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[13 Janvier 1598] - Interprète pour coeurs aveugles [Terminé]

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Message par Coldris de Fromart Mar 16 Mar - 21:19




Léonilde, 61 ans

Finalement, le vicomte avait décidé de hâter le retour vers Cervigny, même ce séjour dans son pavillon de chasse n’était pas parvenu à chasser sa morosité. C’était bien simple, depuis qu’il s’était réveillé le neuf enfin de journée, il n’avait que peu parlé et il aurait fallu être bien aveugle pour ne pas remarquer ce voile qui assombrissait son regard et toute son âme. C’était comme une immense chape ténébreuse qui s’était abattue sur lui et qu’il trainait partout avec lui. Il mangeait sans le moindre appétit, se contentant de couper chaque aliment le plus petit possible comme l’aurait fait un enfant dans l’espoir de gagner du temps. Pire que tout : il n’avait pas non plus goût au travail, ce qui était incroyablement rare pour être signalé. Et pour cause : Léonilde se souvenait parfaitement du deuil de Mademoiselle Aurélia, s’il avait eu cet instant de flottement où il n’avait rien su faire durant plusieurs semaines, - l’obligeant à invoquer une tuberculose pour sauver les apparences- , il s’était ensuite littéralement noyé dedans et n’avait vécu que pour cela.

Pourtant ces derniers jours n’étaient en rien un deuil : il avait bien vu ces gestes pleins de tendresse qu’elle avait eus à son égard alors qu’il s’était assoupi. Et le valet avait plus d’une fois hésité à tout avouer à son maitre. Il n’avait cependant pu se résigner à violer ce qui était tout comme un secret qu’il avait surpris. Comment pouvait-il s’obstiner à se dire qu’elle ne voudrait plus le revoir ? Et pourquoi ne faisait-il rien ? Enfin cela ne lui ressemblait guère. Oh il changerait sans doute son mousquet d’épaule, une fois ses idées éclaircies, mais pour l’heure ses rares suggestions s’étaient toutes perdues dans les limbes. Coldris de Fromart semblait bien décidé à garder ses œillères et rien ne semblait parvenir à les lui retirer.

L’ennui, c’était que Léonilde craignait que la jeune femme ne prenne son silence pour un adieu, car c’était bien le mot qu’il avait surpris ce soir-là entre d’autres. Le pire aurait été qu’elle rentre à Tianidre immédiatement ! Quel gâchis cela aurait été ! Il n’aimait pas se mêler de ce qui ne le regardait pas, mais  après mure réflexion, il décida qu’entre l’abattement évident du vicomte et les paroles de la jeune femme, tout ceci n’était qu’un vilain malentendu qu’il fallait lever de toute urgence avant qu’il ne soit trop tard. Puisque le principal intéressé niait toujours idiotement l’évidente vérité, il allait s’en charger.

Il fallait qu’elle sache, qu’elle sache au moins dans quel tourment il était plongé depuis cette malheureuse représentation théâtrale. Il se devait de lui donner les informations nécessaires et si… Et si elle ne voulait toujours pas eh bien il aurait au moins la conscience tranquille.

Il profita de l’absence de Coldris pour se rendre à l’hôtel des Tianidre, en cette fin d’après-midi. Il frappa trois coups au heurtoir et se présenta :

— Léonilde Gramont, je viens porter un message à Mademoiselle de Tianidre et comme on lui proposait de le prendre il ajouta tout professionnellement je suis navré, mais cela est exclu, il doit être remis en main propre.

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Message par Éléonore de Fromart Mer 17 Mar - 11:08

Un message pour Mademoiselle. Gilbert acquiesça, et proposa tout naturellement de le transmettre. Ce qui n'était pas envisageable. Soit. Lui à qui rien dans cette demeure n'échappait depuis plus de trente ans se trouvait fort dépourvu depuis l'arrivée de cette petite. 

Une enfant de secret, c'était prévu depuis sa naissance. Gilbert se souvenait encore de ce jour où son cher demi-frère était venu jeter son plus beau service par terre pour évacuer sa frustration... Cette petite-là ne cassait pas de vaisselle, en général... Mais c'était qu'il craignait qu'elle ne lui détruise ses boiseries avec sa fichue dague. Et ce n'était pas cette Eltinne qui savait y remédier... Non : elle ne savait faire qu'empieter sur son terrain, comme si c'était elle qui avait entretenu la mémoire de ces lieux... Elle avait même osé suggérer le renvoi de Jean, cette vipère ! Ah, si elle se doutait de ce qui pouvait bien se tramer dans leur dos... 

Il conduisit le visiteur vers un salon après avoir commandé qu'on appelle Mademoiselle Éléonore. Il n'en fit pas la remarque, mais il doutait qu'il ait le temps d'attendre. Enfin... La jeune femme était encore dans un état acceptable, aujourd'hui. Elle ne traînerait peut être que quelques heures et non jusqu'à la semaine suivante...

oOo

Éléonore se figea lorsqu'elle reconnut la silhouette qui se dirigeait vers la porte. Elle bloqua subitement la dague qu'elle faisait tourner entre ses mains. 

Son cœur se figea. Léonilde... Que faisait-il ici ? Et si Coldris avait appris son passage à Fromart et qu'il lui faisait dire qu'il était hors de question qu'elle y remette les pieds ? Et si... Et si... Et si... La possibilité la moins négative qu'elle put envisager était que Bérénice l'avait envoyé pour l'avertir du retour de... Mais s'il était revenu... Elle savait bien qu'il ne voulait plus d'elle. L'idéalisme de sa fille avait déserté Éléonore dès son départ. C'était à peine si elle avait accepté de sortir de son lit ce matin... De toute façon, elle ne servait à rien. Rien du tout. Alors autant que ce fut dans sa chambre, là où elle ne dérangeait personne. 

On ne manqua pas de venir la prévenir. Un message. En mains propres. Elle acquiesça, et s'efforça de ne pas se précipiter : s'il y avait la moindre chance pour que Coldris veuille encore d'elle, il était hors de question d'attirer les soupçons. Et si on venait lui annoncer le contraire... Eh bien alors tant pis. Elle s'efforcerait seulement d'attendre le départ de Léonilde pour s'écrouler. Pour ne pas que cela remonte aux oreilles d'une certaine personne. Parce qu'il était impensable de descendre plus bas encore dans son estime s'il n'y avait aucune chance... 

En descendant vers le salon où ils avaient fait attendre Léonilde, la jeune femme se demanda si, au fond, il n'était pas préférable qu'il détruise immédiatement tous ses faux espoirs. Si on lui faisait clairement comprendre qu'elle n'était pas la bienvenue, elle ne serait plus obligée de se confronter au vicomte. Et elle n'aurait pas besoin de croiser son regard méprisant si elle ne parvenait pas à canaliser son mal être... Lâche, beaucoup trop lâche. Comment une femme comme elle avait-elle put éveiller ne fût-ce qu'un soupçon d'intérêt chez lui ? Comment avait-il pu se confier ainsi à elle, si indigne de sa confiance ? Il devait se sentir trahi. Trahi qu'elle l'ait laissé croire qu'elle méritait même un rien de son attention. Le mépris viendrait de là. Elle avait bien réfléchi à ce qui pouvait bien le miner, et l'une des seules hypothèses plausibles était qu'il était en colère contre elle. Ou contre lui pour avoir dérapé... à cause d'elle. 

Enfin... Après avoir croisé le regard surpris de Gilbert, elle entra dans la pièce où la réponse l'attendait. 

— Se porte-t-il mieux ? questionna-t-elle à peine la porte refermée. Que se passe-t-il ?
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Message par Coldris de Fromart Mer 17 Mar - 13:07




Léonilde, 61 ans

On le conduisit dans un salon afin de le faire patienter. Par habitude, il avait sur le chemin observé les lieux afin de déceler les éventuelles personnes présentes. Enfin, il y en avait surtout une qui l’intéressait et que le vicomte avait identifiée comme son cerbère. Il ne la vit pas, mais resta sur ses gardes tout de même : il n’avait pas franchement envie de se faire mordre. Léonilde s’installa donc docilement dans un fauteuil en attendant la venue de la demoiselle de Tianidre qui ne se fit guère attendre. Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvrit et se referma aussitôt sur la jeune femme…visiblement impatience au point d’en oublier la plus élémentaire des politesses. Loin de s’en offusquer, un discret sourire s’étira sur son visage sérieux : c’était de bon augure pour la suite !

— Bonsoir Mademoiselle, je vous remercie d’avoir accepté de me recevoir répondit-il protocolairement, car lui ne pouvait se passer de se plier aux bons usages aussi facilement.

— Pouvons-nous parler librement ? demanda-t-il à mi-voix alors qu’elle prenait place à ses côtés.

Puisqu’il en reçut la validation, il passa aux réponses tant attendues par la demoiselle.

— Il s’est réveillé le lendemain en fin de journée, comme je vous l’avais prédit. Quant à savoir s’il se porte mieux, j’imagine que tout dépend de votre point de comparaison. Il se porte nettement mieux que lorsque vous l’avez quitté, mais nettement moins bien qu’il ne l’était avant tout cela.

Il leva des yeux quasi implorants avant de reprendre

— Cela ne me regarde pas, mais… Vous devriez aller lui parler, Mademoiselle Éléonore. Il pense que tout est terminé et que vous ne voulez plus voir, or je vois bien à votre empressement à demander des nouvelles que ce n’est guère le cas.

Il passa sous silence le profond délabrement spirituel qui agitait le vicomte ces derniers jours. Il n’était pas question de l’inquiétait davantage, il voulait simplement transmettre le message et espérait qu’elle entende raison et soit peut-être même rassurée.

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Message par Éléonore de Fromart Mer 17 Mar - 14:11

Les préoccupations si urgentes d’Eléonore furent coupées par ce rappel aux bonnes manières qui lui fit baisser les yeux un instant. Sotte qu’elle était. Incapable de se conduire correctement sans qu’on ne soit là pour le lui rappeler… Elle faisait un effort, pourtant ! Mais là… Là, l’émotion l’avait emporté.

— Oui, pardon, bonsoir, se rattrapa-t-elle. Et c’est tout naturel.

Naturel même pour celle qui avait pris le pli de crier “non” quand on cognait à la porte de sa chambre, et qui refusait de répondre si on ouvrait tout de même. Mais cela n’avait rien à voir : là, il s’agissait quelque chose d’important, pas de savoir ce qu’Eltinne avait inventé pour essayer de la faire sortir.

Et parlant d’Eltinne et de sortie… Pour une fois, elle avait bien choisi son moment pour s’absenter. Sinon, elle serait déjà passée pour lui interdire de discuter. Quant aux autres… Elle était trop lasse pour être aussi prudente que d’habitude. Alors, puisqu’elle n’avait croisé personne d’autre que Gilbert, tant que Léonilde ne criait pas, ce devrait aller. Elle acquiesça, et prit place dans un fauteuil pour éviter de s’agiter.

— Alors ? insista-t-elle, pour le moins inquiète après les révélations de Bérénice.

Mieux que quand elle l’avait quitté… L’inverse eut été très effrayant… Mais elle avait aggravé son état ! Elle mordit dans sa joue meurtrie pour ne pas éclater en sanglot. Il se portait mal, et c’était de sa faute. Bérénice l’avait prévenue, pourtant… Comment espérer que cela ait pu changer…

— Je suis désolée... murmura-t-elle.

C’était bien beau d’être désolée… Mais elle n’avait vraiment pas fait exprès de le blesser. Elle ne voulait vraiment pas… Et elle ne savait même pas ce qu’elle avait pu faire concrètement pour le blesser… A part être elle : stupide, inutile, incapable de faire quoi que ce fut correctement…

Elle, ne plus vouloir le voir ? Elle fronça les sourcils. Certainement pas mais… Mais que cela pouvait-il lui faire ? Il ne pouvait pas être affecté par un tel détail, c’était absurde. Pourquoi ? Elle repensa aux propos de Bérénice… L’éventualité qu’il ait vraiment pu s’attacher à elle… Non, c’était ridicule. Enfin, ce qu’elle pensait était insensé… Il n’y avait rien, rien du tout…

— Je m’inquiète, c’est tout, s’empressa-t-elle de préciser. Il était hors de question qu’il aille se figurer qu’il puisse y avoir autre chose, puis qu’il en parle à Coldris, puis que ça anéantisse toute chance de pouvoir le revoir… Car ce qu’il disait laissait entendre qu’il ne lui en voulait pas trop, non ? J’ai parlé avec sa fille, qui m’a laissé entendre qu’il… n’allait pas bien. Errer comme une âme en peine, avait-elle dit. Par sa faute. Elle ne savait faire que du mal, manifestement. Il… Accepterait de me parler, vous pensez ? J’ai promis à Bérénice que j’essayerais mais s’il refuse de me recevoir… Pas que cela m’affecte, seulement… Je n’ai pas envie de faire le trajet pour rien, vous comprenez ?
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Message par Coldris de Fromart Jeu 18 Mar - 12:29




Léonilde, 61 ans

La jeune demoiselle s’excusa de son impolitesse ce qui fit sourire Léonilde, tandis que ses mains s’agitaient légèrement.

