[6 février - après la salle de jeux] - De la raison de vivre et d'exister [Terminé]

Démétrius lui confirma qu’il s’agissait bien de son frère. Alduis était bien venu et… demander ce qu’il s’était passé ? Avec elle ? Comment pouvait-il savoir ? songea-t-elle en écho avec la question de son époux. Elle suivit son regard vers le plafond et… Son père… Oh non, il ne pouvait pas… Bérénice blêmit soudainement d’un ton et ses entrailles furent essorées.

— Tu… Tu ne lui as pas dit que j’avais… pleuré ?

Un frisson remonta le long de son échine. Alduis… il devait être si furieux… Elle secoua la tête… Il n’allait pas faire de bêtises n’est-ce pas ? Elle interrogea muettement son mari de ses grands yeux de biche effarée. Et son père ? Oh non non non… Il ne pouvait pas avoir connaissance de sa faiblesse.

— ll ne peut pas… Il ne peut pas… Démétrius… Tout cela me semble si idiot et insignifiant désormais, et… et… tout le château semble au courant…

Elle alla enfouir sa tête dans son épaule.

— J’ai tellement honte, tu n’imagines pas… Je n’aurais pas dû… Je ne sais pas pourquoi… et…

Un claquement sourd à l’étage lui rappela immédiatement la porte qui l’avait réveillée.

— Pourquoi Alduis s’est-il enfui ? demanda-t-elle en se redressant soucieuse. Ce n’est pas parce que je… nous… enfin… Parce que nous étions si proches qu’il s’en trouva jaloux. Parce que je comprends… mais… ça ne change rien… Il restera toujours mon frère, il aura toujours sa place même si je t’aime.

Elle se plongea dans ses si beaux yeux gris acier, parce que ça aussi c’était idiot, mais elle avait besoin d’en être sûre. Parce qu’elle savait, elle savait qu’il tenait tellement à elle, qu’il aurait pu en être blessé de la voir aussi proche d’un autre quand bien même il s’agissait de son mari. C’était stupide, mais quelque part elle avait un peu l’impression de le trahir…

Et si ce n’était pas ça alors c’était la discussion qu’ils avaient eue et… Bérénice couina dans un sursaut en réalisant qu’il était peut-être déjà trop tard…

— Dis-moi… Dis-moi ce qu’il a dit ou fait… Il faut que je sache… Quand il part comme ça… Il… Il faut que je le retrouve, il faut que je le retrouve avant qu’il ne soit trop tard… C’est… Tout cela par ma faute ! Ce n’est que des broutilles et regarde les proportions que cela prend !

Sa tête alla s’enfouir entre ses mains. À quel moment cela avait-il bien pu déraper ? Cela n’aurait pas dû la toucher de la sorte… Elle aurait dû la remettre à sa place ou la faire jeter dehors… Pourquoi… pourquoi avait-elle eu autant l’impression de se désagréger sous ses mots ? Désormais qu’il l’avait rassuré sur la question alors elle le croyait pleinement et plus encore. Et… et… Elle ne savait plus.

Avait-il quoi ? Ne pouvait pas quoi ? Oui, vu comment ça aboyait en haut, il aurait été bien étonné que cela reste discret. Quant à la honte

— Il n'y a pas de raison, ma douce, ne t'inquiètes pas.

Quant à la fuite d'Alduis… oui, voilà, c'était à cela qu'il en était lorsque la colère de son parrain l'avait déconcentré. Il secoua néanmoins la tête à ses hypothèses. Non, ce n'était pas eux. 

— Bien sûr qu'il reste ton frère, enfin. Cela n'a rien à voir - ou du moins n'était-ce pas l'impression qu'il lui avait donnée.

Quoiqu'il aime autant qu'il ne vienne pas essayer de faire la loi dans son ménage parce qu'il aurait franchement pu aller paître. Ce qui n'était pas la question du tout actuellement. Il ne savait pas comment ses mots lui avaient échappé. Bravo ! 

Il ressera son étreinte un instant. Pas pour la retenir, c'était inutile, mais pour essayer de la calmer. Il frotta son dos. 

— Tu n'y es pour rien. C'est moi. Je n'ai pas… réfléchi à mes paroles, répondit-il. 

Il l'attira pour embrasser ses cheveux puis détendit son étreinte. Ce n'était pas à elle de faire cela. Certainement pas à elle. À personne, d'ailleurs. Mais ce n'était pas comme s'il pouvait y faire quoi que ce soit et pour qu'elle s'inquiète de la sorte, il devait y avoir un risque… Ce n'était pas à elle de sauver le monde entier, mais comment aurait-il pu la regarder dans les yeux si son frère mourait à cause de lui ? Si son frère en venait à des extrémités aussi inimaginable tandis qu'il la retenait et assurait que tout allait bien ? Non, rien ne le lui prouvait. Ce qu'il pouvait détester ce genre d'impuissance.

— J'ignore où il est allé, avoua-t-il. 

Il l'interrogea du regard. Il voulait bien l'aider à chercher, il fallait juste lui donne des pistes… et qu'il n'y ait pas d'escalier, aussi.

