et donc probablement un coureur de jupons, voilà qui atténuera le sérieux de ses déclarations. De plus, il est évident qu'il fera partir Lucie si la prévôté vient fouiller, bonne chance à elle pour prouver qu'il a abrité la sorcière !

Il opte pour la deuxième option. La mort des deux gêneurs, et un curé dont il s'accommoderait avec sa complice. C'est alors qu'on lui amène un mot de cette dernière : elle a pris les devants et s'est enfuie... C'est déjà cela. Dyonis découvre que Thierry est un violeur. Voilà qui apporte un pion supplémentaire à son plan, impeccable ! Pour ce qui est des deux garçons... Les faire mourir est-il la seule option ?
Une autre idée lui vient : et s'il demandait pour eux le travail forcé ? Réduits en esclavage pour fautes infamantes, le juge pourrait pour la symbolique proposer les condamnés à celui qu'ils ont offensé. Lui, donc. Il les aurait sous sa coupe, et Lucie pourrait "les calmer" et "voir à travers Tristan" selon ses mots. Dyonis ne peut rien en revanche pour garder la main sur le prêtre au château sans être suspect : n'est-il pas sensé enquêter en sa faveur ? Thierry doit être relâché, décrédibilisé ou neutralisé par la suite. Le châtelain y réfléchirait et il faudrait qu'il s'arrange pour communiquer clandestinement avec sa complice hors du château. Sur ce pari fou, le seigneur se décide :

"Mon père. Je vais vous demander de partir. J'ai mes propres avancées quant à l'enquête et quoi qu'ait fait cette femme vers votre office, en admettant que vous disiez vrai et ne vouliez pas seulement défendre votre garçon, elle n'est pas la responsable." (Un temps) "Je suis dans l'obligation de garder en cellule Alexandre pour récidive de circulation illégale, mensonges, insultes et désobéissances. Et Tristan pour complicité aux délits et qu'il m'a lui-même avoués." (à ses hommes d'armes) "Veuillez raccompagner le père d'Anjou. Et enfermer les deux garçons. La prévôté les jugera demain."

Thierry observa la femme muette se retirer discrètement. Il la laissa s'éloigner. Seul Dyonis l'intéressait. Il réfléchissait, analysait et comprenait la situation tendue, que celle-ci n'était plus à son avantage. Comment avait-il dit déjà ? Qu'il n'appartenait plus à la noblesse ? Qu'il serait retombée à la roture ? Pauvre fou ! Il allait apprendre que l'on se moquait pas impunément de lui.

D'un petit sourire ironique, il toisa Dyonis quand celui-ci l'invita à sortir :

"Vraiment ? Je suis congédié ? Je regrette mais je ne sortirai d'ici qu'avec mon fils et son ami. Ais-je besoin de mieux vous expliquer la situation, mon cher ami ? Pensez-vous être encore en passe d'exiger quelque chose ? Vous ne préféreriez pas passer un accord ? Si vous me laissez repartir avec ces deux garçons, librement, avec la promesse d'abandonner toute poursuite, je tairai toute information concernant votre allié et vos manigances. je ne chercherai pas à approfondir le sujet."

Il marqua une pause, accrochant le regard de son plaisir en éprouvant un plaisir jubilatoire de posséder de tels atouts dans sa main pour le contraindre à l'obéissance.

"Autrement, si je repars seul, devinez-vous ma première intention ? Na-tu-rel - le -ment ! J'irai à la prévôté vous dénoncer et révéler que vous avez réclamé l'enquête du presbytère car vous êtes complice de l'incendiaire. cela ne ferait-il pas mauvaise genre ? Bien sur, entretemps, j'imagine fort que vous aurez déplacé votre précieuse alliée. D'ailleurs, elle a déjà disparue ? Un vrai courant d'air ! Mais la prévôté viendra malgré tout chez vous, il y a une enquête... Cela ne sera t-il pas gênant ? Cela ne risquerait pas d'entraver vos mouvements ?"

