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[23 décembre 1597] - Comme au bon vieux temps [Terminé]

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Message par Alduis de Fromart Jeu 24 Déc - 12:19

Ils marchaient côte à côte, et les pas cadencés d'Alduis résonnaient sur les dalles de pierre. Rien n'aurait su troubler sa foulée régulière tant elle semblait naturelle. Sauf ce qui vint alors.

- Comment est-ce… de tomber amoureux ?

Alduis se figea. Il s'arrêta en plein milieu de son pas et, lentement, pivota sur ses talons pour observer Lavinia avec un regard surpris. Ou bien, plus justement, complètement ahuri. Avait-il bien entendu ? Avait-il bien compris ? Avait-elle bien dit... ce qu'elle avait dit ? Il avait presque envie de se pincer pour vérifier qu'il n'était pas en train de dormir ou de rêver, s'il n'avait pas été sûr et certain que ce n'était pas le cas.

Alduis la regardait, sans parvenir à se reprendre : il avait toujours le pied suspendu dans le vide et essayait désespérément de décoder un éventuel sens caché qu'il n'avait pas saisi. Elle ne pouvait pas lui demander cela ! Il n'en savait rien, lui, ce que ça voulait dire, alors comment aurait-il su lui répondre ?

Mais si. Elle avait posé la question. Il devait se rendre à l'évidence. Et elle attendait qu'il réponde, à la manière dont elle poursuivit :

- Je… ne suis pas sûre que…

Alduis posa enfin le pied au sol, en cherchant quelque chose aux alentours qui auraient pu l'aider mais... il n'y avait rien. En désespoir de cause, il se décida à la regarder de nouveau — mais pas dans les yeux, il y avait trop d'espoir et d'attente pour qu'il y parvienne — et se râcla la gorge :

— Euh… Je… Je vais répondre…

Pourquoi disait-il cela ? De quoi avait-il l'air ? Mais il cherchait désespérément un moyen de gagner du temps. Il passa sa main gauche dans ses cheveux et se lança, un peu comme il aurait subitement décidé de plonger.

— Je ne suis pas très sûr de savoir, moi non plus. Enfin, pas vraiment mais… mais c’est étrange.

Affreusement étrange. Merveilleusement étrange. Il ne s’encombra plus des bonnes manières et laissa sitôt tomber le vouvoiement.

— Tu sais, c’est un peu comme si… quelqu’un venait mélanger tes intestins dans ton ventre. C’est étrange, mais c’est pas désagréable. Pas totalement. On t’arrache tous tes repères, on t’écrabouille la cage thoracique mais une fois que c’est fait, tu n’as plus envie de revenir à ta vie comme elle était avant. Et tu… tu es même heureux… que ce soit arrivé.

Il fit une pause, très courte, et enchaîna - tout en se remémorant simultanément ce que lui avait dit son ami sur le sujet :

— Quand j’ai demandé à Eldred ce que c’était, il m’a dit que c’était comme un brasier dans ton âme, que tu ne pouvais plus te passer de voir la personne que tu aimes et que tu avais sans cesse envie de la toucher. Il a dit aussi que l’amour rendait fort… Ce point-là ne m’a toujours pas totalement convaincu mais… c’est peut-être mieux de présenter les choses ainsi. Je crois.

Quant au reste… On pouvait toujours faire pire. Combien de fois avait-il pensé qu’il avait enfin touché le fond ? et combien de fois, malgré cela, le sol s’était-il encore dérobé sous ses pieds pour le faire tomber encore plus bas ? Il se retint de justesse d’ouvrir la bouche pour lui faire remarquer que son père, par exemple, aurait pu mourir ou tomber gravement malade. Il n’était pas persuadé que cela l’aiderait à relativiser. Alors il se contenta d’hocher la tête, sans rien répondre.

Ce n’était peut-être pas elle qui risquerait le plus gros, dans cette histoire, elle avait raison. Mais les risques qui pesaient sur la tête d’Eldred, c’était au Zakrotien lui-même de décider s’il en valait la peine ou pas. Comme c’était à lui de choisir s’il lui parlerait de Byrnja. Personne ne pouvait choisir à sa place.

Mais au fond, comme lutter ne servait à rien - l’amour était ainsi : des asticots qui s’inflitraient partout et qui trouaient le coeur comme on troue du fromage - autant céder maintenant à la tentation.

- Vous parlez en connaissance de cause, n’est-ce pas ?

Il hocha la tête. Cela faisait précisément neuf ans qu’il essayait, désespérément, d’effacer tout désir en lui. Sans aucun succès. Il suffisait d’un regard un peu plus appuyé que les autres pour réveiller le feu de ses entrailles.

— J’ai essayé. Je promets que j’ai essayé de changer. Mais c’est ce n’est pas ainsi que ça fonctionne, répondit-il en haussant les épaules, alors je dirai que… autant pour lui que pour vous… il est inutile de vous torturer pour cela. Puisque de toute manière, vous ne pourrez rien y faire.

Il avait retrouvé le vouvoiement, sans y prendre plus garde que la première fois. La suite le laissa quelques instants indécis. Il finit par hausser les épaules et répondre en secouant la tête :

— Non. Je ne suis qu’un militaire, et je ne suis bon qu’à cela. Je ne sais pas parler.

