[RP alternatif] Institut Saint-Martin

Le petit émit un bref recul de surprise en entendant son camarade ouvrir la bouche. Et ce ne fut pas de la mauvaise volonté de sa part, mais il ne comprenait pas du tout le sens de ses paroles. Il fronça les sourcils, décontenancé. Après quelques coups d'yeux à gauche et à droite pour s'assurer qu'il ne serait pas entendu, il répondit de sa voix la plus basse - toute douce et murmurante :

-- J'sais pas moi... J'ai toujours été là à faire ça... C'est quoi une gonzesse ? Et c'est quoi leur travail ?

Il posait ces questions avec une naïveté confondante. Ses pupilles restaient rivées sur la besogne et ses doigts n'avaient pas ralenti. Son voisin n'arrivait pas ? Ce n'était pourtant pas si compliqué... Il fallait desserrer les cordages comme on dénouait une tresse, puis refaire la même chose avec le cordage plus petit ainsi obtenu, et ainsi de suite jusqu'aux fils de chanvre. Puis tout démêler. Il s'efforça de ralentir pour montrer plus en détail à son comparse.

Son agacement surprit son voisin qui l'observa quelques instants puis laissa échapper une information dérangeante. Il vivait là depuis... toujours ? Quelle horreur !

"Une gonzesse, c'est une femme. La femme se doit d'être la compagne de l'homme. Elle crée en son absence un foyer harmonieux en réalisant les diverses tâches ménagères qui lui incombent tout en supervisant à l'éducation de ses enfants. A son retour, après une dure journée de labeur qui lui aura permis de faire vivre sa famille, l'homme est heureux de retourner dans une maison agréable où l'attend une bonne épouse avec un bon repas."

Le garçon récitait la leçon apprise depuis plusieurs années. Sans jamais l'avoir remise en question. Il étudia ensuite les gestes de son camarade qui s'efforçaient de lui montrer comment faire avec ces maudites cordes puis essaya de répéter. Ses doigts s'emmêlaient. Il n'y arrivait pas.

"Non... c'est pas possible. C'est trop dur."

Il utilisait des mots un peu compliqués, ce garçon... Et son discours semblait bien exotique à l'esprit du petit enfermé. Il n'avait aucune idée de ce qu'était une maison harmonieuse, ni des travaux des uns et des autres dans ledit foyer.

-- Euh... D'accord. B'en ça... ça doit êt' chez les gens normaux. Pas pour nous. Pour nous, c'est comme tu vois là et c'est tout. (Un temps) En plus tu sais, des fois ça change aussi...

Il se tut soudain, tourna précipitamment la tête et ne se focalisa que sur sa corvée : un gardien passait près d'eux. Interdiction de parler. L'enfant espéra ne pas avoir été entendu et échapper à une correction. Heureusement, le surveillant poursuivit sa route d'inspection. L'invalide se rapprocha donc à nouveau de son voisin et reprit le fil de ses explications :

-- Ça change des fois. On est pas toujours aux cordes. Y a des jours où on doit polir des p'tites pièces en bois et faire quatre trous dedans. Et d'aut' moments où on s'occupe de frotter les tables du réfectoire et d'peler des légumes. (Un temps, soudain soucieux) Par contre fais attention. Parle moins. On a pas droit.

Et ses mains toujours de besogner à un rythme soutenu. Il soupira devant les difficultés de son camarade. Il avait fait de son mieux pour lui montrer, maintenant le môme ne voyait pas ce qu'il pouvait proposer de plus... La tristesse emplit ses yeux dorés, alors qu'il se sentait impuissant.

Les gens normaux... Alexandre s'agaçait de cette appellation. Pourquoi il ne serait pas normal lui aussi ? Car il était infirme ? C'était ridicule ! Sa mère affirmait qu'il possédait au moins autant de valeur que les autres, si ce n'était même plus du fait de devoir faire plus d'efforts qu'eux. Il lâcha, amer :

"C'est le Purgatoire, ici, alors."

Il songea au père Thierry qui pourrait certainement, s'il le voulait, le sortir de là. Il soupira.

"L'autre a dit qu'il me permettrait de voir le curé auprès duquel je suis enfant de chœur... Mais c'est des conneries, hein ? il essaie juste de m'endormir, non ?"

Soudain un garde passa et son camarade se tut. Apparemment, on ne devait pas parler. Alexandre leva les yeux. A chaque nouvelle seconde, cet endroit devenait de plus en plus idiot. Il reporta son attention vers les cordes mais sans comprendre comment on les assemblait. Les déclinations latines, c'étaient quand même plus simples à maitriser que ces ces choses-là ! Et bien plus passionnantes !

"Pfff... Je préférerai réviser mon latin ou mon grec. C'est quand même plus utile que ces cordes. Ca va servir à quoi ensuite ? Y a un but ? Ou c'est juste pour nous occuper ?"

