[22 Octobre 1597] Sur le chemin du retour

Cassandre avait demandé une après-midi à Dame Irène pour aller rendre visite à son frère. Elle lui avait même donné quelques provisions à son intention que la fillette avait habilement dissimulé dans les pans de sa robe comme à son habitude. Elle s'était aventurée dans la forêt sans croiser personne, prenant d'ailleurs attention à ne pas passer par les sentiers. Le bête Roi régnait. Il ne servait à rien de provoquer une rencontre inutile.

La rencontre avec Achille n'avait pas duré longtemps. Il n'était pas bavard et ne souhaitait pas qu'elle s'attarde trop. Peu encline de rencontrer alors qu'elle disposait de l'après-midi entière, Cassandre repartit en s'éloigna dans les profondeurs de la forêt. ses pas al conduisirent jusqu'à un ruisseau où elle sauta à pied joints dedans en riant gaiement. C'était amusant le bruit de l'eau ! Et contrairement aux flaques entre les pavés, en ville, ici elle était claire.

Après ce petit bain, Cassandre se hissa sur un rocher et s'y assit. Le spectacle de la nature la fascinait. De petits oiseaux chantaient sur une branche. Elle suivit ensuite du regard le fil du ruisseau qui coulait au loin. Cette ondée, où allait-elle ? Une rivière ? Puis un fleuve ? Une biche vint alors s'abreuver. la fillette s'extasia, émerveillée. Elle était si jolie.

"Ah ! C'est beau la forêt !"

Éperdue d'admiration, Cassandre continuait à fixer le paysage et à s'émouvoir du moindre petit spectacle.

C'était par hasard que Sylvère avait entrevu Charlotte entre deux arbres. Pure chance puisqu'il n'avait tourné la tête dans sa direction qu'une seconde et que c'était cette même seconde qu'avait choisi la petite pour apparaître.

Il ne l'avait pas suivi immédiatement. Il aurait été mal venu de lui demander des impôts depuis la dernière conversation qu'ils avaient eu ensemble et pour une fois, il avait décidé de la laisser passer. Mais en pensant aux fameux impôts, une pensée en amène une autre, il revit les pots de confiture. Une confiture de mûre qui avait été absolument délicieuse. Il se souvint aussi qu'il s'était dit qu'il devrait aller la remercier. Ce ne fut donc non pas pour réclamer ses impôts qu'il lui emboîta le pas – une fois n'est pas coutume – mais bel et bien pour la remercier.

Il ne se montra pas tout de suite, cependant. Elle semblait heureuse, à sautiller dans l'eau, à observer la biche qui venait d'arriver pour se désaltérer. Elle n'avait plus cet air si sérieux qu'elle avait conservé lors de leurs premières rencontres. Elle ressemblait davantage à l'enfant qu'elle était, et elle était même plutôt mignonne.

Finalement, elle s'assit sur un rocher pour profiter du calme apaisant de la forêt, en lâchant :

- Ah ! C'est beau la forêt !

Petite phrase qui n'était destinée qu'à elle-même, mais ce fut le moment que Sylvère choisit pour apparaître. Il fit un pas en avant et remarqua, comme si de rien n'était, en haussant des épaules :

- Bien sûr que c'est beau ! Pourquoi est-ce que tu penses que je préfère habiter dans une grotte plutôt qu'à la ville ?

Outre le fait qu'il finirait en très mauvaise posture si on mettait la main sur lui en ville, bien sûr. Il vint en face de Charlotte et lui sourit :

- Heureux de vous revoir, jeune fille. Comment allez-vous depuis notre dernière rencontre ?

Son salut fait dans les règles de l'art, vouvoiement à l'appui, il repassa à un échange plus habituel pour un brigand et une jeune esclave – en levant les mains pour clamer son innocence :

- Avant de me refaire la morale, rassure-toi, je ne viens rien te demander. Je voulais juste te remercier pour ton cadeau. La confiture était vraiment très bonne !

Assise sur le rocher, Cassandre remuait joyeusement les jambes lorsqu'une voix la fit sursauter. Il se retourna et aperçut le Roi de la forêt. elle laissé échapper un petit rire moqueur.

"Quand même, en plein hiver, tu dois avoir froid !"

Elle ajouta, espiègle :

"Et puis, c'est pas juste pour sa beauté que tu restes en forêt ! Si tu venais vivre en ville, tu te retrouverais facilement à la potence !"

Son visage se voila à l'évocation de la sinistre sanction. Elle passait parfois devant le lieu des exécutions et apercevoir les corps des pendus la mettait affreusement mal à l'aise. C'était une mort affreuse.

"Je ne veux pas te voir là-bas. Tu mérites pas."

Elle se leva en se laissant glisser du rocher puis courut pour enlacer Sylvère et l'embrasser sur la joue.

"Pardon ! J'ai oublié de te dire bonjour avant de répondre ! C'était pas poli ! Mais oui ça bien ! Je reviens de voir Achille. il n'est pas très bavard et me revoie toujours rapidement. Il a toujours peur que je m'attarde trop. mais j'ai pas envie de rentrer moi !"

Elle sourit quand Sylvère lui confia ne pas lui réclamer ses fameux impôts, comme s'il avait décidé de lui accorder un passe-droit. A cause de cette scène de la dernière fois .? Il la remercia même de al confiture. elle répondit timidement, presque gênée :

"C'est Dame Irène qui l'a faite. oui, elle est bonne."

Cassandre se sentait en confiance avec lui désormais. il ne lui faisait peur. Elle sortit de petites galettes d'un pan de sa robe et les montra dans le creux de ses mains.

"Dis, j'allais goûter ! Tu veux qu'on les mange ensemble ?"

Sylvère ne pouvait nier : en plein hiver, il avait froid et l'humidité traversait son manteau mais cela ne l'empêchait pas de préférer la forêt. Et puis, Charlotte était une enfant intelligente et elle savait bien que ce qui le motivait aussi, c'était le risque de finir à la potence – pendu ou autre joyeuseté. Le comment importait peu quand on savait qu'on allait mourir.

Le chemin de pensées de Charlotte venait de prendre la même tournure que le sien puisque son visage s'éteignit. Sylvère chercha un moyen de lui rendre le sourire. Elle ne voulait pas le voir là-bas ? Eh bien, aussi bizarre que cela puisse paraître, il n'en avait pas vraiment envie non plus.

Soudain, elle se laissa glisser de son perchoir et se précipita dans ses bras, pour le serrer contre elle et l'embrasser sur la joue, avec toute sa spontanéité. Elle lui répondit que tout allait bien et il n'avait pas de mal à la croire. Elle avait l'air heureuse, oui. C'était agréable à voir. Il sourit et la souleva de terre quelques secondes. Avant de la reposer.

- Dans ce cas, si c'est Dame Irène qui a fait cette confiture, tu lui diras merci de ma part ! déclara-t-il ensuite.

Sur ce, elle sortit des galettes de son sa robe. Sylvère ne put s'empêcher de sourire. Elle avait toujours à manger sur elle, cette petite, décidément. A peine avait-il posé les yeux dessus qu'elles lui sautèrent dans le ventre. Malgré l'heure avancée de la journée, Sylvère n'avait pas encore mangé et il commençait à avoir faim.

- Tu veux les partager avec moi ? C'est très gentil de ta part, ça !

Il fit une pause. Il ne comptait cependant pas lui prendre une partie de ses galettes sans rien lui donner en échange, même si elle ne lui avait sûrement pas fait cette offre pour obtenir autre chose. Mais il y tenait.

Bon, il n'avait rien de matériel sur lui mais... une idée germa dans son esprit.

- Tu sais quoi ? Je crois que notre première rencontre ne s'est pas faite de bon pied...

C'était le cas de le dire, puisqu'il avait débarqué en réclamant ses fameux impôts et qu'il n'avait pas cédé. Enfin, pas vraiment différemment de d'habitude, en soi.

- Qu'est-ce que tu dirais qu'avant de partager ce goûter ensemble, nous reprenions tout de zéro ? Comme si nous ne nous étions jamais vus.