— Ce n’est rien, allons, ne vous excusez pas

En fait, c’était même plutôt mignon cette omission de politesse élémentaire engendrée par cette hâte qui trahissait son attachement. Le valet lui fit part des derniers évènements concernant le vicomte. Il était sincèrement désolé de l’effet évident que ses mots eurent sur elle, seulement voilà, enrober la vérité d’un beau ruban n’aiderait personne.  Il secoua lentement la tête face à ses excuses qui n’avaient pas lieu d’être. Elle n’y était pour rien. Du moins pas volontairement. Il préféra lui donner de plus amples détails sur ce vilain malentendu qui était en train de tout anéantir.

Il ne répondit rien à ses corrections, mais n’en pensait pas moins tout de même. Il fut surpris de savoir que Mademoiselle Bérénice (il n’avait jamais pu se résoudre au « Madame » d’usage dans ses pensées, tant elle restait toujours pour lui la petite Bérénice) et elle avaient discuté du vicomte. Cela lui faciliterait sans doute la tâche aujourd’hui et il l’en remercia silencieusement.

Oh non bien sûr, cela ne l’affectait pas et ne l’affecterait pas de toute évidence, cela sautait littéralement au visage. Il esquissa un sourire dont il garda l’amusement dans son coeur. C’était comme le trajet : la moindre des préoccupations.

— Je comprends parfaitement, mais il vous recevra, j’en suis certain. Je le connais suffisamment pour pouvoir vous l’affirmer. Il est actuellement au Palais Royal, mais rentrera pour le diner.

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Message par Éléonore de Fromart Ven 19 Mar - 10:06

Certes, il y avait pire que d’oublier de saluer quelqu’un… Comme ruiner le moral d’un homme merveilleux et de tout son entourage par la même occasion.

Mais pas question pour autant de laisser croire qu’il se passait quoi que ce soit de particulier. Parce qu’il ne se passait rien ! C’était seulement elle qui perdait tout bon sens… Tout bon sens, et, depuis qu'elle avait quitté Coldris jeudi soir, tout le semblant d’intérêt qu’elle avait retrouvé pour la vie. Parce qu’elle avait tout gâché.

Il y avait une personne qui aurait dû être là, ces derniers jours, pour la serrer dans ses bras et lui dire que ce n’était pas important. Que s’il ne voyait pas combien elle était formidable, c’était le dernier des idiots. Et que quoi qu’il arrive, c’était lui qui ne la mériterait jamais vraiment, parce qu’elle était bien trop exceptionnelle pour que ce soit le cas de quiconque - sans l’empêcher de le voir pour autant, parce que si cela pouvait la rendre plus heureuse, il ne pourrait que la soutenir. Le pire dans tout cela était qu’elle l’aurait cru. Parce que quand il le lui disait, c’était évident… Quand il lui parlait, elle ne doutait plus de rien.

S’il avait été là, elle n’aurait réellement pas été affectée… Sauf peut-être par l’idée d’avoir pu blesser. Mais pour cela aussi, son Ariste aurait su la rassurer.

Mais à défaut d’avoir la foi et le sourire, elle avait un devoir. Elle avait dit qu’elle ferait quelque chose… Et elle voyait bien que sa satanée lâcheté affectait tout le monde ! Egoïste qu’elle était ! Non, vraiment, elle n’avait pas le droit de se défiler. S’il y avait un semblant de chance pour qu’elle puisse apporter ne fut-ce qu’une petite réparation, elle n’avait pas le choix. Même si elle devait voir qu’il la détestait… Même si ce qu’il avait besoin en réalité, c’était de lui cracher à la figure tout le mépris qu’elle lui inspirait…

C’était peut-être même de cela qu’elle avait besoin, elle aussi. D’un nouveau choc. Pour la libérer des espoirs vains qui l’empêchaient de… Et puis… Et puis si elle était encore plus blessée, Ariste comprendrait, non ? Il comprendrait qu’elle avait essayé, mais qu’elle ne pouvait vraiment pas.

Léonilde affirmait qu’elle serait reçue et… Oui, en fait, elle le croyait. Parce que quoi qu’il ait à dire, Coldris n’avait pas peur d’elle, il saurait lui dire en face. Elle ne savait pas pourquoi il était si compréhensif avec elle. Pourquoi avait-il dit “vous êtes admirable” plutôt que “mêlez-vous de vous affaires” ? Pourquoi s’était-il excusé au lieu de lui rappeler qu’elle n’avait rien à faire dans sa voiture ? Et avant cela, après le cimetière, pourquoi avait-il tenté de la réconforté au lieu de lui demander d’arrêter ses simagrées ? Elle ne comprenait rien.

Le pire dans tout cela était qu’elle aurait bien aimé qu’il puisse encore la serrer dans ses bras, ne fut-ce qu’une seule fois. Parce que… Parce qu’elle allait mieux, parce qu’elle était moins vide, parce qu’avec lui, elle redevenait presque celle qu’elle était avant, quand sa vie avait un sens. Parce qu’il avait ce pouvoir sur ses démons, sans qu’elle ne comprenne pourquoi.

Elle se rendit compte qu’elle s’était perdue dans ses pensées. N’avait-elle rien de mieux à faire que de gaspiller le temps des autres, encore une fois ?

— Oui… Je… Je vais venir.

Elle se mordilla la joue. L’ennui était que si Eltinne rentrait, ce serait beaucoup plus délicat… Et elle était trop lasse pour chercher une excuse élaborée. Et si, par un miracle improbable, il y avait quand même une chance de revoir Coldris et qu’elle avait tout gâché de son côté… Y avait-il vraiment une chance ?
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Message par Coldris de Fromart Ven 19 Mar - 13:37



Depuis qu’il s’était éveillé de ce sommeil cotonneux, il n’avait plus vraiment été lui-même. Il s’était senti vide. Affreusement vide. Rien n’avait de goût. Rien n’avait d’odeur. Rien n’était plaisant. Il mangeait pour se nourrir. Il dormait parce qu’il le fallait. Il travaillait parce qu’il le fallait. Et même cette deuxième drogue ne suffisait pas à combler ce vide qui s’était installé.

Il avait même pris sur un coup de tête la décision de partir chasser à Bramevert. Changer d’air. Ranger ses espérances à l’état de souvenirs. Avec les autres. Dans une boite. Elle n’avait rien laissé. Pas une indication. Pas un mot. Elle écrivait toujours. Comme lorsqu’il l’avait invité la première fois. Comme lors de cette dispute avec Alduis. Il n’avait jamais vraiment eu à attendre de nouvelles. Cette fois, elle n’en avait laissé aucune. Et quoi de plus normal lorsque l’on découvrait qu’il n’y avait rien d’autre qu’un amas de chairs lacérés sous la belle carapace de paroles enjôleuses ? Elle méritait tellement mieux. Plus il y pensait, plus il soupirait et plus cela lui semblait évident. Il n’y avait rien que ce vide immense. Il avait ce discours à écrire pour l’inhumation. Il n’y arrivait pas. Il avait raturé des dizaines de pages déjà. Plus il y pensait, plus il s’en agaçait. Chasser n’avait rien arrangé. Cela n’avait fait que réveiller les images de la mort d’Édouard. Cette même dague qui avait traversé son cœur. Il avait fini par rentrer plus tôt que prévu résigné à reprendre le cours normal de sa désormais insipide vie. Il n’y aurait plus de soleil, la nuit serait éternelle.

* * *

Il était aux environs de dix-huit heures trente lorsque sa voiture le ramena à Cervigny. Il n’avait toujours pas le courage de retourner à Fromart. Il préférait de loin le petit cocon protecteur de son hôtel. Il descendit machinalement les quelques marchettes, le regard las. Léonilde était sur le perron. Comme à son habitude. Il le salua. Comme à son habitude. Il allait annoncer le repas. Comme à son habitude. Il l’ignorerait et rentrerait.

— Mademoiselle de Tianidre, vous attend dans le salon.

Sur les marches, il se figea. Cligna plusieurs fois des paupières sans même remarquer le discret sourire de son valet. Éléonore ? Son cœur s’arrêta avant de repartir de plus belle. Il esquiva son vieil ami et avala les dernières marches dans un pas pressé qui le conduisit droit au salon. Un empressement qui ne lui ressemblait guère. Il ouvrit violemment la porte. Elle était là, déjà debout, à l’attendre. Et le reste de son cœur se fissura. Deux grandes enjambées suffirent à combler l’espace pour qu’il puisse enfin la serrer dans ses bras sans autre forme de procès. Sans un mot. Juste un regard brillant. Sa main passa derrière sa tête et il posa ses lèvres sur le sommet de sa chevelure brune, ravalant les larmes qui se pressèrent sous ses paupières. Elle était là. C’était tout ce qui comptait. Il était si heureux. Si heureux de la revoir. Si heureux de la serrer dans ses bras. Qu’importe la raison de sa venue. Il n’en était pas moins heureux de la retrouver.



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Message par Éléonore de Fromart Ven 19 Mar - 16:02

Par précaution vis-à-vis du retour d’Eltinne autant que pour ne pas se donner l’occasion de renoncer - lâche qu’elle était, on ne pouvait vraiment pas avoir confiance en elle -, Eléonore était partie pour Cervigny presque immédiatement. Léonilde n’avait pas semblé plus réticent que ça à ce qu’elle patiente plutôt là-bas.

Attendre. Attendre cette sentence qui ne tarderait pas à tomber. Bérénice et Léonilde semblaient si confiants, et elle s’en voulait de remettre leur parole en doute mais… Mais c’était tout simplement insensé ! Au fond, c’était déjà stupide d’avoir esquissé l’idée qu’elle puisse seulement le fréquenter. Même en ne s’imaginant rien de particulier, la chose était absurde. Elle était lassante, stupide, ridicule…

Elle avait honte d’être venue, comme pour mendier son attention. Comme si elle avait le droit de s’immiscer dans sa vie et de venir le déranger chez lui ! Elle n’était rien, rien du tout.

Quand elle entendit son pas marteler dans le couloir - parce que ce ne pouvait être que le sien. Elle se leva promptement, puis tressaillit lorsque la porte s’ouvrit. Elle eut presque peur. Pas d’une réaction violente - c’était le cadet de ses soucis - mais de ce qu’il pourrait bien penser… Parce que son avis comptait. Son estime comptait.

— Je sais que je n’ai rien à faire ici, mais... tenta-t-elle de dire alors qu’il s’approchait trop vite sans qu’elle ne comprenne ce qu’il tentait de faire.

Ses justifications furent étouffées quand il la… serra contre lui. Elle se figea. Rien n’avait de sens. Ou tout en retrouvait. Elle ne savait pas quoi penser lorsqu’il déposa un baiser dans ses cheveux. Perdue, complètement perdue. Elle n’avait que son étreinte à laquelle se raccrocher.

— Mais que… que faites-vous ? bredouilla-t-elle une fois retrouvé l’usage de la parole.

De crainte qu’il ne s’éloigne, elle l’enlaça. Elle ne comprenait toujours pas, mais elle ne voulait pas qu’il la lâche. Elle ne comprenait toujours pas, mais elle était soulagée. Le nouveau jour n’était pas étrangement retombé. Le soleil ne s’était pas échoué dans l’est alors que l’aube pointait à peine. Et toutes les espérances tellement extravagante qu’elle n’osait même pas les formuler en pensées se trouvaient exaucées. Elle ne savait pas, elle ne savait plus, elle ne comprenait rien... Mais elle se sentait déjà mieux. Tellement mieux. Depuis ses bras, il n’y avait rien qu’elle ait besoin de comprendre.

Elle leva alors les yeux vers lui, des yeux qu’elle sentait picoter, mais qu’importe. Elle souriait. Il y avait tant de chose qu’elle aurait voulu lui dire. Elle ne savait pas par quoi commencer.

Et si les mots vous manquent, embrassez-moi, cela réglera votre dilemme.

