[30 juin 1597 - Flashback] - Libations à Saint Blasphème [RP Sensible][Terminé]

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Ce soir pas de lupanar. Pas d’écriture non plus. Pas de whisky… Ce soir c’était à l’église de Thierry qu’il avait rendez-vous pour y passer la nuit. Il avait prévenu Valmar qu’il était inutile de l’attendre et qu’il n’aurait qu’à revenir à l’aube. Une fois les portes de l’édifice refermées à double tour derrière eux, il n’en ressortirait plus jusqu’au petit matin et serait donc en sécurité y compris sans sa présence. Cela lui laisserait ainsi quelques heures de répit sans avoir à se soucier de lui. Il ne doutait pas qu’il apprécierait quand bien même il était en train d’insister pour attendre sous le porche comme un mendiant.

Durant la journée, il avait fait envoyer deux caisses de rouge en prévision de leurs libations. Seule ombre au tableau : il n’y aurait pas de femmes. Bah, ce n’était pas les divertissements qui manqueraient, il en était certain.

Coldris patienta jusqu’à la dernière messe avant de se rendre dans l’antre de son compagnon de débauche. Monté sur Euthalia aux côtés de Valmar, il poussa la porte de l’église pour faire pénétrer sa jument grise pommelée dans la nef. L’écho de ses sabots ferrés carillonnait sous l’imposante voute. Il traversa l’allée centrale en direction de l’autel passant au travers des quelques rares bancs disponibles.

— Vous êtes sûr, Messire ? Rester ne me dérange pas le moins du monde…
— Que craignez-vous ? Que je finisse assommé par une statue de Saint ? Que je me noie dans le bénitier. Vous n’aurez qu’à verrouiller vous-même la porte si cela peut vous rassurer.
— Je ne peux pas. Si un incendie se déclare vous serez piégé.

Et Dieu sait que les cierges ne manquaient pas, pas plus que les combustibles. Son travail n’était que de le protéger des menaces extérieures, mais il devait bien avouer que ces dernières années, il l’avait quelque peu étendu à le protéger de lui-même. Depuis la disparition du marquis, en fait. En réalité, Valmar ne savait pas bien comment il en était venu à faire du zèle de la sorte. Sans doute, car il devait reconnaitre s’être attaché à son patron qui était tout à la fois son bourreau et son sauveur. C’était tout de même étrange comme situation…

— Alors l’affaire est entendue. Vous reviendrez demain à l’aube. Frappez à la porte je saurais que c’est vous. Profitez-bien des vôtres durant ce temps et ne vous en faites, je ne ferai rien de dangereux.

Du haut de sa monture, le garde s’inclina et fit faire volte-face à sa monture qui repartit dans un pas lent jusqu’à la sortie tandis que Thierry émergeait d’une colonne. Coldris mit pied à terre et retira son élégant chapeau qu’il épousseta par habitude.

— Le bonsoir mon cher Thierry. J’imagine que vous avez reçu mon don à votre paroisse, déclara-t-il sourire en coin.

Coldris lâcha les brides de sa jument qui s’éloigna paisiblement de son pas chaloupé. Le vicomte fit glisser un doigt le long de l’autel, admirant cette splendide pile de calices et cette petite balle qu’il fit sauter à deux ou trois reprises dans le creux de sa main avant de la reposer. Voilà qui laissait présager de délicieux  pour cette soirée. Son regard se leva vers les statues affublées de victuailles et un petit rire se souffla de ses lèvres.

— Je vois que les vieilles habitudes ont la vie dure. Je suis navré je n’ai que du raisin fermenté à vous proposer ce soir. Aucune grappe ni aucune feuille pour dissimuler vos atouts.

Ses pas le menèrent jusqu’à la statue de la Vierge élégamment vêtue dont il caressa les courbes avec une insolence pleine de luxure.

— J’aurais bien mangé un abricot, mon cher Thierry. Allons apportez donc une bouteille ! Nous n’allons pas demeurer le gosier sec ! Voilà qui serait indigne de Bacchus. Et verrouillez la porte en passant. Mon garde ne quittera les lieux que lorsqu’il sera sûr que personne ne puisse entrer.

