[le 30 novembre 1597] ~ Surprise pour le génie des bois [Terminé]

Faire un… Bonhomme de neige ? Kalisha ne savait pas ce que c’était mais cela avait l’air terriblement amusant si elle en jugeait la tête d’Ysengrin. Alors forcément, elle opina vivement de la tête tout excité, sans même savoir dans quoi elle pouvait bien s’engager. Mais qu’importe, si c’était avec lui, elle irait même en enfer ! Alors faire un bonhomme de neige, c’était sûrement bien plus drôle ! Encore plus quand il lui promettait de réciter tous les poèmes qu’elle voudrait ! Elle en sautillait presque d’impatience sur sa branche tel un petit pinson.
Son enthousiasme fut rapidement revu à la baisse lorsqu’elle commença à débattre de mariage avec lui. Mais pourquoi diable avait-elle évoqué ce sujet ? C’était sorti tout seul. Parce que oui, elle l’aimait tellement que c’était parfaitement naturelle pour elle de vouloir devenir sa femme. Elle tenta de défendre sa position mais elle savait qu’elle venait de se heurter à un mur. Le mur des conventions. Le mur qu’il aurait détruit plutôt que franchi.
Elle leva timidement les yeux vers lui consciente de la difficulté à laquelle elle se heurtait. Pourtant à sa main qui venait de prendre la sienne, elle vit bien qu’ils partageaient un point de vue commun : lui non plus, ne voulait plus vivre sans elle.
Le pire c’est qu’il avait raison. Il avait raison : ils n’avaient pas besoin de cela mais pourtant elle y tenait. Elle voulait être sa femme. Elle voulait que le monde entier sache que c’était lui qu’elle aimait et personne d’autre.
Construire des échelles…

- Je ne veux pas, les surmonter, Ysengrin. Je veux les pulvériser. Pourquoi les contourner quand on peut les supprimer ? répondit-elle avec détermination

Demain était demain. Demain arriverait peut-être un jour où seule la mort pourrait les réunir. Demain serait peut-être le jour où les autorités débarqueraient pour l’emmener. Demain… Demain, elle serait toujours mariée à ce détestable mari. Demain… Demain, elle devrait peut-être le supporter contre son corps. Demain ou tout à l’heure.

Elle gratta encore plus l’écorce en serrant les dents. Jusqu’à ce qu’il lui fasse remarquer qu’elle allait finir avec des griffes de blaireau. C’était à vrai dire le cadet de ces soucis. Mais lorsqu’elle croisa son sourire et son regard, elle sut.

- Vous ne comprenez pas. Je veux que tout le monde sache, du plus petit cloporte aux plus vieux des chênes, que c’est vous que j’aime et que j’aimerai encore quand la plus jeune des pousses aura expier son dernier souffle. Je veux le graver dans le granit. Je veux vous couronner devant chacun de nos sujets et de nos amis. Je veux… Elle baissa soudainement le regard Je veux conjurer le sort. Je veux rayer ma précédente vie. Je veux oublier tout ce qu’il s’est passé. Vous pouvez penser ce que vous voulez mais moi j’ai toujours voulu me marier et j’ai toujours naïvement espéré que j’aimerai mon mari.

Jusqu’au moment fatidique où elle avait dit oui, elle avait secrètement espéré qu’elle pourrait l’aimer. Et même après, elle avait tout fait pour l’aimer et se faire aimer. En vain. Mais le pire c’est qu’elle n’avait baissé les bras qu’en le rencontrant lui. Dans le cas contraire, serait-elle toujours en train d’essayer de lui plaire ? Cette simple idée la dégoutait. Elle lui avait dit qu’il l’avait ressuscité et c’était on ne peut plus vrai : elle ne reconnaissait plus celle qu’elle avait été avant. Pourtant, tout cela n’avait que peu d’importance puisqu’elle était belle bien mariée à lui et à moins d’un accident ou de l’aide providentielle d’Hyriel, elle le resterait, car le fait était qu’elle ne parvenait pas à se résoudre à y mettre un terme.

Pour lui changer les idées, il se décida à lui présenter un escargot : étrange petite créature qui l’amusa plus qu’il ne l’effraya. Ce qu’elle ne put s’empêcher de lui faire remarquer non sans une certaine fierté mêlée de taquinerie. Si c’était un défi ? Oui ça en avait tout l’air et son sourire s’étira suffisant son regard pétillant.

- Je n’en ai jamais vu non ! Il parait qu’elles sucent le sang… Est-ce vrai ? Mais j’ai déjà vu des cerfs, des faisans et des lièvres…

Sur la table du diner ou sur le dos d’un cheval au retour d’une chasse, la langue pendante et les yeux vitreux. Elle se garda cependant de lui faire part des détails car il devait certainement avoir compri où elle voulait en venir. Non les lévriers de son mari ne servaient pas qu’à porter de jolies colliers damassés. Pas plus que sa meute de limiers importée de France. Pour couper court à toute réparti de sa part, elle se jeta sans préavis dans ses bras. Oui c’était complètement fou et terriblement dangereux. Mais cela n’avait d’égale que la confiance qu’elle avait en lui. D’ailleurs malgré la surprise, il réceptionna sans peine avant de rire.