Raaah, elle savait qu’elle recommençait à dire n’importe quoi, n’importe comment, et qu’il n’en comprendrait sans doute pas un traitre mot parce qu’elle ne terminait pas ses phrases et qu’elle-même se perdait toute seule et que c’était si ridicule ! Elle poussa un long soupir de soulagement lorsqu’il la rassura. Ses paroles lui faisaient toujours le même effet : il suffisait qu’il le dise pour que ce soit vrai. Peu importe que ce soit positif ou négatif, elle n’aurait jamais douté de sa sincérité. Alors s’il lui disait de ne pas s’en inquiéter c’est qu’il avait fait ce qu’il fallait et c’était tout ce qui comptait. Lui avait-elle dit qu’il était si formidable ?

Elle acquiesça à la mention de son frère. Bien sûr que cela n’avait rien avoir, mais c’était Alduis et elle ne se souvenait trop bien de ses paroles près de dix ans plutôt. Elle n’aurait pas pu rêver d’aimer un cœur plus pur que le sien et vraiment, elle ne voyait pas ce qu’il aurait pu trouver à y redire, car en réalité, ses rares défauts qu’elle pouvait lui concéder étaient éclipsés par toutes les qualités qu’il possédait. Seulement voilà, pour Alduis, personne ne serait sans doute jamais à la hauteur et même si cela ne le regardait absolument pas, si elle n’avait pas sa bénédiction alors il y aurait toujours une petite pointe en travers de son cœur qui l’empêcherait d’être pleinement heureuse.

Elle n’y était peut-être pour rien, mais si elle n’avait pas eu cet instant de faiblesse, alors rien de tout cela ne serait arrivé. Elle détailla son mari un instant, songeant que lui aussi devait avoir invoqué tant de « mais si » au cours de ces derniers mois qu’elle regrettait désormais ce genre de pensées. Elle n’avait pas le droit, pas pour quelque chose de si insignifiant à côté de ce qu’il avait vécu. C’était ainsi. C’était fait. C’était comme cela. Elle secoua la tête : il n’y était pas plus pour quelque chose qu’elle. Ne restait désormais plus qu’une question en suspend dans sa tête qu’embrasser son mari. Était-ce pour retourner voir Cassandre ou pour autre chose ? Elle se repassa silencieusement ses paroles cherchant ce qui aurait pu déclencher une telle réaction avant de comprendre.

De nouveau, elle l’interrogea en silence du regard. C’était cela n’est-ce pas ? Elle caressa tendrement sa joue pour le rassurer puis embrassa son front.

— Je crois… Je crois qu’il est sans doute aux écuries.

Et si ce n’était pas le cas, alors c’était vraiment, vraiment inquiétant. Elle n’aurait plus qu’à retourner tout le château. Surtout si Courage s’y trouvait toujours. Si elle n’y était plus… Son cœur se serra, comment pourrait-elle le retrouver s’il s’était enfui du domaine ? Elle glissa à regret hors de ses genoux.

— Je suis désolée… J’aimerais rester seulement je dois absolument lui parler, je ne peux pas le laisser tout seul, tu comprends ? fit-elle d’une mine contrite puis elle embrassa ses lèvres, car elle s’en sentait désormais une toute nouvelle légitimité et ce simple baiser les fit frétiller comme jamais.

— Je t’aime, Démétrius. Merci pour tout. Je te promets de revenir aussi vite que possible.

Elle l’enlaça une dernière fois, puis se dirigea vers la porte qu’elle ouvrit avant de se retourner dans sa direction, un sourire accroché aux lèvres en songeant de nouveau à cette phrase qu’elle laissa finalement échapper :

— T’ai-je déjà dit que tu étais formidable ? et elle le pensait sincèrement.

Elle se résigna à quitter sa chambre et referma la porte avec douceur puis partit en courant jusqu’aux écuries sans prendre le temps de s’arrêter, ses jupons fermement relevés dans ses poings.

Le marquis eut un regard d'excuse : il craignait bien qu'ils ne pensent à la même chose. En revanche, il n'avait aucune idée de l'endroit où son beau-frère avait pu filer. Écuries ? Bien, dans ce cas elle n'avait pas besoin de lui. 

Il secoua doucement la tête. Pas le peine de s'excuser, il savait déjà. Il n'e accueillit pas moins son baiser avec plaisir et lorsqu'elle promit de revenir vite, il sourit :

— Je t'aime aussi. File, je m'en sortirai, la rassura-t-il en la libérant en dernière fois. 

Il sourit encore à sa dernière remarque. Elle était tout de même merveilleuse d'arriver à penser ce genre de choses après tout ce qui s'était passé. Il suivit son départ d'un air un peu abruti avant de se rendre compte qu'il avait quelqu'un à prévenir. 

— Martial ! appela-t-il d'une voix forte. Et comme ce dernier apparaissait : Trouvez-moi ma sœur et faites-lui savoir que j'aimerais lui parler.

Il fallait bien qu'il la délivre du supplice de devoir tenir sa langue.

