[15 décembre 1597] La serre vous ouvre ses bras [Terminé]

La serre commençait à prendre vie. Les plantes sortaient de terre et les bourgeons se formaient, dans un ensemble aussi organisé que désordonné, pour laisser libre court à la nature dans un espace donné. Ce n’était encore qu’une ébauche de la magnifique serre qu’elle deviendrait au fil des mois mais une ébauche déjà fort soignée. Ce serait un magnifique cadre pour la rencontre qu’elle allait accueillir ! Pour celle-ci, Guillaume s’était fait tout beau : bien coiffé, aucunement débraillé, lumineux, il avait hâte de revoir son amie Bélyl ! Son empressement n’avait pas manqué d’amuser les trois autres, désormais au courant de toute l’histoire grâce à Cassandre. Ils n’avaient toutefois pas insisté en le charriant de trop : il ne fallait pas qu’il soit trop rouge pour sa bien-aimée ou qu’il en ait honte. Ils le charrieraient un peu après…

Mais déjà des pas arrivaient. Eugène et Florentin travaillaient au bout de la serre tandis qu’Hyriel était à ses schémas avec Guillaume pour noter l’avancée de la croissance des diverses plantes. Tous deux relevèrent la tête, ravis, en voyant arriver les deux dames du domaine, tandis que les deux autres se rapprochaient. Ils inclinèrent la tête, ravis, pour saluer leurs patronnes.

« Prêts ! Et vous donc, pouvons-nous faire quelque chose de plus pour votre confort ? »

Ils se tinrent tous prêts à recevoir leurs instructions. Guillaume, lui, se tordait et retordait les doigts dans son dos, n’osant pas les passer dans ses cheveux par peur de se décoiffer. D’un instant à l’autre, c’était très bientôt… Et on entendait ses pas, avec les roues de Tristan ! Oh, bien sûr, son chaperon venait avec elle… Guillaume s’efforça de demeurer calme, au moins en apparence. Peut-être qu’ils pourraient trouver le moyen d’occuper Tristan avec Mme Kalisha et Mlle Florentyna afin de parler tranquillement…
Hyriel, pour sa part, réfléchit à la question. Au son, elle n’était pas seule…

« Je pense que c’est plus sage. Elle connaît mon véritable nom mais ce n’est sans doute pas le cas pour son accompagnateur… Mieux vaut ne pas prendre de risque, au moins dans un premier temps. Je vous remercie en tout cas de l’intention. »

Ce disant, il inclina la tête, sincèrement reconnaissant.

Le travail avançait à grands pas dans la serre, ou plutôt aurait-elle dû dire « à grande pousse ». C’était comme un printemps au plein milieu de l’hiver. Un renouveau dans ce paysage qui semblait mort. Quelque part tout ceci semblait de bon augure. Et même si Sylvère adorait l’hiver autant que les autres saisons, pour sa part, elle était ravie de trouver ici un peu de chaleur. Chaleur qui se déclinait de plus d’une façon sous cette serre qui lui faisait l’effet d’un petit monde-bulle loin du tumulte extérieur.

Emmitouflée dans son épais manteau, elle devait sûrement avoir l’impression de s’y faire dévorer vue de l’extérieur, mais qu’importe, il faisait définitivement trop froid dans ce pays. Si Florentyna se sépara de sa houppelande, Kalisha préféra la conserver. Juste encore un peu.

Il y en avait un qui était terriblement nerveux semblait-il (et parfaitement apprêté, ce qui n’était pas si commun)

— Cela ira je vous remercie répondit-elle avec un petit sourire Vous êtes parfait Guillaume, tout va bien se passer !

Si elle pouvait le rassurer, un tant soit peu. Rien qu’un petit peu. Il semblait si nerveux ! La princesse se demandait qui cela pouvait bien être qui accompagnait la belle Bélyl, avec ce petit bruit de roues. Elle n’en avait pas la moindre idée. En tout cas, elle partageait l’avis d’Hyriel auquel elle se rangeait : il était bien plus prudent de continuer de l’appeler Louis. Elle ne prendrait aucun risque.

Bélyl Cassin, 16 ans

Parée de ses plus beaux atours, Bélyl avançait vers la serre, ravie et enchantée d’être invitée à Monthoux. Elle avait bien conscience de sa chance d’être ainsi reçue par le comte et sa famille. Elle espérait faire une bonne impression, c’était capital pour la suite. Elle souhaitait absolument laisser un bon souvenir et montrer qu’elle pouvait avoir sa place dans ce monde. Après tout, c’était ce que ses parents avaient toujours voulu et elle tenait sincèrement à les rendre fiers. C’était une occasion et une chance unique. En plus, elle pourrait peut-être se faire de bonnes amies comme la comtesse et l’héritière avaient presque son âge !

Et puis, il y avait Guillaume… Rien que d’y penser, elle rougit, et essaya de se cacher de Tristan derrière une mèche qui retombait gracieusement près de son oreille. Une idée de son camériste préféré qui avait toujours de lumineuses pensées pour éclairer son visage. Avec cela, elle était très jolie et ne le remercierait jamais assez. Elle tira un peu sur ses gants alors qu’ils arrivaient à la serre. Elle avait hâte. On disait que ce jardin était une pure merveille ! Un véritable voyage miniature. Ainsi, elle aurait l’impression de se retrouver dans l’une des histories de son oncle Paul.

