[19 Janvier 1598 - début d'après-midi] - Dissection et analyse post-mortem [Terminé]

Ca y est. Elle était enfin partie escortée dans un beau carrosse de la Prévôté. A peine était-elle montée à l’intérieur qu’il s’était dirigé vers ses appartements avec hâte pour jeter sa chemise dans les flammes gourmandes qui l’avaient dévoré. Sans qu’il n’ait besoin de le demander, Léonilde avait déjà fait préparer un bain dans lequel il s’était glissé avec soulagement. Dans l’eau, il s’était complètement immergé plusieurs fois, mais ne parvenait à se rincer ni le corps ni l’esprit. Quand il pensait qu’il avait couché avec cette grenouille lubrique ! Si ce n’était pour le roi – ou pour lui-même – il ne l’aurait jamais fait. Il attrapa l’éponge et commença à se frotter frénétiquement jusqu’à en faire rougir sa peau laiteuse.

Y ajouter du savon n’y avait rien fait.
De l’eau de lavande et de romarin, à peine plus. Il n’arrivait pas à chasser de son esprit son hideuse face en train de la menacer ou de lui intimer de recommencer. Coldris grinça des dents, prit une profonde inspiration et s’enfonça sous la surface de l’eau dans une suite de petites bulles qui éclatèrent à la surface. Il aimait bien cette sensation de flottement et de bruit sourd. Il y avait là quelque chose d’apaisant, vaguement semblable à l’opium quoique nettement plus éphémère. Il fallait ranger tout cela dans une boite et ne songeait qu’au résultat : la fin justifiait tous les moyens. Et sa tête roulant sur l’échafaud devait suffire à l’emplir d’une jouissante satisfaction.

Il remonta à la surface dans un bouillonnement puis passa ses mains sur son visage. Quel dommage qu’Alexandre ait manqué cela, il aurait eu une belle leçon de ce qu’était les coulisses du pouvoir. Sa main attrapa de nouveau le savon et il recommença à le passer dans les moindres recoins de son corps avec un zèle tout particulier.

— Va me chercher Alexandre, je te prie. ordonna-t-il à l’intention de son intendant et valet qui s’inclina docilement avant de disparaitre pour exécuter sa requête.

Coldris était toujours en train de frotter ses avant-bras lorsqu’Alexandre passa la porte. Il avait toujours l’impression de sentir son odeur sur son corps et un profond dégout l’envahissait à chaque nouvelle inspiration. Son week-end. Oui. Il fut excellent, mais c’était désormais le passé, inutile de s’attarder dessus tandis qu’il avait un millier de choses tout aussi bien professionnelles que personnelles à faire dans les jours qui arriveraient. Le vicomte eut un vague hochement de tête en guise de réponse et surprit le regard étonné de l’esclave sur ses stigmates. Il arqua un sourcil et retourna récurer sa peau. Tant pis, il n’avait pas le temps d’attendre la fin de son bain, car il était déjà en retard sur son emploi du temps. Et puis Alexandre n’était pas assez idiot pour trahir ce qu’il avait vu ou poser des questions qu’il n’auraient pas dues. D’ailleurs son torse… Ce n’était rien à côté de son dos.  Ce qu’il voyait là ce n’était pour la plupart que des blessures récoltées au cours de combat à l’épée ou de tentatives d’assassinat. Dans les deux cas, sa survie tenait du miracle. Tandis que son apprenti faisait étalage de ses derniers travaux, Coldris essora l’éponge avant de lâcher un sec « Plus tard. » en guise de réponse.

Quel dommage qu’il y ait eu cette commande à récupérer de toute urgence en ville. Il avait manqué une occasion rêvée de voir jusqu’où il fallait être prêt à se salir pour servir.

— La grenouille vient de partir en bonne compagnie. Tu aurais beaucoup appris à suivre cette conversation.

Il passa pour une énième fois le savon sur sa peau martyrisé et demanda innocemment :

— Dis-moi jusqu’où es-tu prêt à aller pour servir tes intérêts ?

