[22 décembre 1597] Âme égarée, main secourable ? [Terminé]

Après le procès du sorcier Hyriel le jeune homme et son professeur étaient rentrés à l'hôtel dans l'optique de poursuivre l'exercice en analysant les notes prises par Nehalan au cours de la séance. Le précepteur avait débuté sa leçon mais s'était vite aperçu que son élève était trop dissipé pour en tirer quelque chose. Ce n'était pas dans ses habitudes, mais il avait remis le cours au lendemain et ordonné à Nehalan d'aller faire un tour en ville pour s'aérer l'esprit et surtout pour écouter ce qu'il s'y disait. Ainsi, l'après-midi ne serait pas totalement perdu.

Le jeune homme marchait donc au gré des envies de ses deux jambes, le nez en l'air, tout en repensant à ce qu'il s'était passé à la prévôté. Il y avait vu trop de visages connus pour son bien-être, sans compter son intervention, dont il ne savait s’il devait être fier ou honteux. Fier d’avoir su prendre la parole, honteux de ne pas avoir satisfait son professeur. Et dire qu’il pensait bien faire !

Pour ce qui était de bien faire, ce n’était assurément pas le cas de la Cour et des jurés. Nehalan ne savait dire avec certitude qui avait tort ou raison dans cette affaire de sorcellerie, en revanche, il n’y avait pas besoin d’être un génie pour remarquer qu’ils n’avaient délibéré qu’un court instant. Trop court en comparaison de tout ce qui avait été dit pour avoir permi de délibérer. Il ne pouvait en être sûr mais il avait la curieuse impression que les délibérations avaient déjà eu lieu et ce, bien avant le procès. Il ne voyait pas bien l’intérêt d’organiser un tel évènement en ce cas, ou de choisir à l’avance. Les deux idées n’allaient pas l’une avec l’autre. C’était si cruel de laisser au médecin entrevoir la possibilité de s’en sortir avant de faire éclater ses espoirs en mille morceaux ! Tout cela n’avait rien de juste. C’était l’objectif de la justice pourtant. Faire que chacun aie ce qu’il méritait. Nehalan grimaça. Sa salive prenait le goût âcre du dégoût. Hyriel avait sans nul de dougte de nombreux défauts mais ne méritait pas de subir la torture, alors qu’il avait porté secours à de nombreuses personnes.

Le jeune homme fit un vif pas de côté pour laisser passer un attelage et poursuivit sa route. Tout était bien compliqué et il avait hâte d’entendre les expliquations de Monsieur Retmer à ce sujet. Qu’avait-il prévu pour la suite ? Que deviendraient ses notes crasseuses et pleines de tâches ? Nehalan ne put y songer plus longtemps.

Avant qu’il ait eu le temps de dire ouf, une pluie de détritus s’abattait sur lui. Il resta un temps immobile, complètement hébété sous les rires des badauds qui l’évitaient en se bouchant le nez. Quelle pouasse ! Nehalan maudissait le destin de lui infliger pareil sortilège maléfique. Il épousseta son pourpoint tant bien que mal, pour en faire tomber les épluchures. Qu’avait-il fait de mal, sinon se promener dans une rue des quartiers populaires ? Il soupira. S’il rentrait dans cet état-là, après son impertinence plutôt dans la journée, nul doute qu’il se ferais fermement réprimander.

Que faire alors ? Nehalan tâta la bourse qui pendait à sa ceinture en fronçant le nez. L’odeur était insoutenable. Il voyait là ce qui semblait être la boutique d’un tailleurs. Avec un peu de chance, il accepterait de le laisser entrer malgré son apparence peu reluisante et lui aurait assez pour financer l’achat d’un vêtement de rechange, le temps de retourner à l’hôtel faire nettoyer celui qu’il portait sans que son précepteur ne s’en apperçoive. Il poussa donc la porte de la boutique après un temps d’hésitation et s’aventura dans la pièce vide au premier abord. Le gérant ne devait toutefois pas être bien loin, il n’aurait pas laissé la porte ouverte sinon.

- Il y a quelqu’un ? se risqua-t-il à demander, sans oser s’aventurer plus loin que le pas de la porte.