- Je voulais juste vous faire cogiter un peu mon beau roi. Vos bras se suffisent à eux-mêmes.

A son tour, elle passa ses bras autour de lui et le serra fort contre elle avant de l’embrasser passionnément. Oui, ils étaient fous et c’était bien cela qui était si merveilleux. Ce fut alors qu’en levant les yeux, elle remarqua non loin un bouquet de gui. Délicatement, elle se leva en équilibre sur la branche et la traversa en funambule pour en cueillir quelques branches avant de revenir s’asseoir à côté de lui, non s’en s’être rattrapé de justesse suite à un coup de vent. Elle tressa les branches en couronne et la déposa sur la tête de son Roi.

- Il y a comme un petit air de maison désormais, vous ne trouvez pas ? demanda-t-elle en souriant

Il y avait ces barrières, entre eux. Ces conventions qui les empêchaient, même en haut des arbres, d'être totalement libres. C'était pour cela qu'il habitait dans la forêt. Parce qu'elle était à ce jour l'un des seuls endroits qui avaient échappé aux lois de la société et où la liberté restait intacte.

Pulvériser toutes ces murailles qui les séparaient... Cela semblait si merveilleux, et à la fois si impossible. Comment auraient-ils dû les détruire ? Quand bien même ils y parviendraient... elle serait toujours mariée avec Prosper de Monthoux. Et toutes les pensées sur le mariage du monde n'y changerait rien.

Oh, bien sûr, il mourrait un jour. Et ce jour-là, une barrière tomberait. Mais dans combien de temps cela arriverait-il ? Et lui, ne serait-il pas mort avant ? Il n'avait aucun moyen de savoir comment les choses se passeraient. C'était pour cela, parce qu'il ne savait pas quand serait son dernier jour, qu'il fallait vivre chaque jour pleinement. Sans penser au lendemain.

A l'instant, ils se situaient – ensemble – en haut d'un tilleul. Ils étaient heureux. Ils ne devaient pas penser au reste avant de remettre les pieds sur terre. Avoir la tête dans les nuages, littéralement, avait ses avantages. Mais avant d'en profiter totalement, il fallait terminer cette conversation.

Il ne la comprenait pas, elle avait raison. C'était peut-être la première fois, qu'ils ne se comprenaient pas, à bien y penser. Ils n'avaient pas besoin de l'autorisation de quiconque pour s'aimer. Voilà ce qu'il croyait. Qu'ils n'en avaient pas besoin. Mais elle semblait trouver cela tellement important... Elle apparaissait tellement fragile, tout à coup. Le poids de sa vie transparaissait soudainement, pesant sur ses jeunes épaules.

Non, il ne croyait pas au mariage.

Mais Kalisha, elle, semblait y croire pour deux. Et il lui faisait confiance. Il la serra dans ses bras quelques secondes, puis déclara enfin, tout simplement, à mi-voix :

- D'accord. D'accord, je vous crois.

Il n'y avait pas besoin de plus. Il le ferait, si elle le lui demandait. Il le ferait, si cela était si important pour elle. Il recula finalement, et revint quelques secondes plus tard. L'escargot ne lui fit pas peur, mais il en serait certainement autrement quand elle croiserait quelques chauves-souris. Il lui adressa un sourire équivoque, sans lui répondre. Elle aurait bien la surprise ! Et elle aurait tout le loisir de se jeter dans ses bras si elle le souhaitait, alors.

Bien sûr, elle avait déjà vu les cerfs, les faisans et les lièvres. Elle n'avait pas besoin d'en dire plus pour qu'il comprenne les sous-entendus. Ce château en était truffé, oui, et il les avait vus – même si maintenant, il les évitait le plus possible. Des têtes par ici, des plumes par là... Une présence qui flottait dans la pièce, qui s'évanouissait dès qu'on cherchait à la voir. Des yeux vides. Un corps figé. Il baissa les yeux.

Kalisha vint à point nommé se jeter contre lui pour le tirer de ces sombres pensées. Elle le serra fort, et il en fit de même. Et quand elle l'embrasser avec cette passion sous-jacente, il ferma les yeux et oublia ces pauvres bêtes méprisées, aux corps profanés. Kalisha se leva alors doucement et traversa la branche, sans peur du vide, pas après pas pour aller cueillir un bouquet de gui. Il la contempla, en équilibre, ses cheveux soulevés par la brise, sa silhouette élancée, et même avec toute sa volonté, il n'aurait pu détourné les yeux. Elle était si belle, là, debout au dessus du vide comme un ange.

Elle revint à son côté et là, tressa sa récolte, jusqu'à en former une couronne. Qu'elle posa sur sa tête.

- Il y a comme un petit air de maison désormais, vous ne trouvez pas ?

Il lui rendit son sourire. La prit de nouveau dans ses bras pour l'embrasser.

- Seulement parce que vous êtes là, répondit-il à quelques millimètres de ses lèvres.