Tout en continuant de se laver méticuleusement, Coldris lui raconta que la grenouille qui avait tant fait des siennes au procès se trouvait désormais entre de bonnes mains. Il ne se donna d’ailleurs pas la peine de répondre à sa question tant la réponse était évidente. C’était fort dommage qu’il n’ait pu assister à ce qui s’était déroulé, mais de toute évidence, il avait lui aussi appris certaines choses et n’avait pas perdu son temps. Ce n’était pas tant pour l’argent – qu’il ne comptait plus depuis longtemps – que pour l’expérience en matière de négociation qu’il acquérait peu à peu. Seulement, voilà, invoquer son nom comme celui du père Fouettard ne serait pas une solution éternelle, pas plus qu’elle ne lui apprenait à se sacrifier lui. Ce qui l’amena à poser cette question qui le fit grogner de mécontentement.

— Alors commence à y songer dès à présent.

Il mouilla son visage avant de passer ses mains dessus. Il déposa les derniers évènements dans une boite et entreprit de les narrer avec le détachement de celui qui ne les avait pas vécus.

— Comme tu le sais, je l’avais conviée au motif de lui acheter des chevaux. C’était bien le seul point commun que j’ai pu nous trouver. Pour le reste Alexandre, il est toujours crucial de se renseigner sur les invités que l’on reçoit. Leurs bons plaisirs, leurs peurs, leurs dégoûts, leurs blessures… Et c’est de fait la raison pour laquelle il est important d’en laisser le moins possible à disposition de ses adversaires. Moins il y a de prises, plus il est difficile de la gravir. Il avait repris son petit manège avec l’éponge tout en déclamant son cours. Mais, comme en toute chose, il est nécessaire de trouver un juste milieu. Être trop lisse attire les soupçons. Il convient donc de laisser échapper certains points et d’en conserver d’autres.

Il avait pour sa part rapidement laissé courir sa réputation sulfureuse et en jouer bien souvent comme avec la Despina par exemple. En revanche, son passé était entièrement verrouillé et nul n’aurait jamais pu remettre la main dessus désormais à moins de forcer son fameux bureau.

— Des renseignements que j’avais pu obtenir, elle avait perdu son mari, sans doute un enfant pour en venir à tomber ainsi en pâmoison devant le premier visage d’angelot, mais il se trouvait qu’outre ses mœurs aussi légères que les miennes, elle vidait ses bourses plus rapidement que je ne le fais.

Il esquissa un sourire tout en essorant l’éponge.

— Elle est d'autre part la sœur d’une ancienne maitresse royale assassinée et a été réduite en esclavage puis vendue à un bordel avant d’être affranchi à la demande d’un quelconque seigneur étranger. Bien. Maintenant que tu as toutes ces informations, Alexandre, que fait-on ?

Il bascula sa tête en arrière contre le rebord de la baignoire en cuivre, confortablement installé dans l’eau encore bien chaude, il attendait avec curiosité l’avis de son apprenti sur ce qu’il convenait de faire de pareils renseignements lorsque l’on avait un objectif tel que le sien.

Coldris lui dressa un portrait des faiblesses de la grenouille récoltées par ses informateurs. Ce à quoi, son apprenti se permit de compléter ses dires. Son visage se referma momentanément et il déclara froidement.

— Tant que tu y es, il y a également l’impulsivité.

Il n’allait tout de même pas venir corriger chacune de ses phrases pour le plaisir de se faire mousser, si ? C’était lui qui prenait le bain, et il n’avait guère besoin d’un second savon. Plutôt que de compléter bêtement ses propos avec des éléments dont il disposait déjà, il ferait mieux d’utiliser sa cervelle pour analyser les éléments à disposition. Durant son temps de réflexion, Coldris avait fermé les yeux afin de profiter paisiblement de ce moment, loin de l’agitation précédente et loin de la suivante qui ne tarderait pas. Son esprit se vidait peu à peu et retrouvait cette surface placide d’un lac. À sa suggestion sur l’affranchissement, il secoua lentement la tête, paupières toujours closes pour lui signifier que ce n’était pas le cas et qu’il attendait mieux cela. Le vicomte soupira à sa dernière suggestion. C’était tout ce qui lui venait à l’esprit avec tous les éléments dont il lui avait fait part ? On ne faisait pas échec et mat en se concentrant uniquement sur le roi…

— Dis-moi donc comment tu aurais procédé. Je te dirais ensuite ce qu’il s’est passé. Pour l’heure tu vas réveiller tes méninges, car tu n’attraperas pas un chiot ainsi.