Grâce regardait sa maman depuis ce matin, un peu inquiète. Elle n’avait pas l’air bien… Elle n’arrêtait pas de se pauser, de souffler, de se passer une main sur le visage avant de repartir. La matinée n’avait pas été très animée mais Grâce avait souvent dû prendre le relais à la caisse. Elle n’osait rien dire, surtout que presque tout le monde vaquait à ses occupations autrement, surtout Cassandre qui était sortie.

Elle sauta de sa chaise pour aller la voir dans la cuisine où elle s’était posée sur une chaise et lui prendre la main.

- Maman… Êtes-vous sûre que tout va bien ?

Irène secoua la tête avant de lui sourire.

- Oui, mon trésor.

Grâce esquissa une moue, convaincue du contraire. Elle ne voulait pas le dire mais elle avait l’air préoccupé. Et puis elle n’avait pas l’air bien à cause du bébé… Grâce soupira mais n’osa pas dire autre chose. Après, c’était une adulte, elle n’avait pas à la contredire. Elle allait se remettre derrière le comptoir quand elle entendit la clochette de la porte. Aussitôt, elle se précipita vers la personne, pour que sa maman reste tranquille, avec un grand sourire.

- Bonjour, monsieur ! Nous sommes très heureuses de vous accueillir à la Rose Azúl.

Elle vit son allure et sentit surtout l’odeur et comprit vite le problème. Cependant, elle se garda de le lui faire remarquer. Ce serait malpoli et il pourrait être vexé…

- De quoi avez-vous besoin ? Pourpoint ? Pantalon ? Nous avons de tout ici !

Elle montra fièrement la pièce avec un grand sourire.

C’était la distraction qui l’avait mis dehors, le manque d’attention qui lui avait valu de se retrouver dans cet état-là et la peur d’une énième réprimande qu’il l’avait conduit à pousser la porte de la boutique. Il attendait à présent sur le pas de la porte, puant, dégoulinant, et des morceaux de natures diverses et variées plein les cheveux. Comme le magasin lui semblait silencieux, il se décida à demander s’il y avait quelqu’un. Presque aussitôt une avalanche de tous petits pas se fit entendre et un tout petit lutin se présenta à lui, tout sourire. Nehalan sourit à son tour.

- Bonjour toi.

Il l’écouta parler de la boutique, tout en scrutant la pièce, à la recherche d’un adulte. Cette petite lui semblait bien jeune pour tenir un tel magasin toute seule.

- Je euh… j’aurais besoin de remplacer mon pourpoint, répondit-il distraitement, avant de s’accroupir pour être à sa hauteur.

Nehalan posa sa main sur l’épaule de l’enfant, et lui sourit doucement.

- Tu est toute seule petit lutin ? Où sont ton papa et ta maman ?

Ils ne devaient pas être très loin, il faudrait être sacrément stupide pour laisser seule et à la charge d’un magasin une enfant si jeune. Mais s’ils étaient là, pourquoi était-ce elle qui était venue l’accueillir ? Peut-être y avait-il au moins un grand frère ou une grande sœur avec qui traiter et pour s’occuper de la petite fille. Mais la question restait la même : pourquoi elle s’il y avait quelqu’un de plus à même d’accueillir les clients ? Tout ceci n’avait rien de normal.

- Dis-moi, est-ce que tout va bien ? Il hésita un temps puis repris, soucieux de mettre la petite fille en confiance. L’idée n’était pas de lui faire peur.

- Je… Je m’appelle Nehalan et je t’assure que je ne te veux aucun mal. Tu sais, s’il y a un problème, il faut trouver une solution c’est important.

La fillette s’efforçait de sourire mais se balançait d’un pied sur l’autre. Elle garda malgré l’air « professionnel ». Elle se redressa fièrement pour montrer qu’elle était bien capable de gérer toute seule. Elle acquiesça alors sérieusement puis allait se diriger vers les pourpoints avec son monologue habituel de présentation mais il l’arrêta. Elle se mordit la lèvre.

- Euh… Non, je ne suis pas toute seule. Maman est là, mais elle doit se reposer, vous savez, parce qu’elle va avoir mon petit frère ou ma petite sœur !