Il n'attendit pas la réponse pour enchaîner aussitôt, en tendant la main devant lui pour qu'elle la serre :

- Mademoiselle. Je me présente : Ysengrin Zellers. Mais appelez-moi Ys si vous voulez. Enchanté.

Il était sans doute un peu fou de lui dire son nom ainsi. Plus de gens le savaient, plus il était facile de remonter sa trace. Mais il lui faisait confiance et il n'était pas du tout inquiet à ce propos. Ni pour garder le secret, d'ailleurs. Il ne se sentait même pas obligé de le préciser.

Il lui sourit donc puis lui fit un petit signe d'encouragement, pour lui signifier que c'était à son tour de se présenter, désormais.

Sylvère l'étreignait et la soulevait du sol. c'était agréable ! Cassandre sourit, ravie d'oublier les images atroces que la potence avait un temps instillé dans son esprit. Il remercia ensuite Dame Irène pour la confiture.

"Je ne suis pas certaine qu'elle apprécierait que je sois amies avec un brigand..."

Alors qu'elle proposait ses galettes, Sylvère sembla avoir un instant d'hésitation. Il évoquait leur première rencontre puis proposait de recommencer, comme si rien ne s'était encore passé entre eux.

"D'accord. Comme tu veux."

La fillette s'installa sur un rocher et invita Sylvère à le rejoindre. Elle mangea une galette puisé couta Sylvère, surprise de l'entendre dévoiler as véritable identité. Il avait si confiance en elle ? c'était risqué.

"Ysengrin Zellers... C'est compliqué comme nom. Ys, c'est plus simple, oui ! Mais pourquoi tu me le dis ? C'est dangereux ! Tu me connais à peine. Comment peux-tu savoir que tu peux avoir parfaitement confiance en moi ? Je pourrais aller donner l'info à la prévôté qui chercherait un de tes proches pour t'attirer dans un piège."

Elle se sentait mal que lui révèle son identité alors que la sienne... Mais elle ne pouvait la lui dire. Ce serait trop dangereux.

"Ys... Je ne me nomme pas Charlotte. j'ai pris aussi un autre nom qui n'est pas celui que Dame Irène ou les autorités connaissent. Mais moi, je ne te le dirai pas. Ce n'est pas que je n'ai pas confiance en toi. Mais en les événements.. je ne sais pas ce qui peut t'arriver. Si tu étais arrêté, tu serais soumis à la question. Tu pourrais parler de moi, de mes liens avec Achille, avec mon autre frère... Ça mettrait trop de monde en danger. Pas que moi. "

Elle marqua une pause et songea qu'elle pouvait au moins raconter mon histoire.

"Mon père a été emmené en prison à cause de créanciers. Je suis née dans un petit domaine viticole qu'avait crée mon grand-père. Ma famille vivait bien. On était pas riches mais on vivait. Puis, comme les affaires allaient bien, mon père a fait un emprunt pour remplacer du matériel. Mais à cette même saison, il y a des giboulées. Des giboulées terribles. On a perdu toute la récolte. Mais il fallait apyer les créanciers. et on ne pouvait pas. Alors... Alors..."

Elle s'interrompit, incapable de continuer et de terminer l'histoire. De toute manière, il allait comprendre. Il n'était pas idiot. La colère l'envahit à nouveau, dirigée contre ce royaume maudit.

"Je déteste ce pays ! Je le déteste ! Il laisse des enfants vivre seuls dans les rues ! Il laisse les gens mourir de faim ! Et si tu voles, tu deviens esclave ! Et il fait venir de pauvres gens d'autres pays alors qu'il y a plein de personnes pour travailler ! Et pendant ce temps, ces stupides nobles ils mangent plus qu'à la faim ! Je déteste ce pays ! Je le déteste !"

Sylvère ne pouvait pas nier. Elle ne pouvait certainement pas dire à cette fameuse Irène qu'elle partageait sa confiture avec le brigand qui s'amusait à détrousser tous les passants. Il eut un sourire et réfléchit durant une seconde avant de conclure :

- Alors dis-lui simplement merci, sans préciser que c'est de ma part.

Charlotte se réinstalla sur le même rocher et comme elle l'invitait à venir lui aussi, il la rejoignit en souriant. Il s'appuya dos au rocher et piocha dans les galettes de la petite. Une bouchée suffit à lui faire décider quelque chose : c'était délicieux.

Il ne répondit pas immédiatement à ses questions. Elle avait raison. C'était dangereux que de lui révéler son nom ainsi. Mais il venait de le faire. Sylvère n'avait jamais été prudent et ce n'était pas une nouveauté.

- Tu vas aller le dire à la prévôté ? demanda-t-il en haussant les sourcils. Non. Alors tu vois, je ne risque rien. Et puis, mes proches...

Une grande question que voilà. Ses proches. Il eut un mouvement d'épaules nonchalant et enchaîna sans tarder :

- J'ai posé tellement de problèmes à mes parents que je suis sûr qu'ils ne veulent plus avoir affaire à moi, de près ou de loin. Et je n'ai pas de frère ou soeurs. Qui est-ce que ça laisse ?

Pour ainsi dire, pas grand monde. A la limite, les militaires qu'il avait connu avant de déserter. En tout cas, il n'était attaché à personne. Mais enfin. Dans le pire des cas, il n'aurait qu'à changer de nom – encore une fois. Il l'avait déjà tellement fait, une fois de plus ou une fois de moins...

- Tu veux savoir ? Mes proches, ce sont les gens que je croise dans cette forêt.

Alors autant dire qu'en fin de compte, il ne se mettait pas si en danger que cela en le lui disant. Et puis, c'était tout de même une condition pour reprendre de zéro.

En tout cas, cela faisait longtemps qu'il n'avait entendu personne l'appelait Ys. Il eut un petit sourire et reprit :

- Oh, je sais bien que ce n'est pas ton vrai nom. Et rassure-toi, je ne te demande pas de me le dire. Entre toi et moi, la situation est très différente.

Parce que même s'il était encore jeune et qu'il n'avait pas exactement prévu de mourir bientôt, il n'y avait pas vraiment de doutes pour dire qu'il y avait de grandes chances pour qu'il finisse mal. Mais il n'avait pas vraiment envie de pense à cela maintenant.

Elle fit une pause, puis elle débuta le récit de son histoire. Une histoire bien dure, qu'elle ne réussit pas à terminer sous le coup de l'émotion. Sylvère soupira puis il se redressa et passa la main dans ses cheveux pour la réconforter. Elle avait une telle rancoeur en elle. Si jeune. A côté d'elle, de quoi avait-il l'air, lui ? De pas grand chose, il fallait le dire. Sûrement rien de plus qu'un vaurien, comme on le lui avait dit si souvent. Il le lui fit remarquer en plaisantant, mais cela n'en restait pas moins sérieux :

- Je ne vais pas te raconter mon histoire parce que … je crois que tu me détesterais après.

Cassandre sourit de la proposition que faisait Sylvère pour remercier Dame Irène de sa part.

"Je dirai alors que mon frère a apprécié. Sans lui dire de quel frère il s'agit."

La fillette eut une mine surprise par ses propres paroles sorties si naturellement. Achille et Eldred, elle les avait nommé frères pour des raisons pratiques, pour dissimuler leurs liens. Néanmoins, avec Sylvère, c'était différent. Elle ressentait autre chose. De la complicité ? De la compréhension ? Elle n'arrivait pas à savoir. Elle posa alors la tête contre le Roi des brigands alors que lui se régalait des galettes qu'ils étaient en train de partager.

"Je t'aime bien, Ys, quand tu ne fais pas l'idiot, tu sais ?"

Elle l'écouta ensuite balayer ses craintes sur une possibilité dénonciation. Lui aussi n'avait plus personne. De toute façon, elle n'irait dénoncer personne.

"C'était juste pour dire. Non, je ne te dénoncerai pas. Je n'aiderai jamais la justice de ce pays. Jamais."

Il dit avoir causé des soucis à ses parents qui ne voulaient plus le voir. Cassandre ne savait quoi répondre. Il dit alors que ses proches étaient ceux rencontrés dans la forêt. Cassandre sourire et lui fit un bisou sur la joue.