Sur la surface de l’eau troublée par le savon, Coldris pianotait du bout de ses doigts, observant avec une attention tout enfantine le jeu d’onde qui se propageait, se rencontrait puis disparaissait. Au bout d’un certain temps, Alexandre proposa une nouvelle idée, un peu plus élaborée cette fois-ci. Il tourna la tête dans sa direction et écouta donc ce qu’il avait à dire.

Dans un premier temps, je l'accueillerais cordialement, comme un bon hôte se doit être et j'engagerai la conversation par quelques banalités avant de parler du sujet pour lequel elle est venue, à savoir ces fameux chevaux.

A moins d’être un bourreau de la Prévôté, c’était généralement par là que l’on commençait pour obtenir des informations. Ah oui la rendre ivre. Il souhaitait faire nager la grenouille sur le parquet donc. À quel moment avait-il dit qu’elle se conservait dans l’alcool ? Désespérant. Coldris se laissa glisser dans l’eau jusqu’à s’immerger complètement quelques secondes. Il soupira et des bulles remontèrent à la surface suivie de peu par son visage ruisselant. Il s’accouda à la baignoire et d’une voix exagérément fluette déclara :

— Un verre de whisky ? À cette heure si matinale ? Sa main toucha prudemment sa poitrine. Mais enfin, Votre Excellence, vous n’y pensez pas !

Puis il se réinstalla confortablement, satisfait de son petit jeu. Bon elle avait réclamé du Brandy ou du Whisky, certes, mais lorsqu’un invité vous réclamez ce genre de breuvage – a fortiori une femme – il y avait fort à parier que ce n’était pas l’angle d’attaque à utiliser. Tout le monde ne buvait pas du jus de fruits à longueur de journée.

— Tu vas devoir faire mieux que cela si tu veux servir ton Roi. Car là tout ce que tu auras réussi, c’est à la faire bondir hors de la mare.

Et à ses mots, il ajouta le geste, en faisant glisser son savon entre ses mains dans un petit souffle, puis sa tête bascula en arrière et son regard se perdit dans la contemplation des boiseries du plafond en attendant la proposition suivante qu’il espérait un peu plus pertinente.

Son apprenti allait-il enfin faire fonctionner sa cervelle et pondre une stratégie digne de ce nom ? Lire des livres à longueur de temps et les apprendre ne suffisaient pas à réussir dans ce métier. Il fallait s’adapter en permanence, analyser, calculer, compter, peser chaque parole, chaque geste. Et surtout : il fallait être capable de sacrifier bon nombre de choses. Avait-il cette capacité ?

Ah voilà enfin qu’il se souvenait de sa relation aux enfants. Alors, que proposait-il cette fois-ci ? Faire venir un enfant ? Il cligna des paupières. Espérait-il qu’il lui tire les vers du nez ?

— Donc tu fais venir un enfant, comme ça, au milieu de la discussion après l’avoir rendu ivre, en lui disant : « regardez comme il est adorable ce petit chaton ». C’est cela ? Oui c’est idiot.  

Et il lui éclaboussa le visage pour la peine. Il avait peut-être besoin de se rafraichir les idées après tout ?

— Et d’abord où trouverais-tu un marmot dans ce château.

Coldris se désespérait d’obtenir de lui qu’il découvre comment il en était venu à obtenir les précieux aveux. À tel point, qu’il l’éclaboussa en espérant enfin réveiller sa cervelle paresseuse. Il attendait mieux que cela. Beaucoup mieux. Et puis il y eut ce sourire, un brin trop retroussé pour celui qui aurait dû faire profile bas compte tenu de sa déplorable performance. Il se dressa faisant mine de s’intéresser à ce qu’il allait dire puis, sans préavis, attrapa sa tunique pour le faire basculer en avant et plonger sa tête dans l’eau.

— Je n’aime pas que l’on se moque de moi et il n’y a aucune fierté à tirer d’une si médiocre prestation.

Cela eut le mérite de lui rendre ses esprits et de lui proposer enfin quelque chose de relativement décent. Pour la spontanéité on repasserait. Il plongea son regard de glace dans le sien durant quelques longues secondes avant de rompre le silence dans un courant d’air frais.

— Tu es sûr ? C’est tout ce que tu as me proposer ? demanda-t-il pour le déstabiliser.

