Boite aux lettres de la famille Torienel

Au jeune homme qui court dans les églises,

C’est avec joie que j’ai découvert que ta curiosité t’avais poussé à chercher l’identité du mystérieux inconnu rencontré à l’église. J’espère que tu as sévèrement sermonner ton précepteur pour t’avoir mis dans un tel embarras. A défaut, j’ai pu noter qu’il te faisait étudier convenable ton Cicéron et tes classiques. Ta prestation était somme toute correct bien que très scolaire et tu y gagnerasi à développer ta personnalité.
A ce titre et comme je ne suis pas rancunier de tes maladresses protocolaires, je t’invite le 31 décembre prochain à venir fêter la nouvelle année en bonne compagnie. Ce sera là l’occasion de faire plus ample connaissance.

Quant à ta requête, tu apprendras que les méandres administratifs de l’évêché feraient passer le labyrinthe de Dédale pour un jardin à la française. Je ne doute guère que ce prêtre ne soit sévèrement puni pour son attitude honteuse et déplorable dont il n’a pas manqué de faire étalage, une fois de plus, lors du procès.

Dieu vous garde en ses bons conseils, jeune homme,

Monsieur Retmer,

Permettez-moi de vous féliciter pour la médiocrité et la vacuité de votre enseignement qui ont permis à votre élève de se retrouver en bien mauvaise posture lors de notre rencontre. C’est là une qualité fort rare que de parvenir à omettre le prénom d’un ministre de notre empire.

Je ne doute pas que la jeunesse de votre esprit ne soit en cause dans cette bévue parfaitement inadmissible. Aussi permettez-moi de vous signaler à toutes fins utiles que les armoiries Fromart ont été modifiées par mes soins, il y a de cela, bon nombre d’années désormais. Admettez qu'il serait fâcheux que votre protégé se retrouve à parler fièrement des trois coqs en lieu et place du taureau.

Mon cher Monsieur Retmer, l’ignorance de la relève de notre Saint Empire est entre vos mains.

A l’apprenti orateur,

Il faut savoir se faire entendre de ceux qui nous enseignent et savoir en toute chose garder l’esprit aussi critique qu’ouvert. De même qu’il est nécessaire de savoir imposer son autorité en ce bas monde. Dis-moi jeune ami, ne t’es-tu jamais demandé depuis notre rencontre combien d’autres enseignements il avait omis ou déformés à son gré ? La vérité n’est qu’un reflet mouvant dans l’onde d’une rivière. Difforme et incomplet.

Tu apprendras également que l’humilité est l’apanage des timorés et des pleutres qui n’osent assumer ni leurs ambitions médiocres ni les conséquences de leurs actes. Deux catégories d’individus affreusement inutiles et ennuyeuses dont il est bon d’éviter toute appartenance.

Mon message saura sans doute trouver son chemin dans ce dédale, mais j’ignore en revanche s’il a rencontré une belle Ariane pour être son guide. L’avenir nous dira s’il fut si malin.

Concernant notre lieu de rendez-vous, il s’agit du célèbre Lupanar où j’y siègerai en compagnie de quelques personnalités que je tiens en amitié. Je t’y attendrai pour les vingt heures si tu n’es pas déjà couché par ta nourrice. Je ne doute pas que cette ultime nuit de l’année soit des plus réjouissantes.

Porte-toi bien et garde les yeux grands ouverts, mon garçon,

Monsieur Retmer,

Il semblerait que les mouches colportent votre réputation plus vite que vous ne l’imaginiez. Étant donné que vous semblez si bien me connaître vous devriez savoir que l’information est au coeur de mon métier, ce qui n’est, de toute évidence guère votre terrain de jeu.

Et puisqu’il paraîtrait que je n’éclaire la Cour laissez-moi donc dissiper cette ombre que je crois bien entrevoir: il n’est en ce monde qu’un seul astre réel autour duquel sont attirés tous les regards.
Quoique vos paroles soient fort flatteuses, il ne s’agit point de ma personne, mais bien de notre bon Roi dont nul ne saurait jamais égaler sa majestueuse lumière.

Il serait fâcheux que les pépiements incessants ne rapportent à ses oreilles qu’un précepteur semble vouloir éclipser son œuvre ou ne transmettent quelques fantaisies à son élève dont il semble par ailleurs respecter le père.

Que serait un précepteur sans élèves, Monsieur Retmer ?