Layla ne savait pas bien ce qui s’était passé, mais elle s’était piquée le doigt avec son aiguille lorsqu’elle avait entendu la voix lointaine de Coldris claquait comme un coup de tonnerre. Quoi qu’en dise Bérénice, enfin c’était sûrement parce que c’était son père aussi, elle le trouvait tout de même un peu effrayant. Et puis chaque fois qu’il posait son regard sur elle, elle avait l’impression qu’il lisait jusqu’au plus profond de son âme et ne pouvait s’empêcher de détourner les yeux vite fait, bien fait. Pourtant il avait toujours été très avenant avec elle. Enfin… avenant… autant que pouvait l’être ce genre de personnage qu’elle n’avait pas souvent vu rire en réalité ni même sourire…

En voulant rattraper la goutte de sang qui perlait au bout de son doigt, son ouvrage lui échappa des mains et… rah mais quelle maladroite ! Il n’aurait plus manqué qu’elle le tache… C’est qu’elle en aurait été capable en plus… Le pire c’est qu’elle avait presque terminé. Il s’agissait d’un ornement qu’elle souhaitait offrir à Bérénice pour l’une de ses robes : des feuilles d’oliviers, de beaux asters d’un bleu étincelant et une jolie mésange qui liait le tout. Elle l’imaginait bien sur le bustier d’une robe par exemple… Ils seraient si mignons tous les deux... Layla pouffa de rire à cette idée et ramassa finalement sa broderie pour la poursuivre.

Un peu plus tard, on frappa. Son sourire s’illumina en apercevant Martial : c’était toujours agréable de découvrir un visage familier dans l’encadrement de la porte. D’ailleurs, elle se demandait bien ce que Bérénice faisait. Elle lui avait dit revenir rapidement, mais… oh et puis elle était chez elle, elle n’avait pas à la questionner sur ce qu’elle faisait. Peut-être avait-elle trouvé Alduis en chemin et ils avaient discuté ? Ou alors elle était secrètement partie voir Démétrius ? Son frère qui justement requerrait sa présence. Elle chassa rapidement de son esprit ses minauderies d’éternelle jeune fille et   lui emboita le pas jusqu’à sa chambre. Ah ! Vivement que ce maudit hiver se termine tout de même…

— Tu voulais me voir ? Oh… Non peut-être que tu cherchais Bérénice ? En fait, eh bien j’ignore où elle est partie, elle n’est pas revenue et…

Démétrius avait ressombré dans ses pensées quand Martial lui ramena Layla. Il le remercia d'un signe de tête avant de porter sur sa sœur un regard interrogateur. Bérénice ? Bien non, quand il voulait voir Bérénice, il demandait Bérénice, c'était plus efficace. D'accord, il n'était pas des plus vifs d'esprit mais il savait encore les différencier. 

— Elle était ici à l'instant. En réalité, c'est cela dont je voulais parler… Ne reste pas plantée là, enfin… C'était simplement pour t'annoncer que nous avions parlé et que tu n'avais plus besoin de garder le secret vis-à-vis de Bérénice.

Après, si elle pouvait s'abstenir de le crier sur tous les toits...

A priori ce n’était pas parce qu’il ne trouvait pas Bérénice qu’il lui avait demandé de venir. Oui bon, en même temps, elle aurait dû s’en douter n’est-ce pas ? Cela semblait tellement évident maintenant qu’elle voyait sa tête. Elle fut tout de même rassurée d’entendre qu’elle était ici quelques minutes plus tôt et qu’il n’avait pas l’air inquiet. Tant mieux. En même temps c’était idiot… Qu’aurait-il pu se passer de grave à Fromart ?

Elle avança distraitement de quelques pas vers le fauteuil installé tout près de lui. C’était juste qu’elle trouvait toujours qu’il y avait comme une atmosphère étrange ici, si bien qu’elle ne comprenait pas exactement pourquoi elle était là ou plus exactement elle avait une drôle d’impression qui…

C'était simplement pour t'annoncer que nous avions parlé et que tu n'avais plus besoin de garder le secret vis-à-vis de Bérénice.

Elle s’arrêta nette à mi-chemin, tournant immédiatement la tête vers son frère le regard quelque peu interloqué. Parlé ? Secret ? Son secret à lui ? Celui qu’elle avait découvert ? Elle sentit son cœur s’envoler d’un coup et se jeta dans ses bras sans prévenir en étouffant un petit cri entre ses poings fermés avant de lui embrasser la joue dans un immense sourire.

— Tu lui as dit ? Vraiment dit ? Alors qu’est-ce qu’elle a dit ? Raconte-moi ! Je veux tout savoir !

Et s’il ne voulait pas eh bien elle essayerait avec Bérénice ! Layla était toute frétillante sur ses genoux si bien que ses pieds se balançaient en rythme sans qu’elle ne l’ait remarqué.

Mais pourquoi se jetaient-ils tous sur lui comme des sauvages ! C'était tout de même terrible ! Enfin, au moins cessaient-il de se comporter comme s'il était fragile. Quant à savoir ce qu'elle avait dit… il remua légèrement la tête, un peu perdu.

— Eh bien…

Qu'avait-elle dit, encore ? Oh, il tenait bien l'idée générale - il n'était pas près de l'oublier - mais… tout cela semblait un peu nébuleux dans son esprit. 

— Elle était étonnée, je crois.

Alors non, il pouvait toujours rêver s’il espérait qu’elle se satisfasse d’une réponse aussi évasive.

— « Elle était étonnée, je crois ». imita-t-elle en agitant moqueusement la tête. Parce que tu crois que je vais me contenter de cela ? Après quoi… vingt-trois ans tu espères encore que je vais me contenter de cela ?

Elle pencha légèrement la tête. Et puis sinon elle irait tout demander à Bérénice. Elle était bien plus bavarde que son frère ! Elle saurait certainement lui raconter ce qu’il a bien pu dire. Ah pourquoi ne pouvait-elle pas être une petite souris dans ce genre de moment ! Ce devait être si adorable !