Oui, elle pouvait toujours essayer ça. Cela éviterait d’avoir à poser certaines questions.
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Message par Coldris de Fromart Ven 19 Mar - 21:18



Coldris s’était précipité dans le salon. La simple idée de la revoir, de la C. Il ouvrit la porte à la volée, croisa son regard plein de stupeur et combla l’espace entre eux, sans même tenir compte de ce qu’elle disait. Car cela n’avait pas d’importance, aucune espèce d’importance. Elle avait tous les droits à être ici. Elle était la seule à qui il aurait donné pareil droit. Il la serra dans ses bras aussi fort qu’elle lui avait manqué ces derniers jours. Aussi fort qu’avait été sa tristesse ces derniers jours. Pouvoir la sentir contre lui… il n’y avait rien de plus agréable. L’épouvantable vide se combla instantanément. La nuit prit fin et le jour perça l’obscurité de ses rayons salvateurs. Il inspira profondément.

— Mais que… que faites-vous ?

Son cœur rata un battement et un frisson glacial remonta le long de son échine. Dans son dos, il desserra son étreinte. Déstabilisé, il allait lui rendre sa liberté Et faire un pas en arrière lorsqu’il sentit ses bras s’enrouler dans son dos pour le maintenir. Bien loin de protester, il la pressa de nouveau contre lui, croiser son regard. Les voyait-elle ses yeux sans doute tout aussi scintillants que les siens ? Il embrassa furtivement son front et caressa longuement sa joue, savourant son sourire qui savait si bien réchauffer son cœur. Ses lèvres s’entrouvrirent pour lui répondre, mais ses mots furent étouffés entre les siennes, dans le profond baiser de deux amants qui se retrouvaient. Un baiser avide de combler les longues journées d’absences, un baiser avide d’enterrer la peur mêlée de tristesse qui l’avait rongée, un baiser qui lui disait muette « je vous aime tellement ». Le monde aurait pu s’écrouler au dehors que cela n’aurait eu aucune espèce d’importance. Il ne voulait plus qu’être avec elle, profiter de sa présence et ne plus jamais la laisser repartir. Il aurait pu l’embrasser à l’infini, glisser sa main dans ses cheveux, dans son dos, le long de ses hanches sans jamais pouvoir s’en lasser. Mais dans ce monde toutes les plus belles choses avaient une fin et lorsqu’il prit fin, ce fut pour mieux laisser tomber sa tête contre son front. Son cœur battait à rompre, à en briser chacune de ses côtes une à une.

— Ne me refaites plus jamais ça. Vous allez me tuer. murmura-t-il en tentant de retrouver son calme habituel. Ne me laissez plus.

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Message par Éléonore de Fromart Sam 20 Mar - 14:50

Non ! Non, qu’il ne parte pas. Son incompréhension maladroite avait failli tout gâché, mais elle le rattrapa. Un instant, son coeur se serra, craignant qu’il ne persiste à reculer, qu’elle ne l’ait trop vexé, qu’elle ait vraiment tout détruit… mais il la serra de nouveau, et cette appréhension se tut.

S’ils relâchèrent leur étreinte, ce ne fut que pour pouvoir croiser leurs regards. Savait-il combien le sien pouvait être captivant ? Rassurant, aussi. Expressif, malgré la maîtrise dont elle le savait capable. C’était de la confiance, de la vraie confiance.

Sa main était froide contre sa joue. Froide de l’hiver qu’il avait traversé. Il y avait quelques légers flocons sur le manteau qu’il avait oublié d’ôter. Ses lèvres étaient tièdes, et ses yeux brillants. Elle entendait son coeur battre. Serrée contre lui, elle l’avait senti, et le sien s’était apaisé. Apaisé autant qu’emballé.

En l’absence de justes mots pour le lui faire comprendre, elle l’embrassa. Pouvait-il seulement concevoir à quel point il lui avait manqué ? A quel point elle était heureuse de le retrouver, de sentir que ce n’était pas terminé, qu’elle avait encore une chance. Parce que cette spontanéité de trompait pas. C’était vrai, c’était sincère. Quoi donc ? Elle l’ignorait, elle s’en fichait, ce n’était pas le moment de réfléchir. Elle voulait juste être avec lui. Qu’importe le reste. C’était pour de tels bonheurs qu’on lui avait demandé de vivre.

Elle ne comprenait pas. Elle ne voulait plus comprendre. C’était juste différent. Il était passé de moyen d’auto-destruction à seul réel ancrage. Elle s’excuserait plus tard auprès de tous ceux dont elle négligeait le soutien : il était actuellement le seul qui comptait vraiment.

Elle laissa retomber ses mains sur les épaules de Coldris quand il appuya sa tête sur la sienne. Il ne lui en voulait pas. Il était là. Elle aurait presque osé mettre sur sa folie des mots dangereusements insensés. Elle l’aurait fait s’ils n’avaient pas été susceptible de mettre en péril ce qu’ils avaient déjà.

— Ne me refaites plus jamais ça.

Culpabilité. Aiguë, transcendante. C’était elle. Elle qui l’avait blessé. Elle qui l’avait mis dans un tel état de détresse. Elle qui avait été trop lâche pour se confronter à l’accueil méprisant qu’elle avait craint. De quel droit avait-elle douté de lui ? De quel droit s’était-elle montrée si égoïste ?

Ses lèvres tremblèrent.

— Vous allez me tuer.

Elle déglutit avec difficulté.

Culpabilité. Elle l’avait affaibli. Elle l’avait blessé. Tellement blessé. Juste parce qu’elle était incapable de faire quoi que ce fut comme il le fallait. Et si elle continuait de se comporter si stupidement et égoïstement, elle allait le tuer. Pour lui aussi, elle s’était révélée atrocement nuisible, alors…

— Ne me laissez plus.

Elle l’avait abandonné. Elle avait prétendu qu’elle était là, puis elle était partie. Quelle sotte elle faisait. Quelle horrible idiote, incapable, destructrice. Elle aurait dû rester… ou du moins revenir. Et qu’importe si elle craignait qu’elle le rejette, sale égoïste qu’elle ne pouvait s’empêcher d’être, elle aurait dû d’abord penser à lui.

Elle prit son visage dans ses mains, et l’éloigna du sien juste ce qu’il fallait pour retrouver son regard.

— Je suis là.

Elle pensa à instant à son retour à Tianidre… Tout serait incertain, ensuite... Elle tenta de se rassurer : c’était encore loin, il se serait lassé d’elle d’ici-là. Il n’en souffrirait pas. Juste elle. Mais elle, ce n’était pas grave. Et il ne lui devait rien, c’était dit depuis le début. Un jeu, juste un jeu, même si ça débordait. Il ne promettait rien et elle ne lui demandait pas de promesses.

— Je suis là, je vous demande pardon...

Elle chercha du réconfort au fond de ses yeux, sans oser le lâcher.

— Je ne pensais pas que vous pourriez encore avoir envie de me voir...

Elle aurait dû s’en assurer. Elle aurait dû prendre des nouvelles tout de suite. Elle aurait dû faire quelque chose, parce que pour une raison qu’elle ignorait, son silence l’avait fait souffrir.

— Je ne voulais pas vous déranger. Je suis désolée...

Et elle avait fait bien pire, comme d’habitude. Tant de pensées en permanence, tout ça pour être incapable de faire quoi que ce fut correctement. Elle se détestait. Elle ne méritait pas l'affection qu'on lui portait.
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Message par Coldris de Fromart Dim 21 Mar - 17:48




Il était rassuré. Non, c’était plus que cela encore. Un mélange de tout un tas d’émotions qu’il était difficile en l’état de qualifier. C’était comme tomber dans le vide pour finalement atterrir souplement sur un matelas de plume au lieu de finir disloqué tout en bas. C’était comme revoir enfin le soleil après une nuit que l’on croyait éternelle ou encore, comme finalement revivre après avoir frôler les portes de la mort. Il fallait avoir tout perdu pour se rendre compte de ô combien certaines choses pouvaient prendre une importance démesurée. Car il n’y avait qu’elle qui pouvait à la fois aussi bien le comprendre et parfaitement le compléter. Elle était tout autant son ombre que son reflet.
Il ne parvenait toujours pas à croire qu’il ait pu, lui, s’attacher en si peu de temps après toutes ces années. En fait, il ne comprenait même pas comment cette chose, où disons les choses telles qu’elles l’étaient, ce miracle était possible.
Lorsqu’il lui avoua (sans doute maladroitement) à quel point elle avait pu lui manquer, il perçut à sa réponse qu’il l’avait inconsciemment blessée. Ses délicates petites mains entourèrent son visage et il plongea son regard dans le sien, si sombre et pourtant si lumineux. Oui, elle était là, il ne rêvait pas. Il la voyait, il la touchait, il la sentait, il l’entendait et il l’avait goutée. Ses petits onyx scintillaient d’une pointe de culpabilité et, il regretta de ne pas avoir pesé un peu plus ses propos. Seulement, il était atrocement malhabile dès qu’il s’agissait d’évoquer ses sentiments qu’il passait plus de temps à enfouir qu’à exposer.

— Vous n’avez pas à vous excuser. déclara-t-il en caressant tendrement ses cheveux.

— Cessez donc de dire de telles sottises. Qui voudrait se passer d’une petite luciole telle que vous ?

Coldris eût un sourire rayonnant. L’un des rares qu’on lui connaissait et dont bien peu pouvait attester de l’existence quasi mythique. Avait-elle seulement idée de l’origine de ce surnom ? Il l'interrogea, un brin malicieux, du regard tout en passant ses bras autour de sa taille.

Il en était là, à se perdre dans ses prunelles d’obsidienne, à hésiter de lui avouer le reste parce qu’il ne voulait surtout pas l’enchaîner à lui et encore moins la rendre malheureuse, plus tard, lorsqu’elle devrait se marier. Et que c’était sans doute mieux qu’elle ignore jusqu’à quel point elle s’était frayée un chemin vers son cœur, mais… il ne voulait plus non plus qu’elle puisse s’imaginer qu’il n’ait plus envie de la revoir ou quoi que ce soit d’autre du même acabit. Alors, il se pencha à son oreille et lui entrouvrit une portion de ce cœur, farouchement emprisonné.

— Il n’y a que vous pour me rendre pleinement heureux, mon joli soleil.

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Message par Éléonore de Fromart Dim 21 Mar - 20:43

Elle n'avait pas à s'excuser. Pas à s'excuser. Pas à s'excuser. Il ne voulait pas d'excuses. Il ne semblait rien lui reprocher, mais elle tenta tout de même d'expliquer son silence. Elle se sentait si fragile. Si stupide. Si indigne. Un jeu, n'est-ce pas ? Quel genre de jeu vous noyait sous un tel déluge ?

Elle se remémora cette provocation stupide qu'elle avait lancée. Son cœur averti – ou plutôt totalement dévasté et vide – ne souffrirait jamais de ses frasques… On était bien loin des dix ans de lutte promis… Un mois. Demain, cela ferait un mois qu'elle avait croisé son regard pour la première fois, ce regard si troublant… Si elle ne l'avait pas trouvé si sincère, elle l'aurait dans doute soupçonné de jouer encore complètement et d'essayer de lui faire ravaler son arrogance.

Au cours de cette atroce semaine, cette possibilité l'avait questionnée plusieurs fois : et s'il était parvenu à la leurrer, si tout ce qui s'était passé n'avait eu pour but que de l'attendrir, s'il ne cherchait qu'à atteindre son coeur de gré ou de force, juste parce qu'elle l'avait défié ? Quitte à broyer ensuite ce qu'il en restait… Et s'il était aussi horrible que ce qu'Oncle Eineld aimait prétendre des gens comme lui ? 

— Cessez donc de dire de telles sottises

Désormais, elle trouvait cette hypothèse absurde. Comme sa crainte de finir assassinée pour les confidences qu'elle lui avait arrachées. Il était là, devant elle, vibrant de sincérité. Non, cela ne trompait pas. Cela ne voulait rien dire, évidemment, et leurs relations restait ce qu'elle était et il n'y avait rien à espérer mais… Elle n'avait pas le droit de le soupçonner ainsi. C'était quelqu'un de bien à sa manière et elle ne risquait rien avec lui. 

Qui voudrait se passer d'elle ? Oh, ce ne devait pas être difficile à trouver quand on était aussi détestable… Elle-même, par exemple, s'en serait bien passée.

Mais il sourit. Son sourire – magnifiquement réconfortant et si vrai – fit disparaître les vilaines pensées. Il était là. Il n'y avait que lui qui comptait. Lui qui enroulant ses bras autour de ses hanches tandis qu'elle retrouvait son visage lumineux et ses yeux rieursIl devait préférer cela à son air tourmenté… Et contrairement à ce qu'elle avait un jour prétendu, cela lui importait beaucoup. Alors tant pis s'il venait un jour à dire qu'il suffisait de petits compliments pour la toucher. Qu'elle était naïve ou juste sotte. Elle fronça légèrement les sourcils en réponse à ce drôle de regard qu'il lui adressait.