Alors qu’il lui demandait si tout allait bien, elle rougit. Alors qu’elle allait répondre, elle sentit une nouvelle main sur son épaule. Elle leva les yeux et vit sa mère. Elle était toute pâle mais se trouvait toujours aussi droite et souriante.

- Bonjour, monsieur. Je vous prie de m’excuser, j’étais dans la cuisine. Puis-je vous aider ?

Elle respirait fort mais tentait de ne laisser rien paraitre. Il fallait qu’elle tienne bon.

La petite fille se dirigeait vers les pourpoints, l’air très sérieux, mais lui ne pouvait s’empêcher de trouver tout cela anormal. Une fillette de cette âge-là, tenir une boutique en autonomie ? Même lui on ne l’aurait sûrement pas laissé faire. Au moins lui précisa-t-elle qu’elle n’était pas tout à fait seule. Il eut un sourire attendrit. Une femme enceinte devait en effet avoir besoin de beaucoup de repos.

- Ah oui, je comprends, elle doit-être très fatiguée.

Par acquis de conscience, il insista et voir la petite rougir ne lui paru pas être de très bon augure. Avant qu’elle ai eu le temps de répondre, la maman en question arriva. Enfin il supposa que c’était elle, au regard du ventre rond et de sa familiarité avec l’enfant.

Nehalan se releva pour traiter avec la gérante, qui lui demanda à son tour ce qu’il souhaitait. Il n’y connaissait pas grand-chose en femmes enceintes, mais elle lui paraissait vraiment très pâle pour être tout à fait en bonne santé.

- Je… j’aurais besoin de remplacer mon pourpoint mais… madame, pardonnez mon indiscrétion… vous êtes sûre que tout va bien ?

Entre son teint presque cadavérique, sa posture trop rigide pour être naturelle et son ventre si rond qu’il se demandait comment elle parvenait à en supporter le poids, il y avait de quoi douter.

Les mains sagement dans le dos, Grâce tâchait de tenir son rôle au mieux, même si le grand monsieur semblait toujours s’inquiéter… Il fallait pourtant qu’elle soit parfaite… Grâce hocha vigoureusement la tête à l’affirmation du noble jeune homme.

- Oui, c’est ça !

Grâce vit alors arriver sa maman mais s’inquiéta. Elle avait l’air tellement fatiguée et malade… Irène secoua la tête. Mauvaise idée, cela lui tourna encore plus… Elle allait tenter de répondre que ça allait mais bascula sur le côté, les yeux révulsés. Grâce eut heureusement le réflexe de la retenir autant que ses petits bras le pouvaient.

- Maman !

La fillette cria. Le temps qu’il réagisse, elle soutenait déjà sa mère inconsciente à bout de bras. Il s’empressa d’aller l’aider. Mieux valait éviter de se retrouver avec une enfant écrasée sous sa mère en plus d’avoir à gérer le malaise de cette dernière. Il jeta un regard alentours, paniqué. Il arrivait à soutenir son poids pour le moment mais combien de temps allait-il tenir ? Il fallait trouver un endroit pour l’assoir. Ou peut-être valait-il mieux l’allonger ? Il n’en savait fichtre rien. Elle ne pouvait pas être morte, il la sentait respirer, c’était déjà ça de bien. Mais elle allait peut-être mourir ? Non quand-même pas. Les femmes enceintes étaient parfois sujettes à des malaises. Il n’y avait sans doute rien de grave.

Ses jambes commencèrent à trembler de la soutenir ainsi par les aisselles. Il se tourna vers la fillette.

- Est-ce que tu sais où nous pourrions l’assoir ? Ou bien est-ce que tu peux apporter une chaise s’il-te-plaît ?

Il tenta de paraître assuré, mais sa voix tremblota elle aussi. Qu’est-ce qu’il pouvait bien faire ? On avait eu plus souvent à s’occuper de lui que le contraire, et pas pour la même chose. Les bouillottes chaudes, ça ne réveillait pas les gens ? Comment lui dire de respirer si elle ne l’entendait pas ? Et il ne savait pas faire des infusions au thym lui. Qu’en aurait-il fait de toute manière ? Il lui aurait versé dessus ?