Il eut soudain conscience ne pas s'être présenté et rougit. Maman serait si furieuse !

"Au fait, je m'appelle Alexandre. Alexandre Bellanger. Même que maman, elle m'appelle, elle son bel ange Alex."

Des sannglots le saisirent en évoquant ce souvenir heureux. Maman... Avait-elle rencontré Benoit ? Que disait-elle de cette terrible nouvelle ? Il renifla.

"Maman... Je veux ma maman...."

Son camarade évoquait le Purgatoire. Oui, il y avait un peu de ça. L'endroit était souvent évoqué, dans les lectures bibliques imposées tous les jours aux internés. Et on leur disait qu'ici, ils pouvaient laver leur âme et leur mauvaise vie de dépendance. Aussi Tristan hocha-t-il la tête.
Les autres confidences de son comparse l'étonnèrent : un enfant de chœur ? Des leçons de grec et de latin ? Mais c'était pour les riches, ça ! Et ça expliquerait qu'il ne sache rien faire de ses doigts, celui-là. Que pouvait-il lui être arrivé ? Il aurait été dépravé et aurait déçu ses parents... Ou bien avait été amené ici après que son corps soit devenu infirme et que sa famille ait estimé que c'était la marque d'un péché. Quel étrange garçon ! Tristan lâcha :

-- D'où qu'tu sors toi ? Comment t'as atterri là ?

Secrètement, il espéra qu'Alexandre ne lui fasse pas d'interminables explications. Il fallait apprendre à être concis, ici. A ne dire que le strict nécessaire tout en ne s'interrompant pas dans ses corvées. Corvées qui d'ailleurs n'avançaient pas beaucoup, entre les mains de ce nouveau venu. Tristan serra les dents : il allait bien falloir qu'il apprenne.

-- J'm'appelle Tristan. (un temps) Euh... ouais y a un but pour les cordes. Si j'ai bien compris c'est des manuf... des... enfin, un mot compliqué pour dire que c'est des grands fabricants qui récupèrent c'qu'on fait. Et qu'ils s'en servent, et qu'à la fin tout au bout de la chaîne ça fait des trucs beaux.

Son camarade se mit à pleurer et à réclamer sa mère. Le cœur de Tristan se serra. Lui, il n'avait jamais connu sa famille, mais apparemment certains ici en avaient une et c'était déchirant de la perdre. Quelques larmes roulèrent le long de ses joues. Tout ce qu'il put faire, c'était interrompre sa corvée une poignée de secondes, pour caresser la main de son voisin.

Devant la surprise du garçon en apprenant son éducation, Alexandre eut un pâle sourire :

"J'étais fils de libraire. Je ne sais pas pourquoi papa m'a rejeté soudainement. Il disait souvent que si je ne travaillais pas, il m'échangerais contre un enfant plus fort. Mais j'ai toujours bien travaillé. Je ne me suis jamais plaint. Même quand il me battait pour des idioties, juste pour défouler ses méchantes humeurs, je ne disais rien. Je ne comprends pas. Je ne comprends vraiment pas."

Alexandre avait peu à peu oublié la corvée de ces cordes pour se concentrer sur la conversation. C'était bien intéressant. Son camarade se nommait Tristan. Comme le chevalier ! Il avait cependant bien ma fini. Le garçon espéra que ce sinistre prénom ne lui porterait pas préjudice. Il l'entendit buter sur un mot que son instruction décoda avec facilité.

"Une manufacture :! Je connais, ça ! Ca permet de fabriquer plein de choses, oui. Alors toutes ces cordes sont la base d'objets.. Comme c'est intéressant. "

Lorsque son cœur songea à nouveau à sa mère, broyé par la douleur, Tristan s'arrêta de travailler et posa quelques instants sa main sur la sienne. C'était une sensation agréable mais en rien comparable aux caresses de maman. Maman... S'il pouvait la revoir une fois... Serait-il possible ?

"Dis, Tristan, t'as jamais entendu parler des histoires d'évasion ?"

Une excitation revenait. Ce pourrait être amusant de chercher une faille dans la sécurité, puis d'en profiter pour se sauver. Ils seraient ensuite des légendes ! Comme les héros dans les romans ! Ils retrouveraient ensuite sa maman. il al rassurerait. Puis ensuite... Ensuite il demanderait de l'aide au père Thierry. Voilà, c'était un bon plan, ça !

Alexandre lui racontait une histoire fort triste. Il était bien né. Il avait eu la chance de grandir dans une famille distinguée alors que beaucoup de parents rejetaient les invalides... Mais son père avait changé d'avis. Tristan baissa les yeux, peiné pour son voisin. S'il disait vrai, s'il était sage, alors oui il logeait là-dedans un mystère.