Ce serait décidément son seul regret : aucune femme ce soir pour le satisfaire entre deux verres et quelques plaisanteries grivoises.

La tête de l’abbé ? Il imaginait sans peine. Il avait plus ou moins dû l’apercevoir sur celle de son vicaire ou de Virgil lors de ses différents méfaits. Toutefois il devait reconnaitre que cet art maraicher, ou peut-être devrait-il dire nature morte ressuscitée ? Son rire fit écho discrètement à celui du prêtre alors qu’il avouait ne pas avoir apporté de feuilles de vigne pour masquer leur virilité à la manière de ces statues mutilées pour des yeux puritains soi-disant offusqués des parties intimes. Non, en réalité, c’était surtout pour empêcher ces foutus prêtres d’être pris d’un besoin soudain nécessitant la rupture de leur vœu.

— Ah! Nous ferons des bacchanales pour les vendanges, voilà tout ! Feuille, vin, raisins, jolies nymphes… Tout ce qu’il nous faudra pour passer une soirée de pur délice.

Et ces statues affublées d’atouts des plus comestibles éveillaient déjà ses désirs jamais franchement enfouis. Thierry avait raison. Ce soir pas de femmes. Une sorte de défi idiot qu’ils s’étaient fixés pour s’amuser et changer un peu de leur quotidien ronflant. Avec tout le vin qu’il avait fait porter, il y avait de quoi passer un bon moment. D’ailleurs, la quantité était certainement suffisante pour en remplir les bénitiers et plus encore. Un peu d’encens exotique pour le faire tourner la tête et le tour serait jouer. Enfin pour le moment, il fallait surtout clore ces portes et ouvrir ces fameuses bouteilles, chose qu’il ordonna donc immédiatement. Le curé officia, ouvrant la cérémonie blasphématoire. Le vicomte leva son verre pour trinquer.

— Je jure solennellement que mes intentions sont mauvaises. Amen, déclara-t-il avant de boire une gorgée.

Puis il écouta son prêtre préféré lui raconta sa journée, plus particulièrement cette paroissienne libérée. Bien sûr qu’il n’y avait aucune curiosité. Uniquement un intérêt non feint pour savoir s’il pourrait lui faire écarter les cuisses.

— Et alors ? L’avez-vous culbuté dans un professionnalisme zélé pour vérifier qu’elle disait bien à la vérité devant Notre Seigneur ? Peut-être était-ce une catin mythomane ?

En tout cas, ces histoires d’armoires n’étaient pas sans lui rappeler ses propres exploits. Toutefois, il n’avait jamais passé une nuit entière dans l’un de ces étroits réduits.

— Bien entendu, dites-moi donc ce qu’il est advenu de son sort… Si votre récit me plait j’officierai la première prière de la soirée.

La terre avait-elle réellement tremblé sous ses pieds ? Voilà qui était étrange tout de même. Il ne manquerait plus que l’église s’écroule sur eux et Valmar le maudirait jusqu’à son dernier souffle. Ah peste ! Il préféra trinquer à leur soirée qui s’annonçait déjà haute en couleur eut égards au sens du détail de son compagnon de débauche.

Si c’était un grand cru ? Bien évidemment, il n’allait pas ramener de la vinasse de fond cuve pour boire à s’en faire tourner la tête. L’ivresse certes, mais hors de question que de blesser son gosier expert avec de la mauvaise piquette de taverne !

— Par le sang du Christ, si Dieu a fait le vin et les femmes si bonnes, c’est bien pour que l’on jouisse de leurs bons plaisirs après tout !

Il ne manquait que la seconde création divine à leur tableau. Ce serait pour une prochaine fois. Il sirota son vin tout en écoutant le récit du curé sur la confession de la paroissienne. Pure curiosité alors qu’il la prenait une fois par semaine ? Coldris souffla un rire étouffé. Il voulait surtout s’assurer de pouvoir continuer à la sauter en paix sur l’autel dont il fit glisser un index distrait.

— Eh bien mon cher Thierry, heureusement que la nature vous a fait grand.