"Ah oui , tu sais, si t'as pas de frère et sœur, eh bien, je peux être ta petite sœur si tu veux !"

Il l'écouta ensuite avouer que Charlotte n'était pas son nom véritable et déclara l'avoir compris. Elle rougit. C'était si évident ? Quoique... Pour des hors-la-loi, c'était une pratique régulière. Pour survivre. A la fin de son histoire, il caressa ses cheveux et l'enlaça. C'était si agréable. Elle se laissa bercer par ce câlin puis redressa quand Sylvère dit que s'il racontait son histoire, elle le détesterait.

"Pourquoi ? Allons, tu es mon grand frère, non ? Et les petites soeurs, ça ne peut pas détester leur grand frère ! Allez, dis-moi !"

Sur ce, elle se leva et donna un bisou sur la joue pour l'encourager à se confesser à son tour.

Venait-elle de l'appeler indirectement mon frère ? Même elle semblait surprise en s'en rendant compte. Comme si c'était venu naturellement. Il fut d'abord étonné quand elle appuya sa tête contre lui, alors qu'il était occupé à manger sa galette. Puis, il se détendit avec un sourire attendri.

- Je t'aime bien, Ys, quand tu ne fais pas l'idiot, tu sais ?

Sylvère sourit encore et sans prévenir, il la prit sur ses genoux. Charlotte était attachante et adorable. Il n'aurait su dire pourquoi mais le fait qu'elle l'appelle Ys lui faisait réellement quelque chose. Peut-être parce que la dernière personne qui l'avait fait était sa mère ?

- Charlotte, c'est trop long, déclara-t-il soudain. Tu n'aurais pas pu choisir un prénom plus court ? Qu'est-ce que tu dirais que ... voyons voir. Si je t'appelles Lottie, ça te va ?

Évoquer vaguement ses parents avait un certain côté nostalgique. En soi, Sylvère ne les avait plus revus depuis plusieurs années, il n'avait aucun moyen de savoir ce qui se passait dans leurs têtes en vérité. Mais il supposait que ça devait approximativement ressembler à ça. Qu'est-ce qu'ils avaient bien pu penser en apprenant qu'il avait déserté ? Il fut coupé dans ses pensées par Charlotte qui lui faisait un nouveau bisou. Sa proposition le laissa un moment étonné.

- Être ma petite soeur ? J'en serais très touché.

Plus que cela même. Honoré. Charlotte était une enfant formidable alors qu'elle propose de remplacer les frères et sœurs qu'il n'avait jamais eus et n'aurait jamais...

- Je suis certain que tu seras la plus merveilleuse petite sœur du monde !

Mais puisqu'il avait mis lui-même son histoire sur le tapis, elle n'allait pas abandonné si vite. Bon. Il aurait bien été tenté de dorer un peu les choses mais ... il tenait à lui dire la vérité, même si elle n'était pas franchement reluisante. Il ne put s'empêcher d'ajouter :

- C'est toi qui demande. Je t'aurais prévenue !

Mais si elle commençait à impliquer leur toute nouvelle relation fraternelle, il ne pouvait pas vraiment lui refuser une réponse. Il chercha la meilleure manière de tourner ses mots.

- Mes parents ont toujours été des gens honnêtes. Et patients aussi. Parce que... parce qu'il fallait être patient avec moi, tu sais ?

Bon, ça, ça n'avait pas tellement changé. Le fait était là, Sylvère n'en avait toujours fait qu'à sa tête.

- Ils n'étaient pas riches mais ils ont toujours fait ce qu'il fallait pour que je mange à ma fin. C'étaient de bons parents. Une fois par semaine, on allait faire le marché, et régulièrement, il y avait ce marchand de sucreries. Ça me faisait vraiment, vraiment très envie. Mais mes parents disaient que c'était un extra et ils n'ont jamais voulu. Alors, hum, un jour, j'en ai volé une.

Il fit une pause et énonça simplement la suite :

- Ça a dû me plaire, parce que j'ai recommencé.

Ou comment dire de manière détournée qu'il avait passé la fin de son enfance et toute son adolescence à voler pour le plaisir de le faire. Ce qui ne pouvait clairement pas plaire à Charlotte, elle qui avait eu une vie si dure. Il guetta sa réaction mais continua aussitôt :

- Je me suis fait prendre plusieurs fois. Parce que je tentais des choses de plus en plus... grosses. Je n'ai jamais eu de problèmes avec les autorités. Les seules réparations étaient de... payer des amendes. Et mes parents l'ont toujours fait de bonne grâce. Pour moi. Ils me faisaient promettre que je recommencerais plus, je promettais et ... je recommençais. À force, c'est devenu un automatisme et... ils ne m'ont plus rien fait promettre du tout.

À présent, en ayant entendu l'histoire de Charlotte et en ayant vu ce terrible M sur son épaule, il se rendait compte à quel point il avait eu de la chance de ne pas finir esclave.

- Et puis... quand j'ai voulu me rattraper et que je me suis dit que je volais pour la dernière fois, eh bien... c'était trop tard. À chaque fois qu'il se passait quelque chose, c'était moi le coupable. Ils ne cherchaient même plus à comprendre.

Il avait été pour ainsi dire étiqueter la mauvaise graine du coin. Et mêmes avec les meilleurs efforts du monde, personne n'avait rien voulu entendre.

- Alors, être traité de vaurien à tort ou à raison... je préférais encore me dire que c'était à raison. Et puis, tu sais, à force d'entendre dire que tu ne vaux rien et que tu es irrécupérable, tu finis par le croire. Même toi tu me l'as fait remarquer, l'autre jour.

Ce n'était pas un reproche, juste une constatation.

- Mes parents m'ont forcé pour que je m'engage dans l'armée le plus tôt possible. Ça a été l'année la plus longue de ma vie et j'y remettrais les pieds pour rien au monde. J'ai déserté et je suis atterri ici. Voilà. Tu sais tout. Tu vois, c'est vraiment pas très reluisant, hein ?

Il eut un sourire contrit et haussa des épaules. Mais il pouvait bien faire illusion, il craignait tout de même la réaction de Charlotte.

Cassandre appréciait le contact chaleureux du corps de Sylvère tout en continuant de manger sa galette. C'était agréable. Elle ne se rappelait plus à quand remontait d'avoir lié un lien sincère avec quelqu'un. Elle aimait bien Dame Irène et Grace mais elle se sentait toujours obligée à la retenue. Il y avait ce rapport maître-esclave dans un recoin de son esprit et qui l'empêchait de profiter pleinement de son statut d'enfant de la maison. Au point de vue de la loi, elle resterait toujours leur inférieure. Elle sourit quand Sylvère se plaignit de la longueur de son nom.

"Charlotte... Ça fait nom de petite fille de bourgeois. Ca raccorde au personnage et comme ça on me soupçonne pas. Lottie... Lottie, oui, j'aime bien ! C'est mignon !"

Sylvère avait l'air enchanté de sa proposition. Cassandre lui sourit, ravie. Elle l'écouta ensuite accepter de confier son histoire, d'abord curieuse, puis un sentiment de frustration s'installa mais qu'elle essaya de dissimuler. Sylvère était un enfant qui avait eu la chance de naître dans une bonne famille. Comme la sienne, avant. Ses parents étaient gentils. Peut-être trop.

"Ton père ne t'a jamais battu quand tu volais ? Moi, je me souviens pas bien, j'étais toute petite. Mais une fois, j'avais pris quelque chose au marché. Je me souviens pas quoi ou pourquoi. Mais mon père était pas content. Il était même en colère. il m'a battu. Fort. Je crois que c'est même la première fois qu'il l'a fait. mais ça m'a fait mal longtemps. mais depuis j'ai plus osé voler, sauf pour survivre, si j'ai faim. J'ai eu l'impression que mon père va revenir me battre si j'essaie encore. Pourtant, quand je vivais dans les rues, les gamins de ma bande aimaient ça chaparder sur le marché par jeu !"