-- Ouais c'est pas juste... J'ai jamais su moi non plus pourquoi qu'on avait même pas voulu d'moi dès le début. P'têt qu'mes parents, y étaient trop pauvres pour s'permettre un infirme...

Les larmes lui venaient à lui aussi. Il renifla. Ses gestes se firent plus nerveux, empreints de sa rage contenue. Ce ne fut qu'avec très peu d'intérêt que Tristan écouta Alexandre causer des manufactures et de la destination de leur travail. Il haussa toutefois un sourcil quand son comparse parla d'évasion. Immédiatement, le petit enfermé eut peur.

-- Des évasions ? Euh... N... Non j'ai jamais su ça... Et puis...

Il n'eut pas l'occasion de continuer. Un surveillant venait de finir par repérer la fainéantise d'Alexandre. Son travail n'avait pas avancé d'un pouce. Et de loin, le commis avait vu les deux marmots s'échanger quelques paroles lacunaires. Il se tint devant eux, bras croisés, foudroyant le béquilleux du regard. Il grogna :

-- Bon c'est pour aujourd'hui ou pour demain ? Tu préfères t'en occuper de ces cordages ou qu'on t'frotte un bon coup avec ? (à Tristan) Puisque vous avez l'air de vouloir copiner, tous les deux, tu seras corrigé toi aussi si ton pote reste à la traîne.

Alexandre baissa la tête aux confidences de son camarade. Il savait que les familles pauvres ne pouvaient se permettre de garder un enfant infirme. C'était un investissement trop conséquent pour des revenus quasi inexistants. Mais lui avait échappé cela. Son père avait hérité d'un commerce sur quatre générations. Il avait plus que les moyens de l'entretenir. Son revirement était bien suspect.

"Ou alors c'est pour punir maman.. Il adore m'utiliser pour la faire souffrir. Dès fois, il me bat devant elle, sans raison, juste pour la voir pleurer et le supplier."

Alexandre allait ensuite développer ses idées d'évasion mais un surveillant vint les interrompre. Pire ! Il menaçait Tristan en incriminant son travail. Cela était si injuste. Dans une allure très digne, s'inspirant de la conduite Romaine, Alexandre se leva et posa un genou devant l'homme en guise de soumission.

"Je vous prie de m'excuser mais je ne sais pas faire cette tâche. Ce garçon, Tristan, me montre, il ne fait que cela, mais je ne comprends pas. Ne le punissez pas pour mes fautes. Punissez-moi et uniquement moi."

Il releva un instant la tête, légèrement tremblant, puis retira sa tunique, dévoilant son dos nu. Dessus apparaissaient des traces d'anciennes corrections. Certaines encore bien fraiches.

"Corrigez-moi, je vous en prie. Corrigez-moi pour ma faute, puis corrigez-moi pour mon camarade."

Tristan déglutit au portrait détestable qu'Alexandre faisait de son père. Quel monstre ! Il n'eut cependant pas le temps de réagir : le surveillant se tenait devant eux et menaçait de les sanctionner ensemble si le travail n'était pas satisfaisant. Tristan pâlit. Il serra ses mains tremblantes autour de ses bras, avant de se rappeler qu'il devait reprendre le travail. Le petit allait se saisir à nouveau des cordes quand soudain, Alexandre s'agenouilla et appela la punition de lui-même. Il... Il l'appréciait à ce point ? Il était prêt à être corrigé à sa place. Tristan secoua la tête, nerveux, saisi d'effroi à ce que déciderait le commis.

-- Non... Non... marmonna-t-il piteusement en attrapant la tunique d'Alexandre pour la rejeter sur les épaules du garçon dans un geste désespéré.

C'était un vêtement de belle facture qui trahissait la vie confortable à laquelle son voisin venait d'être si brutalement arraché. Un habit qui ne tarderait pas à s'user pour finir par ressembler aux guenilles de tous les autres. Au passage, Tristan remarqua les traces de coups sur le corps de son voisin. Il se sentit nauséeux et en resta tétanisé.

Le surveillant tomba d'abord dans un immobilisme hébété face au comportement du petit nouveau. Il fronça les sourcils. D'autre internés surprirent la scène et la suivirent avec des yeux écarquillés. Le commis devait rapidement prendre une décision. Ce môme avait l'air prêt à se laisser crever sous les coups. Peut-être qu'il ne jouait pas la comédie et que le travail des cordages lui était trop ardu. Ce serait donc la cuisine, décida l'homme.
Sans un mot, il saisit Alexandre par le bras, le redressa puis le rhabilla. Il le poussa à l'extérieur de la salle en se passant de la moindre explication. Ce qui ne fut pas pour rassurer Tristan. Les larmes du petit coulèrent : où est-ce qu'on emmenait Alexandre ? On allait vraiment le punir ?

-- Pitié M'sieur... Pitié, non....