Le poids de sa mère pesait sur Grâce et elle craignait vraiment de la lâcher et de faire du mal au bébé. Heureusement, le grand monsieur vint l’aider. Elle soupira et tint bien sa mère. Elle respirait encore mais elle n’avait pas l’air bien. Grâce hocha aussitôt la tête à la proposition du monsieur.

- Oui, oui ! Il y a une chaise, là ! Venez, on va l’aider.

Elle fit de petits pas, en faisant bien attention à sa maman, à son petit frère ou sa petite sœur. Elle l’avança jusqu’à la chaise puis réfléchit. Cassandre n’était pas là alors c’était à elle de gérer la situation. Elle se mordit la lèvre avant de regarder le monsieur.

- Vous voulez bien rester avec elle ? Je vais chercher de l’eau !

Nehalan suivit la petite fille, petit pas après petit pas, jusqu’à une chaise où il installa précautionneusement la future maman. Il se tint près de sa tête, pour la retenir si jamais elle basculait sur le côté. Au moins était-elle en sécurité. Restait à trouver comment la réveiller et il doutait que la secouer comme un prunier soit la solution idéale. Il n’eut cependant pas le temps de réfléchir davantage, que la fillette repartait déjà.

- Euh… oui très bien. Je t’attends-là.

Que voulait-elle faire avec de l’eau ? Peut-être lui verser sur le visage. Mais si elle se noyait ? Non l’eau ce devait être pour la rafraichir. Nehalan poussa un soupir. Une fillette de moins de six ans savait mieux que lui ce qu’il fallait faire. Autant dire qu’il s’était largement trompé sur son compte. Enfin. La priorité c’était la gérante de la boutique qui attendait qu’on s’occupe d’elle. Il lui tapota la joue.

- Euh... Madame ? Réveillez-vous ?

Il avait l’impression d’être un sacré idiot mais en attendant que l’enfant ne revienne avec de l’eau, il ne pouvait rien faire, sinon se dandiner d’un pied sur l’autre comme un caneton qui trébuche sur la terre ferme.

Heureusement, le grand monsieur était plus doué pour porter que pour savoir quoi faire ! Elle hocha la tête et fila à l’étage récupérer un peu d’eau fraiche et un linge. Elle redescendit plus doucement, afin de ne rien perdre en route.

De son côté, Irène restait très étrangère au monde du dehors, perdue et déjà quelque peu fiévreuse. Quand Grâce revint, elle posa la vasque puis s’approcha. Le souffle de sa maman lui paraissait très chaud. Mais ce n’était pas bien ça… Pas bien du tout. Elle prit le linge pour lui tapoter les tempes.

- Maman ? Réveillez-vous, s’il vous plaît…

Elle regarda le grand monsieur, très inquiète.

- C’est grave, vous pensez ? Qu’est-ce qu’on peut faire ?

C’était peut-être stupide puisqu’il n’avait pas l’air de savoir grand-chose mais les adultes en savaient toujours plus que les enfants alors il devait bien pouvoir faire quelque chose… Non ?

Ce ne devait pas être si stupide de l’appeler, puisque la fillette revenue avec de l’eau et du linge fit de même. Il la regarda passer de l’eau fraîche sur le visage de sa mère sans trop oser en faire de même, de peur de s’imposer. Est-ce que c’était grave ? Il n’en avait aucune idée lui.

- Euh…

Il ne devait pas l’inquiéter. Que l'enfant se mette à paniquer et il serait incapable de faire quoi que ce soit. Déjà que ce n'était pas bien glorieux...

- Je ne pense pas non… elle respire et on s’occupe d’elle. Elle va sans doute se réveiller d’un instant à l’autre, affirma-t-il en espérant pour que ce soit bien le cas. Ce que nous pouvons faire c'est continuer à lui rafraîchir la tête et... avez-vous des sels ? On le met sous le nez des personnes qui font un malaise pour les réveiller... il me semble.

