[19 Décembre 1597] Visite de la ville mouvementée [Terminé]

À la mention des champs de bataille, Lavinia trouva en ce sujet un moyen de discuter en dissipant son malaise.

— Sur les champs de bataille ? Vous êtes un valeureux guerrier dans votre pays ? Vous devez être coursé par un bon nombre de demoiselle ?

Pourquoi avait-elle prononcé cette dernière phrase ? Qu'allait-il penser, qu'elle se renseignait sur sa situation ? En même temps, n'est-ce pas ce qu'elle était en train de faire ?

Lavinia accepta l'aide d'Irène et lorsqu'elle fut présentable vint se poster devant Eldred. À quelques centimètres de lui, mains sur les hanches, le regard sévère.

— Madame Irène, pouvez-vous m'indiquer où est cette fameuse glace s'il vous plaît ? Je crois que ce monsieur prends à la légère nos inquiétudes !

Lavinia contourna le jeune homme resté interdit pour se hisser sur la pointe des pieds afin de pouvoir juger par elle même de la gravité de la chose.

— Mais laissez vous faire voyons ! rouspéta-t-elle comme lorsque l'on grondait un enfant.

Lavinia repoussa la main du jeune homme qui tentait de lui interdire l'accès au sommet de sa tête à l'aide d'une tape avec le dos de sa main.

— Si vous ne tenez pas en place, la petite brindille que je suis trouvera un moyen de vous immobiliser afin de vous soigner correctement !

Irène entendait bien les arguments d'Eldred et en effet, en définitive, ce n'était pas grand-chose. Cependant, la riche dame ne semblait pas prête à en démordre. Elle se garda bien d'hausser un sourcil au commentaire de la dame sur les demoiselles mais n'en demeura pas moins intriguée. Cependant, elle ne dit rien. Elle était bien placé pour savoir que qu'il ne fallait pas s'en mêler. Elle en voyait passer souvent de drôles d'histoires mais ce n'était pas à elle de les régler. Même si, honnêtement, elle les trouvait plutôt adorables tous les deux.

Elle préféra aller aider Lavinia, puisque le grand guerrier assurait que tout allait bien, puis lui sourit quand le corset fut noué.

- Et voilà, vous serez plus à l'aise comme ça !

Elle se mordit ensuite la lèvre devant son air sévère mais reprit bien vite son sérieux.

- Bien sûr, elle est juste là.

Elle croisa un peu les bras, l'air amusé.

- C'est un homme, que voulez-vous... Toujours à nous prendre à la légère...

Ce n'était pas très gentil et cela mettrait sans doute Eldred mal à l'aise mais elle ne put s'en empêcher... Pour une fois qu'elle pouvait s'amuser un peu !

Eldred faillit s’étouffer en entendant son commentaire sur les champs de bataille et les demoiselles. Oui, on pouvait dire qu’il avait été coursé enfin bon… C’était le passé désormais.

- Dans une autre vie, oui, c’était le cas en effet répondit-il sans vraiment préciser à quelle question il répondait.

Il laissa Irène se charger du corset afin d’éviter une maladresse supplémentaire. Il pensait être débarrassé de son infirmière improvisée -d’ailleurs il n’avait plus mal-, mais que nenni, elle s’entêta aussitôt rhabillée à demander de la glace à Irène. Eldred soupira imperceptiblement.

- Je vais bien, je vous assure !

Mais elle renchérissait en lui tapant la main pour libérer l’accès à sa tête. Il bougonna, mais se laissa finalement faire, penchant légèrement la tête pour se mettre à sa hauteur. Et voilà qu’Irène renchérissait sur son compte ! Il fit la moue puis afficha un sourire en coin avant de déclarer taquin :

- Mais c’est le cas ! Vous êtes bien plus légère, je vous soulèverai sans problème, que voulez-vous !

Il avait bien du mal à contenir un petit rire qui s’immisçait lentement mais surement.

- Quand vous aurez fini de me sauver la vie, je ferai appeler une voiture pour vous ramener chez vous, d’accord ? annonça-t-il à la jeune femme.

La réponse d'Eldred fut laconique et très évasive. Lavinia déglutit, pourquoi avoir abordé le sujet, il était évident que part son physique le jeune homme avait un jour ou l'autre combattu. Et, il était plus que certains que nombre de femme avaient croisées sa route, c'est ce qu'on lui avait rapporté à de nombreuses reprises… Les soldats durant les combats se reposent alcool à la main, armes à la hanche et femmes sur les genoux.
Les épaules de Lavinia s'affaissèrent l'espace d'un instant. Elle, elle n'était qu'une pauvre noble exilée qui tirait son savoir des livres et des commérages lors de ses rares déplacements.