Aucune réponse. Le surveillant venait de sortir avec le béquilleux et de refermer la porte derrière eux. Tristan pleurait. Il s'efforça cependant de vite dominer sa panique, de faire taire son chagrin pour reprendre sa corvée. Saurait-il seulement ce qui allait advenir de son compagnon ?

Il fallait reconnaître que ce marmot avait du courage. Il ne bougeait pas d'un pouce, ne posait aucune question ni ne protestait. On le traîna à vive allure à travers une enfilade de couloirs, au bout desquels s'ouvrit les cuisines de l'institution. Dans un vacarme de casseroles, de chaises traînées, de vaisselle, de marmites sur le feu, des internés préparaient à la chaîne et presque sans relâche ce qui leur servait de ration - ainsi qu'à tous leurs semblables occupés à leurs corvées respectives. A peine la collation du matin préparée et avalée qu'il fallait faire la vaisselle des gamelles, avant de cuisiner celle qui viendrait pour le midi, nettoyer derechef les couverts, puis s'atteler à celle du soir, ainsi de suite.
Au milieu de l'atmosphère sombre et moite de la grande salle, on clopinait, on portait les ustensiles parfois lourds, on pelait des légumes à l'apparence peu ragoutante, on coupait le pain dur. Tout se faisait à la chaîne, sans un mot et encore une fois sous la surveillance des sous-dirigeants de l'Hôpital Général. Ici, c'étaient les plus âgés et les plus valides qui œuvraient. Du moins, pour la partie la plus rude du travail - demandant des déplacements et un minimum de force. Le petit garçon pourra ainsi apercevoir Harlon, l'un des enfermés arrivés en même temps que lui, dans un coin de la salle occupé à animer les flammes sous une marmite. Intrigué par le grincement de la porte qui s'était ouverte, l'homme aura repéré l'entrée du béquilleux non sans surprise. Aussitôt cependant, il s'en désintéressa pour reprendre sa besogne.
Alexandre, quant à lui, fut assis de force sur le banc face à une longue table où d'autres internés travaillaient sans relâche. On lui envoya un lot de carottes et de navets, ainsi qu'un petit couteau. Le surveillant qui l'avait amené siffla :

-- Voilà une tâche qui devrait faire l'affaire. Gare à toi, mets-y du nerf. Et défense de parler, ça change pas.

Il sortit sans autre forme de cérémonie, laissant l'enfant sous la vigilance des surveillants des cuisines. Alexandre devrait vite se mettre à la tâche s'il ne voulait pas ralentir la chaîne de travail. On confectionnait l'épais brouet qui serait servi sous peu à tous les internés réunis dans le réfectoire, quand viendrait la pause de Sexte. Les voisins de tablée adressèrent un petit signe de tête au bambin en guise de salut.

Alexandre se laissa transporter ainsi sans protester et se vit arriver dans une cuisine. Son imagination fébrile. Ils allaient le manger ? Comme les vilains faisaient dans les ogres avec les enfants as sages ? Il secoua la tête. Non, cela n'existait pas dans la réalité. Maman disait que les monstres n'existaient que dans les fictions, pas sous son lit ou dans l'armoire. Il reprit confiance puis se vit assis sur l'un des bans, au bout de la chaine de plusieurs enfants. Un homme plaça devant lui des carottes et des navets. Emporté par sa curiosité maladie, le garçon souleva un légume.

"Alors c'est çà que ça rassemble un navet ? Je n'en avais pas encore vu. D’habitude, ils sont dans sa soupe que prépare maman."

Il croisa alors le regard d'un surveillant sévère puis se hâta de commencer le découpage. Néanmoins sa langue continua à s'agiter tout en travaillant :

"Vous savez, on peut tout à fait parler tout en travaillant ! C'est même bien plus agréable ! Au afit, tout le monde, je m'appelle Alexandre et je viens d'arriver. Alors on prépare les repas ici, c'est ça ? En tous cas, ça sent très bon !"

Quelques-uns des enfermés, à la table, regardèrent Alexandre comme s'ils venaient de voir un extraterrestre : il n'avait jamais vu un navet ? Sans rire ? Même si la mère cuisinait, à moins que l'enfant soit complètement coupé du monde - ou n'ait que des activités de petit riche - il croisait tout de même bien des aliments... Ne serait-ce que dans son assiette !
Le voisin de tablée acquiesça à la question du garçon quant au légume. Alors on s'amusa des réparties qui suivirent : c'était touchant - et un peu triste malgré tout - d'entendre Alexandre se réjouir de cette cuisine dont les odeurs étaient traîtresses... Il y avait si peu de denrées que cela sentait bon à la préparation, mais qu'une fois réparties entre les internés, la soupe était bien maigre et sans goût. Ou le brouet de piètre qualité, comportant surtout du pain.
Oh certains payaient bien un peu de sel à mettre dedans avec le seul rilch qu'on leur donnait par jour pour leur travail quotidien... cela aidait mais ne faisait pas de miracle. A peine distribuée aux pensionnaires à Sexte, que selon le choix de la plupart, la piécette de salaire repartait aussitôt pour s'offrir cette maigre amélioration.

