[22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
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Re: [22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
— Ce sont des portraits d'Adéis, explique-t-il en captant son regard. J'ai pensé que tu voudrais les voir.
Démétrius hésita à préciser leur auteur, celui qui avait rencontré l'écrivain avec sa femme… Il lui semblait lui avoir raconté, mais il n'en était pas certain. Réfléchissant, il oublia rapidement quelle question l'agitait.
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Layla, 25 ans
Lorsqu’elle entra, il observait les feuilles immobiles de l’olivier, éternellement vertes et argent. Elle eu bien vite la confirmation de ses deux suppositions puis il désigna l’album posé sur ses genoux. Des portraits d’Adéis ? Vraiment ?! Son visage s’illumina avant d’acquiescer vigoureusement.
Layla souleva le précieux recueil et s’installa d’office sur ses genoux pour les regarder avec lui. Peut-être l’avait-il déjà fait, mais rien n’était moins sûr. Et si tel était le cas, cela ne le dérangerait sans doute pas de les revoir une nouvelle fois. Elle caressa précieusement la couverture en cuir avant de se retourner dans sa direction pour lui sourire. Lovée contre son épaule, elle l’ouvrit délicatement.
Il y avait là un portrait d’Adéis aux yeux rieurs. Cela faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas vu ainsi. Il avait encore l’air d’avoir grandi et ses cheveux bouclaient encore plus qu’avant ! Comme de petites flammèches malicieuses. Et son regard verdoyant était si expressif, elle avait presque l’impression de pouvoir y voir son reflet. Après quelques instants, elle tourna doucement la page pour découvrir son petit-neveu en train de croquer à pleines dents une tartine au beurre. Il y avait même quelques miettes pleines de gourmandise qui trainaient là.
— Ah ! C’est une idée d’Alduis, ça je suis sûre ! déclara-t-elle avant de changer d’illustration, une poignée de secondes plus tard.
Ce fut ensuite un Adéis tout à fait sérieux plongé la tête dans un livre, puis un Adéis sur son poney.
— Eh bah dis don’, voilà Didon ! plaisanta-t-elle en observant le regard de fierté du garçon juché sur son Shetland.
Il y eut ensuite Adéis attentif, allongé sur le ventre, les coudes ancrés dans le tapis moelleux et sa tête reposant au creux de ses mains. Il devait surement être en train d’écouter une histoire. L’illustration suivante fut Adéis brandissant une épée en bois en hurlant. Layla laissa échapper un petit rire cristallin.
— C’est bien ton fils, tiens.
Elle l’imaginait tellement et lui ? Elle chercha le regard de son frère pour tenter d’y lire ce qu’il en pensait. Puis ce fut un Adéis endormi sur le canapé, le visage paisible, avec son bras ballant. Ce genre de moment que l’on savourait pour leur rareté et le silence qu’ils procuraient. Généralement trop brièvement. La suivante se trouva être Adéis avec un joli ruban bleu en guise de cache-œil. Layla souffla de rire en reconnaissant la provenance de ce dernier.
— Et toi, tu as toujours celui de Bérénice ? demanda-t-elle curieuse.
Parmi les portraits qui se succédèrent, il y avait également Adéis en train de jouer à construire un château en petits blocs (qu’il comptait certainement assiéger et détruire à peine achevé), Adéis dans le parc de Fromart, Adéis en train de rire, Adéis faisant une grimace, Adéis rêveur (il avait là, ce regard que Virgil avait parfois lorsqu’elle le surprenait à rêvasser.)
La dernière page était consacrée à Bérénice qui tenait son fils sur ses genoux. Que lui disait-elle à ce moment ? En tout cas, il avait l’air particulièrement attentif aux paroles de sa mère.
— Cela fait tellement plaisir de le revoir même si ce ne sont que des dessins. Sur certains, j’ai l’impression de pouvoir l’entendre, pas toi ? C’était un beau cadeau, qu’elle t’a envoyé.
Mais Layla n’osa pas prononcer la question qui lui brûler les lèvres : allait-il lui répondre cette fois-ci ?
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Elle commenta la suivante. Il fallait bien que son parrain lui transmette quelque chose, songea-t-il, alors pourquoi pas ça. Il n’eut pas le temps de parler qu’elle était déjà deux images plus loin, avec le fameux animal dont Coldris s’était servi pour ne pas laisser gagner le petit. Il sourit au jeu de mot, regrettant tout de même de ne pas avoir été là. C’était précisément le genre de choses qui auraient dû venir de lui.
— Mais non, c’est toujours Adéis, tu ne le reconnais pas ? la taquina-t-il.
Adéis à l’écoute, tout fasciné. Cela faisait longtemps qu’il ne l’avait pas vu ainsi. Ce qui n’était pas étonnant, puisqu’écouter le silence n’avait rien de bien attrayant pour un enfant de son âge. Mais il avait manqué l’occasion de commenter - en saisissant une excellente de se taire - parce que déjà la page était tournée et Layla riait.
C’était vrai qu’il avait dû être comme cela souvent, à cette époque dont il ne se souvenait pas tout à fait. Mais il y avait surtout un détail marquant :
— Incoiffable que père en fils, que veux-tu ?
D’ailleurs, mine de rien, Layla les concurrençait bien sur ce point.
— Tu vois que tu as complètement ta place parmi nous ? ajouta-t-il en les lui ébouriffant. Oups.
Adéis calme. Alors, cela existait même quand il ne subissait pas d’influence dépressive ? Voilà qui était bon à savoir. Capitaine Piradéis avec le ruban de sa mère. Ce ruban ?
— Sur la table de chevet, à côté de la chevalière de mon père.
Les images se succédaient un peu trop vite pour qu’il n’ait le temps d’en parler. Construct’Adéis en chantier, Promenadéis dans les jardins, Riradéis, Grimadéis, Rêvadéis. Filsadéis et sa maman. Bérénice… Pour elle aussi, c’était drôlement ressemblant.
