Boîte aux lettres de la famille de Monthoux

Mademoiselle,

J’ai appris hier soir vos récentes mésaventures, et vous sachant dans le trouble, je ne puis m’empêcher de prendre de vos nouvelles, ainsi que de celles de Madame la comtesse.

Dans l’attente de votre réponse qui, j’espère, sera rassurante, je ne puis que vous souhaiter que tout s’arrange bien vite pour tous. Vous n’hésiterez pas, j’espère, à me contacter si je pouvais vous être d’un quelconque soutien.

Avec tout mon respect et toute mon amitié,

Cher Boréalion,

Vous ne pouvez imaginer combien votre courrier et les attentions que j'y lis me mettent du baume au cœur ! Je vous en remercie chaleureusement et suis moi-même en peine de ne plus vous avoir donné la moindre nouvelle depuis notre dernière rencontre. Notre famille a en effet été secouée par une douloureuse affaire judiciaire, dont l'issue devrait être donnée aujourd'hui même si rien n'a changé d'ici là... J'ignore quels sons de cloche auront pu vous parvenir exactement, je les redoute quelque part - car vous savez certainement le mal, les exagérations, pour ne pas dire les faussetés, que peuvent engendrer des "on dit" que l'on croirait sortis des romans les plus rocambolesques. Mais je tiens à vous affirmer que la comtesse Kalisha et moi-même sommes innocentes. Que vous n'aurez jamais à souffrir le moindre écorchement de votre réputation par la faute du nom de votre mécène. Le Cardinal Cassin, par la voix de sa novice, nous a déclarées pures.
Je suis touchée de l'attention que vous nous portez - la princesse le sera sans doute également ; je ne manquerai pas de lui transmettre vos bon vœux. Me voilà en mesure de vous rassurer : nous nous portons bien. Nul scandale ne frappera notre maison. Et une fois cette période trouble achevée, j'ai à cœur de reprendre le cours ordinaire de ma vie, dans lequel nos échanges tiennent une place qui ne souffrira nulle interruption. Je n'oublie pas toutes les stimulantes idées qui ont germé de notre dernière conversation autour de ces bons gâteaux et belles illustrations - il me tarde de travailler avec vous à concrétiser celles qui vous plairont !

Un bouleversement n'arrivant jamais seul, à peine remise du Premier Jugement dans lequel nous avons été impliqués... que Monsieur mon père m'a annoncé mes fiançailles prochaines. Les bancs sont pris pour fin janvier. Avec la permission du comte, je puis vous communiquer le nom de mon promis : Alduis de Fromart. C'est donc certainement au domaine du vicomte que nous nous rencontrerons à l'avenir, une fois apaisée la tempête de tant de changements. J'ai été conviée à partager le dîner de Noël avec ma belle-famille. Je puis vous dire qu'elle ne voit nulle objection à la poursuite de mes engagements littéraires. Elle est même ouverte à l'accueil des arts sous toutes leurs formes. Une nouvelle qui me réjouis au milieu de tant de secousses.
La comtesse Kalisha se porte bien. Nous sommes seulement tristes de savoir que d'ici un mois, nous ne partagerons plus le quotidien l'une de l'autre... Nous guettons aussi, avec anxiété, la tournure des choses du côté des tensions grandissantes entre l'Empire et Djerdan. Mais en dépit de ces épreuves, nous ferons tout pour continuer de nous fréquenter aussi régulièrement que possible, et je suis du reste certaine que la comtesse appréciera elle aussi de vous revoir.

Et vous donc ? Comment allez-vous depuis votre venue à Monthoux ? Je manque à tous mes devoirs... cette année, je n'ai pas envoyé à nombre de mes bonnes relations de billet de vœux pour la Nativité, mais puisse ce courrier être au moins l'occasion de vous demander si les fêtes de Noël ont été bonnes pour vous et votre famille. J'espère que vous et vos proches avez profité de ce moment. Que tout le monde se porte bien autour de vous. Je forme le vœu que cette fin d'année soit propice à tous vos projets, autant que sur le plan personnel. L'inspiration et les rencontres de lecteurs sont-elles au rendez-vous ?
Recevez mes amitiés et, avec un peu d'avance, le souhait que vous passiez une agréable Saint-Sylvestre. Puisse l'approche de 1598 être porteuse du meilleur pour vous et vos proches. Peut-être un jour aurais-je le plaisir de rencontrer également vos sœurs, et surtout votre petit garçon. Lui à qui je ne pourrai que faire savoir en temps voulus combien il peut être fier de son père - et inspiré par lui, tant un Papa est toujours quelque part un héros.

Avec mes plus chaleureuses salutations et la hâte de vous revoir,
Que Notre Seigneur, dont nous venons de célébrer la venue au monde, vous garde en sa bonté,

Mademoiselle,

Si les on-dit recèlent parfois d’excellentes histoires, je ne me plais pas à les croire pour autant. Entendre votre nom cité lors d’un procès pour sorcellerie ne me chagrinait tant pas pour ma réputation - qui s’en serait remise, croyez-moi - que pour les tourments qu’une telle affaire doit vous apporter. Pour ce qui est de votre culpabilité, vous connaissez sans doute l’imagination débordante qui me porte et m’amène souvent à d’intrigantes conclusions qui ne m’en semblent pas moins sensées. Je ne vous accuse pourtant de rien, confiant en votre jugement et convaincu de la pureté de vos initiatives, quelles qu’elles aient été.

Figurez-vous que le hasard a voulu que je reçoive une invitation de votre future belle-sœur il y a quelques jours de cela. La curiosité suite à votre annonce m’a poussé à y répondre sans délai, et je la quitte à l’instant. Malgré quelques divergences de goûts, je ne doute pas qu’elle soit une femme très bien dont la conversation m’a été plutôt enrichissante. Je prie pour que votre arrivée future dans cette nouvelle famille se passe au mieux. J’ai également appris que l’un de vos ami, un certain Alexandre, s’y trouvait. Figurez-vous qu’il participait à notre conversation et m’a répété tout le bien qu’il pensait de vous autant que de la comtesse.

Pour ma part, je me porte assez bien. Vos suggestions font leur chemin, et j’avoue que certaines d’entre elles me semblent de plus en plus attrayantes. Celle de votre belle-mère également, et je serais ravi de concrétiser cette rencontre lorsque les choses se seront apaisées autour de vous. L’objectif n’était pas de vous créer davantage d’ennuis.

Puisque vous l’évoquez, j’ai également eu la surprise de voir ma soeur cadette arriver en ville, pour passer Noël avec mon fils et moi. Nous passeront également la Saint-Sylvestre - que je vous souhaites bonne également - ensemble. Mes aînés, eux, ne semblent pas décidés à quitter Helienir. Héloïse, en revanche, me demande de vous dire qu’elle serait ravie de faire votre connaissance et celle de dame Kalisha et de vous transmettre ses meilleurs vœux.

Quoi qu’il en soi, Mademoiselle, sachez que vos mots me touchent sincèrement. Il me tarde de vous revoir, et de recevoir de votre part des nouvelles qui, j’espère, s’amélioreront.

Que le Seigneur, dans sa grâce infinie, vous permette, à la princesse et vous, de surmonter cette période tumultueuse.
Avec mon amitié la plus sincère,