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[25 novembre 1597] les diables ne s'abreuvent pas du sang du Christ

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Message par Théodosie Lun 27 Juil - 12:22

Enfin terminée ! Les messes hebdomadaires ressemblaient à des cérémonies funéraires où l'on figeait le temps pour adresser ses prières au cadavre christique saigné sur la croix. Tout en latin, psalmodies hyéroglyphiques accessibles seulement aux lettrés. Et Théodosie en connaissait plus d'un : certains des pieux qui venaient aux processions, participaient à d'autres sortes de cérémonies la nuit au Lupanar. Il était facile de les reconnaître, souvent vieux et agités, ils chantaient plus fort et faux que les autres, un excès de zèle qui pouvait difficilement se parer d'innocence.
Si les prostituées étaient tolérées, on pouvait difficilement dire qu'elles étaient acceptées par le clergé comme le proclamait Isabelle. Les catins n'avaient pas le droit aux bancs, elles devaient juste derrières les bénitiers et surtout ne pas approcher au moment de l'Eucharistie.On espérait quand même d'elles un petit geste pendant la quête. Une demande bien hypocrite, car chacun savait comment les filles avaient gagner cette monnaie, en astiquant des cierges qui n'auraient pas leur place aux pieds de la Vierge Marie. Théodosie s'arrangeait souvent pour faire croire qu'elle donnait un sou, parfois en prenait deux lorsque le quêteur était un peu distrait. C'était bien là, la seule distraction à laquelle elle avait droit. Lucretia n'était pas là, elle ne participait qu'à la messe dominicale par choix. De toute façon, elle aurait été muette comme une tombe, elle n'était guère amusante.

Ce jour de novembre était froid, glacé même, mais au moins, l'air extérieur n'était pas aussi humide qu'à l'intérieur de l'église et ne sentait pas le moisi mêlé à l'encens. Théodosie pouvait s'amuser à faire de la fumée avec son souffle, une attraction plus attrayante que de discuter avec les autres pintades du groupe de prostituées qui ne pensaient qu'à alimenter racontars et commérages les unes sur les autres. A force de rester entre elles, des tensions apparaissaient entre elles, leur monde ne tournant qu'autour d'elles-mêmes et leurs clients qui leur faisaient rarement la conversation. Une bien belle prison pour des êtres libres comme l'insinuait Isabelle.
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Message par Alduis de Fromart Jeu 30 Juil - 14:33

Lorsqu'Alduis se réveilla, près de quatre heures après le départ d'Alexandre, il avait étonnamment bien dormi. Malgré la lumière qui émanait des rideaux ouverts, malgré ses pensées contradictoires et agitées, malgré les doutes qui l'avaient pourtant assaillis toute la nuit.

Le soleil éclairait doucement la pièce. Les couvertures étaient exceptionnellement remontées jusque sous son menton. Et bien qu'il se sentait encore un peu nauséeux, c'était bien mieux qu'en s'endormant. Il était davantage serein.

La dernière chose dont il se rappelait était la voix paisible d'Alexandre qui lui contait cette histoire – qu'importe ce qu'elle racontait, ce n'était pas ce dont il voulait se souvenir – et ses doigts qui caressaient son visage. Alduis ne l'avait même pas entendu partir, pas plus qu'il ne l'avait senti se dégager de l'étreinte de ses bras. Une preuve incontestable que son sommeil avait été profond, lui qui se réveillait habituellement au moindre bruit. Mais cela n'était pas pour le réjouir. Au contraire. Il détestait dormir profondément, cela pouvait signer un arrêt de mort si facilement.

A cette pensée, familière, l'angoisse revint se loger au creux de son estomac. Aussitôt, il repoussa les couvertures pour se redresser, peut-être un peu trop rapidement puisque sa tête tourna une brève seconde. Peut-être était-il réellement malade, en fin de compte ? Mais bien sûr, il savait que non. Ce n'était rien d'autre que le résultat des heures de sommeil qu'il avait en retard et des derniers repas qu'il avait sautés.

Il n'avait pas exactement faim, mais il fallait qu'il mange. Il y avait ces moments où le choix n'était plus et où il fallait se remplir le ventre. Il allait appeler l'une des esclaves quand ses yeux se posèrent sur le plateau, déjà soigneusement déposé sur la table. Il grinça des dents. Quelqu'un était entré pour le poser, et il ne l'avait pas entendu. Mais ce n'était pas le pire.