— Alors raconte-moi ! Tu ne m’as quand même pas fait venir pour me servir une telle réponse. C’est comme laisser s’échapper les effluves des cuisines quand on est affamé et sans servir le repas. C’est mesquin ! Alors raconte-moi donc Démétrius.

Layla s’installa blotti contre lui avant de reprendre.

— Je ne sais pas, dis-moi comment tu lui as avoué cela, par exemple…

Espérer ? Oh, non, elle pensait bien que pour l’appeler, il lui avait fallu abandonner tout espoir de s’en sortir… Le fait était qu’il ne savait vraiment pas comment commencer… Raconter, raconter, elle était bien drôle… Outre son grand mutisme des derniers mois, et sans avoir de difficulté particulière pour s’exprimer, il fallait avouer qu’il n’avait pas l’habitude de s’étendre sur ces sujets-là… C’était sans doute pour cela qu’il n’avait jamais parlé d’Isaure qu’à une personne avant que… cela n’avait plus d’importance, non… et d’ailleurs, il n’était plus là pour écouter ce qu’il aurait pu en dire, alors bon… Il lui fallut un petit moment pour répondre, profitant - sans enthousiasme - de la piste qu'elle lui fournissait.

— Très maladroitement, manifestement… J’ignore ce qu’elle s’est imaginé, mais j’ai réussi à l’effrayer, paraît-il. Elle… aussi, Layla. C’est...

Maladroitement. Évidemment. En même temps, elle avait déjà dû lui tirer les lombrics du nez pour obtenir un aveu et elle n’était que sa sœur. Ralalala…  Quant à l’effrayer de quelque chose cela mit aussitôt son esprit en branle. Que pouvait-on dire à une femme en essayant de se déclarer qui puisse être mal interprété et… oh non… Il n’avait pas fait cela quand même ?

Elle poussa gentiment son épaule de sa main – de toute façon elle n’aurait pas eu la force de faire franchement plus –

— Tu es vraiment infernal ! Elle a dû croire que tu essayais de lui dire que tu aimais quelqu’un… Ne me dis pas qu’elle a réussi à effrayer le grand garçon que tu es !

Elle plongea soudainement dans son regard et… non ce n’était pas ce qu’il voulait dire. Elle le fixa plus intensément encore, se rapprochant légèrement avant d’écarquiller subitement les yeux.

— Elle t’aime ! Elle t’aime aussi ! C’est cela n’est-ce pas ? s’exclama-t-elle avec autant d’engouement et de papillons dans le ventre qui si c’était à elle que l’on venait de se déclarer.

Essayer de lui dire qu'il aimait quelqu'un ? Quelle idée saugrenue que d'aller tomber amoureux de quelqu'un d'autre… Elle n'avait tout de même pas pu imaginer cela de lui… Si une chose pareille avait dû arriver, il se serait simplement arrangé pour que cela n'arrive pas. Pas que cela n'apportait rien de bon. 

— Layla, le reprit le grand garçon qu'il était d'un ton faussement réprobateur. 

Il adressa à sa sœur un regard peu convaincu. Bien sûr que non, voyons. Enfin, pour être tout à fait honnête, si, elle lui avait fait peur, mais pas à ce sujet. 

Un sourire sans doute fort idiot s'étira sur ses lèvres quand elle tapa juste. 

— Elle était aussi surprise que moi. Elle me trouvait idiot d'en avoir douté… Petite princesse numéro un, ne vous en avait-elle vraiment jamais rien dit ?

Grand garçon… Et puis quoi encore ! C'était bien parce que c'était elle.

Doutait-il de sa supposition parce qu’elle pas du tout. C’était bien la seule chose qui pouvait épouser une épouse, excepté un accident ou la mort. Mais ces deux derniers cas étaient hors de propos, bien évidemment. Ce qui était plus étonnant c’était que… Non elle ne lui avait pas fait peur tout allait bien, alors quoi ?

Elle chercha jusqu’à tomber sur l’évidence même ! Elle l’aimait aussi ! Et à voir ce sourire béat flotter sur les lèvres comme il n’en avait pas eu des années, elle sut que c’était bien cela et poussa un petit cri strident qu’elle étouffa entre ses poings. C’était si merveilleux ! C’était si beau ! Un tel mariage ! Qui n’en rêvait pas ? Oh ils avaient toujours été beaux et bien assortis ensemble, mais savoir que le lien qui les unissait était plus profond qu’une simple alliance c’était… Aaaaaaah.

— J’en étais sûre ! J’en étais sûre ! C’était si évident !

Quant à être prévenue, elle secoua la tête.

— Elle ne me l’a jamais dit. Et je confirme que tu es un bel idiot ! Enfin Dem’, tu as bien vu ses lettres, non ? Cela se voyait qu’elle avait une réelle affection pour toi. Je veux dire plus qu’une épouse ou juste une amie. Non mais vraiment tu imagines un peu ? Si tu n’avais rien dit, vous seriez restés comme deux idiots amoureux sans jamais vous l’avouer. Cela aurait été si triste… Elle embrassa sa joue Je suis si fière de toi... et si heureuse également.