Il fronça les sourcils à la mention d’Alexandre et se garda bien de tout commentaire qui risquait de jeter la pomme de la discorde et non de la tentation en plein sur l’autel de la débauche et de la luxure. Tout de même, il devait avouer préférer un relatif confort, mais lui avait fait vœu de pauvreté après tout. L’austérité, il connaissait. Il prit de concert une nouvelle gorgée et écouta avidement la suite du récit : la soirée ne faisait que commencer. La chute arriva et la déception se peignit sur son visage : c’était une histoire parfaitement recevable, néanmoins lorsque l’on se nommait Coldris de Fromart et que l’on pouvait faire venir son meilleur ami pour distraire le mari cocu à coup de législation pénible dans le simple but de pouvoir filer par la fenêtre en priant pour que le drap ne cède pas avant d’avoir atteint l’arbre dont les ramures touchaient le mur d’enceinte. Ou encore en se déguisant en domestique pour prendre la poudre d’escampette… Il fallait admettre que c’était somme toute assez banal. Il prit donc la bouteille et servit une nouvelle coupe au conteur.

— Je suis certain que vous pouvez faire mieux que cela. Il en faut plus pour me faire dire la messe. Disons que… ce n’était que l’échauffement, déclara-t-il plein de malice.

Le moins que l’on puisse dire c’est que c’était une façon de voir les choses qui lui convenait à la perfection. Mais c’était bien connu que le Pape n’était qu’un roi comme les autres, se plaisant à accumuler le pouvoir et les richesses autant qu’à contrôler la vie des siens. Le simple fait que Jésus soit juif et que les juifs soient à ce point haït par l’Église démontrait toute la machination de la chose. Alors pourquoi suivre ces règles idiotes ?

Le curé ne s’offusqua guère de son jugement perfectionniste quant à la qualité de son récit rebondissant mieux que les perles de son chapelet en lui proposant cette fois-ci une pièce de théâtre à voix multiples. Pour tout dire, c’était une histoire qu’il avait déjà entendue au cours de leur soirée. En revanche, Thierry ne devait en garder aucun souvenir à chacune de leur rencontre. Qu’importe, il la trouvait toujours aussi amusante et encore plus lorsqu’elle était jouée de la sorte. À la fin, ses yeux malicieux étincelaient tandis qu’il levait son verre à l’artiste pour sa prestation.

— C’est que vous les aimez, les cuisses de la sœur de l’évêque ! Prenez garde cependant, la sénilité vous guette, mon cher, déclara-t-il en vidant sa coupe d’un trait.

— Bien vous avez gagné le droit d’assister à ma messe, mon fils. Mais avant tout, veuillez confesser vos pêchés devant Votre Seigneur tout puissant.

Une fois son fils absout de ses errements, Coldris se rendit dans la cellule de son compagnon de jeu. Dans l’une des armoires, il dénicha une aube, un chasuble et une étole qu’il passa par-dessus son costume noir avant de ressortir la mine sévère de l’officiant s’apprêtant à répandre la parole de Dieu. Il récupéra également l’encensoir qu’il alluma à l’aide d’un cierge non sans l’avoir quelque peu agrémenté d’une poudre de son cru. Le laissant se balancer au gré de ses pas, il s’arrêta devant l’autel pour bénir la pyramide de calice, le vin, le Christ aux attributs virils et la Vierge du verger puis prit place derrière l’autel, ouvrant ses bras. Certes c’était moins amusant avec un modeste public, mais le lieu valait à lui seul le plaisir du jeu interdit.

— Nous sommes réunis ici ce soir, dans la maison close de Dieu pour célébrer la Sainte Verge, mère du Pieu.

Sa voix résonnait sous la nef déserte, s’amplifiant dans un écho sourd terriblement plaisant. Il entonna un Gloria somme toute banal sinon l’excepté quelques discrètes modifications de son cru : il fallait maintenir l’intérêt de son auditoire sans dévoiler ses meilleurs atouts dès le départ. Il passa ensuite aux prières rituelles. Virgil allait se retourner dans sa tombe… Si ce n’était pas déjà le cas.

— Je vous salue Saint Vit,
Pleine de garces,
Le sein d'or est à vous
Vous êtes béni par toutes les femmes
Et Phallus, instrument de notre plaisir est béni.
Sainte Verge mère du pieu, priez pour nous,
Heureux pêcheurs, maintenant et jusqu'à l'heure de notre jouissance.
Amen.