Puis il se pencha à son oreille pour y glisser de plus extravagantes paroles encore. Elle mit de côté ses réserves – tant pis pour la chute, lorsqu'elle se rappellerait qu'il n'y avait rien à attendre de son coeur et qu'elle ne représenterait pas longtemps ce qu'il la prétendait être. 

— Si vous voyez du soleil dans mon regard, ce n'est que votre reflet, souffla-t-elle.

Car il ne pouvait y avoir qu'un soleil, et c'était lui. Celui qui avait ramené le jour dans sa vie privée d'espoir et de bonheur. Celui dont la chaleur la ranimait après son errance de cet hiver sans fin. Comment tiendrait-elle quand elle devrait de nouveau se passer de lui ? Elle n'osait même pas se le demander. Ces jours sans lui, persuadée que c'était fini, qu'il n'avait conservé que du mépris à son égard... C'avait été trop long. 

Elle enfuit son visage dans son cou. Elle s'apprêtait à lui avouer combien il lui avait manqué quand, assorti d'un sourire espiègle, lui revint une idée oubliée. S'en souvenir eut été inutile s'il n'avait vraiment plus voulu d'elle mais... Puisque c'était réglé... S'il voulait revenir sur les détails fâcheux, il pouvait, mais il n'avait peut-être pas envie qu'elle les lui rappelle.

Elle retrouva son regard, et y planta le sien en posant les mains à plat contre son torse. 

— Mais... Dites-moi, vous n'espériez tout de même pas vous en tirer à si bon compte ? Je vous apprécie beaucoup, vous le savez mais soyons sérieux une minute : vous n'avez tout de même pas cru que j'allais vous faire grâce de vos dettes, si ?

Et même si elle ne lui reprochait en rien les retards de paiement – elle n'avait pas le droit de l'accabler de s'être senti mal – il n'échapperait pas à de lourds intérêts.
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Message par Coldris de Fromart Lun 22 Mar - 10:54



Il ne voulait pas trop en dire mais il ne voulait pas non plus qu’elle s’imagine qu’il puisse ne plus vouloir la revoir. De son point de vue cela semblait si insensé ! Qui oserait se passait de la lumière du jour, de son édredon la nuit ou encore de  son manteau l’hiver ? Peut-être qu’il finirait à nouveau blessé et qu’il en mourrait pour de bon cette fois-ci. Qu’importe, même si tout devait s’arrêter demain, il n’hésiterait pas à se jeter à l’eau, simplement car rien ne le rendait plus heureux que sa présence et ce n’était pas ses dernières paroles qui allaient le faire changer d’avis bien au contraire. Il la serra contre lui. Alors c’était comme cela qu’elle le voyait ? Il était flatté et en même temps, il avait du mal à concevoir une telle chose.

—Cela m’étonnerait fort, car lorsque je surprends mon reflet dans le miroir, il n’y a qu’une nuit d’encre sans lune et sans astres. Rien que des ténèbres. Et il n’y a que vous pour y remédier.

C’était bien pour cela qu’elle était sa petite luciole, qui n’aimait pas les observer voler et égayer les nuits d’été ? Il la laissa enfouir sa tête dans son cou et passa tendrement une main dans son dos. Il aurait pu tout lui avouer, là tout de suite maintenant. Et c’était un peu ce qu’il venait de faire à demi mots. Seulement, il n’arrivait pas à s’y résigner. Il n’arrivait pas à s’ôter de la tête que tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain, ou peut-être même tout à l’heure qui savait ? Il pouvait bien décider de bon nombre de choses, il n’avait aucune idée du moment de sa fin. Ce pouvait être dans un jour comme dans plusieurs années. Tout au plus vingt ans. S’il était extrêmement chanceux. Mais c’était peu probable. Il n’avait pas le droit de lui imposer cela. Pas alors qu’il savait qu’elle avait tant perdu. Perdu, il l’était justement dans ses pensées lorsqu’elle s’éloigna pour croiser son regard. Oh mais qu’avait-elle donc désormais en tête sa douce petite brebis ? Il ne tarda pas à le savoir et un sourire tout aussi espiègle chassa bien vite ses sombres pensées.

— J’espère bien m’en acquitter si vous m’appréciez tant que cela. Pensez-vous donc à l’une d’entre elles en particulier ? Il en est une dont vous avez laissé passer l’occasion malheureusement. Pour vous j’entends. Qui plus est j’ai dormi fort longtemps, vous auriez eu tout le loisir d’en profiter. Il marqua une pause, yeux rieurs mais j’accepte de vous offrir une nouvelle occasion d’y pourvoir dès que vous le souhaiterez. Ce soir ? demanda-t-il plein d’espoir et de désir.

Il attrapa soudainement sa main et la fit tournoyer jusqu’à se trouver dans son dos et pouvoir se pencher à son oreille

— Mais peut-être préférez-vous simplement danser ? chuchota-t-il



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Message par Éléonore de Fromart Lun 22 Mar - 22:49

Elle avait presque envie de pleurer. Alors… Alors elle l’aidait vraiment ? Alors il pensait vraiment que sa présence lui apportait de l’apaisement ? C’était touchant. Il n’y avait même pas besoin de dire “seule”. Contribuer à son bonheur, c’était tout ce qu’elle pouvait espérer.

Mais elle ne lui laisserait pas le dernier mot pour autant. Pas à lui, pas dans ce type de circonstances.  

— Ce ne sont que des miroirs. Ils sont froids et sans âme. Mes yeux à moi ne mentent pas et ce qu’ils renvoient est plus fidèle à la réalité, voilà tout, argumenta-t-elle, sans se soucier de la légère arrogance que cela laissait paraître.

Elle avait raison, et c’était tout. Il était ce soleil d’hiver qui naissait à l’aube, et qui éclairait cette nuit froide qui ne semblait plus finir. Il réchauffait cette vie glaciale, par rayons doux que l’on cherchait à capturer et dont on ne se lassait jamais. Il ne faisait pas fondre la neige - non, elle serait toujours là - mais il chassait le blizzard, et montrait que cette neige n’était pas un problème. Que malgré elle, la vie pouvait continuer.

Elle enfouit son visage dans son cou, et profita encore un peu de son étreinte, en espérant que ce nouveau jour ne s’achève pas trop vite. Prête à y consumer tout ce qu’il lui restait de force, de coeur, d’espoir… Parce que c’était lui qui leur avait rendu toute valeur. Parce qu’elle ne les avait pas toute seule, de toute manière.

Mais ce n’était pas une raison - bien au contraire - pour cesser de jouer. Alors que de mieux pour reprendre pied qu’une négociation tout à fait sérieuse sur un sujet tout à fait sérieux ?

Elle fit taire la culpabilité à l’idée d’avoir osé penser que c’était parce que lui avait eu un problème qu’ils avaient été séparés - n’empêche que c’était franchement minable que cela lui ait effleurer l’esprit alors qu’elle savait très bien qu’il n’y avait rien à lui reprocher.

— Ce soir ?

Elle réprima la folie qui l’eut poussée à accepter. Non, non, non, non, non… Non. Elle cligna des yeux. Non. Non, non, non. C’eut été furieusement déraisonnable. On l’aurait repéré… Il était déjà bien assez suspects d’être sortie si peu de temps après la visite de Léonilde. Si elle s’attardait, Eltinne ferait le rapprochement, et ce serait retour immédiat à Tianidre sans possibilité de négociations. Elle avait toujours été prudente pour les autres, et auparavant, elle comptait sur Ariste pour être prudente à sa place quand il le fallait… Et là, il lui aurait signalé que si elle voulait que ça dure, elle devait faire attention.

Elle lui adressa un regard désolé. Et pourtant, il fallait dire qu’elle aurait vraiment voulu rester. Qu’elle n’avait aucune envie de le quitter.

— Je ne peux pas. Je n’aurais même pas du sortir, mais je devais vous voir… Si vous voulez que cela puisse se reproduire, Il me faut… du temps pour m’organiser. Laissez-moi quelques jours. Samedi, peut-être ? suggéra-t-elle en se reprochant déjà d’avoir donné un jour à ce point éloigné.

Elle hésita à rectifier, à donner une date plus proche… Et pourtant, une part d’elle savait qu’il était beaucoup trop risqué que ce fut plus tôt. Pourquoi devait-elle s’occuper elle-même d’être raisonnable pour elle ?! C’était… Déchirant. C’était beaucoup mieux d’avoir quelqu’un qui puisse être prudent à sa place quand elle voulait profiter, et qu’elle soit prudente à la place de ce quelqu’un quand il s’agissait de lui. C’avait toujours mieux fonctionné ainsi. D’ailleurs… Il était sans doute plus prudent qu’elle soit rentrée pour le dîner… Avoir retrouvé le goût de l’inconscience, volé par son mal-être qui l’en faisait culpabiliser, lui avait aussi paradoxalement rendu un certain instinct de préservation.

Il la fit soudain tourner et l’attira contre lui. Son souffle chaud dans son coup lui rappela qu’elle n’avait aucune envie de partir. Après tout, un petit retard saurait s’excuser, non ?

— Danser ? répéta-t-elle, faisant mine de réfléchir. Et danser quoi, dites-moi ?
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Message par Coldris de Fromart Mar 23 Mar - 12:36

Coldris esquissa un sourire. Ses yeux ne mentaient pas. C’était ce qu’il lui avait dit, il y a quelque temps de cela. Il ne pouvait que s’incliner et s’avouer vaincu pour cette manche. Bien qu’il s’agisse sans doute plus d’une réalité ou de sa réalité que de la réalité en général. Il suffisait qu’elle lui parle pour dissiper les ténèbres autour de lui et faire fondre l’armure de glace dans laquelle il se protégeait. Et c’était pour cette raison qu’il l’aimait elle et pas une autre. Mais cela, il ne le lui dirait pas.

De toute façon, elle préféra enfouir son visage dans son cou et l’accueillit bien volontairement jusqu’à ce qu’elle ne décide de réclamer le paiement de ses dettes. De toutes celles qu’il devait éponger, il y en avait plus particulièrement qu’il rêvait de payer. De payer de repayer ensuite, parce qu’il trouverait bien une excuse pour tout recommencer. Ou pour l’endetter elle. Le simple fait de prononcer ces mots suffisait d’ailleurs à lui donner envie de l’embrasser follement et bien plus encore, mais là encore, il s’efforça de garder cela pour lui. Il n’y avait que son pouce qui caressait inconsciemment ses hanches pour le trahir. Ça et ses yeux bleus étincelants d’un mélange de désir, d’envie et d’amour.

Je ne peux pas.

Cela sonna sec et froid dans son cœur comme le glas. En même temps, il aurait dû s’en douter. C’était l’évidence même. Pourtant il ne pouvait pas s’empêcher d’être déçu. Déçu et admiratif de la savoir si raisonnable, car lui n’était pas vraiment un modèle de raison. Il embrassa délicatement son cou et remonta jusqu’à son oreille. Essayait-il de la faire changer d’avis ? Peut-être bien.

… du temps pour m’organiser. Laissez-moi quelques jours. Samedi, peut-être ?

Elle était décidément imperturbable. Même lorsqu’il dérivait jusqu’à la commissure de ses lèvres, un sourire malicieux en coin. Samedi. Samedi, ce n’était que dans quatre jours. Enfin trois, si l’on considérait que le crépuscule signait la fin de la journée. Trois petits jours et il en profiterait deux jours entiers. C’était un marché équitable. Son sourire s’étira, il lui vola un baiser tiède et déclara:

— Parfait. J’ai une autre propriété aux abords de la ville dont le commun des mortels ignore l’appartenance. Nous n’aurons qu’à aller là-bas. Votre Cerbère ne se doutera de rien

Et pour cause, c’était un legs récent dont il ne savait pas réellement quoi faire, si ce n’était le conserver en état comme un musée de ses souvenirs de folle jeunesse. D’ailleurs, il n’y avait pas remis les pieds depuis la disparition de Solange. Ce serait étrange de revenir ici sans la savoir entre les murs. Avait-elle laissé quelque chose à son intention ? Outre la clé de sa réserve de livres ? Il n’en savait rien. Il craignait aussi de passer devant la porte de cette ancienne chambre qu’il avait visitée plus d’une fois. Celle-là non plus il n’avait plus osé y entrer et il n’y entrerait sans doute plus jamais. Puisque tout cela semblait réglé, il s’interrogeait donc sur la dette qu’elle comptait peut-être réclamer. Une danse ?

Il l’enserra entre ses bras après l’avoir fait tournoyer.

