[RP solo] [22 Janvier 1598] Retrouvailles et réconciliation [Terminé]

Deux jours venaient de s'écouler depuis sa libération et le nouveau procès qui s'était tenu à son sujet. Il avait beau avoir confiance en son ami Coldris, le savoir puissant, l'ancien prêtre ne revenait toujours pas de s'être sorti de cette mauvaise passe avec si peu de représailles. Quitter l'état clérical, même si cela impliquait de devoir travailler, le dispensait au moins de plus répéter toutes ces messes affreuses et surtout à ne plus s'ennuyer dans un confessionnel, dans une positionna inconfortable, à entendre des mesquineries. Qui s'e préoccuperait sincèrement du compte de tartines ou des jalousies éprouvés à l'égard d'une voisine ? par ailleurs, cet emploi imposé par les juges dans les hospices que comptaient la ville n'éveillaient rien de désagréable en lui. Au contraire, prendre soin d'infirmes ou de personnes âgées, devenues une charge pour leurs familles, lui rappelaient ses jeunes années, quand il se rendait aux dépendances du château des d'Anjou, en dépit de l'interdiction parentale, et aidaient son oncle et son petit frère.

Néanmoins, en se couchant hier soir, de retour au manoir du Moulin, la résidence que Coldris avait eu la gentillesse de lui prêter, son esprit avait eu du mal à s'endormir. Les pensées s'accumulaient et le ramenaient à Alexandre. Alex... Son petit Alex. Son âme ne supportait de plus le savoir fâché. Que celui-ci semblait manifestement le détester. S'ils pouvaient se parler, peut-être que leurs relations s'apaiseraient. Son fils savait faire preuve de pardon. Il souhaitait y croire. Et il l'aimait trop cet enfant pour risquer de la perdre.

En quittant ce jour-là l'hospice où il avait travaillé depuis les premières heures de la matinée, Thierry rassembla son courage et se dirigea vers le domaine de Fromart. Si les gardes, habitués à ses visites, le laissèrent passer sans poser la moindre question, il tomba ensuite dans le hall sur un Léonilde austère, peu enclin à le laisser fouler le carrelage de la demeure, il déclara la réelle raison de sa visite : voir son fils. L'intendant grimaça et déclara en consulter d'abord avec son maître avant avant de lui donner la permission de poursuivre plus loin. Thierry le soupçonna de prendre tout son temps pour accomplir le parcours encore les escaliers et le bureau de Coldris pour revenir lui accorder cette permission qui devait lui brûler les lèvres quand le domestique la prononça.

Quand il eut enfin la permission de circuler dans les couloirs, Thierry sourit en songeant aux quelques tours qu'il avait pu jouer à Léonilde. Comme de le faire courir en ville en affirmant que son employeur avait absolument besoin de ses services. Ou en lui adressant anonymement un collier de chien, avec une clochette et une médaille à son nom. Ou encore en s'amusant à visiter Coldris les jours de pluie pour le simple plaisir de laisser le plus possible d'empreintes quand il passait devant l'intendant. Il aimait alors sentir son regard agacé devant ses provocations tout en conservant une retenue parfaite.

Lorsque Thierry parvint finalement à la bibliothèque, il découvrit la salle silencieuse, puis Alexandre en train de lire à une table. Plusieurs ouvrages étaient empilés devant lui. Son coeur flancha. Son fils se trouva là, devant lui. Il s'avança lentement, hésitant, et fit un premier. Puis, un second. Alexandre ne bougeait toujours pas, absorbé par sa lecture. Un troisième pas. Alexandre saisit une plume et nota une phrase dans un carnet. Un quatrième pas. Un cinquième. Alexandre reposa la plume et se remit à lire. Un septième pas. Un huitième. Un neuvième. Alexandre se trouvait tout proche. Ses béquilles étaient appuyés de l'autre côté. Sa tête penchait légèrement vers l'arrière. Un dixième pas. Alexandre se redressa et toucha un point dans le livre ouvert devant lui. Il se saisit d'un autre ouvrage  le feuilleta rapidement. Sans doute pour retrouver une information. Un onzième pas. Thierry se tenait dans son dos. Les battements de son coeur tambourinaient dans ses oreilles.

"Alex..."