Elle laissa ses réflexions négatives de côté et se concentra sur l'instant présent. À force d'insistance, elle réussit à mater le grand guerrier qui s'inclina devant elle en bougonnant.

— Ne faites pas la tête ainsi ! Vous allez friper votre joli minois de manière prématurée. Cela serait fort dommage …

Lavinia se prenait au jeu à taquiner le zakrotien de la sorte. Elle ne s'était pas amusée depuis un moment. Elle ne s'était pas laissée aller à être elle-même depuis des années.
Alors c'est tout naturellement que lorsque Eldred fit la moue, elle lui planta son doigt dans la joue comme elle le faisait avec ses frères.

— Je pensais avoir un intrépide guerrier face à moi et non un enfant boudeur !

Le sourire en coin qui barra le visage du jeune homme la déstabilisa lorsqu'il rebondit à la boutade d'Irène

— Mais c’est le cas ! Vous êtes bien plus légère, je vous soulèverai sans problème, que voulez-vous !

— Je demande à voir mon cher Monsieur ! Car pour me soulever il faudra déjà m'attraper et sans mes souliers je ne crains que la tâche vous soit ardue. À moins bien sûre que je me laisse attraper, vous n'aurez aucune chance.

Mais, la bulle dans laquelle se trouvait Lavinia depuis la rencontre fortuite avec Eldred ne pouvait pas durer éternellement. Elle se fit rattraper par la dure réalité, et sa jovialité se fut plus modérée.

— Quand vous aurez fini de me sauver la vie, je ferai appeler une voiture pour vous ramener chez vous, d’accord ?

— Veuillez m'excuser, je vous fais perdre votre temps, alors que vous avez bien mieux à faire ailleurs. Je suis confuse, vous avez vos obligations et moi …

Elle s'écarta brusquement du jeune homme et alla rejoindre Irène pour la remercier de nouveau et lui régler ce qu'elle lui devait, plus un supplément pour le désagrément. Elle remit ses affaires en ordre, et passa rapidement devant Eldred pour se diriger vers la sortie.

— Ne vous dérangez pas plus pour moi. J'ai une voiture qui m'attend. Pouvez-vous juste m'indiquer la route pour rejoindre la petite place à présent désertée ? Vous savez, il y avait une boulangerie et une ancienne cordonnerie ?

Eldred inclina la tête lorsqu’il constata son léger malaise. Etait-ce par rapport aux femmes ? Ou par rapport aux champs de bataille ? Peut-être avait-elle perdu des proches à Zakros… Après tout cela avait été une telle boucherie que cela n’aurait rien d’étonnant…

Il eut beau tenter d’échapper aux soins, rien n’y fit. Ce que les femmes pouvaient être têtues parfois ! Il esquissa une grimace moqueuse à ses taquineries et ne récolta qu’un index planté dans sa joue.

- Les guerriers peuvent aussi bouder !

Oh ça oui, il pouvait bouder et se vexer ! Même si concrètement, c’était rarement pour bien longtemps avec Eldred, il pouvait dans certaines circonstances se montrer rancunier et même revanchard. Comme elle ne manquait pas de le provoquer, il plaça ses mains autour de sa taille et la souleva sur quelques pas pour la déposer un peu plus loin.

-Vous voyez, une vraie brindille !

Constatant qu’elle était de nouveau vêtue d’une manière nettement plus convenable, il lui proposa de faire mander une voiture pour la ramener. Il la regarda, étonné de la voir s’excuser pour cette proposition qui lui semblait pourtant aussi logique que naturelle. Il cligna légèrement des yeux  alors qu’elle se rendait auprès d’Irène pour régler la note.

- Je vous raccompagne jusqu’à votre voiture et ce n’est pas négociable. Ce n’est qu’à quelques minutes d’ici.

Il salua chaleureusement Irène et ouvrit la porte à la demoiselle pour la raccompagner.

Irène ne pensait pas qu'elle s'amuserait autant. En réalité, ils formaient un joli couple tous les deux. Elle pencha la tête avec un petit sourire puis les laissa faire. Elle secoua ensuite la tête, surtout pour leur concours de poids. Vraiment...

Cependant, Eldred les rappela toutes deux à l'ordre. Irène se replaça sagement derrière son comptoir puis encaissa. Elle sourit à Lavinia quand elle ajouta un supplément.

- C'est très gentil à vous. Rentrez bien !

Constatant qu'ils ne firent de toute façon bientôt plus attention à elle, elle les salua puis les laissa aller.

- Au revoir et passez une bonne après-midi.

Elle retourna à ses autres clientes, avec un simple petit soupir. Elle aussi avait connu cela... Malheureusement, c'était bel et bien fini et elle doutait de retrouver cette sensation. Cependant, elle se recomposa bien vite une figure avenante et se rendit auprès d'une dame qui entrait. La vie devait continuer.