— Tout ce que vous voudrez ma luciole. Après tout, c’est vous qui en déterminez les conditions. Nous pouvons même danser sur la table de la salle à manger si cela vous plait. À moins que Léonilde ne l’ait déjà dressée. J’imagine que vous comptez me fausser compagnie pour le diner ? s’enquit-il faussement boudeur mais réellement attristé de son départ.
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Message par Éléonore de Fromart Mar 23 Mar - 20:40

Elle avait raison, il ne pouvait pas le nier. Si elle acceptait d'entendre qu'elle n'était pas juste un poids pour lui – stupide, pathétique, inutile et faible qu'elle était – alors, il devait bien reconnaître que c'était grâce à lui. Un homme brillant, un battant, et malgré tout si compréhensif avec elle, si... si capable de l'apaiser alors que nul n'y parvenait plus. Il était tout simplement exceptionnel. Et elle... Enfin... Il y avait quelque chose.

Mais il était temps de parler affaires. Ce qui n'était manifestement pas la solution miracle pour retrouver ses esprits, entre ses caresses presque discrètes, son regard embrasant et ses propositions parfaitement déraisonnable. Elle déclina à regret. Pas ce soir mais... Il fallait tout de même trouver un moment. Un jour pas trop éloigné. C'était que malgré tous les arguments qu'elle avait à y opposer par prudence, il était éprouvant de ne pas se laisser complètement dépasser par le désir qu'il attisait. Aurait-elle vraiment pu envisager un jour plus éloigné que samedi, qui semblait déjà si loin quand elle voulait que ce soit tout de suite ? 

Il chemina jusqu'à ses lèvres pour y voler un baiser. Elle l'accepta à peine, réprimant les pulsions fougueuses qui auraient largement avancé certaines échéances au vu de sa faiblesse de caractère et de son manque de volonté déplorables. 

Samedi. Lui qui aimait tant jouer à faire attendre n'eut pas la cruauté de retarder leurs retrouvailles. Le nez d'Éléonore se plissa légèrement à l'évocation d'une autre propriété... C'était bien joli de détourner l'attention d'Eltinne, mais pour le rejoindre, elle aurait besoin de plus de précisions. Elle ne pouvait tout de même pas s'aventurer dans toutes les demeures de Braktenn pour voir laquelle était la bonne – de toute façon, elle s'était beaucoup trop abandonnée pour retrouver ses capacités d'antan. Sotte et faible qu'elle avait été. Désespérante. 

— La leurrer est ma spécialité. Mais dites-moi, cette fameuse propriété, comment la trouverai-je ?

Allait-il simplement le lui dire ou bien allait-il la forcer à réfléchir ? En tout cas, elle ne pouvait pas faire grand chose sans aucune indication. Elle doutait déjà d'être encore capable de deviner avec...

Une pirouette imposée la ramena dans ses bras pour lui proposer une danse. Maintenant qu'une certaine date était fixée, elle hésita à se laisser tenter par cet autre remboursement. Oh, si ce n'était qu'une danse, le retard serait négligeable et... Et elle pourrait grappiller un peu de temps en sa compagnie. Car, comme il le supposait si bien, dîner ensemble n'était pas envisageable. 

— Oh, mais nous dînerons ensemble samedi soir ! Ses suggestions avaient toutefois ramené les souvenirs d'un autre soir, début mai, presque trois ans plus tôt. Quant à danser sur la table – croyez-en l'expérience de cette jeunesse arrogante qui croit tout savoir – c'est une très mauvaise idée. La dernière fois que cela m'a prit, mon cavalier a réussi à briser un verre en marchant dessus, lui confia-t-elle, ne pouvant réprimer un sourire en songeant à leur euphorie de ce soir-là. C'était même ce soir-là qu'était né ce projet de simulation de grossesse.
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Message par Coldris de Fromart Mar 23 Mar - 22:00



Il tenta bien de la distraire et même de l’égarer sur le chemin de l’irraison, mais ni ses baisers, ni ses caresses n’eurent raison de sa volonté. Tant pis. Il n’aurait plus qu’à patienter jusqu’à samedi alors. Là-bas, il n’y aurait rien ni personne pour l’empêcher de laisser libre cours à leurs envies. Il aurait pu continuer à semer ses baisers le long de sa peau mais s’eut été se torturer inutilement.

— Dans le quartier des arômes, en périphérie de la ville, je vous ferai un petit croquis de son emplacement plus précisément, tout à l’heure. Ce n’est pas bien compliqué à trouver vous verrez.

Et non, il n’allait pas lui donner la réponse immédiatement, il comptait profiter encore un peu de sa présence avant de relâcher sa petite luciole dans la nuit noire braktennoise. Pourquoi ne pas en profiter pour danser par exemple ? Sur un tapis ou sur une table par exemple puisqu’elle ne resterait pas diner avec lui ce soir et qu’il devrait donc se contenter dans la silhouette aux allures de cariatides de Léonilde pour toute compagnie. Bien.

Quant à casser des verres sur la table, cela ne lui était jamais arrivé encore. Et Léonilde pouvait témoigner du nombre de choses étranges qu’avait pu voir cette table. Il pouvait cependant imaginer parfaitement Éléonore et son cavalier riant à en oublier les précieux contenants disposer ça et là. Il ne pouvait d’ailleurs réprimer un sourire à cette image et se demanda combien d’autres choses de ce genre elle gardait dans le secret de ses souvenirs.

— C’est parce que vous n’avez jamais eu encore le plaisir de me voir dessus. Je n’ai jamais rien cassé, ni même déclenché d’incendie en renversant des chandeliers. souffla-t-il dans son oreille avant de tirer sur son bras pour la faire tournoyer et l’entrainer vers la salle à manger.

Evidemment Léonilde n’avait pas dressé la table. Il avait bien trop l’habitude de ses excentricités pour ne pas laisser vierge de tout obstacle. Enfin. Il y avait tout de même les fameux candélabres, bien trop imposants pour être déplacés à chaque repas, il demeurait donc, trônant fièrement au centre de la table.

— Léonilde, mets les verres, je te prie.

Son valet arqua les sourcils d’incompréhension puis se résigna dans une inclinaison du buste. Ce n’était pas tant la demande incongrue que la raison qui avait le don continuer d’alimenter sa curiosité y compris après toutes ces années. Coldris se tourna vers Éléonore et dans un sourire espiègle lui tendit la main :

— Il faut conjurer le sort, vous ne croyez pas ?

Il monta agilement sur la table et l’aida à en faire de même. Oh oui, il adorait être ici, sur cette scène improvisée.

— Tout l’art réside dans la mémorisation de l’emplacement de chacun des objets présents sur cette table expliqua-t-il sans quitter ses grands yeux bruns.

Et il commença à faire quelques pas sautés. Il avait toujours apprécié danser. Puisqu’elle n’avait pas choisi, il opta pour une gaillarde, danse qui représentait parfaitement son état d’esprit du moment.


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Message par Éléonore de Fromart Mer 24 Mar - 14:36

Eléonore acquiesça aux informations qu’il daignait déjà lui fournir. De toute manière, il ne prendrait pas le risque de la laisser dans le flou et qu’elle ne puisse pas venir. A moins que ce ne soit… Non. Pas maintenant. Elle douterait plus tard.

Maintenant, il voulait la faire danser - non sans râler qu’elle ne puisse pas rester pour dîner. Danser, et pas n’importe où, visiblement : sur sa table de salle à manger. Si ce n’avait été d’abord qu’une suggestion innocente, son anecdote le convainquit que c’était précisément ce qu’ils devaient faire.

Il se vanta de n’avoir jamais causé d’accident… Elle non plus, d’ailleurs, si on omettait le jour où sa robe avait failli prendre feu et celui où Ariste avait magistralement raté son porté à cause de l’irruption d’Eltinne et qu’elle avait dégringolé jusque par terre.

Pas le temps de refuser qu’il tirait déjà sur son bras pour la précipiter dans la salle à manger. Elle écarquilla les yeux à l’ordre qui fut donné.

— Nooon ! protesta-t-elle sans grande conviction

Mais le maître de maison ayant parlé, ce serait ainsi. Malgré ses légères réticences - il s’agissait tout de même de l’uns de ses derniers fous rires avec Ariste - elle craignit trop de le décevoir pour refuser. Elle avait déjà failli perdre Coldris, hors de question qu’il sache qu’elle était lâche et horriblement rabat-joie. Et terne, et sans caractère, et faible, et… Elle se laissa porter par son enthousiasme, et avec son aide - dont elle aurait certainement pu se passer si elle n’avait pas hésité comme une idiote - elle grimpa sur une chaise, puis sur leur piste de danse du jour. Elle ne pouvait pas dédaigner un défi.

Elle fronça les sourcils, légèrement vexée par son conseil. Eh bien merci ! Comment croyait-il qu’elle pouvait manger sans jamais regarder son assiette ? Ou qu’elle descendait de sa chambre à la grotte des nuttons sans plus réfléchir où elle posait les pieds ? Elle se sentit d’un coup bien arrogante : elle ne savait certainement plus le faire, de toute manière.

— J’ai bien dit que c’était mon partenaire qui avait écrasé un verre, pas moi, lui rappela-t-elle. Moi, je me suis accrochée au lustre pour ne pas marcher dans les éclats.

Avait-elle l’air timorée de craindre ainsi des morceaux de verre ? Elle ne l’avait pas vu ainsi à l’époque mais… peut-être que c’était le cas, après tout. Qu’elle avait juste eu trop peur de se blesser parce qu’elle était trop douillette.

A défaut de musique pour l’aider, elle se fia à ses pas, tout en poursuivant son explication :

— J’ai réussi à me balancer sans le faire tomber et je me suis propulsée devant plus loin. L’ennui, c’est que j’ai atterri juste au moment ou mon oncle entrait.

Il avait tiré une tête mémorable en la voyant se réceptionner avec toute l’aisance que sa robe lui permettait. Elle n’avait pas eu le temps d’aller chercher quoi que ce fut pour aider Ariste qu’il s’était mis à les réprimander mais… Ce n’était pas grave, pas vrai ? C’était à son cousin qu’elle ne fiait pour savoir où se trouvaient vraiment les limites. Elle savait bien qu’avec Gabriel, ce serait restreint… quoique moins que si elle devait s’en remettre au jugement de son oncle. Ariste voulait qu’elle y arrive toute seule mais… Non, non, non. Mauvaise idée. La preuve : toute seule, elle ne cherchait qu’à se détruire.

Elle consulta Coldris du regard : lui, il l’acceptait ainsi, pas vrai ?
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Message par Coldris de Fromart Mer 24 Mar - 21:59



Coldris n’avait pas résisté, dans l’euphorie du moment à lui faire gravir la fameuse table de sa salle à manger. Celle-là même qui en avait tant vu. D’ailleurs, elle pouvait bien protester, c’était trop tard : son sourire interdisait tout retour en arrière. Il remarque à peine ce petit froncement de sourcil réprobateur.

Il éclata de rire à la mention de sa fuite aérienne soldée par l’arrivée impromptue de son oncle. D’une fente, il s’approcha brusquement d’elle pour la saisir à la taille et la renverser en arrière. Ce n’était définitivement pas dans les pas classiques mais un peu de fantaisie ne faisait jamais de mal, non ?

— Comment cela vous n’avez pas voulu tenté votre adresse ? Je pourrais remédier au problème. Et si je cassais un verre ? proposa-t-il dans un souffle à quelques centimètres de son visage, ses yeux rivés dans les siens.

Dans son dos, l’impassible Léonilde se disait bien que ces verres n’avaient pas été déposés là pour étancher leur soif. Ou du moins pas celle habituelle. Quant à casser un verre. Il retint un soupir, il en était bien capable, oh oui. Y avait-il seulement quelque chose dont il n’était pas capable au fond ?

Coldris la redressa, sourire malicieux avant de reprendre des pas moins extravagants.

— Une prochaine fois peut-être. Sans parler du fait que les lustres de cette salle ne sont pas les plus pratiques pour d’éventuelles acrobaties. Adéis, en a en revanche trouvés de formidable à Fromart.

Il esquiva un chandelier, attrapa sa main qui leva vers le ciel en se plaçant à ses côtés. Face à eux se trouver la cheminée crépitante d’un beau feu rougeoyant. Il esquissa un sourire.

— La première fois que je suis montée sur cette table, c’était pour lui lire une lettre qu’elle avait malencontreusement laissé tomber sur le sol.

Après quelques petits pas chassés entre deux corbeilles de fruits, ils se replacèrent face à face.
— Elle était bien plus jeune que vous et… Oh vous auriez dû voir ce que cet idiot lui avait été écrit !

Même après trente ans, il s’amusait toujours autant de cette lettre et surtout de cet instant théâtral au milieu des verres et des candélabres allumés. Il la repoussa sur plusieurs pas avant de lui faire esquiver de justesse l’un de ses brasiers portatifs.