Alors qu’ils arrivaient, elle jeta un regard à Tristan, pour voir s’il était tout aussi impatient. Il semblait joyeux. En espérant qu’il ne croise pas cette femme qui semblait leur avoir causé tant de tourments…

Enfin, ils arrivèrent près de leurs hôtes. Bélyl sourit avec grâce puis s’inclina avec respect, avec une posture à la perfection.

- Mesdames, je suis enchantée de faire votre connaissance et c’est un honneur pour moi de répondre à votre invitation.

L’herboriste nota avec un sourire que la comtesse n’était pas très à l’aise dans leur hiver. En même temps, pour elle, c’était la première fois. En la voyant ainsi conserver sa houppelande à l’inverse de sa belle-fille, il lui adressa un sourire compatissant. Et puis au moins, dans la serre, il ne se faisait pas de souci : c’était un petit havre de printemps qui la réchaufferait en un rien de temps ! Il hocha la tête, ravi, quand elles signifièrent n’avoir pas besoin de plus concernant l’organisation et Guillaume vira pivoine à la suite. Lui au moins n’avait pas froid ainsi. Il tenta de cacher habilement sa gêne par un sourire maladroit et un hochement de tête fébrile.

« O...Oui, je n’en doute pas, bien sûr, qu’est-ce qui pourrait mal se passer, après tout, n’est-ce pas ? »

Il resserra ses doigts dans son dos et s’efforça d’avoir l’air rassuré. Hyriel, loin d’être dupe, lui accorda une tape encourageante dans le dos. C’est alors que Bélyl et Tristan entrèrent, juste quand Eugène et Florentin approchaient silencieusement, alertés par le son de l’arrivée. Hyriel inclina la tête avec déférence pour saluer et ne dit rien, laissant parler ses patronnes. Guillaume fit de même, inclinant la tête et priant tout ce qu’il pouvait que l’on entende ni ne voit son cœur dansant la gigue avec des sabots. Il luttait également contre une irrépressible envie de lever les yeux pour croiser ceux de son amie. L’envie étant plus forte que sa volonté, il lui adressa quelques regards furtifs avec discrétion ou, du moins, avec une discrétion toute relative. Les quatre amis inclinèrent de nouveau la tête quand on les présenta, chacun leur tour. Guillaume perçut la gêne de Tristan, sans doute égale à la sienne, et lui sourit. Hyriel et Florentin firent de même, désireux de rassurer l’ami dont son apprenti leur avait parlé. Eugène étira légèrement les coins de ses lèvres dans le même but. Finalement, Hyriel entreprit de parler pour leur petit groupe avec un visage des plus cordiaux.

« Nous vous remercions pour vos compliments, Mademoiselle. Mademoiselle Cassin, c’est un honneur et une joie pour nous de vous rencontrer et de vous recevoir dans cette serre dont nous avons le plaisir de nous occuper. »

Guillaume, lui, acquiesça par de rapides hochements de tête assortis d’un sourire radieux.

A l’arrivée de Bélyl, Florentyna prit soin de les présenter et la princesse, reine ou comtesse – à voir -  s’inclina délicatement pour saluer les nouveaux venus. C’était adorable de la part de son amie de rappeler son ancien titre malgré ce mariage qui l’avait quelque peu effacé au profit de celui monbrinien. Elle rendit un sourire au jeune garçon dans sa roulotte et délégua les opérations à la maitresse de cérémonie.

Son regard parcourut les trois compères puis la serre et la seule chose à laquelle elle pouvait penser c’était à son roi qui l’avait quitté pour leur forêt.  Elle ravala péniblement tant les larmes qui montaient que sa salive. On ne pouvait pas dire que le cœur y était. Ses petits poings serrèrent machinalement un pan de son manteau  en percevant le sourire radieux de Guillaume qui ne fit qu’alourdir le poids qu’elle portait.

Comme toujours, il fallait faire illusion. Elle pouvait bien y arriver encore aujourd’hui, non ? Elle chercha l’immensité céleste du regard pour se rassurer : parce que tous deux voyaient le même ciel en cet instant précis et c’était ce à quoi elle voulait se raccrocher.

Bélyl Cassin, 16 ans

Intimidée mais ravie, Bélyl s’avança vers la jeune comtesse, ravie à l’idée de se faire une nouvelle amie peut-être. Elle inclina la tête.

- Le plaisir est partagé !

Elle sourit en s’installant avec grâce, bien comme sa mère le lui avait appris. Elle prenait soin d’appliquer toutes les bonnes manières. Les pâtisseries semblaient appétissantes mais la beauté du jardin et la conversation l’intéressait pour le moment bien plus. Elle vit alors que la comtesse semblait curieuse à l’égard de Tristan. Elle sourit.

- Voici Tristan, mon chaperon ! Il est aussi mon ami.

Elle sourit ensuite poliment en laissant la jeune femme décider.

- Je suis à votre disposition et ferai selon ce que vous avez prévu. En effet, c’est une merveille ! Je n’aurais pas cru voir pareille splendeur exotique ici ! C’est comme si les récits de mon oncle Paul prenaient vie !

Elle se garda de trop observer Guillaume qui l’aurait fait davantage rosir. Elle croisa malgré tout quelques regards qu’elle tenta de masquer. Elle sut également que celui qui lui parla devait être son maître.

- Eh bien c’est vraiment un travail magnifique, je vous en félicite !

Elle remarqua que de tous, curieusement c’était la maîtresse de maison qui parlait le moins. Bélyl lui trouvait l’air fatigué, peut-être était-ce simplement cela… Elle préféra donc attendre les directives de Florentyna, déjà impatiente de voir cette belle serre, et peut-être d’en profiter pour parler seule avec son ami.