Monsieur de Torienel,

Je vous remercie pour les vœux que vous m'adressez et pour votre appréciation de mon travail auprès de Sa Majesté notre Roi. À mon tour je vous souhaite le meilleur, à vous ainsi qu'à toute votre mesnie, pour cette nouvelle année.
Votre demande m'honore. Je ne puis que saluer un tel projet, d'autant que votre fils semble présenter des dispositions pour la vocation dont vous me faites état. Je n'ai pas oublié sa courageuse intervention lors du procès du sorcier Hyriel. Quoique jeune et malhabile encore par certains aspects, ses paroles ne manquaient ni d'éloquence, ni d'érudition, ni de soucis des valeurs que se doit d'observer tout bon suzerain. Autant de points qui ne demandent qu'à être améliorés par un solide apprentissage d'une part, et d'autre part une confrontation à la réalité de ce monde législatif et judiciaire.
Ce serait donc avec intérêt - et curiosité pour l'évolution de votre fils - que je le recevrai en mon domaine pour le guider au mieux de mes capacités dans ce noble apprentissage qu'il s'est choisi. Mais avant toute chose, il me semble pertinent de vous rencontrer, vous-même et le jeune Nehalan, pour une première prise de contact. Nous aurons ce 20 janvier une cérémonie aux Champs-Elysées à laquelle je me trouverai. Si rien ne vous occupe déjà à cette date, l'événement pourrait être l'occasion d'une conversation.

Merci à vous pour la confiance que vous me témoignez.
Dieu vous ait en sa Sainte Garde.

Mon cher Nehalan,

Contrairement à cette précédente invitation qui s'est tristement perdue, j'ai parfaitement reçu la nouvelle et je m'emploie à y répondre favorablement. Je garde un excellent souvenir de notre rencontre à la taverne, où je vous assure qu'aucune de vos mes questions ne m'ont embarrassé. Cessez donc de rougir de votre curiosité ! Cette qualité vous ouvrira le monde si vos savez l'exploiter à sa juste valeur. Au retour, personne ne fit la moindre remarque sur cette légère tâche.

Le programme que vous me décrivez promet une journée des plus intéressantes et j'ai hâte de vous retrouver. Vous écouter jouer et visiter votre domaine serait un privilège et une joie. Je serai là, à l'heure indiquée.

Il me faut à présent vous confesser une chose : je suis en partie coupable de ce détournement de lettre. Le 9 Décembre dernier, je passais la journée à l'église de Saint-Eustache, à la demande de mon maître précédent occupé alors à des affaires urgentes. En arrivant, je découvris pour la énième fois le spectacle d'un prêtre ivre mort, la tête écrasée dans une flaque de vomi. Las, je m'acquitta de mon devoir en procédant au nettoyage. Lors de cette opération, ma main découvrit une enveloppe dans le liquide répugnant. Une enveloppe. Je ressentais à cet instant une forte colère pour l'individu qui m'imposait cette corvée et, par désir de vengeance, mesquine je l'avoue, je l'ai brûlé avec un cierge, animé par l'envie de voir pour une fois mon père puni pour une faute si ce courrier devait être important.

Le Seigneur nous punit de nos mauvaises actions.

Après notre rencontre à la taverne, j'ai cherché à comprendre et pris renseignements auprès des soldats qui gardaient l'église le 9 décembre. Ils m'ont confirmé la venue de votre messager ce jour-là. J'ai ainsi déduit que cette enveloppe brûlée devait être votre invitation. Veuillez me pardonner pour cette fauter, mon cher Nehalan.

Dans l'attente de notre nouvelle rencontre, portez-vous bien, mon bon ami.

Cher Papa,

Lorsque vous lirez ce billet, la voiture sera déjà bien loin de votre demeure.

Je me rends bien compte à présent, que le meilleur endroit où je puisse vous faire honneur n’est ni un tribunal, ni un orchestre. Quant à l’armée, nous savons tous deux qu’il n’en a jamais été question. Je ne puis que vous être reconnaissant pour les efforts que vous avez déployés à mon encontre, mais il me semble évident que c’est auprès de Dieu que je saurais me rendre utile.

Sachez que cette décision a été longuement réfléchie et que je ne la regrette pas. Je serais incapable de vous donner une descendance, de vous succéder auprès de sa Majesté ou de m’illustrer en société par mes propres moyens. Quelque part, je crois que vous l’avez toujours su, et je prie pour ne pas vous décevoir à nouveau.

Je vous en prie, ne châtiez pas le cocher pour m’avoir conduit sans votre aval, je lui ai dit que la décision venait de vous. Quant à Léontine, je vous serais éternellement reconnaissant de lui trouver une place à la hauteur de ses compétences sinon de la garder à votre service. Je sais que je ne suis pas en position de faire des requêtes, mais son dévouement durant toutes ces années mérite à mon sens d’être considéré à sa juste valeur.


Post scriptum : Je me suis chargé personnellement d’adresser mes excuses au Premier Conseiller, inutile de vous en préoccuper.

Ma chère Maman,

Je vous en prie, ne pleurez pas. Père a dû vous le dire, je fais route en ce moment même vers un Monastère où je me mettrais au service de notre Seigneur. Ne vous faites point de soucis pour ma santé, je suis persuadé que tout ira à merveille. C’est un autre de vos enfants qui vous quitte mais je vous fais la promesse de vous écrire aussi souvent que je le pourrais. Je ne vous oublierai jamais, Maman.