— Léonilde, fait donc venir des seaux d’eau chaude, je sens que l’on en a pour un moment encore.

Il lorgna le pendule. Tic-tac. Tic-tac. Comment faisait-on pour attraper une grenouille lubrique ? Il reprit sa petite voix faussement fluette :

— « Ne t’inquiètes pas pour moi. Je… Je pleure tout le temps. Comme la plupart des filles. » Ah. Ah. « Tu devrais retourner nous laisser. Monsieur le ministre et moi, allons… Continuer… notre discussion »

Quelle idiote vraiment ! En revanche Adéis s’était montré parfait, involontairement. Toujours aussi charmant et délicat, il avait servi à merveille la couronne sans le savoir. Bien entendu, il n’aurait jamais laissé quoi que ce soit lui arriver. Il comprenait tout de même que Cassandre ait pu se sentir mal à l’aise. Cette proximité et ce besoin répugnant, il y avait de quoi en avoir la nausée.

Attrapé par le col, la tête d’Alexandre plongea dans l’eau savonneuse, histoire de le laver de son impertinence. Et si par la même occasion cela pouvait réveiller son esprit pour lui faire une proposition décente ce ne serait sans doute pas de trop. Il eut à peine le temps de faire un aller-retour sous l’eau qu’il le relâcha, tout cela pour s’écraser quelques mètres plus loin, incapable de se relever. Il l’observa s’asseoir bien à distance de la baignoire sans tenter de récupérer ses béquilles. Sans doute était-il bien heureux de cette nouvelle place qu’il espérait hors de portée. C’était sans compter son imagination débordante qui était déjà en train de solutionner le problème de la plus évidente à la plus farfelue des propositions. Était-ce trop demander qu’il en fasse autant sur un cas aussi simple ? Il semblerait.

Maigre conviction, nota-t-il dans un froncement de nez tandis qu’il passait l’éponge sur ses cuisses. Tout autant que sa proposition suivante qui… n’en était pas une. Par tous les diables, se croyait-il à une session de question à la Prévôté ? L’éponge à peine essorée, il l’envoya sur sa tête.

— Non ! aboya-t-il

— Ce mollusque de Torienel est en train de liquéfier ta cervelle de piaf, ma parole ! À ce rythme, elle va s’écouler à ton prochain éternuement !

Il souffla avec agacement tout en sortant ses pieds de l’eau pour les poser sur le rebord de la baignoire puis reprit calmement:

— Tu cherches à t’attirer sa sympathie et sa confiance, pas sa méfiance. Elle est en train de pleurer. Je répète donc, ma question Alexandre : que-fais-tu ?

Ce qui aurait dû prendre quelques minutes s’éternisait atrocement. Ce n’était pas demain qu’il serait capable de mener un entretien de la sorte. Oh certes, il y avait plusieurs voies pour y parvenir, mais encore fallait-il être capable de les discerner et de les emprunter sans faillir. D’où sa question initiale à laquelle il n’avait pas répondu.

L’enlacer ? La consoler ? Mais ce n’était pas une enfant ! Il lui avait pourtant bien spécifié son penchant pour la luxure, non ? Etait-ce si compliqué d’achever de briser ses maigres défenses ? Oui, car soyons honnêtes, n’importe quelle personne sensée se méfierait des questions posaient sur l’oreiller, mais pas cette idiote. Elle aurait dû adopter le petit Torienel, tiens. Coldris lui, jeta le savon sur la tête de son apprenti pour son échec cuisant avant de s’accouder  sur le rebord de la baignoire dans l’une des ses poses suggestives qu’aimaient prendre les femmes.

— Pour te passer un savon. « Vous… seriez surprise, Votre Excellence des choses que j’ai dû apprendre… pour occuper un homme. » puis il papillonna des cils avant de se laisser de nouveau flotter dans son bain avec contentement.

Si avec cela il ne trouvait pas, il ne pouvait plus rien pour lui à ce niveau.

Le savon rebondit sur son crâne avant de s’écraser un peu plus loin. Quel idiot ! Il ne demandait pas la lune pourtant ! À quoi en était-il donc réduit ? À devoir mimer des postures lascives pour lui rappeler d’utiliser son phallus pour autre chose qu’uriner ! Désespérant. Affreusement désespérant. Oh que oui il était temps de compléter l’éducation de cet éternel adolescent.
Il acquiesça dans un rictus aigri. Enfin ! Ce n’était pas trop tôt !