Le prêtre se délecta intérieurement de cette puissance qu'il ressentait de tenir enfin tête à cet insupportable noble condescendant qui avait osé lui rappeler sa déchéance. Quelle douce ivresse bénie !

"Je conçois également que vous pourriez utiliser mon fils pour me déconsidérer. Ce serait une décision logique mais inutile. Ma réputation... Je m'en moque ! J'ai ma conscience pour moi et même si cela est une faute d'avoir rompu mes vœux, je n'en suis pas moins homme. je suis même certain que mes paroissiens sauraient indulgents, surtout en me voyant être si attentif, si soucieux de mon enfant. Honnêtement, cette accusation que vous feriez contre moi, ce serait bien léger par rapport à celle que j’attenterai, moi, contre vous."

Il s'éloigna ensuite, d'une posture digne, solennelle, et s'avança vers la fenêtre par laquelle on distinguait le soleil.

"Tiens ? On dirait que le soleil décline. D'ici, une ou deux heures il sera couché, non ? Vous savez, mon cher ami, je suis venu ici parce que mon fils s'est sauvé, inquiet pour son ami Tristan, et désirait s'introduire chez vous pour rechercher son ami. Je l'ai rattrapé à temps et proposé une visite amicale au cours de laquelle je chercherai à vous sonder. Je lui ait fait promettre de ne rien tenter, de me laisser manœuvrer... Bien sur, ce petit idiot ne m'a pas écouté. C'était prévisible."

Il se retourna et toisa à nouveau Dyonis avec suffisance.

"J'avais anticipé cette possibilité dès le débit. Que voulez-vous ? un bon joueur d'échecs se doit de disposer d'au moins trois à cinq coups d'avance sur son adversaire ! Avant de rattraper mon fils, j'ai contacté des alliés, des gens de poids et de confiance, des gens dont vous ignorez l'existence mais auquel je n'ai rien caché de mes soupçons. Nous avons convenu rapidement d'une chose : si au crépuscule, je ne suis pas de retour en ville avec mon fils, ils ont pour consigne d'alerter la prévôté avec une raison qui obligera celle-ci à investir votre château."

Thierry savait mieux que quiconque que personne n'attendait son retour en ville. Un parfait bluff. Mais Dyonis ne pouvait le savoir. Son plan était parfaitement crédible : il avait vu la personnalité d'Alex et accepterait sans la moindre difficulté de croire qu'l avait anticipé la désobéissance de son fils. Son sourire s'étira.

"Le temps passe si vite quand on s'amuse..."

Il laissa échapper un rire jubilatoire.

"Pour quelqu'un qui a perdu sa noblesse, quelqu'un retombé dans la roture, comme vous disiez si bien précédemment, il semble que je sois malgré tout à égalité avec vous, mon cher baron."

Le prêtre savoura cette provocation qui avait un goût fort appréciable dans sa bouche. Il marcha vers Alexandre et Tristan, posant les mains sur leurs épaules.

"Que faisons-nous alors ? Dois-je repartir seul? Ou me laisserez-vous emmener ces garçons ?"

Malgré l'ordre que Dyonis venait de donner, Alexandre se sentit fort. Son regard se posait sur la silhouette de son père. Il n’abandonnerait pas. Son sourire s'étira. Il écouta, émerveillé, le discours habile du prêtre, éprouva pour lui une véritable fascination. Tous ces doutes, toutes ces frayeurs avaient disparu. Il était en confiance totale. Son père le protégerait de tous les dangers et le ramènerait bientôt en sécurité, loin de ce maudit noble.

Lorsque Thierry vint poser sa main sur son épaule, la confiance du jeune homme s'envola et le libéra de toute inhibition. Son regard croisa celui de Dyonis, pétri d'une insolence qui rappelait celle de son père :

"Abandonnez donc ! Vous êtes né cent ans trop tôt pour espérer vaincre mon père !"