Bénissant d’un signe de croix son assemblée constituée d’un unique prêtre débauché, il emplit généreusement l’un des calices et le leva.

— Ceci est le sang de Notre Divin Seigneur. Cet élixir de vie carmin qui coule dans ses veines et réjouit nos gorges asséchées et nos cœurs tourmentés. Buvez mon fils. Puisse son sang vous accordez Paix et Félicité, Amen.
Il se décala ensuite de quelques pas vers le Christ et sa courgette fièrement dressée, invitant Thierry à se recueillir devant l’idole.

— Puisse Notre Seigneur Phallus-Christ vous accorder sa virilité pour les jours et les nuits à venir.

Quelques pas de plus le menèrent devant la Sainte des Verges.

— Embrassez ces divins seins d’or, mon fils, et recevez la bénédiction de la jouissance et la perspective de délices à venir, Amen.

Trempant finalement  son doigt dans le vin, il traça une croix sur le front de son acolyte.

Thierry semblait si fier de ses galipettes avec la sœur de l’évêque ! C’est que le prêtre se contentait de peu. Contrairement à lui qui préférait à la chasse à la curée. Leur plaisir différait clairement quand bien même la finalité était la même.

Sa remarque sur son âge le fit sourire. Que de déni ! Proche de la quarantaine ? Allons bon ! Il était très précisément aussi proche que lui de la cinquantaine ! Coldris leva les yeux au Ciel songeant qu’il aurait préféré se trouver sous la voute de la chapelle Sixtine.

— De la quarantaine de mois ? Assurément, répliqua-t-il sarcastiquement avant de ponctuer sa déclaration d’un large éclat de rire tranchant.

Il entama ensuite sa cérémonie religieuse à laquelle son compagnon se plia de bonne grâce. Songer qu’ils risquaient le bûcher pour de telles paroles ne rendait que meilleur encore l’exercice. Il dut tout de même concéder à Thierry son quasi sérieux tout au long de l’office, ce qui n’était pas chose aisée, il fallait bien l’avouer. Lui-même ne se retint que de justesse en le voyant baiser la courgette puis les abricots avec dévotion. Coldris contourna finalement l’autel et croqua dans l’un des fruits – au diable la décoration ! – Il ne pouvait s’empêcher de se demander ce que pensait Virgil en ce moment même. Certes, il avait bien une idée, mais ne plus pouvoir le faire enrager n’avait définitivement pas la même saveur.

— Il y avait plus de fidèles lors de ma dernière célébration, je dois dire. Toutefois… Je déclare cette soirée officiellement ouverte !

Tout en disant cela, il fixait la pyramide de calices et la petite balle qui attendait sagement de voler dans les airs.

Visiblement Thierry avait apprécié sa célébration de la Sainte Verge. En même temps, il n’y avait pas tellement de surprise de ce côté-là et il se contenta d’un discret sourire accompagné d’un regard de fierté malicieuse.

— Des messes noires ? Allons bon, je suis peut-être fou mais pas suicidaire à ce point et le bûcher ne me fait pas rêver. En revanche un bordel plein à craquer d’hommes éméchés c’est nettement plus amusant.

Coldris suivit des yeux le curé se retourner aussitôt vers l’autel avant de croiser son regard : oui, il était toujours prêt à jouer et arqua un sourcil se demandant à quoi cet individu peu recommandable  pouvait songer. La précision des lancers ? Dans les calices ? Ma foi pourquoi pas, cela semblait divertissant. Il calcula rapidement que certains étaient inaccessibles du fait du pied qui recouvrait bien trop le réceptacle : inutile de les viser de fait. Toutefois, ce n’était pas ce à quoi songeait le prêtre… Il souffla de rire en secouant la tête lorsque la belle explosa la statuette d’argile. Oh Virgil devait tant détester cela. De son vivant, il n’aurait jamais poussé son impiété notoire à faire une chose pareille, mais après tout il n’était plus là et s’il n’y avait rien après la mort ce qui était certainement le cas, alors… Il attrapa la balle qu’il fit sauter dans sa main.