Dans le soucis de ne pas décevoir le gamin, les comparses lui adressèrent de petit sourires. Un voisin plus âgé ébouriffa les cheveux de l'enfant lorsqu'il se présenta et d'autres lui murmuraient de petits "Bonjour" ou "C't'un joli prénom".
L'ambiance retomba dans la crainte et la morosité, toutefois, quand un surveillant interpellé par les paroles du même rappela tout le monde au silence et aligna une gifle au béquilleux. Le commis rétorqua dans la foulée :

-- Parce que c'est comme ça, silence ! On travaille et on se déconcentre pas !

Les autres enfants se détendaient grâce à ses bavardages et cela faisait plaisir à Alexandre. C'était quand même bien plus gai de travailler dans une ambiance détendue que dans un silence déprimant. On n'était pas dans un monastère ! Tout en devisant le garçon coupait ses légumes avec énergie lorsqu'un surveillant vint le gifler pour le rappeler à l'ordre. Surpris, il en lâcha le couteau et gémit.

"Mais.. je ne fais rien de mal. Je travaille ! Regardez, j'ai déjà épluché un tas de légumes ! Alors pourquoi on pourrait pas parler ? C'est plus amusant !"

Cette fois-ci, les surveillants achevèrent de se mettre en colère et vinrent saisir Alexandre pour le jeter à terre. L'un d'eux tira son fouet, pendant que les autres maîtrisaient les éventuelles tentatives de secours de la part des pensionnaires voisins.

-- Parce que ! Parler déconcentre et ralentit quoi que tu en dises ! Et puis c'est ainsi, tu n'as même pas à contester !

Il battit de cinq coups de fouet hargneux le dos du malheureux Alexandre. L'homme prit garde à ne pas en donner plus à un enfant si faible et de cet âge, mais voilà qui devait déjà bien le faire souffrir et l'amener à regretter ses incartades. Retrouvant son calme, il ajouta :

-- Rappelle-toi. La prochaine fois, ce sera non seulement toi, mais aussi la personne avec laquelle tu seras surpris à parler, qui recevrez ce châtiment. (Un temps) Au travail.

Il s'éloigna. Des collègues se chargèrent de redresser Alexandre et de le rasseoir sans douceur sur le banc, en face de ses légumes à peler.

Alors que le jeune garçon poursuivait son charmant babillage innocent, il se retrouva brutalement tiré en arrière et jeté au sol. Hagard, il observa les surveillants sans bien comprendre. Pourquoi c'était interdit à ce point de parler ? Il faisait son travail ! Et bien et vite ! Ce n'était pas très logique. Des coups de fouet plurent ensuite sur son dos déjà zébrés. Alexandre ne ressentit qu'une brève douleur, sans une grande gêne. Le ceinturon de son père, sans retenue, l'avait habitué à des corrections bien plus sévères.

Fidèle à ses réflexes développés lors de ces précédents châtiments corporels, Alexandre redressa la tête et fixa un de ses bourreaux. Son visage devint impénétrable. Il avait appris, grâce à son père, que l'absence de réaction gênait celui qui infligeait la correction. Les supplications, les larmes... Tout cela plaisait. La stoïcisme, par contre, refroidissait. C'était bien moins drôle, comme cela n'était pas drôle de faire tomber un gamin en béquilles qui se relevait seul, sans verser une larmes. Alexandre était fier d'avoir trouver cette parade face à ses éventuels tortionnaires.

L'enfant subit ainsi la correction. Sans un mot. Sans une larmes.

Un coup. Deux. Trois. Quatre. Cinq. Puis, plus rien. C'était déjà fini ? Alexandre garda cependant ses muscles bandés, appréhendant une fausse délivrance pour mieux le prendre en traitre. Son père lui avait déjà fait quelques fois ce coup-là. Il ne se laisserait plus prendre.

Néanmoins, l'annonce qui suivit se révèla pire. Bien pire que les coups.

Ils menaçaient encore une fois de punir un autre de ses camarades pour l'obliger à se calmer. Son sang bouillonnait. Il releva la tête et persifla, agressif :

"Lâches !"

Alors qu'on le rasseyait avec force, son regard fixa le surveillant qui avait exposé la menace. Ses iris flamboyaient de colère et de révolte. Les mots furent incapables de rester dans sa gorge. Il lança avec froideur :

"Cela est bien plus aisé de vous en prendre à de faibles enfants, sans défense, plutôt qu'utiliser la raison et le dialogue, n'est-ce pas ? Il s'avère cependant que l'exercice demande aussi de l'intelligence, une qualité dont vous semblez dépourvu. "

Ses yeux fixaient le surveillant avec une insolence folle. Tant pis pour les conséquences ! Il ne pouvait pas contenir cette frustrationqui allait l'étouffer.