A vrai dire, elle avait commencé à s’en douter quand son sergent était venu annoncer la nouvelle. Bérénice s’était littéralement effondrée quand elle, avait tout juste lâché un « je comprends » lorsqu’elle avait appris qu’elle était veuve. Alors certes, ils se connaissaient depuis bien plus longtemps, mais tout de même… Et puis toutes ces attentions qu’elle pouvait avoir… N’était-ce pas un peu plus qu’une simple épouse pour son mari ?

Tellement évident qu'il s'en étonnait encore. À se demander si sa chère petite princesse Layla - qui n'avait toujours pas trouvé de meilleur endroit que juste à côté de ses oreilles pour pousser des cris - n'avait pas reçu plus d'informations que lui. Il fronça légèrement les sourcils. N'avait-il pas été le premier à s'interroger sur les lettres en question ? Le fait était que c'était faible pour tirer de telles conclusions dans la mesure où ils avaient toujours éprouvé une certaine affection l'un pour l'autre. Même si c'était différent. 

Il fronça les sourcils. S'il n'avait rien dit, s'il n'avait rien dit… C'était tout de même hors de propos dans la mesure où il l'avait dit. Aurait-ce été triste ? À vrai dire, il n'en savait rien. Après tout, il ne s'en seraient pas rendu compte. Toutefois, il était heureux de le savoir.

— C'est curieux : cela se voit. Je suis rassuré de voir que tu le prends aussi bien.

Sa colère finalement redescendue de quelques crans grâce à sa merveilleuse petite luciole, il s’était décidé à prendre congé de son apaisante présence pour se renseigner auprès de Bérénice sur le déroulé exact de cette affaire dont il savait au final peu de choses si ce n’était que Cassandre s’était montré « méchante » avec elle d’après ces mots. Il ignorait également comment sa fille avait réagi et ce qu’elle pensait de tout cela. Après tout, il ne fallait pas oublier que c’était bien elle la principale victime de cette affaire. S’il avait su que la gamine se montrerait si odieuse avec ses enfants ! L’altercation le rendait encore aigre de déception et d’amertume.

Après avoir frappé à ses appartements puis visité les pièces où elle était susceptible de se trouver, Coldris prit la direction des appartements de Démétrius à l’étage inférieur. Si elle n’était pas là, il saurait certainement du reste lui dire où elle se trouvait. Du moins l’espérait-il.

Il frappa trois coups secs en s’annonçant. Derrière la porte, Layla qui était plongée en pleine discussion depuis une bonne demi-heure, sauta hors des genoux de son frère puis lissa sa robe avant de rajuster à la va-vite les mèches qui s’échappaient de son chignon lorsque le vicomte poussa la porte. Il lui adressa un rapide salut de la tête puis demanda à parler à son gendre.

À vrai dire, même si Démétrius lui demandait de prendre gentiment congé, elle n’avait pas vraiment eu l’intention de rester. Enfin, c’était évident que cela ne la concernait pas... Elle salua Coldris d’une timide révérence et son frère d’une œillade pleine de courage avant de filer par l’embrasure de la porte.

— Démétrius, entama-t-il quand le huis claqua doucement derrière lui. Je cherche Bérénice au sujet de ce qu’il s’est passé. Je ne la trouve nulle part, j’ai pensé qu’elle serait peut-être avec toi.

Il ne lui fallut qu’une fraction de seconde pour réaliser qu’il valait mieux pour une fois faire profil bas.

— Je tiens à te faire mes excuses pour cela. Crois bien que si j’avais envisagé qu’il puisse en être ainsi cela ne serait jamais arrivé.

Layla s'était bien vite lancée dans une grande conversation à laquelle son frère essayait tant bien que mal de participer. Il n'aurait su dire combien de temps s'était écoulé avant que l'on ne frappe. Il ménagea quelques secondes à la jeune femme pour se tenir sur ses pieds avant de répondre. 

Coldris tenait à lui parler, et cela était d'autant plus commode que la chose était réciproque. 

— Ly, peux-tu nous laisser un instant, s'il te plaît ?

Oui, enfin, les laisser ne signifiait pas non plus s'enfuir comme si la mort était à ses trousses. Pas qu'il tienne à ce qu'elle trainaille, juste à ce qu'elle se souvienne qu'elle était parfaitement en droit d'être là l'instant d'avant. 

Démétrius leva les yeux vers son parrain lorsque celui-ci prit la parole. 

— Elle y était, confirma-t-il d'un ton parfaitement neutre bien qu'il n'en pense pas moins des raisons qui l'avaient amenées. 

Pour le reste… Il allait finir par se demander si Coldris n'était pas malade à force de l'entendre s'excuser.

— J'imagine. J'ai cru entendre que la situation se mettait au clair. 


C'était bien le moins qu'il puisse faire après cela, mais c'était fait. Il n'irait pas prétendre que cela se passait de ses excuses, mais en rajouter était vain.

— Je suppose que je ne suis pas moins responsable de sa réaction.

Bien sûr qu’il n’était pas ravi de ce qui venait de se dérouler, Coldris le voyait bien dans son regard et comment aurait-il pu l’être ? A vrai dire, l’inverse l’aurait non seulement étonné, mais très certainement révolté. Lui aussi, s’il sondait ses propres prunelles verraient certainement combien tout cela pouvait l’affecter. À tel point qu’il en était rendu à lui présenter ses excuses, ce qui était suffisamment exceptionnel pour être signalé.