Et il ajouta aussitôt, sans faire de pause :

— Mon avis sur la question, c’est que vous pouvez bien aimer qui vous voulez, ce n’est pas moi qui viendrait vous le reprocher.

Il ne reprochait rien à personne… tant qu’on le laissait aimer qui il voulait, lui aussi.
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Message par Lavinia de Kergemont Ven 25 Déc - 9:11

À peine la question posée qu'Alduis se stoppa net. Avait-elle fait une erreur en lui avouant si franchement que même si elle avait pris mari, elle n'avait jamais été amoureuse et ressenti ce désir charnel dont tout le monde parle ? Il s'était retourné à présent avec cette expression ahurie sur le visage. Lavinia tenta de cafouiller quelques mots et contre toutes attentes le jeune homme lui répondit. Il hésita.
Sa première explication, certes originale et très imagée, fit réflexion la jeune femme.

Alors si je suis aussi... confuse et.. je ne suis pas vraiment malade au final.

Lavinia avait prévu de consulter un médecin de peur d'avoir contracté une quelconque maladie ou pis celle de son époux, mais il était évident en vue de ce que lui dépeignait Alduis que l'origine de son trouble était tout autre.
À la mention d'Eldred, son cœur s'emballa. Un brasier, sans cesse envie … C'était tellement beau…

Cela rend fort ? J'ai toujours été faible...je ne vois pas comment quelques chose peut me rendre forte.

Elle regretta aussitôt ses paroles. Avouer ainsi ses faiblesses devant un presque inconnu n'était pas l'idée du siècle. Lavinia baissa la tête quelques instants en priant pour que l'information ne soit pas utilisée à mauvais escient.

La suite de la conversation lui permit de se redonner un peu de constance. Elle fut déçue qu'Alduis rejette ainsi son compliment qui plus est était tout à fait vrai.

Vous vous fourvoyer mon cher Alduis. Quand je vous regarde et vous écoute, je vois bien plus qu'un simple militaire comme il vous plaît à dire.

Elle ne put se retenir de lui offrir un sourire franc et sincère, en espérant que le jeune homme ne le prenne pas mal.
Elle ne su pourquoi le fait qu'Alduis lui donne un semblant d'approbation la libéra. Est-ce car il était un ami proche d'Eldred ? Un noble comme elle, proche d'être lié de force comme elle l'avait été ? Il y avait quelque chose chez ce jeune homme qui faisait écho en elle.


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Message par Alduis de Fromart Ven 25 Déc - 16:49

Être confus, c’était une sensation que Alduis connaissait. Combien de fois s’était-il rendu malade, sans qu’il n’y ait rien d’autre en cause qu’une trop grande angoisse ? Il savait qu’il n’aurait pas dû aimer les soldats, mais il les aimait quand même. Au même titre que Lavinia avait conscience qu’elle n’aurait pas dû penser à Eldred, un esclave zakrotien, mais elle ne pouvait s’empêcher. Alduis lui adressa un sourire, de ce sourire qui signifiait : Vous et moi, nous sommes embarqués dans le même bateau.

Mais elle aussi, elle ne comprenait pas exactement par quel processus l’amour pouvait bien rendre fort. Alduis ne parvenait pas totalement à voir cela autrement que comme une faiblesse. Pourtant, ces derniers, il sentait sa vision se modifier. Était-ce dû à sa rencontre avec Eldred ? avec Alexandre ? ou même… Éléonore ? Il n’en savait rien.

Il haussa les épaules à l’intention de la jeune femme :

— Je ne suis pas convaincu moi non plus, que ça rende si fort que ça, mais c’est Eldred qui l’a dit. Vous n’aurez qu’à lui poser la question : il répondra mieux que moi.

Et lui aussi, lui poserait la question d’ailleurs. Pour savoir que répondre, si quelqu’un se prenait de nouveau de l’idée saugrenue de lui demandait ce qu’était exactement l’amour.

Quant aux faiblesses des gens… Alduis ne les jugeait pas. Lui-même en était bourré et plus le temps passait, plus il avait du mal à les cacher. Comme s’il avait enterré des graines : lentement, elles se métamorphosaient en arbres.

Le nouveau compliment de Lavinia le surprit. On lui avait rarement dit cela. Il baissa les yeux, mal à l’aise, et se râcla la gorge pour essayer de trouver quelque chose à dire. Finalement, il déclara :

— Je… j’imagine que je dois vous remercier… alors merci.

Il hocha la tête, comme pour lui-même, se gratta le bras avant d’annoncer de but en blanc :

— Je vous souhaite une bonne journée, Lavinia. Je suppose que nous serons amenés à nous revoir.

Et peut-être plus tôt que prévu.

Il hésita quelques secondes, puis prit son courage à deux mains pour poser - à peine plus d’une seconde - sa main sur son épaule et de la presser, en guise de soutien, de ce geste qui soufflait qu'il comprenait ce qu'elle traversait. Sans doute mieux qu'elle ne pensait, d'ailleurs. Puis, il tourna les talons et la quitta.
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