— Ton père parle quand les bouteilles se vident. Chacun à son point faible et il est vain d’utiliser la même technique pour chaque adversaire.

Ses mains frappèrent un grand coup l’eau de la baignoire provoquant des remous jusqu’à cascader le long de la paroi. Il posa un regard sévère sur le jeune homme assis entre la savonnette et l’éponge.

— Tu ne m’écoutes pas Alexandre ! Tu crois tout savoir, mais tu ne sais rien ! Crois-tu que je n’ai pas vu ton regard plein de morgue lors de mes explications ? Voilà le résultat.

Son bras balaya l’eau dans une grande vague qui gicla jusqu’au milieu de la pièce.

— Pitoyable! Ridicule! Pathétique! Si tu crois que c’est avec une attitude pareille que tu prendras ma suite tu te fourvoies.

Autant dire qu’il ne masquait pas sa profonde déception pas plus qu’il ne tentait de camoufler sa colère. Il heurta une nouvelle fois la surface dans un grognement sourd puis soupira tel un dragon.

—  Bien sûr que c’est absurde. Mais cela n’est absurde pour qui est aveugle et se contente de percevoir le problème sous une lumière habituelle. Ne t’ai-je pas dit qu’elle était lubrique ? Ne t’ai-je pas dit qu’elle avait déversé un torrent de larmes et de pathos devant un bambin inconnu ? Ne t’ai-je pas dit qu’elle était impulsive ? Si avec tout cela tu ne comprends pas qu’une fois sa sympathie gagnée tu n’as plus qu’à la baiser et lui soutirer des confidences en passant pour son allié, je ne peux plus rien pour toi.

Alexandre s’écrasait sous le tonnerre qui emplissait désormais la salle de bain. Rien ne l’insupportait plus que la prétention couplée à l’ignorance. Ces deux-là n’avaient rien à faire ensemble, de quelques façons que ce soit. Il l’avait prévenu sur ce qu’il attendait de lui. Ce n’était pas parce qu’il faisait le travail imposé qu’il devait se permettre ce genre d’attitude risible. Preuve en était qu’il avait encore tout à apprendre et que ce n’était pas ses rapports qui suffiraient à satisfaire aux exigences pointilleuses de son maitre.

Il hocha la tête à ses excuses.

— Ainsi qu’à m’écouter, renchérit-il.

Coldris se laissa tomber contre le tablier de la baignoire dans une posture de détente. Gardant le silence quelques longues secondes, il reprit finalement comme si tout ceci n’avait pas eu lieu :

— Une fois consolée et mise à l’aise, je l’ai effectivement questionnée sur sa sœur. Elle était persuadée que j’allais lui dire qui l’avait tué. J’ai bien ma petite idée, mais je n’aurais jamais insinué rien d’autre que ce qu’elle souhaitait entendre pour la pousser à fauter. Ce qu’elle ne manqua pas de faire. En réalite… il se tourna vers son esclave, elle ne s’est pas contenté de trébucher, mais s’est écrasée lamentablement au sol comme toi. Un petit rictus mauvais naquit à la commissure de ses lèvres.

— Tu n’imagineras jamais ce qu’elle a bien pu faire.

Coldris lui conta finalement la fin de cette entrevue et comment il avait obtenu les aveux qu’il souhaitait, ou plutôt la non-négation de ceci, ce qui en pareille affaire était du pareil au même. Ils allaient enfin pouvoir en venir à la partie cocasse de stupidité de cette arrestation. Une nouvelle fois, le vicomte préféra le faire chercher ce qui avait bien pu se passer. Durant sa longue réflexion, il en profita pour fermer les yeux et inspirer profondément les effluves de lavande. Même si cette odeur lui rappelait parfois cette garce qui avait été son épouse, elle était également synonyme de bons moments passés en compagnie de Virgil à Aussevielle et il préférait de loin penser à lui qu’à cette maudite salope. Le délai écoulé, son apprenti daigna finalement fournir une réponse convenable.