Elle baissa la tête. Si seulement ça pouvait être si simple.Mais son père était en prison. pour dettes. Il ne reviendrait pas.  Elle chassa ces pensées dérangeantes. Sylvère avait été un gamin drôlement gâté pour avoir eu une famille qui arrange sans cesse ses fautes. Malgré elle, elle songea à cet imbécile d'Alexandre. lui aussi avait grandi dans une librairie, choyé, ignorant tout du monde réel... Cassandre chassa aussi ces pensées. Elle ne voulait pas donner une bonne raison de compatir au sort de cet idiot. Elle reporta son attention vers Sylvère qui poursuivait son récit et évoquait son passage dans l'armée. Elle frissonna.

"T'as bien fait de partir. L'armée... L'armée, elle sert qu'à tuer des gens qui ont rien demandé, à envahir leurs terres, les dépouiller, à en faire des esclaves... Il y a vraiment de glorieux à faire l'armée. Je crois bien détester autant les soldats
que les nobles. quoique.. Non, un soldat, ça réfléchit, ça se pose pas de questions, ça obéit. Même quand ça voir un enfant affamé, ça l'arrête, sans se dire c'est normal qu'il ait volé un fruit. les nobles, eux, c'est pas pareil,  ils comprennent pas, ils sont trop éloigné de la réalité dans leurs châteaux confortables."

Cassandre posa la main sur celle de Sylvère.

"Je ne te déteste pas, non. ton histoire... Ca me met plus en colère contre ce pays stupide que contre toi. Il n'y a aucune justice. Toi, tu as pu t'en sortir pour tes vols parce que tu avais une bonne famille. Alors qu'un tas de malheureux, qui peuvent même pas manger, sont pendus ou asservis pour avoir essayé de juste survivre. C'est stupide. Mortellement stupide. Un pays comme ça, avec tant d'injustices, ça devrait pas exister !"

Les idées de révolte lui pressaient à nouveau la tête. Elles la brûlaient. La consumaient. Une pensée lui vint alors. Sylvère... Sylvère, le Roi de la forêt, qui connaissait ses recoins, posait des pièges... Et si... ?

"Ys... Mon lien avec Achille... Nous avons un projet de révolte, de provoquer le chaos, de faire tomber à terme ce royaume maudit. Achille a été un esclave déporté d'une colonie, comme Eldred, un autre de nos amis... On cherche à s'étendre un peu, à gagner quelques personnes, à s'organiser... Et si tu nous aidais, grand frère ? Tu pourrais nous dénicher une cachette protégée où on risquerait rien, non ? Et tu pourrais signaler et empêcher des soldats qui nous chercheraient !"

Cassandre fut soudain nerveuse. Elle parlait trop. Sa main se posa sur sa bouche, gênée. Et si cette imprudence s'avérait fatale à leurs projets ?

Charlotte accepta sa proposition de surnom avec un certain enthousiasme. Il sourit et termina la galette qu'il avait commencé avant de se lécher les doigts pour ne pas en perdre une miette :

- Dans ce cas, je suis très heureux de pouvoir partager ces galettes avec toi... petite soeur.

C'était drôle de s'entendre lui-même dire une telle chose mais cela avait aussi un certain côté agréable. Elle ne semblait en tout cas pas en colère contre lui, malgré ce qu'il venait de lui dire, et cela le rassura. Il souleva ses cheveux entre ses doigts et observa les reflets qui s'y formaient au soleil.

- Non. Jamais. Il n'a jamais levé la main sur moi, pas une seule fois. Ils m'ont toujours fait confiance et ils me couvraient auprès des autorités. Toujours.

Jusqu'au jour où ils avaient arrêté de croire à ses promesses puisque de toute manière, il ne les tenait jamais. Il lui arrivait de le regretter, maintenant, mais de toute manière, il était trop tard pour revenir dans le passé.

Il la regarda frissonner quand il évoqua l'armée. Il n'y avait rien de glorieux, selon elle ? Il était d'accord. Et à défaut de ne pas cesser de voler, Sylvère s'était juré de ne jamais tuer quelqu'un. Sûrement une promesse qu'il finirait par trahir un jour, elle aussi – pour ce que sa parole valait. Mais pas tant qu'il n'y serait pas obligé.

- Faut voir le bon côté des choses, je sais me servir d'une arme grâce à cela. Et crois-moi, quand on est un brigand, qu'on a toutes les autorités à ses trousses et son visage placardé à chaque coin de la ville, c'est toujours utile.

Il sentit sa main venir se poser par-dessus la sienne. Ses mots lui rappelèrent une chose : il avait eu une chance inestimable, une famille merveilleuse et lui, il avait abusé de cette chance au lieu de s'en contenter. Ce fut de nouveau la voix de Charlotte qui le sortit de ses pensées.

- Ys...

Il lui jeta un regard interrogateur pour l'encourager à poursuivre et... il ne s'était certainement pas attendu à la suite. Un projet de révolte ? Pour faire tomber le régime en place ?

- Et si tu nous aidais, grand frère ? Tu pourrais nous dénicher une cachette protégée où on risquerait rien, non ? Et tu pourrais signaler et empêcher des soldats qui nous chercheraient !

Il attrapa ses épaules pour qu'elle le regarde et il plongea ses yeux dans les siens. Il y lut toute le sérieux du monde et encore une fois, il ne put s'empêcher de se dire que pour une enfant de douze ans, elle était terriblement grave – et désespérée. Elle était tellement convaincue...

Et puis soudain, elle posa sa main sur sa bouche, visiblement effrayée en réalisant qu'elle venait peut-être de faire une grave erreur. Sylvère ne put s'empêcher de la taquiner gentillement en lui tapotant le bout du nez :

- Et tu oses me dire que c'est dangereux de te dire que je m'appelle Ysengrin ?

Il sourit encore et ajouta aussitôt pour la rassurer :

- Ne t'en fais pas, Lottie. Je serais muet comme une tombe. Et si je peux vous aider, alors je le ferais.

Mais pas pour le moment. Pour le moment, il s'agissait de la dérider. Et pour cela, il était fort. Il bondit sur ses pieds pour se retrouver accroupi et déclara :

- Mais pour le moment, je vais t'apprendre à jouer, ça te dit ? C'est le rôle d'un grand frère, non ?

Les doigts de Sylvère touchaient ses cheveux. C'était encore une sensation étrange mais pas dérangeante. Il confirma n'avoir jamais été battu de sa vie. Cela lui aurait fait peut-être du bien. Elle se rappela que son père disait que le bâton corrigeait l'oreille dans le dos.

"Moi, je me souviens pas bien. Je crois que y a eu que cette fois-là. Mais j'étais petite. Mes souvenirs sont flous. Mon père disait qu'il faut battre les enfants quand ils font une grosse bêtise car ils ont l'oreille qui glisse dans le dos et le bâton la corrige. C'est un peu bizarre comme explication tu trouves pas ?"

Cassandre étudiait avec perplexité cette remarque sans arriver à bien comprendre. Son père disait que c'étaita insi, que son père l'avait élevé ainsi et ainsi de suite.

Sylvère évoqua ensuite sa connaissance des armes qui se révélait effectivement fort utile. Surtout si elle arrivait à le persuader de rejoindre leur révolte. Il la reprit alors en rappelant ses propres paroles sur al révélations de son prénom. Cassandre haussa les épaules.

"Si je meurs en participant à la possibilité de changer les choses, de faire comprendre que l'esclavage est horrible, eh bien, soit ! Je deviendrai à mon tour un symbole, comme Jeanne d'Arc !"

Les mots lui étaient venus seuls. Sans réfléchir. Elle n'était pas sûre de les penser. Ni de réellement les comprendre. Elle n'avait jamais véritablement envisagé sa mort. Au contraire, elle anticipait pour la retarder. Elle eut alors une autre pensée puis rit.

"Et puis, quel danger pour moi ? Je vais avoir treize ans dans mois. Légalement, ce pays ne peut rien contre moi. Seuls les individus de quinze ans révolus peuvent être soumis à la question et exécutés. C'est la loi. Dans la pire éventualité, je ne subirai qu'une flagellation. J'y survivrai."