— Voilà qui devrait nous occupe agréablement...

Il visa Saint Matthieu et ses livres de comptes. Il était sûr de son coup et lança avec force la balle, mais un coup de vent la fit rebondir sur le dossier avant de s’écraser mollement au sol. Comment était-ce possible ? Il observa interloqué la scène :

— Mais enfin! Avez-vous ce qui vient de se passer ? Cette balle a été déviée ! Il tourna la tête vers les vitraux, cherchant d’où pouvait venir ce filet d’air vicieux qui s’était joué de lui.

— J’exige de recommencer! Il y a quelque chose d’improbable !

Leur hérésie les poussa à aborder le cas de Saint-Laurent et de son supplice pour le moins original. À ses paroles, le sourire de Coldris s’étira :

— Ce n’était que le suce-boule du pontife, trop ravi de mourir à ses côtés afin de graver son nom pour l’éternité. Et l’on peut dire que c’est fort réussi. Si ses dernières paroles sont bien réelles, alors je me dois de louer son esprit absolument savoureux et croustillant.

Le vicomte souffla de rire et déclama avec conviction :

— « Voici, misérable, que tu as rôti un côté ; retourne l’autre et mange »  Il réprima un discret rire. Et c’est ainsi que naquit le bucher, dans un souci de productivité.  

Pour ce qui était des bêtises de gueux, il était bien placé pour le savoir : tous ces désespérés qui déposaient des cailloux sur la tombe de son ami l’agaçaient au plus haut point. Il pouvait partager nombre de choses, mais son meilleur ami était un et indivisible. Quant à ce fils dont il n’était pas le père, il était bien mal placé pour juger de quoi que ce soit songea Coldris qui demanda innocemment :

— Quelle bêtise ! Je suis certain que vous avez fait bien mieux. N’est-ce pas ?  

Cette messe il n’en gardait pas grand souvenir. Virgil s’était bien gardé de lui en mentionner les moindres détails. C’était somme toute une soirée normale au Lupanar. S’amuser, boire, baiser Isabelle, en reprendre une autre et recommencer peu après jusqu’à sentir son esprit se séparer de son corps. Bien sûr, tout le monde venait ici invité par une catin.

— L’avez-vous bien con-fessée, mon Père ?  

La fin en revanche le fit grimacer. De toute évidence, sa parole ne valait rien de plus qu’un contenu de latrines le lendemain d’une soirée de débauche. À gerber, donc. Il ne releva pas le reste et se contenta d’un sourire de façade avant que l’on ne passe au jeu où un malheureux courant d’air fit dévier son tir. En revanche le curé ne semblait pas subir les effets des failles de maçonnerie de l’église et explosa littéralement Sainte-Sophie. Coldris tenta à nouveau d’atteindre Saint-Matthieu, mais rien n’y fit et la balle rebondit, atteignit le banc arrière avant d’être reprojetée vers l’avant et… de passer entre Saint-Jean et Saint-Pierre.

— Diable ! pesta le vicomte, comment est-ce possible ! Je suis certain que vous trichez ! Il ne peut pas en être autrement !

Par pur esprit de contradiction, Coldris se décida à corriger son compagnon de débauche – prêtre de surcroit – lorsqu’ils évoquèrent le cas de Saint-Laurent le rôti.

— Il s’agit d’un braiser et non d’un bûcher. Cela fait toute la différence. Vous devriez revoir vos classiques. Qui plus est j’ai entendu dire qu’il existait aux Indes des hommes capable de marcher pieds nus sur les braises.

De la religion, ils dérivèrent aux superstitions.  Coldris n’avait jamais compris l’intérêt de dépenser temps et énergie à prier plutôt qu’à agir. Il n’y avait que l’homme au fond qui disposait du pouvoir de fabriquer ses rêves à partir de la glaise récoltée à force de sueur du bout de ses doigts crasseux.

— Dites donc que Dieu leur a offert la vie, cela vous dédouanera bien plus encore à ce rythme. Votre père était marié à votre mère, espèce d’idiot. Qu’il l’ait fait ou non, la responsabilité de la sécurité de son foyer lui appartenait. De même que vous êtes responsables des vôtres.