Le pire, c'était la lettre qui était pliée quelques dizaines de centimètres plus loin. Sa respiration se bloqua dans sa cage thoracique, le sang se glaça dans ses veines. Sans même ouvrir, il savait déjà de qui elle était. Et si... Et si celui qui était entré poser ce plateau l'avait... lue ? Un bref instant, il dut étouffer impitoyablement la panique qui grossissait dans sa gorge, faisant revenir les nausées.

Il était militaire. Il lui fallait garder son sang froid. Toujours. Et ne pas se mettre à trembler comme la première mauviette venue. C'était pourtant, une fois de plus, ce qui était en train de se passer.

Lentement, en essayant de contrôler les soubresauts qui avaient pris ses mains, il attrapa une bougie et l'alluma en prenant une longue inspiration. Il fallait la brûler. Faire disparaître les traces de cette nuit. Toutes les traces. En la prenant entre ses mains, il se rendit alors compte que personne ne l'avait ouverte. Cela le rassura et sa respiration s'apaisa. Mais pas les tremblements de ses mains.

Il n'aurait pas dû l'ouvrir, mais une envie insatiable de voir son écriture, de lire ses mots le prenait soudain. Alors il la déplia, doucement, comme si les lettres risquaient de jaillir du parchemin quand elle serait ouverte. Ses yeux se posèrent sur les premières lignes. Son coeur s'arrêta et le temps se suspendit. Ses doigts se serrèrent davantage sur le papier et il continua à lire.

Jusqu'à arriver à la fin, secouer la tête aussitôt et... mettre la feuille au-dessus de la flamme. Laquelle la consuma lentement, la racornant, la noircissant, effaçant ces preuves dérangeantes. Il aurait aimé que cela brûle les mots qui s'étaient ancrés dans sa mémoire, en y plantant des crochets profondément mais il eut la sensation que cela ne faisait que les imprimer encore davantage.

Il ferma les yeux, et quand il sentit la chaleur de la flamme autour de ses doigts, il chiffonna ce qui restait du mot et le jeta dans la cheminée. Plus que lignes illisibles. Impossible à décrypter. Sauf que c'était déjà trop tard : tout était inscrit au fer rouge dans ses pensées. Il entendait presque sa voix la lui lire, encore et encore.

Il y a d'abord ces mots que tu m'as dits,
J'entends encore ta voix si distinctement ;
Résonnera-t-elle en moi éternellement ?
<< Je te protégerai >> ; mais est-ce pour la vie ?


Il secoua la tête, attrapa une de ses armes au vol et sortit. Sans réfléchir à où il allait, ni pourquoi il sortait... sinon pour prendre l'air. Verser de l'eau sur les mots enflammés d'Alexandre. Apaiser les brûlures.

Par quel étrange moyen s'était-il retrouvé au milieu de cette foule qui jaillissait des portes de l'église, sortant d'il ne savait quelle messe ? Il ricana intérieurement. Oh, qu'il aurait aimé pouvoir cracher sur ce Dieu que tout le monde vénérait – et qui n'existait pourtant pas. Tous ces gens, tous ces moutons qui suivaient le mouvement... quelle idiotie !

Il allait prendre une autre route quand... là.
Une proie.

Les loups ne s'attaquaient jamais au troupeau, non, ils choisissaient une bête isolée des autres. Souvent malade, certes, mais Alduis n'était pas le même genre de loup que les autres. Quel intérêt y avait-il à attaquer quelqu'un si elle était déjà à demi-morte ?

Celle-ci avant tout semblait capable de lui changer – efficacement – les idées. Ce que même l'air glacial de la journée ne parvenait pas à faire. En quelques pas, il était devant elle, habillé tout en blanc comme à son habitude.

Il n'y avait nul besoin d'être observateur pour comprendre qu'elle était l'occupation de cette femme-ci, alors il déclara en laissant son sourire gagner ses lèvres :

- Aux origines du monde, Dieu a créé l'Homme. Puis, il a créé la femme, parce qu'il s'ennuyait, pour pouvoir se rincer l'oeil.

Sur cette même poitrine qui, à l'heure actuelle, ne lui faisait strictement rien.
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