La réponse du monsieur laissa Grâce plus abattue encore. Qu’est-ce qu’elle devait faire alors si même les adultes l’ignoraient ? Cependant, il se reprit un peu. Elle fronça les sourcils. Des sels ? Ça ne lui disait rien ? Elle préféra continuer à rafraichir et ça marcha. Sa maman bougea un peu et elle soupira.

- Maman ? Maman…

Irène papillonna des paupières, le teint toujours pâle.

- Grâce…

- Oui, je suis là ! Qu’est-ce que je dois faire ?

Elle prit une inspiration. Sa tête… Elle avait l’impression qu’un moine sonnait les cloches là-haut…

- Je… je voudrais m’allonger…

Aussitôt, Grâce hocha la tête et lui prit la main.

- Monsieur, s’il vous plait, vous pouvez m’aider ? On trouvera votre pourpoint après, promis !

Il s’était peut-être trompé pour le sel. Peut-être que ça ne réveillait pas les gens qui faisaient des malaises. Mais déjà la mère de la fillette reprenait peu à peu conscience. Il poussa un soupir soulagé. Visiblement, l’eau fraîche suffisait et temps mieux. Et dire que la petite conservait son sang-froid mieux que lui… quelle andouille. Il continua d’observer la scène sans trop savoir quoi faire, jusqu’à ce que Grâce l’interpelle.

- Oui bien sûr ! Dis-moi simplement où il faut l’emmener.

Il se tourna vers la gérante de la boutique.

- Madame ? Vous m’entendez ? Pensez-vous pouvoir marcher ? Nous vous servirons d’appuis, termina-t-il doucement pour ne pas la brusquer.

Il n’osait imaginer ce qu’il se passerait s’il devait la porter à lui tout seul sur une longue distance. Il craignait de la faire tomber et de porter préjudice à l’enfant qu’elle portait. Et pour ce qui était de son pourpoint, ce n’était pas sa préoccupation première. Au vu de la situation, il pourrait aussi bien rentrer tout sale, ce n’était pas grave, pourvu qu’il ne dérange pas plus.

Grâce commençait à taper du pied en espérant qu’il parvienne à s’en sortir cette fois. Elle hocha la tête alors que sa mère se massait les tempes.

- Ne vous inquiétez pas, maman, il va vous aider !

Cependant, elle fut vite déçue quand il lui demanda s’il pouvait marcher. Normalement, un homme, ça pouvait porter une dame ! Elle se souvenait avoir vu papa le faire quand maman était enceinte de Ludovic. Ça ne devait pas être si compliqué !

Oui, enfin à bien y réfléchir et en voyant le monsieur maigre comme un clou, ce n’était peut-être pas une si bonne idée. Il la ferait tomber et ce serait pire.

Irène avait fait le même calcul. Elle prit sur elle en serrant les dents et hocha la tête.

- Très bien… Je devrais pouvoir y arriver.

Elle prit la main de Nehalan en gardant l’autre dans celle de Grâce. Ils s’engagèrent vers l’escalier, priant toutes les deux pour ne pas avoir de casse.

La petite Grâce avait l’air beaucoup trop sûre d’elle. Que pouvait-il faire sans risquer de la faire tomber ? Il n’y connaissait pas grand-chose, mais son instinct lui soufflait qu’une chute à un stade visiblement aussi avancé serait néfaste pour le bébé. Ou la mère. Ou bien les deux. Dans tous les cas, il ne pouvait risquer de les blesser, mieux valait être prudent. Surtout quand c’était lui qui était sensé gérer la situation. Enfin, ça c’était ce que la logique aurait voulu, mais la logique avait oublié à qui elle avait affaire. Heureusement il n’était pas le seul à en être conscient, même si cela blessait son ego.

- Oui tout ira bien, j’en suis certain, sourit-il, tentative incertaine de les rassurer tous les trois.

Nehalan observa Irène se lever sans mot dire, la laissant trouver la position la plus confortable pour s’appuyer. Il grimaça légèrement quand elle se leva. Son poids tirait sur son épaule d’une manière très désagréable. Il s’engagea néanmoins à leurs côtés, étonnamment surpris par le peu de difficulté que le déplacement lui causait à lui. Il en aurait presque pu passer son second bras dans son dos pour lui apporter un soutient supplémentaire mais craignait que cela ne soit de trop. Il préféra s’abstenir et suivre le rythme de la dame, tout en espérant que tout aille pour le mieux.