Layla parla. Ce n’étaient que des dessins, mais ils les reverraient bientôt, il ne s’inquiétait pas pour ça - enfin, si, en fait. L’impression de les entendre… hmmm, pas exactement, c’était plus… il ne savait pas comment dire. Et puis…
— Oui, c’est… Ly, crois-tu que… Oui, ça fait plaisir.
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Layla, 25 ans
Assise sur les genoux de son frère comme une petite fille – ce qu’elle resterait toujours à côté de lui que ce soit par les années ou par la taille –, Layla avait entrepris d’ouvrir ce curieux livre dont elle se demandait bien ce qu’il pouvait contenir. Elle ne tarda pas à le découvrir en la présence d’un beau portrait d’Adéis sur la première page. A sa remarque sur le fait de le reconnaitre, elle souffla de rire et le bouscula légèrement.
— Il était plus roux et avec des narines moins larges dans mon souvenir, répliqua-t-elle sur le même ton.
Layla admira les portraits suivant jusqu’à celui de son neveu brandissant fièrement une épée. On aurait dit son père lorsqu’ils étaient plus jeunes. C’était une telle évidence pour lui d’entrer dans l’armée que même Virgil n’avait pas due être si étonné que cela en y réfléchissant bien. Il devait s’en douter tout en espérant y échapper par miracle.
Incoiffable de père en fils, ah là-dessus aussi c’était bien les deux mêmes ! Elle enviait leur chevelure flamboyante comme celle d’Elena qui était si belle. Les siens étaient sombres, légèrement crépus et criaient à tout va qu’elle était bâtarde jusque dans ses origines mornoïtes barbares. Elle passait des heures à tenter de les dompter pour leur donner une allure plus civilisée et conventionnelle en étirant chaque mèche pour la limite à une simple ondulation qu’elle pouvait ensuite attacher dans un chignon tressé tout monbrinien… que Démétrius ébouriffa sans vergogne dans un grognement de protestation de sa part.
— Je dirai à la femme de chambre qui m’a aidé de venir te voir si elle rouspète ! bougonna-t-elle en jouant les petites filles boudeuses avant de se faire plus taquine si tu es jaloux, tu n’as qu’à demander, je te coifferai, mais… je ne suis pas sûr qu’un homme ait la patience d’endurer cela.
À peine une toute petite provocation de sa part. Enfin pour une fois qu’elle pouvait en profiter elle n’allait pas s’en priver et puis imaginer le marquis d’Aussevielle se faire bichonner pendant trois heures et plus cela avait de quoi être amusant, non ? Ils reprirent le cours de leur découverte jusqu’au pirate qui avait visiblement lui aussi hérité (ou subtilisé ?) un ruban. Elle adressa un sourire à son frère lorsqu’il affirma l’avoir toujours avec lui puis bascula sa tête contre son épaule. Sur la table de chevet à côté de la chevalière qu’il ne mettait pas. Elle ne put s’empêcher de se demander si c’était par honte qu’il n’osait pas garder l’un et l’autre sur lui…
Les dessins se succédèrent jusqu’au dernier. Jusqu’à ce qu’elle referme l’album et lui rende ce beau cadeau. Qu’en pensait-il lui dont l’avis comptait plus que tout ? Ce fut dans le fond de ses prunelles qu’elle chercha cette réponse autant que l’émotion qu’il savait si bien contraindre quand les siennes s’échappaient sauvagement sans retenue.
Une phrase hachée qu’elle parvenait difficilement à reconstituer entièrement, alors prenant un peu de recul pour l’embrasser du regard, elle compléta innocemment :
— Si je crois que tu devrais lui répondre ? Bien sûr ! Un petit silence s’étira avant qu’elle n’ajoute finalement : ce n’est pas ce que tu voulais dire ? Eh bien je le pense quand même ! Et même si ce n’est que deux mots. Ce n’est pas comme si Alduis lui écrivait des romans, tu sais, et pourtant elle les attendait avec autant d’impatience que tes nouvelles.
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— Tu crois ? Oh, peut-être.
Mais les meilleures plaisanteries étant les plus courtes, il ne s’éternisa pas sur celle-ci. Elle n’avait pas provoqué de crise de larme, cette fois, et il fallait sans doute s’en estimer heureux. Ce qui ne l’empêcha pas, quelques images plus loin, de mettre le fouilli dans sa coiffure. Il sourit innoncemment quand elle le lui reprocha : C’était bien elle qui avait voulu récupérer son grand-frère, non ? Eh bien voilà ! Et sa femme de chambre de lui faisait pas peur.
— Tu essaieras sur ton filleul, se défila-t-il, peut-être un brin lâchement.
Non, vraiment, il ne voyait pas l’intérêt de se faire tirer et arracher les cheveux pendant il ne savait combien de temps pour que ça ne ressemble plus à rien à peine quelques heures plus tard. De toute manière, cela ne tiendrait certainement pas davantage en place. Et au fond, il ne s’en plaignait pas : il constatait seulement.
Et là, il constatait que Bérénice mettait tout de même une drôle d’assiduité à lui écrire. Sur un ton qu’il identifiait mal. Devait-il répondre ? Bien sûr qu’il aurait dû, il n’avait pas tant besoin de se le faire dire…
Il essaya de formuler son excuse. Jusque là, c’avait été qu’il en était bien incapable et qu’il n’avait de toute façon fichtrement rien à raconter. Contrairement à Alduis, il n’avait pas vraiment besoin de confirmer qu’il était vivant… Elle savait bien que ce n’était pas tout à fait le cas, mais qu’il n’était pas tout à fait mort non plus. Le temps s’écoula en silence. Il ne savait pas comment expliquer. Cela, ou même le fait qu’il n’ait toujours pas daigné lui expliquer l’arrivée en avance des documents qu’il lui laissait traiter.
— Je ne veux pas lui faire de faux espoirs et puis… Je ne sais pas, Ly... finit-il par répondre. Je sais encore moins quand il s’agit d’elle. Je ne sais plus. Je crois...
