[RP Solo] La naissance d'une paternité [Terminé]

Spoiler:

Sa main serrait la coupe de vin mais était incapable de le porter à sa bouche. Il n'avait pas soif. La nouvelle apprise quelques heures plus tôt le laissait encore dans un état second.

Dans un recoin de la pièce gisait à genoux Rosina, silencieux, les mains jointes. Elle priait et implorait le Ciel de les excuser pour leur faute. Sa naïveté était stupide mais Thierry ne pouvait s'en moquer. Son regard restait fixée sur sa silhouette gracile. Sa chevelure blonde tombait librement sans son dos. il se revit glisser la main dedans la nuit. Son cœur se serra. Il l'aimait.

Il aimait une femme qui risquait de le perdre.

La naissance prochaine de leur enfant. Leur enfant ? Thierry se refusait à considérer l'être dans les entrailles de cette femme comme le sien. Un prêtre ne pouvait se permettre une pareille entorse. Ce serait sans nul doute la fin de sa carrière et surtout de ses privilèges. Il avait enduré trop de choses pour se priver des bienfaits désormais acquis. Il avait une situation. Il n'y renoncerait pas. Pas même pour l'amour que Rosina lui offrirait. Sa résolution était faite.

Comment annonçait à une femme que l'on la quittait ? Une femme enceinte... Il deviendrait un homme sans sans honneur. Il le savait. Il l'acceptait. Mais sa lâcheté allait jusqu'à se retenir de lui dire. Et s'il se contentait d'informer le libraire Bellanger du lieu où se trouvait son épouse ? Il expliquerait l'avoir découverte dans les rues, l'avoir mise en sureté et l'époux cocufié viendrait la reprendre. Son machiavélisme le dégoûta. Alors il était devenue cette personne ? Las, il leva enfin sa coupe et avala d'un trait le vin. L'ivresse le soulagerait des maux de la conscience. Sa main se resservit. Boire, encore boire... Oublier. Ne plus ressentir. Les remords et la culpabilité seraient un poids trop lourd.

Alors que Thierry vidait verre après verre, Rosina finit par se relever pour préparer le repas. Elle apporta à son amant une écuelle de soupe qui la repoussa. Inquiète, la femme posa la main sur son front.

"Tu es malade ? Non, pas de fièvre. Tu... tu penses au bébé ? Tout... Tout ira bien."

Ses bras entourèrent Thierry qui se détendit dans ses bras, incapable de prononcer les mots qui hantaient pourtant son esprit. Elle s'installa contre son épaule et l'embrassa.

"J'ai réfléchi. Tu pourrais peut-être me trouver une maison ? Je ferai des travaux de couture pour des voisine. j'élèverai l'enfant modestement mais avec beaucoup d'amour. Il ne manquera de rien ! Tu... Tu pourras passer de temps en temps, sous couvert de visites. Je suis certaine que c'est possible."

Elle avait déjà planifié toute leur existence. Sans le consulter. Sans chercher à connaitre son opinion. Comme sa mère. Comme son père. Comme son frère aîné. Il se sentait piégé. Impuissant. La colère le saisit. Il poussa au sol Rosina sans aucun ménagement, sans se soucier de l'enfant dans son ventre, puis se leva dans un mouvement d'humeur et la toisa avec férocité :

"Je ne veux pas d'une vie avec toi ! Tu m'as menti ! Tu as dit ton ventre stérile !"

Rosina gémit, malheureuse :

"Je le croyais. Sincèrement. Je te le jure ! Les médecins... J'ai été marié plus de sept ans ! Sans jamais avoir été enceinte !  Mon mari... Mon marin  voulu savoir pourquoi... les médecins ont dit que la stérilité était toujours la faute de la femme, que son ventre repoussait la semence de l'homme. Je croyais..."

"Tu croyais mal, idiote ! Disparais !"

"Tu... Tu vas me laisser seule? Enceinte ! Et notre enfant ?"

Le prêtre continua à la fixer avec condescendance, sans aucune pitié :

"Cet enfant n'est qu'un bâtard. Tu as séduit un curé, tu m'as détourné.. Cet enfant sera maudit de Dieu ! Il naitra infirme ! Gravement infirme ! Et il en mourra avant ses six mois ! Par ta faute !"

Les yeux de Rosina se remplirent de larmes alors que sa main se porta à son ventre. Elle le supplia d'un faible filet de voix inaudible. L'agacement saisit Thierry qui l'attrapa par les épaules et la jeta dehors avant de refermer rapidement la porte. Son masque craqua une fois celle-ci refermée. L'horreur lui apparaissait. Il venait de chasser cette femme dont son cœur était épris de la pire des manières. Il s'écroula lentement au sol et s'effondra en larmes.