C'en était trop. Une solide poigne s'abattit sur le visage du garçon pour une cruelle gifle. D'autres mains vinrent l'attraper au collet et aussitôt il fut sorti des cuisines. A vive allure et brutalement, on lui fut traverser quelques couloirs jusqu'à s'arrêter devant une austère petite porte. Rien que sa façade de fer, sans la moindre percée d'éclairage, était déjà glaciale et promettait un avant goût de l'intérieur. Un agent dénoua sa ceinture et s'en servit pour lier les poignets du malheureux dans son dos.
Là-dessus, on le poussa dans le cachot aussi étroit que gelé sue lequel donnait le battant grinçant. Le sol se faisait mordant de froid et même les murs semblaient grelotter, avec leur humidité à peine éclairée par la lumière qui pénétra ici-bas juste le temps d'y abandonner le prisonnier. Un claquement sec. Un tour de clé. Puis le noir dévorant de toutes ses dents.




Deux journée auront ainsi passé, avant que la porte de prison ne vibre d'un nouveau cliquetis - cette fois-ci beaucoup plus timide et incertain. La serrure céda le passage et les deux grands yeux-soleil de Tristan parurent au milieu de l'obscurité. La froideur de l'endroit le secoua d'un frisson. Il serra les dents. Lui-même ressentait ce froid pénétrant... et Alexandre avait donc tenu quarante huit heures là-dedans ? Ses lèvres rosées en tremblotèrent.
Le petit invalide se reprit aussitôt, cependant, trouvant le courage pour cela. Il poussa un peu sur les roues de son véhicule et avança d'une traite vers le pauvre enfermé. Tristan ne retint pas l'élan de ses bras, qui vinrent se nouer aux épaules d'Alexandre pour un câlin. Des larmes perlèrent de ses yeux sur les épaules du camarade.

-- Faut pas faire ça Alex... C'est... C'est... (Il resserra sa tendre étreinte et sa voix s'affermit) Ecoute, j'sais pas quand ou comment, mais on sortira d'là. Faut qu'on sorte, t'entends ? Meurs pas là. Pas comme ça...

Il s'écarte. Renifla. Son attention se retourna vers l'entrée après un demi-tour, dissimulant tant bien que mal à Alexandre ses pupilles luisantes d'émotion.

-- Vite, dehors. Y vont nous massacrer s'y nous suspectent de traîner pour copiner...

Accompagné des grincements de sa chariote, il voulut donner l'élan et quitta le cachot.

Alexandre se laissa emporter sans répondre, les yeux uniquement fixés vers l'homme qui usait ainsi de sa violence. Son esprit partait loin et trouvait refuge dans l'image rassurante du Christ. Lors de son audition face au Sangréhin, puis devant le vil Ponce Pilate, il n'avait pas bronché une fois. Il acceptait son sort. Le garçon aurait la même bravoure.

Dans l'obscurité glaciale du cachot, Alexandre frissonna et un temps de terreur. Les ombres étaient effrayantes. Il voulait pleurer. Appeler maman. Il ferma les yeux et s'obligea à songer à nouveau au Christ. Le Christ ne pleurait pas. Il n'appelait la pauvre Sainte-Vierge pour que celle-ci vienne le prendre dans ses bras. Il était fort. Par lui-même. Il avait subi sans se plaindre la flagellation, le chemin jusqu'au calvaire en portant la lourde croix, la crucifixion... Alexandre retrouva peu à peu le sourire. Ces images pieuses apaisantes l'aidaient à tenir. Ses mains se joignirent et l'enfant commença à prier le Christ pour lui demander le courage de tenir dans cette épreuve.

Son recueillement dura plusieurs heures pendant lesquelles le monde extérieur s'évanouit. Puis, la fatigue vint et l'enfant s’écroula de sommeil. A son réveil, des contractions douloureuses tiraient son ventre. Il avait faim. Vraiment faim. Il mourait littéralement de faim. Ses muscles avaient perdu toute force. Il n'arrivait plus à bouger. Une panique commença à s’installer. Il était en train de mourir. on le laissait mourir. C'était sa punition.Mourir de faim... Mourir avec ce corps si faible, ces sensations terribles qui creusaient son ventre... C'était une mort absolument horrible. Dans un ultime effort, Alexandre réussit cependant à joindre les mains devant le sommet de sa tête et pria. Au moins, son âme serait pure quand elle se présenterait devant Saint-Pierre. Il serait invité à franchir les grilles du Paradis et le Christ serait là pour l'accueillir et le féliciter de sa rigueur dans l'adversité. Et il serait alors heureux pour l'éternité.