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Layla, 25 ans
Layla le préférait de loin ainsi, avec ses taquineries dignes de leur enfance. Celles-là mêmes qui finissaient inlassablement par la charger comme sac de grain sur ses épaules sans qu’elle ne parvienne à se souvenir ni du pourquoi ni du comment. Tout ce qu’elle savait c’était qu’elle pleurait tant de rire qu’elle ne parvenait même plus à articuler suffisamment pour lui ordonner de la déposer à terre. Elle frappait ses petits poings contre son torse, le visage tout rouge, les côtes douloureuses de se soulever frénétiquement.
Elle avait presque envie de lui tirer la langue comme une enfant lorsqu’il esquiva sa proposition de coiffure. Cela partait pourtant d’une bonne attention, non ? Elle esquissa un sourire amusé :
— Je les préfère fous ! De quoi aurait-il l’air tiré à quatre épingles ? Il a encore le temps d’être sérieux. Qu’il profite donc d’être libre de toutes obligations et s’amuse autant qu’il le peut, rétorqua-t-elle. Par contre, si tu veux, je suis assez courageuse pour te laisser un peigne et une brosse pour tenter de dompter les miens.
Au fond ce serait amusant de se laisser coiffer par Dem – tant qu’il n’emberlificoter pas son arme dans sa crinière tout irait bien – et puis cela leur ferait une activité un peu amusante qui changerait de leur quotidien à la routine on ne peut plus établie.
Une fois le recueil clos, son frère entreprit de prononcer une phrase incomplète qu’elle ne parvenait pas à déchiffrer, elle opta donc pour l’hypothèse la plus évidente : lui répondre. Chose qu’il n’avait pas faite depuis ses premières lettres. Il n’aurait pas pu avant, c’était évident, mais désormais il avait suffisamment récupéré pour envoyer ne serait-ce qu’un « merci, j’ai grand-hâte de vous revoir tous les deux ». Le simple fait de recevoir un courrier de sa part suffirait à la réjouir peu importait (ou presque) le contenu. Et si Layla en était si certaine c’est qu’elle l’avait vu à chaque fois que l’intendant déposé un courrier pour elle de la part de ses deux hommes envoyés au front. Elle haussa donc un sourcil brun en attendant la réponse qu’il formulerait sur ce sujet. Lui faire de faux espoirs ? Elle soupira dans un sourire puis tapota son front de son index :
— Pour l’amour de Dieu, Démétrius ne soit pas si idiot ! Il s’agit de Bérénice, pas de l’un de ces dindons gloussants ! Dois-je te rappeler qu’elle reçoit ton courrier ouvert ? Or il n’y a que toi qui peux le faire. Elle a sans doute déjà compris que tu le lisais. Elle embrassa sa joue. Il ne tient qu’à toi d’enlever le « faux » devant espoir.
Quant au reste, tout cela la laissa un peu perplexe. Elle ne comprenait pas bien ce qu’il pouvait vouloir dire. Elle retroussa son petit nez et pencha la tête.
— Tu ne sais pas ? Il s’agit simplement de ta femme et de la mère de ton fils, voilà tout. Où est le problème ? Je ne comprends pas… Dis-moi donc ce que tu crois, ce sera plus simple.
Que pouvait-il bien croire ? Elle retint sa langue d’émettre à la suite toutes les hypothèses qu’elle pouvait formuler de la plus pessimiste « je ne la mérite pas » à la plus merveilleuse « je l’aime » en passant par l’étonnant « je vais monter à Braktenn » ou l’adorable « je crois que je suis le mari le plus chanceux ». Oui, bon Layla confessait volontiers être un peu fleur bleue. Elle lui enviait son mariage heureux (enfin il l’avait été jusque-là quoi qu’il en pense désormais) de même que leur complicité. Était-ce uniquement parce qu’ils se connaissaient depuis toujours ? Et en même temps, elle ne pouvait s’empêcher de trouver Bérénice très chanceuse d’avoir le meilleur mari de la terre, même si elle reconnaissait volontiers son objectivité douteuse.
— Moi je crois que tu réfléchis trop, chuchota-t-elle presque pour elle-même de peur de l’interrompre.
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— Si tu tiens à ce point à ne ressembler à rien, soupira-t-il à sa nouvelle proposition.
Il pouvait bien jouer le jeu une fois, seulement il n'avait aucune intention de se reconvertir dans la coiffure féminine. Et puis quoi encore ?! Il esquissa un léger sourire : même avec un sac de nœuds sur la tête, il n'arriverait pas à vraiment l'enlaidir, de toute façon. Elle restait adorable, sa petite sœur.
On mit les portraits de côté pour se soucier de l'éventuelle réponse… et se faire traiter d'idiot avec geste inclus. Cela faisait toujours plaisir. Oui, Bérénice devait avoir compris que quelque chose ne tournait pas rond. Quand à fonder l'espoir… c'était plus facile à dire qu'à faire, et s'il essayait plus sincèrement que jamais, il n'osait pas garantir.
Et puis, il s'agissait tout de même de Bérénice… et cela rendait tout plus compliqué. Précisément parce qu'il tenait à elle. Et qu'il n'était pas sûr de savoir ce qu'il ressentait. Simple de dire ce qu'il croyait ? Pas autant que la jeune femme pouvait le croire. Son frère hésita. Longuement. Réfléchit - trop ? - à l'explication.
— Tu sais, quelque part… Quelque part j'ai toujours été attaché à Bérénice, d'une certaine façon… Mais je pense… Que cela a changé.
Il poussa un lourd soupir. Quelle éloquence ! À se demander pourquoi il ne prononçait pas les discours de son parrain à sa place. Enfin, pour sa défense, c'était un peu plus compliqué que de motiver les troupes. C'était beaucoup plus… sensible.
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Layla, 25 ans
Layla lui avait proposé de s’essayer à la coiffure, mais il ne semblait pas plus convaincu que cela. Qu’à cela ne tienne elle haussa les épaules.
– Ce n’est pas comme si quiconque risquait de me voir exceptait les domestiques… qui diront forcément que c’est magnifique si je leur dis que c’est toi qui m’a coiffé, plaisanta-t-elle à moitié seulement car la subjectivité des Ausseviellois n’était plus à prouver.