Bérénice était donc venue ici, bien. Quelque part cela le rassurait, il acquiesça donc sans un bruit. Quant à l’entendre, il y avait fort à parier qu’à part les sourds tout un chacun dans les environs l’avait entendu s’exprimer avec la profonde diplomatie qui le caractérisait.

— En effet, cela sera fait. C’est pour cela que je souhaitais voir ma fille et avoir sa version des faits. La petite est venue tout m’avouer de son propre chef, voilà la raison des quelques remous provoqués.

Et puisqu’il ignorait réellement en quoi avaient consisté « ces méchantes paroles », Coldris était incapable de donner tort ou raison à son filleul. Peut-être l’était-il en partie, oui, indirectement… Était-ce réellement important au fond quand ce n’était sans doute que des réminiscences des derniers mois.

— Ce qui est fait, est fait, Démétrius. Pour moi, comme pour toi. Il ne sert à rien de revenir dessus, il n’y a qu’à en tirer les leçons nécessaires et avancer.

Oui, ce serait fait, il l'espérait encore bien. Alors comme cela la fillette s'était rendue il y avait au moins cela à lui reconnaître. Cela, et le fait qu'elle ne soit pas l'unique responsable de l'état dans lequel il avait retrouvé sa femme.

Ce que Coldris asséna alors ne lui apprit rien, à vrai dire. C'étaient des chose qu'il savait. Seulement, il venait de se prendre les conséquences de son dérapage en pleine figure et ne comprenait toujours pas comment il avait pu se perdre à ce point. 

— Je le sais. En attendant, elle ne se serait jamais retrouvée dans un tel état si j'avais fait directement ce que je devais.

Il soupira. Il ne l'avait jamais vue comme cela...

— Pour ce qui est de Bérénice, elle est partie à la poursuite de son frère après que… j'aie encore été très adroit. Elle pensait le trouver aux écuries et a promis de revenir vite.,

De ses mots, il en avait compris que de toute évidence, sa fille avait été largement affectée par les paroles de la petite souris et serra malgré lui les mâchoires sans pour autant laisser ressurgir la colère qui menaçait de l’emporter.
Une chose était certaine pourtant : avec des « si » il pourrait faire tenir Braktenn dans une bouteille ou même marcher. Ce n’était pas à lui qu’il allait apprendre cela. Autant dire que si l’on commençait ainsi, on pouvait remonter loin… très loin… Aurait-il dû répondre ? Peut-être. Mais pour lui dire quoi si ce n’était ce qu’il savait déjà et  ce qu’il avait dit précédemment ?

Les regrets ne servaient à rien si ce n’était à vous alourdir. C’était bien pour cela qu’il n’en gardait qu’une infime poignée.

— Il n’y a rien d’irrécupérable. Elle s’en remettra bien vite.

Bérénice était ainsi toujours aussi forte. Et même dans les pires tempêtes, le soleil ne tardait jamais à ressurgir. Il était même prêt à parier qu’elle n’en tiendrait même pas rigueur à Cassandre une fois la distance nécessaire prise. Au fond peut-être avait-il lui-même eu tort de s’emporter de la sorte sans réellement savoir ce qui s’était passé ? Seulement, savoir sa précieuse petite nymphe blessée suffisait à lui faire entrevoir le pire. Il entendit de nouveau les paroles d’Eléonore faire écho à celles de son filleul comme si elles se répondaient mutuellement. Et si ce n’était qu’une maladresse qui avait dérapé dans des proportions grotesques ? Quoi qu’il en soit, elle mériterait d’être châtiée en conséquence, mais cela laisser entrevoir un éclairage nouveau.

Partie à la poursuite d’Alduis ? Il arqua les sourcils, plein d’incompréhension : que venait faire son fils dans l’histoire ? Coldris souffla malgré tout un petit rire étouffé.

— Je doute que tu ne puisses m’égaler avec toute la volonté du monde, fit-il remarquer avec amusement. Je la verrais à son retour dans ce cas.

Et il resta malgré tout planté là. Il avait d’autres choses à lui dire à vrai dire, mais le moment n’était sans doute pas le mieux choisi. Enfin… comme il venait de le dire, il n’égalerait jamais sa maladresse infinie alors…

Bérénice s'en remettrait, oui. À défaut de récupérer ses jambes, il avait peut-être encore une chance de récupérer un brin d'adresse. Il eut un rire discret à sa remarque à ce sujet. 

— Vous ne vous asseyez pas ?... Je vois que votre orgueil ne vous a pas quitté, mon cher parrain, mais je me surpasse, en ce moment. Je crois avoir largement de quoi rivaliser, admit-il avec l'autodérision que son accident avait brisée. Savez-vous que j'ai laissé croire à Layla que vous étiez mort en voulant lui annoncer que vous nous invitiez ? Oh, rien qu'à l'instant, il paraîtrait que j'ai fait craindre à ma femme que j'en aime une autre… Êtes vous sûr d'avoir autant de talent ?

 

S’asseoir? Oui sans doute le pouvait-il. C’est-à-dire qu’il n’avait pas prévu de s’éterniser à l’origine, mais après tout puisqu’on l’y invitait et qu’il n’avait guère d’impondérables à gérer, il prit place sur le fauteuil face à au sien. En réalité, il avait bien prévu de lui parler, il avait même un certain nombre de choses sur lesquelles il aurait souhaité s’entretenir avec lui. Mais le fait était qu’il avait préféré le laisser s’installer et reprendre ses marques avant de les évoquer. Enfin si l’occasion se présentait d’elle-même, il n’allait pas refuser non plus.