Un sourire narquois ornait son visage à présent.

"Je ne suis pas instruite mais je connais les lois. Et comment trouver leurs failles !"

Brusquement, le comportement joueur de Sylvère la dérouta. Elle l'observa, confuse, proposer de lui apprendre à jouer. Elle l'observa un temps surprise puis se releva un brin hautaine.

"Je sais jouer, eh oh ! Quand je vivais dans les rues, avec ma bande, on jouait souvent à cache-cache ou ou à chat ! Je te parie que tu saurais pas m'attraper, d'abord !"

Mutine, elle poussa Sylvère en arrière puis prit rapidement la fuite dans la direction opposée. Elle s'arrêta quelques mètres plus loin, mains sur les hanches, et fixa le roi, narquoise.

"Eh ben tu fous quoi ? le Roi de la forêt est une tortue ! Le Roi de la forêt est une tortue ! Nanananère !"

Elle abandonna son air hautain et se mit à fredonner la petite chanson improvisée stout en riant joyeusement.

C'était vrai que l'explication était assez originale. Cette histoire d'oreille glissée dans le dos. Cela lui passait par-dessus la tête. Et puis, il y avait mieux à réfléchir. Cette révolte qu'elle lui proposait de rejoindre... Avec un tel sérieux encore.

- Je deviendrai à mon tour un symbole, comme Jeanne d'Arc !

Sylvère lui lança un regard soudainement attristé. Il secoua la tête.

- Mais Lottie ! Je ne veux pas que tu deviennes un symbole, moi ! Je veux une petite sœur bien vivante, tu comprends ? Si on te prenait, tu serais pendue ! Tu en as conscience ? Qui est-ce qui pourra m'apporter de la confiture si tu n'es plus là ?

Il n'avait pu s'empêcher de rajouter une plaisanterie pour que l'atmosphère soit un peu moins lourde. C'était plus fort que lui, plaisanter quand la situation ne s'y prêtait pas.

Enfin de compte, en la regardant de plus près, il n'était même pas totalement sûr qu'elle ait réellement compris ce qu'elle disait. Comme Jeanne d'Arc. Cette simple idée lui donnait des frissons. Et à cet instant, il se fit la promesse de la protéger coûte que coûte. Cette promesse-là, il la tiendrait. Si elle avait fait de lui son grand frère, alors il lui devait au moins ça.

- Regarde-toi. Tu es si sérieuse. Je sais bien que j'exaspère beaucoup de monde en étant comme je suis mais... si c'est pour être sérieux en permanence et ne jamais rire, je te le dis, ça ne vaut pas la peine de s'acharner. Autant aller sauter tout de suite. Je suis trop attaché à la vie pour ne pas la vivre comme je l'entends. Je ne veux pas que la société me dise ce que j'ai à faire. Ça fait partie de la liberté aussi, tu sais ?

Et ce fut avant tout pour lui montrer de quoi il parlait, pour chasser la gravité de la voix de Charlotte et ses idées de symbole, qu'il bondit sur ses deux pieds. Devant sa confusion puis son air hautain, il eut un sourire suffisant.

- Tss tss tss, tu penses que je ne peux pas t'attraper ? Tu me sous-estime !

Et elle le poussa. Comme il était en équilibre sur ses talons, il tomba en arrière, ce qui laissa le temps à Charlotte de partir en courant dans l'autre sens. Il l'observa quelques secondes en souriant, jusqu'à ce qu'elle s'arrête et le toisa les mains sur les hanches. En le traitant de tortue.

Elle abandonna enfin son air condescendant et se mit à chantonner en riant. C'était la première fois qu'il l'entendait rire ainsi, aussi légère et heureuse, et il fut fier d'avoir réussi.

Comme elle ne courrait plus, il se dressa sur ses pieds d'un coup et fonça vers elle. En arrivant à son niveau, il déclara :

- Attrapée !

En veillant à ne pas lui faire mal, il la fit tomber et la châtouilla. Quand enfin il s'arrêta et qu'il recula pour s'asseoir par terre, il remarqua :

- Tu as encore beaucoup de choses à apprendre, jeune fille ! Est-ce que tu as déjà joué à la marelle ? Est-ce que tu connais des comptines ?

Et il s'appuya sur ses mains dans son dos en attendant une réponse, souriant.

Cassandre sursauta quand Sylvère eut un cri, indigné, pour lui rappeler ensuite ce qu'elle pourrait risquer si les autorités l'arrêtaient. Elle baissa la tête, incertaine de bien comprendre ce que cela signifiait être pendue. cela restait une vision floue, distante. Elle l'entendit alors se plaindre de ne plus avoir de confiture et se raccrocha à ces paroles. Elle retrouva de l'insolence et répliqua :

"Dit le gars qui risque lui aussi de se retrouver pendu s'il se faisait prendre ! T'es quand même mal placé, Ys, pour me faire la leçon ! Je serai triste moi aussi si t'étais pendu mais moi je t'empêche pas de vivre ta vie !"

Cassandre baissa à nouveau la tête et laissa Sylvère méditer à ces paroles. Elle l'entendit ensuite exposer sa vision de la vie et celle de la liberté.

"La liberté.. je comprends. tu as de la chance de faire ce que tu veux. Si je pouvais... Si je pouvais, oui, je quitterai cette maison, cette ville, et vivre ici pourrait être tranquille. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas effacer ces sentiments quand je croise d'autres esclaves, quand je traverse le marché. Je dois faire quelque chose !"

Cassandre se sentit soudain étouffée sous le poids de ses sentiments qui revenaient l'oppresser. Elle se revoyait chez ce diable de Greeklocks, à essayer de se débattre pour ne pas recevoir cette maudite marque. Elle se rappelait de tous moments d'humiliations et de privations. Elle sanglota. elle se noyait.

"Je ne peux pas... je.. je dois... je dois !"

Ce fut à ce moment que choisit Sylvère pour lui proposer de jouer qui lui permet d'échapper aux affres de l'angoisse. elle retrouva sa combattivité en voulant narguer son frère de cœur. Elle s'amusait bien à chantonner pour le provoquer quand celui-ci la surprit et l'attrapa avant qu'elle ne put réagir. Elle s'écroula au sol et se laissa chatouiller sans chercher à se débattre. Ce n'était pas dangereux. Sylvère était gentil. Elle riait fort et avait du mal à reprendre sa respiration.

Lorsqu'il s'arrêta, elle attendit quelques minutes pour se relever, essoufflée.

"J'arrive pas à croire que tu m’aie torturé, grand frère ! T'es vilain !"

Elle tira la langue, provocatrice, puis l'entendit demander si elle connaissait la marelle et si elle savait des comptines.

"La marelle ? C'est quoi comme jeu ? Oh oui ! Je conanis des comptines ! au Clair de la Lune ! Euh... Savez-vous planter des choux ! et à la claire fontaine ! Et celle de la bergère ! Et Jean qui danse ! Le petit cordonnier aussi ! Euh... Je crois c'est tout !"

Oui, bon, Charlotte avait raison. Pour dire qu'elle risquait d'être pendue, il n'était pas le mieux placé. Mais tout de même ! Il voyait deux différences majeures entre eux deux.

Charlotte était encore une enfant et il avait treize ans de plus qu'elle. Elle avait déjà vu des cadavres certainement, mais comprenait-elle réellement à quoi elle s'exposait ? De plus, lui, il n'avait jamais prétendu être en sécurité. Alors que c'est ce qu'elle avait essayé de lui faire avaler. Parce qu'elle était jeune, ils ne lui feraient rien...

Tiens. Mon oeil. Ils n'allaient pas reculer parce qu'elle n'avait pas encore quinze ans. Une révoltée restait une révoltée, enfant ou non. Et on ne laissait pas les révoltées en vie. Trop dangereux.

Il ne répondit rien. Cela ne changeait pas son opinion sur la question. Mais il était sûr d'une chose : la seule chose qui valait plus que la vie, c'était la liberté. Et la liberté s'étendait bien au-delà du simple fait de ne pas être esclave. Après tout, les normes de la société asservissait autant que les chaînes.