En même temps, il y avait plus mal loti que ceux qui travaillaient pour le marquis, quoi qu’en pense Démétrius, tous avaient encore un profond respect qui s’il avait changé, n’avait certainement fait qu’augmenter. Il en allait certainement de même pour ses citoyens qu’il n’avait pas vu depuis son retour. Peut-être pourrait-il descendre dans la cité prochainement ? Cela ferait sans doute du bien aux deux parties, car elle ne pouvait douter de l’affection que tous devaient lui vouer. Elle en avait entendu certains échos la dernière fois qu’elle était descendue jusqu’au port, respirer les embruns.
Pour ce qui était de la réponse, elle devait avouer qu’elle comprenait difficilement ce qu’il pouvait y avoir de si compliqué avec Bérénice. Était-ce parce qu’elle avait sans doute déjà compris que cela l’inquiétait à ce point ? Évidemment ce n’était pas ce genre de femmes qui restait assis bien sagement à parler de chiffons avec ses amies – quoiqu’elle puisse parfaitement le faire également –. La seule conclusion à laquelle elle pouvait parvenir en l’état c’était qu’il réfléchissait bien trop avant d’agir. Et cette question d’apparence si simple semblait le perdre dans une intense réflexion digne d’un sujet philosophique ou stratégique. Quelque part elle était bien contente de ne pouvoir s’éterniser ainsi dans d’interminables débats mentaux. Quand il se décida enfin à lui répondre, Layla cligna plusieurs fois des paupières, tentant de traduire ce qu’il essaye de dire. Elle aurait presque eu peur qu’il ait pris l’habitude de se passer de sa compagnie comme cela pouvait arriver si fréquemment, mais… cela ne collait pas vraiment avec son comportement. Il paraissait plutôt heureux de recevoir de ses nouvelles et ce n’était pas uniquement pour en avoir de son fils par son intermédiaire. Ses sourcils s’abaissèrent sur ses yeux verts, signe de l’intense réflexion dans laquelle elle était plongée. Dans le même temps, elle le fixait, derrière les deux petites fentes en forme de demi-lune que formaient désormais ses paupières à la recherche d’un quelconque indice lorsque soudain, comme un éclat de lumière, ils s’écarquillèrent en deux larges perles.
– Tu… l’aimes… souffla-t-elle encore abasourdi parce qu’elle venait de découvrir, les lèvres toujours entrouvertes, de peur d’être contredite.
Puis l’information sembla peu à peu se transformer en évidence et son visage s’illumina avant qu’elle ne lui saute au cou et ne se mette à frotter sa tête contre son cou tel un exubérant petit chaton.
– Mon grand frère est amoureux ! répéta-t-elle toute guillerette il est amoureux de sa femme ! Aaaaah…. Mais je suis si heureuse ! Je suis si heureuse pour toi, Dem ! Tu vas lui dire ? Tu vas lui dire pas vrai ?
Elle avait envie de se lever et de tournoyer dans toute la pièce de manière à faire virevolter toute sa robe autour d’elle en riant joyeusement. C’était définitivement la meilleure nouvelle de toute la journée !
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Car ce devait bien être sa plus certaine occupation récente. Et cela aussi bien dehors que dans sa famille. Mais quelque part, observer le feuillage oscillant de son olivier lui avait permis de réaliser plusieurs choses… dont celle qu'il tentait maladroitement de dire.
La déduction de Layla lui tira une grimace d'incertitude.
— D'une certaine façon, cela a… toujours été le cas. Nous… Enfin...
Non, il disait n'importe quoi. Non, cela n'avait pas été vraiment cela, mais c'était tout de même une forme d'amour. Et… Il cilla devant la vague d'enthousiasme et sous la vive étreinte dont il fut gratifié, se demandant s'il n'avait pas encore manqué une excellente occasion de se taire. Le lui dire… Que voulait-elle qu'il dise, exactement ? Ce n'était même pas vraiment cela. Enfin, il ne savait pas. Mais évidemment, mûre comme l'était leur relation, ce n'était pas… pareil. Il ne voulait pas décevoir encore sa petite sœur, que cette nouvelle animait d'une vive joie, mais... C'était...
— Non… c'est seulement… Plus… Avant… Je ne sais pas.
Il fit la moue, tentant d'expliquer le phénomène. Oui, bon, c'était certainement ce qu'elle disait, mais… pas avec la même légèreté naïve, pas de premier regard, pas… C'était comme si tout avait redoublé de puissance. Mais après tout, c'était peut-être simplement ce qui était censé arriver à un moment ou un autre dans leur situation. Il n'en savait rien. C'était trop compliqué.
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Layla, 25 ans
Ohlalala… Elle était si heureuse de découvrir cela ! C’était idiot, c’est vrai, il y avait plus important que de savoir qu’il était amoureux mais… Aaah ! Lyly se sentait toute chose. Parce que c’était son frère et qu’il était si merveilleux qu’il méritait plus que n’importe qui encore d’être amoureux, et puis aussi… parce que cela faisait des mois qu’elle n’avait pas entendu de si bonne nouvelle et encore moins de sa bouche. Alors oui, c’était ridicule, mais elle se sentait légère, légère ! Comme un petit papillon sous les rayons du printemps au-dessus d’un beau champ de fleurs. L’inverse exacte de la tempête qui avait décidé de se lever ce jour.
Elle aussi espérait trouver un jour son grand amour comme lui. En plus, il avait de la chance : il était tombé amoureux de sa propre femme. Alors c’était vrai ? C’était possible ? On pouvait finir par aimer sincèrement la personne que l’on épousait ? Bon certes, il la connaissait depuis toujours, mais quand même… Comment pouvait-il se montrer aussi incertain et hésitant ? On reconnaissant bien là sa grande prudence mêlé de mesure qui en faisait la personne idéal sur qui se reposer et trouver des conseils.
Toujours était le cas ? Ah ça non ! Elle en était persuadée, parce qu’avant, ils étaient plus amis qu’autre chose — si l’on avait dû définir leur relation – et cela n’avait rien à voir avec l’embarras qui semblait désormais l’agiter et qu’elle trouvait si adorable au point de la faire rire.