Arrivés en haut de l’escalier, Nehalan souffla un grand coup et se redressa, plus sûr de lui. A priori, le plus dur était passé. Il ne voyait pas quel autre obstacle pourrait l’empêcher de mener sa part de la mission à terme.

Le monsieur semblait complètement décontenancé et, malgré tout l’aplomb que grâce mettait dans sa voix, elle sentait bien que ce n’était jamais qu’une demi-vérité. Alors qu’elle préférait finalement se débrouiller pour qu’il aide, mais juste un petit peu, il tenta de les rassurer. Elle esquissa une moue. C’était un peu tard mais elle ne voulait pas être impolie en le disant à voix haute. Il n’était juste pas très doué…

Irène grimaça mais parvint à suffisamment aligner ses pas pour rendre quelque chose d’acceptable. Elle prit une grande inspiration à chaque levée de pied pour rester éveillée assez longtemps, au moins jusqu’au lit. Elle s’appuya le moins possible sur Grâce qui, même si elle y croyait très fort ne pouvait pas la porte, même à moitié.

L’étrange trio monta ainsi l’escalier, clopin-clopant mais parvint par miracle en haut. Grâce pinça les lèvres alors que le monsieur semblait content. Ils n’étaient pas encore au lit. Cependant, bien qu’elle soit fatiguée, Irène se décida à prendre les choses en main. Elle se détacha un peu d’eux pour marcher d’elle-même vers le lit. Elle s’assit avant de s’écrouler dessus, la respiration sifflante. Grâce vint de nouveau près d’elle, très inquiète. Sa mère tenta de la rassurer en lui caressant la joue.

- Ce n’est qu’un petit rhume, ça va passer…

- Mais pour le bébé, maman ? Est-ce que ça ne risque pas de lui faire mal ?

Irène ne sut répondre. Elle avait déjà été un peu malade pour ses grossesses, mais pas à ce point et c’était surtout des nausées. Elle se contenta donc de baisser la tête. Le premier réflexe de grâce fut de se tourner vers le monsieur mais lui ne devait pas savoir grand-chose… Elle se mordit la lèvre et chercha quoi faire.

- Vous ne connaitriez pas un bon médecin ?

Nehalan se réjouissait que tout le monde soit parvenu en haut de l’escalier sans avoir d’accident à déplorer. Pourtant il lui sembla qu’il était le seul. A la réflexion, c’était sans doute logique, la petite devait s’inquiéter pour sa mère – à juste titre – et la mère en question semblait si épuisée qu’il doutait qu’elle soit en état de se réjouir d’un si petit exploit.

Peut-être s’était-il reposé trop longtemps, car elle décida de se diriger toute seule vers sa couche. A moins qu’elle n’ait plus besoin d’aide, mais son visage pâle comme la mort et le sifflement de mauvaise augure qui s’échappait de sa bouche témoignaient du contraire. La petite Grâce l’avait bien compris elle aussi, lorsqu’elle se tourna vers lui. Au moins était-ce une question à laquelle il devait pouvoir être en mesure de répondre.

— Et bien… il y a le docteur Berthelot mais je crois me souvenir qu’il est en voyage, le docteur Crevier est mort il y a des années et le docteur Poussin nous a quitté l’an dernier. Il a peut-être Monsieur Dufour… mais je crois qu’il a cessé d’exercer.

Nehalan réfléchi encore, désolé de ne pouvoir trouver personne en capacité de les aider. Si seulement il existait un livre magique qui lui disait exactement ce qu’il faut faire dans telle ou telle situation ! Et à défaut, il eut mieux valu pour tout le monde qu’une autre personne, plus expérimentée que lui, entre dans la boutique à sa place.

— Il y en a bien un autre… mais il est en prison, alors je ne crains qu’il ne puisse vous aider… Ah ! Si ! Le docteur Boissonade est peut-être dans les environs ! Il me semble qu’il loge à Braktenn ou quelque part non loin de la ville. Désirez-vous que je le fasse quérir ?