— Enfin ! Je commençais à croire que tu étais aussi idiot que ton père… Tu n’es pas loin de la vérité cette fois-ci, déclara-t-il avec un sourire. Cette idiote de grenouille lubrique à oser m’inciter à remettre le couvert. Moi. Autant te dire qu’elle a eu de mes nouvelles. Ce sur quoi figure-toi qu’elle n’a rien trouvé de mieux que de me menacer de mort. J’ai donc tiré la dague qui est en permanence à portée de main pour la mettre en joue et l’arrêter. Valmar l’aura jeté au cachot en attendant les agents de la Prévoté.

Coldris s’immergea quelques secondes sous l’eau pour se rincer et reparut en s’essuyant le visage ruisselant.

— Cette femme est complètement folle. On aurait pu la jeter à l’Hôpital général qu’elle n’aurait pas dépareillé. Ou sur un bucher. Après tout ce n’est rien d’autre qu’un répugnant succube. Le drap je te prie, fit en se levant.

Alexandre semblait abasourdi par la nouvelle. Il y avait de quoi il fallait dire. Hors contexte cela semblait à peine croyable et pourtant pour une fois il n’enjolivait pas la chose pour le plaisir du récit. Il n’avait fait que lui fournir les informations aussi brutes que possible. Sa remarque sur son père eut le don de piquer sa fierté à vif. Intérieurement, Coldris souriait, satisfait d’avoir atteint son objectif. Lui-même aurait détesté entendre une telle phrase durant ses jeunes années. Rien ne l’aurait plus agacé que d’entendre parler de ce sac à merde. Il soutint son regard sans la moindre émotion puis lâcha un « fort bien » avec détachement avant de détailler cette fois-ci la fin de leur entrevue.

Enfin il retrouvait celui qu'il avait élevé au  poste convoité et unique d’apprenti secrétaire du ministre des Affaires étrangères. Un petit sourire satisfait se dessina, une éclaircie après la tempête…

– Voilà qui est nettement mieux. En effet, ton père m'a fait part de ces informations le 7 janvier dernier. La grenouille est venue lui rendre visite à Saint-Eustache. Elle désirait les mêmes informations que celle qu’elle espérait obtenir de ma part. Dommage qu’elle se soit confiée au seul curé que je fréquente.

Il eut un rictus mauvais en songeant à ce manque de chance flagrante, mais la Fortune préférait les hommes audacieux aux femmes idiotes, c’était une loi universelle.

– Tu comprendras qu’il n’était guère possible pour la Couronne de ne pas aménager la peine de ton père en conséquence.

Il était désormais temps de sortir du bain afin de s’habiller et de se mettre en route. Il se rinça donc avant de suggérer que le dindon aurait pu être jeté à l’hôpital général. Alexandre prit le parti des autres pensionnaires, mais tout ce que Coldris revoyait c’était la cellule souterraine où les rats étaient des amis et les guides des pancartes humaines bonnes à briser.
Les lacérations.
Les mots gravés.
Le sang qui s’écoulait.
Ce regard pénétrant.
Il se leva pour chasser ces considérations inutiles.

— C’est déjà l’Enfer sur terre. Alors un peu plus ou un peu moins.

Il demanda dans la foulée à Alexandre de lui faire porter le drap de bain, sans réaliser qu’il ne pouvait pas se lever sans béquilles trop loin. Il avait tendance à oublier ce menu détail. Heureusement Léonilde avait anticipé la chose et l’aida à se lever. Il put ensuite faire les quelques pas qui le séparaient de la commode où son intendant lui apporta ses béquilles. Aux remerciements du jeune homme celui-ci eut un discret signe de la tête.

Coldris réceptionna le drap d’un clignement de paupière et s’assura d’envelopper son dos avant de sortir de la baignoire. Il commença à se frictionner pour se sécher puis se tourna vers Léonilde :

— Mon costume de travail brodé de lauriers je te prie.

Le vieil homme haussa légèrement un sourcil broussailleux. Pour quelles raisons obscures son choix se portait-il sur un si sobre ensemble pour se rendre à une soirée royale ? Il avait bien plus approprié dans sa garde-robe. Assurément, il y avait là anguille sous roche. Il n’avait plus qu’à ranger celui qu’il avait fait sortir en prévision.

— Bien messire, fit-il en s’inclinant avant de disparaitre dans sa chambre située non loin.