— Attention ma jolie luciole ! Embraser votre cœur me suffit amplement, inutile de mettre le feu à votre robe plaisanta-t-il
— Où en étais-je ? Ah oui ! Figurez-vous qu’il avait cité de la poésie érotique ! Non mais… Vous imaginez ? Elle était assise là. il la fit pivoter pour lui présenter la fameuse chaise Ma pauvre Aurélia était plus rouge qu’un cardinal. il la souleva par la taille et leurs places respectives furent échangées De colère et de honte. Si vous voulez mon avis celui qui aurait dû avoir honte, c’était lui.

Il entendait encore sa voix l’implorer de ne plus recommencer.

— Rassurez-vous, je lui ai offert un quatrain de mon cru et… il l’attira contre lui Je l’ai enlacé et embrassé… -ce qu’il fit-pour me faire pardonner.

Etait-ce jour-là qu’il était tombé amoureux d’elle ? Il était bien incapable de le déterminer, mais déjà son cœur battait plus vite et plus fort comme en ce moment même, alors qu’il racontait distraitement cette anecdote d’un autre temps, les yeux rivés dans les siens. Il l’avait aimé à la folie et elle était toujours là quelque part dans son cœur, mais aujourd’hui, il n’avait plus d’yeux que pour une seule personne en prononçant ces mots. La seule qui comptait désormais. Qu’importe les fantômes, ils ne rivaliseraient jamais avec elle, bien vivante et bien réelle.

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Message par Éléonore de Fromart Jeu 25 Mar - 19:07

Si Coldris éclatait de rire ainsi, ce devait être qu'il ne répprouvait pas son attitude. Éléonore laissa elle-même échapper un rire, ce que cette situation pouvait être inattendue. Et pourtant… Pourtant elle n'était pas excessivement mal à l'aise. Loin de là.

Quand il la fit basculer, déséquilibrée, ses bras pour seule accroche, elle se rendit compte qu'elle lui faisait vraiment confiance. Alors qu'il pinaillait sur ce qu'elle avait ou non osé faire, il aurait tout à fait pu la lâcher. Elle savait qu'elle n'aurait pas eu le temps de se réceptionner – si elle estimait correctement sa position, en tout cas, et si elle ne savait même plus évaluer cela, c'était encore pire. Elle serait tombée, elle aurait pu se fracasser le crâne et ne jamais s'en relever.

— Ce sont vos verres, faites-en ce qui vous chante, répondit-elle tandis qu'il lui rendait l'équilibre.

Elle aurait dû grandir. Cesser de se comporter bêtement. Mais pourquoi maintenant, alors qu’elle se sentait bien, et qu’ils s’amusaient ?

— Je les essayerai, juste pour voir. Mais aujourd'hui... Soyons sages : disons simplement que le premier à briser un verre a perdu, ajouta-t-elle, les yeux pétillants.

Elle savait très bien que cela n'avait rien d'une proposition favorable pour les verres : cela signifiait seulement que maintenant qu'il avait relevé le défi, ils se pousseraient mutuellement à la faute. Léonilde devait déjà regretter de l’avoir amenée ici.

Elle reprit la danse après avoir avisé la position des verres. Elle rit sans trop de raison lorsqu'il saisit sa main ; c'était seulement un bon moment.

Elle tenta de ne pas se laisser déconcentrer par les souvenirs qu’il partageait. Eléonore avait immédiatemment compris à qui il faisait référence. Etait-ce pour lui rappeler qu’elle n’était pas grand chose, au fond ? Non, il devait savoir qu’elle ne se faisait pas d’illusions. Qu’elle savait que même s’il lui laissait un peu de place, même s’il lui disait de jolis mots, il ne pourrait jamais s’attacher davantage à elle. Il ne devait rien savoir des doutes qui, non contents d’embraser son coeur en lambeaux, le tordait dans tous les sens.

Ce commentaire sur son coeur - lancé alors que trop concentrée sur les verres, elle n’avait plus pensé aux candélabres - lui arracha un soupire désabusé et un roulement d’yeux. Ah, s’il savait… Mais mieux valait qu’elle n’en montre rien, pour ne pas tout gâcher. Pour le garder quand même encore un peu.

Elle continuait de l’écouter. Il aurait bien pu parler de n’importe quoi que c’eut été passionnant. Et puis, cela ne servait à rien de jouer les jalouses pour un homme qu’elle n’aurait jamais.

Elle se laissa guider, s’assurant tout de même de ne pas se laisser piéger - contre lui, elle voulait bien perdre mais… non. Imaginer... Ce qu’elle s’imaginait le mieux, c’était le malin plaisir que Coldris avait dû prendre à faire l’andouille sur cette table pour ridiculiser l’imbécile qui croyait pouvoir rivaliser avec lui… Honnêtement, même si cette Aurélia - elle ne voyait pas d’où il tirait le S et le F si “Aurélia” était bien son nom, mais elle n’allait pas chipoter maintenant - n’avait plus dû savoir où se mettre, il n’y avait pas à réfléchir longtemps pour savoir quel homme surpassait tous les autres – ou presque.

— Et vous de l’avoir tourmentée ainsi ! compléta la jeune femme en essayant vainement d’adopter un ton de reproche crédible. Dites-moi au moins que votre interprétation en valait la peine !

Parce qu’après tout, c’était bien le plus important : qu’il ait démonté la crédibilité de ce courrier dans les règles de l’art, et pas en étant bêtement dégradant.

Il semblait lui avoir accordé une trêve, mais elle ne baissait pas la garde. Elle se laissa attirer dans ses bras, et n’eut pas la volonté de dédaigner son baiser même si au fond, toute cette mise en scène de faisait que lui rappeler qu’elle - Eléonore - n’était absolument rien à ses yeux. Malgré l’intensité des regards qu’il lui adressait et l’inconscience qu’ils partageaient. Malgré la confiance - trop peu méritée - qu’il semblait malgré tout lui porter. Malgré la sincérité indiscutable de sa joie lorsqu’il l’avait revue. Elle ne comprenait plus rien, tellement rien. Peut-être était-elle simplement trop stupide pour comprendre.

Elle se perdit un instant dans ses yeux si bleus. Elle voulait rester avec lui malgré tout. La lueur dans ses yeux chassa cette vilaine mélancolie qui la gagnait.

— Et je suppose qu’il lui a été impossible de vous en vouloir… soupira Eléonore.

Tel qu’il était maintenant, en tout cas, elle ne voyait pas comment on aurait pu rester fâchée contre lui plus de quelques minutes - secondes, si l’on sentait son coeur battre si proche du sien.

Elle échappa à son étreinte en une pirouette, et colla son dos contre le sien.

— Je ne vois vraiment pas pourquoi vous voulez me trainer à un bal. C’est tellement plus amusant ici souffla-t-elle à son oreille, en cherchant son regard par dessus son épaule.

Juste une diversion pour se donner le temps de miner le terrain de l'autre côté, en faisant discrètement glisser un verre avec la pointe de ses orteils. C’était bien beau de se souvenir de l’emplacement de chaque élément, seulement… s'ils bougeaient, ce ne serait pas utile.  

Elle revint devant lui en deux pas sautillants, et le grtifia d'un baiser, comme pour se faire pardonner sa tricherie - qui n’en était pas vraiment une puisqu’aucune règle n’était fixée. Elle le fit reculer d’un pas, tout en plaçant stratégiquement son pied contre le sien. Elle ne cherchait surtout pas à profiter de son prochain pas pour pousser son pied et lui faire percuter le verre si bien placé, bien sûr… Ce ne serait qu'une heureuse coïncidence. Elle l’interrogea du regard, l’air de demander s’il comptait reprendre la danse ou juste rester là à la regarder.
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Message par Coldris de Fromart Jeu 25 Mar - 22:12



Il fallait croire que cette salle à manger avait le don de déclencher des situations rocambolesques. Rien qu’en ne prenant en compte que la seule participation d’Éléonore, ils en étaient déjà à avoir couru tout autour et dansaient désormais dans un champ miné de cristal. Bien sûr qu’il faisait ce qu’il voulait de ses verres ! Un sourire s’étira. Et Dieu sait que les verres avaient la vie dure dans sa famille. Entre ceux qui finissaient par voler à l’autre bout de la pièce et ceux qui explosaient entre les doigts, il ne faisait pas bon être un verre à Fromart. Pour cette fois, il jugea bon de les épargner. Enfin sauf accident. Ou jeu impromptu. On ne refusait jamais un jeu. Mais qu’elle était l’intérêt d’un jeu sans prix ?

— Si je gagne vous  restez diner. déclara-t-il en faisant un pas en avant.

Devant ses récriminations, il changea son mousquet d’épaule, en même temps qu’il sauta un pas. Tant pis, il aurait essayé, qui ne tentait rien, n’avait rien après tout.

— Puis-je espérer vous raccompagner dans ce cas ?

Il fallait au moins que le jeu en vaille la chandelle. Enfin la verrerie, car il était au contraire préférable de laisser les flammèches là où elles se trouvaient, c’est-à-dire loin des velours de leurs jupons et autres culottes. Elle pouvait bien rouler des yeux et lui sourire avec malice, il n’en demeurait pas moins, qu’elle, lui enflammait réellement le cœur de bonheur. À tel point qu’il en était là, à lui parler de ses souvenirs avec Aurélia. Ce qui était très certainement maladroit, mais le fait était que les seuls souvenirs vraiment heureux qu’il avait étaient en sa compagnie. Tous les autres bons souvenirs, tous sans exception, étaient voilés d’une brume de tristesse, de mélancolie ou de désespoir. Pourtant elle l’écoutait comme s’il n’y avait rien de plus intéressant au monde que ces mots qui s’échappaient de ses lèvres. Si elle savait tout ce qu’il pouvait lui dire de bien plus doux encore ! Mais il ne le ferait pas. Pour son bien.

Aurait-il dû avoir honte de l’avoir tourmenté ? Bien sûr que non ! Qui avait-il de mieux que de surprendre son regard courroucé et de venir l’apaiser ensuite ?

— Bien évidemment ! Apportez-moi une lettre, je vous en ferai la lecture sur cette table ! proposa-t-il dans un regard pétillant avant de raconter la conclusion.

Il crut discerner un instant une vague lueur de tristesse dans son regard et son cœur se serra instantanément. C’était idiot de lui avoir raconté cela. Elle devait désormais croire qu’il pensait toujours à elle. Enfin, oui, il pensait toujours à elle, bien évidemment. Elle était toujours là, dans son cœur. Mais ce n’était guère plus qu’un fantôme du passé comme il en avait tant d’autres, à la différence que celui-ci était réconfortant. La plupart du temps. En aucun cas, elle n’avait la même place. L’eau avait coulé sous les ponts et les morts ne rivaliseraient jamais avec les vivants, quels qu’ils soient. Il ne répondit que d’un sourire à sa déduction. Bien sûr qu’elle ne lui en avait pas voulu.

— Elle a juste voulu bruler ses lettres. Je lui ai dit de bruler les miennes plutôt.

D’une pirouette, elle se retrouva contre son dos. C’était déstabilisant de ne plus l’avoir dans son champ de vision. Cette affreuse impression de perdre tout contrôle sur la situation. Machinalement, il attrapa ses mains.

— C’est pourtant évident. Je me dois d’y être et vous êtes la seule avec qui je souhaite réellement y aller.

Coldris pivota pour la retrouver dans son champ de vision

— Vous n’allez tout de même pas m’obliger à danser avec toutes les femmes de la salle pour trouver celle qui passer la nuit avec moi.

Il combla l’espace d’un petit pas sauté et se pencha à son oreille dans un simulacre de révérence

— Quand ce pourrait être vous. souffla-t-il avec délice.

Quelques pas de plus et elle revenait l’embrasser spontanément. Étrangement spontanément. Il eut un léger froncement de sourcil. Elle le poussait à reculer et semblait le diriger dans une direction bien particulière. Oh ! Qu’à cela ne tienne ! Il sauta d’un petit bond arrière avant de se rétablir avec légèreté, tout sourire, sans même un vacillement de verre.

— Eh bien ma jolie luciole, trouvez-vous que nous manquions de verres sur cette table ?

Quelques pas chassés pour la contourner et leurs places étaient désormais inversées.

— Je pourrais demander à Léonilde d’en sortir d’autres, s’il y en a trop peu à votre goût.

Il croisa du regard celui de son valet qui acquiesçait d’un signe de la tête, non sans ce discret sourire que Coldris connaissait parfaitement. Il récupéra les mains d’Éléonore et commença à la faire tournoyer sur la scène improvisée.

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Message par Éléonore de Fromart Ven 26 Mar - 20:14

— Si je gagne, vous restez dîner.