Il ne s'était pas attendu à ce que la conversation retourne autant Charlotte. Cela n'allait certainement pas lui prouver que le sérieux était utile. Voilà qu'il restait sérieux deux minutes à peine et qu'elle finissait en larmes ! Il n'y avait tout de même pas de doute !

Dans tous les cas, il n'avait pas l'intention de l'être davantage. Elle savait jouer, certes, mais elle n'avait jamais jouer avec lui, et ça faisait toute la différence ! Il préférait de loin l'entendre rire aux éclats de cette manière que de sangloter. Il aimait faire rire les gens, même s'il n'en avait pas l'occasion souvent. Il finit par reculer pour la laisser respirer. Quand elle le traita de vilain, il leva les mains, à la manière des serres d'oiseau, avec un air faussement menaçant.


- C'est celui qui dit qu'y est !

Et il lui tira la langue à son tour, sans se démonter le moins du monde. Il se redressa en un saut et, souriant, il ramassa quelques branches mortes – les plus droites qu'il pouvait trouver. Par la suite, il les déposa en carré successifs, tantôt côte à côte, tantôt les uns par dessus les autres. Quand il estima que sa marelle improvisée était prête, il se tourna vers Charlotte.

- Et 1, 2, 3, nous irons aux bois, tu la connais ?

Il désigna la marelle, remit en place une branche qui s'était légèrement décalée et expliqua :

- Le but, c'est d'arriver de l'autre côté en sautant. C'est facile, non ?

Et pour illustrer ses propos, il le fit aussitôt. Arrivé de l'autre côté, il revint face à elle, s'inclina presque jusque par terre et déclara en redressant :

- Allez, à ton tour !

Devant ses angoisses qui l'avaient faite pleurer, Sylvère avait choisi l'amusement et Cassandre appréciait. Elle reprenait sa respiration après la séance de chatouilles quand son grand frère eut une répartie des plus intelligentes. Elle lui jeta un regard de travers.

"T'es sérieux, Ys ? Même à sept ans, je disais plus ça ! T'es vraiment qu'un gamin !"

Elle se détendit et ouvrit en grand les yeux quand Sylvère commença à expliquer ce qu'était la marelle. Il créait des cases avec les branches. Elle le fit sauter dedans et atteindre celle du haut.

"Oui, je connais bien cette comptine ! Je connais même une autre version, tu sais ? Tu as envie de l'entendre ?"

Sans attendre la réponse, espiègle, Cassandre chantonna :

"1, 2, 3, Cassandre ira au bois ! 4, 5, 6, Sylvère est dans l'endroit ! 7, 8, 9, il n'est pas très neuf ! 10, 11, 12, et il est tout rouge !"

Elle ne sut pas improviser davantage, se mettant à rire, trop amusée de sa petite effronterie. La fillette fixa avec insolence l'aîné et s'exclama d'une fausse candeur :

"Alors, tu aimes ?"

Elle se leva ensuite et se dirigea vers la marelle, commençant à sauter de case en case. C'était plutôt amusant ! Elle pourrait peut-être l'"apprendre à Grace.

L'air outré de Charlotte le fit sourire. Il n'était qu'un gamin ? Possible, en effet. Mais la vie était beaucoup plus plaisante ainsi ! Le sérieux, pour quoi faire, au juste ? Il n'y avait qu'à s'imaginer que la vie était une immense marelle et tout semblait soudain plus léger. Et beaucoup plus facile.

Elle le regarda sauter de case en case dans rien dire, les yeux grands ouverts. Quand il fut arrivé de l'autre côté, elle lui assura alors qu'elle connaissait effectivement la comptine. Il lui jeta un regard surpris en entendant son affirmation. Une variante ? Pourquoi avait-il un mauvais pressentiment en ce qui concernait cette deuxième version ?

- Tu as envie de l'entendre ?

Sylvère n'eut même pas le temps de lui répondre que non, il n'en avait aucune envie – parce qu'il avait bien compris que ce ne  serait certainement pas très flatteur, surtout avec ce sourire malicieux qu'elle avait – mais elle chantonnait déjà. Alors, il fut bien obligé de l'écouter.


Sur le coup, Sylvère ne réalisa pas, trop occupé qu'il était à écouter sa petite voix parmi le silence reposant de la forêt. Puis, soudain, il bloqua. Cassandre. Cassandre... N'avait-elle pas oublié qu'elle venait de lui dire qu'elle s'appelait Charlotte ? Sa surprise ne dura qu'un temps et il se reprit bien vite. Elle riait de nouveau aux éclats, visiblement très amusée par sa petite chansonnette.

- Six et endroit, ça ne rime pas ! remarqua-t-il quand elle eut terminé. Mais je crois que je préfère cette version à l'original, moi aussi !

Elle se mit à traverser la marelle à son tour. Sylvère la regarda faire, avec un sourire en coin. Elle avait beau être sérieuse – beaucoup trop pour son jeune âge -, elle était encore innocente. De bien des manières.

Quand elle arriva enfin à son niveau, toute guillerette, il se remit à genoux devant elle et la serra dans ses bras, tout spontanément. Il déclara à mi-voix, comme un secret, quand bien même personne d'autre ne les écoutait que les arbres aux alentours :

- Tu sais quoi ? Cassandre, c'est un très joli prénom. Et promis, je ne le dirais à personne.

Cassandre souriait. Sylvère aimait sa chanson ! Il signala alors des phrases qui ne rimaient pas. Elle fit la moue.

"Je sais pas faire ça. C'est compliqué les rimes ! Et chiant !"

Elle joua ensuite à al marelle, toute joyeuse de cette découverte, lorsque Sylvère vint la cueillir dans ses bras quand la fillette arriva à la dernière case. Elle se pelotonna contre son grand frère et enfouit sa petite tête contre son torse. C'était doux et agréable d'être cajolée. L'apaisement ne dura que peu de temps. Elle se figea quand Sylvère murmura à voix basse son véritable prénom. Une peur terrible l’envahit. Et si on avait entendu ? Elle se maudit d'avoir été insouciante.

L'enfant tremblait à présent dans les bras du brigand.

Faire des rimes ? Compliqué et chiant ? Il lui adressa un immense sourire et répondit du tac au tac avec un air malicieux :

- Faire des rimes n'est pas si compliqué,
Il suffit qu'elles viennent du coeur,
Et quand on y est habitué,
Cela devient naturel d'en faire, petite soeur.

Et, comme s'il venait de faire un spectacle, il s'inclina comiquement devant un public imaginaire. Réponse à quoi elle se blottit contre lui et accepta l'étreinte. Sylvère n'osait presque plus bouger, de peur de la faire fuir ou de la casser. Elle, cette petite fille, de qui il était désormais le grand frère.

Et Cassandre... C'était un prénom magnifique. Même si elle le lui avait dit sans s'en rendre compte et qu'elle tremblait à présent comme une feuille, affolée de son inattention. Il continua de la serrer dans ses bras et remarqua, toujours à voix basse :

- Tu sais à quoi ça sert un grand frère ?

Il fit une pause, pour la laisser répondre, mais cela ne dura pas et il enchaîna rapidement :

- A protéger les petites sœurs. Ça veut dire que tant que je serais là, il ne pourra rien t'arriver. Et si tu as besoin de moi un jour, tu n'auras qu'à m'appeler. Où que tu sois dans la forêt, je viendrais.

Il recula un peu pour pouvoir voir son visage qu'il prit entre ses mains pour planter ses yeux dans les siens. Ce fut très sérieusement qu'il insista, en attendant clairement une réponse positive de sa part :

- D'accord ?

Il se rassit comme si de rien et ajouta avec un air beaucoup moins sérieux :

- Alors ! Voyons voir les rimes de cette comptine. Qu'est-ce qui rime avec six ? ... je sais ! Ys !

Il sourit, et reprit la petit chanson, en modifiant le premier vers pour éviter d'avoir à redire Cassandre, vu l'état dans lequel cela l'avait mis la première fois.


Il se tourna vers elle pour voir si cela lui allait.