Le jour où son arrogance le quitterait, il faudrait sérieusement s’inquiéter de son état de santé. Voire même l’achever sur le champ. Son petit sourire se mua soudainement en éclat de rire lorsqu’il avoua que Layla avait cru à sa mort lors de la réception de la lettre. Nom d’un chien ! Mais comment s’était-il débrouillé pour en arriver à une telle extrémité ? Il prendrait néanmoins soin de ne pas la turlupiner à ce sujet. Il la savait timide et mal à l’aise en sa présence quoiqu’il ne voyait pas bien pourquoi. Il allait lui faire remarquer qu’il arrivait à offrir des présents personnalisés que l’on prenait pour des prêts lorsque… À sa femme qu’il en aime une autre ? Heureusement qu’il n’était pas en train de boire, car il manqua de s’étouffer et ses yeux durent s’agrandirent tant et si bien que c’était à se demander comment ils tenaient encore dans leurs orbites…

Etait-il en train de dire que ? Non c’était impossible, il se faisait des idées. Ce n’était là que ce qu’il voulait entendre et à bien y réfléchir il entrevoyait un millier d’autres hypothèses recevables pour justifier ce malentendu. La gorge sèche, il se releva puis se dirigea vers le dressoir situé à quelques pas de là. Il jeta son dévolu sur une carafe d’hypocras – comme son père – et se servit un verre qu’il vida d’une traite pour se remettre de ses émotions inutiles.

— C’est idiot enfin... Nous savons tous que tu n’irais jamais aimer quelqu’un en étant marié. Il se resservit un verre avec dans l’idée de l’apprécier un peu plus cette fois-ci. Je te sers ? … J’ai quand même tout de même réussi à pousser ma fiancée au désespoir parce qu’elle était persuadée que tout était terminé après m’avoir surprise à demander conseil à Tante Solange au beau milieu de la nuit et tout cela pour déterminer si oui ou non cela valait coup de lui dire que je l'aimais réellement. Alors tu m’excuseras, mais tu vas devoir faire mieux, mon cher filleul.

Il esquissa un petit sourire et prit une gorgée.

Oui, son parrain pouvait bien rire de la maladresse qui avait fait croire une telle bêtise à Layla. Une vulgaire hésitation, étincelle dans un tas de broussailles.

Quant à sa femme… c'était qu'il n'avait vraiment pas su comment lui expliquer. Il s'étonnait toutefois que le récit de ses faux pas ne déclenche chez son beau-père une telle ruée vers l'hypocras. Était-ce encore plus incroyablement stupide qu'il ne l'avait cru ? 

— Figurez-vous que non, quelles que puisse être là situation avec Bérénice, cela ne me viendrait jamais à l'idée. Avouez que ce serait drôlement peu commode.

D'autant qu'il... oui, il l'aimait. 

Il accepta de prendre un verre et écouta la suite. La pauvre petite, si elle savait... Démétrius arqua un sourcil à la mention de Solange. Que… Non, en fait il ne voulait pas visualiser.

— Je vous avouerais que j'aimerais autant éviter. Mais je suppose que la présence de la demoiselle indique que ce… malentendu s'est arrangé. Je… suis heureux de voir que vous avez pu… elle avait l'air de tenir à vous.

S'il savait combien il avait prié pour qu'il retrouve le bonheur. Quand il avait vu, la veille, ce sourire qu'il arborait… Et puis, il n'était certainement pas trop tôt pour qu'il se range un peu.

L’espace d’un instant, il avait bien cru qu’il était en train de lui dire tout autre chose et son étonnement visible l’avait destabilisé au point de descendre un verre de toute urgence pour reprendre contenance alors même que son filleul poursuivait. La situation avec Bérénice ? Etait-elle si dramatique ? Enfin elle avait plutôt l’air heureuse de le retrouver d’après ce qu’il avait pu voir et elle s’inquiétait sincèrement de lui, alors il ne comprenait pas vraiment où il voulait en venir et jugea préférable de se taire sur ce point. En revanche le suivant… La dernière gorgée avalée, il s’empressa de lui fournir son expertise.

— Je pense que tu ne poses pas la question à la bonne personne. Ce n’est pas franchement le genre d’obstacle qui me retient et… encore heureux que je ne me marie pas tous les jours, pas plus que je ne tombe amoureux.

Sur ce point, il offrit sa tournée d’hypocras et porta son verre à son filleul tout en lui faisant le récit de ses propres récents exploits si tant est qu’ils en fussent réduits à s’enorgueillir de leurs  maladresses respectives. Coldris passa distraitement une main entre ses cheveux courts, gêné de dévoiler une telle faille, quand bien même il savait pertinemment qu’il n’en ferait rien de mal bien au contraire. Et si quelqu’un hormis Léonilde pouvait encore témoigner du cadavre qu’il avait été, c’était bien lui.