— Vous savez très bien que je ne peux pas !

Il savait, pourtant, qu'elle mourait d'envie de rester avec lui. Mais ils savaient tous deux que s'ils dînaient ensemble, ils ne s'arrêteraient pas là. C'était déjà assez difficile comme ça. Ce qu'il y avait de fâcheux, c'était qu'elle risquait de ne plus pouvoir revenir. Bien sûr qu'elle aurait affronté n'importe quelles conséquences si c'avait été nécéssaire pour lui. Mais là, c'était un péril gratuit. C'était prendre le risque de le perdre pour de bon. D'ailleurs, elle n'aurait même pas dû accepter cette danse. Ni proposer ce jeu… Mais comment résister à ce temps qu'elle pouvait passer avec lui ? Elle était d'une faiblesse de caractère véritablement déplorable.

— Jusqu'à ma voiture, oui

Bien sûr, ce n'était pas ce qu'il demandait, mais c'était sans doute le mieux qu'elle puisse lui proposer dans l'état actuel des choses. Elle craignit un moment d'être trop rabat-joie, de le décevoir mais… Il devait comprendre… L'ennui était bien qu'elle n'ait rien à lui apporter. Il s'en rendrait vite compte.

— Seulement si vous me promettez que vous ne vous ferez pas repérer, rectifia-t-elle.

Il était trop difficile de ne pas grappiller plus de temps avec lui. Du temps à tourner, à se laisser guider par ses pas, ou tout simplement à l'écouter. En apprendre chaque fois un peu plus de lui. De ses bons souvenirs, en plus ! Elle ne lui reprochait pas de s'être laissé aller la dernière fois, mais elle préférait le voir heureux. Alors, s'entendre rappeler qu'il n'y avait qu'une femme dans son cœur n'était qu'un détail.

Chassant ses tourments, elle commenta son récit… Puis secoua la tête. Les lettres qu'elle conservait étaient trop personnelles, trop fortes, trop sacrées pour qu'elle laisse qui que ce soit les tourner en ridicule. Coldris était peut-être exceptionnel, mais son Ariste était intouchable. La partie d'elle-même à laquelle il ne fallait pas s'attaquer.

— Sans faute au prochain paon envahissant, promit-elle.

Avec son mode de vie, il n'y en aurait sans doute jamais… Mais cela n'avait pas beaucoup d'importance. Imaginer la scène était déjà bien assez amusant. Et se laisser entourer de ses bras était apaisant, d’un apaisement à peine altéré par ce rappel constant à une dure réalité : elle ne comptait pas. Mais il ne faisait pas exprès de le lui rappeler : il avait juste envie de parler. Et puis, elle ne lui demandait rien. Dans ce cas-ci, il n’y avait même rien à faire pardonner.

Elle battit vivement des cils au commentaire suivant. Brûler les lettres de celui qu’on aimait… Mais quelle idée saugrenue ! Cela évitait peut-être d’avoir besoin d’un coffre entier pour les ranger toutes, mais… Elle serait sans doute morte sur le coup si elle n’avait pas eu ces fameuses lettres.

— C’était une idée cruelle. Elle aurait pu le regretter, un jour ou l’autre. N’avoir même plus cela à quoi se raccrocher...

Idiote ! Et la voilà qui sombrait seule dans la mélancolie. Elle gâchait tout ! Pourquoi mêlait-elle ce genre de chose alors qu’il lui racontait des souvenirs à lui. Trop faible pour canaliser son fichu égocentrisme ! Pathétique !

Elle se reprit, et relança le jeu. Quand ils se retrouvèrent dos à dos, Eléonore sentit ses mains qu’on aggripait. Comme une pointe de méfiance… Et cette méfiance la fit presque renoncer à son idée : déplacer les verres pour le faire perdre. Elle ne le trahissait pas vraiment, c’était juste un jeu. Et pour tricher, elle n’avait pas besoin des mains qu’il retenait, juste d’un pied.

Il ne la laissa prononcer que quelques mots, répondit par d’adorables flatteries, puis il pivota. Manoeuvre réussie quand-même, jusqu’ici. Et il ne semblait pas l’avoir repérée… Ou bien ne le faisait-il juste pas remarquer.

Elle eut un léger sourire à sa provocation - parce que là, il la provoquait, c’était volontaire. Elle tenta de ne pas tenir compte de son coeur qui s’accélérait à cette précision soufflée à son oreille.

— Vous n’allez tout de même pas m’obliger à me sacrifier juste parce que vous êtes devenu fainéant, répliqua-t-elle, taquine.  

C’était toujours mieux que d’avouer que la seule idée d’aller à ce bal l’angoissait. Si elle ne pouvait pas y aller avec lui, c’était en grande partie parce qu’il était impossible, alors, qu’il ne voie pas sa panique. Les gens dans la rue, isolés, cela passait. C’était dangereux, mais c’était différent. Ce genre de réceptions, elle ne savait pas affronter cela sans s’être longtemps préparée et garder un soutien permanent. Et, même si Coldris savait diminuer ses peurs, il n’avait pas besoin d’un chiot qui le suive partout. Il ne fallait surtout pas qu’il sache : il la rejetterait d’office.

Un baiser pour détourner l’attention, et le jeu reprenait. Après avoir fait échouer son stratagème par un pas trop vif, Coldris suggéra qu’on ajoute des verres, et elle approuva l’idée avec un enthousiasme étouffé. Cette fois, elle avait beau chasser les pensées pernicieuses, elles refusaient de partir. Cela revenait tout le temps, même s’il était là.

Elle ne comprenait plus rien à ce qu’il se passait. Trop de pensées qui se bousculaient. Encore plus que d’habitude. A moitié en train de rire, à moitié à se laisser ronger.

Elle comptait pour lui, il avait vraiment eu l’air heureux de la revoir. Elle ne comptait pas. Pas vraiment. Cela n’avait pas de sens.

Il disait qu’elle dissipait ses ténèbres, pourtant, elle était certaines qu’il ne se serait jamais laissé dépasser comme au théâtre en temps normal. Ce ne pouvait être que de sa faute. Et ce n’était vraiment pas parce qu’elle faisait quelque chose de bien.

Bérénice avait dit qu’elle n’avait pas le droit de douter de la confiance qu’on lui accordait, seulement… Elle ne pouvait pas s’en empêcher, parce que cette confiance n’avait pas de sens. Cette confiance lui était donnée sans savoir ce qu’elle était. Parce que si Coldris lui avait bien deviné quelques fantômes, il n’avait certainement pas vu l’étendue des dégats.

Il ne savait pas que seule, elle ne valait rien du tout. Qu’elle n’était pas vraiment celle qu’elle était avec lui. Que ça… Ca, c’était un facétieux souvenir qui s’imposait, qui essayait de jouer à être ce qu’elle avait été avant, quand sa vie avait un sens… Seulement elle était seule, maintenant. Elle n’était plus rien, plus rien du tout. On lui avait arraché la meilleure partie d’elle-même, celle qui portait toutes ses qualités en lui laissant croire qu’elle était assez formidable pour les porter aussi. Mais elle avait bien vu que c’était faux. Qu’elle n’était plus rien. Un coeur en lambeau qui refusait de la laisser mourir pour de vrai, et une volonté bien plus forte que la sienne qui lui avait interdit de mourir.

Elle était détruite. Trop faible pour mourir, trop faible pour vivre. Il n’y avait rien en elle que l’on puisse apprécier. Elle n’était plus rien, plus rien du tout. Elle ne savait plus rien faire correctement. Lâche, stupide, égoïste, ridicule, agaçante, faible. Juste un poids pour tout le monde. Ils croyaient tous qu’ils auraient été triste si elle était morte aussi, mais c’était faux : c’eut été bien plus facile pour eux qu’elle cesse d’exister en même temps que la part d’elle-même qui avait de la valeur.

Dans ses pas qui devenaient mécaniques, elle finit par se perdre, et percuta un verre. Elle se figea, et le suivit du regard tandis qu’il sombrait vers le sol. Il y sembla rebondir. Son corps aurait-il eu cet espèce de rebond en atteignant le sol si elle avait su désobéir et affronter ce vide ? Ce vide qui était d’ailleurs bien moins effrayant, et qui semblait tellement plus doux que celui qui s’emparait d’elle.

Elle était seule, tellement seule. Ils finissaient tous par la laisser, de toute manière. Seule, tellement seule, comme au ralenti, elle regarda le verre qui éclatait avec l’impact. Les larmes lui montaient aux yeux sans quelle ne puisse l’expliquer. De toute façon, elle aurait dû avoir l’habitude, cela faisait presque neuf mois que cela durait.

Rien autour n’existait vraiment. Le seul son qui lui venait, c’était celui de ce verre qui éclatait. De celui que sa robe envoya le rejoindre quand elle se retourna sans y faire attention. Elle s’assit sur le bord de la table pour en descendre, avant qu’un nom ne lui revienne à l’esprit. Coldris. Coldris qui était là. Coldris qui l’avait certainement vue s’égarer. Coldris qu’elle venait de retrouver… Elle s’était immobilisée après quelques pas, sans oser se retourner. Elle ne savait même plus ce qu’elle devait craindre comme réaction. Elle ne savait même plus ce qu’elle voulait. Elle ne savait même plus ce qu’elle pensait de lui. Elle ne comprenait plus rien.
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Message par Coldris de Fromart Ven 26 Mar - 21:43



Coldris était entièrement d’accord pour la raccompagner à sa voiture et son sourire s’étira aussi malicieusement que déraisonnablement. Et pour cause, elle avait sans doute dû se faire déposer puisqu’elle n’était pas dans la cour de son hôtel. Il doutait également qu’elle ne soit stationnée juste devant, cela ne ressemblait pas à sa prudence.

— Seriez-vous en train de sous-estimez mes compétences en la matière ? s’enquit-il faussement vexé.

Après tout, il avait désormais un certain nombre d’années d’expérience à son compteur, et contrairement à ce que pouvait laisser paraitre sa fougue, il était parfaitement capable de la plus élémentaire des discrétions. Mais puisqu’elle avait accepté et c’était là tout ce qui comptait, il se lança dans le récit de ses exploits théâtraux. Enfin, surtout un en premier. La lecture d’une fameuse lettre. Et voilà qu’elle doutait de nouveau de son talent ! Décidément ! Quel dommage qu’elle n’ait pas de lettres à lui faire lire. Ou plutôt qu’elle n’ose pas les lui faire lire, car elle devait sans doute en avoir un petit paquet, cachée dans un tiroir de son secrétaire, attachées dans un joli ruban de soie bleue.


— Les paons, je les plume, ma belle colombe. lâcha-t-il avec provocation.

Ce qu’il pouvait haïr ces encombrants oiseaux tout juste bons à garnir une table une fois rôtie, ou à décorer les éventails de ses dames. Et puis cela le ramenait inlassablement à son propre paon à qui il avait tant souhaité de tordre le cou une bonne fois pour toutes. Répugnants animaux qui ne savaient rien faire d’autre que de se pavaner.

Sans surprise, elle lui reprocha ses recommandations. C’était drôle, à bien y penser, Aurélia avait eu exactement la même attitude ce jour-là. Pourtant, il fallait être sourd et aveugle pour ne pas comprendre qu’Éléonore parlait désormais d’elle. Il lui adressa un sourire bienveillant.

— Ce n’était pas cruel. C’était pour la protéger. Mes lettres sont trop dangereuses à conserver et je vous invite à en faire de même. Je serai restée dans son cœur et c’est tout ce qui compte. Il est parfois préférable de mettre le matériel de côté, vous savez.

Toutes ses lettres étaient toujours là en haut, dans l’écritoire de porcelaine, en compagnie de ses mouchoirs. S’il lui arrivait parfois encore de sortir l’un de ses carrés de soie pour s’imprégner de toute l’assurance, de toute la bienveillance et de toute la sérénité qu’il contenait, il n’avait en revanche pas relu ces mots depuis une éternité. Et c’était très bien ainsi. Les rares fois où il avait cédé à la tentation, cela n’avait fait que rouvrir ses plaies. Parce qu’avec les souvenirs heureux qu’il générait, venait cet effroyable boulet qui le coulait. Il préférait donc de loin chérir son souvenir comme une fragile petite fleur.

Sur ce le jeu se relança, il tenta d’argumenter pour sa présence à son bras durant le bal du charivari et les taquineries fusaient joyeusement.

— C’est uniquement pour vous épargner la vue de mon bras occupé par une demoiselle différente. Quoi que… Si vous préférez nous pouvons faire un pari sur le nombre de femmes que je peux convaincre de me tenir compagnie ? son sourire moqueur s’étira et il étouffa difficilement un petit rire.