De là, ils évoquèrent ce fameux jour au lupanar où il avait fui comme un rat les ennuis qui se profilaient. A quoi bon aller là-bas si c’était pour ne rien assumer ?

C’était comme cette tricherie manifeste qui d’une façon ou d’une autre l’empêcher de détruire Saint Matthieu à l’aide cette maudite balle. Thierry s’emporta et en jeta cinq un peu au hasard. Stupéfait, il les observa détruire  quatre statues. Le curé jurait qu’il n’y était pour rien, mais le vicomte n’en croyait pas un mot.

— Et qu’est-ce donc en ce cas ! Une opération du Saint-Esprit peut-être ?

Il s’avança vers le prêtre, furieux jusqu’à pousser sa clavicule de son index.

— Vous voulez que je vous dise ? Vous n’êtes qu’un fieffé menteur incapable d’assumer ses actes ! Un putain de gosse !

Coldris fit volte-face et se dirigea vers le banc où survivait Saint-Matthieu… pour quelques secondes encore. Il attrapa la statue et la pulvérisa sur le sol.

S’il y avait bien une chose dans laquelle Thierry excellait, c’était indubitablement à se trouver des excuses. Et il n’allait pas manquer de le prouver à de multiples occasions ce soir. Cela commença bien entendu avec Saint-Laurent et sa confusion au sujet de sa mort : n’aurait-il pas dû les connaitre sur le bout des doigts au contraire ? Coldris arqua les sourcils.

— Pourquoi ne pas vous y essayer, ma foi ? répliqua-t-il avec un large sourire provocateur.

L’autre domaine dans lequel Thierry était passé maitre demeurait incontestablement la fuite. Plus à l’aise que n’importe quelle vermine, il fuyait l’hiver avant les hirondelles, la noyade avant les rats et les incendies avant les lièvres et sa paternité en plus de tout le reste. Pathétique. Enfin, il n’était pas ici pour débattre une énième fois de ce sujet qui ne connaissait nulle résolution depuis près de six mois. Non, il était là pour s’amuser, se détendre, passer du bon temps, oublier son ennui permanent, sa morosité assommante et sa mélancolie sournoise.

C’était bien ce qu’il espérait avec ce jeu digne d’une foire d’automne, il fallait croire pourtant qu’il n’était pas en odeur de sainteté pour réussir ses tirs. Cela ou… son compagnon de débauche trichait d’une façon ou d’une autre. Il n’y avait qu’à voir ce dernier lancer qui explosa quatre statuts sur cinq sans même les viser ! Il ignorait quelle diablerie il avait bien pu mettre là-dessous toutefois cela s’avérait plus que troublant. Et voilà qu’il jurait sur la tête d’Alexandre. Il avait bon dos le petit infirme tiens ! Coldris grogna, incapable de séparer le vrai du faux dans ce méli-mélo. D’un geste agacé, il lui accorda tout de même le bénéfice du doute, en souvenir des fois précédentes où il avait reçu son serment.

Il observa le prêtre faire un malheureux pas de côté, trébucher comme l’un de ses acteurs de farce puis faire tomber une à une, dans un bris d’argile funeste, chacune des statues de saints sous son regard hagard.

— Assez! tonna Coldris, voilà maintenant que vous saborder le jeu pour ne point me laisser le loisir de gagner !

Il attrapa la bouteille et se servit deux verres, coup sur coup qu’il vida d’une traite pour calmer ses nerfs à vifs.

Non content de tricher, il fallait qu’il se donne en spectacle et culbute toutes les statuettes l’une après l’autre sans que rien ne puisse arrêter l’inéluctable. Glissé, oui c’est ce qui arrivait à force de baver sans cesse. Coldris leva glacialement les yeux au ciel et se servit un bon verre de vin pour faire passer tout cela.

Un piège de l’évêché ? Allons bon elle était bien bonne celle-là (ou bien mauvaise il ne savait trop trancher sur le sujet).

— Et pourquoi pas une opération du Saint-Esprit, tant que vous y êtes ?

Il vida d’une traite sa coupe, noyant sa colère dans le breuvage.