— Tu es si mignon quand tu es comme cela, tu sais ? déclara-t-elle attendrie en se laissant de nouveau tomber contre son épaule.
— Tu penses à elle tout le temps comme si elle s’était installée dans ton esprit ? Tu regrettes de l’avoir laissée partir parce que maintenant tu n’as plus qu’une envie c’est de pouvoir la serrer dans tes bras ? Tu te dis souvent qu’aucune femme ne lui arrive à la cheville et que tu es drôlement chanceux que ce soit la tienne ?
Elle leva le menton pour croiser ses yeux gris auxquels elle rendit un sourire.
— Alors oui, tu es amoureux. Enfin, il parait c’est ce que l’on m’a dit et que j’ai lu dans les livres, mais tu sais cela ne m’est jamais arrivé. Toi non plus ?
Elle soupira, observant rêveusement l’olivier qui s’agitait furieusement sous les bourrasques : on était bien mieux à l’intérieur aujourd’hui.
— Dis… Tu crois que je connaitrais cela, un jour, aussi ?
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Il plissa les yeux. Évidemment que c'était la sienne, pourquoi aurait-il été s'éprendre de celle de quelqu'un d'autre ?! Dieu l'en garde, il aurait été drôlement embêté. Drôlement éprouvé, il n'avait pas besoin de ça.
Il acquiesça tout de même légèrement. Oui, ce devait être quelque chose comme ça. Si c'était ce qu'elle lu, pourquoi chercher dans des expériences concrètes, après tout ? Enfin… Là encore, ce n'était pas pareil. Et d'ailleurs, sa question, presque rhétorique, le fit déglutir avec difficulté. Il n'était pas censé mentir, et c'était à dire que… que… eh bien… Que ce n'était pas tout à fait exact. Il se sentit presque coupable de ne lui avoir jamais parlé d'elle. Le mouvement des branches de l'olivier redevint spontanément fascinant.
Puis vint cette question qu'il n'avait pas davantage anticipée. Était-ce vraiment à lui qu'elle le demandait ? Il lui fallut près d'une minute pour trouver à répondre :
— Je suppose que je dois te le souhaiter. Et souhaiter que cet homme soit… quelqu'un de bien et que la situation permette… - le marquis se rendit compte qu'ils n'avaient toujours pas soulevé la question d'un remariage depuis le décès de son père, et que leur discussion deux semaines plus tôt n'avait rien eu pour la précipiter - Enfin, je l'ignore, Ly… Qui peut le dire ? Ce que je sais... c'est que pour ne pas t'apprécier il faut être un sérieux imbécile. Pire que moi, c'est dire ! Alors c'est que tu dois avoir toutes tes chances.
Et pour le reste, c'était certainement à Lui qu'il fallait s'en remettre.
Re: [22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
Layla, 25 ans
Il avait l’air de trouver cela évident de tomber amoureux de sa propre femme, mais bon cela ne l’était pas forcément ! Des couples mariés qui ne s’aimaient pas et tombaient amoureux d’un autre, il y en avait des tas… Sans parler de ceux qui entretenaient des relations vraiment conflictuelles. C’est vrai, ils étaient tous deux censés et raisonnables, mais cela n’était pas non plus l’unique terreau qui permettait à l’amour de grandir, cela aurait été trop facile. L’amour avait ses propres raisons et elle aurait été bien en peine de déterminer par quel miracle il pouvait naître.
Démétrius tourna la tête vers son olivier et elle en fit de même machinalement. Elle s’était tant habituée à le voir faire ainsi qu’elle ne releva pas son malaise pourtant évident si elle y avait accordé ne serait-ce qu’un peu d’attention. Et puis pour tout dire, cet aveu soudain la ramena à elle-même avec cette question qui le laissa… pantois.
Elle comprenait parfaitement. Ce n’était pas vraiment une préoccupation de femme. Plutôt celle d’une enfant rêveuse qui espérait toujours trouver son chevalier comme celui de son roman favori. Qui aurait pu s’intéresser à elle ? Personne. Elle était trop… entre deux. Sans parler de sa peau qui dénotait avec la couleur locale et rappelait à tous ses origines. Elle soupira, plus résignée que désespérée lorsque son frère prit la parole. Elle regrettait déjà de l’avoir mis dans l’embarras avec cette bête question sortie spontanément.
Cela faisait tout de même beaucoup de conditions à réunir quand même… Mais la fin lui étira malgré tout un large sourire chassant comme le vent du Nord, les sombres pensées qui s’étaient amoncelés dans son esprit. Elle enlaça ses épaules pour venir s’y blottir et se faire cajoler.
— Mais toi tu es si merveilleux… Tu ne sais pas où je pourrais trouver une pale copie de toi-même ? Oh même affreusement exécutée, elle restera toujours bien mieux que n’importe qui d’autre si tu en es le modèle, plaisanta-t-elle à moitié.
Re: [22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
— Vile flatteuse ! D'ailleurs oublies quelqu’un... soupira-t-il.
Ou certainement des tas de personnes, mais s’il ne fallait donner qu’un exemple…
Comme c'était devenu une habitude, Démétrius avait reçu une lettre en provenance de la capitale cet après-midi… Il avait eu un peu de mal à réprimer la franche déception qu'il avait ressentie en identifiant l'expéditeur. Oh, que son parrain ne le prenne pas mal, il était heureux d'avoir de ses nouvelles, seulement… eh bien, ce n'était pas tant les siennes qu'il attendait.
Démétrius découvrit bien vite qu'en plus de ne pas provenir de la bon e personne, ce courrier ne servait pas tant à apporter des nouvelles qu'à en déplorer l'absence. La lettre qu'il était parvenu à écrire l'avant-veille - au retour de sa visite en ville avec Layla qui l'avait plus ou moins rassuré - n'avait certainement pas dû leur parvenir et par conséquent, ils n'étaient certainement pas informés de l'évolution des vingts derniers jours. C'était sa faute, il aurait dû écrire plus tôt - et non, il n'avait pas besoin qu'on le traite comme un enfant récalcitrant.