Réfugié dans les illusions que causaient sa piété, Alexandre oubliait la faim, la fatigue et le froid. Seuls comptaient les mots adressés dans ses prières et le salut après cette courte vite terrestre misérable. Bientôt, il serait libéré. Bientôt, il serait heureux.

Lorsque la porte s'ouvrit, Alexandre l'entendit à peine. Son esprit était déjà parti loin, plongé dans le recueillement, l'âme déjà prête à partir. Il sursauta cependant Tristan le toucha. Sa tête se releva difficilement. il était si faible. Ses muscles si engourdis.

"Tri... Tritan...."

Le garçon parlait mais son esprit eut du mal à tout comprendre. Il saisit cependant le mot mourir. Alexandre le contempla alors d'un sourire doux :

"N'aie pas peur. mourir.. Mourir, ça fait pas mal. Et puis, après, après, tu es heureux. Pour toujours."

Ces quelques mots l'avaient fatigué. Sa tête bascula à nouveau au sol.

L'effroi reprit Tristan : Alexandre était vidé de ses forces, presque mourant. Et tout ça pour quelques mots d'enfant ? Une rage sourde l'envahit et lui serra les entrailles. Les doigts du garçon s'en crispèrent cruellement à ses roues. Son camarade semblait même prêt à rendre les armes, à s'éteindre sans broncher. Non. Il ne fallait pas ! Tristan secoua la tête.
Il s'empressa de délier son ami et, choisissant de lutter pour eux deux de toutes ses forces pour se retenir de sombrer aussi, employa son énergie à traîner Alexandre jusqu'à le soulever, puis l'installer sur ses genoux. Il cala contre lui le corps grelottant du camarade. Il le retint de tomber. Tristan retira son écharpe et en enveloppa du mieux qu'il put les épaules de son ami. Le réchauffer. Vite. Et que les autres imbéciles lui donnent à manger quelque chose de bien fumant en urgence !
Malgré la peine ressentie aux mots d'Alexandre, Tristan préféra garder de lui la douce façon dont il avait soufflé son prénom. Il lui sourit et lui donna même un bisou sur la joue, avant de murmurer :

-- Allez... On est ensemble, ça va. Tu entends ? On est ensemble d'accord ? Et si on s'promettait de se soutenir toujours. Et qu'on partira hein ?

Le fauteuil s'engagea dans le couloir, abandonnant le cachot aux commis chargés de le refermer. Tristan ignora leurs regards sévères, tout concentré sur Alexandre. Il traversa l'allée, son ami toujours sur ses genoux. De temps en temps, les mains du petit infirme quittaient ses roues pour venir frotter un peu les épaules et les bras du garçon à ranimer. Un gardien approcha alors pour tendre à Tristan une miche de pain, de l'eau et un bol de soupe bien cuite.

-- Donne lui ça.

Il acquiesça. Les surveillants n'avaient de cesse de les garder à l’œil mais tant pis : Tristan les ignora. Les forces à rendre à Alexandre étaient l'essentiel et il se mit aussitôt à approcher la gourde de ses lèvres, doucement, dans des gestes très tendres.

Les yeux à moitié clos, Alexandre se sentit transporté. Soulevé du sol. C'était son âme qui s'envolait ? Il montait au ciel ? Le garçon sentit ensuite être posé sur quelque chose chose. Un corps. C'était chaud. Des mains passaient un linge autour de lui. Alors il n'était pas encore mort ? On le gardait en vie finalement ? Sa conscience peinait à maintenir sa concentration tant son organisme s'était drastiquement affaibli. Des roues... Des roues roulaient. Il se trouvait dans un véhicule.Pour aller ? Finalement il était peut-être bien en train de mourir ? On venait de le déposer dans le tombereau qui le conduisait au cimetière. Il se figea soudain. Des lèvres embrassaient sa nuque. Un baiser. Un baiser...

"Maman ?"

Sa tête bougea faiblement mais as vision était encore floue. Une silhouette bougeait devant lui. Assise. Mais ce n'était pas maman. Trop jeune. Trop petite. Puis, ce n'était pas son odeur.

La silhouette parlait. Les mots lui échappaient. Mais cette voix.. Il la connaissait mais noyée dans les méandres de l'inconscience, elle lui échappait. Elle disait partir. il l'entendit clairement ce mot. Partir. Partir. Partir. Un sentiment s'éveilla à nouveau. Son désir d'évasion. Retrouver le père Thierry. Retrouver maman.

"Partir.. oui, partir..."

Il était si faible. Il ne pouvait s'évader tout de suite. Il devait avoir un plan. Connaitre les lieux. Avoir un complice. Il devait se rétablir. Son corps faible ne ferait rien dans cet état.

Soudain, la main lui fit justement ouvrir la bouche pour introduire le bec d'une gourde. De la soupe brûlante coula dans son palais. D'instinct, Alexandre téta comme s'il redevenait bébé.