— Ne soyez pas idiot… L’évêché n’est rien d’autre qu’une administration cléricale fantoche. Tout juste bonne à dire qu’elle existe, guère plus. Par quel miracle croyez-vous donc être encore en poste ici ?

Coldris délaissa son ami pour jauger la pyramide encore intacte de calices qui semblait l’appeler de tout son saoul. Il se baissa pour ramasser une balle entre quelques tessons de saints pulvérisés.

— Je vais choisir le nouveau jeu. Que diriez-vous de faire rentrer cette balle dans les coupes si savamment arrangées ? Le reste du jeu reste identique au précédent. Bien, je commence.

Il visa le premier calice, celui au sommet et parvint à déposer la balle en son centre.

— Oh j’oubliais, pour corser la chose il est impossible de prendre un calice ayant déjà servi et si le calice tombe, ce sera double peine.

Il jeta la balle à son compagnon de débauche, satisfait des nouvelles règles  puis se servit un nouveau verre qu’il vida : privilège du vainqueur.

Nouveau jeu qu’il avait choisi. Première réussite, puis première réussite du curé tricheur et débauché. Bah il pouvait bien dire ce qu’il voulait sur son fils, le jour où il saurait, il aurait peut-être un avis bien différent. D’ailleurs il doutait que l’évêché n’ait jamais reçu aucune plainte, seulement, l’amour de Dieu rendait visiblement fort aveugle.

En tout cas ce jeu semblait lui plaire et il était de toute manière bien trop désireux de se faire pardonner pour oser avouer le contraire. Il trinqua donc de bonne grâce, comme si rien ne s’était passé quelques minutes plus tôt puis récupéra la balle pour la lancer dans un nouveau calice. Sans doute pris par un excès de confiance, il tenta un coup difficile dans l’une des coupes à l’espace restreint. La balle rebondit sur le pourtour, tomba à l’étage inférieur sur le pied d’une autre coupe puis roula avant d’effectuer un ultime bond sur la table sans tomber dans le moindre trou. Jusqu’au dernier moment, il y aura cru !

— Vieille pute vide-bourse ! grogna-t-il avec rage avant de se reprendre finalement, sans toutefois parvenir à desserrer les mâchoires. Bien je vous écoute…

Une belle tentative, mais un échec tout de même. Or, un échec était un échec et Coldris détestait les échecs.  Une tentative ? Qu’est-ce que cela voulait dire ? Tenter ? On ne « tentait » pas. On faisait. Point à la ligne. Cette fois-ci, il se plia à son gage sans rechigner. Dessiner donc ? Il chercha sur l’autel et aperçut un bout de charbon laissé à dessein. Bien. Il le saisit et se dirigea vers le vitrail de la vierge à l’enfant. Il commença à lui peindre une longue barbe. Coldris ricana en silence tout en lui ajoutant un phallus et en traçant de petites cornes sur le nourrisson avant de revenir à sa place.

Il n’était pas question de manquait le lancer de curé ! Coldris l’observa rouler sur le pourtour, priant silencieusement pour qu’elle vacille du mauvais côté… Ce qu’elle fit pour son plus grand plaisir ! Ah voilà qu’on pouvait perdre désormais ! Il se délecta de sa rage autant que de ses paroles qui lui évoquaient tout autre chose.

— Voilà une phrase que vous devez dire bien souvent, mon cher ! C’est le manque de pratique, que voulez-vous ! Pour la peine…

Il se rapprocha de l’autel, prit le calice du haut et y versa du vin avant de la tendre à Thierry qui s’apprêtait à la vider dans son gosier.

— Oh non mon cher ! Celui-ci vous ne le boirez qu’après avoir réussi à traverser la nef en la posant en équilibre sur votre tête, sans autre soutien que le Saint-Esprit… Ou vous le boirez ou vous vous doucherez avec !

Voilà qui s’annonçait plaisant à regarder et Coldris s’installa confortablement sur un banc, chantonnant une marche nuptiale pour accompagner les pas du curé. Lorsqu’arriva son tour, il lança la balle, mais légèrement trop courte, heurtant le côté du calice qui emporta deux pièces supplémentaires dans sa chute cacophonique.

— Maudite balle !