Avec un peu de chance, il serait chez lui. L’homme voyageait beaucoup de ce qu’il se souvenait, mais l’hiver étant bien entamé, sans doute avait-il préféré reposer ses vieux os bien au chaud devant l’âtre de sa cheminée.

Grâce soupira de soulagement quand ils arrivèrent en haut. Elle était cependant toujours aussi inquiète pour sa maman, même si elle essayait de la rassurer. Elle se tourna vers le monsieur, espérant toujours malgré son apparente incompétence. Grâce hocha alors la tête.

- Bon, ça peut être bien, lui ! Oui, allez le chercher, moi je reste avec maman !

Irène grimaça pour sa part, un peu gênée à l’idée d’en demander tant surtout à un jeune homme qu’elle connaissait à peine.

- Ne vous dérangez pas trop tout de même…

— C’est entendu, je ferais de mon mieux pour être de retour le plus vite possible, plaisanta le jeune homme avant de partir.

Une heure plus tard, il était de retour, une cape propre passée sur les épaules. L’aimable docteur, bien que dur de la feuille, avait accepté de le suivre et lui avait même prêté de quoi couvrir les immondices qui maculaient son pourpoint. A peine descendu du fiacre, Nehalan passait déjà la porte de la boutique, suivit par le docteur Boissonnade, encore vif malgré son grand âge.

Dans une main, il portait une lourde mallette remplie d’instruments de médecines et de l’autre, un cornet acoustique, qu’il utilisait pour entendre ce qu’on lui disait. Nehalan avait bien tenté de lui proposer son aide en voyant le matériel qu’il emmenait avec lui, mais le vieil homme avait refusé. Au vu de son air taciturne, le jeune homme n’avait pas insisté.
Il le précéda dans l’escalier, puis s’arrêta sur le pas de la porte, le temps de les annoncer.

— Madame ? Mademoiselle Grâce ? Je suis de retour avec le docteur. Monsieur Boissonnade accepte de s’occuper de vous.

Grâce espérait que le monsieur dise vrai et qu’il arrive à faire quelque chose de convenable au moins une fois dans la journée. C’était tout de même un étrange compagnon pour veiller sur sa mère. Elle attendit une bonne heure en aidant sa maman du mieux qu’elle pouvait notamment en la faisant boire et en mettant de l’eau sur son front. Elle calma aussi Ludovic qui s’était agité dans son berceau, heureusement avant de s’endormir bien sagement. Enfin, le monsieur revint bien vite. Elle l’entendit et sauta au pied du lit pour aller les accueillir. Elle fit une petite révérence bien polie.

- Bonjour, docteur. Je m’appelle Grâce d’Aubeville. Ma maman est en haut et elle ne va pas très bien, vous allez pouvoir la soigner, dites ?

A peine Nehalan avait-il fermé la porte d'entrée derrière le médecin que des petits pas dévalaient l'escalier. La fillette devait beaucoup s'inquiéter... il était parti une heure, pour une enfant de cet âge cela devait paraître une éternité. Le docteur Francis quant à lui, accueilli la révérence de Grâce avec un grognement suivit d'un rapide hochement de tête. Il porta un petit cornet de métal à son oreille pour entendre ce qu'elle disait et sa moustache s'agita le temps d'un sourire qui se voulait rassurant.

— Je ferais ce qui est en mon pouvoir petite, conduisez-moi à votre mère que je puisse regarder comment elle va, demanda-t-il d'une voix chevrotante.

Après avoir rapidement échangé avec la commerçante, le vieil homme en conclu que le terme approchait, et lui recommanda vivement de se ménager. Il salua Irène et Grâce puis s'en fut comme il était venu, grommelant dans sa moustache, une mallette à la main. Pour sa part, Nehalan se sentait rassuré que tout aille bien, et pris congé à son tour, non sans avoir changé son pourpoint et roulé l'ancien en boule sous son bras. De retour à l'autel, il le donna aux servantes en charge de la lessive et retourna a ses leçons en ayant l'air le plus naturel possible. Heureusement pour lui, son professeur ne remarqua pas le changement d'habit et ne posa aucune question.