— Je… Oui… En effet… Enfin de manière précipitée et ce n’était pas vraiment prévu, mais je… oui... enfin c’était l’unique solution, alors…

Il releva ses yeux pour les planter dans les siens, incapable de finir sa phrase. Pouvait-il lire dans son regard tout ce qu’il ressentait et qu’aucun mot n’aurait pu complètement évoquer ? Il aurait voulu dire qu’il venait de retrouver un sens à son existence après toutes ces années et notamment ces quasi quatre dernières années. Il aurait voulu demander s’il réalisait à quel point il pouvait l’aimer pour en arriver à sacrifier sa liberté si chère à son cœur pour le simple plaisir de contempler jour après jour son sourire et de se perdre dans son regard apaisant. Il n’était pas question de respecter une quelconque norme ni même de se ranger. Non c’était simplement, l’un des plus gros sacrifices qu’il pouvait consentir par amour, pour acheter ce luxe que l’on appelait sécurité.

— J’aurais aimé… J’aimerais que tu sois mon témoin, si tu le veux bien.

Si Virgil avait été là, la question ne se serait pas posée, car avec tout le respect qu’il avait pour son filleul, cette place aurait dû revenir à son meilleur ami et il aurait supporté toutes ses effroyables piques pour avoir le plaisir de l’avoir à ses côtés. Seulement… seulement c’était impossible et le vide qui le rongeait n’y pourrait jamais rien. Alors si au moins Démétrius pouvait accepter de se charger de cette tâche, il en serait des plus heureux. Parce qu’il était le fils de son meilleur ami, son filleul, son gendre, parce qu’il en plus que beaucoup pour l’avoir vu et parce qu’il avait entièrement confiance en lui. Il soupira et reprit une gorgée.

Démétrius ne put retenir un soupir. Ce n'était pas à son parrain qu'il pourrait faire comprendre les bases de la décence. C'était tout simplement manque de respect et de bon sens que de s'imaginer qu'une relation suivie était envisageable hors d'un mariage. Outre l'engagement sacré qui, il le reconnaissait, avait pris des accrocs même pour lui… sérieusement, comment pouvait-on prétendre aimer quand tout ce que l'on avait à offrir était une situation honteuse et périlleuse ? Non, vraiment, dans ces cas-là, un minimum de sincérité suffisait à renoncer. 

— Moi non plus, vous noterez...

Il ne pouvait que prier pour ne pas avoir besoin de recommencer, étant donné le drame que cela impliquait. Tout de même, les doutes que Coldris exprimait quant à ses aveux ne pouvaient que lui rappeler les réprimandes de Layla à peine une demi-heure plus tôt. Comment était-ce, déjà ? Ils auraient pu rester comme deux idiots amoureux sans le savoir. Ce qui était d'autant plus problématique pour eux dans la mesure où ils n'étaient pas encore unis. 

— Vous auriez toujours pu continuer votre vie chacun de votre côté sans jamais rien savoir, c'eût été bien préférable. C'est tout de même idiot de votre part de lui avoir cédé un tel aveu ! Quel malheur… Puis, plus sérieusement : Je n'aurais jamais cru qu'une femme puisse encore vous convaincre de l'épouser... 

Enfin, cela valait sans doute mieux pour eux deux. Quoiqu'il soit évident, bien qu'il n'ait pas de détails, que ce mariage n'aurait pas les meilleures circonstances. Sa demande, il fallait le dire, le prit un peu au dépourvu. 

— Cela me touche beaucoup. Je... Puis-je seulement savoir dans quoi vous tentez de m'embarquer ?

Coldris souffla de rire à sa répartie. Encore heureux qu’il ne se marie pas tous les jours alors qu’il lui avait confié sa précieuse fille ! Pour le reste, il savait bien qu’il ne pourrait jamais comprendre son point de vue, il était donc inutile de poursuivre sur le sujet. Il préférait de loin lui avouer combien il avait été maladroit lors de leur séjour au manoir du moulin.

— Comme si ces trois mots étaient nécessaires pour la mettre dans mon lit, nota-t-il avec la bouche en cœur d’un marmot plein d’innocence.

C’était tout de même ironique de l’entendre dire « encore » quand il n’avait qu’une petite année la première fois qu’une femme l’avait convaincu d’accepter un mariage. Et pour tout dire, ce n’était pas exactement comme cela s’était déroulé.

— À vrai dire c’est plutôt l’inverse… En réalité cette demande était tout aussi catastrophique de pragmatisme, alors tu as encore de la marge avant de me rattraper.

Devait-il préciser qu’il lui avait demandé au saut du lit de l’épouser après une nuit passée à s’égarer dans les méandres du laudanum ? Sans doute pas. Et sa réaction ? Leurs longues tractations ? Mieux valait éviter également et laisser à son imagination le bon soin d’arranger sa demande aussi piètrement que possible.

Tout cela pour l’amener finalement au point d’orgue avec cette demande qui reçut un accueil suspicieux. Coldris arqua un sourcil, ne voyant pas bien ce qu’il pouvait y avoir de problématique, enfin, tout de même, il ne se serait jamais permis de l’emmener là où il avait pu emmener son père trente ans plus tôt.

— Dans un mariage, Démétrius. Tu ne suis pas ? taquina-t-il gentiment. Il n’y a aucun complot et personne ne va mourir. Et puis… Tu n’as pas envie de voir l’Evêque de Braktenn ? Il sera là pour mes noces, figure-toi ! s’enthousiasma-t-il dans une candeur enfantine.