[19 Janvier 1598 - début d'après-midi] - Dissection et analyse post-mortem [Terminé]

Il lui avait fallu autant de temps qu’à un vieux cheval pour se dérouiller, mais il semblait enfin retrouver une analyse décente. Il était temps ! Il avait bien failli finir complètement bouilli dans son bain au rythme ridicule où allaient ses déductions. Il n’avait volontairement pas tout raconter au sujet de la rencontre entre la garce et son père. Se faire agresser quand on était un homme n’avait rien de très glorieux. Or, la vie de Thierry était suffisamment pathétique pour ne pas en rajouter devant son fils. Toutefois, Coldris savait pertinemment qu’il lui avait laissé à disposition suffisamment d’indications pour en déduire la chose. Ce qui ne manqua pas d’arriver et lui étira un sourire carnassier.

— En effet. Mais ce n’est pas la seule raison. Je l’ai étranglé ce jour-là en lui demandant s’il consentait à mon agression. Étrangement, la définition est devenue nettement plus claire dans son esprit.

Et pour ce qui était des fleurs, il ne fallait pas exagérer non plus. Coldris secoua la tête, yeux clos.

— Tout le monde meurt un jour. Et tu ferais bien de prier pour que le Père Thierry soit définitivement mort car il vient d’épuiser son dernier atout. Enfin, si tu tiens vraiment à lui offrir un bouquet je te suggère la belladone, la ciguë et le laurier rose. Elle pourra toujours agrémenter sa pitance avec.

Il l’imaginait parfaitement recevoir ce petit présent dans sa cellule. Peut-être bien qu’il y ajouterait quelques petits vers sur une carte en prévision de ceux qui iraient bientôt se repaitre de ses chairs. Enfin l’hôpital général aurait été tout aussi indiqué étant donné sa démence évidente et sa qualité d’enfer sur terre. La remarque d’Alexandre lui fit hausser un sourcil interloqué. Sa douleur ? Non, il se méprenait clairement.

— J’ignore ce que tu imagines, Alexandre, mais ce n’est rien de plus que des images polluant mon esprit parmi d’autres. Les fantômes n’ont jamais blessé personne. Au pire il te réveille au milieu de la nuit.

Ça oui, les fantômes, les vrais fantômes, ceux de son passé le réveiller toujours régulièrement au milieu de la nuit dans d’atroces cauchemars. Mais cela n’avait rien de douloureux. Angoissant et éprouvant certes, mais douloureux ? Aucunement. Quant à Édouard, s’il avait été choqué par ce qu’il avait découvert c’était uniquement, car cela le ramenait à sa propre histoire et qu’il avait apprécié sa rencontre éphémère avec le jeune homme. Il n’était pas concerné par sa mort, ce n’était réellement qu’une image d’horreur qui s’invitait de temps à autre au milieu d’autres pour se rappeler à son bon souvenir.

Il fut temps de sortir du bain, de se sécher et de demander à Léonilde son costume de travail. À son regard interloqué, il se souvint qu’il avait oublié de lui parler de cette petite farce qu’ils avaient prévue avec le Roi. Ah ! Cela ne faisait rien, il aurait le récit à son retour ! Son intendant sortit et Alexandre se mit à chercher pourquoi il avait émis cette requête particulière. Il valida d’un signe de la tête que c’était bien le jour de cette soirée, mais nia la seconde affirmation en même temps que son visage s’embrasait de malice.

— Lorsque l’on est invité par le roi, il n’y a nulle réserve qui tienne. Non... c’est simplement pour le plaisir de se jouer de lui en lui faisant croire qu’il vient à une réunion de dur labeur sur des questions sociales de la plus haute importance. il leva son index en penchant légèrement la tête, ce qui n’est somme toute pas faux. Simplement, le sens n’en est pas le même.

Et son sourire espiègle se figea avec l’impatience d’un petit garçon qui s’apprêtait à jouer un mauvais tour.

Ma foi oui, pourquoi pas, ce pourrait être divertissant d’entendre ces récits autour de Thierry et de se moquer de sa bêtise inconséquente. Il valida donc l’idée qu’il repoussait à un moment de détente ultérieur. Finalement Alexandre ne souhaitait pas envoyer de fleurs, tant pis elle n’aurait pas quelques mots de son cru pour lui signifier à quel point il avait apprécié leur entrevue extrêmement productive. Quant à Thierry, il serait en effet préférable qu’il meurt assassiné plutôt que sur l’échafaud, ne serait-ce que pour exécuter plus simplement ses dernières volontés qui étaient déjà plus compliquées à mettre en œuvre désormais qu’il avait quitté cette foutue Église.

Coldris ne sut réellement à quoi songer son apprenti, mais une chose était sure : il faisait erreur. Il insista de nouveau sur ses confidences qui de toute évidence l’obsédaient.

– Je vais bien, je te remercie.

Ce qui s’appliquait tant à son inquiétude qu’à sa proposition dont il n’escomptait pas faire usage. Ses souvenirs n’appartenaient qu’à lui et il n’avait besoin d’en parler à personne. Il s’agissait de son passé et il était très bien où il se trouvait, enfoui dans une malle poussiéreuse de son esprit.

Pour l’heure il devait se préparer pour se rendre au palais. Travailler dans un premier temps, puis se divertir lorsque l’heure serait venue. Comme Alexandre était mis sur la piste de ce qui allait réellement se passer il compléta ses propos avec de nouvelles précisions. Léonilde passa à nouveau la porte et lui tendit une chemise de soie immaculée qu’il s’empressa de revêtir.


– J’y songerai, oui. En parlant de dessin, as-tu fini celui que je t’ai commandé ? Je ne vais pas tarder à partir. Va le chercher et attends-moi dans le petit salon à côté du bureau, entendu ?

Le temps qu’il se prépare, il aura pu récupérer la fameuse esquisse afin de voir si elle était conforme à ce qu’il avait décrit. Il n’y avait pas que le Sieur Dyonis qui aurait des surprises ce soir, son Roi également jouirait de quelques présents qu’il apporterait.