Il n'avait pas besoin non plus qu'on le menace de le traîner à la capitale par l'oreille. Il… Son parrain devait le connaître suffisamment pour savoir que son attachement à Aussevielle n'avait rien à voir avec son accident. Il avait toujours préféré l'ambiance d'ici - qu'il avait allègrement sabordée, il pouvait le concéder. Une pointe d'orgueil lui aurait bien fait chiffonner la lettre et refuser d'emblée. Après tout, il ne fallait que donner signe de vie… ce qui avait déjà été fait. D'ailleurs, dans sa lettre, c'était le retour prochain de Bérénice qu'il avait évoquée, non des envies de voyage.
Seulement, il n'était pas tant de faire des simagrées qu'il n'aurait jamais ne fût-ce qu'imaginée un an plus tôt - plus plus qu'étant enfant, d'ailleurs. En plus d'essayer de le prendre par les sentiments, ce fourbe invoquait son père ! Le marquis baissa instinctivement les yeux sur ses genoux. L'aurait-il regretté s'il avait suivi ses projets dès l'origine, où cela serait-il passé aussi facilement - enfin, plus qu'il ne l'avait cru, par la grâce du Seigneur - qu'elle ? Il s'y serait sans doute fait, et son devoir…
Démétrius poussa un lourd soupir. Il voulait rester ici. C'était ici qu'il avait toujours voulu vivre. Et maintenant… Maintenant qu'enfin, il aurait pu - faute de pouvoir poursuivre la seule carrière qui l'inspirait - même cela, il fallait qu'on le lui refuse. Non, même pas : il fallait qu'il y renonce de lui même, en son âme et conscience, et qu'encore une fois, il oublie tout ce qu'il pouvait bien vouloir. Parce que le devoir passait d'abord et qu'il y avait déjà trop manqué. Et il ne pouvait entraver celui de son parrain - amitié et confiance, rien que ça, après tout ce… désastre ?
Aussi parce qu'il était conscient que si le ministre des affaires étrangères avait des autorisations à demander, le simple fait de le mentionner avait déjà engagé sa participation. En outre… Un tel projet n'était qu'en retard. N'était-ce pas d'un but dont il avait besoin, et d'une réponse à - il regarda encore ses genoux - ça ? Si c'était vers cela que l'on voulait le guider - quoi qu'Il n'aurait pas pu faire un choix de guide plus extravagant - il s'y plierait. Il était grand temps qu'il redevienne lui-même. Son père faisait partie des idéaux inaccessible, mais cela, il fallait bien qu'il en soit capable.
Il se débattit avec tout ce qui lui donnait envie de rester ici et de s'enfermer devant sa fenêtre sans plus s'en préoccuper, puis se fit conduire à la chapelle, jusqu'à ce qu'il faille rejoindre Layla dans la salle à manger.
Il avait retourné la question dans tous les sens et il n'avait pas le choix. Enfin, sa petite sœur ne devait attendre que cela depuis… bien trop longtemps. Il lui fallut néanmoins un certain temps avant de se lancer :
— Layla… Il y a une chose dont il faut que je te parle… J'ai reçu des nouvelles de Coldris et… il… c'est à dire que...
Non, il avait passé l'âge de trouver cela injuste. Depuis longtemps. Il fallait franchement qu'il se reprenne.
Re: [22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
Layla, 25 ans
Deux jours plus tôt, Layla était parvenu à descendre en ville en compagnie de Démétrius. Première réelle sortie publique du marquis d’Aussevielle dans sa propre ville. Oh elle n’avait eu aucun doute quant à l’accueil, il lui serait réservé : la grande majorité de ses gens l’appréciaient autant qu’ils avaient apprécié son père et le voyait comme une sorte de héros de guerre. On devait sans doute entendre ici et là quelques récits légèrement déformés et amplifiés par les transmissions de ses exploits sur le champ de bataille. Sur leur passage, on s’était signé et courbé. Il y avait même eu de petits curieux qui entre les persiennes peinaient à croire que le marquis était bien descendu jusque dans leur cité portuaire. Passé cet adorable bain de foule, ils étaient rentrés – non sans quelques poissons et poulpes – au domaine.
Aujourd’hui, tout avait été bien plus paisible. Passé la messe des vêpres, elle était remontée lire quelques pages puis s’était dirigée vers la salle à manger où le diner devait être servi. Son frère la rejoignit quelques minutes à peine plus tard et le service débuta. Comme à son habitude, Layla conversait de choses et d’autres tout en buvant et dégustant sa soupe. Elle venait de finir le résumé de sa dernière lecture lorsqu’elle prit son verre pour en avaler une gorgée.
… J’ai reçu des nouvelles de Coldris et…
D’abord curieuse et enjouée, elle se figea soudainement face à l’hésitation de son frère.
… Il… c’est-à-dire que…
Oh non… Oh non-non-non… Ses doigts se desserrèrent sans préavis et sa coupe vola en éclat lorsqu’elle plongea dans l’assiette creuse.
— Il… de… qu… quand ? parvint-elle à articuler, tétanisée.
Re: [22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
— Non, non : il m'a écrit. Je ne voulais pas t'inquiéter.
Mais quel idiot ! Il replongea le regard dans son assiette. Tout cela ne l'aidait pas à expliquer la situation.
— Il vont ouvrir un hôtel pour vétéran à Braktenn, et il m'a demandé d'en prendre la direction, annonça-t-il au bout d'un moment, plus résigné qu'enthousiaste.
Re: [22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
Layla, 25 ans
Coldris était… Coldris était…
Le regard figé vers son frère, la main toujours en l’air, elle ne vit pas le serviteur s’approchait pour ramasser les débris, ni éponger le vin et la soupe qui venait de tacher sa robe.
C’était…
Démétrius s’empressa d’apporter les précisions nécessaires. Écrit ? Coldris ? Coldris avait écrit ? Alors… Elle prit soudainement conscience de son cœur qui s’était mis à battre à tout rompre dans sa poitrine. Ne pas s’inquiéter. Il n’était pas… Il était vivant. Dans un profond soupir de soulagement, elle s’affala au fond de sa chaise comme on perçait une vessie de porc. Machinalement, elle posa sa main contre sa croix, tentant de reprendre sa respiration.