Le jeu reprit entre pirouette, esquive et petit pas sauté. Oh elle tenta bien de l’induire en faute mais il ne comptait pas perdre si facilement, surtout qu’il détestait perdre. Il était un horriblement mauvais perdant. Ils avaient beau poursuivre leur danse, Coldris sentait bien qu’elle s’échappait mentalement. Ses gestes devenaient plus automatiques, son sourire s’estompait de même que les mots. Il l’observait hésitant à mettre fin au jeu, cherchant ce qu’il avait pu dire ou faire, mais ce n’était sans doute que l’accumulation de toutes ses maladresses combinées.

Elle heurta un verre. Elle se figea et Coldris n’en ressentit aucun plaisir. Il suivit des yeux le verre rebondir une fois, deux fois, puis se briser. Il entrouvrit ses lèvres, mais il ne savait pas quoi dire. A quoi pensait-elle ? Il leva ses yeux bleu bien trop clair vers les siens gonflés de larmes. Il les reposa sur le tas d’éclats cristallin qui gisait là. Se sentait-elle comme ce verre. Il ne prêta même pas attention au second qui le rejoignit. Ses prunelles ne quittaient plus sa silhouette glissante hors de la table. Il n’aurait jamais dû proposer ce jeu stupide, c’était affreusement maladroit. Il aurait dû le deviner à son simple souvenir. À son tour, il retourna à terre. Elle était une statue au milieu de sa salle à manger. Il la contourna et la serra contre lui, l’obligeant à poser sa tête contre son épaule.

— Je suis désolée, Éléonore. Tout est de ma faute. Je n’aurais pas dû vous entrainer là-dedans, c'était idiot de ma part.

Il passa une main sur sa chevelure brune avant d’embrasser son front.

— Vous n’êtes pas toute seule, d’accord? Je…

… vous aime.
… je suis là. Moi aussi, je suis là.

Sa main redescendit jusqu’à son épaule et il entreprit de la bercer sans un bruit.



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Message par Éléonore de Fromart Sam 27 Mar - 18:08

Eléonore fut surprise de le voir se contenter de ça. C’était curieux. Très curieux. Quand à contester sa discrétion… Il fallait admettre qu’il était difficile de ne pas ressentir le besoin de le lui rappeler après certaines de ses extravagances. D’ailleurs, même à Ariste - à qui elle aurait confié sa vie sans la moindre hésitation - elle n’avait jamais manqué de rappeler la prudence.

Ariste dont les lettres resteraient bien en sécurité dans leur coffres, loin des yeux de Coldris et de ses prestations théâtrales. S’il voulait une lettre à déclamer, ce ne serait pas l’une des siennes. Qu’il ridiculise donc le courrier de ceux qui l’agaceraient. Rien que pour en rire ensemble, ce n’était pas bien méchant.

En revanche, elle n’en démordrait pas : brûler les lettres de ceux qu’on aimait était une idée affreuse. Que se soit pour se protéger ou non - les protéger eux, c’était différent. Mais elle se refusa à gâcher ce moment avec ses tourments. Il y avait des choses dont ils n’avaient pas besoin de parler. Elle l’avat déjà bien assez dérangé la dernière fois… Elle reprit donc le jeu, s’y impliqua pour chasser les pensées qui ne devaient pas la harceler maintenant.

Quelques provocations sur cette affaire de bal. Elle roula des yeux, amusée : c’était qu’il était vraiment incorrigible. Elle n’avait jamais été quelqu’un de jaloux… Quoiqu’avec lui, il y avait tout de même cette nuance de… Un peu comme ce qu’elle avait repéré dans les lettres d’Ariste et qui lui avait permis de comprendre de quoi il retournait. Mais elle, elle n’en avait pas vraiment le droit, parce que… Parce qu’elle n’était rien du tout. Rien. Rien. Rien.

Tel le verre qu’elle venait d’envoyer au sol, l’enthousiasme ténu qui abait jusque là subsisté vola en éclats. Le monde n’existait plus vraiment autour d’elle. Elle se sentait seulement vide. Et seule. Et brisée.

Elle descendit de la table sans un mot avant de s’immobiliser lorsqu’elle se rappela où elle se trouvait. Lorsqu’elle se rappela la présence de Coldris. Elle gâchait encore tout, elle ne pouvait pas s’en empêcher… Il allait finir par la détester. Et de toute façon, elle se comprenait plus rien.

Elle l’entendit bouger derrière elle, puis le vit apparaître. Elle fronça un instant les sourcils lorsque ses bras l’entourèrent. Pourquoi ? Pourquoi faisait-il ça ? Pourquoi se comportait-il si étrangement avec elle ? Pourquoi était-il si… différent ? Tout cela n’avait pas de sens. Pas plus que tout le reste.

Elle s’appuya contre son épaule sans broncher. A la fois trop lasse pour s’y opposer, et trop inquiète de le vexer - si elle le repoussait, ça le blesserait, elle le savait. Et puis, elle avait trop besoin de ses bras pour se montrer orgueilleuse. Elle n’avait pas le droit de le déranger avec ses maux, il ne lui devait rien, ce n’était pas à lui de perdre son temps en essayant de la consoler. Il valait tellement mieux que les difficultés qu’elle créait. Il n’avait pas besoin d’elle. Elle ne comprenait plus rien.

Sanglot étranglé. Elle voulait partir. Partir, et ne pas lui imposer davantage ce spectacle… Seulement, il était hors de question qu’il se sente coupable. Il était hors de question de créer de nouvelles douleurs inutiles et un nouveau malentendu. Cette fois, elle ne présumerait pas. Elle attendrait qu’il lui annonce clairement que c’était terminé. Elle ne voulait plus lui faire de mal.

Elle remua la tête. Non. Non, il ne devait pas être désolé. C’était elle. Uniquement elle. Elle qui s’était laissée happer par ses fantômes parce qu’elle n’était qu’une sale petite égoïste, ingrate et ridicule. Non. Non. Il n’y était pour rien. Rien du tout.

Comment lui dire : c’était comme cela qu’elle était en permanence depuis près de neuf mois. Ces derniers temps, elle allait un peu mieux, et il y avait des passages moins désagréables. La compagnie de certaines personnes parvenait à l’éloigner un peu de ses démons et… et la sienne tout particulièrement. Parce qu’il était quelqu’un d’exceptionnel. Parce qu’il était différent. Et avec lui, tout cela parvenait même à disparaître complètement, par moment. Alors, elle se sentait juste bien. Complètement libérée d’un poids insupportable pendant un peu de temps. D’ailleurs, même quand il n’était pas là, elle allait moins mal en pensant à lui. Depuis qu’il était apparu, elle était de nouveau plus encline à plaisanter.

Alors oui, elle craquait maintenant. Mais ce n’était pas à cause de lui. C’était seulement lui qui lui avait permis de rire avant, ce qu’elle ne savait plus faire seule.

Sa respiration irrégulière la secouait, et ses larmes se firent plus abondantes. Elle tenta de sourire lorsqu’il embrassa son front, mais ses lèvres bougèrent à peine. Et sa gorge était si nouée de sanglots qu’elle n’arrivait pas à lui dire qu’il n’était pas responsable de son état.

Pleurer. Elle ne savait faire que cela depuis qu’elle était…

— Vous n’êtes pas toute seule, d’accord ? Je...

Elle leva le yeux, et tourna la tête pour essayer de voir les siens.

— …je suis là. Moi aussi, je suis là.

Les lèvres d’Eléonore tremblaient. Il était là. Il était là mais… Non, pas de “mais”. Elle libéra ses bras pour l’en entourer. Il devait rester. Il devait rester. Il devait rester. Elle n’avait pas le droit de le retenir mais… Mais elle ne voulait pas qu’il la laisse aussi.

Il était là, il l’avait dit. Oui, mais la dernière fois, elle avait dit la même chose, puis elle était partie. Et elle lui avait fait du mal.

Il était là, il l’avait dit. Elle ne comprenait pas pourquoi. Pourquoi il s’encombrait de ça. Le plus simple aurait été de tout simplement l’envoyer paitre, parce qu’elle était pénible et qu’elle ne valait plus rien. Plus rien du tout. Juste lourde et encombrante. Juste bonne à faire des simagrées et à pourrir la vie de tout le monde.

Elle ne sut dire combien de temps elle resta comme ça, déraisonnablement acrochée à lui comme s’il risquait de disparaître avant de réussir à le croire. Il était là. Elle ne savait pas pour combien de temps, ni comment c’était possible, mais il était là. Cela n’avait pas de sens, mais il était là.

— Ce n’est pas vous, réussit-elle finalement à dire. Ce n’est pas vous. Je… Vous n’avez rien à vous reprocher. C’est juste moi. J’ai encore tout gâché. On riait, et j’ai tout gâché. Je suis désolée.

Et elle tenait beaucoup à lui. Et même s'il avait été maladroit, elle ne lui en aurait pas tenu rigueur. Et il était le seul soleil qu'il lui restait. Son seul bonheur. Et elle ne voulait pas le perdre, surtout pas. A chaque fois qu'elle le voyait, l'idée devenait plus insupportable. Mais elle garda les dérives de son cœur secrètes ; elle ne voulait pas l'enchainer à elle. Parce que même s'il était impossible qu'il ressente la même chose, elle savait qu'il était différent avec elle. Plus sensible... même plus vulnérable. Mieux valait ne pas prendre de risques. Simplement attendre qu'il en ait marre, et ne surtout pas montrer combien cela l'atteindrait. Elle n'avait pas le droit de le tourmenter.
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Message par Coldris de Fromart Sam 27 Mar - 20:47



Coldris la berçait entre ses bras. Sans un bruit. Il tâchait d’amortir les sanglots qui la secouaient à intervalles réguliers. Quelques minutes plus tôt, il avait croisé ses yeux ruisselants de larmes. Cela faisait des années, des siècles même qu’il ne s’était pas senti si démuni et impuissant. Ni si touché d’ailleurs. Il ne pouvait rien faire d’autres que de frotter son dos en la serrant aussi fort que possible contre lui. Sa peine avait beau lui alourdir le cœur, il l’aurait bien volontiers portée à sa place, parce qu’après tout ce qu’il avait vécu ce n’était rien de plus qu’une plume sur un tas de plomb pour lui. Alors s’il avait pu lui rendre le sourire comme cela, il l’aurait fait sans la moindre hésitation. Et il aurait même fait bien plus encore.

De ses tourments, il n’avait que ses suppositions auxquelles se raccrocher. Une disparition proche d’elle, qu’elle n’aurait pas pu épouser et qu’Alduis connaissait. En réalité, il aurait rapidement pu découvrir son identité pour peu qu’il l’ait réellement voulu. Si sa curiosité le poussait à provoquer les recherches, son respect grandissant pour sa personne l’en empêchait. Il y avait cette petite voix qui lui murmurait que s’il savait (et il pouvait si facilement savoir), il pourrait mieux l’aider ensuite. Et il y avait cette autre petite qui lui rappelait qu’il devait patienter et attendre qu’elle se confie à lui. Entre les deux, sa volonté vacillait toujours, éternelle indécise qu’elle était.

Dans son dos, il sentait toujours ses mains s’agripper à lui comme si elle risquait de chuter en le lâchant. Ce qu’il aurait aimé pouvoir trouver les mots pour l'apaiser. Les mots, il en usait et abusait. Il en jouait aussi, bien souvent. Mais il était incapable de réconforter qui que ce soit et préférait donc se taire plutôt que d’aggraver la situation d’une énième maladresse. Il embrassa le sommet de son crâne. Si seulement elle pouvait puiser dans sa propre paix actuelle pour éteindre son incendie de tristesse.

Finalement, elle réussit à articuler quelques mots d’une voix tremblante. Elle n’avait rien gâché du tout et il était bien incapable de lui en vouloir pour si peu. Il esquissa un sourire un brin amusé.

— Et bien dans ce cas, j’imagine que nous sommes quittes: car vous ne pouvez pas me retirer la responsabilité de la fois précédente. Et vous devez même admettre que je conserve la palme! tenta-t-il avec une certaine autodérision.

Il prit son visage entre ses mains et essuya ses larmes de ses pouces sans se départir de son sourire.

— Vous savez, un jour, quelqu’un m’a dit que les faiblesses étaient faites pour êtres partagées, car alors, elles semblaient plus légères. Et même parfois, dans de rares cas, qu’elles pouvaient s’annuler.

Il déposa un léger baiser sur ses lèvres plein de tendresse. Il ne pouvait pas l’obliger à lui raconter, il pouvait simplement lui ouvrir la porte.

— Je ne sais que trop bien ce que c’est pour vous blâmer de quoi que ce soit. Et vous au moins, n’avez pas la lâcheté de noyer vos tourments dans des paradis artificiels


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