Rosina contemplait avec douceur son fils s'amuser et rire aux éclats avec un cheval mécanique, agenouillé sur le plancher. Il était si beau. C'était sa merveille. Sa raison de vivre. Chaque jour, elle se surprenait à trouver une nouvelle ressemblance avec son père. Dans ses rires, dans ses expression, dans un trait de son visage... Tout du petit Alexandre lui rappelait avec douceur et douleur son amant.

Cinq ans avaient passé depuis ce terrible moment où il la rejetait et la poussait hors de sa porte. Tout le temps de sa grossesse, sa rancune avait été tenace. Elle détestait le prêtre Thierry d'Anjou. De toutes ses forces. De tout son être. Puis, après la naissance de leur fils, comme un miracle, en posant les yeux sur ce superbe bébé, en le serrant dans ses bras, contre sa poitrine, l'amour s'était réveillé. Elle ne pouvait effacer son amant. Il vivait en Alexandre sans que ni l'un ni l'autre n'en aient conscience.

Alexandre... Elle avait donné ce nom en hommage à un de ses ancêtres que Thierry lui avait dit admirer. Un chevalier ayant eu le courage de partir en croisade lors du rassemblement lancé par le grand roi Saint-Louis. Un tel aïeul honoré permettrait à leur fils de recevoir son assentiment. Cela lui porterait chance assurément.

Mais elle avait un plan pour assurer à son fils un bon avenir.

"Alex, mon chéri, on va à l'église !"

Docilement, le petit garçon abandonna son jouet et se dressa fièrement sur ses petites jambes fragiles. Grâce à ses efforts, il tenait debout et marchait. Elle avait vaincu on infirmité. Elle le sentait. Elle se pencha pour prendre Alexandre dans ses bras et l'embrassa au front. Le petit garçon la chatouilla au menton en retour puis se blottit contre sa poitrine.


En pénétrant dans l'église, Rosina trempa la main dans le bénitier puis se signa. Elle traça ensuite le signe de croix sur le front de son fils qui se laissait docilement faire. La mère s'avança dans la travée, cherchant le prêtre de Saint-Eustache du regard et finit par le trouver, la silhouette austère, en train de répondre à une paroissienne. Elle s'accroupit et déposa Alexandre.

"Mon chéri, tu vois cet homme là-bas ? C'est le père Thierry, le curé. Va le saluer, je te prie, et sois poli."

Elle déposa un baiser sur les cheveux du petit garçon qui hocha joyeusement de la tête, ne comprenant naturellement pas la manœuvre cachée derrière cette introduction. Elle se releva pour s'asseoir sur un banc et observa son fils s'avancer vers son père.

Tout était prêt.

Malgré sa timidité, Alexandre s'avança vers l'homme que sa mère venait de lui indiquer et avançait lentement, un pas devant l'autre. il s'immobilisa devant le prêtre, s'inclina, gêné, puis murmura d'une toute petite voix candide :

"Bonjour, père Thierry ! Je m'appelle Alexandre Bellanger ! Ravi de faire votre connaissance !"

Le petit garçon était fier d'avoir su répéter la bonne formulation et gonfla la poitrine devant son accomplissement.

Mal à l'aise, Thierry posa les yeux sur l'enfant qui venait de l'interpeller et comprit avant même d'entendre sa présentation. Ce visage... Dans ce visage, il revoyait ses propres traits. Un petit garçon innocent. Insouciant. Il était... beau. Pur. Il ressentit l'envie de poser la main dans ses cheveux blonds puis aperçut non loin de là le regard de Rosina, assise sur un banc, qui ne ratait rien de la scène. S'il se laissait aller à ce geste, ce serait reconnaitre sa victoire. Un triomphe après l'humiliation. Il s'interdit cette tentation et se retourna dans un mouvement sec sans répondre à l'enfant.

"Père Thierry, j'ai dit... quelque chose de mal ?"

L'enfant souffrait de son orgueil. Thierry l'entendait dans ses paroles gémissantes. Mais il ne pouvait accorder la victoire à la mère. Elle n'en serait que trop heureuse de l'avoir finalement emporté. Il s'éloigna d'un pas rapide en s'efforçant de ne pas entendre le garçon l’appeler et se réfugia dans son bureau.

Là, il s'enferma puis s'affaissa dans un fauteuil. Ses yeux se portèrent dans un curieux hasard vers le Christ en croix et un sourire flotta alors sur son visage.

Il avait un fils.

Un magnifique petit garçon qui lui ressemblait. Qui marchait. Qui deviendrait fort et intelligent.

Ses yeux se fermèrent. Thierry s'imprégna de cette félicité qui l'envahissait. Il contemplerait à distance cet enfant grandir, sans s'impliquer, sans créer de conflit, et serait fier en secret du moindre de ses accomplissements.

Il avait un fils.

Cette seule et unique pensée occupa son esprit pour la soirée entière, installé à l'ombre du Christ.