— J’ai cru que…
Elle expira longuement tandis que son frère détaillait le contenu de cette missive qui n’avait rien d’une nécrologie. Un hôte pour vétérans ? Ses prunelles reprirent vie d’un coup d’un seul. Démétrius à sa tête ? Elle se redressa soudainement, exultant et oubliant complètement qu’elle avait bien failli tourner de l’œil quelques secondes plus tôt :
— Mais c’est formidable ! s’exclama-t-elle avant de réaliser qu’il ne semblait pas très enthousiaste et que sa propre joie ne retombe comme un soufflé.
— Tu n’as pas l’air… enchanté ? C’est pourtant un beau projet, non ?
Enfin si, elle percevait bien le souci : il fallait aller à la capitale pour cela et dire au revoir à Aussevielle, temporairement du moins. Mais c’était là le lot des nobles et une telle proposition… Oh bien sûr il pouvait refuser et se terrer ici, cependant c’était peut-être ce qui manquait à sa reconstruction, ce but ?
Re: [22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
Son manque d'enthousiasme abattit d'un coup celui de sa petite sœur, et il s'en voulut un instant. Qu'elle ne s'inquiète donc pas : elle retrouverait Braktenn quand même.
— Je crains que sauter de joie ne soit plus vraiment dans mes moyens... tenta-t-il de plaisanter avant de soupirer tant c'était vrai.
Il finit par acquiescer.
— Un excellent projet, confirma-t-il. Et une offre que je ne peux pas décemment refuser, tu t'en doutes… d'autant plus qu'ils ignorent la situation ici. Je suppose que tu seras heureuse de retrouver Braktenn…
Re: [22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
Layla, 25 ans
Layla pouffa de rire à sa plaisanterie. C’est qu’elle le préférait de loin comme ça à faire preuve d’autodérision.
— Ah parce que tu as déjà sauté de joie ? Mince alors j'ai raté cela ! Maintenant c’est fichu ! le taquina-t-elle.
Parce que de mémoire de petite sœur, on avait jamais vu son si sobre petit frère sauter littéralement de joie. Et ce, même quand Virgil avait finalement accepté sa requête d’entrer dans l’armée. Il était ainsi, toujours dans la retenue. Chose dont elle était elle-même bien peu capable. Était-ce pour mieux le compléter ?
D’ailleurs elle le prouvait encore à l’instant en remuant la tête comme un pantin alors qu’il parlait de l’impossibilité de refuser. Tout cela parce que… oui bon d’accord… elle aurait bien sauté de joie, elle, à l’idée de retourner à la capitale. Ce n’était pas ici qu’elle risquait de trouver son grand amour à moins qu’il s’agisse un calamar ou d’un tourteau… D’ailleurs il devina bien vite ses pensées et elle se mordit la lèvre avec culpabilité. On ne pouvait pas dire qu’elle était d’un grand soutien en cet instant.
— Oh rien qu’un tout petit peu… rectifia-t-elle en cachant bien mal la joie qui l’embrasait. Mais ce n’est pas à cause de toi ! Surtout pas ! J’apprécie passer du temps avec toi c’est juste… que… Ses yeux fuguèrent vers la nappe. c’est plus… animé qu’à Aussevielle. Ici à part le bal des pêcheurs à la Saint-Pierre et la fête de Sainte Marie de la Mer… c’est plutôt la mer d’huile de la socialisation…
Après un court instant, elle releva finalement son regard vers lui :
— C’est de quitter Aussevielle qui te laisse, si… enfin… tu as compris.
Re: [22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
— Pour être fichu...
Démétrius avait beau essayer d'en rire, une certaine amertume persistait, et il sentait bien que son ton n'était plus tout à fait le même qu'autrefois. Au moins ne manquait-on plus de s'évanouir dès qu'il ouvrait la bouche et avait-il retrouvé un semblant de conversation au fil du mois. Un semblant, c'était tout ce qu'il lui fallait. C'était ce qu'il aurait toujours dû conserver. Et une foi inébranlable. Il aurait suffi de ces deux éléments qui lui avaient pourtant toujours semblé évidents pour limiter les dégâts et il avait failli.
Il avait failli, mais il n'était plus temps de se morfondre. Bien sûr qu'il devait accepter cette chance inespérée d'être de nouveau utile. Et en remercier leur Seigneur qui la lui accordait - par un biais à la fois tellement improbable et tellement évident. Bien sûr, ses souhaits d'enfants n'avaient pas à interférer avec ses devoirs.
Il toisa sévèrement sa petite sœur. Non, pas un tout petit peu. Elle ne pensait tout de même pas qu'elle lui ferait avaler ça ? Il savait pourquoi elle était restée et avec le recul, il ne pouvait nier que sa présence l'avait aidée. Ni qu'il était admiratif de l'abnégation qui, à lui, avait manqué. Mais il avait toujours su qu'elle aurait préféré être là-bas. Une autre faiblesse humaine que cet abus de mondanités… Qu'y avait-il d'assez attirant pour qu'elle tienne à se rendre là où tout le monde la regardait de travers ? Non, définitivement, son cœur à lui était à ces terres. Sobres et dignes, baignées de soleil, de paix et d'humilité, et d'où l'on plongeait si aisément son regard vers la mer - autant ne pas songer aux sorties qui ne lui étaient plus possibles.
— Cela ne m'enchante pas, non. Mais ma carrière m'a toujours contraint à quitter Aussevielle, Ly, il n'y a pas de raisons pour que cela pose davantage de problèmes aujourd'hui, reprit-il fermement, sans doute plus pour se convaincre lui-même. Il s'était sans doute déjà trop lamenté sur son sort pour plusieurs vies. À ce propos… Nous n'irons pas à Saint-Éloi immédiatement. Coldris nous a conviés à Fromart. À moins que soudainement tu ne tiennes plus à rester là où je serai... précisa-t-il avec un soupçon de taquinerie.