Spontanément, oubliant toute retenue, Thierry céda à ses sentiments et enveloppa son fils, son précieux fils, de ses bras.

"Je t'aime, Alex."

Alexandre avait passé la journée entière à consulter des documents et des ouvrages pour continuer à en apprendre plus sur les différents courants religieux qui circulaient en Europe et qui remettaient en cause certaines doctrines du catholicisme. Les thèses luthériennes se révélaient inspirantes mais toutes leurs idées devaient être triées. Il appréciait notamment cette vision de supprimer toute hiérarchie cléricale. Par le simple exemple de son père, on voyait ce que cela donnait : l'Eglise préférait fermer les yeux par peur du scandale. Pourtant, dans toute profession, dans toute couche de la société, les brebis galeuses existaient et une institution gagnait à le reconnaître, même si celle-ci risquait d'essuyer quelques temps des critiques. Néanmoins, le peuple ne ressentait pas alors un sentiment d'impunité qui risquait à pus ou moins long terme de susciter des interrogations, voire des révoltes. La loi était la loi et elle devait s'appliquer pour tous.

Sur un point de vue parfaitement théologique, Alexandre approuvait l'idée de renier les Saints. De les associer à du paganisme et que seule la triade de Dieu, du Fils et du Saint-Esprit associé à la Sainte-Mère du Christ était une pensée logique. Lui-même les priait exclusivement, eux, ceux à l'origine des miracles. Même si les saints avaient existé, cela était indéniable, ils ne devaient ces fameux pouvoirs qu'à leur foi et l'intervention divine qui les récompensait de leur confiance.  De plus, cette sacralisation des Saints contribuait à des dérives. notamment avec la multiplication de leurs reliques. Alexandre se souvenait avoir lu récemment que le Vatican possédait deux crânes de Saint-Pierre. Deux crânes pour le premier évêque de Rome ! Combien de fausses reliques pouvaient-ils ainsi exister ? Néanmoins, Alexandre comprenait que ce point serait complexe à aborder. Pour avoir souvent pris le pouls de la population peu instruite, il savait que celle-ci vénérait ces saints. Ils s'en sentaient même bien plus proches, un peu comme les anciens Romains préféraient se tourner vers des cultes mineurs plutôt que les dieux importants. Il ne serait ainsi pas avisé de leur retirer cet aspect de leur pratique religieuse s'ils se décidaient d'accomplir une réforme monbrinienne. Ne surtout pas trop bousculer leurs habitudes. Autrement, un peuple confus pouvait devenir dangereux.

Alexandre feuilletait justement un ouvrage qui défendait la cause des Saints, l'antithèse parfaite de celui qu'il avait ouvert, pour comparer les idées qu'ils venaient de découvrir. Soudain, contre toute attente, une attente, une accolade l'étreignit. Il se figea, puis supposa que ce ne pouvait être qu'Alduis, lorsque ses oreilles perçurent la voix de son père. Il soupira. Il le savait, bien sûr, sorti de prison, mais ignorait comment agir avec lui. Quelles devaient être leurs relations ? Le jeune homme entendit alors les paroles suivantes et son coeur se serra dans sa poitrine.

"Papa..."


Il se retourna  et remarqua le visage tendu de son père, sans doute suspendu à ses lèvres, attendant avec angoisse ses réactions. Alexandre hésita sur la conduite mais il savait en son for intérieur être incapable de nourrir une trop longue rancœur envers lui. Il voyait ce que cela donnait avec Coldris et Alduis. Il se mit debout, forçant ses jambes fragiles à le supporter, et enlaça son père.

"Je t'aime aussi, papa."

Alexandre sentit ses jambes qui se rappelaient à lui et se recula pour s'appuyer contre la table.

"Nous pourrions peut-être passer à côté ? Ce sera plus confortable."

Le petit infirme reprit ses béquilles et montra le chemin de la sortie de la bibliothèque au salon de lecture attelant. Il n'y avait personne dans les couloirs. Pas même un serviteur. Ni Adéis. Il s'installa dans l'uns des canapés, celui proche de la fenêtre, et invita son père à le rejoindre.

"Tout se passe bien à ton travail ? J'ai entendu au matin, par Coldris, que tu avais fait un malaise dans les latrines hier. Tu t'en es rétabli ?"