Tristan déglutit, ravalant ses pleurs quand l'espace d'un instant Alexandre le prit pour sa mère... Quelle déchirement pour le petit que d'être séparé d'elle. Tristan n'avait jamais connu un tel amour et il s'imagina, à travers les plaies à vif de son ami, le bonheur que cela devait être, les bras d'une maman.
Ce fut avec un soulagement non dissimulé que le petit invalide vit Alexandre boire goulûment puis avaler la soupe. Tout à son bonheur et à sa tendresse devant le garçon décidé à reprendre des forces, Tristan n'en entendit pas immédiatement un gardien lui ordonner :

-- Après tu l'aideras à s'allonger au dortoir. Qu'il reprenne des forces. Et toi, tu retourneras sans traîner à tes tâches.

Quelques secondes de latence. Puis Tristan répondit sans intérêt pour l'individu :

-- Oui M'sieur.

Toute son attention demeurait pour les moindres gestes, les moindres mots d'Alexandre. Il revenait peu à peu du côté de la vie... Tristan ne lâcherait pas en si bon chemin.

Sans un mot et sans se presser, Tristan acheva de donner à boire puis à manger à son ami. Il fut soulagé de le voir revenir à lui à petit feu - de retrouver les étincelles de la lucidité au fond de ses pupilles. Quand la ration fut avalée, Tristan posa les ustensiles dans un coin, avec les béquilles du garçon : il reviendrait chercher tout cela juste après. Alexandre allait sans doute garder le lit un certain temps, ses cannes ne lui seraient pas tout de suite nécessaires. Quant à la vaisselle, il la laverait une fois le compagnon au lit.
Il gagna le dortoir, vaste et sombre pièce où s'alignaient des dizaines de matelas de fortune - les uns à terre, les autres en lit superposés accompagnés d'échelles spartiates où grimpaient les plus valides des pensionnaires. Tristan se dirigea vers la couchette qu'on lui désigna comme celle réservée à Alexandre. Très délicatement, il passa sa main à la nuque de son ami, serra son torse de son autre bras et fit levier jusqu'à l'aider à s'allonger. L'on ne pouvait pas dire que ces matelas étaient confortables, mais ils seraient toujours plus agréables que le sol en pierre ou en terre battue.
Tristan décida de laisser son écharpe à Alexandre : il la roula et la lui cala derrière la tête comme oreiller. Ou s'il préférait il pourrait la prendre comme couverture. Se penchant sur lui, il murmura :

-- J'dois aller travailler. Mais r'pose toi bien. On s'revoit bientôt. D'accord ?

Question purement rhétorique mais qui, espéra-t-il, sèmerait dans l'esprit du camarade un vrai désir d'amitié - la sensation de compter pour quelqu'un. Quelqu'un qui voulait le voir se rétablir et pouvoir compter sur sa présence à l'avenir.

On le déposa sur un lit, beaucoup moins confortable que celui à la maison. On mettait un tissu sous as tête. Alexandre percevait encore les mouvements dans le lointain, pas tout à fait rétabli de son épuisement. Seul son projet le tenait éveillé. Quand le garçon s'apprêta à se retirer, il saisit avec fermeté le bras puis ajouta discrètement :

"Tu sortirais avec moi ? je sais comment faire dehors. mais j'ai besoin d'aide.. pour dedans."

Alors qu'il s'apprêtait à partir, une fois l'ami alité, sa main le retint. La force qu'il venait de mettre dans cette poigne rassura Tristan - et lui causa infiniment plus de joie que de contrariété au geste pourtant brusque : il y lut un désir de vivre chez Alexandre, une envie certaine de se raccrocher à quelque chose qui déjà revenait en lui. Actionnant son fauteuil roulant, il se retournera donc vers lui avec des yeux pleins de flammes.

-- On f'ra ça, ouais. A nous deux, on y arrivera. Sûr que j'vais t'aider.

Au fond de lui, Tristan était loin de se sentir aussi sûr de ce qu'il avançait... Tellement de gardiens surveillaient cet hôpital ! L'entière vie des enfermés restait réglée comme une sinistre horloge. Parviendraient-ils seulement à trouver une occasion de s'évader ? Que risqueraient-ils de terrible si on les prenait en pleine tentative de fuite ? Bien plus de questions que de certitudes... Et pourtant, Tristan venait de promettre. Si tel était l'espoir nécessaire à la survie d'Alexandre, autant prendre avec lui les paris. Qui savait... Peut-être qu'un jour...
Yeux en l'air, le garçon rêva. Du moins jusqu'à ce que la voix brutale d'un surveillant le rappelle à l'ordre pour rejoindre ses corvées. A regret, Tristan abandonna cette fois-ci complètement Alexandre et ferma la porte derrière lui après un dernier signe de la main.