Quelque part, il devait avouer que ce délai ne l'affectait pas tant. C'était qu'il n'avait plus mis les pieds dans leur propriété braktennoise, non seulement depuis son accident, mais surtout depuis l'autre perte qui l'avait secoué.
Re: [22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
Layla, 25 ans
Bon. Il n’était pas tout à fait guéri de sa mélancolie. Mais ça viendrait. Un jour, il en rirait vraiment, n’est-ce pas ? Elle baissa piteusement les yeux sur son assiette qui venait d’être échangée avant de les relever de nouveau, sourire maladroit sur les lèvres :
— Ah, oublie… Tu aurais eu l’air bien ridicule à frapper tes pieds en sautant de toute façon. C’est sans doute mieux ainsi.
Autant changer de sujet et évoquer la raison de ce manque flagrant d’enthousiasme qui n’était pas lié uniquement à une quelconque habileté physique. Enfin, pas au sens où… Bref.
Elle haussa légèrement les épaules comme pour s’excuser face à sa réprimande muette avant de tenter de se justifier comme elle put. Certes c’était un peu paradoxal, elle en avait bien conscience. Tant parce qu’elle appréciait rester avec lui que parce qu’elle devrait de nouveau affronter les jugements des yeux qui la reluqueraient. Alors quoi ? Devait-elle rester enfermée entre quatre murs à ce prétexte ? C’était parfois à se demander pourquoi elle ne s’était pas résignée à s’enfermer dans un couvent…
Tout en replongeant sa cuillère dans son potage de nouveau servi, elle but chacune des paroles de son frère avec la même avidité. Il n’avait pas tort : il avait l’habitude de partir durant des mois et ce ne serait qu’une campagne de plus au fond. La campagne de Braktenn. Sauf qu’il n’y risquait a priori pas sa vie et que sa famille serait à ses côtés. Lorsqu’il affirma qu’ils ne résideraient pas à Saint-Eloi, le trajet du couvert de son assiette à sa bouche fut de nouveau suspendu. Interloquée, elle le questionna du regard. Où irait-il donc si ce n’était pas chez eux ? La réponse arriva dans la foulée : à Fromart. Oh. Ce n’était sans doute pas plus mal comme transition, il fallait le reconnaitre. Surtout que d’après ses souvenirs, Démétrius n’avait sans doute jamais remis les pieds là-bas.
— Je suis navrée, mais tu ne vas pas te débarrasser de moi si facilement, je le crains. Y compris pour le trajet. Quand devons-nous partir ?
Re: [22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
— Coldris attend ma réponse pour le cinq. Cela doit vouloir dire que ma présence ne sera pas requise avant. J'ai pensé qu'arriver vers cette date serait correct.
Cela leur laissait le temps de s'organiser, et à lui de se préparer. Autant à quitter ses terres qu'à affronter la capitale dans son état.
— Et si ton fameux Trestinian y est encore, on t'arrangera la rencontre que tu as manquée en me soutenant, promit-il sans réaliser la confusion.
Re: [22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
Layla, 25 ans
Le cinq février. Cela voulait dire qu’il leur restait tout juste une petite dizaine de jours pour préparer leur voyage vers la capitale. L’idée est aussi excitante qu’angoissante. Le trajet serait long jusqu’à Braktenn et … elle se demandait quel degré d’inconfort supplémentaire cela pourrait générer pour lui. Bien sûr, il endurerait silencieusement, mais tout de même, ce n’était déjà pas très agréable de base alors sans parvenir à se stabiliser… Peut-être serait-il préférable de rejoindre le fleuve et de poursuivre par bateau ensuite. Ce serait peut-être un peu plus long mais certainement plus calme. Elle acquiesça donc : ils auraient tout le temps de se préoccuper de ces détails plus tard. D’ailleurs cela serait une occupation supplémentaire des plus agréables.
Layla ne pouvait cependant s’empêcher de songer à la tristesse qu’il devait ressentir à quitter ce domaine qui était toute sa vie. Elle-même regretterait la vue de la mer zébrée de ses petits moutons blancs ronflants et de ses timides voiles triangulaires multicolores des embarcations de pêcheurs. Ils reviendraient, comme ils étaient toujours revenus.
Son expression suivait ses pensées tantôt exaltée, tantôt inquiétée, tantôt mélancolique. On pouvait certainement lire en elle comme dans un livre ouvert et en parlant de littérature Démétrius offrit de lui arranger une rencontre avec… Trestinian. Son visage s’illumina autant qu’il s'amusa. Oh elle aurait bien voulu le rencontrer seulement c’était comme qui dirait aussi compliqué que de faire remarcher son frère…
— Boréalion. L’écrivain s’appelle Boréalion. Trestinian est le chevalier du roman, corrigea-t-elle rougissante, détaillant le fond de la porcelaine de son assiette.
— Oh, il va falloir que tu révises tes classiques avant le départ, Dem’. Ça ne va pas être possible ! Tu imagines si tu dis cela devant lui ? Par Dieu, j’aurais si honte…
Elle allait vraiment le rencontrer ? Vraiment, vraiment, vraiment ? Son cœur battait déjà à cette simple idée qui la rendait aussi impatiente que nerveuse. Et plus elle y pensait, plus elle en rougissait, plus elle réalisait combien cela était puéril et plus elle en rougissait encore de gêne. Elle toussa discrètement avant d’avaler le contenu de son verre pour tenter de faire passer son trouble.
Re: [22 décembre 1597 au 19 janvier 1598] - Du courrier, monsieur le marquis! [Terminé]
L'explication tomba bien vite. Bon, Boréalion alors, puisqu'elle le disait. Oui, maintenant il s'en souvenait. Pour sa défense, il était certain que ses ferventes lectrices arrivaient elle aussi à s'embrouiller. Quant à lui faire honte… son fauteuil suffirait largement pour l'écrasante majorité, supposait-il. Comment ferait-il pour en imposer deux fois plus avec deux fois moins de force ? Il soupira et s'attendrit devant le regard rêveur de sa petite sœur… et espéra secrètement que le fameux auteur n'ait pas les manières de son parrain - indifféremment du respect qu'il lui portait. Qu'elle ne croise rien de ce genre à Braktenn.
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