Alexandre se souvenait d'autres choses qui émanaient de ces fameux rapportes que Matthias adressait fidèlement à son employeur. Il ne souhaitait pas engager la conversation sur ce sujet. Son père n'avait rien accompli de mal et il méritait d'avoir le droit à une vie intime. Il avait dépassé l'âge de le houspiller pour l'avoir surpris culbuter une femme mariée.

Un silence gêné s'était installé dans la pièce tranquille. Quel contraste par rapport à hier soir où il discutait hier soir avec Bérénice au sujet de cette pièce de théâtre qu'elle avait récemment été voir avec des amies, la conversation régulièrement interrompu par un Adéis, aussi adorable qu'à l'accoutumée, qui s'essayait à donner son opinion sur les situations que leurs paroles décrivaient. Alexandre croisait les mains, nerveux, et ne savait pas bien quoi dire à son père. Lui ordinairement si bavard se retrouvait muet. Pourtant, sa punition était passée et il pouvait librement parler. Malgré tout, les mots restaient coincés en lui. Il tenta bien une ouverture en utilisant les dernières données du rapport de Matthias mais cela resta resta lettre morte. Son père semblait plongé lui aussi dans un profond mutisme.

Soudain, son père ouvrit la bouche, et lui apprit avoir eu connaissance que sa nouvelle garde-robe émanait de sa seule contribution Alexandre sourit, touché à constater à quel point son opinion comptait pour son père. Lors de ces dernières semaines, il en avait douté. Leurs liens étaient cependant plus forts que leurs oppositions. Sa main se posa sur celle tremblante de son père.

"Il est naturel pour un fils de veiller au bien-être de son père."

Son père demeurai dans une posture toujours étouffante, comme si un lourd fardeau accablait ses épaules. Alexandre se demanda si ce n'était pas de sa faute. La sobriété de sa réponse était peu habituelle de sa part.

"Je ne ressens aucune colère contre toi, papa, en te répondant en une seule phrase. Je vis à Fromart, c'est tout. Je commence à apprendre l'économie des mots."

Son père se résolut à ouvrir la bouche et conta une histoire qui sortait difficilement au sujet du marquis d'Ausseieille. Alexandre l'écouta avec calme et ne s'étonna pas d'apprendre que son père ait pu oublier l'incident. Après une scène de cette nature, il s'était naturellement réfugié dans le confort illusoires de la bouteille. Le jeune homme se rappela une vision fugace du prêtre s'éloignant vers son bureau. Que ressentait-il aujourd'hui de cet aveu ? Alexandre réalisa s'en moquer. Il était passé à autre chose et ne souhaitait pas ressasser le passé. Il ne voyait même pas pourquoi son père s'attardait à autant décrire ces événements. De simples excuses, sans les noyer sous une tartine de justifications, étaient plus que suffisantes. Il s'amusa en revanche de constater que son père savait à présent pour ses farces, comme celle de l'enterrement, et fut finalement touché par la déclaration finale. Alexandre sourit et reprit avec douceur :

"Le passé est le passé, papa. Laissons tout ceci de côté et avançons à présent."

Une pensée s'agitait dans son esprit. Une pensée qui ne le quittait plus leur première rencontre, et plus encore depuis qu'il avait découvert les horreurs de l'hôpital général. Il ne cessait de réfléchir à un moyen de l'extraire à sa famille mais rien ne lui venait. Il ne possédait aucune maison où accueillir son petit frère. Néanmoins, si son père le souhaitait, il serait certainement possible de le loger avec lui au moulin. La demeure état assez grande pour eux et Sébastien se contenterait de peu. Il serait suffisamment heureux que des personnes se préoccupent de son existence.

"Puisque nous parlons t'avancer, papa, que dirais-tu de prendre un nouveau départ avec un nouvel enfant ?De prouver en sorte que tu es peux être un bon père. Il y a peu de temps, j'ai découvert un enfant qui te ressemblait, plus encore que je te ressemble. C'est un garçon infirme, paralysé des jambes, que sa famille néglige. Il est pourtant très intelligent, gentil, sociable... Il mériterait bien plus que la paillasse que l'on lui octroie actuellement. Qu'en penses-tu ?"

Alexandre s'arrêta là et étudia la réaction de son père.