Mon cher frère,

Je ne sais quand tu recevras cette lettre, et t’enjoins de toutes mes forces à rester en vie durant cette guerre qui se prépare. Toi et Jehan manquez beaucoup à notre mère, il serait aimable de votre part de lui rendre visite plus souvent. Cela la sortirait de la triste décrépitude dans laquelle elle s’est plongée depuis votre éloignement du foyer familial.

Jusqu’alors ma présence tempérait ses lassitudes, mais à présent que je m’en vais rejoindre les serviteurs de notre Père à tous, il n’y aura plus personne pour égayer le château.

Si le cœur vous en dit, vous pourrez continuer de m’écrire, et j’en serais très heureux.

Cher Nehalan,

J'ai reçu avec surprise puis émotion vos dernières nouvelles. Sachez que je ne vous tiens aucunement rigueur de ce changement si soudain de décision. Vous êtes à l'âge des réflexions sur soi-même, sur l'avenir, et il n'y a rien de répréhensible à s'apercevoir en chemin qu'une voie n'est finalement pas la plus indiquée.
Puisque vous vous sentez appelé par Notre Seigneur à une vie consacrée dans les ordres, je vous souhaite d'y trouver le bonheur d'une part, d'autre part l'épanouissement de vos capacités et de votre sensibilité auprès de frères en religion et de nécessiteux. J'ai senti en vous un soucis d'autrui qui vous honore.

Soyez heureux.
Dieu vous garde.

Mon cher Nehalan,

Je dois vous avouer que j'ai été étonné par la lecture de votre lettre, même si j'en comprends les intentions. Si l'existence monial vous attire tant et que vous ressentez l'appel de notre Seigneur, il serait vain de lutter contre. Je vous souhait du plus profond de mon coeur de vous épanoui. Vous êtes une belle personne et je suis heureux de vous avoir connu, même pour si peu de temps.

Pour ma part, ma vie se déroule normalement, avec quelques difficultés, mais rien qui ne soit surmontable. Ce sera avec un plaisir que je continuerai à vous écrire, mon ami, et à ainsi vous tenir informé des actualités du monde profane.

Portez-vous bien, mon cher Nehalan, dans l'attente que Dieu nous permettre de nous retrouver un jour.

Cher monsieur de Torienel,

Je suis au regret de vous annoncer que la semaine passée, votre jeune fils Nehalan, qui avait rejoins notre communauté depuis peu, s’est retrouvé la proie d’un effroyable rhume. Les couloirs venteux de notre monastère y furent sans nul doute pour quelque chose, au regard de sa santé fragile.

Il nous quitta la nuit dernière, après s’être valeureusement battu contre le mal. Si cela puis adoucir votre peine que je sais grande, sachez qu’il s’est éteint sans douleur, dans le courant de son sommeil, grâce à la petite dose d’opium que notre médecin lui administra, dans le seul objectif d’apaiser ses souffrances.

Prenant en compte le temps que mettra ce message à vous parvenir, nous avons pris la liberté de lui organiser des obsèques dignes de lui. Il repose dans le cimetière du monastère, au plus près de notre Père à tous. Si vous désirez venir vous recueillir sur sa sépulture, vous serez toujours le bienvenu, vous ainsi que les autres proches du défunt.

Votre fils était un garçon candide mais affectueux, et se fut un plaisir pour nous de l’avoir à nos côtés. Il repose à présent au près de notre Dieu, qui, j’en suis certain, saura lui garder une place au paradis. Paix à son âme.

Chère Madame, cher Monsieur de Torienel,

C'est avec une grande tristesse que nous avons appris au domaine de Frenn le décès de Nehalan. Je n'ai pas eu le temps de connaître davantage votre fils mais suis certain que le Seigneur l'aura vite accueilli en le Paradis. Recevez tout mon soutien pour traverser ce moment d'épreuve, mes sincères condoléances et ces quelques fleurs pour honorer la mémoire de Nehalan,

Dieu vous garde,

Chère Madame, cher Monsieur de Torienel,

Je vous présente toutes mes condoléances pour la perte de votre fils Nehalan. Je souhaitais vous présenter mes excuses pour m'être mal comportée avec lui. Lors de notre première rencontre, je n'ai pas été gentille avec lui. Quelques jours plus tard, je lui ait même joué un méchant tour. Je me suis aussi moquée de lui en compagnie du ministre des affaires étrangères en lui racontant les farces que je lui avait joué. Je suis désolée. même si ses paroles n'excusent en rien un si mauvais comportement.

Aujourd'hui, j'ai conscience que Nehalan était un garçon très gentil et très courageux. Je regrette sincèrement de m'être moquée de lui et de ne pas avoir cherché à devenir son ami. Mais en mémoire de votre fils, je vais apprendre à mieux comporter et à ne plus juger aussi mal les gens sans chercher à les connaître.

Je suis désolée si ma lettre vous fait de la peine.

Je vous adresse beaucoup de courage pour surmonter cette épreuve.