Cassandre tremblait dans les bras de Sylvère et n'arrivait pas à se calmer. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle ait pu être aussi stupide pour dévoiler sa véritable identité. Elle était aussi bête qu'Alexandre ou quoi ? L'instant de poésie et les jeux avaient été vite oublié. les angoisses revenaient. Indomptables.

Sylvère parla à nouveau à voix basse et demandait à quoi servait un grand frère. Elle ne voulait pas entendre. elle voulait se sauver. Vite. Loin. Mais son corps n'obéissait pas.

Il disait qu'un grand frère servait à protéger les petites sœurs. Qu'il ne pourrait rien lui arriver. Qu'elle n'aurait qu'à l’appeler. Elle soupira et s'écarta de ses bras, le visage sévère.

"Je te crois pas."

Elle se renfrognait et se rappelait des promesses de son père ou de ses sœurs.

"Après la mauvaise récolte, mon père a dit qu'il n'arriverait rien. Qu'il arrangerait tout. mes sœurs disaient pareil. Que notre père arrangerait tout. Mais c'étaient des conneries ! On ne peut pas faire confiance aux adultes. Tu dis que tu me protégeras et comment c'est possible ? Tu crois que tu peux vraiment me protéger de tout ? Je te crois pas ! T'es juste un adulte qui fait de belles promesses et qui les tiendra jamais !"

Elle le regarda, mauvaise, proposer de chanter une comptine. La fillette s'écarta de plusieurs pas, boudeuse. Le goût des jeux lui avaient passé.

Cassandre continuait de trembler. De quoi avait-elle peur, au juste ? Qu'il la dénonce ? Ou alors était-elle simplement en colère contre elle-même d'avoir ainsi échappé son identité ? Elle n'avait pas à avoir peur de lui, pourtant. Pas plus qu'elle ne pouvait s'en vouloir ! Elle avait le droit de s'amuser aussi.

Mais pour l'instant, les moments de joie et de légèreté qu'ils venaient de partager s'étaient envolés. Peut-être qu'il aurait dû continuer à faire comme si de rien n'était et ne pas lui dire qu'elle lui avait révélé son prénom sans le vouloir ? Mais il chassa bien vite cette idée. Non, ça aurait été ridicule de ne rien dire.

Puis, elle recula. Redevenue définitivement sérieuse. Plus que cela, même. Rendue sévère par l'anxiété. Par une angoisse solidement ancrée en elle. Elle lâcha quelques mots à la sonorité bien dure dans sa bouche d'enfant. Elle ne le croyait pas. Et pourtant, c'était bien une des seules promesses que Sylvère avait l'intention de tenir. Malgré tout, ce n'était jamais que de belles paroles et tout compte fait, s'il avait été à la place de Cassandre, il ne se serait pas cru lui-même.

Il ne s'approcha pas, pour lui laisser l'espace dont elle avait besoin et se râcla la gorge en cherchant ses mots. Qu'était-il sensé répondre ? On lui avait déjà reproché de ne jamais tenir ses promesses, oui, mais pas de cette manière.

- D'accord, tu as raison. Je ne pourrais pas te protéger tout le temps, ce serait mentir mais ... je peux essayer, non ?

Il fit une pause, soupira de nouveau et enchaîna :

- Écoute, c'est vrai, je suis un idiot. Un idiot maladroit. Mais c'est la première fois qu'une petite fille me demande d'être son grand frère, tu sais. Et je n'ai vraiment pas envie de décevoir cette petite fille-là en particulier...

Il se tut et hésita une seconde avant de dire la suite :

- Je sais que ce n'est pas facile, que tu as vécu des choses bien plus dures que je ne vivrais jamais et que je ne suis pas – et ne serais jamais – le grand frère idéal. Ça, tu peux en être sûre. Personne n'est parfait et on fait tous des erreurs. Mais je ne peux pas m'améliorer si tu ne m'en laisse pas l'occasion. Donne-moi au moins une chance d'essayer, qu'est-ce que tu en dis ?

Et il guetta sa réaction avec, il fallait bien l'admettre, un brin d'inquiétude.

Cassandre tremblait en fixant Sylvère, nouée par l'angoisse qui refusait de se calmer. Elle se rappelait des promesses des adultes qui n'étaient jamais tenues. Elle se rappelait des adultes qui la voyaient en guenilles dans les rues sans lui témoigner la moindre attention. Elle se rappelait des adultes qui lui donnaient la chasse quand elle s'approchaient du marché par peur de la voir les voler. Elle se rappelait du soldat qui lui avait saisi la main quand elle avait pris cette pomme Elle se rappelait de des adultes qui avaient prononcé le jugement fatal. Elle se rappelait de ces adultes qui l'avaient vu s'épuiser au Lupanar sans véritablement la voir. Elle se rappelait de tout cela.

Elle étouffait.

Ses mains se portèrent à as poitrine. Elle respirait difficilement. Elle se sentait mal. La tête lui tournait. Elle mourait ? Cassandre essaya d'ouvrir la bouche et s’obligea à inspirer? L'air revenait à ses poumons oppressés.

La voix de Sylvère lui parvint soudain. Elle était... apaisante. Elle le fixa et l'entendit reconnaitre qu'il ne pourrait pas toujours la protéger mais qu'il pourrait toujours essayer.

"Essayer..."

Il reconnaissait être un idiot maladroit mais disait vouloir ne pas la décevoir. Il disait ne pas être le grand frère idéal. Il disait que personne n'était parfait il disait qu'il ne pourrait pas s'améliorer si elle ne lui laissait pas une petite chance. Il avait l'air... perdu.

D'une voix troublée, elle murmura :

"Les adultes, ils parlent pas de leurs faiblesses normalement. Ils disent pas non plus leurs défauts. Mais ils ont plein. Ils disent aux enfants de pas s'inquiéter, que tout s'arrangera... Ou ils chassent les enfants. Ou ils les ignorent. Pourquoi... Pourquoi t'es différent des autres, Ys ? C'est parce que tu vis en forêt ? u tu vis en forêt parce que t'es différent ?"

La réponse de Cassandre ne vint pas immédiatement, et Sylvère finit même par croire qu'elle n'arriverait pas du tout tant elle se fit attendre. Et pourtant, sa petite voix finit par résonner dans l'air frais de la forêt.

Elle avait raison : les adultes ne reconnaissaient pas facilement leurs torts et il pouvait mesurer que cela pouvait avoir fait souffrir Cassandre, d'une manière ou d'une autre. Ah, si les gens avaient eu moins de mal à reconnaître leurs défauts et faiblesses... les choses auraient été plus simples.

- Eh bien, les adultes se trompent, voilà tout. Il faut... il faut assumer ce que l'on fait, et qui l'on est. C'est important.

Il fit une pause et Cassandre ne tarda pas à enchaîner sur une question. Une question qu'on ne lui avait jamais posée auparavant et qui n'avait jamais effleuré son esprit d'une quelconque manière.

- ... Pourquoi t'es différent des autres, Ys ? C'est parce que tu vis en forêt ? ou tu vis en forêt parce que t'es différent ?

Il demeura silencieux quelques instants, le temps de réfléchir à la question et il appuya ses coudes sur ses genoux. Est-ce que vivre dans la forêt, loin de la société, l'avait changé ou alors avait-il toujours été comme ça ? Il n'aurait su dire exactement.

- Les deux, certainement.

Il ne s'était jamais senti tout à fait à sa place, en ville. Et la forêt lui semblait être un lieu beaucoup plus accueillant. Qui attendait moins de sa part. Ici, on ne lui demandait pas d'être comme ci ou comme ça. Il était comme il était, point.

- Je suis bien ici. Je ne retournerais pas habiter là-bas, même si on m'y forçait. Là-bas, on est pas libre, Cassandre. Les gens attendent des choses de toi, beaucoup trop de choses. Il faut prier, il faut être poli, il faut remercier Dieu pour ce que tu manges... Mais c'est pas lui qui a fait la cuisine, non ?! Pourquoi je le remercierai alors ? Même pour manger, tu ne peux pas faire ce que tu veux, tu te rends compte ? C'est réglementé jusque-là. Il y a des horaires là-bas. Ici, si je n'ai pas faim, je ne mange pas et voilà.

Il fit une pause et haussa des épaules. Non, vraiment, il n'avait jamais compris ce principe de remercier le ciel pour chaque fait et geste... Mais enfin, ce n'était pas vraiment le sujet. Il avait une autre question, on ne peut plus importante à poser :

- Il faut que tu me dises ce que je peux faire pour m'améliorer, d'accord ?

Déjà, l'envie de repartir sur un sujet plus léger le démangeait. Mais il fallait d'abord terminer cette conversation.

Cassandre se tenait encore en retrait, loin de Sylvère. Elle le contemplait, pensive. Lui-même cherchait une réponse. Ce n'(était pas des questions qu'elle avait posé. Il énonça alors que les adultes se trompaient et qu'il fallait assumer ce que l'on était. Ce n'était pas faux. Elle aimait cette pensée. Une seconde vint et elle dit un brin espiègle :

"En fait, Ys, t'es resté un enfant, toi !"

C'était sans doute ça les raisons de sa différence : il était un enfant dans un corps adulte. Elle l'entendit ensuite se plaindre de la vie en ville qui obéissait à toutes sortes de règles. Il n'avait pas tort. Il y avait toujours des interdictions. continuellement. Elle releva la tête pour observer l’atmosphère tranquille de la forêt et sentir le vent qui caressait sa joue. Oui, ici ça sentait la liberté.

"Je comprends. Oui, il y a des règles partout pour tout. Dieu, les prières... Je crois. Je crois en Dieu et ses saints. Mais pas comme les prêtres le disent. J'aime pas assister aux messes. On s'ennuie et y a plein de monde. je préfère prier seule dans l'église devant une statue. Je préfère dire mes seules pensées, j'ai pas besoin qu'on me dise comment s'adresser à Dieu... "

Elle marqua une pause puis songea à l'histoire de sa patronne qui ressemblait à la sienne. Elle se rappela que Grace avait été ému en l'écoutant.

"Je crois surtout aux Saints plus proches de nous. Eux ont vécu dans ce monde, ont connu des souffrances.. Mais leurs qualités et leur persévérance leur a ouvert le Ciel. Tu connais Sainte-Zita? C'est la patronne des servante ! Je la prie depuis que je suis devenue esclave, pour me réconforter quand je me sentais mal... Zita, à l'origine, c'était une jeune femme très gentille, très pieuse. A ses douze ans, elle a été placée comme servante chez des maitres riches. Elle se levait chaque matin tôt pour assister à la messe. Elle subissait des brimades des autres mais ne se plaignait pas et ne se révoltait pas. Elle restait digne et modeste. Elle supportait tout avec patience et douceur. Elle accueillait même les miséreuses dans son lit et dormait elle à même le sol. Malgré sa piété immense, maitres et domestiques continuaient à l'exploiter jusqu'au jour où sa bonté fut reconnue. Ses maitres et collègues commencèrent à s'amender. Puis, un jour, elle tomba malade, s'alita, et mourut. Mais grâce à sa dévotion qui fut totale sa vie durant, Dieu lui permis de devenir une Sainte. La Sainte qui veillait sur les servantes, comme celle qu'elle avait été."

Cassandre arrêta là son histoire et se signa, transportée par l'émotion que ce récit lui faisait connaitre à nouveau. Zita... Elle se sentait si proche d'elle, de son calvaire, de ses expériences... Elle lui montrait le chemi. Elle le sentait. Elle la protégeait. Elle le sentait.

"Si j'ai été recueillie par Dame Irène, ce n'est pas un hasard. C'est parce que Sainte-Zita est là pour me protéger. Elle a vu que j'étais digne d'elle, que je travaillais bien, que je me plaignais pas... Elle m'a récompensé. Je crois. Je crois en elle. Et en le pouvoir de Dieu."

La fillette médita sur ces paroles et observa Sylvère d'une expression devenue confiante.

"C'est pour ça, je crois en notre révolte. Sainte-Zita me protège. Elle ne me laissera pas tomber. Et elle ne laissera pas tomber mes amis. "

Cassandre ne se rapprocha pas, mais elle semblait plus sereine. Il avait l'air d'avoir réussi à trouver les bons mots pour apaiser son angoisse. Déjà un bon point. Elle commençait même à lui lancer quelques piques. Mais il ne pouvait pas totalement nier ce qu'elle disait. Il avait certainement conserver son côté d'enfant en lui et, tout compte fait, il le chérissait pour être certain de ne pas le perdre.

Il l'observa relever légèrement la tête vers le ciel et sentir cette brise de liberté qui chuchotait doucement. Il l'écouta lui répondre en silence. Elle aussi semblait avoir une manière différente d'aborder les croyances divines.

Cela dit, il n'avait jamais entendu parler de Sainte Zita. Et si d'ordinaire, il n'aurait écouté le discours de la fillette que d'une oreille moyennemment attentive – comme un enfant qui se lasse d'une conversation trop longue – cette fois-ci, il porta grande attention à l'histoire de cette jeune fille, tristement semblable à celle de Cassandre. Elle en semblait en tout cas une fervente admirative.

Parfois, la dévotion avait quelque chose de beau... C'était ce qu'il se disait en la regardant se signer avec tant de respect – ce dont il était strictement incapable.

- Si j'ai été recueillie par Dame Irène, ce n'est pas un hasard. C'est parce que Sainte-Zita est là pour me protéger.

Sylvère ne répondit rien. Il n'était pas entièrement d'accord avec ses derniers mots mais soit. Pour lui, si la vie souriait enfin un peu à Cassandre en lui offrant une maison plus aimante, ce n'était pas grâce à Sainte Zita. C'était simplement parce qu'elle était décidée à s'en sortir, malgré ses difficultés, qu'elle en était là. Elle ne le devait qu'à elle-même et à son courage.

Quant à lui, personne ne le protégeait, parce que saints ou Dieu, ils avaient d'autres choses à faire que veiller sur un brigand qui se prenait pour le roi de la forêt. C'était même pour cette raison qu'un jour, il le savait, il finirait par être arrêté et exécuté. On ne se jouait pas impunément des autorités éternellement. Ce n'était pas cela qui allait l'empêcher d'être heureux en attendant que ce jour-là arrive. A vrai dire, il se fichait pas mal que quelqu'un prenne soin de lui ou non. Il vivait comme il l'entendait et cela lui allait très bien.

Mais se dire que quelqu'un protégeait Cassandre... Oui, c'était rassurant malgré tout. Et elle, elle le méritait bien. Mais en parlant de révolte, pendant qu'ils étaient en train de parler sérieusement.

- Alors tu as besoin de moi pour cette révolte... Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ?

Sylvère écoutait avec politesse ses explications mais semblait quand même intérressé. Elle le laissa y réfléchir un peu temps et reporta son attention vers le ruisseau qui coulait proche d'eux. Un écureuil s'approchait pour y boire. L'animal était si beau. Curieuse, elle s'avança avec prudence et voulut le caresser mais l'animal repartit en courant effrayé. Il courait à présent à toute vitesse le long d'un tronc puis sur une branche.

"Eh, reviens !"

Sans y réfléchir, prise dans le moment présent, Cassandre courut après l’écureuil et commença à grimper dans l'arbre. Elle entendit alors Sylvère parler et sa voix la surprit tant que la fillette lâcha ses prises et tomba en arrière. Gisant dans l'herbe, elle fixa son grand frère qui lui apparaissait à l'envers et le dévisagea. Il était sérieux ? Il allait... Il allait aider pour la révolte ?

"C'est vrai, Ys ? tu vas aider ?"

Cassandre se redressa, assise dans l'herbe, et réfléchit.

"Eh bien, euh, ça pourrait être un bon quartier-général ici. tu pourrais surveiller si y a des soldats qui viennent et nous avertir quand on tient des réunions ! Et puis laisser passer gratuitement ceux de notre groupe. Il y a Achille, bien sûr, puis un autre esclave, un grand gaillard aux airs un peu sauvage mais très gentil ! Ca te av ? et bien sûr, tu continues à embêter les nobles et les religieux qui s'aventurent par ici !"